Language of document : ECLI:EU:T:2021:458

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

14 juillet 2021 (*)

 « Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation au Venezuela – Gel des fonds – Listes des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom du requérant sur les listes – Maintien du nom du requérant sur les listes – Erreur d’appréciation – Droit de propriété »

Dans l’affaire T‑553/18,

Delcy Eloina Rodríguez Gómez, demeurant à Caracas (Venezuela), représentée par Mes F. Di Gianni et L. Giuliano, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. A. Antoniadis, Mmes S. Kyriakopoulou et P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2018/901 du Conseil, du 25 juin 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 160 I, p. 12), et de la décision (PESC) 2018/1656 du Conseil, du 6 novembre 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 10), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2018/899 du Conseil, du 25 juin 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 160 I, p. 5), et du règlement d’exécution (UE) 2018/1653 du Conseil, du 6 novembre 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 1), en ce que ces actes concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme I. Reine (rapporteure) et M. L. Truchot, juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 4 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Mme Delcy Eloina Rodríguez Gómez, est la vice-présidente de la République bolivarienne du Venezuela. Elle était également présidente de l’Assemblée nationale constituante (ci-après l’« Assemblée constituante ») et membre de la Commission présidentielle chargée de mettre en place l’Assemblée constituante.

 Mise en place du régime de mesures restrictives : décision (PESC) 2017/2074 et règlement (UE) 2017/2063

2        Le 13 novembre 2017, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision (PESC) 2017/2074, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 60). Selon son considérant 1, cette décision était motivée par la dégradation constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela.

3        La décision 2017/2074 comporte, en substance, premièrement, une interdiction d’exporter, vers le Venezuela, des armes, des équipements militaires ou tout autre équipement susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ainsi que des équipements, de la technologie ou des logiciels de surveillance et, deuxièmement, une interdiction de fournir des services financiers, techniques ou autres en rapport avec ces biens et ces technologies.

4        L’article 6, paragraphe 1, de la décision 2017/2074 prévoit en outre ce qui suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a)      des personnes physiques qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ; ou

b)      des personnes physiques dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I. »

5        L’article 7 de la décision 2017/2074 dispose :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités ou organismes ci-après, de même que tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les personnes, entités ou organismes ci-après :

a)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ;

b)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I.

2. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités et organismes associés aux personnes, entités ou organismes visés au paragraphe 1 dont la liste figure à l’annexe II, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, ces entités ou ces organismes ont en leur possession, détiennent ou contrôlent.

3. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est mis à la disposition, directement ou indirectement, des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe I ou II, ni n’est dégagé à leur profit.

[…] »

6        L’article 8 de la décision 2017/2074 est libellé comme suit :

« 1. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit et modifie les listes figurant aux annexes I et II.

2. Le Conseil communique la décision visée au paragraphe 1 à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme concerné, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

3. Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil réexamine la décision visée au paragraphe 1 et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné en conséquence. »

7        L’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 dispose que cette décision fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée, ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints.

8        À la date de l’adoption de la décision 2017/2074, ses annexes I et II ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

9        Sur le fondement de l’article 215 TFUE et de la décision 2017/2074, le Conseil a adopté, le 13 novembre 2017, le règlement (UE) 2017/2063, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 21). En ce qui concerne le gel des fonds des personnes visées, ce règlement reprend, en substance, les dispositions de la décision 2017/2074. En particulier, les annexes IV et V dudit règlement correspondent respectivement aux annexes I et II de la décision 2017/2074. En vertu de l’article 17, paragraphe 4, du même règlement, ces deux annexes sont réexaminées à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.

10      À la date de l’adoption du règlement 2017/2063, ses annexes IV et V ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

11      L’article 13, premier alinéa, de la décision 2017/2074 prévoyait, dans sa version initiale, que cette décision était applicable jusqu’au 14 novembre 2018.

12      En revanche, le règlement 2017/2063 n’est assorti d’aucun terme.

 Inscription du nom de la requérante sur les listes : décision (PESC) 2018/901 et règlement d’exécution (UE) 2018/899

13      Le 25 juin 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/901, modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 160 I, p. 12). Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/899, mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 160 I, p. 5). Cette décision et ce règlement d’exécution (ci-après, ensemble, les « actes initiaux ») ont été publiés le jour même au Journal officiel de l’Union européenne. Selon les considérants 4 des actes initiaux, « [e]n raison de la situation au Venezuela, il conv[enai]t d’inscrire onze personnes sur la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives » figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074. Les actes initiaux ont par conséquent modifié ces annexes. Le nom de la requérante y a ainsi été inscrit de la manière suivante : « 12 – Nom : Delcy Eloina Rodríguez Gómez – Informations d’identification : Date de naissance : 18.5.1969 – Motifs de l’inscription : Vice-présidente du Venezuela, ancienne présidente de l’Assemblée constituante illégitime et ancien membre de la Commission présidentielle chargée de mettre en place l’Assemblée constituante nationale illégitime. Les actions qu’elle a menées dans le cadre de la Commission présidentielle, puis en tant que présidente de l’Assemblée constituante illégitime, ont porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, y compris par l’usurpation des pouvoirs de l’Assemblée nationale et leur utilisation pour s’en prendre à l’opposition et l’empêcher de prendre part au processus politique – Date de l’inscription : 25.6.2018 ».

14      Le 26 juin 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/901, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/899, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 222, p. 6).

15      Par courriel du 12 juillet 2018, le Conseil a envoyé au représentant de la requérante les documents sur lesquels les actes initiaux étaient fondés, à savoir un document de travail daté du 16 mai 2018 référencé ST 10885/2018 preuve 5 COREU CFSP/0250/18, un document daté du 21 juin 2018 portant la référence WK 7667/2018 INIT, un document daté du 21 juin 2018 portant la référence WK 7672/2018 INIT, un document daté du 21 juin 2018 portant la référence WK 7673/2018 INIT, un document daté du 21 juin 2018 portant la référence WK 7674/2018 INIT et un document daté du 25 juin 2018 portant la référence WK 7753/2018 INIT.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

16      Le 6 novembre 2018, la décision (PESC) 2018/1656 du Conseil modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 276, p.10) a prorogé la validité des mesures restrictives jusqu’au 14 novembre 2019, y compris en ce qui concerne la requérante. La décision 2018/1656 a également remplacé la mention 7 de l’annexe I de la décision 2017/2074, modifiant ainsi le motif d’inscription d’une autre personne visée par les mesures restrictives en cause. Le 6 novembre 2018, également, le règlement d’exécution (UE) 2018/1653 du Conseil mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 276, p.1) a modifié dans le même sens la mention 7 de l’annexe IV de ce dernier règlement.

17      Par lettre du 7 novembre 2018, le Conseil a informé le représentant de la requérante qu’il avait été décidé de proroger la validité des mesures restrictives en cause à l’égard de celle-ci. En outre, il a été informé de la possibilité de soumettre une demande de réexamen de cette décision auprès du Conseil jusqu’au 23 août 2019. Cette lettre n’a été suivie d’aucune réponse.

18      Le 7 novembre 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/1656, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/1653, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 401, p.2).

 Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 septembre 2018, la requérante a introduit le présent recours.

20      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 janvier 2019, la requérante a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, adapté la requête afin de solliciter également l’annulation de la décision 2018/1656 et du règlement d’exécution 2018/1653, en tant que ces actes la concernent. Le Conseil a déposé ses observations sur le mémoire en adaptation au greffe du Tribunal le 15 février 2019.

21      La phase écrite de la procédure a été close le 5 avril 2019.

22      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

23      Par lettre du 28 octobre 2019, les parties ont été invitées à présenter des observations sur une éventuelle jonction des affaires T‑550/18, Harrington Padrón/Conseil, T‑551/18, Oblitas Ruzza/Conseil, T‑552/18, Moreno Reyes/Conseil, T‑553/18, Rodríguez Gómez/Conseil, T‑554/18, Hernández Hernández/Conseil et T‑32/19, Harrington Padrón/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure. Le Conseil a répondu ne pas avoir d’objections à une telle jonction. La requérante n’a pas répondu dans le délai imparti.

24      Par décision du 19 novembre 2019, le président de la septième chambre du Tribunal a décidé de joindre lesdites affaires (ci-après les « affaires jointes »), aux fins de la phase orale de la procédure. Le même jour, la phase orale de la procédure a été ouverte.

25      Le 28 janvier 2020, la septième chambre a décidé de fixer la date de l’audience dans les affaires jointes au 24 avril 2020.

26      Le 7 février 2020, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties dans les affaires jointes à répondre à des questions, pour réponse écrite avant l’audience et pour réponse orale lors de l’audience. Les parties dans les affaires jointes ont répondu aux questions pour réponse écrite dans le délai imparti. Le 13 mars 2020, le Tribunal les a invitées à présenter leurs observations éventuelles sur les réponses de l’autre partie. Les parties dans les affaires jointes ont présenté leurs observations dans le délai imparti.

27      L’audience de plaidoiries initialement prévue le 24 avril 2020 ayant été reportée en raison de la crise sanitaire, les parties dans les affaires jointes ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 4 septembre 2020.

28      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes initiaux, ainsi que la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653 (ci-après, ensemble, les « actes attaqués »), en tant que leurs dispositions la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

29      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les mesures restrictives visant la requérante devaient être annulées, ordonner le maintien des effets de la décision 2018/1656 en ce qui concerne celle-ci jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2018/899 ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité de l’adaptation de la requête

30      Dans son mémoire en adaptation, par lequel la requérante sollicite l’annulation de la décision 2018/1656 et du règlement d’exécution 2018/1653, elle fait valoir que, par ces deux actes, le Conseil a maintenu son nom sur la liste figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et sur la liste figurant à l’annexe IV du règlement 2017/2063, après réexamen de sa situation et pour un motif inchangé par rapport à son inscription initiale. Cette décision et ce règlement d’exécution auraient eu pour effet de proroger jusqu’au 14 novembre 2019 la période pendant laquelle les mesures restrictives en cause lui sont applicables.

31      Dans le cadre de ses observations sur le mémoire en adaptation, le Conseil soulève une exception d’irrecevabilité en ce que ce mémoire tend à l’annulation du règlement d’exécution 2018/1653, au motif que la requérante n’a pas de qualité pour agir. Le Conseil fait valoir que ce règlement d’exécution ne mentionne pas spécifiquement le nom de la requérante et ne remplace pas un acte la concernant directement et individuellement. Dès lors, la requérante n’aurait pas qualité à agir.

32      Dans sa réponse à une question posée dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, le Conseil ajoute que le réexamen périodique prévu à l’article 17, paragraphe 4, du règlement 2017/2063 n’aboutit pas nécessairement à l’adoption d’un acte juridique nouveau. Selon le Conseil, en l’espèce, s’il n’avait pas été nécessaire de modifier les informations concernant une personne autre que la requérante, le règlement d’exécution 2018/1653 n’aurait pas été adopté. Cet acte n’aurait ni pour objet ni pour effet de maintenir l’inscription de la requérante sur la liste figurant à l’annexe du règlement 2017/2063. Dès lors, la requérante ne disposerait pas d’intérêt à agir contre ledit acte.

33      À cet égard, il y a lieu d’observer que l’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 prévoit que celle-ci doit faire l’objet d’un suivi constant. Le considérant 2 de la décision 2018/1656 fait expressément état d’un réexamen de la décision 2017/2074.

34      En revanche, le règlement d’exécution 2018/1653 ne comporte pas une telle mention. Il ne saurait, toutefois, en être déduit que le Conseil n’a pas procédé au réexamen de la situation et que cette absence de réexamen ferait obstacle à l’adaptation de la requête. L’article 17, paragraphe 4, du règlement 2017/2063 dispose en effet que la liste figurant à l’annexe IV de celui-ci est examinée à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois. Or, la recevabilité d’un recours ne saurait dépendre du bon vouloir du Conseil, selon que celui-ci estime avoir effectivement réexaminé ou non le maintien de l’inscription du nom de la personne concernée sur les listes en cause, ce qui irait à l’encontre du principe de sécurité juridique (arrêt du 9 juillet 2014, Al-Tabbaa/Conseil, T‑329/12 et T‑74/13, non publié, EU:T:2014:622, point 47). Dès lors, le Conseil ne saurait faire valoir que, en l’espèce, il n’a opéré aucun réexamen de la situation de la requérante, contrairement à ses obligations, afin d’en tirer un bénéfice en ce qui concerne la recevabilité du recours dirigé contre le règlement d’exécution 2018/1653. De surcroît, en raison de l’étroite imbrication des deux textes, il doit être considéré que le réexamen de la situation, que le Conseil admet avoir effectué pour adopter la décision 2018/1656, a été un préalable nécessaire également pour l’adoption du règlement d’exécution 2018/1653.

35      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter les fins de non-recevoir soulevées par le Conseil et de constater que les conclusions du mémoire en adaptation sont recevables, y compris en ce qu’elles visent le règlement d’exécution 2018/1653.

 Sur le fond

36      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens tirés, le premier, d’« erreurs manifestes d’appréciation » et du défaut de preuves concordantes et, le second, de la violation du droit de propriété. Ils sont dirigés contre l’ensemble des actes attaqués.

 Sur le premier moyen, tiré d’« erreurs manifestes d’appréciation » et du défaut de preuves concordantes

37      La requérante divise le premier moyen en deux branches, la première, tirée d’« erreurs manifestes d’appréciation » de ses fonctions et de son rôle, et la seconde, tirée du défaut de preuves concordantes et d’une « erreur manifeste d’appréciation » des preuves.

38      Il y a lieu d’observer que les deux branches se recoupent, en ce que, dans le cadre de la seconde branche, la requérante dirige ses griefs tirés d’un défaut de preuves concordantes et d’une « erreur manifeste d’appréciation » des preuves à l’encontre, notamment, de l’évaluation, par le Conseil, de son rôle en tant qu’ancienne présidente de l’Assemblée constituante et ancien membre de la Commission présidentielle. Dès lors, il convient de les traiter ensemble.

39      Tout d’abord, la requérante fait valoir, qu’elle n’est plus ni présidente de l’Assemblée constituante ni membre de la Commission présidentielle, dont les activités ont cessé après l’établissement de l’Assemblée constituante, de sorte qu’elle n’est plus à même de prendre une quelconque mesure en lien avec l’Assemblée constituante.

40      Ensuite, la requérante reproche au Conseil de n’avoir fourni aucune preuve susceptible de démontrer sa responsabilité dans l’approbation des décisions de l’Assemblée constituante et sa participation active à la Commission présidentielle. Selon la requérante, le président de l’Assemblée constituante n’exerce que des fonctions organisationnelles et administratives concernant la gestion et le bon fonctionnement de celle-ci. La requérante ne pourrait pas être tenue pour responsable des décisions prises par l’Assemblée constituante, qui serait un organe collégial. S’agissant de son poste de membre de la Commission présidentielle, la requérante relève qu’elle n’a jamais participé à une quelconque réunion ou session de celle-ci et qu’elle n’a donc pas pris part, et encore moins activement participé, aux décisions de cet organe.

41      Enfin, la requérante indique que l’examen des éléments de preuve apportés par le Conseil montre qu’ils ne constituaient pas une base factuelle suffisamment solide pour inscrire son nom sur les listes litigieuses.

42      Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

43      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel, garantie par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 64).

44      À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union européenne de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée ; arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 65).

45      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

46      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 67).

47      En ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués, le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves [arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil, T‑493/10, EU:T:2013:398, point 95 (non publié)]. À cet égard, il importe de rappeler que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107). Notamment, il ressort de la jurisprudence que le juge de l’Union peut prendre en considération des rapports d’organisations internationales (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 48).

48      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, eu égard à la nature préventive des mesures restrictives adoptées par le Conseil, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité des actes attaqués, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés dans ces actes à l’égard d’une personne visée par ces mesures est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir la décision d’inscrire ou de maintenir le nom de cette personne sur les listes annexées auxdits actes, la circonstance que d’autres motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ces actes (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 130 ; du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72, et du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 221).

49      C’est au vu de ces principes qu’il y a lieu d’apprécier si sont entachés d’erreurs d’appréciation les motifs de l’inscription et du maintien de la requérante sur les listes litigieuses, tirés de ce qu’elle est vice-présidente du Venezuela, ancienne présidente de l’Assemblée constituante illégitime et ancien membre de la Commission présidentielle chargée de mettre en place l’Assemblée constituante illégitime et de ce que les actions qu’elle a menées dans le cadre de la Commission présidentielle, puis en tant que présidente de l’Assemblée constituante illégitime, ont porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, y compris par l’usurpation des pouvoirs de l’Assemblée nationale et leur utilisation pour s’en prendre à l’opposition et l’empêcher de prendre part au processus politique.

50      Ainsi que cela a été indiqué aux points 4 et 5 ci-dessus, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2017/2074, le critère général établi, aux fins de l’inscription sur les listes litigieuses, vise notamment les personnes physiques « dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela ». Ce critère est également repris par l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/2063.

51      À cet égard, il convient de rappeler que, en ce qui concerne le contexte général au Venezuela, il ressort des considérants 1 et 5 à 8 de la décision 2017/2074 et des considérants 1 et 2 du règlement 2017/2063 que les actes attaqués ont été adoptés en raison de la détérioration constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela, résultant notamment de l’usage excessif de la force, ainsi que des actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique. Au considérant 6 de la décision 2017/2074, il est indiqué que, le 2 août 2017, l’Union a déploré vivement la décision prise par les autorités vénézuéliennes de poursuivre l’élection d’une Assemblée constituante, décision qui a durablement aggravé la crise au Venezuela et a entraîné le risque de porter atteinte à d’autres institutions légitimes prévues par la Constitution vénézuélienne, telles que l’Assemblée nationale.

52      Ce contexte général de la situation au Venezuela a également été invoqué par le Conseil devant le Tribunal, sans qu’il soit contredit par la requérante. Le Conseil a ainsi rappelé que, après le mois de décembre 2015, à la suite des élections de l’Assemblée nationale, une coalition de partis d’opposition avait gagné la majorité de sièges. Au mois de janvier 2016, le président du Venezuela de l’époque a décrété l’état d’urgence au Venezuela et a gouverné par décrets. Au mois d’avril 2017, des manifestations quasi-quotidiennes se sont déroulées pendant plusieurs mois, ayant pour conséquence beaucoup de décès et de blessés chez les civils et des milliers d’arrestations. Au mois de mai 2017, le président du Venezuela de l’époque a annoncé la création d’une Assemblée constituante dont les membres avaient été élus le 30 juillet 2017 par un processus électoral boycotté par l’opposition.

53      Le dossier du Conseil comprend, parmi les éléments de preuve justifiant l’inscription et le maintien de la requérante sur les listes litigieuses, notamment une lettre et un rapport de l’Organisation des États américains (OEA), ainsi qu’une lettre de l’organisation non gouvernementale internationale Human Rights Watch, contenant des informations sur le caractère illégitime et inconstitutionnel de l’Assemblée constituante, notamment sur l’empiétement des pouvoirs de l’Assemblée constituante sur ceux de l’Assemblée nationale.

54      En particulier, d’une part, dans sa lettre du 9 septembre 2017 et dans son rapport du 31 décembre 2017, rédigés donc peu de temps après les élections de l’Assemblée constituante du 30 juillet 2017, l’OEA a indiqué qu’il existait des craintes sérieuses concernant l’inconstitutionnalité de la création de l’Assemblée constituante. Elle s’inquiétait plus particulièrement de la manière dont le gouvernement avait décidé de répartir les sièges au sein de celle-ci, par l’octroi d’une priorité à certains groupes plutôt qu’à d’autres, violant ainsi le principe du suffrage universel.

55      D’autre part, Human Rights Watch, dans sa lettre du 9 septembre 2017, a indiqué que le décret présidentiel visant à établir l’Assemblée constituante était illégal et avait enfreint les dispositions de la Constitution vénézuélienne, qui requiert une consultation préalable de la population, et qu’après sa création, l’Assemblée constituante s’était approprié les pouvoirs législatifs de l’Assemblée nationale démocratiquement élue.

56      Il importe de relever que les informations qui précédent rejoignent les préoccupations de l’Union décrites au considérant 6 de la décision 2017/2074, cité au point 51 ci-dessus. En outre, ces informations et leur fiabilité n’ont pas été remises en cause par la requérante.

57      Dans ces circonstances, le Conseil pouvait à bon droit considérer que l’Assemblée constituante était illégitime. Partant, c’est également à bon droit que le Conseil pouvait considérer que, en acceptant, d’une part, le poste de président d’un tel organe et, d’autre part, le poste de membre de la Commission présidentielle chargée de mettre en place cet organe, la requérante avait, dans l’exercice de ses fonctions, nécessairement porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela. Par conséquent, les preuves figurant au dossier du Conseil sont suffisantes afin de démontrer la responsabilité de la requérante dans l’approbation des décisions de l’Assemblée constituante et sa participation active à la Commission présidentielle.

58      Au vu des considérations exposées dans le cadre de l’examen du présent moyen, il y a lieu de conclure que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a considéré que la requérante avait porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, sans qu’il soit nécessaire d’examiner, conformément à la jurisprudence citée au point 48 ci-dessus, la pertinence des autres motifs retenus par le Conseil. Par ailleurs, même si la requérante a cessé d’exercer des fonctions de présidente de l’Assemblée constituante et de membre de la Commission présidentielle, elle est restée liée au régime qui était au pouvoir au Venezuela lorsqu’elle a, dans le cadre des fonctions précitées, porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela. En effet, il est constant entre les parties que, au moment de l’adoption des actes attaqués, la requérante occupait les fonctions de vice-présidente de la République bolivarienne du Venezuela. Au surplus, il ne ressort pas du dossier et il n’est pas davantage allégué par la requérante que la cessation, par cette dernière, de ses fonctions au sein de l’Assemblée constituante et de la Commission présidentielle aurait été une décision qu’elle aurait prise elle-même en réaction aux atteintes à l’état de droit et à la démocratie au Venezuela afin de se distancier de telles atteintes [voir, par analogie, arrêts du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 152, et du 12 février 2020, Kande Mupompa/Conseil, T‑170/18, EU:T:2020:60, point 131 (non publié)].

59      Dès lors, le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le second moyen, tiré de la violation du droit de propriété

60      La requérante soutient que les mesures restrictives qui lui sont imposées par les actes attaqués constituent une restriction injustifiée et disproportionnée de son droit de propriété protégé par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Ces mesures seraient susceptibles de suspendre la vie économique normale de la personne, de l’entité ou du groupe inscrits sur la liste en ce qu’elles les priveraient de la plupart des formes d’utilisation de leurs fonds et autres avoirs.

61      Selon la requérante, aucune violation du droit de propriété ne saurait être justifiée en l’absence d’un examen approprié des éléments de preuve démontrant qu’elle présentait un risque pour l’intérêt public que les mesures restrictives visaient à protéger.

62      Or, d’une part, le Conseil n’aurait pas démontré un comportement particulier de la part de la requérante qui aurait porté atteinte à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela. Selon la requérante, une telle conclusion ne saurait être tirée de sa seule qualité d’ancienne présidente de l’Assemblée constituante et d’ancien membre de la Commission présidentielle. En outre, le Conseil n’aurait pas apporté de preuves précises et concordantes en ce sens. Par conséquent, le Conseil aurait commis une « erreur manifeste d’appréciation » qui ne permettrait pas de restreindre le droit de propriété de la requérante.

63      D’autre part, la requérante soutient que, afin de limiter l’exercice de son droit de propriété, le Conseil était tenu de respecter les conditions prévues par l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Or, premièrement, la requérante ne relèverait pas du champ d’application des actes attaqués. Deuxièmement, les mesures restrictives instituées à son égard constitueraient une restriction disproportionnée de l’exercice de ses droits fondamentaux. À cet égard, la requérante présente des restrictions alternatives moins contraignantes qui auraient pu être adoptées. Troisièmement, le « contenu essentiel » du droit de propriété aurait été violé indépendamment du fait qu’il s’agit de mesures temporaires et réversibles.

64      Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

65      Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général.

66      Selon l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés et, d’autre part, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

67      En l’espèce, force est de constater que les actes attaqués restreignent le droit de propriété de la requérante, dès lors que, conformément à l’article 7 de la décision 2017/2074 et aux articles 8 et 9 du règlement 2017/2063, elle ne peut pas, notamment, disposer de ses fonds situés sur le territoire de l’Union, sauf en vertu d’autorisations particulières, et qu’aucun fonds ni aucune ressource économique ne peut être mis, directement ou indirectement, à sa disposition.

68      Toutefois, le droit de propriété, tel qu’il est protégé par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte [voir arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 176 (non publié) et jurisprudence citée].

69      Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation à l’exercice du droit de propriété doit répondre à une triple condition.

70      Premièrement, la limitation doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, la mesure doit avoir une base légale. Deuxièmement, elle doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Au nombre de ces objectifs figurent ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et visés à l’article 21, paragraphe 2, TUE. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnée au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est-à-dire la substance du droit ou de la liberté en cause, ne doit pas être atteint (voir arrêt du 6 juin 2018, Lukash/Conseil, T‑210/16, non publié, EU:T:2018:332, point 222 et jurisprudence citée).

71      S’agissant de la première condition, il convient d’observer que, en l’espèce, la limitation est « prévue par la loi », compte tenu du fait qu’elle se trouve énoncée dans la décision 2017/2074 et le règlement 2017/2063, tels que modifiés par les actes attaqués. Ces actes ont notamment une portée générale et disposent d’une base juridique claire en droit de l’Union. De plus, les restrictions sont formulées dans des termes suffisamment précis en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application à la requérante (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176).

72      À cet égard, il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante tirés de ce que la présente restriction de son droit de propriété n’est pas prévue par la loi dans la mesure où elle n’est pas responsable des atteintes à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela.

73      S’agissant de la deuxième condition, sur laquelle la requérante n’avance aucun argument, il convient de constater que, ainsi que cela résulte de l’examen du premier moyen, les actes attaqués sont conformes, en ce qui concerne la requérante, à l’objectif, visé à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, de consolider et de soutenir la démocratie et l’état de droit dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre d’une politique visant à favoriser la démocratie au Venezuela.

74      S’agissant de la troisième condition, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 164 et jurisprudence citée).

75      À ce propos, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée ; arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 88).

76      Selon la jurisprudence, les inconvénients générés par les mesures restrictives ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis, compte tenu, d’une part, du fait que ces mesures présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible et ne portent, dès lors, pas atteinte au « contenu essentiel » du droit de propriété et, d’autre part, du fait qu’il peut y être dérogé afin de couvrir les besoins fondamentaux, les frais de justice ou bien encore les dépenses extraordinaires des personnes visées [voir arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 182 (non publié) et jurisprudence citée].

77      En l’espèce, en ce qui concerne le caractère adéquat des mesures restrictives, telles que celles imposées à la requérante, au regard d’un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection de la démocratie et de l’état de droit, il apparaît que le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques des personnes identifiées comme étant impliquées dans les atteintes à la démocratie au Venezuela ne sauraient, en tant que tel, passer pour inadéquats (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Boshab/Conseil, T‑171/18, non publié, EU:T:2020:55, point 134 et jurisprudence citée).

78      En ce qui concerne leur caractère nécessaire, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi lorsqu’elles offrent la possibilité de contourner les restrictions imposées ou qu’elles risquent de ne pas cibler efficacement la personne visée (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 84 et jurisprudence citée).

79      La requérante suggère deux mesures alternatives qui, selon elle, seraient moins contraignantes. Elle propose, d’une part, une interdiction aux citoyens de l’Union de prendre part à des transactions liées à, finançant ou concernant de quelque autre manière que ce soit l’achat de toute dette, y compris des comptes à recevoir, émise par le gouvernement vénézuélien ou, d’autre part, une interdiction aux citoyens de l’Union de participer au transfert par le gouvernement vénézuélien de toute participation dans toute entité détenue à 50 % ou plus par le gouvernement vénézuélien.

80      À cet égard, il y a lieu de constater qu’il ressort notamment du considérant 7 de la décision 2017/2074 que les mesures restrictives ciblées en cause « devraient être instaurées contre certaines personnes physiques et morales qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique et contre les personnes, entités et organismes dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela, ainsi que contre les personnes, entités et organismes qui leur sont associés ». Or, les mesures alternatives proposées par la requérante ne permettent pas d’atteindre les objectifs visés par la décision 2017/2074 et le règlement 2017/2063. Dès lors, cet argument de la requérante doit être rejeté.

81      De plus, il doit être rappelé que l’article 7, paragraphe 4, de la décision 2017/2074 et l’article 9, paragraphe 1, du règlement 2017/2063 prévoient la possibilité d’autoriser le déblocage de certains fonds ou de ressources économiques gelés pour que les personnes visées puissent faire face à des besoins fondamentaux ou satisfaire à certains engagements.

82      À cet égard, la requérante soutient que le « contenu essentiel » du droit de propriété est violé indépendamment du fait qu’il s’agit de mesures temporaires et réversibles. Il y a lieu de rejeter cet argument conformément à la jurisprudence citée au point 76 ci-dessus.

83      Il s’ensuit que les actes attaqués ne violent pas le droit de propriété de la requérante et qu’il y a lieu de rejeter le second moyen.

84      Par conséquent, le premier moyen étant également rejeté, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

85      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Delcy Eloina Rodríguez Gómez est condamnée aux dépens.

da Silva Passos

Reine

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.