Language of document : ECLI:EU:T:2023:506

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union – Procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché – Rejet d’une demande de participation à la procédure – Obligation de motivation – Article 164, paragraphe 5, sous f), et point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 – Transparence – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑1/23,

Enmacc GmbH, établie à Munich (Allemagne), représentée par Mes A. von Bonin, A. Pliego Selie et T. van Helfteren, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Scharf, J. Estrada de Solà, G. Gattinara et S. Romoli, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni et Mme M. Brkan (rapporteure), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        l’ordonnance du 5 janvier 2023 par laquelle, en application de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le président du Tribunal a ordonné à la Commission de ne signer aucun contrat dans le cadre de la procédure d’appel d’offres ENER/2022/NP/0041,

–        l’ordonnance du 18 janvier 2023 par laquelle le président du Tribunal a rapporté son ordonnance du 5 janvier 2023,

–        la décision du Tribunal du 30 janvier 2023 faisant droit à la demande de la requérante, sans que la Commission s’y oppose, visant à ce qu’il soit statué selon une procédure accélérée en application de l’article 151, paragraphe 1, du règlement de procédure,

–        l’ordonnance du 27 mars 2023, Enmacc/Commission (T‑1/23 R, non publiée, EU:T:2023:163), rejetant la demande en référé,

vu la renonciation des parties à participer à une audience et ayant décidé, en application de l’article 155, paragraphe 1, du règlement de procédure, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Enmacc GmbH, demande l’annulation de l’acte de la Commission européenne du 12 décembre 2022 par lequel elle a lancé l’appel d’offres ENER/2022/NP/0041 « Service pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union européenne » par voie de procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, elle ne l’a pas invitée à participer à ladite procédure et elle a rejeté explicitement sa demande d’invitation à cette procédure (ci-après l’« acte attaqué »).

 Antécédents du litige

2        La requérante est une société de droit allemand, inscrite au registre du commerce de l’Amtsgerich München (tribunal d’instance de Munich, Allemagne), exerçant son activité dans la création, l’exploitation et la distribution de logiciels dans le domaine du commerce de produits énergétiques, de matières premières et de produits similaires.

3        À la suite de la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, est survenue, en 2022, une interruption soudaine et significative des flux de gaz en provenance de Russie qui a fait apparaître une urgence de s’affranchir des approvisionnements russes et de garantir la sécurité de l’approvisionnement dans l’Union européenne.

4        Dans ce contexte, le 18 octobre 2022, la Commission a adopté la proposition COM(2022) 549 final de règlement du Conseil renforçant la solidarité grâce à une meilleure coordination des achats de gaz, à des échanges transfrontaliers de gaz et à des prix de référence fiables (ci-après la « proposition de règlement du 18 octobre 2022 »). Le 24 novembre 2022, le Conseil de l’Union européenne a marqué son accord de principe sur un projet de texte. Le 19 décembre 2022, sur le fondement de l’article 122, paragraphe 1, TFUE, le Conseil a adopté le règlement (UE) 2022/2576 renforçant la solidarité grâce à une meilleure coordination des achats de gaz, à des prix de référence fiables et à des échanges transfrontières de gaz (JO 2022, L 335, p. 1).

5        Ainsi que cela ressort du considérant 11 du règlement 2022/2576, pour assurer le remplissage des installations de stockage de gaz en vue de garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz pour l’hiver 2023/2024, le Conseil a considéré qu’il était nécessaire de coordonner les achats de gaz dans un esprit de solidarité, notamment par l’agrégation de la demande de gaz et des achats communs de gaz.

6        Dans cette perspective, l’article 5 du règlement 2022/2576 a fourni une base juridique pour permettre à la Commission de conclure, à l’issue d’une procédure de passation de marché, un contrat de services temporaire avec un prestataire chargé de fournir des services d’agrégation de la demande et d’achats communs de gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union, notamment en développant et en exploitant un outil informatique permettant d’offrir lesdits services.

7        L’article 6 du règlement 2022/2576 prévoit des critères de sélection du prestataire de services et l’article 7 de ce même règlement détermine les tâches confiées audit prestataire, parmi lesquelles figurent, à l’aide d’un outil informatique, l’agrégation de la demande des entreprises de gaz naturel et des entreprises consommant du gaz ou encore la recherche des offres émises par les fournisseurs et les producteurs de gaz naturel, de manière à les faire correspondre à la demande agrégée.

8        Dans la mesure où elle a considéré que la saison de remplissage des installations de stockage de gaz pour l’hiver 2023/2024 débutait à la fin du mois de mars 2023 ou au début du mois d’avril 2023 et que, pour le développement de l’outil informatique, le prestataire de services avait besoin d’un délai minimum se situant entre deux mois et demi et trois mois, la Commission a estimé que le contrat de services devait être signé au plus tard à la mi-janvier 2023.

9        Dès lors, pour la procédure d’appel d’offres ENER/2022/NP/0041 « Services pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union européenne » (ci-après la « procédure d’appel d’offres litigieuse »), la Commission a décidé de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, prévue à l’article 164, paragraphe 5, sous f), et au point 11.1, sous c), de l’annexe I du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier »).

10      Cette procédure a été lancée le 1er décembre 2022 après que le Conseil a marqué, le 24 novembre 2022, son accord de principe sur un projet de règlement.

11      Pour identifier les opérateurs économiques capables de fournir les services pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union, la Commission a effectué une analyse de marché. À cette fin, la Commission s’est fondée sur la liste des bourses de l’énergie et la liste des places de marché attribuant des capacités d’infrastructure gazière transfrontières dans l’Union figurant dans le portail du système d’information du règlement concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie (ci-après le « REMIT ») de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER). Dans le cadre d’une première identification des opérateurs économiques potentiellement capables de fournir les services demandés et à la suite d’échanges avec l’ACER, la Commission a recensé la plateforme Regional Booking Plateform (RBP) de FGSZ Földgázszállító Zrt. du fait qu’il s’agissait d’une plateforme concurrente d’autres places de marchés organisées agissant en tant qu’opérateur attribuant des capacités et qu’elle avait vocation à être inscrite prochainement sur la liste figurant dans le portail du système d’information REMIT de l’ACER. Ainsi, un périmètre initial de 41 opérateurs (soit 38 bourses de l’énergie et 3 opérateurs attribuant des capacités) a été défini. En application des critères énoncés à l’article 6 du règlement 2022/2576, la Commission a envoyé une invitation à soumissionner à 8 opérateurs établis dans 7 États membres différents de l’Union.

12      Par courrier électronique du 8 décembre 2022, après avoir appris que la procédure d’appel d’offres litigieuse avait été lancée en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, la requérante a indiqué à la Commission qu’elle était capable de fournir une plateforme satisfaisant à toutes les conditions et lui a demandé qu’une invitation à participer à cette procédure lui soit envoyée.

13      Par courrier électronique du 9 décembre 2022, la requérante a demandé à être invitée à soumissionner dans le cadre de la procédure d’appel d’offres litigieuse et à se voir accorder un délai approprié pour préparer une offre.

14      Par l’acte attaqué, la Commission, d’une part, a informé la requérante de son choix de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché et lui a exposé les raisons pour lesquelles il n’aurait pas été possible de recourir à une procédure ouverte et, d’autre part, lui a indiqué qu’il n’était pas possible de faire droit à sa demande d’être invitée à participer à la procédure d’appel d’offres litigieuse, au motif que seuls les opérateurs ayant reçu une invitation à soumissionner pouvaient participer à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

15      Le 19 décembre 2022, le Conseil a formellement adopté le règlement 2022/2576.

16      Par courrier électronique du 20 décembre 2022 adressé à la Commission, la requérante a indiqué être convaincue de satisfaire pleinement aux conditions de l’appel d’offres en cause et a sollicité en urgence une discussion avec elle.

17      Par courrier électronique du 21 décembre 2022, la Commission a rappelé que la requérante ne pouvait pas être invitée à soumettre une offre.

 Évènements postérieurs à l’introduction du recours

18      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 4 janvier 2023, la requérante a introduit une demande en référé, dans laquelle elle concluait, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution de l’acte attaqué. Par ordonnance du 5 janvier 2023, sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le président du Tribunal a ordonné à la Commission de ne signer aucun contrat dans le cadre de la procédure d’appel d’offres litigieuse.

19      Par ordonnance du 18 janvier 2023, compte tenu des observations de la Commission sur la demande en référé dans lesquelles elle a invoqué les circonstances extrêmement exceptionnelles de la présente affaire et fait valoir que le maintien de l’ordonnance du 5 janvier 2023 serait de nature à compromettre la mise en œuvre en temps voulu d’une partie très importante de la réponse de l’Union à la crise énergétique, le président du Tribunal a rapporté ladite ordonnance.

20      Le 24 janvier 2023, la Commission a attribué le marché au soumissionnaire retenu et, le même jour, le contrat a été signé électroniquement par les deux parties.

21      Le 13 février 2023, l’avis d’attribution du marché a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2023, S 31).

 Conclusions des parties

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler, à titre principal, l’acte attaqué et, à titre subsidiaire, la décision de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché et de ne pas l’inviter à participer à la procédure d’appel d’offres litigieuse ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter, à titre principal, le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

24      Sans soulever d’exception d’irrecevabilité par acte séparé sur le fondement de l’article 130 du règlement de procédure, d’une part, la Commission soutient que le recours est irrecevable en tant qu’il est dirigé contre l’acte attaqué par lequel elle n’a pas fait droit à la demande de la requérante de participer à la procédure d’appel d’offres litigieuse. À cet égard, elle soutient que cet acte n’est pas un acte attaquable et que, en tout état de cause, la requérante n’est pas directement et individuellement concernée par cet acte et n’a pas prouvé son intérêt à agir contre celui-ci. D’autre part, le recours serait irrecevable en tant qu’il est dirigé contre la décision de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché. À cet égard, selon la Commission, cette « décision interne » est un acte préparatoire ne produisant pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la requérante en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. En outre, la Commission fait valoir que cette décision n’est pas un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et que la requérante n’est pas directement et individuellement concernée par cette décision.

25      La requérante soutient que le recours est recevable.

26      À cet égard, il convient de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52).

27      Dans la mesure où, sur demande de la requérante et sans que la Commission s’y oppose, il a été décidé de statuer selon une procédure accélérée, le Tribunal considère que, dans un souci d’économie de la procédure, il y a lieu d’examiner d’emblée le bien-fondé du recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité.

 Sur le fond

28      À l’appui de son recours, la requérante invoque trois moyens. Le premier est tiré d’une violation de l’article 164, paragraphe 5, sous f), et du point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier. Le deuxième moyen est tiré d’une violation des principes de transparence et d’égalité de traitement. Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

29      Dans le cadre de ses conclusions dirigées contre l’acte attaqué, à savoir le courriel du 12 décembre 2022 mentionné au point 14 ci-dessus, la requérante conteste également, à titre incident, la décision de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché. À cet égard, par une mesure d’organisation de la procédure du 30 janvier 2023, le Tribunal a demandé à la Commission de produire l’acte par lequel il avait été décidé de recourir à ladite procédure. La Commission a déféré à cette demande par la transmission de la note au dossier adressée à la directrice générale de l’énergie concernant la passation d’un contrat de service pour le développement de l’outil informatique pour l’agrégation de la demande et les achats communs de gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union (ci-après la « note au dossier de la direction générale de l’énergie »).

30      Le Tribunal juge opportun de statuer en premier lieu sur le troisième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation

31      La requérante fait valoir que l’acte attaqué n’explique pas de manière appropriée en quoi les conditions prévues au point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier étaient remplies ni les raisons pour lesquelles elle n’a pas été invitée à participer à la procédure d’appel d’offres litigieuse.

32      La Commission conteste cette argumentation.

33      À cet égard, il y a lieu de rappeler que les règles régissant les marchés publics de l’Union figurant dans le règlement financier et dans l’annexe I de celui-ci précisent l’obligation de motivation du pouvoir adjudicateur. Cette obligation est concrétisée à l’article 170, paragraphe 2, du règlement financier, qui prévoit que le pouvoir adjudicateur communique à tout candidat ou soumissionnaire les motifs du rejet de sa demande de participation ou de son offre. En outre, conformément à l’article 170, paragraphe 3, sous a), du règlement financier, le pouvoir adjudicateur est tenu de communiquer aux soumissionnaires qui en font la demande expresse les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom du soumissionnaire auquel le marché a été attribué (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2023, OHB System/Commission, T‑54/21, EU:T:2023:210, point 41 ; voir également, par analogie, arrêt du 17 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki/Cour de justice, T‑447/10, non publié, EU:T:2012:553, point 71).

34      En l’espèce, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres litigieuse, la requérante n’avait ni la qualité de candidate ni celle de soumissionnaire. Or, le règlement financier n’impose au pouvoir adjudicateur aucune obligation de motivation pour des actes adressés, pendant une procédure en cours, à des entités qui n’ont pas participé à une procédure de passation de marchés. Il s’ensuit que la Commission n’était pas tenue de motiver l’acte attaqué de manière à faire apparaître les raisons pour lesquelles la requérante n’avait pas été invitée à participer à ladite procédure ni celles ayant justifié le recours à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

35      En tout état de cause, d’une part, il y a lieu de constater que, dans l’acte attaqué, la Commission a indiqué à la requérante qu’elle ne pouvait être invitée à participer à la procédure d’appel d’offres litigieuse au motif qu’il s’agissait d’une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, à laquelle seules les entités invitées à soumissionner par le pouvoir adjudicateur pouvaient participer. Contrairement à ce que fait valoir la requérante, il y a lieu de considérer que la Commission a motivé la raison pour laquelle il n’était pas possible de faire droit à sa demande de participer à la procédure d’appel d’offres litigieuse.

36      D’autre part, il convient de relever que, dans l’acte attaqué, la Commission a indiqué que la procédure d’appel d’offres litigieuse avait été lancée dans la perspective de l’adoption, à brève échéance, de sa proposition de règlement du 18 octobre 2022 et que le pouvoir adjudicateur, pour des raisons d’extrême urgence, avait décidé de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, conformément au point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier. La Commission a précisé que cette extrême urgence ne résultait pas uniquement de la crise énergétique actuelle et imprévisible liée à l’interruption des flux de gaz en provenance de Russie et des prix élevés de l’énergie qui en découlaient, mais également du fait que, conformément à la proposition de règlement du 18 octobre 2022, un prestataire de services devrait être en place dès l’adoption dudit règlement, afin que ce dernier puisse être adéquatement mis en œuvre. La Commission a également indiqué qu’une procédure ouverte aurait impliqué un retard qui aurait été impossible à concilier avec l’urgence de la situation. Force est de constater que ces explications de la Commission étaient suffisantes pour justifier les raisons pour lesquelles elle avait décidé de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

37      Il s’ensuit que le troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation, doit être rejeté.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 164, paragraphe 5, sous f), et du point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier

38      Par son premier moyen, la requérante soutient que la Commission a eu recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché en violation de l’article 164, paragraphe 5, sous f), et du point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier. Au soutien de ce moyen, la requérante invoque quatre griefs. Le premier grief est tiré, en substance, de l’absence d’évènements imprévisibles. Le deuxième grief est tiré de ce que Commission aurait pu recourir à une autre procédure, en particulier à la procédure ouverte d’urgence. Le troisième grief est tiré de ce que la Commission a agi tardivement, de sorte que la situation d’urgence lui est imputable. Le quatrième grief est tiré de ce que le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché n’est pas de nature à répondre à une pénurie d’approvisionnement immédiate.

39      À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 160, paragraphe 1, du règlement financier, tous les marchés financés totalement ou partiellement par le budget respectent les principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination. Dès lors, conformément à l’article 160, paragraphe 2, dudit règlement, tous les marchés font l’objet d’une mise en concurrence la plus large possible, sauf dans les cas de recours à la procédure visée à l’article 164, paragraphe 1, sous d), du même règlement.

40      Il y a lieu de relever que la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché est prévue à l’article 164, paragraphe 1, sous d), du règlement financier et que le pouvoir adjudicateur peut y recourir, notamment, conformément au point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier, dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l’urgence impérieuse résultant d’évènements imprévisibles n’est pas compatible avec les délais prévus aux points 24, 26 et 41 de ladite annexe et que les circonstances justifiant cette urgence impérieuse ne sont pas imputables au pouvoir adjudicateur.

41      Il résulte d’une jurisprudence constante concernant les directives relatives aux marchés publics que le recours à cette dérogation est soumis à trois conditions cumulatives, à savoir l’existence, outre d’un évènement imprévisible, d’une urgence impérieuse incompatible avec les délais exigés par d’autres procédures et d’un lien de causalité entre l’évènement imprévisible et l’urgence impérieuse qui en résulte (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 1996, Commission/Allemagne, C‑318/94, EU:C:1996:149, point 14 ; ordonnance du 20 juin 2013, Consiglio Nazionale degli Ingegneri, C‑352/12, non publiée, EU:C:2013:416, point 50, et arrêt du 13 septembre 2016, ENAC/INEA, T‑695/13, non publié, EU:T:2016:464, point 96).

42      Eu égard à son caractère dérogatoire, cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2009, Commission/Grèce, C‑250/07, EU:C:2009:338, point 34, et ordonnance du 20 juin 2013, Consiglio Nazionale degli Ingegneri, C‑352/12, non publiée, EU:C:2013:416, point 51). En outre, la charge de la preuve incombe à la partie qui souhaite se prévaloir d’une telle dérogation (voir, par analogie, arrêt du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑275/08, non publié, EU:C:2009:632, point 56 et jurisprudence citée).

43      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les griefs soulevés par la requérante.

–       Sur le premier grief, tiré de l’absence d’évènements imprévisibles

44      Selon la requérante, dès lors que l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie a eu lieu le 24 février 2022, les dérèglements induits par cet évènement ne peuvent être objectivement considérés comme étant imprévisibles neuf mois plus tard. De surcroît, la Commission aurait lancé diverses propositions pour faire face aux effets de la crise économique, y compris la mise en place d’un projet de plateforme d’achats communs de gaz.

45      À cet égard, la requérante relève qu’il ressortait déjà clairement de la communication COM(2022) 108 final de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 8 mars 2022, intitulée « REPowerEU : Action européenne conjointe pour une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable » (ci-après la « communication REPowerEU »), qu’il était nécessaire de trouver et de sélectionner un prestataire de services pour la création et l’exploitation d’une plateforme d’achats communs de gaz. De même, selon la requérante, la nécessité de recourir à un prestataire de services pour assurer l’agrégation de la demande de gaz ressort clairement de la proposition de règlement du 18 octobre 2022. Ainsi, la requérante considère que l’élément déclencheur pertinent pour apprécier le cadre temporel dans lequel s’inscrivait l’urgence impérieuse se situait en mars 2022 ou, au plus tard, le 18 octobre 2022, à la suite de la présentation de la proposition de règlement.

46      La requérante considère que l’urgence impérieuse doit être appréciée objectivement au regard des circonstances précises justifiant le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, c’est-à-dire en fonction du moment où le pouvoir adjudicateur a pris connaissance de la nécessité des travaux ou des services justifiant le lancement ultérieur d’un appel d’offres.

47      De plus, la requérante considère que le fait que le règlement 2022/2576 ait soumis, dès son adoption, l’attribution du marché en cause à un calendrier spécifique ne saurait être considéré comme une urgence impérieuse résultant d’un évènement imprévisible. Selon elle, c’est la Commission, en tant que pouvoir adjudicateur, qui est à l’origine dudit calendrier, de sorte que celle-ci pouvait anticiper le lancement de la procédure d’appel d’offres litigieuse pour sélectionner un prestataire de service.

48      La Commission conteste cette argumentation.

49      À cet égard, il ressort du libellé du point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier que l’urgence impérieuse justifiant le recours à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché doit résulter d’évènements imprévisibles.

50      Il convient de vérifier si, dans les circonstances de la présente affaire, la Commission pouvait valablement considérer être en présence d’évènements imprévisibles susceptibles de justifier le recours à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

51      Il y a lieu de relever que le règlement financier ne contient pas de précisions permettant de déterminer ce que recouvre la notion d’« évènements imprévisibles ». Il convient de considérer que, en l’absence de telles précisions, le pouvoir adjudicateur dispose d’une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne l’appréciation de l’existence de tels évènements (voir, par analogie, arrêt du 24 avril 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑554/08, non publié, EU:T:2012:194, point 127).

52      En l’espèce, la Commission fait valoir que la situation de crise énergétique consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie constituait un évènement imprévisible. À cet égard, dans la note au dossier de la direction générale de l’énergie justifiant le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, il est fait état de ce que, à la suite de l’invasion de l’Ukraine, la Fédération de Russie s’est servie du marché de l’énergie comme d’une arme et a manipulé ledit marché. Cette situation a impliqué une réduction soudaine et significative des livraisons de gaz naturel à destination des États membres, rendant nécessaire une diversification des sources d’approvisionnement afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement en gaz de l’Union. Il est également précisé dans la note au dossier de la direction générale de l’énergie que c’est dans ce contexte que la Commission a proposé le 18 octobre 2022, sur le fondement de l’article 122 TFUE, un nouveau paquet de mesures incluant l’agrégation de la demande et les achats communs de gaz afin de faire face aux prix élevés et d’assurer la sécurité de l’approvisionnement.

53      Certes, ainsi que le fait valoir la requérante, l’invasion de l’Ukraine a eu lieu le 24 février 2022, soit environ neuf mois avant le lancement de la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché. Toutefois, ainsi que l’a relevé la Commission, la crise énergétique résultant de cette invasion ne s’est aggravée qu’au cours de l’été 2022, avec une situation caractérisée par des épisodes de prix excessifs du gaz au détriment des consommateurs et des entreprises de l’Union.

54      En ce sens, ainsi qu’il ressort du considérant 9 du règlement 2022/2576, il a été décidé de recourir à des services pour l’agrégation de la demande et les achats communs de gaz dans un contexte caractérisé par la persistance d’une situation de graves difficultés pour la sécurité de l’approvisionnement en gaz. Selon le considérant 11 dudit règlement, l’agrégation de la demande et les achats communs de gaz devaient contribuer à remplir les installations de stockage de gaz, en particulier dans l’éventualité où les stocks de gaz européens viendraient à être épuisés à la fin de l’hiver 2022/2023. Dès lors, ainsi que cela ressort du considérant 12 du règlement 2022/2576, il s’est avéré nécessaire de mettre en place dans l’urgence et à titre temporaire l’agrégation de la demande et les achats communs de gaz, notamment pour permettre de désigner rapidement un prestataire de service capable d’agréger la demande.

55      Il s’ensuit que, dans les circonstances de la présente affaire, la Commission pouvait, sans méconnaître les limites de sa marge d’appréciation, considérer que la crise énergétique persistante consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie constituait un évènement imprévisible au sens du point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier.

56      Quant aux autres arguments soulevés au soutien du premier grief, il convient de relever qu’ils ne visent pas à contester l’existence d’un évènement imprévisible duquel résulte une situation d’urgence impérieuse. En effet, par ses autres arguments, la requérante reproche en substance à la Commission d’avoir tardé à lancer la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché. Par conséquent, ces arguments, qui concernent le lien de causalité entre l’évènement imprévisible et l’urgence impérieuse qui en résulte, seront examinés dans le cadre du troisième grief, tiré de ce que la situation d’urgence impérieuse serait exclusivement imputable à la Commission.

57      Il résulte des considérations qui précèdent que le premier grief, tiré en substance de l’absence d’évènements imprévisibles, doit être écarté.

–       Sur le deuxième grief, tiré de ce que la Commission aurait dû recourir à une autre procédure de passation de marché, en particulier à la procédure ouverte d’urgence

58      La requérante soutient que, compte tenu de la nature exceptionnelle de la procédure d’appel d’offres négociée sans publication préalable d’un avis de marché, cette procédure ne peut pas être utilisée si le recours à une autre procédure prévue à l’article 164, paragraphe 1, du règlement financier est possible. Selon la requérante, pour recourir à cette procédure exceptionnelle, il doit être impossible de respecter le calendrier prévu en recourant à toute autre procédure d’urgence prévue par le règlement financier.

59      À cet égard, la requérante relève que, conformément au point 26.1, sous a), de l’annexe I du règlement financier, il existe une possibilité de recourir à une procédure ouverte d’urgence par laquelle le délai de réception des offres peut être réduit à quinze jours à compter de l’envoi de l’avis de marché. Dès lors, elle considère qu’il n’est possible de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché que dans l’éventualité où il ne serait pas possible de respecter ce délai de quinze jours.

60      En l’espèce, la requérante considère qu’en recourant à la procédure ouverte d’urgence prévue au point 26.1, sous a), de l’annexe I du règlement financier, il aurait été possible d’attribuer le marché litigieux à une date largement antérieure à la date fixée dans le calendrier de la Commission, à savoir au plus tard à la mi-janvier 2023. En ce sens, elle fait valoir que, à supposer même que la date de référence puisse être considérée comme étant celle à laquelle la procédure d’appel d’offres litigieuse a été effectivement lancée, en recourant à la procédure ouverte d’urgence, la Commission aurait pu fixer un délai de réception des offres au 15 décembre 2022, de sorte que le marché aurait pu être attribué le lendemain.

61      De plus, la requérante considère que les formalités supplémentaires occasionnées par la procédure ouverte d’urgence, telles que la publication d’un avis de marché, le délai de réception des offres, l’ouverture publique et le délai d’attente pour la signature du contrat, n’auraient pas occasionné de retards importants pour le commencement de l’exécution des prestations de services par le soumissionnaire retenu.

62      En outre, la requérante considère que le risque de participation d’un nombre élevé de participants à une procédure ouverte d’urgence aurait été limité, au motif que le marché portait sur un type de services spécialisé qui ne pouvait être fourni par un grand nombre d’entreprises. De surcroît, avec un délai de quinze jours pour la réception des offres, certaines entreprises n’auraient probablement pas été en mesure de déposer une offre dans le délai imparti. En ce sens, la requérante relève que, dans le cas d’espèce, seulement deux des huit opérateurs invités à soumissionner ont déposé une offre.

63      La Commission conteste cette argumentation.

64      À cet égard, il ressort du point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier que le pouvoir adjudicateur peut recourir à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché lorsque l’urgence impérieuse résultant d’évènements imprévisibles n’est pas compatible avec les délais prévus aux points 24, 26 et 41 de ladite annexe du règlement financier.

65      Selon la Commission, dans le contexte de crise énergétique persistante, l’agrégation de la demande et les achats communs de gaz constituaient une mesure prise dans une situation d’urgence impérieuse, nécessaire pour, d’une part, éviter la survenance d’une nouvelle crise aigüe pour l’approvisionnement en gaz pour l’hiver 2023/2024 et, d’autre part, prévenir les prix excessifs du gaz consécutifs à l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie et la pénurie d’énergie qui en découlait.

66      En l’espèce, le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché a été justifié dans la note au dossier de la direction générale de l’énergie par « le calendrier extrêmement serré » découlant de la nécessité que l’outil informatique soit pleinement opérationnel au plus tard à la fin du mois de mars 2023. Afin d’atteindre cet objectif, il ressort de ladite note que, pour assurer efficacement le remplissage des installations de stockage de gaz pour l’hiver 2023/2024 et pour renforcer la sécurité de l’approvisionnement en gaz de l’Union, les services d’agrégation de la demande et d’achats communs de gaz devaient être pleinement opérationnels au plus tard à la fin du premier trimestre de l’année 2023, de façon à pouvoir être utilisés pour passer les premiers appels d’offres dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union au cours du deuxième trimestre de l’année 2023. En ce sens, dans son mémoire en défense, la Commission a précisé que la saison de remplissage des installations de stockage dans le secteur couvrait la période allant d’avril à octobre, lorsque les opérateurs du marché effectuaient des injections nettes de volumes de gaz dans des installations de stockage afin de constituer des réserves d’approvisionnement qui pouvaient être utilisées lors de la période hivernale.

67      Or, ainsi que cela ressort de la note au dossier de la direction générale de l’énergie, dès lors qu’une durée comprise entre deux et trois mois était nécessaire pour le développement de l’outil informatique du mécanisme de l’agrégation de la demande et des achats communs de gaz, la Commission a estimé que le contrat de prestation de services devait être signé à la fin du mois de janvier 2023 au plus tard. Dans cette perspective, selon la planification initialement envisagée dans ladite note et ainsi que cela ressort des spécifications techniques du cahier des charges annexées à la requête, la Commission avait pour objectif de signer le contrat et de débuter les prestations dès la deuxième semaine du mois de janvier 2023. À cet égard, dans son mémoire en défense, la Commission a souligné les effets négatifs de tout retard éventuel dans le commencement effectif de la prestation des services du marché en cause. En particulier, elle a mis en évidence le fait qu’un éventuel retard serait de nature à compromettre gravement les effets positifs de l’agrégation de la demande de gaz, en concentrant la demande sur une période plus courte, ce qui se traduirait par une pression à la hausse sur les prix.

68      Ainsi, il y a lieu de constater que le calendrier prévu par la Commission pour le déroulement de la procédure d’appel d’offres litigieuse a été élaboré en tenant compte d’éléments objectifs, à savoir les modalités de fonctionnement des marchés de l’énergie ainsi que la nécessité d’accorder un temps suffisant au prestataire de services pour lui permettre de développer l’outil informatique permettant l’agrégation de la demande et les achats communs de gaz.

69      Il convient ensuite d’examiner la justification de la Commission selon laquelle, aux fins de l’attribution du marché en cause et de la conclusion du contrat avec le soumissionnaire retenu au cours de la deuxième semaine du mois de janvier 2023, elle n’aurait pas pu recourir à une procédure ouverte en application du délai d’urgence prévu au point 26.1, sous a), de l’annexe I du règlement financier.

70      Selon le point 26.1, sous a), de l’annexe I du règlement financier, dans le cadre d’une procédure ouverte, en cas d’urgence dûment motivée rendant inapplicable le délai minimal de réception des offres de 37 jours à compter du jour suivant l’envoi de l’avis de marché prévu au point 24.2 de ladite annexe, le pouvoir adjudicateur peut fixer un délai de réception des offres qui n’est pas inférieur à 15 jours à compter de la date d’envoi de l’avis de marché.

71      En outre, il ressort d’une lecture combinée de l’article 175, paragraphe 2, du règlement financier avec le point 35.1, sous a), de l’annexe I du règlement financier que le pouvoir adjudicateur est tenu de respecter un délai d’attente qui débute le lendemain de la date de l’envoi simultané, par voie électronique, des notifications aux attributaires et aux soumissionnaires évincés. Conformément à l’article 175, paragraphe 3, du règlement financier, ce délai d’attente est de dix jours lorsque des moyens électroniques sont utilisés, étant précisé que ce délai est de quinze jours lorsque d’autres moyens sont utilisés. À cet égard, il y a lieu de relever que le point 35.2 de l’annexe I du règlement financier ne prévoit pas de dérogation à l’obligation de respecter ce délai d’attente lorsque, dans une procédure ouverte, il est fait application du délai d’urgence prévu au point 26.1, sous a), de ladite annexe.

72      Il s’ensuit que, lorsque le pouvoir adjudicateur recourt à une procédure ouverte dans une situation d’urgence dûment justifiée, il lui revient de respecter non seulement un délai minimal de 15 jours pour la réception des offres, mais également un délai de 10 jours au titre de la période d’attente, soit une durée minimale de 25 jours calendaires.

73      De plus, pour déterminer s’il est possible de respecter les délais d’une procédure dans laquelle il est fait application du délai en cas d’urgence, outre cette durée minimale, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, il convient également de tenir compte de l’obligation d’organiser une session d’ouverture des offres à laquelle les représentants autorisés des soumissionnaires peuvent participer, conformément au point 28.1 de l’annexe I du règlement financier. Ainsi que cela ressort du point 28.2 de ladite annexe, pour les marchés d’un montant égal ou supérieur aux seuils visés à l’article 175, paragraphe 1, du règlement financier, l’ordonnateur compétent nomme une commission d’ouverture des offres et il n’est possible de déroger à cette obligation que sur la base d’une analyse de risque lors de la remise en concurrence au titre d’un contrat-cadre et dans les cas visés au point 11.1, second alinéa, de l’annexe I du règlement financier, à l’exception du point 11.1, second alinéa, sous d) et g), de ladite annexe. Il en résulte que, pour le marché en cause dans la présente affaire, dont le montant est supérieur aux seuils visés à l’article 175, paragraphe 1, du règlement financier, l’organisation d’une commission d’ouverture des offres à laquelle les représentants des soumissionnaires autorisés peuvent participer est obligatoire pour une procédure ouverte, y compris dans l’hypothèse où il serait fait application du délai d’urgence prévu au point 26.1, sous a), de l’annexe I du règlement financier. Par conséquent, le processus d’évaluation des offres ne pouvait débuter avant que ne soit organisée une session d’ouverture desdites offres par une commission d’ouverture des offres.

74      De surcroît, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, lorsque le pouvoir adjudicateur évalue si le délai d’une procédure ouverte dans laquelle il serait fait application du délai en cas d’urgence est compatible avec l’urgence impérieuse résultant d’un évènement imprévisible, il doit également tenir compte de la durée nécessaire pour évaluer les offres. Pour estimer la durée prévisible du processus d’évaluation des offres, lorsque l’offre économiquement la plus avantageuse est déterminée en application de la méthode d’attribution du meilleur rapport qualité-prix au sens de l’article 167, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement financier, le pouvoir adjudicateur peut, notamment, prendre en considération le caractère technique du marché en cause, en particulier les exigences relatives à l’offre technique ainsi que le nombre de soumissionnaires susceptibles de déposer une offre.

75      En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que la Commission a décidé de déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse en application de la méthode d’attribution du meilleur rapport qualité-prix. En effet, il ressort du point 3.5 des spécifications techniques du cahier des charges que la détermination du rapport qualité-prix se fait sur la base d’une évaluation financière, comptant pour 30 % de la note, et d’une évaluation technique, comptant pour 70 % de cette note.

76      Il y a lieu de constater que l’évaluation de la qualité de l’offre devait être effectuée en tenant compte de plusieurs critères techniques. Un premier critère, subdivisé en deux sous-critères, visait à évaluer la qualité de la mise en œuvre des services proposés (sur 40 points), un deuxième critère, subdivisé en cinq sous-critères, visait à évaluer l’efficacité et l’efficience du processus opérationnel proposé (sur 50 points) et un troisième critère visait à évaluer la qualité de la sécurité du système d’information, notamment en matière de protection des données et de sécurité informatique (sur 10 points).

77      Il ressort de la note au dossier de la direction générale de l’énergie et des spécifications techniques du cahier des charges que le marché en cause revêtait un caractère techniquement complexe. En particulier, il convient de relever que, compte tenu du caractère technique des services pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union, à la section 5 de ladite note, relative aux documents de marché, il était prévu que le EU Energy Platform Industry Advisory Group (Comité consultatif de l’industrie pour la plateforme énergétique de l’Union) soit consulté sur la partie technique du contrat de services, afin de s’assurer de sa conformité avec les meilleures pratiques du secteur en ce qui concernait le mécanisme d’agrégation de la demande et les appels d’offres pour les achats communs de gaz. De même, il ressort de l’annexe V de la note au dossier de la direction générale de l’énergie que l’intervention de ce comité était également envisagée pour faire des observations sur la description de l’outil informatique ainsi que sur l’étendue des travaux devant être réalisés par le prestataire de services.

78      En outre, il convient de relever que, au point 1.4.2 des spécifications techniques du cahier des charges, relatives au contenu de l’offre, il était exigé que l’offre technique fournisse toutes les informations nécessaires pour évaluer sa conformité avec les tâches liées à l’objet du marché litigieux et au calendrier prévisionnel ainsi qu’avec les critères d’attribution. À cet égard, il y a lieu de constater qu’au point 1.4.2 des spécifications techniques étaient énumérées quatre tâches principales, à savoir la réalisation d’une étude de cadrage, le développement du processus d’agrégation de la demande et du processus d’appel d’offres pour les achats communs de gaz, la fourniture d’un accès à l’outil informatique pour l’agrégation de la demande et les achats communs de gaz, son exploitation et sa maintenance ainsi que la mise en œuvre des services d’agrégation de la demande et d’achats communs de gaz.

79      De plus, il ressort de l’analyse de marché effectuée dans la note au dossier de la direction générale de l’énergie que 41 opérateurs économiques avaient été inclus dans le périmètre initial des opérateurs susceptibles de fournir les services pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union. Dès lors, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, au lieu des 8 opérateurs qui ont été invités à soumissionner dans le cadre de la procédure d’appel d’offres litigieuse, le recours à une procédure ouverte aurait permis la participation de ces 41 opérateurs, avec la possibilité que des offres soient également déposées par d’autres opérateurs intéressés qui n’avaient pas été préalablement identifiés dans l’analyse de marché.

80      Ainsi, la requérante ne saurait faire valoir que le recours à une procédure ouverte n’aurait pas impliqué un nombre probablement plus élevé de participants, au motif qu’il s’agissait d’un marché très spécialisé et en raison du délai d’urgence applicable dans une telle procédure, ce qui serait confirmé par le fait que seul 2 des 8 opérateurs invités à soumissionner dans la procédure d’appel d’offres litigieuse ont déposé une offre. En effet, la Commission pouvait valablement considérer qu’il était probable que, avec le recours à une procédure ouverte, le nombre de participants à la procédure fût plus élevé, dans la mesure où elle pouvait estimer qu’à tout le moins une partie des 41 opérateurs économiques identifiés comme étant susceptibles de fournir les services demandés seraient intéressés par une participation à la procédure d’appel d’offres litigieuse tout comme d’autres opérateurs intéressés, à l’instar de la requérante, qui n’avaient pas été identifiés comme étant susceptibles de fournir de tels services. À cet égard, la circonstance selon laquelle, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres litigieuse, seules deux offres ont été soumises, alors que 8 opérateurs avaient été invités à soumissionner, ne saurait suffire pour considérer que, lorsqu’il a été décidé de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, la Commission a erronément surévalué le nombre de soumissionnaires susceptibles de déposer une offre.

81      Il convient de relever qu’il ressort de la note au dossier de la direction générale de l’énergie qu’une période d’environ 50 jours avait été planifiée entre le lancement de la procédure envisagée le 24 novembre 2022 et la signature du contrat ainsi que le début des prestations de services le 12 janvier 2023.

82      Il s’ensuit que, eu égard au nombre probablement élevé de participants à une procédure ouverte et compte tenu des critères techniques d’attribution retenus pour évaluer la qualité des offres techniques, du caractère techniquement complexe du marché en cause, des exigences techniques relatives à l’offre de chaque soumissionnaire, de la durée prévisible du processus d’évaluation des offres et du respect du délai d’attente, la Commission pouvait valablement considérer que le recours à une procédure ouverte ne pouvait assurer le respect du calendrier prévisionnel envisagé.

83      Ainsi, il y a lieu de considérer que la Commission a valablement justifié que l’urgence impérieuse résultant d’un évènement imprévisible n’était pas compatible avec les délais d’une procédure d’urgence dans laquelle il aurait été fait application du délai d’urgence prévu au point 26.1, sous a), de l’annexe I du règlement financier.

84      Par ailleurs, il convient de relever que de tels délais sont plus brefs que ceux d’une procédure restreinte dans le cadre de laquelle il serait fait application des délais en cas d’urgence prévus au point 26.1 de l’annexe I du règlement financier. Ils sont également plus brefs que ceux d’une procédure concurrentielle avec négociation prévus aux points 24.3 et 24.4 de ladite annexe et pour lesquels il n’existe pas de délais en cas d’urgence. Par conséquent, la Commission pouvait valablement considérer que la situation d’urgence impérieuse était incompatible avec les délais prévus aux points 24 et 26 de l’annexe I du règlement financier.

85      Il s’ensuit que le deuxième grief, tiré de ce que la Commission aurait dû recourir à une autre procédure de passation de marché, doit être écarté.

–       Sur le troisième grief, tiré de ce que l’urgence impérieuse est imputable à la Commission

86      La requérante soutient que la situation d’urgence est imputable à la Commission pour trois raisons. Premièrement, la Commission aurait tardé à engager la procédure de passation du marché en cause, alors que, dans la communication REPowerEU, figurait déjà une proposition de création d’une plateforme énergétique de l’Union.

87      Deuxièmement, la requérante relève que, dans la proposition de règlement du 18 octobre 2022, la Commission a constaté la nécessité d’engager un prestataire de services pour les besoins du processus d’agrégation de la demande et des achats communs de gaz. Or, la Commission aurait lancé la procédure d’appel d’offres litigieuse plusieurs semaines après la soumission de ladite proposition.

88      Troisièmement, la procédure d’appel d’offres litigieuse aurait été lancée une semaine après l’obtention, le 24 novembre 2022, d’un accord de principe du Conseil sur le projet de règlement présenté le 18 octobre 2022.

89      La Commission conteste cette argumentation.

90      À cet égard, il ressort du point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier que, pour recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, les circonstances justifiant l’urgence impérieuse ne doivent pas être imputables au pouvoir adjudicateur.

91      Il en résulte que, dans l’hypothèse où le pouvoir adjudicateur aurait indûment tardé à lancer la procédure d’appel d’offres, la situation d’urgence impérieuse lui serait à tout le moins en partie imputable, de sorte que le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché serait exclu (voir, par analogie, arrêt du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑275/08, non publié, EU:C:2009:632, point 72).

92      Il convient de vérifier si la Commission a indûment tardé à lancer la procédure d’appel d’offres litigieuse en l’espèce, de sorte que le lien de causalité entre l’évènement imprévisible et l’urgence impérieuse serait rompu.

93      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la décision de recourir à des services pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union intervient dans un contexte de crise énergétique consécutive à un conflit armé et caractérisée par la persistance de graves difficultés pour la sécurité de l’approvisionnement en gaz.

94      En premier lieu, il convient de relever que le règlement 2022/2576, qui prévoit le recours à un prestataire pour les services d’agrégation de la demande et d’achats communs de gaz, a été adopté sur le fondement de l’article 122, paragraphe 1, TFUE. Or, il ressort du libellé de cette disposition que la Commission ne dispose que d’un pouvoir de proposition et que c’est au Conseil qu’il revient de décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l’énergie.

95      Ainsi, dès lors que la Commission ne disposait pas, dans un contexte de crise énergétique, du pouvoir de décider de la mise en place de services pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union, la requérante ne saurait lui reprocher de ne pas avoir lancé la procédure d’appel d’offres litigieuse à la suite de la publication de la communication REPowerEU en invoquant le fait qu’elle avait connaissance de ce qu’un tel mécanisme pouvait être utile dans le contexte de la crise énergétique. En effet, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, cette communication ne saurait constituer une base juridique suffisante pour lui permettre de lancer un appel d’offres, et ce d’autant plus que, à cette date, les objectifs de l’agrégation de la demande de gaz n’avaient pas été clairement définis.

96      En deuxième lieu, ainsi que le soutient à juste titre la Commission, il aurait été prématuré qu’elle lance la procédure d’appel d’offres litigieuse avant que le texte de sa proposition, présentée le 18 octobre 2022, n’ait fait l’objet d’un accord politique du Conseil sur une version suffisamment stabilisée. En effet, comme le souligne la Commission, jusqu’à l’obtention d’un tel accord, lequel est intervenu le 24 novembre 2022, le Conseil pouvait, notamment, décider d’apporter des modifications substantielles qui auraient affecté les éléments livrables requis dans l’appel d’offres.

97      À cet égard, il convient de relever que les critères de sélection de l’appel d’offres en cause ainsi que les tâches confiées au prestataire de services, lesquels figurent respectivement à l’article 6 et à l’article 7 du règlement 2022/2576, faisaient partie des éléments susceptibles d’être modifiés dans le cadre du processus d’adoption dudit règlement.

98      Or, il ressort de la note au dossier de la direction générale de l’énergie que, dans la mesure où le critère de sélection relatif à l’exigence d’une expérience dans les opérations transfrontières était toujours en cours de discussion, il était prévu que la présélection finale des soumissionnaires serait formalisée dans un acte ultérieur qui serait préparé et signé une fois que la proposition de règlement aurait été adoptée par le Conseil.

99      En outre, il y a lieu de constater qu’il ressort des éléments du dossier que la tâche du prestataire de services consistant à répartir les droits d’accès en matière de fourniture de gaz, prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2022/2576, a évolué au cours de la procédure d’adoption de ce règlement. En effet, s’agissant de cette tâche, dans la note au dossier de la direction générale de l’énergie, laquelle se fondait en ce qui concernait les tâches confiées au prestataire sur la version du projet de règlement du 31 octobre 2022, il était uniquement prévu que le prestataire de service « répartisse les droits d’accès en matière de fourniture ». Or, dans la version définitive du règlement 2022/2576 ainsi que dans les spécifications techniques du cahier des charges, cette tâche a fait l’objet de précisions importantes à l’article 7, paragraphe 1, sous c), de ce règlement.

100    Ainsi, dès lors que des modifications, le cas échéant substantielles, étaient susceptibles d’être apportées par le Conseil au cours de l’adoption du règlement 2022/2576 en ce qui concernait les critères de sélection ou en confiant au prestataire de services des tâches additionnelles non prévues dans la proposition de règlement du 18 octobre 2022, c’est à juste titre que la Commission a décidé de ne pas lancer la procédure d’appel d’offres litigieuse avant d’avoir obtenu un accord politique sur une version suffisamment stabilisée du règlement en cours d’adoption. En effet, dans l’éventualité où des modifications substantielles auraient été apportées aux critères de sélection ou aux tâches confiées au prestataire, il aurait été nécessaire d’apporter des modifications importantes aux documents de marché. Or, dans l’éventualité où de telles modifications auraient été apportées aux documents de marché au cours de la phase de soumission des offres, conformément au point 25.3, sous b), de l’annexe I du règlement financier, la Commission aurait été tenue de prolonger le délai de réception des offres. En outre, dans l’éventualité où de telles modifications auraient été apportées après la date de dépôt des offres, celles-ci n’auraient plus été en adéquation au regard des conditions prévues dans le cahier des charges, de sorte qu’il ne saurait être exclu que la Commission ait dû relancer la procédure.

101    Par conséquent, la requérante ne saurait reprocher à la Commission d’avoir tardé à lancer la procédure d’appel d’offres litigieuse au motif qu’elle aurait indûment attendu que le Conseil marque son accord sur une version suffisamment stabilisée de sa proposition de règlement du 18 octobre 2022.

102    En troisième lieu, quant au fait que la procédure d’appel d’offres litigieuse n’a été lancée qu’une semaine après qu’une version suffisamment stabilisée du texte du projet de règlement avait fait l’objet d’un accord politique de la part du Conseil, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il y a lieu de considérer qu’une telle durée n’est pas déraisonnable pour permettre à la Commission de suivre les étapes nécessaires pour lancer la procédure. En tout état de cause, ainsi que cela ressort de l’examen du deuxième grief ci-dessus, même en lançant la procédure d’appel d’offres le 24 novembre 2022, comme cela était prévu dans la planification initiale figurant dans la note au dossier de la direction générale de l’énergie, la Commission pouvait, sans méconnaître les limites de son pouvoir d’appréciation, considérer que les délais en cas d’urgence d’une procédure ouverte n’étaient pas compatibles avec la situation d’urgence impérieuse.

103    En quatrième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante exposé dans le cadre du premier grief (voir point 47 ci-dessus), selon lequel, en substance, il ne saurait y avoir d’urgence impérieuse résultant d’un évènement imprévisible lorsque l’attribution du marché est soumise à un calendrier spécifique décidé par le pouvoir adjudicateur, il y a lieu de relever que celui-ci repose sur une analogie avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 2 juin 2005, Commission/Grèce (C‑394/02, EU:C:2005:336). Certes, dans cet arrêt, la Cour a jugé que la nécessité d’effectuer des travaux dans les délais imposés par une autorité compétente pour l’évaluation des risques des incidences d’un projet sur l’environnement ne saurait être considérée comme une urgence impérieuse résultant d’un évènement imprévisible, au motif que le fait qu’une autorité de tutelle fixe un délai constitue un élément prévisible de la procédure d’approbation du projet (points 42 et 43 dudit arrêt). Toutefois, force est de constater que le contexte de cette affaire ne saurait être comparé à celui du cas d’espèce. En effet, l’affaire invoquée par la requérante concernait un marché qui avait été conclu en dehors de tout contexte de crise imprévisible par le pouvoir adjudicateur.

104    Or, dans le cas d’espèce, le marché en cause est considéré, dans un contexte de crise énergétique persistante consécutive à un conflit armé, comme un élément nécessaire pour éviter la survenance d’une nouvelle crise aigüe pour l’approvisionnement en gaz pour l’hiver 2023/2024 et pour prévenir les prix excessifs du gaz consécutifs à l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie et la pénurie d’énergie qui en découle. Dès lors, dans les circonstances de la présente affaire, le fait que le calendrier de la procédure d’appel d’offres ait été élaboré par la Commission ne saurait faire obstacle au constat d’un évènement imprévisible duquel résulte l’urgence impérieuse au sens du point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier. De surcroît, ainsi que cela ressort des points 66 à 68 ci-dessus, ledit calendrier a été élaboré sur la base d’éléments objectifs, en tenant compte des modalités de fonctionnement du marché de l’énergie pour assurer l’approvisionnement en gaz ainsi que du temps nécessaire au prestataire de services à sélectionner pour développer l’outil informatique pour l’agrégation de la demande et les achats communs de gaz.

105    En cinquième lieu, la requérante ne saurait se fonder sur l’arrêt du 2 août 1993, Commission/Italie (C‑107/92, EU:C:1993:344), pour faire valoir, en substance, que le pouvoir adjudicateur était tenu de lancer une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché dès qu’il a pris connaissance de la nécessité des travaux ou des services justifiant le recours à une telle procédure. En effet, au point 13 de cet arrêt, la Cour a uniquement constaté qu’il aurait été possible pour le pouvoir adjudicateur de respecter les délais d’une procédure accélérée prévus par la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1971, L 185, p. 5).

106    De même, pour établir que la Commission a tardé à lancer la procédure d’appel d’offres litigieuse, la requérante ne saurait se fonder sur l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne (C‑275/08, non publié, EU:C:2009:632). En effet, l’objet du marché en cause et les circonstances de cette affaire ne sauraient être comparés au cas d’espèce. D’une part, alors que le cas d’espèce concerne un marché considéré comme étant nécessaire pour surmonter une crise énergétique résultant d’un conflit armé caractérisé par la persistance de graves difficultés pour la sécurité des approvisionnements en gaz, celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne (C‑275/08, non publié, EU:C:2009:632), concernait le remplacement d’un logiciel nécessaire pour la gestion courante d’une administration chargée de la gestion des immatriculations de véhicules automobiles. D’autre part, dans cette affaire, le pouvoir adjudicateur pouvait, ainsi que cela ressort du point 9 dudit arrêt, prendre les décisions concernant le remplacement des logiciels utilisés pour l’immatriculation des véhicules automobiles sur le fondement d’une base législative. Or, ainsi que cela ressort du point 94 ci-dessus, la Commission ne dispose pas d’une compétence pour décider de la mise en place de services pour l’organisation de l’agrégation de la demande de gaz et d’appels d’offres pour le gaz dans le cadre d’une plateforme énergétique de l’Union.

107    Il résulte des considérations qui précèdent que le troisième grief, tiré de ce que la situation d’urgence est imputable à la Commission, doit être écarté.

–       Sur le quatrième grief, tiré de ce que la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché n’est pas de nature à répondre à une pénurie d’approvisionnement immédiate

108    La requérante fait valoir que les objectifs de la plateforme énergétique de l’Union ne seraient pas compromis ni leur réalisation exclue si une procédure de passation autre que la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché avait été appliquée. Selon la requérante, il n’existait pas de problème d’approvisionnement soudain et immédiat que la Commission était tenue de résoudre en sélectionnant un prestataire de services disponible par la voie de cette procédure. La requérante considère qu’il ressort de la jurisprudence que la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché ne peut pas être utilisée dans le seul but d’assurer la sécurité des approvisionnements en vue de prévenir de futures pénuries, mais uniquement pour des cas de pénuries effectivement déclarées.

109    La Commission conteste cette argumentation.

110    À cet égard, il convient de relever qu’aucune des conditions prévues au point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier ne saurait être interprétée comme limitant le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché aux seuls cas dans lesquels la passation de marché vise à pallier une pénurie d’approvisionnement immédiate.

111    En l’espèce, il convient de rappeler que le recours à des services pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union a été décidé dans un contexte de crise énergétique caractérisée par la persistance d’une situation de graves difficultés pour la sécurité de l’approvisionnement en gaz. En outre, le recours auxdits services a été jugé nécessaire pour éviter la survenance d’une nouvelle crise aigüe pour l’approvisionnement en gaz pour l’hiver 2023/2024. Comme le souligne à juste titre la Commission, la possibilité de recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché ne saurait être écartée au seul motif qu’une mesure, qui doit être adoptée et mise en œuvre sans attendre, a pour objectif d’éviter une aggravation de la crise énergétique à l’avenir. En effet, dans le cas contraire, dans une situation de crise énergétique en cours, lorsque les besoins des pouvoirs adjudicateurs ne peuvent pas être satisfaits, comme en l’espèce, avec une solution immédiatement disponible, ces derniers seraient privés de la possibilité de mettre en œuvre en temps voulu des mesures qu’ils estiment appropriées pour éviter l’aggravation prévisible de ladite crise.

112    Il y a lieu de constater que la requérante ne saurait se fonder sur l’arrêt du 3 mai 1994, Commission/Espagne (C‑328/92, EU:C:1994:178), pour faire valoir que la Commission ne pouvait pas recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché au motif que la pénurie de gaz n’était pas effective. En effet, force est de constater que la mesure et le contexte en cause dans cette affaire ne sauraient être comparés au cas d’espèce. En l’espèce, les services pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union ont été mis en place dans un contexte de crise énergétique persistante. Or, tel n’était pas le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 mai 1994, Commission/Espagne (C‑328/92, EU:C:1994:178). En outre, dans le cas d’espèce, le Tribunal n’est pas saisi d’une mesure visant à autoriser les institutions de l’Union à recourir de manière systématique à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché pour tous les marchés concernés par la crise énergétique. En effet, dans le cas d’espèce, le Tribunal est uniquement saisi de la procédure relative à la sélection du prestataire de services pour l’organisation de l’agrégation de la demande et des appels d’offres pour le gaz dans le cadre de la plateforme énergétique de l’Union, lequel, pour les raisons invoquées par la Commission, exposées aux points 66 et 67 ci-dessus, devait être sélectionné dans les meilleurs délais afin que les services soient pleinement opérationnels en temps voulu.

113    Il s’ensuit que le quatrième grief, tiré de ce que la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché n’est pas de nature à répondre à une pénurie d’approvisionnement immédiate, doit être écarté.

114    Partant, il convient de rejeter le premier moyen tiré d’une violation de l’article 164, paragraphe 5, sous f), et du point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des principes de transparence et d’égalité de traitement

115    La requérante fait valoir que la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, qui relève de l’article 160 du règlement financier, n’est pas exonérée de l’application des principes de transparence et d’égalité de traitement. Si la requérante reconnaît que la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché implique par définition une dérogation aux principes de transparence et d’égalité de traitement, l’urgence impérieuse ne justifie toutefois une limitation de ces principes que dans une certaine mesure.

116    Selon la requérante, le principe d’égalité de traitement devrait être respecté à tous les stades de la procédure d’attribution d’un marché public et ce principe, applicable à la sélection des candidats dans une procédure restreinte, devrait être appliqué de la même manière à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

117    La requérante considère qu’une consultation préliminaire du marché aurait permis d’assurer le respect des principes de transparence et d’égalité de traitement, et ce d’autant plus que l’article 166 du règlement financier permet au pouvoir adjudicateur de procéder à une consultation du marché. En l’espèce, dans la mesure où une telle étude de marché n’a pas été réalisée, la requérante considère qu’elle n’a pas été invitée à soumissionner, alors qu’elle disposait de toutes les compétences requises pour prester les services décrits à l’article 7 du règlement 2022/2576. Dès lors, la requérante considère que la sélection des entreprises invitées à soumissionner a été arbitraire.

118    La Commission conteste cette argumentation.

119    En ce qui concerne le principe de transparence, il convient de rappeler que, lorsqu’une dérogation aux textes relatifs aux marchés publics est expressément autorisée, que les conditions de cette dérogation sont remplies et qu’une procédure négociée sans publication préalable d’un avis d’adjudication est donc justifiée, il ne saurait exister d’obligation de publicité. Dès lors, les principes qui découlent du traité ne sauraient imposer une obligation de publicité, lorsque les textes applicables prévoient expressément une dérogation, sinon cette dérogation serait inutile (arrêt du 14 juillet 2016, Alesa/Commission, T‑99/14, non publié, EU:T:2016:413, point 69 ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 mai 2010, Allemagne/Commission, T‑258/06, EU:T:2010:214, point 141).

120    Pour les mêmes raisons, lorsque le pouvoir adjudicateur a valablement établi que les conditions pour recourir à la procédure négociée sans publication préalable étaient remplies, il ne saurait lui être reproché d’avoir méconnu le principe d’égalité de traitement en ce que certaines entreprises opérant sur le marché concerné par cette procédure n’ont pas été invitées à soumissionner.

121    Il s’ensuit que la requérante ne saurait faire valoir que le principe d’égalité de traitement devait être respecté à tous les stades de la procédure d’attribution du marché en cause dans la procédure d’appel d’offres litigieuse. À cet égard, il y a lieu de relever que cette affirmation de la requérante ne trouve aucun soutien dans la jurisprudence qu’elle invoque.

122    S’agissant de l’arrêt du 7 juin 2017, Blaž Jamnik et Blaž/Parlement (T‑726/15, EU:T:2017:376), force est de constater que celui-ci concernait une procédure et un contexte différents du cas d’espèce, dans la mesure où était en cause une procédure négociée sans publication préalable concernant un marché immobilier à laquelle la partie requérante avait participé. En outre, contrairement à ce que fait valoir la requérante, le Tribunal n’a pas jugé que les principes de transparence et d’égalité de traitement devaient être appliqués aux procédures négociées sans publication préalable d’un avis de marché. En effet, le Tribunal a uniquement considéré que la phase de prospection du marché local, et non la procédure négociée en tant que telle, permettait au pouvoir adjudicateur de mieux préparer les négociations éventuelles dans le respect des principes de transparence, d’égalité de traitement et de non-discrimination.

123    Quant aux arrêts du 5 octobre 2000, Commission/France (C‑16/98, EU:C:2000:541), et du 12 novembre 2009, Commission/Grèce (C‑199/07, EU:C:2009:693), force est de constater que les affaires ayant donné lieu auxdits arrêts ne concernaient pas le recours à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

124    En outre, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, il convient de relever que le point 11.1, second alinéa, sous c), de l’annexe I du règlement financier n’exige pas que le pouvoir adjudicateur effectue, avant le lancement de la procédure, une consultation préliminaire du marché ou une étude de marché afin de de déterminer les opérateurs économiques qui seront invités à soumissionner. En effet, une telle exigence figure uniquement au point 11.1, second alinéa, sous g), de ladite annexe pour les marchés immobiliers, domaine qui n’est pas en cause en l’espèce.

125    En tout état de cause, ainsi que cela ressort de la section 4 de la note au dossier de la direction générale de l’énergie, la Commission avait défini un périmètre initial comprenant 41 opérateurs capables de fournir les services du marché en cause en effectuant une analyse de marché fondée sur les listes figurant sur le portail REMIT de l’ACER. Pour définir ce périmètre, la Commission s’était fondée sur la liste des bourses de l’énergie et sur la liste des places de marché attribuant des capacités d’infrastructure gazière transfrontières dans l’Union. En outre, elle avait consulté l’ACER pour inclure dans le périmètre initial la plateforme RBP de FGSZ Földgázszállító. Or, force est de constater que la requérante ne figurait pas sur la liste des bourses de l’énergie ni sur celle des places de marché attribuant des capacités d’infrastructure gazière transfrontières dans l’Union. Ainsi, dès lors que la Commission avait défini un périmètre initial des opérateurs capables de fournir les services du marché en cause sur la base de données objectives, il ne saurait lui être reproché d’avoir sélectionné les opérateurs invités à soumissionner sans avoir préalablement effectué une analyse de marché.

126    Il résulte des considérations qui précèdent que le deuxième moyen, tiré d’une violation des principes de transparence et d’égalité de traitement, doit être rejeté.

127    Partant, il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

128    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, y compris les dépens afférents à la procédure de référé, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Enmacc GmbH est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.



Spielmann

Mastroianni

Brkan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.