Language of document : ECLI:EU:T:2022:674

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

26 octobre 2022 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’Ukraine – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑714/20,

Dmitry Vladimirovich Ovsyannikov, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes J. L. Iriarte Ángel et E. Delage González, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes H. Marcos Fraile, S. Sáez Moreno et M. A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

Composé, lors des délibérations, de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni (rapporteur) et I. Gâlea, juges,

greffier : Mme M. Núñez Ruiz, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la requête déposée au greffe du Tribunal le 3 décembre 2020,

–        la décision du 3 février 2021 rejetant la demande du requérant visant à obtenir l’anonymat,

–        le mémoire en défense déposé au greffe du Tribunal le 4 mars 2021,

–        le premier mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 23 avril 2021,

–        la réplique déposée au greffe du Tribunal le 23 avril 2021,

–        l’ordonnance du 5 mai 2021, Ovsyannikov/Conseil (T‑714/20 R, non publiée, EU:T:2021:243), par laquelle le président du Tribunal a rejeté la demande en référé et réservé les dépens,

–        les observations sur le premier mémoire en adaptation déposées au greffe du Tribunal le 18 mai 2021,

–        la duplique déposée au greffe du Tribunal le 16 juin 2021,

–        le deuxième mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 23 novembre 2021,

–        les observations sur le deuxième mémoire en adaptation déposées au greffe du Tribunal le 16 décembre 2021,

–        le troisième mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 21 avril 2022,

–        les observations sur le troisième mémoire en adaptation déposées au greffe du Tribunal le 2 mai 2022,

à la suite de l’audience du 4 mai 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Dmitry Vladimirovich Ovsyannikov, demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2020/1269 du Conseil, du 10 septembre 2020, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2020, L 298, p. 23), et du règlement d’exécution (UE) 2020/1267 du Conseil, du 10 septembre 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2020, L 298, p. 1), deuxièmement, de la décision (PESC) 2021/448 du Conseil, du 12 mars 2021, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2021, L 87, p. 35), et du règlement d’exécution (UE) 2021/446 du Conseil, du 12 mars 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2021, L 87, p. 19), troisièmement, de la décision (PESC) 2021/1470 du Conseil, du 10 septembre 2021, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2021, L 321, p. 32), et du règlement d’exécution (UE) 2021/1464 du Conseil, du 10 septembre 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2021, L 321, p. 1), et, quatrièmement, de la décision (PESC) 2022/411 du Conseil, du 10 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 84, p. 28), et du règlement d’exécution (UE) 2022/408 du Conseil, du 10 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 84, p. 2) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), en tant que ces actes maintiennent son nom sur les listes annexées auxdits actes.

 Antécédents du litige

2        Le requérant est un ancien responsable politique ayant la nationalité russe.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de protéger l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine à la suite de l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol (ci-après les « mesures restrictives en cause »).

4        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

5        Au quatrième considérant de cette décision, il est indiqué que « des restrictions des déplacements et un gel des avoirs devraient être imposés à l’encontre des personnes responsables d’actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, y compris d’actions sur le statut futur d’une quelconque partie du territoire qui sont contraires à la constitution ukrainienne, et à l’encontre des personnes ou entités qui leur sont associées. »

6        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) n o 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6) (ci-après, pris avec la décision 2014/145, les « actes initiaux »).

7        Par la suite, le Conseil a modifié à plusieurs reprises la décision 2014/145 et le règlement no 269/2014, afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

8        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, telle que modifiée en dernier lieu par la décision 2014/658/PESC du Conseil, du 8 septembre 2014 (JO 2014, L 271, p. 47), dispose ce qui suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a) à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent activement ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques, et à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui leur sont associés ;

b) à des personnes morales, des entités ou des organismes qui soutiennent matériellement ou financièrement des actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ;

c) à des personnes morales, des entités ou des organismes de Crimée ou de Sébastopol dont la propriété a été transférée en violation du droit ukrainien, ou à des personnes morales, des entités ou des organismes qui ont bénéficié d’un tel transfert ;

d) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’est de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ; ou

e) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes traitant avec les groupes séparatistes de la région du Donbass en Ukraine,

de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

9        Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

10      L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145, telle que modifiée, proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette même décision.

11      Le règlement n o 269/2014 impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145, telle que modifiée.

12      En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, tel que modifié par le règlement (UE) n o 959/2014 du Conseil, du 8 septembre 2014 (JO 2014, L 271, p. 1), reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ladite décision.

13      À la suite de l’organisation par la Fédération de Russie de l’élection d’un gouverneur de la ville de Sébastopol, qui s’est tenue le 10 septembre 2017, le Conseil a adopté, le 20 novembre 2017, la décision (PESC) 2017/2163, modifiant la décision 2014/145 (JO 2017, L 304, p. 51), et le règlement d’exécution (UE) 2017/2153, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2017, L 304, p. 3) (ci-après les « actes de novembre 2017 »).

14      Par ces actes, le nom du requérant a été ajouté à la liste des personnes, entités et organismes visés par les mesures restrictives en cause qui figurent à l’annexe de la décision 2014/145 et à l’annexe I du règlement no 269/2014 (ci-après la « liste ») sous le numéro 161. Le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant le requérant en l’identifiant comme « gouverneur de Sébastopol » et par la mention des motifs suivants :

« [Le requérant] a été élu “gouverneur de Sébastopol” lors de l’élection tenue le 10 septembre 2017, organisée par la Fédération de Russie dans la ville de Sébastopol illégalement annexée.

Le 28 juillet 2016, le Président Poutine l’a nommé “gouverneur de Sébastopol” par intérim. En cette qualité, il a œuvré en faveur d’une plus grande intégration de la péninsule de Crimée illégalement annexée à la Fédération de Russie et est donc responsable de soutenir activement ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

En 2017, il a fait des déclarations publiques en faveur de l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol et à l’occasion de l’anniversaire du “référendum” illégal en Crimée. Il a rendu hommage aux vétérans des “unités d’autodéfense” qui ont facilité le déploiement des forces russes dans la péninsule de Crimée au cours de la période qui a précédé son annexion illégale par la Fédération de Russie et a demandé à ce que Sébastopol devienne la capitale du Sud de la Fédération de Russie. »

15      Les actes de novembre 2017 n’ont pas fait l’objet d’une demande d’annulation de la part du requérant.

16      Le 13 mars 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/399, modifiant la décision 2014/145 (JO 2020, L 78, p. 44), et le règlement d’exécution (UE) 2020/398, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2020, L 78, p. 1). Les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste ont été modifiés comme suit :

« Ancien “gouverneur de Sébastopol” (jusqu’en juillet 2019).

[Le requérant] a été élu “gouverneur de Sébastopol” lors de l’élection tenue le 10 septembre 2017, organisée par la Fédération de Russie dans la ville de Sébastopol illégalement annexée.

Le 28 juillet 2016, le Président Poutine l’a nommé “gouverneur de Sébastopol” par intérim. En cette qualité, il a œuvré en faveur d’une plus grande intégration de la péninsule de Crimée illégalement annexée à la Fédération de Russie et est donc responsable de soutenir activement ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

En 2017, il a fait des déclarations publiques en faveur de l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol et à l’occasion de l’anniversaire du “référendum” illégal en Crimée. Il a rendu hommage aux vétérans des “unités d’autodéfense” qui ont facilité le déploiement des forces russes dans la péninsule de Crimée au cours de la période qui a précédé son annexion illégale par la Fédération de Russie et a demandé à ce que Sébastopol devienne la capitale du Sud de la Fédération de Russie.

Depuis octobre 2019, vice‐ministre de l’Industrie et du Commerce de la Fédération de Russie ».

17      Ainsi, la seule modification au regard des actes de novembre 2017 consistait, en substance, dans l’actualisation de la fonction du requérant, qui avait cessé d’être gouverneur de Sébastopol et était devenu vice‐ministre de l’Industrie et du Commerce de la Fédération de Russie (ci-après « vice-ministre du gouvernement russe »).

18      La décision 2020/399 et le règlement d’exécution 2020/398 n’ont pas fait l’objet d’une demande d’annulation de la part du requérant.

19      Le 10 septembre 2020, le Conseil a adopté la décision 2020/1269 et le règlement d’exécution 2020/1267 (ci-après les « actes de septembre 2020 »).

20      Par les actes de septembre 2020, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 15 mars 2021 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16  ci-dessus.

21      Le 1 er octobre 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/1368, modifiant la décision 2014/145 (JO 2020, L 318, p. 5), et le règlement d’exécution (UE) 2020/1367, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2020, L 318, p. 1). Ces actes n’ont cependant pas mentionné le nom du requérant.

22      Le 2 novembre 2020, le requérant a adressé au Conseil une demande de réexamen de l’inscription de son nom sur la liste ainsi qu’une demande de transmission du dossier afférant à cette inscription.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

23      Par courrier du 21 janvier 2021, le Conseil a transmis au requérant une copie des documents sur le fondement desquels il avait inscrit son nom sur la liste.

24      Par courrier du 5 février 2021, le Conseil a répondu à la demande de réexamen du requérant du 2 novembre 2020 en l’informant que les motifs pour maintenir son nom sur la liste persistaient et qu’il avait l’intention de renouveler les mesures restrictives en cause à son égard. Le Conseil a également transmis au requérant des extraits des articles de presse concernant les raisons ayant déterminé la révocation de son mandat en tant que vice-ministre du gouvernement russe.

25      Le 12 mars 2021, le Conseil a adopté la décision 2021/448 et le règlement d’exécution 2021/446 (ci-après les « actes de mars 2021 »).

26      Par les actes de mars 2021, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 15 septembre 2021.

27      Les motifs justifiant le maintien du nom du requérant ont été modifiés, conformément à ce que le Conseil avait annoncé dans sa lettre du 5 février 2021, comme suit :

« Ancien “gouverneur de Sébastopol” (jusqu’en juillet 2019).

[Le requérant] a été élu “gouverneur de Sébastopol” lors de l’élection tenue le 10 septembre 2017, organisée par la Fédération de Russie dans la ville de Sébastopol illégalement annexée.

Le 28 juillet 2016, le président Poutine l’a nommé “gouverneur de Sébastopol” par intérim. En cette qualité, il a œuvré en faveur d’une plus grande intégration de la péninsule de Crimée illégalement annexée à la Fédération de Russie et est donc responsable de soutenir activement ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

En 2017, il a fait des déclarations publiques en faveur de l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol et à l’occasion de l’anniversaire du “référendum” illégal en Crimée. Il a rendu hommage aux vétérans des “unités d’autodéfense” qui ont facilité le déploiement des forces russes dans la péninsule de Crimée au cours de la période qui a précédé son annexion illégale par la Fédération de Russie et a demandé à ce que Sébastopol devienne la capitale du Sud de la Fédération de Russie.

Ancien vice-ministre de l’industrie et du commerce de la Fédération de Russie (jusqu’en avril 2020). »

28      Le 15 mars 2021, le Conseil a adressé une lettre au représentant légal du requérant l’informant du maintien de son nom sur la liste et des voies de recours dont il disposait.

29      Le 10 septembre 2021, le Conseil a adopté la décision 2021/1470 ainsi que le règlement d’exécution 2021/1464 (ci-après les « actes de septembre 2021 »).

30      Par les actes de septembre 2021, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 15 mars 2022, et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste avec la même motivation que celle rappelée au point 27 ci-dessus.

31      Le 13 septembre 2021, le Conseil a adressé une lettre au représentant légal du requérant l’informant du maintien de son nom sur la liste et des voies de recours dont il disposait.  

32      Le 10 mars 2022, le Conseil a adopté la décision 2022/411 ainsi que le règlement d’exécution 2022/408 (ci-après les « actes de mars 2022 »).

33      Par les actes de mars 2022, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 15 septembre 2022, et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste avec la même motivation que celle rappelée au point 27 ci-dessus.

34      Le 11 mars 2022, le Conseil a adressé une lettre au représentant légal du requérant l’informant du maintien du nom de celui-ci sur la liste et des voies de recours dont il disposait.  

 Conclusions des parties

35      À la suite des adaptations de la requête, le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

36      À la suite des observations sur les adaptations de la requête, le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, déclarer le recours et les adaptations de la requête irrecevables ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours et les adaptations de la requête comme étant non fondés ; 

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

37      Sans soulever une exception d’irrecevabilité par acte séparé sur le fondement de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le Conseil excipe de l’irrecevabilité du recours, en substance, pour manque de clarté quant à l’objet du litige.

38      Plus particulièrement, selon le Conseil, il n’apparaît pas clairement quels sont les actes contestés par le requérant et, dans la mesure où est remise en cause la légalité des actes initiaux ainsi que des différents actes portant modification de ceux-ci, le délai pour introduire un recours en annulation concernant la plupart de ces actes serait expiré. La décision 2020/1368 et le règlement d’exécution 2020/1367 ne concernant pas individuellement le requérant, le recours ne serait recevable qu’en ce qui concerne les actes de septembre 2020.

39      Le Conseil conteste la thèse du requérant selon laquelle l’énumération des différents actes dans la requête ne constituerait qu’une description de l’évolution législative des actes attaqués, car il ne s’agirait pas d’une liste complète des actes modifiant les actes initiaux. En outre, en incluant tous les actes mentionnés dans les annexes de la requête, le requérant aurait créé une confusion quant aux actes qu’il conteste effectivement.

40      Le requérant soutient que son recours est recevable. En effet, d’une part, l’objet de celui-ci serait énoncé de manière claire et viserait l’annulation des actes initiaux, en ce qu’ils le concernent, dans leur libellé en vigueur à la date du dépôt de la requête, et, d’autre part, les actes de septembre 2020 le concerneraient directement et individuellement. L’énumération de certains actes dans la partie introductive de la requête n’aurait visé qu’à retracer l’évolution législative des mesures restrictives en cause en ce qu’elles concernent le requérant.

41      À titre liminaire, il importe de rappeler que, conformément aux dispositions mentionnées à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu conjointement avec l’article 53 dudit statut, et à l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens et les conclusions de la partie requérante. Ces éléments doivent être exposés de façon suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir, en ce sens, arrêts du 4 décembre 2015, Sarafraz/Conseil, T‑273/13, non publié, EU:T:2015:939, point 46 et jurisprudence citée, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 138 et jurisprudence citée).

42      En l’espèce, s’il est vrai, comme le prétend le Conseil, que l’objet et les conclusions de la requête ne présentent pas une rigueur et une clarté optimales, ces imprécisions ne font pas obstacle à ce que les conclusions et les moyens qui y sont présentés soient, malgré tout, identifiables.

43      En effet, même si, à première vue, il pourrait se dégager une confusion quant à l’identification des actes effectivement attaqués, il y a lieu de considérer que, en demandant l’annulation des actes initiaux « dans leur libellé actuel » et « dans la mesure où ils concernent [le requérant] », celui-ci entendait désigner les actes de septembre 2020, qui, ainsi que l’admet le Conseil, le concernaient individuellement, dans la mesure où par ceux-ci l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 15 mars 2021.

44      Par ailleurs, dans sa réplique, le requérant précise que ce sont les actes de septembre 2020, par lesquels le Conseil a décidé de maintenir, notamment, son nom sur la liste, qui sont visés par la requête et font l’objet de la demande en annulation.

45      À la lumière des constatations qui précèdent, il convient de considérer qu’il ressort d’une façon compréhensible du texte de la requête que, au regard des éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde le présent recours, ce dernier a pour objet d’obtenir l’annulation des actes de septembre 2020, en ce qu’ils visaient le requérant (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 4 décembre 2015, Sarafraz/Conseil, T‑273/13, non publié, EU:T:2015:939, point 49 et jurisprudence citée). S’agissant des actes de mars 2021, de septembre 2021 et de mars 2022, qui font l’objet, respectivement, de la première, de la deuxième et de la troisième adaptation de la requête, le Conseil ne soulève, en revanche, aucune fin de non-recevoir.

46      En tout état de cause, il convient de distinguer les actes par lesquels le requérant a été inscrit sur la liste et les actes subséquents qui ont pour objet le maintien de l’inscription de son nom sur cette liste. En effet, les actes de septembre 2017, par lesquels le nom du requérant a été inscrit sur la liste pour la première fois, ainsi que les actes subséquents, ne font pas l’objet du présent recours et, en tout état de cause, n’ont pas été contestés en temps utile devant le juge de l’Union. Les moyens du requérant ne sont dès lors recevables que dans la mesure où ils ont pour objet d’obtenir l’annulation des actes attaqués, soit les actes de septembre 2020 et, à la suite des adaptations de la requête sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, également les actes de mars 2021, de septembre 2021 et de mars 2022, en ce qu’ils maintiennent l’inscription de son nom sur la liste.

47      Il convient donc d’écarter l’exception d’irrecevabilité du recours soulevée par le Conseil et déclarer, par conséquent, le présent recours recevable en ce qu’il vise l’annulation des actes attaqués en ce qu’ils visent le requérant.

 Sur le fond

48      À l’appui du recours et, en substance, des trois adaptations de la requête, le requérant invoque sept moyens, tirés, premièrement, d’une erreur manifeste d’appréciation des faits, deuxièmement, de la violation de l’obligation de motivation, troisièmement, d’une violation du droit à la liberté d’expression, quatrièmement, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective, cinquièmement, de la violation du droit de propriété au regard du principe de proportionnalité, sixièmement, de la violation du principe d’égalité de traitement et, septièmement, d’un détournement de pouvoir.

49      Le Tribunal estime qu’il convient d’examiner d’abord le premier moyen.

50      Le requérant reproche au Conseil d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits sur lesquels il a fondé les actes attaqués. Plus particulièrement, il prétend que les articles 4 et 6 de la décision 2014/145 et l’article 14 du règlement no 269/2014 n’ont pas été correctement appliqués et interprétés par le Conseil lors de l’adoption des actes de septembre 2020 et des actes subséquents, en ce que le réexamen des mesures restrictives en cause aurait été effectué sans tenir compte de la situation réelle du requérant, à savoir qu’il avait quitté la politique. Par ailleurs, dans la mesure où les dispositions décrivant les critères d’inscription sur la liste sont toujours rédigées à l’indicatif présent, elles se rapporteraient nécessairement à des faits qui étaient d’actualité à la date à laquelle elles ont été établies.

51      Or, aux dates auxquelles les mesures restrictives en cause ont été prorogées, le requérant n’aurait exercé aucune fonction politique ou administrative, que ce soit en Crimée ou à Sébastopol, et n’aurait pas été non plus membre du parti au pouvoir en Russie ni d’aucun autre parti politique. À cet égard, le requérant fait valoir, d’une part, qu’il avait cessé, volontairement, d’exercer ses fonctions de gouverneur de Sébastopol depuis le 11 juillet 2019, ce qui serait confirmé par le décret du président de la Fédération de Russie versé au dossier de l’affaire, et, d’autre part, qu’il avait démissionné de son propre chef des fonctions de vice-ministre du gouvernement russe et que cette démission avait été acceptée par arrêté du gouvernement de la Fédération de Russie du 23 avril 2020.

52      Au demeurant, le requérant ne résiderait pas en Crimée, mais à Moscou (Russie), et serait désormais une personne privée se tenant en marge de la politique, qui ne serait plus à même de soutenir activement ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Le maintien des mesures restrictives en cause à son égard ne contribuerait donc pas à atteindre les objectifs visés par celles-ci.

53      Ainsi, au vu de la jurisprudence selon laquelle, d’une part, la légalité d’un acte de l’Union s’apprécie en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date d’adoption de celui-ci et, d’autre part, il incombe au Conseil de présenter de nouveaux éléments de preuve afin de démontrer le bien-fondé de l’inscription du nom d’une personne dès lors que le critère et les motifs de cette inscription ont changé, les allégations du Conseil concernant les fonctions exercées par le requérant ne pourraient servir de fondement pour l’adoption des mesures restrictives en cause à son égard.

54      Enfin, d’une part, le requérant conteste l’applicabilité au cas d’espèce de la jurisprudence invoquée par le Conseil, les circonstances de fait étant très différentes. Plus particulièrement, il fait valoir que les parties requérantes dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts mentionnés par le Conseil étaient non seulement les auteurs de graves violations des droits fondamentaux, mais, à la date d’adoption des mesures litigieuses, continuaient à exercer des activités similaires à celles pour lesquelles elles avaient été sanctionnées et demeuraient liées à des organisations qui s’étaient rendues coupables des violations des droits de l’homme, ce qui n’aurait pas été son cas. D’autre part, il reproche au Conseil de n’avoir fourni aucun élément de preuve crédible de l’existence réelle de ses déclarations ayant justifié l’inscription et le maintien de son nom sur la liste. Par ailleurs, à supposer que de telles déclarations, qui, en tout état de cause, ne seraient pas susceptibles de déstabiliser l’Ukraine, aient existé, elles dateraient de l’époque où le requérant était engagé en politique, activité qu’il aurait complètement abandonnée bien avant l’adoption des actes attaqués.

55      Le Conseil conteste les arguments du requérant. En premier lieu, il fait valoir que, contrairement à ce que prétend celui-ci, c’est le futur de l’indicatif et non le présent qui a été utilisé dans les actes initiaux.

56      En deuxième lieu, s’agissant des changements liés à la situation du requérant, le Conseil fait valoir, premièrement, qu’il a tenu compte du fait que celui-ci n’était plus gouverneur de Sébastopol et, deuxièmement, que, au moment de l’adoption des actes de septembre 2020, il n’avait pas été informé de la révocation du requérant du poste de vice-ministre du gouvernement russe, raison pour laquelle la mention dans l’exposé des motifs d’inscription n’avait pas été modifiée. Le fait qu’il n’ait pas été précisé que le requérant n’occupait plus ledit poste ne saurait infirmer la légalité des actes attaqués. Par ailleurs, il ne s’agissait pas, selon le Conseil, d’une renonciation de son plein gré par le requérant, mais plutôt d’une révocation unilatérale par le gouvernement russe.

57      En tout état de cause, le Conseil n’aurait pas été informé du fait que, depuis qu’il n’exerce plus de fonctions publiques, le requérant ait pris ses distances avec les idées qu’il avait précédemment défendues publiquement, ni qu’il se soit réellement écarté de la vie politique et qu’il ne réside plus en Crimée, ce qui, au demeurant, n’exclut pas qu’il puisse également exercer une influence par d’autres moyens ou depuis d’autres lieux géographiques.

58      En troisième lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel des actions commises dans le passé ne sauraient servir de fondement pour les actes attaqués, le Conseil rétorque que le nom de celui-ci a été inscrit sur la liste aussi du fait de ses déclarations publiques en faveur de l’annexion illégale de la Crimée et à l’occasion de l’anniversaire du « référendum » illégal en Crimée qu’il a effectuées en 2017.

59      Dans la duplique, le Conseil précise que les motifs d’inscription restent fondés même si un changement de fonction du requérant n’a pas été pris en compte. En effet, le nom de celui-ci figure encore sur la liste, car il est responsable d’actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Dans ce sens, l’article 6, troisième alinéa, de la décision 2014/145 et la jurisprudence justifieraient le maintien des mesures restrictives en cause aussi longtemps que les objectifs poursuivis par celles-ci n’ont pas été atteints, ce qui serait le cas en ce qui concerne l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la situation n’ayant pas changé à cet égard depuis la première désignation du requérant. Dans les observations sur les deuxième et troisième adaptations, en s’appuyant sur la jurisprudence, le Conseil fait également valoir que, en l’absence de preuve contraire montrant que le requérant n’est plus lié au pouvoir et compte tenu du fait que le contexte politique n’a pas changé depuis qu’il a cessé d’exercer une fonction publique, il peut considérer qu’un tel lien subsiste.

60      Enfin, le Conseil conteste l’argument du requérant selon lequel les critères utilisés pour désigner, d’une part, des personnes responsables de violations des droits de l’homme et, d’autre part, des personnes responsables d’actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ne seraient pas comparables. Selon le Conseil, le requérant avait une influence publique notoire en vertu des postes occupés et l’absence de distanciation impliquait qu’il était resté lié au régime. En outre, compte tenu, en ce qui concerne les actes de septembre 2020, de la brève période qui s’est écoulée depuis le changement de fonction du requérant et, en ce qui concerne tous les actes attaqués, de l’absence de distanciation, l’annulation de ceux-ci ne saurait être justifiée.

61      À titre liminaire, il importe de relever que le premier moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T-723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 70 et jurisprudence citée).

62      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernées, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

63      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 51, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 50).

64      Il appartient au Conseil, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cette fin, il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 120 à 122, et du 15 septembre 2021, Ghaoud/Conseil, T‑700/19, non publié, EU:T:2021:576, point 81).

65      Si le Conseil fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne concernée à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

66      Selon la jurisprudence, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à des mesures restrictives et les activités à l’origine de ces mesures [voir arrêt du 9 juin 2021, Borborudi/Conseil, T‑580/19, EU:T:2021:330, point 46 (non publié) et jurisprudence citée].

67      Par ailleurs, il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55 et jurisprudence citée).

68      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient de déterminer si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que, en l’espèce, il existait une base factuelle suffisamment solide pouvant justifier le maintien du nom du requérant sur la liste.

69      En l’espèce, les motifs du maintien du nom du requérant sur la liste, tels que figurant, en dernier lieu, dans les actes de mars 2021 (voir point 27 ci-dessus), sont les suivants :

« Ancien “gouverneur de Sébastopol” (jusqu’en juillet 2019).

M. Ovsyannikov a été élu “gouverneur de Sébastopol” lors de l’élection tenue le 10 septembre 2017, organisée par la Fédération de Russie dans la ville de Sébastopol illégalement annexée.

Le 28 juillet 2016, le président Poutine l’a nommé “gouverneur de Sébastopol” par intérim. En cette qualité, il a œuvré en faveur d’une plus grande intégration de la péninsule de Crimée illégalement annexée à la Fédération de Russie et est donc responsable de soutenir activement ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

En 2017, il a fait des déclarations publiques en faveur de l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol et à l’occasion de l’anniversaire du “référendum” illégal en Crimée. Il a rendu hommage aux vétérans des “unités d’autodéfense” qui ont facilité le déploiement des forces russes dans la péninsule de Crimée au cours de la période qui a précédé son annexion illégale par la Fédération de Russie et a demandé à ce que Sébastopol devienne la capitale du Sud de la Fédération de Russie.

Ancien vice-ministre de l’industrie et du commerce de la Fédération de Russie (jusqu’en avril 2020) ».

70      Au vu de ce libellé et de celui des critères d’inscription, force est de constater que, en ce qui concerne le requérant, un seul motif d’inscription a été retenu, à savoir le fait que, en sa qualité de personnalité politique russe, à savoir, d’abord, en tant que gouverneur de Sébastopol, puis, en tant que vice-ministre du gouvernement russe, il a été considéré par le Conseil comme étant responsable, au titre de l’article 1, paragraphe 1, sous a), et de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145, telle que modifiée, d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine ou, à tout le moins, une personne qui soutenait activement de telles actions ou politiques. En revanche, s’agissant de l’argument invoqué par le Conseil lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, selon lequel le requérant devait être considéré également comme étant « associé » à des personnes physiques qui soutenaient activement ou mettaient en œuvre de telles actions ou politiques, il importe de constater, en premier lieu, que le Conseil n’a pas fait explicitement mention d’un tel motif d’inscription dans la procédure administrative ni dans ses écritures et, en second lieu, qu’une telle interprétation n’est pas étayée par le libellé des motifs des actes attaqués.

71      À cet égard, une distinction doit être faite entre les actes de septembre 2020, d’une part, et ceux de mars 2021, de septembre 2021 et de mars 2022, d’autre part, en ce que les premiers visent le requérant, notamment, en tant que vice-ministre du gouvernement russe (voir points 16  et 20 ci-dessus), alors que ces derniers le visent en tant qu’ancien vice-ministre du gouvernement russe (voir points 27 et 30 ci-dessus).

72      S’agissant des actes de septembre 2020, le Conseil ne conteste pas, en substance, le fait que le requérant n’occupait plus le poste de vice-ministre du gouvernement russe avant leur adoption, mais fait valoir que celui-ci ne l’a pas informé d’un tel changement et que, en tout état de cause, le fait qu’il n’ait pas indiqué que le requérant n’occupait plus ledit poste ne saurait invalider la décision de maintenir son nom sur la liste.

73      Or, le Conseil ne saurait reprocher au requérant, sans renverser la charge de la preuve, de ne pas avoir établi qu’il avait cessé toute activité politique en exigeant qu’il l’informe d’une telle circonstance et, encore moins, de ne pas lui avoir soumis des éléments de preuve à cet égard (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 152 et jurisprudence citée). Au contraire, il appartenait au Conseil, dans le cadre du suivi constant et à intervalles réguliers des mesures restrictives prévu à l’article 6, troisième alinéa, de la décision 2014/145 et à l’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014, tels que modifiés, d’examiner avec soin les éléments étayant le maintien du nom du requérant sur la liste. Bien entendu, cela n’empêche pas que le requérant puisse présenter, à tout moment, des observations ou de nouveaux éléments de preuve, conformément à l’article 3, paragraphe 3, de la décision 2014/145 et à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tels que modifiés. Cependant, il s’agit d’une faculté appartenant au requérant, qui ne peut pas exempter le Conseil de la charge de la preuve lui incombant (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 juin 2021, Borborudi/Conseil, T‑580/19, EU:T:2021:330, point 55).

74      Au demeurant, des informations ayant trait au rôle du requérant au sein du gouvernement russe auraient été facilement accessibles au Conseil, à l’instar de celles qu’il a vraisemblablement utilisées lorsqu’il a ajouté spontanément, pour la première fois, cette information dans les motifs d’inscription de son nom sur la liste, dès lors qu’il s’agissait de sources publiques. En d’autres termes, si, comme en l’espèce, le Conseil ajoute une référence nouvelle à une fonction politique exercée par la personne visée par les mesures restrictives, il lui incombe de vérifier, lors du réexamen desdites mesures, si une telle information demeure actuelle.

75      À cet égard, il y a lieu d’observer que, lorsque le Conseil soutient dans ses écritures,  pour justifier le fait qu’il n’avait pas tenu compte de la cessation des fonctions de vice-ministre du gouvernement russe du requérant, que les motifs d’inscription restent fondés même si ce changement n’a pas été pris en compte, il affirme que, aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 2014/145, et de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tels que modifiés, les informations relatives à « la fonction ou la profession » de la personne désignée ne sont pas nécessaires lorsqu’elles ne sont pas disponibles, ce qui aurait été le cas lors de l’adoption des actes de septembre 2020. Or, non seulement il ressort des actes attaqués que la circonstance que le requérant était vice-ministre du gouvernement russe figurait dans la colonne de la liste relative aux « motifs d’inscription » et non dans celle relative aux « informations d’identification », mais cette allégation du Conseil est en contradiction avec l’ensemble de l’argumentation qu’il a développée à cet égard dans son mémoire en défense.

76      En tout état de cause, soit la référence au fait que le requérant occupait le poste de vice-ministre du gouvernement russe doit être interprétée, ainsi que le Conseil le fait valoir dans ses écritures, comme une sorte de mise à jour des « informations d’identification » relatives à « la fonction ou la profession » du requérant, et donc, dans ce cas de figure, l’argument du Conseil deviendrait inopérant, soit ladite référence doit être interprétée comme une mise à jour des « motifs d’inscription », sans toutefois qu’il y ait la moindre explication sur le lien existant entre l’exercice des fonctions de vice-ministre du gouvernement russe et l’éventuel soutien actif aux actions et politiques en cause, et, dans ce cas de figure, l’argument du Conseil devrait être rejeté en application de la jurisprudence mentionnée au point 73 ci-dessus.

77      En l’espèce, force est de constater que les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste sont demeurés, en substance, les mêmes dans les différents actes attaqués. Ils sont, par ailleurs, très similaires, exception faite pour la mise à jour relative à ses fonctions de vice-ministre du gouvernement russe, aux motifs figurant dans les actes initiaux. Toutefois, le fait, non contesté par le Conseil, que le requérant ait cessé ses fonctions de gouverneur de Sébastopol en avril 2019, puis de vice-ministre du gouvernement russe en avril 2020, constituait une évolution de la situation du requérant dont le Conseil aurait dû tenir compte avant de décider du maintien des mesures restrictives à son égard.

78      Selon la jurisprudence, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur la liste, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur la liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99). Ce contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée [voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Borborudi/Conseil, T‑580/19, EU:T:2021:330, point 60 (non publié) et jurisprudence citée].

79      Or, s’il est vrai, ainsi que le souligne à maintes reprises le Conseil, que le contexte général de la situation de l’Ukraine en ce qui concerne les menaces à son intégrité territoriale, à sa souveraineté et à son indépendance, à la suite de l’annexion illégale de la Crimée, est resté inchangé depuis l’adoption des actes initiaux et leur prorogation ayant précédé l’adoption des actes attaqués, il n’en est pas de même en ce qui concerne la situation particulière du requérant.

80      En effet, le motif spécifique ayant justifié l’inscription de son nom sur la liste était lié, pour l’essentiel, à son élection en tant que gouverneur de la ville de Sébastopol. Cela ressort, notamment, du deuxième considérant des actes de novembre 2017, qui est libellé en ces termes : « [à] la suite de l’organisation par la Fédération de Russie de l’élection d’un gouverneur de la ville de Sébastopol illégalement annexée, qui s’est tenue le 10 septembre 2017, le Conseil estime qu’une personne devrait être ajoutée à la [liste] ».

81      Au troisième considérant de ces actes, il est également indiqué qu’il y a lieu de modifier la liste en conséquence et sur celle-ci n’est ajouté que le nom du requérant. Par ailleurs, dans les motifs d’inscription, il est précisé que, en sa qualité de gouverneur, il « a œuvré en faveur d’une plus grande intégration de la péninsule de Crimée illégalement annexée à la Fédération de Russie et est donc responsable de soutenir activement ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ».

82      Il s’ensuit que, jusqu’au moment de son élection en tant que gouverneur de la ville de Sébastopol, le requérant, qui était, ainsi qu’il ressort du dossier de l’affaire, chef adjoint au sein d’un département du ministère de l’Industrie et du Commerce de la Fédération de Russie, n’avait pas été considéré par le Conseil comme une personne responsable d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant l’Ukraine ou qui soutenait activement de telles actions ou politiques. Cela est confirmé par les déclarations et les différentes prises de position du requérant énoncées dans les motifs d’inscription, qui ont toutes trait à la période dans laquelle celui-ci était gouverneur de Sébastopol et sont strictement liées à l’exercice de ces fonctions. La référence à la circonstance selon laquelle le requérant était devenu vice-ministre du gouvernement russe a donc été ajoutée aux seuls fins d’établir la persistance d’une sorte de lien de celui-ci avec le gouvernement russe pouvant justifier, d’après le Conseil, la prorogation des mesures restrictives en cause à son égard.

83      Il y a donc lieu d’examiner s’il ressort du dossier de l’affaire que le requérant était responsable, aux dates d’adoption des différents actes attaqués, d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine, voire qu’il soutenait activement de telles actions ou politiques, ou, à tout le moins, si les éléments figurant dans le dossier de l’affaire peuvent constituer un faisceau d’indices au sens de la jurisprudence citée au point 66 ci-dessus.

84      En l’espèce, la base factuelle des mesures restrictives en cause se réfère exclusivement à des évènements du passé. Plus particulièrement, les motifs du maintien du nom du requérant sur la liste ont trait, comme il a été exposé aux points 69 et 70 ci-dessus, soit aux fonctions publiques de gouverneur de Sébastopol et de vice‑ministre du gouvernement russe, qu’il a exercées auparavant, soit aux déclarations publiques qu’il a faites lorsqu’il était gouverneur de Sébastopol et qui étaient inhérentes à ses fonctions.

85      Si de telles circonstances pouvaient suffire à justifier, en elles-mêmes, la désignation initiale du requérant, en ce qu’elles étaient susceptibles de démontrer que celui-ci était, en substance, activement impliqué dans le soutien des politiques et des actions d’annexion illégale de la Crimée, il n’en serait pas de même pour ce qui est des actes de maintien du nom du requérant sur la liste subséquents, qui se fondaient sur un réexamen périodique des mesures restrictives en cause afin de permettre au Conseil de tenir compte des éventuels changements de circonstances concernant, notamment, la situation individuelle des personnes visées par celles-ci (voir point 73 ci-dessus). En effet, les actes attaqués représentent l’aboutissement de cet exercice de réexamen périodique.

86      Or, le Conseil ne saurait présumer, du seul fait que le requérant a été gouverneur de Sébastopol, puis vice-ministre du gouvernement russe, lors de l’inscription de son nom sur la liste et des premières prorogations des mesures restrictives à son égard, qu’il aurait pu éventuellement être tenu pour responsable d’actions ou de politiques menaçant, notamment, l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ou considéré comme soutenant activement de telles actions ou politiques, même plusieurs mois après avoir quitté ses fonctions, soit lors de l’adoption des actes attaqués, au point d’être toujours considéré comme pouvant être impliqué activement dans de telles menaces. Cela aurait conduit à figer la situation du requérant et à priver de tout effet utile l’exercice de réexamen périodique prévu, notamment, à l’article 6, troisième alinéa, de la décision 2014/145 et à l’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014, tels que modifiés (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2021, Ghaoud/Conseil, T‑700/19, non publié, EU:T:2021:576, point 85 et jurisprudence citée).

87      Dès lors, il reste à vérifier si, ainsi que le prétend le Conseil, lesdites fonctions publiques et les déclarations faites par le requérant en sa qualité de gouverneur de Sébastopol étaient d’une importance et d’une gravité telles que, eu égard aux fonctions exercées auparavant, il demeurait, au moment de la prorogation des mesures restrictives en cause, directement responsable d’actions ou de politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ou sa stabilité et sécurité, voire soutenait activement ou mettait en œuvre de telles actions ou politiques.

88      À cet égard, il serait possible de considérer que le seul fait que le requérant était, dans un passé peu éloigné de l’adoption des actes attaqués, d’abord, gouverneur de Sébastopol, puis, vice‑ministre du gouvernement russe pouvait constituer une preuve suffisante de son implication personnelle ou, à tout le moins, de son soutien actif dans des actions ou des politiques menaçant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, en ce sens que, même s’il n’exerçait plus, lors de l’adoption des actes attaqués, aucune fonction publique, ses liens avec les personnes qui mettent en œuvre de telles actions perduraient.

89      Or, il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 63 ci-dessus que le bien-fondé du maintien du nom du requérant sur la liste doit être examiné dans son contexte global et non de manière isolée. À cet égard, il doit également être rappelé que, s’agissant de décisions en matière de gel des fonds, l’utilisation de présomption n’est admise qu’à la condition que celles-ci aient été prévues par les actes litigieux et qu’elles répondent à l’objectif de la réglementation en cause. En outre, une telle présomption doit, dans tous les cas, être proportionnée au but poursuivi par le Conseil, être réfragable et préserver les droits de la défense du requérant (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 146 et jurisprudence citée).

90      Conformément à ces principes, il convient, en l’espèce, de prendre en considération le niveau des fonctions que le requérant occupait dans la hiérarchie de la Fédération de Russie, le laps de temps dans lequel celles-ci ont été exercées, ainsi que les actions concrètes auxquelles il s’est engagé en ses qualités, d’abord, de gouverneur de Sébastopol, puis de vice‑ministre du gouvernement russe.

91      Il ressort du dossier de l’affaire que le requérant a exercé ces deux fonctions, respectivement, pendant environ trois ans et pendant environ sept mois et que les seuls agissements qu’il se voit reprocher sont ses déclarations et ses prises de position, lorsqu’il était gouverneur de Sébastopol, en faveur de l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie. À cet égard, le contenu de celles-ci, tel qu’exposé dans une annexe au mémoire en défense et reproduit de manière synthétique dans les motifs d’inscription, ne dépasse pas le caractère moyen des discours publics attendus d’une personne occupant ledit poste. Par ailleurs, de tels propos, principalement oraux, qui datent tous de 2017 et concernent une courte période de cette année dans laquelle le requérant était gouverneur de Sébastopol, ne seraient pas susceptibles d’être pris en compte en dehors du contexte dans lequel ils ont été émis et auraient, en tout état de cause, épuisé leurs effets au moment où ils ont été prononcés, si bien qu’ils ne pourraient pas, en eux-mêmes, continuer à justifier le maintien des mesures restrictives en cause à l’égard du requérant.

92      Force est donc de relever que si la nomination du requérant, d’abord, comme gouverneur de Sébastopol, puis, comme vice-ministre du gouvernement russe constituait une preuve de ses liens avec les dirigeants de la Fédération de Russie, lesquels mettent en œuvre des actions ou des politiques déstabilisant l’Ukraine, à l’inverse, le fait que le requérant n’occupait plus lesdits postes démontrerait son éloignement de ce milieu politique et, de ce fait, son incapacité, en substance, à soutenir activement de telles actions ou politiques.

93      À cet égard, il incombe au Conseil, qui, en l’espèce, a la charge de la preuve, d’avancer des indices suffisamment probants permettant raisonnablement de considérer que l’intéressé a maintenu de tels liens avec les dirigeants de la Fédération de Russie, justifiant le maintien de son nom sur la liste, même après sa démission desdites fonctions (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 150 et jurisprudence citée).

94      Le Conseil n’a toutefois pas fourni d’éléments probants fondés sur le comportement du requérant permettant d’expliquer les raisons pour lesquelles celui-ci devait être considéré comme étant toujours lié ou proche des dirigeants de la Fédération de Russie après son éloignement des fonctions de gouverneur de Sébastopol et de vice-ministre du gouvernement russe. Il se borne à évoquer, qui plus est de manière tout à fait hypothétique, l’influence que le requérant pourrait exercer par d’autres moyens ou depuis d’autres lieux géographiques, sans toutefois indiquer concrètement quels seraient ces moyens et si le requérant a en effet pris des initiatives pertinentes en ce sens, susceptibles de démontrer son implication active dans des actions déstabilisant l’Ukraine ou, à tout le moins, l’existence d’un lien de rattachement aux dirigeants de la Fédération de Russie.

95      Par ailleurs, il y a lieu de rejeter comme inopérant l’argument du Conseil tiré de ce que, contrairement à ce que prétend le requérant, celui-ci n’aurait pas démissionné de son poste de vice-ministre du gouvernement russe, mais en aurait été démis. En effet, indépendamment de la question de savoir si le requérant a ou non été démis dudit poste, une telle circonstance, inhérente à la sphère subjective de celui-ci, est dépourvue de pertinence. Au demeurant, force est de constater que le Conseil ne tire aucune conséquence ou aucun argument du fait, non contesté, que le requérant a, en revanche, démissionné de ses fonctions de gouverneur de Sébastopol. Ce qui importe est que, au moment de chaque prorogation des mesures restrictives en cause, le requérant n’exerçait plus aucune fonction publique susceptible d’établir un lien, que ce soit de manière directe ou indirecte, avec des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale de l’Ukraine ou de lui permettre d’apporter un soutien actif de telles actions ou politiques, dès lors que le fait de ne plus exercer de fonctions publiques neutralise sa capacité d’accomplir ou de soutenir activement des actions ou des politiques de telle sorte. Partant, le Conseil aurait dû tenir compte de la cessation de fonctions du requérant, indépendamment des raisons l’ayant déterminée, et en tirer les conséquences au regard des motifs justifiant le maintien de son nom sur la liste.

96      En outre, il ressort du dossier que le requérant a également été expulsé du parti « Russie Unie », si bien que l’argument du Conseil selon lequel il n’aurait pas eu connaissance de ce que le requérant s’est écarté de la vie politique depuis qu’il a cessé d’exercer ses fonctions de vice-ministre du gouvernement russe manque en fait et ne saurait remettre en cause la conclusion figurant au point 95 ci-dessus.

97      Quant à l’argument du Conseil tiré de ce que le requérant ne se serait pas distancié des actions ou des politiques menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et, plus particulièrement, des idées qu’il avait défendues publiquement, il convient de relever que, dans certaines circonstances propres à chaque situation, le Conseil peut considérer l’absence de distanciation de la personne concernée à l’égard du régime au pouvoir comme un élément à prendre en compte au soutien du maintien de mesures restrictives à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 77).

98      Toutefois, en l’espèce, il ressort de ce qui précède que le requérant n’occupait plus les différentes fonctions qui avaient justifié l’inscription initiale de son nom sur la liste, ainsi que les prorogations successives d’une telle inscription, depuis six mois avant l’adoption des actes de septembre 2020, et depuis un laps de temps de plus en plus considérable avant l’adoption des actes de mars 2021, de septembre 2021 et de mars 2022. En outre, le Conseil était informé, à tout le moins depuis le 2 novembre 2020 (voir point 22 ci-dessus), de la dernière cessation de fonctions, à savoir celles de vice-ministre du gouvernement russe. Interrogé à cet égard lors de l’audience, le Conseil est resté en défaut, d’une part, d’expliquer dans quelle mesure, dans les circonstances de l’espèce, le fait que le requérant n’ait pas pris publiquement ses distances des déclarations qu’il avait faites en tant que gouverneur de Sébastopol serait susceptible de démontrer, même implicitement, qu’il avait soutenu ou qu’il continuait de soutenir activement des actions ou des politiques contre l’Ukraine et, d’autre part, d’apporter des éléments suffisants permettant de considérer que, à l’issue des différentes périodes de réexamen en cause, il existait un lien suffisant entre le requérant et le régime russe en ce qui concernait des actions ou des politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine. Dans de telles conditions, pour fonder le maintien des mesures restrictives en cause à l’égard du requérant, le Conseil ne peut valablement s’appuyer sur le fait qu’il n’a pas pris de position se distanciant du gouvernement russe en ce qui concerne la situation en Ukraine. Dans les circonstances propres de la présente affaire, un tel argument ne saurait donc suffire pour justifier les actes attaqués (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 78).

99      Il y a donc lieu de considérer que, même s’il ne saurait être exclu d’emblée qu’un ancien vice-ministre du gouvernement russe, qui avait été auparavant gouverneur de Sébastopol, puisse être considéré comme étant lié au régime russe et, de ce fait, à des personnes physiques qui étaient responsables d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité dans ce pays, voire comme soutenant activement ou mettant en œuvre de telles actions ou politiques, le Conseil a commis une erreur d’appréciation et renversé la charge de la preuve en l’espèce, en considérant que, du seul fait de son statut d’ancien gouverneur de Sébastopol, ainsi que des déclarations émises en cette qualité, et d’ancien vice-ministre du gouvernement russe, le requérant demeurait responsable de telles actions ou politiques ou les soutenait activement voire les mettait en œuvre.

100    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier moyen et d’annuler, par conséquent, les actes attaqués en ce qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres arguments et sur les autres moyens invoqués par ce dernier.

 Sur les dépens

101    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2020/1269 du Conseil, du 10 septembre 2020, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le règlement d’exécution (UE) 2020/1267 du Conseil, du 10 septembre 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la décision (PESC) 2021/448 du Conseil, du 12 mars 2021, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le règlement d’exécution (UE) 2021/446 du Conseil, du 12 mars 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la décision (PESC) 2021/1470 du Conseil, du 10 septembre 2021, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le règlement d’exécution (UE) 2021/1464 du Conseil, du 10 septembre 2021, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la décision (PESC) 2022/411 du Conseil, du 10 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2022/408 du Conseil, du 10 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, sont annulés, dans la mesure où le nom de M. Dmitry Vladimirovich Ovsyannikov a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par M. Ovsyannikov,y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Spielmann

Mastroianni

Gâlea

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 octobre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.