Language of document : ECLI:EU:T:2013:408

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

6 septembre 2013(*) (1)

« Dumping – Importations de certains alcools gras et leurs coupes originaires de l’Inde, d’Indonésie et de Malaisie – Ajustement demandé au titre de la conversion des monnaies – Charge de la preuve – Préjudice – Droit antidumping définitif »

Dans l’affaire T‑6/12,

Godrej Industries Ltd, établie à Mumbai (Inde),

VVF Ltd, établie à Mumbai,

représentées par Me B. Servais, avocat,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J.-P. Hix, en qualité d’agent, assisté de Mes G. Berrisch et A. Polcyn, avocats,

partie défenderesse,

soutenu par

Sasol Olefins & Surfactants GmbH, établie à Hambourg (Allemagne),

Sasol Germany GmbH, établie à Hambourg,

représentées par Me V. Akritidis, avocat, et M. J. Beck, solicitor,

et par

Commission européenne, représentée par M. M. França et Mme A. Stobiecka-Kuik, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement d’exécution (UE) n° 1138/2011 du Conseil, du 8 novembre 2011, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certains alcools gras et leurs coupes originaires de l’Inde, d’Indonésie et de Malaisie (JO L 293, p. 1),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe et M. M. van der Woude (rapporteur), juges,

greffier : Mme S. Spryropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 avril 2013,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Le 13 août 2010, la Commission européenne a ouvert une enquête antidumping à la suite d’une plainte déposée le 30 juin 2010 par deux producteurs de l’Union européenne, Cognis GmbH et Sasol Olefins & Surfactants GmbH.

2        L’enquête relative au dumping et au préjudice a porté sur la période comprise entre le 1er janvier 2009 et le 30 juin 2010.

3        Les requérantes, Godrej Industries Ltd (ci-après « Godrej ») et VVF Ltd, ont coopéré avec la Commission lors de l’enquête. La Commission a transmis le questionnaire antidumping après l’ouverture de l’enquête. Les requérantes ont remis leurs réponses respectives au questionnaire le 27 septembre 2010.

4        Par le règlement (UE) n° 446/2011, du 10 mai 2011, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de certains alcools gras et leurs coupes originaires d’Inde, d’Indonésie et de Malaisie (JO L 122, p. 47, ci-après le « règlement provisoire »), la Commission a institué un droit antidumping provisoire sur les importations de certains alcools gras et leurs coupes originaires de l’Inde, d’Indonésie et de Malaisie.

5        Le 11 mai 2011, la Commission a mis à la disposition des requérantes une lettre révélant les principaux faits et considérations sur la base desquels elle estimait qu’il convenait d’instituer des mesures antidumping provisoires (ci-après les « conclusions provisoires »).

6        Les requérantes ont soumis des commentaires à la Commission sur les conclusions provisoires, notamment, dans des courriers des 9 juin, 1er juillet et 5 août 2011.

7        Les requérantes ont également participé à des auditions dans les locaux de la Commission, notamment à une audition avec le conseiller-auditeur qui s’est tenue le 2 août 2011. Au cours de ces auditions, elles ont exprimé leur point de vue concernant les conclusions provisoires et présenté des arguments s’agissant de certains éléments du règlement provisoire, notamment en ce qui concernait le calcul de la marge de dumping et de la marge de préjudice. L’audition du 2 août 2011 a fait l’objet d’un rapport détaillé.

8        Le 26 août 2011, la Commission a mis à la disposition de toutes les parties intéressées, dont les requérantes, une proposition tendant à imposer des droits antidumping définitifs sur les importations du produit en cause (ci-après les « conclusions définitives »), ainsi qu’une annexe traitant des arguments avancés par les parties intéressées et qui n’étaient pas abordés dans les conclusions définitives. Ce document informait toutes les parties des principaux faits et considérations sur la base desquels la Commission avait l’intention de proposer l’imposition de droits antidumping définitifs et leur accordait un délai pour présenter des observations. Le 5 septembre 2011, les requérantes ont soumis des observations sur les conclusions définitives à la Commission.

9        Le 8 novembre 2011, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement d’exécution (UE) n° 1138/2011 instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certains alcools gras et leurs coupes originaires de l’Inde, d’Indonésie et de Malaisie (JO L 293, p. 1, ci‑après le « règlement attaqué »).

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 janvier 2012, les requérantes ont introduit le présent recours.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 février 2012, la Commission a demandé à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 mars 2012, Sasol Olefins & Surfactants GmbH et Sasol Germany GmbH (ci-après, prises ensemble, « Sasol ») ont demandé à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

13      Par ordonnance du président de la quatrième chambre du 19 avril 2012, la Commission a été admise à intervenir.

14      Par ordonnance du président de la quatrième chambre du 4 juin 2012, Sasol a été admise à intervenir.

15      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué en ce qu’il les concerne ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

16      Le Conseil, soutenu par la Commission et Sasol, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

17      À l’appui du présent recours en annulation, les requérantes avancent trois moyens. Le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe 10, sous j), du règlement (CE) n° 1225/2009 du Conseil du 30 novembre 2009 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 343, p. 51, rectificatif JO 2010, L 7, p. 22, ci-après le « règlement de base »), est fondé sur le fait que les requérantes n’auraient pas dû être privées du bénéfice d’un ajustement au titre de la conversion des monnaies. Le deuxième moyen, tiré de violations de l’article 3, paragraphes 2, 6 et 7, et de l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, est fondé sur le fait que les ventes des requérantes à Cognis n’auraient pas dû être prises en compte dans le calcul de la marge de préjudice et dans l’analyse du préjudice et du lien de causalité. Le troisième moyen, tiré de violations de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 2, paragraphe 10, et de l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, ainsi que des principes de proportionnalité et de raison, est fondé sur le fait que la Commission et le Conseil auraient dû exclure les ventes des requérantes à Cognis lors du calcul de la marge de dumping.

 Sur le premier moyen, relatif à l’ajustement au titre de la conversion des monnaies

18      Le premier moyen se compose, en substance, de deux branches. D’une part, les requérantes estiment que, en refusant de leur accorder l’ajustement au titre de la conversion des monnaies pour les ventes effectuées entre janvier et juin 2010, compte tenu de l’appréciation continue de la roupie indienne (INR) par rapport à l’euro, la Commission aurait violé l’article 2, paragraphe 10, sous j), du règlement de base. D’autre part, la Commission aurait imposé aux requérantes une charge de la preuve déraisonnable.

19      Le Conseil rejette l’ensemble de ces arguments comme étant non fondés.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’article 2, paragraphe 10, sous j), du règlement de base

20      Dans le cadre de la première branche du présent moyen, les requérantes avancent, en substance, trois arguments. Premièrement, elles font valoir qu’un mouvement durable des taux de change entraîne automatiquement le droit pour les exportateurs de bénéficier d’un ajustement au titre de la conversion des monnaies. Deuxièmement, elles font valoir qu’elles n’ont pas eu la possibilité de répercuter les fluctuations de la roupie sur les prix à l’exportation. Troisièmement, elles soutiennent que la hausse de leurs prix à l’exportation est due à d’autres facteurs que la fluctuation de la roupie.

21      Il convient de rappeler que, conformément aux termes des développements figurant au considérant 23 du règlement provisoire et aux considérants 18 et 19 du règlement attaqué, la Commission et le Conseil ont refusé de faire droit à la demande d’ajustement au titre de la conversion des monnaies. Cette demande avait été formulée par les requérantes en raison de l’appréciation de la roupie par rapport à l’euro à partir de novembre 2009. Selon elles, une telle appréciation faussait le calcul de la marge de dumping. Plus précisément, les requérantes demandaient que le taux de change du mois au cours duquel les ventes ont été effectuées soit remplacé par celui en vigueur deux mois plus tôt. Il ressort des considérants précités que la demande a été rejetée dans la mesure où, s’agissant des ventes à l’exportation pour lesquelles l’ajustement était demandé, les requérantes augmentaient fréquemment leurs prix, ce qui, selon la Commission et le Conseil, démontrait leur capacité à répercuter l’évolution des taux de change sur leurs prix. Les requérantes expliquaient, au contraire, que les hausses de leurs prix à l’exportation reflétaient l’augmentation du coût des matières premières et une amélioration générale des conditions de marché.

22      À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base vise à ce que les institutions de l’Union opèrent une comparaison équitable entre le prix à l’exportation et la valeur normale. Dans ce but, cette disposition impose aux institutions de l’Union de prendre en considération tout facteur susceptible d’affecter la comparabilité des prix.

23      Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence que les ajustements prévus par l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base sont opérés en fonction d’éléments objectifs qui correspondent aux particularités de chaque marché (d’origine et d’exportation), se répercutent de manière inégale sur les conditions de vente et affectent en conséquence la comparabilité des prix (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 7 mai 1987, Minebea/Conseil, 260/84, Rec. p. 1975, points 42 et 43).

24      Troisièmement, en vertu de l’article 2, paragraphe 10, sous j), du règlement de base, lorsque la comparaison des prix nécessite une conversion des monnaies, cette conversion est effectuée en utilisant le taux de change en vigueur à la date de la vente, sauf lorsqu’une vente de monnaie étrangère sur les marchés à terme est directement liée à la vente à l’exportation considérée, auquel cas le taux de change pour la vente à terme est utilisé. Normalement, la date de la vente doit être celle qui figure sur la facture, mais la date du contrat, de la commande ou de la confirmation de la commande peut être utilisée si elle est plus appropriée pour établir les conditions matérielles de la vente. Les fluctuations des taux de change ne sont pas prises en considération et les exportateurs se voient accorder soixante jours afin de tenir compte d’un mouvement durable des taux de change pendant la période d’enquête.

25      Quatrièmement, il convient également de rappeler que les ajustements en question ne sont pas opérés d’office et qu’il appartient à la partie qui en réclame le bénéfice de prouver que sa demande est justifiée (arrêt de la Cour du 7 mai 1987, Nachi Fujikoshi/Conseil, 255/84, Rec. p. 1861, point 33, et arrêt du Tribunal du 12 octobre 1999, Acme/Conseil, T‑48/96, Rec. p. II‑3089, point 133). Cela résulte tant de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base que de l’article 2.4 de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT) (JO L 336, p. 103, ci-après l’« accord antidumping ») figurant à l’annexe 1 A de l’accord instituant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) (JO 1994, L 336, p. 3), qui se réfèrent tous les deux aux différences dont il est démontré qu’elles affectent les prix et, partant, leur comparabilité (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, Huvis/Commission, T‑221/05, non publié au recueil, point 76).

26      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments des requérantes.

–       Sur l’ajustement automatique en cas de mouvement durable des taux de change

27      Les requérantes font valoir, dans leurs écritures comme lors de l’audience, qu’elles auraient dû bénéficier automatiquement de l’ajustement au titre de la conversion des monnaies, dans la mesure où la Commission et le Conseil ne contestent pas qu’il y a bien eu un mouvement durable des taux de change, au sens de la jurisprudence, entre janvier et juin 2010, ainsi que l’a confirmé le Conseil lors de l’audience.

28      À cet égard, il convient de souligner que l’article 2, paragraphe 10, sous j), du règlement de base permet aux exportateurs de ne pas être sanctionnés en raison de mouvements durables des taux de change affectant la comparabilité des prix pendant une période limitée de soixante jours. En effet, au-delà de cette période de soixante jours, un mouvement durable des taux de change n’est plus susceptible de fausser une comparaison équitable, dans la mesure où les exportateurs ont disposé d’un temps suffisant pour prendre les mesures adéquates, ainsi que le souligne à juste titre Sasol.

29      En vertu de la jurisprudence citée au point 25 ci-dessus, il appartient donc à celui qui revendique un ajustement au titre de l’article 2, paragraphe 10, sous j), du règlement de base de démontrer, premièrement, qu’il existe un mouvement durable des taux au sens de ladite disposition et, deuxièmement, qu’il affecte les prix et leur comparabilité pendant une période inférieure à soixante jours.

30      Dans ces conditions, force est de constater que, comme en l’espèce, un mouvement durable des taux de change, au sens de la jurisprudence, ne saurait entraîner automatiquement le droit à un ajustement au titre de la conversion des monnaies. Partant, le premier argument des requérantes doit être rejeté comme étant non fondé.

–       Sur la possibilité pour les requérantes de répercuter les fluctuations de la roupie sur leurs prix à l’exportation

31      Les requérantes avancent qu’il leur était impossible de modifier leurs prix en vue de refléter l’appréciation de la roupie par rapport à l’euro, dans la mesure où les prix à l’exportation étaient négociés bien avant le moment du paiement effectif, en général sur une base trimestrielle, voire semestrielle, ainsi qu’il ressortirait par exemple du procès-verbal de l’audition du 2 août 2011 (voir point 7 ci-dessus). Elles soulignent que, à supposer qu’elles aient été capables de répercuter l’appréciation de la roupie sur leurs prix à l’exportation, cela n’aurait eu d’effet que sur les ventes futures et non sur les ventes déjà négociées. Les requérantes produisent à cet égard une série de courriels entre Godrej et deux clients.

32      À cet égard, il convient de constater que ces échanges de courriels ne prouvent pas que les ventes des requérantes se faisaient dans une majorité des cas sur une base trimestrielle ou semestrielle, ainsi que le souligne le Conseil à juste titre.

33      Certes, il ressort de ces courriels que certaines quantités étaient négociées sur une base trimestrielle, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par le Conseil. En effet, dans la ligne « objet » des six courriels produits par les requérantes apparaissent, par exemple, les expressions « C1618 alcool for Q4 » et « C1618TA Q3 allocation ». Les échanges de courriels, respectivement du 23 juin et du 22 septembre 2009, entre des représentants de Godrej et deux de leurs clients, concernent effectivement des ventes au cours des périodes allant de juillet à septembre 2009 et au cours du quatrième trimestre de l’année 2009. L’échange de courriels du 29 juin 2010 concerne également des quantités vendues en août et en septembre de la même année.

34      Toutefois, il ressort également de ces échanges de courriels, premièrement, que ces derniers concernent des ventes qui n’ont pas eu lieu sur la période pertinente, à savoir la période s’étalant de janvier à juin 2010, à l’exception de l’échange de courriels du 29 juin 2010. Deuxièmement, ces échanges de courriels ne concernent que trois transactions. Troisièmement, il ressort de ces échanges que Godrej et ses clients conservaient la possibilité de conclure d’autres transactions lors du trimestre. Quatrièmement, ces échanges de courriels ne concernent que Godrej et pas VVF.

35      Dans ces conditions, force est de constater que, par eux-mêmes, ces échanges de courriels ne suffisent pas à démontrer que la majorité des transactions des requérantes était négociée sur une base trimestrielle, voire semestrielle. En effet, les requérantes ne sont, en définitive, capables de produire que trois échanges de courriels entre Godrej et ses clients, comprenant six courriels au total, afin de démontrer que la majorité de la production des requérantes était vendue sur une base trimestrielle ou semestrielle. Enfin, ces échanges de courriels restent, en définitive, sujets à interprétation.

36      Le Conseil, au contraire, avance des chiffres précis issus de l’analyse de l’ensemble des transactions des requérantes. Il ressort de ces chiffres que, pour 50 % des ventes des requérantes à l’exportation vers l’Union, les prix ont évolué sur une période inférieure ou égale à un mois et que, pour 60 % de leurs ventes à l’exportation, ils ont évolué sur une période inférieure ou égale à soixante jours. Il convient de souligner que les requérantes n’ont pas contesté ces chiffres.

37      S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel, à supposer qu’elles soient capables de répercuter l’appréciation de la roupie sur leurs prix à l’exportation, cela n’aurait d’effet que sur les ventes futures, il suffit de souligner que la question posée en l’espèce est celle de savoir si les entreprises exportatrices sont à même d’ajuster leurs prix sous 60 jours. En conséquence, le constat des requérantes, pour autant qu’il est exact, n’est pas pertinent pour déterminer si les requérantes pouvaient ajuster leurs prix dans un délai suffisamment bref, c’est-à-dire sous 60 jours, ainsi que l’a souligné le Conseil.

38      Partant, il y a lieu de constater qu’une part importante des ventes des requérantes était négociée à une échéance inférieure à deux mois, ce qui tend à démontrer que ces dernières étaient en mesure de modifier leurs prix à une fréquence suffisante. Les arguments des requérantes visant à démontrer qu’elles n’étaient pas en mesure de modifier leurs prix sous 60 jours doivent donc être rejetés comme étant non fondés.

–       Sur la cause des hausses de prix à l’exportation

39      Il ressort du dossier que les prix à l’exportation des requérantes ont fortement augmenté entre janvier et juin 2010. Selon les requérantes, d’une part, l’augmentation de leurs prix à l’exportation est due à l’augmentation du prix des matières premières et à la reprise après la crise financière mondiale, et non à l’appréciation de la roupie par rapport à l’euro. D’autre part, les prix sur le marché intérieur auraient également augmenté, en raison des mêmes facteurs, ce qui tendrait à montrer que l’appréciation de la roupie par rapport à l’euro n’est pas la cause de l’augmentation des prix à l’exportation.

40      Il est constant que les prix des matières premières ont également fortement augmenté lors de la période en cause. Les chiffres des requérantes et du Conseil sont sensiblement les mêmes, démontrant une hausse des prix des matières premières de l’ordre de 20 à 30 %, entre janvier et juin 2010. Il ressort également des chiffres fournis par le Conseil que les prix à l’exportation des requérantes ont augmenté de l’ordre de 25 % sur la période considérée, alors que la roupie s’était appréciée de 20 %.

41      À cet égard, il y a lieu de souligner, que le fait que les requérantes ont pu augmenter leurs prix à l’exportation entre janvier et juin 2010 tend à démontrer leur capacité à augmenter leurs prix sur la période considérée et donc à répercuter, le cas échéant, des mouvements durables de taux de change. Il ressort des chiffres fournis par le Conseil que les prix de vente à l’exportation des requérantes ont effectivement augmenté de mois en mois.

42      Force est de constater, par ailleurs, que les requérantes n’ont pas démontré que l’effet conjugué des hausses des prix des matières premières et de la reprise économique expliquait l’intégralité des hausses des prix à l’exportation.

43      En effet, premièrement, il convient de constater, à l’instar du Conseil, que les requérantes n’ont avancé aucun élément de preuve à même de démontrer que la reprise économique avait influé sur leurs prix à l’exportation. Elles se contentent essentiellement de renvoyer au procès-verbal de l’audition du 2 août 2011 qui ne contient lui-même aucun élément probant à cet égard et ne mentionne pas la reprise économique comme facteur pertinent.

44      Deuxièmement, il y a lieu de constater également qu’il était logique, ainsi que le souligne le Conseil, pour la Commission de conclure que la différence entre la hausse des prix à l’exportation et celle des prix intérieurs était principalement destinée à compenser l’appréciation de la roupie. En effet, les prix ont peu augmenté sur le marché domestique par comparaison à la hausse des prix à l’exportation, cette dernière étant trois fois supérieure à celle des prix domestiques. Il ressort des chiffres fournis par le Conseil, sans qu’ils soient contestés par les requérantes, que les prix à l’exportation ont augmenté de 25 % entre décembre 2009 et juin 2010, alors que les prix domestiques n’ont augmenté que de 8 % sur la période considérée.

45      Les requérantes se contentent de faire valoir à cet égard que les conditions locales de marché expliquent leur incapacité à répercuter la hausse des prix des matières premières, sans pour autant apporter aucun élément probant à même de démontrer cette assertion. Elles ne prétendent pas non plus que la reprise économique en Europe expliquerait les différences de hausse des prix sur le marché domestique et à l’exportation. Dans ces conditions, force est de constater que les requérantes n’ont pas avancé d’élément convaincant à même de justifier autrement que par l’appréciation de la roupie les différences de hausse des prix entre prix domestiques et prix à l’exportation.

46      Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel certains courriels produits par les requérantes tendraient à montrer que les hausses des prix des matières premières étaient répercutées dans les prix à l’exportation, il convient de constater, d’une part, que les courriels en question ne concernent pas la période allant de janvier à juin 2010 et, d’autre part, que, en toute hypothèse, la Commission et le Conseil n’ont jamais avancé que les hausses des prix à l’exportation ne reflétaient pas dans une certaine mesure la hausse des prix des matières premières.

47      Quatrièmement, s’agissant de l’échange de courriels entre Godrej et Cognis, produit par les requérantes dans le cadre du troisième moyen, force est de constater qu’il tend à prouver, à tout le moins, que la possibilité d’ajuster les prix à l’exportation suite à l’appréciation de la roupie était discutée entre partenaires commerciaux.

48      Cinquièmement, le fait que l’évolution des prix à l’exportation n’a jamais été prise en compte par le passé par la Commission pour évaluer l’opportunité d’un ajustement au titre de la conversion des monnaies, ce qui n’est pas contesté par la Commission et le Conseil, ne démontre pas que cette variable n’est pas pertinente pour les circonstances de l’espèce.

49      Dans ces conditions, il convient de rejeter les arguments des requérantes visant à expliquer les hausses des prix à l’exportation par d’autres facteurs que l’appréciation de la roupie, comme étant non fondés. Eu égard aux développements contenus aux points 31 à 48 ci-dessus, il convient de constater que les requérantes sont restées en défaut de démontrer que le mouvement durable des taux avait affecté la comparabilité des prix. Il convient dès lors de rejeter la première branche du présent moyen comme étant non fondée.

 Sur la seconde branche du premier moyen, relative à la charge de la preuve

50      Les requérantes font valoir que le Conseil leur a imposé une charge de la preuve déraisonnable et contraire à l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base, tel qu’interprété conformément aux articles 2.4 et 2.4.1 de l’accord antidumping.

51      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, à la différence de l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base, l’article 2.4 de l’accord antidumping précise que les « autorités indiqueront aux parties en question quels renseignements sont nécessaires pour assurer une comparaison équitable, et la charge de la preuve qu’elles imposeront à ces parties ne sera pas déraisonnable ». Ces exigences ne sont pas expressément reprises à l’article 2, paragraphe 10, du règlement de base. Cependant, elles font partie des principes généraux de droit de l’Union et, notamment, du principe de bonne administration, inscrit également à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 389). Ainsi, il appartient au Tribunal de vérifier si les institutions ont tenu compte de ces exigences dans leur application de l’article 2, paragraphe 10, sous j), du règlement de base (voir, par analogie, arrêt Huvis/Commission, point 25 supra, point 77).

52      En l’espèce, il convient de rappeler qu’il appartenait aux requérantes de démontrer que le mouvement durable des taux avait affecté la comparabilité de la valeur normale et des prix à l’exportation. En particulier, il leur appartenait de démontrer, d’une part, que l’augmentation des prix à l’exportation n’était pas liée à l’appréciation de la roupie par rapport à l’euro et, d’autre part, qu’il leur était impossible d’augmenter leurs prix pour refléter ladite appréciation.

53      Or, force est de constater qu’une telle démonstration n’a rien de déraisonnable. En effet, ainsi que l’a souligné à bon droit le Conseil, les requérantes auraient par exemple pu démontrer, en présentant les contrats négociés avec leurs fournisseurs de matières premières, que l’augmentation du prix de ces matières premières était exactement répercutée sur les prix à l’exportation. Les requérantes auraient également pu produire l’ensemble des contrats signés avec l’industrie communautaire en vue de montrer qu’une majorité d’entre eux avaient effectivement été signés sur une base trimestrielle ou semestrielle. De simples allégations ne suffisent pas, en effet, pour justifier un ajustement.

54      En outre, il ressort des éléments du dossier que les requérantes ne se sont plaintes à aucun moment d’une charge de la preuve excessive lors de la procédure administrative et qu’elles n’ont pas demandé non plus à la Commission de spécifier les conditions à remplir pour bénéficier de l’ajustement au titre de la conversion des monnaies. En réponse à une question écrite du Tribunal à cet égard, les requérantes, d’une part, ont confirmé ne pas avoir demandé à la Commission de clarifier la nature des éléments de preuve qu’elles auraient pu avancer et, d’autre part, ont continué à remettre en cause le bien-fondé du raisonnement de la Commission.

55      À l’inverse, la Commission a bien indiqué aux requérantes, lors de la procédure administrative, qu’elle ne disposait pas des informations nécessaires, selon elle, à la mise en œuvre de l’ajustement au titre de la conversion des monnaies. En effet, il ressort des conclusions provisoires que la Commission a rejeté la demande d’ajustement au titre de la conversion des monnaies en motivant ce refus, notamment, par le caractère insuffisant des éléments de preuve. En outre, la Commission a constaté qu’il n’était pas possible d’établir l’absence de lien entre l’appréciation de la roupie et la hausse des prix à l’exportation. Les mêmes constats ressortent du considérant 23 du règlement provisoire.

56      Il ressort donc des documents évoqués au point précédent que la Commission a informé les requérantes à plusieurs reprises qu’elles n’avaient pas suffisamment établi que l’ajustement au titre de la conversion des monnaies était justifié, leur donnant ainsi encore la possibilité d’étayer leur demande. Il ressort d’ailleurs du document d’information finale, de la réunion avec le conseiller‑auditeur et des considérants 17 et 18 du règlement attaqué, que les requérantes ont eu l’opportunité de se justifier quant à la raison de l’augmentation de leurs prix à l’exportation lors de la deuxième partie de la période d’enquête.

57      Dans ces conditions, il convient de rejeter la seconde branche du premier moyen concernant une charge de la preuve excessive comme étant non fondée.

58      Partant, il convient de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, relatif à l’introduction des ventes des requérantes à Cognis dans le calcul de la marge de préjudice

59      À l’appui du deuxième moyen, les requérantes avancent, en substance, trois griefs. Premièrement, les requérantes invoquent des violations de l’article 3, paragraphes 6 et 7, du règlement de base. Elles affirment que leurs ventes à Cognis auraient dû être exclues de l’analyse du préjudice et que le caractère « auto-infligé » du prétendu préjudice empêchait, en toute hypothèse, d’établir, entre les importations en dumping et le préjudice, un lien de causalité, au sens de l’article 3, paragraphe 6, du règlement de base. À supposer le prétendu préjudice établi, il aurait dû être considéré comme étant causé par d’« autres facteurs », au sens de l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base, ainsi qu’il a été considéré dans certaines décisions antérieures de la Commission et du Conseil. Lesdites ventes auraient également dû être exclues du calcul de la marge de préjudice. Deuxièmement, les requérantes invoquent une violation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement de base. Eu égard au fait que les ventes à Cognis n’auraient pas été exclues du lien de causalité, la Commission et le Conseil n’ont pas procédé à un examen objectif et n’ont pas non plus fondé leur détermination du préjudice sur des preuves positives. Troisièmement, les requérantes invoquent également une violation de l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, dans la mesure où le Conseil n’a pas exclu les ventes du produit en cause à Cognis et a imposé un droit antidumping sans évaluer correctement la marge de préjudice.

60      Le Conseil conteste l’ensemble des arguments des requérantes.

 Sur les violations de l’article 3, paragraphes 6 et 7, du règlement de base

61      À cet égard, d’abord, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base que « [p]eut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l’objet d’un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans [l’Union] cause un préjudice ». Selon l’article 3, paragraphe 2, dudit règlement, l’examen de l’existence d’un préjudice se fonde sur des éléments de preuve positifs et comporte un examen objectif, en particulier du volume des importations faisant l’objet d’un dumping.

62      Il ressort de l’article 3, paragraphe 6, du règlement de base que les institutions de l’Union doivent démontrer que les importations faisant l’objet d’un dumping causent un préjudice important à l’industrie communautaire, compte tenu de leur volume et de leur prix. Il s’agit là de l’analyse dite d’imputation. Il ressort également de l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base que lesdites institutions doivent, d’une part, examiner tous les autres facteurs connus qui causent un préjudice à l’industrie communautaire, au même moment que les importations faisant l’objet d’un dumping, et, d’autre part, faire en sorte que le préjudice causé par ces autres facteurs ne soit pas imputé auxdites importations. Il s’agit là de l’analyse dite de non-imputation.

63      L’objectif de l’article 3, paragraphes 6 et 7, du règlement de base est donc de faire en sorte que les institutions de l’Union dissocient et distinguent les effets préjudiciables des importations faisant l’objet d’un dumping de ceux des autres facteurs. Si les institutions s’abstenaient de dissocier et de distinguer l’impact des différents facteurs de préjudice, elles ne pourraient pas valablement conclure que les importations faisant l’objet d’un dumping ont causé un préjudice à l’industrie communautaire.

64      Ensuite, il ressort de la jurisprudence que, lors de la détermination du préjudice, le Conseil et la Commission doivent notamment examiner si le préjudice qu’ils entendent retenir aurait sa cause dans le comportement propre des producteurs de l’Union (arrêt de la Cour du 11 juin 1992, Extramet Industries/Conseil, C‑358/89, Rec. p. I‑3813, point 16).

65      Enfin, il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement de base contient la définition suivante de l’industrie communautaire :
« [O]n entend par ‘ industrie communautaire’ l’ensemble des producteurs [de l’Union] de produits similaires ou ceux d’entre eux dont les productions additionnées constituent une proportion majeure au sens de l’article 5, paragraphe 4, de la production [de l’Union] totale de ces produits, toutefois :

a)       lorsque des producteurs sont liés aux exportateurs ou aux importateurs ou sont eux-mêmes importateurs du produit dont il est allégué qu’il fait l’objet d’un dumping, l’expression ‘industrie communautaire’ peut être interprétée comme désignant le reste des producteurs […] »

66      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le deuxième moyen.

67      À cet égard, il convient de préciser que l’inclusion dans la définition de l’industrie communautaire d’un producteur qui est lui-même importateur du produit dont il est allégué qu’il fait l’objet d’un dumping n’implique pas automatiquement que ses importations ne doivent plus être considérées en tant que « facteur autre » au sens de l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base. En effet, il ressort de la jurisprudence citée au point 64 ci-dessus que la Commission et le Conseil ont l’obligation, eu égard à la disposition précitée, de prendre en compte tous les facteurs autres que les importations faisant l’objet d’un dumping susceptibles de faire obstacle à l’établissement d’un lien de causalité entre le dumping et le préjudice subi par l’industrie communautaire. Or, la nature auto-infligée du préjudice qui pourrait éventuellement découler de l’achat par un producteur de l’Union de produits faisant l’objet d’un dumping en provenance des pays visés par l’enquête antidumping est un « facteur autre » que la Commission et le Conseil doivent considérer dans le cadre de l’analyse du préjudice. Toutefois, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, il ne ressort ni du règlement de base ni de la jurisprudence que des importations par un producteur de l’Union de produits faisant l’objet d’un dumping en provenance des pays visés par l’enquête ne peuvent jamais être prises en considération dans le cadre de l’analyse du préjudice.

68      En l’espèce, il ressort du règlement attaqué que le Conseil a effectivement examiné, d’une part, au considérant 61 du règlement attaqué, la question de savoir si Cognis devait être maintenue dans le cadre de la définition de l’industrie communautaire malgré ses importations en provenance des pays visés par l’enquête et, d’autre part, au considérant 69 du règlement attaqué, si les ventes litigieuses devaient être exclues de l’analyse du préjudice et du calcul de la marge de préjudice, car tout préjudice allégué relatif à ces achats serait auto-infligé.

69      À cet égard, il y a lieu de confirmer que le Conseil n’a commis aucune erreur en concluant qu’il n’existait aucune raison impérieuse d’exclure de l’analyse les ventes litigieuses.

70      En effet, premièrement, il est constant que ces ventes faisaient bien l’objet de dumping. Elles pouvaient donc contribuer à l’existence d’un préjudice pour l’industrie communautaire. En effet, quand bien même il serait estimé que ce préjudice serait « auto-infligé » en ce qui concerne Cognis, il n’en irait pas de même pour l’ensemble de l’industrie communautaire, c’est-à-dire pour l’autre importateur. Le fait que Cognis a retiré sa plainte n’est, dans tous les cas, pas de nature à remettre en cause ce constat.

71      Deuxièmement, il ressort du considérant 69 du règlement attaqué que, lors de la période d’enquête, les importations de Cognis étaient principalement dues à la fermeture temporaire d’un de ses sites de production. Ces achats en dumping répondaient donc principalement à une contrainte conjoncturelle. Ainsi que le souligne le Conseil, de telles importations peuvent sans doute d’ailleurs aussi viser à limiter les effets préjudiciables des importations en dumping.

72      Certes, il ressort du considérant 17 du règlement attaqué, ainsi que le rappellent les requérantes, que Cognis se fournissait auprès des requérantes depuis quelques années. Toutefois, les ventes litigieuses, qui étaient faibles lors de la période d’enquête, l’étaient encore plus lors des années précédentes. Il ressort en effet des chiffres fournis par le Conseil, sans qu’ils soient remis en cause par les requérantes, que, lors de la période d’enquête, les importations ne représentaient que 9 à 11 % de la production de Cognis, dont seulement entre 4 et 5 % en provenance de l’Inde. À titre d’exemple, en 2007 et en 2008, les importations en provenance de l’Inde ont représenté moins de 1 % de la production totale de Cognis et les importations en provenance d’autres pays tiers ont représenté environ 1 %. En outre, en 2009, les ventes des requérantes à Cognis n’ont représenté que 4,3 et 5,3 % respectivement des importations totales en provenance de l’Inde et de celles des deux autres pays faisant l’objet de l’enquête. Les ventes des requérantes à Cognis lors de la période d’enquête étaient donc bien temporaires pour la plus grande part.

73      Troisièmement, s’agissant des décisions et règlements antérieurs de la Commission et du Conseil cités par les requérantes à l’appui de leurs arguments, il suffit de constater que, tant dans ces affaires que dans le cas d’espèce (voir point 68 ci-dessus), le Conseil et la Commission ont bien examiné la question de savoir si les importations des producteurs de l’Union en tant que « facteur autre », au sens de l’article 3, paragraphe 7, du règlement de base, avaient fait obstacle à l’établissement du lien de causalité.

74      Dans ces conditions, il convient de rejeter l’ensemble des arguments des requérantes visant à exclure les ventes litigieuses à Cognis aux fins de l’analyse du préjudice et du lien de causalité. Dans la mesure où les requérantes n’ont pas avancé d’argument supplémentaire s’agissant de l’exclusion desdites ventes du calcul de la marge de préjudice, il convient de rejeter les arguments des requérantes tirés de violations de l’article 3, paragraphes 6 et 7, du règlement de base dans leur ensemble comme étant non fondés.

 Sur la violation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement de base

75      S’agissant du grief tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement de base, les requérantes estiment, eu égard au fait que les ventes à Cognis n’ont pas été exclues de l’analyse de la marge de préjudice, que les institutions de l’Union n’auraient pas procédé à un examen objectif et n’auraient pas non plus fondé leur analyse sur des preuves positives. Dans ces conditions, ne pas exclure ces ventes favoriserait les intérêts de l’industrie communautaire et conduirait à un manque de neutralité et de bonne foi.

76      À cet égard, il convient de rappeler, premièrement, que l’article 3, paragraphe 2, du règlement de base dispose que la détermination de l’existence d’un préjudice se fonde sur des éléments de preuve positifs et comporte un examen objectif, en particulier, du volume des importations faisant l’objet d’un dumping.

77      Deuxièmement, il y a lieu de souligner qu’il a déjà été considéré, au point 74 ci-dessus, que l’analyse du Conseil visant à établir l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité n’était entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation s’agissant de l’inclusion des ventes des requérantes à Cognis.

78      Troisièmement, ainsi que souligné par les requérantes et Sasol, il a été précisé, en substance, au sujet de l’article 3, paragraphe 1, de l’accord antidumping, aux points 192 et 193 du rapport de l’organe d’appel de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) du 24 juillet 2001, dans l’affaire « États-Unis – Mesures antidumping appliquées à certains produits en acier laminés à chaud en provenance du Japon », que l’expression « examen objectif » indiquait essentiellement que le processus d’examen devait respecter les impératifs correspondant aux principes fondamentaux qu’étaient la bonne foi et l’équité élémentaire et que l’expression « éléments de preuve positifs » signifiait que les éléments de preuve devaient être de caractère affirmatif, objectif et vérifiable, et qu’ils devaient être crédibles.

79      En l’espèce, il y a lieu de considérer, à l’instar du Conseil et de Sasol, que le volume et les prix des ventes des requérantes à Cognis constituent des faits tangibles, crédibles et vérifiables, et ne sauraient être vus comme « des allégations, des conjectures ou de lointaines possibilités ». Dans la mesure où il appartenait à la Commission de faire un « examen objectif » du « volume des importations faisant l’objet d’un dumping », le volume et les prix des ventes des requérantes à Cognis constituaient des éléments de preuve positifs, indépendamment de la question de savoir si, en l’espèce, la Commission avait commis une erreur d’appréciation.

80      En outre, force est de constater que les requérantes n’ont étayé leur argument par aucune précision ni aucun élément de fait de nature à faire douter de la bonne foi de la Commission et du Conseil dans cette affaire. Il ressort en particulier des éléments du dossier que la Commission et le Conseil ont bien pris en considération l’ensemble des arguments soulevés par les requérantes, s’agissant du fait que leurs ventes à Cognis n’auraient pas dû être intégrées dans l’analyse, lors de la procédure administrative. En effet, les arguments des requérantes ont bien été examinés dans les conclusions définitives, lors de la réunion des requérantes avec le conseiller‑auditeur, dans la lettre qui a été adressée aux requérantes le 10 juin 2011 et au considérant 17 du règlement attaqué. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la Commission et le Conseil n’ont pas violé leur obligation d’examen objectif et impartial et qu’ils ont fondé leur analyse sur des preuves positives.

 Sur la violation de l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base

81      S’agissant du grief tiré d’une violation de l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, il convient de constater que les requérantes se contentent, en substance, de renvoyer à leurs arguments avancés pour faire valoir une violation de l’article 3, paragraphe 6, du règlement de base. Ces arguments ont été rejetés aux points 61 à 74 ci-dessus comme étant non fondés. Par ailleurs, il convient de rappeler que l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base instaure l’obligation d’instituer un droit antidumping inférieur à la marge de dumping si cela permet d’éliminer le préjudice. Toutefois, l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base ne comporte aucune indication, ainsi que le rappelle à juste titre le Conseil, sur l’obligation d’exclure de l’analyse certaines ventes. Il ressort par ailleurs du considérant 130 du règlement attaqué que l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base a été appliqué en l’espèce. En conséquence, le grief tiré d’une violation de l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base doit être rejeté comme étant non fondé.

82      Partant, le deuxième moyen doit être rejeté dans son ensemble comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, relatif à la prise en compte des ventes des requérantes à Cognis dans le calcul de la marge de dumping

83      Les requérantes invoquent des violations de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 2, paragraphe 10, et de l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, ainsi que des principes de proportionnalité et de raison. Elles estiment, en substance, que les ventes des requérantes à Cognis auraient dû être exclues du calcul de la marge de dumping dans la mesure où, d’une part, Cognis est un producteur de l’Union et, d’autre part, les ventes n’ont pas été réalisées dans des conditions de libre concurrence car les prix auraient été imposés par Cognis.

84      Le Conseil rejette l’ensemble des arguments des requérantes comme étant non fondés.

85      À titre liminaire, il y a lieu de constater que les requérantes semblent faire valoir que la Commission et le Conseil se seraient fondés, afin de ne pas exclure les ventes litigieuses de l’analyse, non sur le fait qu’il n’y avait aucune raison de les exclure, mais au contraire sur le fait que le règlement de base ne comportait pas de base juridique permettant d’exclure lesdites ventes de l’analyse.

86      À cet égard, il convient de constater qu’il ressort du règlement attaqué que le Conseil n’a pas avancé cet argument. Au considérant 17 du règlement attaqué, le Conseil s’est contenté de préciser que l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base imposait seulement l’obligation de limiter le droit antidumping à un niveau suffisant pour éliminer le préjudice. Il a ensuite estimé qu’aucun élément de fait, tel que les conditions de négociation entre les requérantes et Cognis ou les prix de vente payés par Cognis à d’autres fournisseurs, n’était susceptible de venir étayer la position des requérantes selon laquelle les ventes litigieuses devaient être exclues. Le Conseil s’est donc bien basé sur les circonstances de l’espèce pour fonder son refus de ne pas prendre en compte les ventes des requérantes à Cognis et non sur le fait qu’aucune disposition du règlement ne le permettait. Ce grief doit donc, en tout état de cause, être rejeté comme étant non fondé.

87      À titre principal, les requérantes font valoir dans le présent moyen, en substance, qu’il était inéquitable, déraisonnable et disproportionné de prendre en considération les ventes des requérantes à Cognis dans le cadre du calcul de la marge de dumping, dans la mesure où Cognis rédigeait sa plainte tout en négociant les prix. Cette plainte aurait ainsi été utilisée comme menace en vue de faire baisser les prix. La correspondance avec Cognis fournie par les requérantes démontrerait l’existence d’un pouvoir de marché significatif de Cognis.

88      À cet égard, premièrement, il convient de constater que les requérantes n’avancent aucun élément concret à l’appui de leur argument selon lequel leurs ventes à Cognis ont été négociées hors des conditions normales de marché, c’est-à-dire que Cognis aurait été capable de leur imposer un prix particulièrement bas. Quand bien même Cognis disposerait effectivement d’un tel pouvoir de marché, ce qui n’est pas démontré en l’espèce, ceci ne saurait être de nature à changer ce constat dans la mesure où une asymétrie de pouvoir de marché entre partenaires commerciaux n’est pas une situation inhabituelle. En outre, les requérantes n’ont produit aucun élément de preuve à même de démontrer que Cognis utilisait la menace de déposer une plainte pour faire baisser les prix lors des négociations avec elles. Elles n’ont, en effet, produit qu’un échange de courriels dont il ne ressort rien qui puisse s’apparenter à autre chose que des négociations commerciales classiques. En particulier, il ressort de ces courriels que Godrej a refusé les demandes de baisse des prix de Cognis à plusieurs reprises.

89      Deuxièmement, d’une part, il y a lieu de soulignerque l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base se limite à poser le principe général selon lequel « [p]eut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l’objet d’un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans l’[Union] cause un préjudice », sans préciser comment la Commission et le Conseil doivent calculer la marge de dumping, ce qui fait l’objet d’autres dispositions dudit règlement. D’autre part, s’agissant de l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, il suffit de rappeler que cette disposition ne comporte aucune indication sur l’obligation de ne pas prendre en considération certaines ventes, que ce soit en vue de calculer la marge de préjudice ou la marge de dumping (voir point 81 ci-dessus).

90      Les requérantes n’ont donc avancé aucun argument dans le présent moyen à même de fonder le caractère inéquitable, déraisonnable ou disproportionné de la prise en considération des ventes des requérantes à Cognis dans le calcul de la marge de dumping. Partant, il convient de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.

91      Dans ces conditions, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

92      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens du Conseil et de Sasol.

93      La Commission supportera ses propres dépens, conformément aux dispositions de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Godrej Industries Ltd et VVF Ltd supporteront les dépens du Conseil de l’Union européenne ainsi que ceux de Sasol Olefins & Surfactants GmbH et de Sasol Germany GmbH, de même que leurs propres dépens.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Pelikánová                   Jürimäe          van der Woude

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.


1 Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.