Language of document : ECLI:EU:T:2020:77

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

27 février 2020 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un meuble – Motif de nullité – Absence de caractère individuel – Divulgation du dessin ou modèle antérieur – Preuve de la divulgation – Article 7 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑159/19,

Bog-Fran sp. z o.o. sp.k., établie à Varsovie (Pologne), représentée par Me M. Mikosza, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. D. Gája et H. O’Neill, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Fabryki Mebli « Forte » S.A., établie à Ostrów Mazowiecka (Pologne), représentée par Me H. Basiński, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 14 janvier 2019 (affaire R 291/2018-3), relative à une procédure de nullité entre Bog-Fran et Fabryki Mebli « Forte »,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, U. Öberg et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mars 2019,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 12 juin 2019,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 10 juin 2019,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 17 septembre 2013, l’intervenante, Fabryki Mebli « Forte » S.A., a présenté une demande d’enregistrement auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), d’un dessin ou modèle communautaire représenté comme suit :

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2        Les produits auxquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être appliqué relèvent de la classe 6 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspondent à la description suivante : « Meubles ».

3        Le dessin ou modèle contesté a été enregistré le 17 septembre 2013 en tant que dessin ou modèle communautaire sous le numéro 001384002-0034 et publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 222/2013, du 21 novembre 2013.

4        Le 14 mars 2016, la requérante, Bog-Fran sp. z o.o. sp.k., a présenté une demande en nullité du dessin ou modèle contesté au titre de l’article 52 du règlement no 6/2002.

5        Le motif invoqué au soutien de la demande en nullité était celui visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002. La requérante a fait valoir que le dessin ou modèle contesté n’était pas nouveau et qu’il était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 4 du règlement no 6/2002, lu en combinaison avec les articles 5 et 6 du même règlement.

6        À l’appui de sa demande en nullité, la requérante a produit les documents suivants :

–        un extrait d’un catalogue intitulé « NABYTKU – Novinka 2008 – WHITE », contenant les représentations suivantes d’un meuble nommé « skrin 2D WH9 », auquel aurait été appliqué le dessin ou modèle antérieur :

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–        une facture datée du 14 août 2008 relative à l’impression du catalogue mentionné ci-dessus à 25 000 exemplaires, en tchèque ;

–        trois factures, respectivement datées du 14 août, du 4 novembre et du 28 novembre 2008, relatives à des ventes de meubles à A JE TO CZ, S.r.o., avec confirmation de la réception des marchandises mentionnées.

7        Par décision du 21 décembre 2017, la division d’annulation a fait droit à la demande en nullité, en considérant que le dessin ou modèle contesté ne présentait pas le caractère individuel requis par l’article 6 du règlement no 6/2002.

8        Le 6 février 2018, l’intervenante a formé un recours, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation.

9        Par décision du 14 janvier 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a accueilli le recours et a annulé la décision de la division d’annulation, au motif que le dessin ou modèle antérieur n’avait pas été divulgué au public conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

 Conclusions des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        accueillir la demande en nullité du dessin ou modèle contesté ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.

11      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

12      L’intervenante conteste la recevabilité du recours, au motif que le mandat produit par la requérante aurait été signé par des personnes habilitées à représenter « Bog-Fran spółka z ograniczoną odpowiedzialnością sp. k. », société établie en Pologne, et non « Bog-Fran sp. z o.o. sp.k. », laquelle n’existerait pas et ne pourrait pas, en vertu du droit polonais, constituer une dénomination abrégée de la société susmentionnée.

13      Aux termes de l’article 61, paragraphe 4, du règlement no 6/2002, le recours devant le Tribunal est ouvert à toute partie à la procédure devant la chambre de recours pour autant que la décision de celle-ci n'ait pas fait droit à ses prétentions.

14      En l’espèce, dans la décision attaquée, la chambre de recours a identifié et désigné la requérante, d’une part, selon la dénomination adoptée par cette dernière dans la requête et, d’autre part, comme étant la demanderesse en nullité du dessin ou modèle contesté et la partie défenderesse au recours dont elle était saisie. En outre, le 28 janvier 2019, l’EUIPO a, conformément à l’article 66 du règlement no 6/2002, notifié à la requérante la décision attaquée. Par ailleurs, force est de constater que l’adresse du siège social de la requérante mentionnée dans la décision attaquée est la même que celle figurant dans la requête et, de surcroît, que celle de la société évoquée par l’intervenante.

15      Partant, il ne saurait être contesté que le présent recours a été introduit par une partie à la procédure devant la chambre de recours, conformément à l’article 61, paragraphe 4, du règlement no 6/2002. Dès lors, les arguments de l’intervenante visant à contester la recevabilité du présent recours doivent être écartés.

 Sur le fond

16      Au soutien de son recours, la requérante soulève un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, par lequel elle fait valoir que la chambre de recours a méconnu cette disposition, en ayant considéré que les éléments de preuve produits n’établissaient pas que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué conformément à cette disposition.

17      Selon l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, aux fins de l’application des articles 5 et 6 dudit règlement, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union européenne. Toutefois, le dessin ou modèle n’est pas réputé avoir été divulgué au public s’il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret.

18      Conformément à l’article 7, paragraphe 2, sous b), du règlement no 6/2002, il n’est pas tenu compte d’une divulgation si un dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pendant la période de douze mois précédant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou la date de priorité, si une priorité est revendiquée.

19      Selon la jurisprudence, un dessin ou modèle est donc réputé avoir été divulgué une fois que la partie qui fait valoir la divulgation a prouvé les faits constitutifs de cette divulgation. Pour réfuter cette présomption, il incombe, en revanche, à la partie qui conteste la divulgation de démontrer à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires [arrêt du 21 mai 2015, Senz Technologies/OHMI – Impliva (Parapluies), T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 26].

20      Dès lors, aux fins d’établir la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, il convient ainsi de procéder à une analyse en deux étapes, consistant à examiner, en premier lieu, si les éléments présentés dans la demande en nullité démontrent, d’une part, des faits constitutifs d’une divulgation d’un dessin ou modèle et, d’autre part, le caractère antérieur de cette divulgation par rapport à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté et, en second lieu, dans l’hypothèse où le titulaire du dessin ou modèle contesté aurait allégué le contraire, si lesdits faits pouvaient, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, faute de quoi une divulgation sera considérée comme sans effets et ne sera pas prise en compte [arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 24].

21      Le règlement (CE) no 2245/2002 de la Commission, du 21 octobre 2002, portant modalités d’application du règlement no 6/2002 (JO 2002, L 341, p. 28), ne contient aucune précision s’agissant des preuves qui doivent être fournies en matière de divulgation du dessin ou modèle antérieur par le demandeur en nullité. Plus particulièrement, l’article 28, paragraphe 1, sous b), v), du règlement no 2245/2002 se borne à prévoir que, lorsque la demande en nullité est fondée, notamment, sur l’absence de caractère individuel du dessin ou modèle communautaire pour lequel la protection est demandée, elle doit comporter l’indication et la reproduction du dessin ou modèle du demandeur en nullité susceptible de faire obstacle au caractère individuel du dessin ou modèle communautaire pour lequel la protection est demandée ainsi que des documents prouvant la précédente divulgation du dessin ou modèle antérieur. Par ailleurs, ni le règlement no 6/2002 ni le règlement no 2245/2002 ne spécifient une forme obligatoire pour les éléments de preuve qui doivent être apportés par le demandeur en nullité pour justifier de la divulgation de son dessin ou modèle avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée. Ainsi, l’article 28, paragraphe 1, sous b), v) et vi), du règlement no 2245/2002 se limite à exiger que la demande en nullité contienne « les documents prouvant l’existence [du dessin ou modèle antérieur] » ainsi que « les faits, preuves et observations présentés à [son] appui ». De même, l’article 65, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 ne prévoit qu’une liste non exhaustive de mesures d’instruction possibles dans les procédures devant l’EUIPO. Il s’ensuit que le demandeur en nullité est libre du choix de la preuve qu’il juge utile de présenter à l’EUIPO pour appuyer sa demande en nullité [voir arrêt du 17 mai 2018, Basil/EUIPO – Artex (Paniers spéciaux pour cycles), T‑760/16, EU:T:2018:277, point 41 et jurisprudence citée].

22      Par ailleurs, la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur ne peut pas être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une divulgation effective du dessin ou modèle antérieur sur le marché. En outre, les éléments de preuve fournis par le demandeur en nullité doivent être appréciés les uns par rapport aux autres. En effet, si certains de ces éléments peuvent être insuffisants à eux seuls pour démontrer la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’ils sont associés ou lus conjointement avec d’autres documents ou informations, ils peuvent contribuer à former la preuve de la divulgation. Enfin, pour apprécier la valeur probante d’un document, il convient de vérifier la vraisemblance et la véracité de l’information qui y est contenue. Il faut tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire, ainsi que se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 17 mai 2018, Paniers spéciaux pour cycles, T‑760/16, EU:T:2018:277, point 42 et jurisprudence citée).

23      En l’espèce, la chambre de recours a fondé le rejet de la demande en nullité de la requérante sur le fait que celle-ci n’avait pas apporté la preuve d’une divulgation au public du dessin ou modèle antérieur, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

24      Il convient donc de vérifier si les preuves produites par la requérante devant l’EUIPO, prises dans leur ensemble, étaient susceptibles d’établir à suffisance de droit que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

25      En l’espèce, il est constant que la requérante a produit, à titre de preuve de la divulgation, les documents suivants devant la division d’annulation et devant la chambre de recours :

–        un extrait d’un catalogue intitulé « NABYTKU – Novinka 2008 – WHITE », contenant les représentations suivantes d’un meuble nommé « skrin 2D WH9 » :

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–        une facture datée du 14 août 2008 relative à l’impression du catalogue mentionné ci-dessus à 25 000 exemplaires, en tchèque ;

–        trois factures, respectivement datées du 14 août, du 4 novembre et du 28 novembre 2008, relatives à des ventes de meubles à la société A JE TO CZ, S.r.o., comportant une confirmation de la réception des marchandises.

26      La chambre de recours a relevé qu’il était impossible, en l’absence d’informations plus spécifiques, d’établir avec certitude que le catalogue, dont était issu l’extrait produit par la requérante, avait été publié avant la date de dépôt du dessin ou modèle contesté et que ce dernier était alors connu des milieux spécialisés du secteur concerné. Elle a ajouté que, en tout état de cause, aucune de ces pages de catalogue ne contenait de preuve spécifique de son existence et de sa distribution, étant donné qu’il était impossible de déterminer quand, où et à quelle échelle les catalogues avaient été distribués, et s’ils avaient été diffusés auprès des milieux spécialisés. Par ailleurs, elle a relevé que la facture relative à l’impression du catalogue en cause concernait l’impression de ce dernier, et non sa distribution, et qu’une seule des trois factures de vente de meubles produites contenait une mention de la référence du meuble auquel le dessin ou modèle antérieur avait été appliqué.

27      La requérante fait valoir que, eu égard au nombre élevé d’exemplaires imprimés du catalogue dont elle a produit un extrait, à savoir 25 000, il convenait de considérer qu’au moins quelques-uns de ces catalogues étaient parvenus à des distributeurs, des magasins de meubles, des entreprises concurrentes, des créateurs de mobilier et d’autres représentants de l’industrie du meuble. Elle ajoute que, considérés ensemble, l’extrait dudit catalogue, la facture relative à l’impression de ce catalogue et les factures relatives à des ventes de meubles démontraient la promotion et la mise sur le marché du meuble auquel le dessin ou modèle antérieur avait été appliqué.

28      L’intervenante allègue que l’extrait du catalogue produit par la requérante ainsi que les factures relatives, respectivement, à l’impression dudit catalogue et à des ventes de meubles auxquels le dessin ou modèle antérieur a été appliqué, ne sont pas authentiques et auraient pu être établis aux seules fins du recours. En particulier, elle fait valoir que l’état des technologies informatiques permettrait aisément de fabriquer de telles pièces et que la qualité de l’extrait du catalogue produit en annexe à la requête est supérieure à celle de l’extrait produit au cours de la procédure devant l’EUIPO.

29      Il convient de considérer que ces allégations, non étayées, ne sont pas de nature à faire douter de l’authenticité de l’extrait du catalogue et des factures produites par la requérante et que, partant, l’existence dudit catalogue, de même que l’impression en 2008 de 25 000 exemplaires dudit catalogue et la vente le 14 août 2008 de meubles auxquels le dessin ou modèle antérieur a été appliqué sont établies à suffisance de droit.

30      Quant à savoir si ces éléments de preuve démontrent des faits constitutifs de divulgation au sens de la jurisprudence rappelée au point 19 ci-dessus, il convient de rappeler, s’agissant du catalogue, que l’extrait produit par la requérante porte, dans son intitulé, la mention de l’année 2008 et que la facture relative à l’impression de 25 000 exemplaires dudit catalogue est datée du 14 août 2008. Toutefois, ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours, la requérante n’a pas établi avec certitude que ledit catalogue avait été publié ou distribué avant la date de dépôt du dessin ou modèle contesté.

31      Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 22 ci-dessus, la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur ne peut pas être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une divulgation effective du dessin ou modèle antérieur sur le marché.

32      Dès lors, la distribution du catalogue à la suite de son impression à 25 000 exemplaires ne saurait être présumée, en dépit de sa probabilité.

33      Toutefois, l’impression d’un catalogue à hauteur de 25 000 exemplaires suggère qu’une telle impression a eu lieu dans le but de procéder à la distribution dudit catalogue. Ainsi, si l’extrait de catalogue produit par la requérante est insuffisant pour démontrer, à lui seul, la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, cela n’exclut pas, conformément à la jurisprudence rappelée au point 22 ci-dessus, que, associé ou lu conjointement avec les autres éléments de preuve avancés par la requérante, ledit extrait de catalogue puisse contribuer à former la preuve de la divulgation du dessin ou modèle antérieur.

34      S’agissant des trois factures de vente de meubles produites par la requérante, lesquelles comportent une confirmation de la réception des marchandises, la chambre de recours a relevé, à juste titre et sans que la requérante le conteste, qu’elles étaient adressées à la même entreprise et qu’une seule de ces factures mentionnait la référence du meuble auquel le dessin ou modèle antérieur avait été appliqué. Cette facture est datée du 14 août 2008.

35      Ainsi que l’a, en substance, relevé la chambre de recours à juste titre, ladite facture de vente révèle une utilisation dans le commerce du dessin ou modèle antérieur, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

36      Partant, cette facture démontre un fait constitutif d’une divulgation du dessin ou modèle antérieur, consistant dans la vente, à une entreprise, de meubles auxquels ledit dessin ou modèle a été appliqué et la réception effective de ces meubles par ladite entreprise.

37      À cet égard, les doutes de l’EUIPO quant à l’indépendance vis-à-vis de la requérante de l’entreprise à laquelle la facture a été adressée, en raison de la mention sur un tampon selon laquelle cette société serait un grossiste de la requérante, ne sont pas étayés et ne sauraient, partant, remettre en cause la conclusion tirée au point 35 ci-dessus.

38      En outre, ce fait constitutif d’une divulgation est antérieur de plus de douze mois au dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, soit le 17 septembre 2013.

39      Au regard des éléments de preuve produits par la requérante, lesquels, selon la jurisprudence rappelée au point 22 ci-dessus, doivent être appréciés les uns par rapport aux autres, il convient de considérer que la requérante a démontré des faits constitutifs de la divulgation du dessin ou modèle antérieure, ladite divulgation étant antérieure à la date de dépôt du dessin ou modèle contesté, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 19 et 20 ci-dessus.

40      Ainsi qu’il ressort de ladite jurisprudence, une telle démonstration fait présumer la divulgation du dessin ou modèle antérieur, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, sous réserve de la démonstration, par l’intervenante, que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que les faits constitutifs de la divulgation en cause soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires.

41      Il s’ensuit, en l’espèce, que, au vu de la démonstration par la requérante de la matérialité des faits constitutifs de divulgation du dessin ou modèle antérieur, il appartenait à la chambre de recours de présumer, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 19 et 20 ci-dessus, la divulgation dudit dessin ou modèle, avant, le cas échéant, d’examiner les arguments de l’intervenante tirés de l’absence de connaissance, par les milieux spécialisés du secteur concerné, des faits constitutifs de la divulgation en cause.

42      Or, en considérant, sur la base des éléments de preuve produits par la requérante, que le dessin ou modèle antérieur n’avait pas été divulgué, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la chambre de recours a fait une appréciation erronée desdits éléments de preuve ainsi qu’une application erronée de cette disposition.

43      Pour ce motif, la décision attaquée doit être annulée, sans qu’il soit besoin de statuer sur les arguments de l’EUIPO et de l’intervenante relatifs à l’absence de connaissance, par les milieux spécialisés du secteur concerné, des faits constitutifs de divulgation en cause, ni sur la recevabilité, contestée par l’intervenante, de certains éléments de preuve produits par la requérante pour la première fois devant le Tribunal.

44      S’agissant du chef de conclusions de la requérante tendant à ce que le Tribunal accueille la demande en nullité du dessin ou modèle contesté, il convient de relever que, par cette demande, la requérante a formulé, en vertu de l’article 61, paragraphe 3, du règlement no 6/2002, une demande de réformation visant à ce que le Tribunal adopte la décision que la chambre de recours aurait dû prendre [voir, en ce sens, arrêt du 7 février 2018, Şölen Çikolata Gıda Sanayi ve Ticaret/EUIPO – Zaharieva (Boîte présentoir à cornets), T‑793/16, non publié, EU:T:2018:72, point 85 et jurisprudence citée].

45      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le pouvoir de réformation, reconnu au Tribunal en vertu de l’article 61, paragraphe 3, du règlement no 6/2002, n’a pas pour effet de conférer à celui-ci le pouvoir de procéder à une appréciation sur laquelle la chambre de recours n’a pas encore pris position. L’exercice du pouvoir de réformation doit, par conséquent, en principe, être limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par ladite chambre, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre (voir arrêt du 7 février 2018, Boîte présentoir à cornets, T‑793/16, non publié, EU:T:2018:72, point 86 et jurisprudence citée).

46      En l’espèce, la chambre de recours n’ayant, notamment, pris position ni sur les arguments par lesquels l’intervenante soutenait que les milieux spécialisés du secteur concerné n’avaient pas pu raisonnablement avoir connaissance des faits de divulgation invoqués par la requérante ni sur le caractère individuel du dessin ou modèle contesté, le Tribunal ne saurait porter des appréciations sur ces questions.

47      Dans ces conditions, force est de constater que les conditions pour l’exercice du pouvoir de réformation reconnu au Tribunal en vertu de l’article 61, paragraphe 3, du règlement no 6/2002 ne sont pas réunies.

48      Dès lors, le chef de conclusions de la requérante tendant à ce que le Tribunal accueille la demande en nullité du dessin ou modèle contesté doit être rejeté.

 Sur les dépens

49      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EUIPO ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

50      En application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 14 janvier 2019 (affaire R 291/2018-3), relative à une procédure de nullité entre Bog-Fran sp. z o.o. sp.k. et Fabryki Mebli « Forte » S.A., est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’EUIPO supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Bog-Fran.

4)      Fabryki Mebli « Forte » supportera ses propres dépens.


Spielmann

Öberg

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 février 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.