Language of document : ECLI:EU:T:2015:470

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

6 juillet 2015 (*)

« FEOGA – Section ‘Orientation’ – Réduction d’un concours financier – Programme d’initiative communautaire Leader+ – Non-respect du délai d’adoption d’une décision – Violation des formes substantielles »

Dans l’affaire T‑516/10,

République française, représentée initialement par Mme E. Belliard, MM. B. Cabouat, G. de Bergues, D. Colas et Mme C. Candat, puis par M. Colas, Mme Candat et M. J.-S. Pilczer, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. D. Bianchi et G. von Rintelen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2010) 5724 final de la Commission, du 23 août 2010, relative à l’application de corrections financières au concours du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Orientation », alloué au programme d’initiative communautaire CCI 2000.FR.060.PC.001 (France – Leader+),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, O. Czúcz et A. Popescu (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 18 juin 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par une communication du 14 avril 2000, la Commission des Communautés européennes a fixé les orientations pour l’initiative communautaire concernant le développement rural et a invité les États membres à lui soumettre, pour approbation, leurs propositions de programme d’initiative Leader+.

2        La République française a proposé, le 19 juillet 2000, un programme d’initiative communautaire Leader+, mis en œuvre sous forme de subvention globale, pour la période 2000-2006.

3        La Commission a approuvé cette proposition de programme par la décision C (2001) 2094, du 7 août 2001, relative à l’octroi d’un concours du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Orientation », pour un programme d’initiative communautaire Leader+ en France.

4        En application de cette décision, les autorités françaises et le Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) ont signé, le 22 octobre 2001, une convention afin de désigner le CNASEA comme autorité de gestion et de paiement de l’initiative Leader+ en France. Cette convention précisait que le CNASEA assumait, à ce titre, l’ensemble des missions imparties à un organisme intermédiaire selon le règlement (CE) n° 1260/1999 du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les fonds structurels (JO L 161, p. 1).

5        À la suite à cette désignation, la Commission et le CNASEA ont signé, le 20 décembre 2001, une convention relative à la mise en œuvre de la subvention globale.

6        L’article 3 de cette convention indique que l’organisme intermédiaire est responsable de la mise en œuvre des axes prioritaires. L’article 5 précise que, pour les axes prioritaires 1 (stratégies territoriales de développement rural, intégrées, de caractère pilote) et 2 (soutien à des coopérations entre territoires ruraux), les bénéficiaires soutenus par la subvention globale sont les « groupes d’action locale » (GAL), tels que définis dans la communication du 14 avril 2000, tandis que, pour les axes prioritaires 3 (mise en réseau) et 4 (frais de gestion, de suivi et d’évaluation du programme), le bénéficiaire de la subvention globale est l’organisme intermédiaire.

7        Conformément à l’article 38, paragraphe 2, du règlement n° 1260/1999, la Commission a mené, du 18 au 22 avril 2005, une première mission d’audit en France portant sur le système de gestion et de contrôle du programme Leader+.

8        Par lettre du 9 août 2005, elle a fait part aux autorités françaises des défaillances constatées lors de cet audit. En particulier, elle a reproché aux autorités françaises de ne pas avoir mis en place un système de contrôle et de gestion permettant de vérifier que les paiements saisis dans le logiciel « Presage » correspondaient bien à des paiements réellement effectués par les bénéficiaires finals, ce qui semblait être contraire à l’article 9, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 438/2001 de la Commission, du 2 mars 2001, fixant les modalités d’application du règlement n° 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne les systèmes de gestion et de contrôle du concours octroyé au titre des fonds structurels (JO L 63, p. 21), et à l’article 32, paragraphe 3, du règlement n° 1260/1999.

9        Par lettre du 26 octobre 2005, les autorités françaises ont reconnu que le logiciel « Presage » n’introduisait pas de blocage ni de contrôle à la certification en l’absence de paiement par le GAL, le bénéficiaire final, au maître d’ouvrage, le destinataire ultime. Elles ont expliqué néanmoins que la prise en compte des remarques de la Commission conduirait à un allongement des délais et à une charge administrative disproportionnée au regard des enjeux financiers. De plus, elles ont précisé que l’autorité de gestion s’assurait que les fonds mis à la disposition des GAL donnaient lieu à des paiements dans un délai raisonnable auprès des destinataires ultimes.

10      Par lettre du 13 juin 2006, la Commission a rappelé aux autorités françaises les conditions que les dépenses qui lui sont déclarées doivent remplir lorsque les demandes de paiement pour tous les programmes français de développement rural soumis pour la période de programmation 2000-2006 et financés par le FEOGA, section « Orientation », lui sont présentées. La Commission a indiqué qu’elle considérait que les organismes qui octroient les aides dans le cadre du programme Leader+ en France étaient les bénéficiaires finals au sens de l’article 9, sous l), du règlement n° 1260/1999. Dès lors, selon elle, en application du point 7 de la note interprétative de l’article 32, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 1260/1999, dans toutes les demandes de paiement introduites auprès d’elle, les dépenses déclarées par les États membres doivent avoir été effectivement encourues par les destinataires ultimes et payées par le bénéficiaire final aux destinataires ultimes.

11      Conformément à l’article 38, paragraphe 2, du règlement n° 1260/1999, la Commission a mené, du 16 au 20 octobre 2006, une seconde mission d’audit portant sur le système de gestion et de contrôle du programme susmentionné.

12      Par lettre du 6 juillet 2007, la Commission a fait part aux autorités françaises de ses observations. Les défaillances constatées concernaient notamment le fait que les autorités françaises avaient présenté des demandes de paiements intermédiaires qui correspondaient en partie à des paiements non encore exécutés par les bénéficiaires finals. En substance, les déclarations des dépenses auraient été adressées à la Commission avant que les GAL, considérés par la Commission comme bénéficiaires finals du programme Leader+, n’aient payé les subventions attribuées aux destinataires ultimes.

13      Par lettre du 3 octobre 2007, les autorités françaises ont répondu aux observations de la Commission en réitérant, en substance, les éléments avancés dans leur lettre du 26 octobre 2005.

14      Par une lettre du 19 mai 2008, la Commission a invité les autorités françaises à une audience, laquelle s’est tenue le 6 juin 2008.

15      Par lettre du 31 juillet 2008, les services de la Commission ont confirmé leur appréciation selon laquelle la mise en œuvre des dispositions des articles 4 et 9 du règlement n° 438/2001 ainsi que de l’article 32, paragraphe 1, du règlement n° 1260/1999 présentait des carences. En particulier, la Commission a conclu que la procédure suivie pour déclarer les dépenses ne respectait pas les dispositions de l’article 32, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 1260/1999 et de l’article 9 du règlement n° 438/2001.

16      Par lettre du 2 octobre 2008, la République française a contesté cette conclusion.

17      Par la décision C (2010) 5724 final, du 23 août 2010, relative à l’application de corrections financières au concours du FEOGA, section « Orientation », alloué au programme d’initiative communautaire CCI 2000.FR.060.PC.001 (France – Leader+) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a appliqué une correction financière de 5 % des dépenses déclarées par les autorités françaises jusqu’au 2 avril 2008 pour l’axe prioritaire 1, à l’exclusion des mesures 1, 2 et 3. Le concours fourni par le FEOGA, section « Orientation », s’élevant à 148 744 352,39 euros, la Commission a demandé aux autorités françaises le remboursement de 7 437 217,61 euros.

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 novembre 2010, la République française a introduit le présent recours.

19      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la neuvième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

20      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, il a demandé aux parties de répondre par écrit à certaines questions. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

21      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 18 juin 2014.

22      Après avoir ordonné la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 62 de son règlement de procédure du 2 mai 1991, par ordonnance du 15 janvier 2015, le Tribunal a, le 20 janvier 2015, invité les parties, au titre des mesures d’organisation de la procédure, à produire leurs observations éventuelles sur les conséquences à tirer, dans le cadre de la présente affaire, des arrêts du 4 septembre 2014, Espagne/Commission (C‑192/13 P, Rec, EU:C:2014:2156) et Espagne/Commission (C‑197/13 P, Rec, EU:C:2014:2157), du 22 octobre 2014, Espagne/Commission (C‑429/13 P, Rec, EU:C:2014:2310), et du 4 décembre 2014, Espagne/Commission (C‑513/13 P, EU:C:2014:2412). Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

23      La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la République française aux dépens.

 En droit

25      À l’appui de son recours, la République française avance trois moyens. Le premier est tiré d’une interprétation et d’une application erronées de l’article 9, sous l), et de l’article 32, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 1260/1999, le deuxième, invoqué à titre subsidiaire, est tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime et le troisième, invoqué à titre plus subsidiaire, est tiré du montant incorrect de la correction financière.

26      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence, le non-respect des règles de procédure relatives à l’adoption d’un acte faisant grief constitue une violation des formes substantielles, qu’il appartient au juge de l’Union européenne de soulever même d’office (voir arrêts Espagne/Commission, point 22 supra, EU:C:2014:2156, point 103 et jurisprudence citée ; Espagne/Commission, point 22 supra, EU:C:2014:2157, point 103 et jurisprudence citée, et Espagne/Commission, point 22 supra, EU:C:2014:2310, point 34 et jurisprudence citée).

27      Il convient de considérer que, ainsi qu’il résulte des points 56 à 89 et 93 de l’arrêt Espagne/Commission, point 22 supra (EU:C:2014:2156), des points 56 à 89 et 93 de l’arrêt Espagne/Commission, point 22 supra (EU:C:2014:2157), et du point 29 de l’arrêt Espagne/Commission, point 22 supra (EU:C:2014:2310), l’adoption par la Commission d’une décision de correction financière est, à compter de l’année 2000, subordonnée au respect d’un délai légal dont la durée varie en fonction de la réglementation applicable.

28      Il convient de considérer que, ainsi qu’il résulte des arrêts Espagne/Commission, point 22 supra (EU:C:2014:2156, points 56 à 89 ; EU:C:2014:2157, point 93, et EU:C:2014:2310, point 29), l’adoption par la Commission d’une décision de correction financière est, à compter de l’année 2000, subordonnée au respect d’un délai légal dont la durée varie en fonction de la réglementation applicable.

29      À cet égard, il y a lieu de relever que la décision attaquée est fondée sur le règlement n° 1260/1999 qui énonce, à son article 39, paragraphe 3, que, « [à] l’expiration du délai fixé par la Commission, en l’absence d’accord et si l’État membre n’a pas effectué les corrections et compte tenu des observations éventuelles de l’État membre, la Commission peut décider, dans un délai de trois mois [...] de réduire l’acompte [...] ou [...] de procéder aux corrections financières requises en supprimant tout ou partie de la participation des Fonds à l’intervention concernée ».

30      L’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 448/2001 de la Commission, du 2 mars 2001, fixant les modalités d’application du règlement n° 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne la procédure de mise en œuvre des corrections financières applicables au concours octroyé au titre des fonds structurels (JO L 64, p. 13), prévoit que, chaque fois que l’État membre conteste les observations de la Commission et qu’une audience a lieu en application de l’article 39, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1260/1999, « le délai de trois mois au cours duquel la Commission peut prendre une décision au titre de l’article 39, paragraphe 3, dudit règlement commence à courir à partir de la date de l’audience ».

31      Par ailleurs, le règlement n° 1260/1999 a été abrogé par le règlement (CE) n° 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion (JO L 210, p. 25). Conformément à l’article 100, paragraphe 5, du règlement n° 1083/2006, la Commission statue sur la correction financière dans les six mois suivant la date de l’audition. S’il n’y a pas eu d’audition, la période de six mois débute deux mois après la date de l’envoi, à l’État membre concerné, de la lettre d’invitation à l’audition par la Commission (arrêts Espagne/Commission, point 22 supra, EU:C:2014:2156, et Espagne/Commission, point 22 supra, EU:C:2014:2157, point 96).

32      Or, il importe de préciser que, conformément à l’article 108, deuxième alinéa, du règlement n° 1083/2006, l’article 100 de celui-ci est devenu applicable à partir du 1er janvier 2007, y compris aux programmes antérieurs à la période 2007‑2013. Cela est d’ailleurs conforme au principe selon lequel les règles de procédure trouvent à s’appliquer immédiatement après leur entrée en vigueur (arrêts Espagne/Commission, point 22 supra, EU:C:2014:2156, et Espagne/Commission, point 22 supra, EU:C:2014:2157, point 98).

33      En l’espèce, il convient de relever que l’audience s’est tenue le 6 juin 2008, alors que la Commission n’a adopté la décision attaquée que le 23 août 2010.

34      Dans ces conditions, il apparaît que la Commission n’a pas respecté le délai de six mois imparti par l’article 100, paragraphe 5, du règlement n° 1083/2006 pour adopter la décision attaquée. A fortiori, la Commission n’a pas non plus respecté le délai de trois mois imparti par l’article 39, paragraphe 3, du règlement n° 1260/1999, sur lequel la décision attaquée était fondée. Eu égard à la jurisprudence citée au point 26 ci-dessus, cette circonstance constitue une violation des formes substantielles.

35      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les observations présentées par la Commission en réponse à la question du Tribunal mentionnée au point 22 ci-dessus, en vertu desquelles les dispositions du règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil, du 21 juin 2005, relatif au financement de la politique agricole commune (JO L 209, p. 1), qui ne prévoient aucun délai pour l’adoption d’une correction financière par la Commission, auraient vocation à s’appliquer aux mesures de soutien au développement rural à compter du 1er janvier 2007, date d’abrogation du règlement n° 1260/1999.

36      À cet égard, d’une part, il y a lieu de relever que l’application du règlement n° 1290/2005, désormais invoquée par la Commission, n’a nullement été mentionnée par celle-ci pendant la procédure administrative ni dans la décision attaquée et que la Commission n’explique aucunement les raisons pour lesquelles il pourrait être déduit de ce règlement que, lorsqu’elle procède à une correction financière sur la base de l’article 39 du règlement n° 1260/1999 ou de l’article 100 du règlement n° 1083/2006, les délais prévus dans ces dispositions n’auraient pas vocation à s’appliquer.

37      D’autre part, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel l’adoption de la décision attaquée n’était soumise à aucun délai, dès lors qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour citée au point 27 ci-dessus que l’adoption par la Commission d’une décision de correction financière est, à compter de l’année 2000, subordonnée au respect d’un délai légal dont la durée varie en fonction de la réglementation applicable.

38      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la décision attaquée n’a pas été valablement adoptée et doit être annulée pour violation des formes substantielles, sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens invoqués par la République française.

 Sur les dépens

39      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

40      La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la République française, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C (2010) 5724 final de la Commission, du 23 août 2010, relative à l’application de corrections financières au concours du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Orientation », alloué au programme d’initiative communautaire CCI 2000.FR.060.PC.001 (France – Leader+), est annulée.

2)      La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la République française.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juillet 2015.

Signatures


* Langue de procédure : le français.