Language of document : ECLI:EU:T:2010:13

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

14 janvier 2010 (*)

« Intervention – Recouvrement ‘a posteriori’ de droits à l’importation – Produits textiles déclarés comme originaires de la Jamaïque – Absence d’intérêt direct et actuel à la solution du litige – Rejet »

Dans l’affaire T‑38/09,

El Corte Inglés SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes P. Muñiz et M. Baz, avocats,

partie requérante,

soutenue par

Åhléns AB, établie à Stockholm (Suède), représentée par Mes P. Fohlin et U. Käll, avocats,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par M. G. Valero Jordana et Mme L. Bouyon, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet l’annulation de la décision de la Commission C (2008) 6317 final (dossier REM 03/07), du 3 novembre 2008, constatant, d’une part, qu’il y a lieu de procéder au recouvrement « a posteriori » des droits à l’importation non exigés à la requérante et, d’autre part, que la remise de ces droits n’est pas justifiée par une situation particulière, concernant l’importation de produits textiles déclarés comme originaires de la Jamaïque,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras, président, M. Prek et V. M. Ciucă (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        El Corte Inglés SA (ci-après « la requérante ») importait, depuis 2001, en vertu du chapitre 61 du règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 256, p. 1), des produits textiles originaires de la Jamaïque, notamment en provenance de Gloucester Industrial Ltd.

2        Ces importations de produits textiles en provenance de la Jamaïque bénéficiaient d’un régime tarifaire préférentiel prévu par l’accord de partenariat entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, signé à Cotonou le 23 juin 2000 (ci-après « accord de Cotonou » ; JO L 317, p. 3).

3        Conformément au Protocole I de l’annexe V de l’accord de Cotonou, les produits textiles en question originaires de Jamaïque étaient admis à l’importation dans la Communauté en exemption de droits à l’importation, sur présentation d’un certificat d’origine des marchandises EUR.1, délivré par les autorités jamaïcaines compétentes.

4        À la suite d’une enquête et d’une inspection en mars 2005, l’Office européen de lutte antifraude a conclu que les certificats d’origine ne remplissaient pas les conditions établies par l’accord de Cotonou et que les produits textiles en question ne pouvaient donc pas bénéficier du traitement préférentiel de l’exemption de droits à l’importation. Les certificats EUR.1 relatifs aux produits textiles concernés par l’enquête et délivrés entre le 1er janvier 2002 et le 30 décembre 2004 ont été, par conséquent, invalidés.

5        En conséquence, les autorités espagnoles ont engagé le recouvrement « a posteriori » du montant des droits à l’importation à l’égard des produits textiles importés par la requérante. La requérante a dès lors demandé la remise de ces droits, invoquant l’existence d’une situation particulière au sens de l’article 239 du règlement (CEE) n° 2913/92 Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1).

6        Par la décision C (2008) 6317 final (dossier REM 03/07), du 3 novembre 2008 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a constaté, en premier lieu, qu’il y avait lieu de procéder au recouvrement « a posteriori » des droits à l’importation non exigés à la requérante, et, en deuxième lieu, que la requérante ne se trouvait pas dans une situation particulière et a rejeté sa demande de remise des droits à l’importation.

 Procédure

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 janvier 2009, la requérante a introduit le présent recours.

8        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 avril 2009, Afasia a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la requérante.

9        Cette demande en intervention a été signifiée aux parties, conformément à l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

10      La Commission a soulevé des objections à l’encontre de la demande en intervention d’Afasia, par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 juin 2009.

 Sur la demande d’intervention

 Arguments des parties

11      Afasia fait valoir qu’elle a vendu les produits textiles en cause à la requérante. Le contrat de vente conclu avec la requérante aurait été basé sur l’état des produits textiles en tant que produits d’origine jamaïcaine, soumis à un régime préférentiel.

12      Dans ces circonstances, Afasia considère que si la prise en compte « a posteriori » des droits à l’importation est confirmée, et si la demande de remise des droits à l’importation est rejetée au terme d’une décision définitive, Afasia risquera d’être tenue responsable du préjudice découlant de la prise en compte « a posteriori » de la dette douanière, eu égard respectivement au droit de garantie afférent au contrat de vente et à sa responsabilité contractuelle en général.

13      Afasia soutient également que si le recours en annulation est accueilli, sa propre responsabilité à l’égard de la requérante ne sera pas engagée. Dans une telle hypothèse, la requérante ne subirait pas de préjudice.

14      Par conséquent, Afasia considère avoir un intérêt direct et actuel à la solution du litige.

15      La Commission est d’avis qu’Afasia n’a pas démontré avoir un intérêt direct et actuel à la solution du litige, conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Afasia n’aurait notamment pas d’intérêt direct.

16      À cet égard, la Commission soutient, en premier lieu, que les produits concernés n’ont pas été vendus par Afasia à la requérante, mais par l’entreprise Gloucester Industrial Ltd. Or, Gloucester Industrial Ltd aurait cessé ses activités en janvier 2005. De plus, Afasia n’exposerait aucun motif l’amenant à penser qu’elle pourrait être tenue responsable par la requérante à l’encontre d’une de ses filiales, Gloucester Industrial Ltd, dotée du statut de société à responsabilité limitée et présumée être en liquidation.

17      En deuxième lieu, la Commission est d’avis que l’allégation d’Afasia relative à son éventuelle responsabilité contractuelle envers la requérante n’est qu’une simple affirmation non étayée, puisque Afasia ne présenterait pas et n’analyserait pas les clauses du contrat signé entre Gloucester, ou éventuellement elle-même et la requérante, sur lesquelles pourrait se fonder une telle responsabilité contractuelle. Pour la Commission, ce raisonnement s’appliquerait également au renvoi vague et imprécis au droit général des contrats effectué par la demanderesse en intervention.

18      En troisième lieu, la Commission fait valoir que l’éventuelle responsabilité contractuelle d’Afasia envers la requérante ne découle pas directement de l’annulation de la décision attaquée. En effet, si cette annulation a lieu, la responsabilité contractuelle incombant à Afasia dépendrait de la décision que la requérante prendrait de façon entièrement libre et discrétionnaire. Dès lors, la condition selon laquelle l’intérêt d’Afasia doit être direct ne serait pas satisfaite, étant donné que cet intérêt serait lié à une future décision que la requérante pourrait prendre.

19      L’intérêt d’Afasia se fonderait ainsi sur un fait futur et incertain, à savoir, dans le cas où la décision attaquée serait annulée, l’éventuelle décision prise par la requérante de réclamer une indemnisation à Afasia. Or, selon la jurisprudence, une demande d’intervention ne saurait se fonder sur l’existence d’un intérêt futur et hypothétique.

 Appréciation du Tribunal

20      La demande d’intervention a été introduite conformément à l’article 115 du règlement de procédure du Tribunal.

21      Conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis au Tribunal, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions ou entre États membres, d’une part, et institutions, d’autre part, peut intervenir audit litige. Selon l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties.

22      Il résulte d’une jurisprudence constante que la notion d’intérêt à la solution du litige, au sens de ladite disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt. Il convient, notamment, de vérifier que l’intervenant est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (ordonnance du Tribunal du 25 février 2003, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑213, point 26 ; voir également, en ce sens, ordonnance de la Cour du 12 avril 1978, Amylum e.a./Conseil et Commission, 116/77, 124/77 et 143/77, Rec. p. 893, points 7 et 9).

23      Il résulte également de la jurisprudence qu’un intérêt à la solution du litige s’entend d’un intérêt direct et actuel à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la partie que l’intervenante entend soutenir (voir, notamment, ordonnance du président de la Cour du 6 mars 2003, Ramondín et Ramondín Cápsulas/Commission, C‑186/02 P, Rec. p. I‑2415, point 7, et ordonnance de la Cour du 15 novembre 1993, Scaramuzza/Commission, C‑76/93 P, Rec. p. I‑5715 et I‑5721, point 6).

24      En l’espèce, force est de constater qu’Afasia n’a pas d’intérêt direct et actuel à la solution du litige. En effet, il y a lieu de relever que le recours introduit par la requérante vise l’annulation de la décision attaquée qui fait l’objet du litige au principal. Cette décision a pour objet, premièrement, en réponse à la demande de ne pas procéder à une prise en compte « a posteriori » des droits à l’importation présentée par la requérante, la constatation que les autorités jamaïcaines n’avaient pas commis une des erreurs visées à l’article 220, paragraphe 2, point b), du règlement n° 2913/92. Deuxièmement, la décision attaquée a pour objet, en réponse à la demande de remise de la dette fiscale présentée par la requérante conformément à l’article 239 du règlement n° 2913/92, la constatation que la requérante ne se trouvait pas dans une situation particulière.

25      Or, la demanderesse en intervention fait valoir que son intérêt qu’il soit fait droit aux conclusions de la requérante consiste dans le fait que, le cas échéant, elle risquerait d’être tenue responsable du préjudice subi par la requérante en vertu du droit de garantie afférant au contrat de vente et en vertu de sa responsabilité contractuelle en général.

26      Il en résulte que la demanderesse en intervention n’a d’intérêt à ce qu’il soit fait droit aux conclusions en annulation dans l’affaire au principal que dans la mesure où l’annulation de la décision attaquée priverait la requérante d’engager éventuellement la responsabilité contractuelle d’Afasia. Or, l’éventualité d’une future procédure initiée par la requérante pour obtenir la réparation d’un préjudice subi ou pour demander une indemnisation à Afasia dépendrait aussi d’autres facteurs, lesquels sont liés à la discrétion de la requérante et soumis à sa propre décision indépendante, et non pas à la solution du présent litige.

27      De surcroît, il convient de constater que la demanderesse en intervention n’étaye pas à suffisance de droit son allégation, selon laquelle c’est elle qui a vendu les produits textiles en cause à la requérante. En effet, le Tribunal observe que la requérante soutient avoir acheté les marchandises en question auprès de Gloucester Industrial Ltd et non pas auprès de Afasia. Dans ce contexte, il y a lieu de relever que la demanderesse en intervention n’a pas soumis au Tribunal le moindre élément susceptible d’établir l’existence d’un contrat de vente entre elle ou une des ses filiales et la requérante, et donc du fondement de sa prétendue responsabilité contractuelle.

28      Par conséquent, la demanderesse en intervention n’est pas touchée directement par les conclusions de la requérante demandant l’annulation de la décision attaquée et son intérêt à la solution du litige n’est pas certain.

29      Dans ces circonstances, l’intérêt de la demanderesse en intervention à intervenir à ce titre doit être considéré comme indirect, futur et hypothétique, et non pas comme un intérêt direct et actuel au sens de la jurisprudence citée ci-dessus.

30      Il découle de tout ce qui précède que la demande en intervention doit être rejetée.

 Sur les dépens

31      En vertu de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard d’Afasia, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande d’intervention.

32      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Afasia ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et ceux de la Commission afférents à la procédure en intervention, conformément aux conclusions de cette dernière. La requérante n’ayant pas formulé de conclusions à cet égard, elle supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne :

1)      La demande d’intervention d’Afasia Knitting Factory (HK) Ltd est rejetée.

2)      Afasia Knitting Factory (HK) Ltd est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission afférents à la procédure en intervention.

3)      El Corte Inglés SA supportera ses propres dépens afférents à la procédure en intervention.

Fait à Luxembourg, le 14 janvier 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Vilaras


* Langue de procédure : l'espagnol.