Language of document : ECLI:EU:T:2021:644

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

6 octobre 2021 (*) (1)

« Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par l’Allemagne en faveur de certains grands consommateurs d’électricité – Exonération des redevances de réseau pour la période 2012-2013 – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché intérieur et illégal et ordonnant la récupération des aides versées – Recours en annulation – Délai de recours – Recevabilité – Notion d’aide – Ressources d’État – Égalité de traitement – Confiance légitime »

Dans l’affaire T‑745/18,

Covestro Deutschland AG, établie à Leverkusen (Allemagne), représentée par Mes M. Küper, J. Otter, C. Anger et M. Goldberg, avocats,

partie requérante,

soutenue par

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller, R. Kanitz, Mmes S. Heimerl et S. Costanzo, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par M. T. Maxian Rusche et Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (UE) 2019/56 de la Commission, du 28 mai 2018, relative à l’aide d’État SA.34045 (2013/C) (ex 2012/NN) accordée par l’Allemagne aux consommateurs de charge en continu au sens de l’article 19 du règlement StromNEV (JO 2019, L 14, p. 1),

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. A. M. Collins, président, V. Kreuschitz et Z. Csehi (rapporteur), juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 29 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

A.      Sur la requérante

1        La requérante, Covestro Deutschland AG, est une société productrice de matériaux, établie à Leverkusen (Allemagne).

B.      Sur les mesures législatives et réglementaires en cause

1.      Sur le système de redevances de réseau avant l’introduction des mesures litigieuses

2        L’article 21 de l’Energiewirtschaftsgesetz (loi relative à la sauvegarde de l’approvisionnement en énergie), tel que modifié par le Gesetz zur Neuregelung energiewirtschaftlicher Vorschriften (loi portant nouvelle réglementation des dispositions relatives à l’approvisionnement en énergie), du 26 juillet 2011 (BGBl. 2011 I, p. 1554), et avant les modifications apportées par le Gesetz zur Weiterentwicklung des Strommarktes (loi relative à l’évolution du marché de l’électricité), du 26 juillet 2016 (BGBl. 2016 I, p. 1786) (ci-après l’« EnWG 2011 »), prévoit notamment que les redevances de réseau doivent être raisonnables, non discriminatoires ainsi que transparentes et calculées sur la base des coûts d’une exploitation efficace du réseau.

3        L’article 24 de l’EnWG 2011 habilite le gouvernement fédéral allemand à établir, par voie réglementaire, des dispositions détaillées en ce qui concerne, d’une part, la définition de la méthode générale de détermination des redevances de réseau et, d’autre part, la réglementation des cas particuliers d’utilisation du réseau et les conditions dans lesquelles l’autorité de régulation peut autoriser ou interdire des redevances de réseau individuelles.

4        L’article 17 de la Stromnetzentgeltverordnung (règlement fédéral relatif aux redevances de réseau), du 25 juillet 2005 (BGBl. 2005 I, p. 2225, ci-après le « règlement StromNEV 2005 »), définit la méthode de calcul à utiliser par les gestionnaires de réseau pour déterminer les redevances générales. Il s’agit d’une méthode en deux temps : tout d’abord, elle détermine les différents éléments de coûts annuels de l’ensemble des réseaux et, ensuite, elle calcule les redevances générales sur la base du total annuel des coûts de réseau.

5        La détermination des redevances générales tient compte des deux éléments suivants : la « fonction de simultanéité », qui reflète la probabilité que la consommation individuelle d’un utilisateur contribue à la charge de pointe annuelle du niveau de réseau concerné, et le seuil maximum de recettes par gestionnaire, fixé par la Bundesnetzagentur (BNetzA, agence fédérale des réseaux, Allemagne) sur la base d’une analyse comparative avec d’autres gestionnaires de réseau, visant à éviter que les coûts découlant de l’inefficacité soient compensés par les redevances de réseau.

6        L’article 19 du règlement StromNEV 2005 prévoit des redevances individuelles pour des catégories d’utilisateurs dont les profils de consommation et de charge sont très différents de ceux des autres utilisateurs (ci-après les « utilisateurs atypiques »), qui tiennent compte, conformément au principe de la réflectivité de coûts, de la contribution de ces utilisateurs à la réduction ou à la prévention d’une hausse des coûts de réseau.

7        À cet égard, l’article 19, paragraphe 2, du règlement StromNEV 2005 prévoit des redevances individuelles pour les deux catégories d’utilisateurs atypiques suivantes : d’une part, les utilisateurs dont la contribution à la charge de pointe est susceptible de différer sensiblement de la charge de pointe annuelle simultanée de tous les autres utilisateurs raccordés au même niveau de réseau, c’est-à-dire les utilisateurs qui consomment systématiquement de l’électricité en dehors des heures de pointe (ci-après les « consommateurs anticycliques »), et, d’autre part, les utilisateurs dont la consommation annuelle d’électricité représente au moins 7 000 heures d’utilisation et plus de 10 gigawatts/heure (ci-après les « consommateurs de charge en continu »).

8        Jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement StromNEV, tel que modifié par l’EnWG 2011 (ci-après le « règlement StromNEV 2011 »), les consommateurs anticycliques et les consommateurs de charge en continu étaient sujets à des redevances individuelles calculées selon la « méthode du chemin physique », élaborée par la BNetzA, qui tenait compte des coûts de réseau générés par ces consommateurs, avec une redevance minimale équivalant à 20 % des redevances générales annoncées (ci-après la « redevance minimale »), qui garantissait une rétribution pour l’exploitation du réseau auquel ces consommateurs étaient raccordés dans l’hypothèse où les redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique auraient été plus basses ou proches de zéro.

2.      Sur les mesures litigieuses

9        Conformément à l’article 19, paragraphe 2, deuxième et troisième phrases, du règlement StromNEV 2011, à partir du 1er janvier 2011 (date d’application rétroactive de cette disposition), les redevances individuelles pour les consommateurs de charge en continu ont été supprimées et remplacées par une exonération complète des redevances de réseau (ci-après l’« exonération litigieuse »), accordée par une autorisation de l’autorité de régulation compétente, à savoir la BNetzA ou l’autorité de régulation du Land concerné. Ladite exonération pesait sur les gestionnaires de réseau de transport ou de distribution selon le niveau de réseau auquel les bénéficiaires étaient raccordés.

10      Conformément à l’article 19, paragraphe 2, sixième et septième phrases, du règlement StromNEV 2011, les gestionnaires de réseau de transport étaient tenus de rembourser aux gestionnaires de réseau de distribution la moins-value résultant de l’exonération litigieuse et devaient compenser, entre eux, les coûts entraînés par l’exonération, au moyen d’une compensation financière conformément à l’article 9 du Kraft-Wärme-Kopplungsgesetz (loi sur la promotion de la cogénération de chaleur et d’électricité), du 19 mars 2002 (BGBl. 2002 I, p. 1092), de sorte que chacun assumait la même charge financière calculée selon la quantité d’électricité qu’il fournissait aux consommateurs finals raccordés à son réseau.

11      À partir de 2012, la décision de la BNetzA du 14 décembre 2011 (BK8-11-024, ci-après la « décision BNetzA de 2011 ») a mis en place un mécanisme de financement. Selon ce mécanisme, les gestionnaires de réseau de distribution percevaient, auprès des consommateurs finals ou des fournisseurs d’électricité, une surtaxe (ci-après la « surtaxe litigieuse ») dont le montant était reversé aux gestionnaires de réseau de transport pour compenser la perte de recettes provoquée par l’exonération litigieuse.

12      Le montant de la surtaxe était déterminé chaque année, à l’avance, par les gestionnaires de réseau de transport, sur la base d’une méthode établie par la BNetzA. Le montant relatif à l’année 2012, première année de mise en œuvre du système, a été fixé directement par la BNetzA.

13      Ces dispositions ne s’appliquaient pas en ce qui concerne les coûts de l’exonération pour l’année 2011 et, partant, chaque gestionnaire de réseau de transport et de distribution a dû supporter les pertes relatives à l’exonération pour cette année.

3.      Sur le système de redevance de réseau postérieur aux mesures litigieuses

14      Pendant la procédure administrative qui a conduit à la décision attaquée, l’exonération litigieuse a tout d’abord été déclarée nulle et non avenue par des décisions juridictionnelles de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) du 8 mai 2013 et du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) du 6 octobre 2015 et a ensuite été abrogée, à partir du 1er janvier 2014, par le règlement StromNEV, tel que modifié par la Verordnung zur Änderung von Verordnungen auf dem Gebiet des Energiewirtschaftsrechts (règlement portant modification des règlements en matière d’énergie), du 14 août 2013 (BGBl. 2013 I, p. 3250) (ci-après le « règlement StromNEV 2013 »). Ce dernier règlement a réintroduit, pour l’avenir, les redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique, avec l’application, au lieu de la redevance minimale, de redevances forfaitaires de 10, de 15 et de 20 % des redevances générales, en fonction de la consommation d’électricité (respectivement 7 000, 7 500 et 8 000 heures d’utilisation annuelle du réseau) (ci-après les « redevances forfaitaires »).

15      Le règlement StromNEV 2013 a introduit un régime transitoire, en vigueur à partir du 22 août 2013 et applicable, de manière rétroactive, aux consommateurs de charge en continu qui n’avaient pas encore reçu l’exonération litigieuse pour les années 2012 et 2013 (ci-après le « régime transitoire »). Au lieu des redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique et de la redevance minimale, ce régime prévoyait exclusivement l’application des redevances forfaitaires.

C.      Sur la procédure administrative

16      À partir de la fin de l’année 2011, la Commission européenne a reçu plusieurs plaintes de la part du Bund der Energieverbraucher eV (Fédération des consommateurs d’énergie) et de plusieurs consommateurs concernant l’exonération litigieuse. Elle a par la suite reçu des renseignements complémentaires de la part des autorités allemandes.

17      Le 4 mai 2013, la Commission a publié sa décision d’ouvrir la procédure au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE concernant le régime d’aides reposant sur les mesures litigieuses (JO 2013, C 128, p. 43, ci-après la « décision d’ouverture »).

18      La République fédérale d’Allemagne et les parties intéressées ont présenté leurs observations et la République fédérale d’Allemagne s’est également prononcée à l’égard de ces dernières. Plusieurs échanges ont par la suite eu lieu entre la Commission et les autorités allemandes au cours des années 2013 à 2017.

D.      Sur la décision attaquée

19      Le 28 mai 2018, la Commission a adopté la décision (UE) 2019/56, relative à l’aide d’État SA.34045 (2013/C) (ex 2012/NN) accordée par l’Allemagne aux consommateurs de charge en continu au sens de l’article 19 du règlement StromNEV [2011] (JO 2019, L 14, p. 1, ci-après la « décision attaquée »), par laquelle elle a constaté que, du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, la République fédérale d’Allemagne avait octroyé illégalement des aides d’État sous la forme de l’exonération litigieuse.

20      Plus particulièrement, la Commission a conclu que le montant des aides d’État correspondait aux coûts de réseau générés en 2012 et en 2013 par les consommateurs de charge en continu exonérés ou, si ces coûts étaient inférieurs à la redevance minimale, à cette dernière.

21      En outre, la Commission a relevé que les aides en question étaient incompatibles avec le marché intérieur, ne relevant d’aucune des exceptions prévues à l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE, et ne pouvaient pas non plus être considérées comme compatibles pour d’autres motifs.

22      Par conséquent, la Commission a décidé ce qui suit :

–        l’exonération litigieuse constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où les consommateurs de charge en continu avaient été exonérés des redevances de réseau, qui correspondaient aux coûts de réseau qu’ils généraient, ou, si ces coûts étaient inférieurs à la redevance minimale, de cette redevance minimale ;

–        l’aide en question avait été exécutée par la République fédérale d’Allemagne en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et n’était pas compatible avec le marché intérieur ;

–        l’aide individuelle, octroyée au titre du régime en question, n’était pas constitutive d’une aide d’État si, au moment de son octroi, elle remplissait les conditions définies par un règlement concernant les aides « de minimis », adopté en vertu de l’article 2 du règlement (CE) no 994/98 du Conseil, du 7 mai 1998, sur l’application des articles [107] et [108 TFUE] à certaines catégories d’aides d’État horizontales (JO 1998, L 142, p. 1) ;

–        la République fédérale d’Allemagne, d’une part, était obligée de récupérer auprès des bénéficiaires les aides incompatibles avec le marché intérieur, octroyées au titre du régime d’aides en question, y compris les intérêts, et, d’autre part, était tenue d’annuler tous les paiements non encore effectués au titre de ce régime dès la date d’adoption de la décision attaquée.

II.    Procédure et conclusions des parties

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 décembre 2018, la requérante a introduit le présent recours.

24      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 avril 2019, la République fédérale d’Allemagne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante. Par décision du 4 juin 2019, le président de la sixième chambre du Tribunal a admis cette intervention. La République fédérale d’Allemagne a déposé son mémoire en intervention et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

25      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

26      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé aux parties des questions écrites, auxquelles elles ont répondu dans le délai imparti.

27      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 29 octobre 2020.

28      Lors de l’audience, la requérante s’est désistée du premier moyen, ce dont il a été pris acte au procès-verbal.

29      La requérante, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

30      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

A.      Sur la recevabilité du recours

31      La Commission conteste la recevabilité du recours.

32      D’une part, elle remarque que la requérante sollicite l’annulation de la décision attaquée dans son intégralité, tandis que l’annulation de cette décision n’aurait « aucun effet » sur la conclusion figurant au considérant 161 de celle-ci, selon laquelle l’exonération litigieuse en 2011 ne constituait pas une aide d’État. Elle souhaite donc une « déclaration explicite » sur ce point en vue d’éviter toute insécurité juridique.

33      D’autre part, elle excipe de l’irrecevabilité du recours, qui aurait été déposé hors délai, au motif que la requérante avait connaissance de la décision attaquée bien avant la publication de celle-ci au Journal officiel de l’Union européenne, ayant été informée par les autorités allemandes dans le cadre de l’échange de courriers concernant le recouvrement des aides et probablement dans le cadre de son appartenance à l’association allemande de l’industrie chimique, laquelle, ayant participé à la procédure administrative, avait reçu une copie de ladite décision. La Commission, s’appuyant sur l’arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission (C‑339/16 P, EU:C:2017:384), sur l’ordonnance du 5 septembre 2019, Fryč/Commission (C‑230/19 P, non publiée, EU:C:2019:685), et sur les conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:120), précise que l’application du critère de la date de publication comme point de départ du délai de recours, au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, ne s’applique que lorsque la publication est une condition pour l’entrée en vigueur de l’acte au sens de l’article 297, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, la décision attaquée étant destinée à la République fédérale d’Allemagne et ayant été notifiée à cette dernière.

34      La requérante conteste les arguments de la Commission.

35      À cet égard, à titre liminaire, il convient de relever que la requérante ne conteste pas l’évaluation de la Commission relative à l’exonération litigieuse en 2011, qui ne fait donc pas l’objet de la présente affaire.

36      En ce qui concerne la prétendue tardiveté du recours, invoquée par la Commission, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte attaqué, de sa notification à la partie requérante ou, à défaut, du jour où celle-ci en a eu connaissance.

37      En l’espèce, il n’est pas contesté que le recours a été déposé dans le respect du délai de deux mois et dix jours à partir de la publication de la décision attaquée au Journal officiel, qui a eu lieu le 16 janvier 2019.

38      S’agissant de la question de savoir si la requérante a eu connaissance de la décision attaquée avant sa publication, il convient de rappeler qu’il découle du libellé même de l’article 263, sixième alinéa, TFUE que le critère de la date de prise de connaissance de l’acte, en tant que point de départ du délai de recours, présente un caractère subsidiaire par rapport à ceux de la publication ou de la notification de l’acte (arrêts du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C‑122/95, EU:C:1998:94, point 35, et du 17 mai 2017, Portugal/Commission, C‑339/16 P, EU:C:2017:384, point 39 ; voir, également, arrêt du 27 novembre 2003, Regione Siciliana/Commission, T‑190/00, EU:T:2003:316, point 30 et jurisprudence citée) et s’applique donc aux actes qui ne font l’objet ni d’une notification ni d’une publication (arrêt du 1er juillet 2009, ISD Polska e.a./Commission, T‑273/06 et T‑297/06, EU:T:2009:233, point 55).

39      Il est vrai que, en l’espèce, la publication de la décision attaquée n’était pas une condition de sa prise d’effet. Toutefois, les décisions de la Commission de clore une procédure d’examen des aides au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE sont publiées au Journal officiel, conformément à l’article 32, paragraphe 3, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9). Dès lors, selon une jurisprudence constante, la requérante pouvait légitimement escompter que la décision attaquée ferait l’objet d’une publication (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission, T‑11/95, EU:T:1998:199, points 48 à 51, et du 1er juillet 2009, ISD Polska e.a./Commission, T‑273/06 et T‑297/06, EU:T:2009:233, point 57). Elle était donc en droit de prendre la date de publication au Journal officiel comme point de départ du délai de recours.

40      Cette conclusion n’est pas remise en cause par la jurisprudence invoquée par la Commission.

41      Tout d’abord, dans l’arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission (C‑339/16 P, EU:C:2017:384, points 34 à 40), la Cour a jugé que le point de départ du délai de recours pour la partie requérante, à savoir la République portugaise, était la notification de la décision litigieuse à cette dernière, destinataire de cette décision, tandis que, en l’espèce, la requérante n’était pas le destinataire de la décision attaquée, adressée à la République fédérale d’Allemagne, et n’a reçu aucune notification de cette décision au sens de l’article 263 TFUE.

42      Ensuite, les conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:120) concernaient la question de savoir si des entreprises bénéficiaires d’une aide d’État faisant l’objet d’une décision de la Commission auraient pu attaquer cette décision, ce qui, conformément à l’arrêt du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C‑188/92, EU:C:1994:90), leur empêcherait de remettre en cause la légalité de celle-ci devant les juridictions nationales à l’occasion d’un recours dirigé contre les mesures d’exécution de cette décision prises par les autorités nationales. S’agissant du calcul du délai du recours que les entreprises requérantes auraient pu former devant le juge de l’Union européenne contre la décision litigieuse, l’avocat général a conclu que, dès lors que la publication de ladite décision n’était pas une condition de son efficacité et qu’il suffisait que les entreprises directement et individuellement concernées en aient une connaissance digne de foi, le délai pour attaquer ladite décision avait commencé le jour de la prise de connaissance de celle-ci (conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a., C‑135/16, EU:C:2018:120, point 63). Or, force est de constater que cette conclusion n’a pas été reprise par la Cour dans l’arrêt qui a mis fin à l’affaire susvisée (arrêt du 25 juillet 2018, Georgsmarienhütte e.a., C‑135/16, EU:C:2018:582) et que, en tout état de cause, il n’a pas été démontré que, en l’espèce, la requérante avait eu une connaissance « digne de foi » de la décision attaquée, contrairement à ce qui était le cas dans ladite affaire.

43      Enfin, dans l’ordonnance du 5 septembre 2019, Fryč/Commission (C‑230/19 P, non publiée, EU:C:2019:685), la Cour a constaté, dans le cadre d’un recours visant l’annulation de certains règlements, que, les actes litigieux ayant été publiés au Journal officiel et cette publication ayant conditionné l’entrée en vigueur desdits actes, la date à prendre en compte pour déterminer le point de départ du délai de recours en vertu de l’article 263, sixième alinéa, TFUE était celle de la publication. Force est de constater que ce constat n’est pas de nature à étayer l’argument de la Commission en l’espèce, eu égard à la différence de nature des actes en question.

44      Il convient donc de rejeter la fin de non-recevoir opposée en défense par la Commission.

B.      Sur le fond

45      À l’appui du recours, la requérante soulève quatre moyens, tirés, le premier, de la durée excessive de la procédure formelle d’examen, le deuxième, de l’absence d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le troisième, de la compatibilité de l’aide présumée avec le marché intérieur en vertu, d’une part, de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et, d’autre part, de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et, le quatrième, de l’illégalité de la décision de récupération, au motif qu’elle aurait été prise en violation, d’une part, du principe de non-discrimination et, d’autre part, du principe de protection de la confiance légitime.

46      En réponse à une question du Tribunal durant l’audience, dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience, la requérante s’est désistée du premier moyen, de sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur celui-ci.

1.      Sur le deuxième moyen, tiré de l’absence d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

a)      Sur la première branche du deuxième moyen, tirée de l’absence d’avantage

47      Par la première branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que l’exonération litigieuse ne constitue pas un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Elle reproche à la Commission d’avoir exclu que cette exonération puisse être contrebalancée par une contrepartie appropriée.

48      La Commission conteste les arguments de la requérante.

49      Selon une jurisprudence constante, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 43 et jurisprudence citée).

50      S’agissant de la troisième de ces conditions, relative à l’existence d’un avantage, il y a lieu de relever que, conformément à une jurisprudence également constante, sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises, ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pu obtenir dans des conditions normales de marché. L’appréciation des conditions dans lesquelles un tel avantage a été accordé s’effectue donc, en principe, par application du principe de l’opérateur privé (voir arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, points 44 et 45 et jurisprudence citée).

51      En particulier, il résulte de la jurisprudence que, aux fins de l’appréciation de la question de savoir si la même mesure aurait été adoptée dans les conditions normales du marché par un opérateur privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’État, seuls les bénéfices et les obligations liés à la situation de ce dernier en qualité d’actionnaire, à l’exclusion de ceux qui sont liés à sa qualité de puissance publique, sont à prendre en compte (voir arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, point 79 et jurisprudence citée). À cet égard, la jurisprudence a précisé que, lorsqu’un État membre accorde en sa qualité d’actionnaire, et non pas en sa qualité de puissance publique, un avantage économique à une entreprise, l’applicabilité du principe de l’opérateur privé ne dépend pas de la forme dans laquelle cet avantage a été mis à la disposition de cette entreprise, ni de la nature des moyens employés, qui peuvent relever de la puissance publique de l’État (voir arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 48 et jurisprudence citée).

52      Il en ressort que les rôles de l’État actionnaire d’une entreprise, d’une part, et de l’État agissant en tant que puissance publique, d’autre part, doivent être distingués et que, par conséquent, l’applicabilité du principe de l’opérateur privé dépend, en définitive, de ce que l’État membre concerné accorde en sa qualité d’actionnaire, et non pas en sa qualité de puissance publique, un avantage économique à une entreprise lui appartenant (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, points 80 et 81, et du 11 décembre 2019, Mytilinaios Anonymos Etairia – Omilos Epicheiriseon, C‑332/18 P, EU:C:2019:1065, point 133).

53      En outre, il ressort également de la jurisprudence que, lorsqu’il existe des doutes quant à l’applicabilité dudit principe, notamment en raison de l’emploi par l’État membre concerné, lors de l’adoption de la mesure en cause, de ses prérogatives de puissance publique, il incombe à l’État membre d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’opérateur privé (voir arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, points 82 et 83 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 63).

54      En revanche, lorsque le principe de l’opérateur privé est applicable, il figure parmi les éléments que la Commission est tenue de prendre en compte pour établir l’existence d’une aide et ne constitue donc pas une exception s’appliquant seulement sur la demande d’un État membre, lorsqu’il a été constaté que les éléments constitutifs de la notion d’« aide d’État », figurant à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sont réunis (voir arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 46 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 64). Dans une telle situation, c’est sur la Commission que pèse la charge de la preuve de ce que les conditions d’application du principe de l’opérateur privé sont ou non remplies (voir arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 65 et jurisprudence citée).

55      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner la présente branche du deuxième moyen.

56      Dans la décision attaquée, en premier lieu, la Commission a écarté l’argument selon lequel l’exonération litigieuse correspondrait au comportement d’un opérateur en économie de marché sur la base des trois arguments suivants :

–        au considérant 90 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée sur le fait que des gestionnaires de réseau avaient attaqué en justice l’exonération litigieuse et sur les résultats d’un rapport d’évaluation de la BNetzA du 30 mars 2015 concernant les effets de l’article 19, paragraphe 2, du règlement StromNEV 2011 sur l’exploitation de réseaux d’approvisionnement en électricité (ci-après le « rapport d’évaluation de 2015 »), pour conclure que les gestionnaires de réseau avaient un avis partagé concernant l’utilité des consommateurs de charge en continu pour la stabilité du réseau et qu’aucun d’entre eux n’aurait « acheté » la consommation électrique stable de ces consommateurs au prix d’une exonération complète ;

–        au considérant 91 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, même si les gestionnaires de réseau avaient acheté eux-mêmes, dans certains cas, le service en cause, ils ne l’auraient fait que dans la mesure nécessaire à la gestion du réseau, et à un prix tenant compte d’une contribution différentiée à la stabilité du réseau ;

–        au considérant 92 de la décision attaquée, la Commission a constaté que certaines juridictions allemandes étaient parvenues à la conclusion que l’exonération litigieuse ne pouvait pas être considérée comme la contrepartie d’un service fourni.

57      En deuxième lieu, la Commission a écarté les arguments avancés par certaines parties intéressées au cours de la procédure administrative et fondés sur le rapport final du 20 janvier 2012 dans le cadre de l’« étude sur le calcul de la production minimale technique du parc de centrales conventionnelles afin de garantir la stabilité du système dans les réseaux de transport allemands en cas d’alimentation élevée à partir d’énergies renouvelables » (ci-après l’« étude de 2012 »), citée au considérant 59 de la décision attaquée. Selon ces parties intéressées, cette étude démontrerait que la consommation de charge en continu, qui permet une exonération complète, est une condition pour une production d’électricité continue à partir de centrales électriques équipées de générateurs synchrones et que ces centrales sont très importantes pour la stabilité du réseau, dès lors qu’elles contribuent à éviter les sauts de fréquence.

58      La Commission a rejeté ces arguments par les constatations suivantes :

–        au considérant 94 de la décision attaquée, la Commission a souligné que l’exonération litigieuse avait été introduite au moyen d’un acte réglementaire, que la République fédérale d’Allemagne ne détenait aucune action dans les gestionnaires de réseau et que ni cette dernière ni les parties intéressées n’avaient transmis de documents portant sur la période pertinente faisant apparaître des considérations commerciales ;

–        au considérant 95 de la décision attaquée, la Commission a observé que l’étude de 2012 n’avait été rédigée qu’après l’introduction de l’exonération litigieuse ;

–        au considérant 96 de la décision attaquée, la Commission a observé que, en tout état de cause, l’étude de 2012 n’étayait pas les arguments avancés, en ce que, notamment, elle n’évoquait pas l’importance des consommateurs de charge en continu pour le maintien de la production minimale des centrales conventionnelles nécessaire pour une gestion sûre du réseau, ce maintien étant lié surtout au prix de vente de l’électricité et à la production d’électricité à partir de sources renouvelables.

59      En troisième lieu, la Commission a écarté l’argument, résumé au considérant 97 de la décision attaquée, selon lequel l’exonération litigieuse était justifiée par l’inclusion des consommateurs de charge en continu dans le plan de délestage des gestionnaires de réseau de transport, plan présenté dans le document intitulé « Transmission Code 2007 », afin de permettre d’éviter les défaillances du réseau lorsque le système était surchargé. Au considérant 98 de la décision attaquée, la Commission a constaté qu’il n’y avait pas de corrélation entre l’exonération complète et le délestage, puisque, d’une part, l’inclusion dans le plan de délestage n’était pas une condition pour bénéficier de l’exonération complète et, d’autre part, cette inclusion était accordée aux consommateurs de charge en continu, et non à tous les autres consommateurs qui étaient également inclus dans le plan de délestage.

60      En quatrième lieu, la Commission a écarté l’argument selon lequel les consommateurs de charge en continu devaient répondre à certaines spécifications techniques en cas de raccordement au réseau et effectuer des investissements sans recevoir de compensation. Au considérant 100 de la décision attaquée, la Commission a observé que lesdites spécifications techniques s’appliquaient à tous les consommateurs qui souhaitaient conserver un raccordement au réseau concerné pour éviter des perturbations de la tension du réseau et que, partant, elles ne constituaient pas un service pour lequel des gestionnaires de réseau s’acquitteraient d’une rétribution.

61      À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée aux points 52 à 54 ci-dessus, l’applicabilité du principe de l’opérateur privé dépend de ce que l’État membre concerné accorde en sa qualité d’actionnaire, et non en sa qualité de puissance publique, un avantage économique à une entreprise lui appartenant. En l’espèce, ainsi que relevé par la Commission au considérant 94 de la décision attaquée, l’exonération litigieuse a été introduite par la République fédérale d’Allemagne au moyen d’un acte réglementaire alors que cette dernière ne détenait aucune part sociale dans les gestionnaires de réseau, ni, d’ailleurs, dans les consommateurs de charge en continu.

62      En outre, ainsi que le souligne la Commission au considérant 94 de la décision attaquée, ni la République fédérale d’Allemagne ni les parties intéressées n’ont démontré que, préalablement ou simultanément à l’adoption de l’exonération litigieuse, la République fédérale d’Allemagne avait pris la décision de procéder, par la mesure mise en œuvre, à un investissement, ni qu’une telle décision avait été prise sur le fondement d’évaluations économiques préalables comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un opérateur privé rationnel se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle dudit État membre aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future d’un tel investissement.

63      Il s’ensuit que l’exonération litigieuse a été adoptée par l’État en sa qualité de puissance publique et que le principe de l’opérateur privé n’est pas applicable en l’espèce.

64      Par ailleurs, il convient de constater que l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait erronément exclu que l’exonération en question pût être contrebalancée par une contrepartie appropriée ne saurait convaincre.

65      En effet, tout en supposant que l’intégration des consommateurs de charge en continu ait un effet de stabilisation du réseau, il n’est ni prouvé par la requérante ni raisonnable de soutenir qu’un gestionnaire de réseau aurait permis à ces consommateurs d’utiliser gratuitement le réseau en échange de ces effets. Cela est d’autant moins convaincant que des redevances individuelles, qui tiennent compte de la situation particulière des consommateurs de charge en continu et des avantages que cette consommation apporte à la stabilité du système, avaient déjà été appliquées avant la période pertinente, et après celle-ci, et toujours aux consommateurs anticycliques (voir points 6 à 8 ci-dessus).

66      D’ailleurs, il est constant que l’exonération litigieuse, pendant les deux années d’application du régime fondé sur les mesures litigieuses, a exempté complètement des entreprises bien identifiées, à savoir les consommateurs de charge en continu, de toute redevance pour le service de raccordement au réseau électrique, dont elles ont bénéficié et qui a généré des coûts, certes moins importants par rapport à d’autres entreprises. Il s’ensuit que cette exonération ne peut que constituer un avantage pour les entreprises en question. Cela est d’autant plus vrai que, d’une part, le régime antécédent prévoyait le paiement de redevances de réseau et que, d’autre part, l’exonération litigieuse a été déclarée nulle et non avenue par les juridictions nationales et remplacée par un régime qui a réintroduit des redevances de réseau.

67      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments avancés par la requérante.

68      Par le premier argument, la requérante fait valoir que l’exonération litigieuse constitue une contrepartie raisonnable pour les avantages découlant de la consommation d’électricité des consommateurs de charge en continu, indépendamment du fait que certains gestionnaires de réseau ont formé un recours contre cette exonération devant les juridictions nationales. En effet, tout opérateur du marché s’efforcerait d’obtenir une prestation sans contrepartie, mais cela ne signifierait pas qu’il ne serait pas fondamentalement disposé à fournir une contrepartie.

69      Or, il convient de relever que, dans l’économie de la décision attaquée, la constatation contestée ne constitue pas un argument décisif, ni le plus important, pour écarter l’application du principe de l’opérateur privé et a été effectuée par la Commission pour démontrer que les gestionnaires de réseau eux-mêmes ne sont pas tous prêts à accepter l’exonération litigieuse comme contrepartie des effets présumés de stabilisation du réseau provoqués par les consommateurs de charge en continu. Cette conclusion raisonnable s’appuie également sur le rapport d’évaluation de 2015 (voir point 56, premier tiret, ci-dessus), qui, par ailleurs, n’est pas remis en cause par la requérante.

70      Par le deuxième argument, la requérante soutient que le législateur pouvait à juste titre considérer, s’appuyant sur une « analyse par catégorie », que, en contrepartie de l’effet de stabilisation du réseau, les gestionnaires de réseau étaient disposés à accorder un traitement de faveur aux consommateurs de charge en continu, allant jusqu’à renoncer intégralement aux redevances de réseau.

71      Or, force est de constater que, ainsi que le relève la Commission, une « analyse par catégorie » telle qu’envisagée par la requérante, à supposer qu’elle soit appropriée, n’est pas pertinente dans le contexte de l’appréciation du principe de l’opérateur privé, étant donné que ce principe se fonde sur une analyse individuelle de la situation économique des opérateurs concernés et que ni la République fédérale d’Allemagne, ni les parties intéressées dans le cadre de la procédure administrative, ni la requérante dans le cadre du présent litige n’ont apporté le moindre élément de nature à démontrer qu’un gestionnaire de réseau aurait donné accès au réseau à titre complètement gratuit dans les circonstances de l’espèce.

72      Par ailleurs, ainsi que le relève la Commission, des redevances individuelles étaient appliquées avant et ont été appliquées de nouveau après la période pertinente et ont toujours été appliquées à l’autre catégorie d’utilisateurs atypiques, c’est-à-dire les consommateurs anticycliques (voir points 7 et 65 ci-dessus), ce qui démontre qu’une approche individuelle était non seulement possible, mais constituait l’approche « normale » adoptée par le législateur, sans mentionner le fait que, avant son abrogation, l’exonération litigieuse avait été déclarée nulle et non avenue par des décisions juridictionnelles (voir point 14 ci-dessus).

73      Par le troisième argument, la requérante fait valoir que les arguments par lesquels la Commission a écarté les indications de certaines parties intéressées à la procédure, renvoyant à l’étude de 2012, « ne sauraient […] convaincre ».

74      Or, ainsi que le fait valoir la Commission, cet argument est irrecevable en vertu de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requérante se contentant d’affirmer que les arguments de la Commission concernant l’étude de 2012 « ne sauraient convaincre », sans fournir aucune explication et sans fournir, d’autant moins, d’éléments de preuve de nature à remettre en cause les arguments contestés.

75      Par le quatrième argument, la requérante soutient que, dans la mesure où les redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique n’atteignent pas le niveau de la redevance minimale, il ne saurait être conclu à l’existence d’un traitement de faveur.

76      À cet égard, il convient de rappeler que la redevance minimale faisait partie du système précédent, qui aurait été appliqué aux consommateurs de charge en continu en l’absence de l’exonération litigieuse. Ainsi que le remarque la Commission au considérant 111 de la décision attaquée, l’imposition de la redevance minimale apparaissait raisonnable pour garantir que les consommateurs atypiques fournissent une contribution minimale à la rétribution de l’avantage que leur procurait le raccordement au réseau.

77      Il y a donc lieu de rejeter la première branche du deuxième moyen.

b)      Sur la seconde branche du deuxième moyen, tirée de l’absence d’une aide octroyée au moyen de ressources d’État

78      Par la seconde branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que l’exonération litigieuse n’a pas été financée au moyen de ressources d’État.

79      Tout d’abord, elle soutient que la surtaxe litigieuse n’est pas une charge grevant le budget de l’État, puisque, à l’instar des redevances de réseau, elle constitue une rétribution ou un transfert de fonds que des entités privées se versent entre elles.

80      Ensuite, elle fait valoir qu’il n’y a aucun contrôle public sur les fonds, sur la base des arguments suivants :

–        le fait que la surtaxe litigieuse est perçue sur la base d’une norme de droit et que cette surtaxe et son objectif font partie intégrante d’une politique définie par l’État ne suffit pas pour établir qu’il y a un contrôle public sur les fonds perçus au titre de ladite surtaxe ;

–        le mécanisme de surveillance concernant l’application de la surtaxe litigieuse permet uniquement de conclure que les autorités publiques exercent un contrôle sur la bonne exécution du système, et non de conclure à l’existence d’un contrôle public sur les fonds en question ;

–        le montant de la surtaxe litigieuse n’était pas fixé par l’État, mais par les gestionnaires de réseau de transport, sauf en ce qui concerne l’année 2012, première année de sa mise en œuvre, quand il a été fixé par la BNetzA à titre dérogatoire et exceptionnel ;

–        l’affectation exclusive des fonds perçus au titre de la surtaxe litigieuse à la couverture des coûts de l’exonération litigieuse démontre que l’État ne peut pas disposer des fonds en question ;

–        les gestionnaires de réseau n’ont pas l’obligation de répercuter les coûts de la mesure sur les consommateurs finals.

81      Enfin, elle fait valoir qu’il n’y a pas d’organisme intermédiaire mandaté par l’État pour gérer les fonds récoltés au titre du prélèvement et que les gestionnaires de réseau de transport ne sont pas de tels organismes, car ils interviennent uniquement dans le cadre de la mise en œuvre du système. Elle ajoute, à titre subsidiaire, que l’État n’a aucun contrôle public sur les gestionnaires de réseau de transport qui sont chargés de gérer les fonds en question.

82      La République fédérale d’Allemagne avance trois arguments au soutien de la position de la requérante : tout d’abord, la surtaxe litigieuse ne constitue pas un prélèvement obligatoire imposé par l’État, ensuite, les gestionnaires de réseau ne constituent pas des organismes mandatés pour gérer des ressources d’État et, enfin, il n’existe aucun mécanisme légal pour assurer une compensation intégrale des pertes. Elle ajoute également que l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268), confirme que l’existence d’un contrôle public et d’un pouvoir de disposition sur les ressources concernées, qui font défaut en l’espèce, est déterminante pour que ces ressources puissent être qualifiées de ressources d’État.

83      La Commission conteste les arguments de la requérante.

1)      Considérations liminaires

84      En vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

85      Il importe de rappeler que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État (voir arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 47 et jurisprudence citée).

86      En premier lieu, afin d’apprécier l’imputabilité d’une mesure à l’État, il importe d’examiner si les autorités publiques ont été impliquées dans l’adoption de cette mesure (voir arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 48 et jurisprudence citée).

87      En second lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour que seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État sont considérés comme des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En effet, la distinction établie dans cette disposition entre les « aides accordées par les États » et les aides accordées « au moyen de ressources d’État » ne signifie pas que tous les avantages consentis par un État constituent des aides, qu’ils soient ou non financés au moyen de ressources étatiques, mais vise seulement à inclure dans cette notion les avantages qui sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui le sont par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État en vue de gérer l’aide (arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, EU:C:2001:160, point 58 ; du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 53, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 50).

88      En effet, le droit de l’Union ne saurait admettre que le seul fait de créer des institutions autonomes chargées de la distribution d’aides permette de contourner les règles relatives aux aides d’État (arrêts du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 54, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 51).

89      Dans ce cas de figure, afin de conclure que des avantages sont accordés « par l’intermédiaire » d’un organisme tel que ceux mentionnés au point 87 ci-dessus, il n’est pas nécessaire que les sommes correspondant à la mesure en cause soient de façon permanente en possession du Trésor public, le fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, étant suffisant pour qu’elles soient qualifiées de ressources d’État (arrêts du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 57, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 53).

90      La Cour a, plus précisément, jugé que des fonds alimentés par des contributions obligatoires imposées par la législation de l’État, gérés et répartis conformément à cette législation, pouvaient être considérés comme des ressources d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, même s’ils sont gérés par des entités distinctes de l’autorité publique (voir arrêts du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 58 et jurisprudence citée, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 54 et jurisprudence citée). L’élément décisif, à cet égard, est constitué par le fait que de telles entités sont mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, et non simplement tenues à une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C‑206/06, EU:C:2008:413, point 74 ; du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 59, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 55).

91      En outre, la Cour a conclu qu’un supplément de prix sur l’électricité transportée, fixé selon des critères objectifs, imposé par voie législative sur les consommateurs d’électricité et perçu par les gestionnaires de réseau, constituait une « taxe », dont les montants avaient pour origine une ressource d’État (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C‑206/06, EU:C:2008:413, points 45 à 47 et 66). La Cour a également relevé que cette taxe était gérée par une entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général, qui ne disposait d’aucune possibilité d’utiliser le produit de la taxe pour des affectations autres que celles prévues par la loi et qui était strictement contrôlée dans sa tâche, et que cette taxe s’inscrivait dans le cadre d’une politique définie par les autorités (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C‑206/06, EU:C:2008:413, points 67 à 71).

92      La Cour a également considéré que, en l’absence de répercussion intégrale du surcoût de la mesure sur les utilisateurs finals, de son financement par une charge obligatoire imposée par l’État ou encore d’un mécanisme de compensation intégrale dudit surcoût, les entreprises concernées n’étaient pas mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, mais finançaient une obligation d’achat leur incombant au moyen de leurs ressources propres (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2017, ENEA, C‑329/15, EU:C:2017:671, point 30).

93      Plus récemment, d’une part, la Cour, eu égard à une mesure de soutien aux producteurs d’électricité produite à partir de sources renouvelables, financée par une charge imposée sur les fournisseurs d’électricité approvisionnant les clients finals, en proportion des quantités vendues (le prélèvement EEG), a exclu, dans l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268), l’emploi de ressources d’État dans les circonstances suivantes :

–        les montants générés par la mesure n’étaient pas assimilables à une taxe, puisque la mesure en question n’obligeait pas les opérateurs concernés à répercuter les coûts sur les clients finals (points 65 à 71 dudit arrêt) ;

–        il n’y avait pas une influence dominante des pouvoirs publics dans la gestion des ressources en question, en l’absence d’un pouvoir de disposition sur les fonds, la circonstance que les fonds étaient exclusivement affectés au financement du régime en question n’impliquait pas que l’État pût en disposer, c’est-à-dire décider d’une affectation différente de ces ressources (points 74 à 76 dudit arrêt), et, en l’absence d’un contrôle public sur les organismes chargés de gérer ces fonds, un simple contrôle de la bonne exécution du régime en question n’était pas suffisant à cet égard (points 77 à 85 dudit arrêt).

94      D’autre part, la Cour, eu égard à une mesure de soutien aux producteurs d’électricité fournissant des services d’intérêt général, qui a été financée notamment par une charge imposée sur les clients finals d’électricité, en fonction de l’électricité consommée, a reconnu, dans l’arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a. (C‑706/17, EU:C:2019:407), que le critère des ressources étatiques était satisfait, compte tenu notamment des circonstances suivantes :

–        la contribution était obligatoire pour les consommateurs finals et les autoproducteurs d’électricité (point 57 dudit arrêt) ainsi que pour les gestionnaires de réseau chargés de son prélèvement (point 64 dudit arrêt) ; son montant était fixé par un organisme public (point 58 dudit arrêt) ;

–        la distribution des fonds était gérée par un gestionnaire contrôlé directement par l’État, mandaté pour gérer la contribution et qui n’avait aucun pouvoir d’appréciation quant à la détermination et à la destination de ces fonds (points 59 et 66 dudit arrêt).

95      En substance, la jurisprudence de la Cour citée aux points 93 et 94 ci-dessus s’appuie sur deux éléments principaux pour apprécier le caractère étatique des ressources : d’une part, l’existence d’une charge obligatoire pesant sur les consommateurs ou clients finals, normalement qualifiée de « taxe », et plus particulièrement de « taxe parafiscale », et, d’autre part, le contrôle étatique sur la gestion du système, par le biais notamment du contrôle étatique sur les fonds ou sur les gestionnaires (tiers) de ces fonds. Il s’agit, en substance, de deux éléments qui font partie d’une alternative.

96      Le caractère d’éléments faisant partie d’une alternative des deux conditions susmentionnées est confirmé par le point 72 de l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268), dans lequel la Cour, après avoir exclu l’existence d’une « taxe spéciale », a considéré que, par conséquent, il y avait lieu de vérifier si les deux autres éléments évoqués (c’est-à-dire le contrôle étatique sur les fonds ou sur les gestionnaires de réseau) lui permettaient néanmoins de conclure que les fonds générés par le prélèvement EEG constituaient des ressources d’État. En outre, dans l’arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a. (C‑706/17, EU:C:2019:407), tout d’abord, la Cour a relevé que des fonds collectés de manière obligatoire par les gestionnaires de réseaux électriques sur des opérateurs économiques et sur des consommateurs finals pouvaient être considérés comme des ressources d’État (points 64 et 65 dudit arrêt) et, ensuite, elle a constaté, par ailleurs, et donc à titre surabondant, que ces fonds, répartis entre les bénéficiaires du régime par un organisme sous contrôle public, qui ne disposait d’aucun pouvoir d’appréciation quant à la détermination et à la destination de ces fonds, devaient être considérés comme demeurant sous contrôle public (points 66 et 67 dudit arrêt).

97      En effet, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général Jacobs dans ses conclusions dans l’affaire PreussenElektra (C‑379/98, EU:C:2000:585, point 165), le dénominateur commun des affaires dans lesquelles la Cour a reconnu l’existence de ressources d’État est que, d’une manière ou d’une autre, l’État a exercé un contrôle sur les revenus en question. Ce contrôle peut être exercé notamment par le biais de taxes parafiscales, un mécanisme par lequel, selon l’avocat général, l’argent devient propriété de l’État avant d’être redistribué aux entreprises aidées. Partant, selon cette interprétation, l’existence d’une taxe parafiscale est l’une des situations dans lesquelles il y a un contrôle étatique sur les ressources utilisées.

98      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner la présente branche.

99      À titre liminaire, il convient de rappeler les éléments essentiels du régime d’aides fondé sur l’exonération litigieuse (voir points 9 à 13 ci-dessus), à savoir :

–        premièrement, une exonération complète des redevances individuelles pour les consommateurs de charge en continu (c’est-à-dire l’exonération litigieuse), introduite par le gouvernement allemand à partir de l’année 2011 et restée en vigueur jusqu’au 21 août 2013, qui pesait soit sur les gestionnaires de réseau de transport, soit sur les gestionnaires de réseau de distribution, selon le niveau de réseau auquel les bénéficiaires étaient raccordés ;

–        deuxièmement, un mécanisme de compensation, par lequel les gestionnaires de réseau de transport étaient tenus de rembourser aux gestionnaires de réseau de distribution la moins-value résultant de l’exonération complète et devaient compenser entre eux les coûts entraînés par l’exonération selon la quantité d’électricité fournie ;

–        troisièmement, une surtaxe (c’est-à-dire la surtaxe litigieuse) perçue par les gestionnaires de réseau de distribution, à partir de l’année 2012 et jusqu’en 2013, auprès des consommateurs finals ou des fournisseurs d’électricité, dont les recettes étaient reversées aux gestionnaires de réseau de transport pour compenser la perte de recettes provoquée par l’exonération litigieuse et dont le montant était déterminé chaque année, à l’avance, par les gestionnaires de réseau de transport, sur la base d’une méthode établie par la BNetzA, à l’exception du montant total relatif à la première année d’application de la mesure, qui a été fixé directement par la BNetzA de manière forfaitaire.

100    Au considérant 136 de la décision attaquée, qui résume les considérants 49 à 84 de la décision d’ouverture, la Commission rappelle que, dans cette dernière décision, elle a conclu que l’exonération litigieuse avait été financée au moyen de ressources d’État sur la base des éléments suivants :

–        l’exonération litigieuse correspondait à une politique de l’État ;

–        les pertes résultant de l’exonération litigieuse étaient intégralement compensées par la surtaxe litigieuse, qui pesait sur les utilisateurs du réseau et ne restait pas à la charge des gestionnaires de réseau ;

–        les gestionnaires de réseau de transport avaient été chargés de la gestion des flux financiers résultant de l’exonération et de la surtaxe litigieuses et ne pouvaient pas utiliser les revenus de la surtaxe litigieuse de manière autonome ;

–        la surtaxe litigieuse ne représentait pas un paiement pour un service ou une marchandise.

101    Au considérant 137 de la décision attaquée, la Commission rejette l’argument de la République fédérale d’Allemagne selon lequel les ressources destinées au financement de l’exonération litigieuse ne transitaient pas par le budget de l’État. Selon la Commission, la notion de ressources d’État est également présente si l’aide est financée au moyen de ressources privées qui doivent être acquittées sur la base d’une obligation imposée par l’État et sont gérées et distribuées conformément aux dispositions de l’acte juridique concerné, et ce même si les ressources ne sont pas gérées par les autorités étatiques, mais par des organismes non étatiques désignés par l’État.

102    Aux considérants 138 et 139 de la décision attaquée, la Commission souligne que la perte de recettes découlant de l’exonération litigieuse en 2012 et en 2013 a été intégralement répercutée sur les consommateurs finals au moyen d’un mécanisme global de compensation, qui a été financé au moyen d’une surtaxe imposée par l’État aux consommateurs finals.

103    Aux considérants 140 à 147 de la décision attaquée, la Commission précise ce qui suit :

–        la surtaxe litigieuse était une taxe parafiscale imposée par l’État et prélevée auprès des consommateurs finals, et non une redevance de réseau générale ;

–        les gestionnaires de réseau étaient chargés du prélèvement et de la gestion de la surtaxe litigieuse et obligés de collecter cette surtaxe et ne pouvaient utiliser les recettes de la surtaxe que pour la compensation des recettes perdues en raison de l’exonération litigieuse ;

–        la surtaxe garantissait la compensation intégrale de la moins-value que ces gestionnaires obtenaient en raison de l’exonération litigieuse et le montant de la surtaxe était calculé en fonction de l’exonération.

104    En substance, l’examen de la Commission s’appuie sur les deux circonstances suivantes : d’une part, la surtaxe litigieuse constitue une « taxe parafiscale », puisqu’elle constituait une charge obligatoire imposée par l’État et prélevée auprès des « consommateurs finals », et, d’autre part, les gestionnaires de réseau sont chargés de la gestion de la surtaxe selon des règles imposées par l’État, et donc agissent sous contrôle de l’État.

105    Ces deux circonstances sont contestées par la requérante, qui, en substance, fait valoir, d’une part, que la surtaxe litigieuse ne constitue pas une taxe ou une charge grevant le budget étatique et, d’autre part, que l’État n’a aucun contrôle sur les fonds perçus au titre de la surtaxe, ni sur les gestionnaires de réseau, ce contrôle étatique étant pourtant une condition indispensable pour l’existence de ressources d’État, indépendamment de la qualification de la surtaxe litigieuse de taxe parafiscale.

106    À cet égard, il convient de relever, au préalable, que la surtaxe litigieuse a été adoptée par la décision BNetzA de 2011 (voir points 10 à 13 ci-dessus) et que, partant, conformément à une jurisprudence constante (voir point 86 ci-dessus), elle est imputable à l’État, ce qui, d’ailleurs, n’est pas contesté par la requérante.

107    Cette conclusion est sans préjudice de la question de savoir si la décision BNetzA de 2011 peut être considérée comme une décision ultra vires selon le droit allemand et de la question de l’annulation de cette décision par les juridictions allemandes et de son abrogation subséquente (voir point 14 ci-dessus), questions soulevées tardivement par les parties au cours de l’instance et qui ne remettent pas en question le fait que cette décision a été effectivement appliquée pendant la période pertinente (voir points 14 et 15 ci-dessus). En effet, ainsi que cela est relevé par la jurisprudence, l’effectivité des règles en matière d’aides d’État serait considérablement affaiblie si l’application de celles-ci pouvait être écartée en raison du fait qu’une aide a été octroyée en violation de règles nationales (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 17 septembre 2014, Commerz Nederland, C‑242/13, EU:C:2014:2224, point 36) et, à supposer que ladite décision soit illégale, il n’en demeure pas moins qu’elle est susceptible de produire ses effets aussi longtemps qu’elle n’a pas été abrogée ou, à tout le moins, tant que son illégalité n’a pas été constatée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 mars 2005, Heiser, C‑172/03, EU:C:2005:130, point 38).

108    Il en va de même de l’argument de la requérante selon lequel la décision BNetzA de 2011, publiée au Journal officiel de la République fédérale d’Allemagne le 21 décembre 2011, n’aurait pris effet que le 4 janvier 2012 et ne liait donc pas encore les gestionnaires de réseau de transport le 15 octobre 2011, date ultime pour la publication des grilles tarifaires pour l’année 2012, qui étaient contraignantes et applicables à l’ensemble des utilisateurs du réseau. Cet argument, soulevé pour la première fois en réponse à une question écrite du Tribunal, ne remet pas en question le fait que cette décision a trouvé application pendant la période pertinente.

109    Il convient, partant, de vérifier si le mécanisme de la surtaxe litigieuse remplit les conditions énoncées par la jurisprudence pertinente en ce qui concerne l’utilisation de ressources d’État (voir points 87 à 97 ci-dessus) et donc si la surtaxe litigieuse est effectivement une charge obligatoire et, partant, assimilable à une taxe parafiscale ou, dans la négative, si l’État dispose, à tout le moins, d’un contrôle sur les fonds collectés ou sur les organismes chargés de gérer ces fonds.

2)      Sur l’existence d’une charge obligatoire

110    S’agissant du premier élément, à savoir l’existence d’une taxe parafiscale ou d’une charge obligatoire, à titre liminaire, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel les arguments de la requérante à l’égard de l’existence d’une taxe sont irrecevables, puisqu’ils auraient été avancés pour la première fois dans la réplique et que, dans la requête, la requérante n’aurait pas contesté les constatations de la décision attaquée relatives à l’existence d’une taxe et se serait limitée à renvoyer au pourvoi, à l’époque en cours, dans l’affaire qui a fait l’objet de l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268).

111    En effet, dans la requête, la requérante a contesté l’application du critère des ressources d’État, en faisant valoir que, malgré le fait qu’elles étaient calculées selon des critères fondés sur une réglementation publique, les redevances de réseau constituaient des rétributions que des entités de droit privé se versaient entre elles sur une base purement privée et que l’État n’avait à aucun moment accès à ces redevances, qui n’avaient ainsi aucun lien avec les budgets publics.

112    Ces passages suffisent à comprendre les griefs sur lesquels le juge de l’Union est appelé à se prononcer et à étayer, bien que d’une façon très succincte et superficielle, les éléments de fait et de droit sur lesquels ces griefs sont fondés. La requête est donc conforme à l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

113    S’agissant du bien-fondé des arguments de la requérante, aux fins de qualifier la surtaxe litigieuse de « taxe parafiscale » à la lumière de la jurisprudence citée, il convient de vérifier si cette surtaxe, imposée par l’État, était intégralement répercutée, par une obligation légale, sur les débiteurs ultimes de ladite surtaxe.

114    À cet égard, les positions des parties divergent en ce qui concerne la question de savoir si la surtaxe litigieuse était obligatoirement répercutée sur le « consommateur final », ainsi que cela est indiqué dans la décision attaquée (voir notamment considérants 135, 138, 140 et 143 de ladite décision), et donc en ce qui concerne la question de l’identification des débiteurs ultimes de la surtaxe litigieuse.

115    La Commission inclut dans cette définition les utilisateurs du réseau, à savoir les grands consommateurs d’électricité directement raccordés au réseau et les fournisseurs d’électricité, qui sont tenus de payer la surtaxe dans la mesure où ils concluent des contrats avec les gestionnaires de réseau en vue d’acheter de l’électricité (pour eux-mêmes, comme les grands consommateurs, ou pour leurs clients, comme les fournisseurs) et sont donc des « consommateurs finals » du service d’« utilisation du réseau ».

116    La requérante et la République fédérale d’Allemagne incluent dans cette notion les consommateurs finals d’électricité, et non les fournisseurs d’électricité, et soutiennent que la surtaxe litigieuse, qui est perçue uniquement sur les utilisateurs du réseau, n’est pas obligatoirement répercutée sur tous les consommateurs finals d’électricité. Elles contestent également le fait que les gestionnaires de réseau soient tenus de percevoir la surtaxe litigieuse auprès des utilisateurs du réseau. Selon cette interprétation, en substance, la surtaxe litigieuse ne constitue pas une charge grevant le budget de l’État, mais plutôt une « redevance », à savoir un transfert de fonds que des entités privées se versent entre elles.

117    Il convient donc d’identifier les débiteurs ultimes de la surtaxe litigieuse et de déterminer si celle-ci est obligatoire à l’égard de ces derniers.

118    S’agissant des débiteurs ultimes de la surtaxe litigieuse, il convient de distinguer, d’une part, la relation entre les gestionnaires de réseau et les utilisateurs du réseau (pour la plupart des fournisseurs d’électricité, mais également des grands consommateurs d’électricité) et, d’autre part, la relation entre les fournisseurs d’électricité et les consommateurs d’électricité : la surtaxe litigieuse ne concerne que la première relation, celle entre les gestionnaires et les utilisateurs, la surtaxe étant perçue en conséquence de l’utilisation du réseau, et non de la consommation d’électricité.

119    Dans ces circonstances, la question, soulevée par la requérante (voir point 116 ci-dessus), de savoir si les fournisseurs d’électricité étaient à leur tour obligés de répercuter la surtaxe en question sur leurs clients, soit sur tous les consommateurs finals d’électricité, n’est pas pertinente, compte tenu du fait que les débiteurs ultimes de cette surtaxe étaient les utilisateurs du réseau, c’est-à-dire les fournisseurs eux-mêmes ainsi que les consommateurs finals directement raccordés au réseau, et non les autres consommateurs finals.

120    S’agissant du caractère obligatoire de la surtaxe litigieuse, tout d’abord, force est de constater que la décision attaquée identifie clairement une obligation de perception et de répercussion de la surtaxe litigieuse à l’égard des « consommateurs finals » en faisant, notamment, référence à la décision BNetzA de 2011 (voir considérants 135, 138, 140, 141 et 143 de la décision attaquée), qui, à ses points 3 et 5.2, mentionne ces consommateurs conjointement avec les fournisseurs comme étant les débiteurs ultimes de ladite surtaxe, en tant qu’utilisateurs du réseau. Cette interprétation est corroborée par les considérations mentionnées au point 20 de l’arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) du 6 octobre 2015 (voir point 14 ci-dessus) et rappelées au considérant 140 de la décision attaquée, dans lesquelles le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) est parvenu à la conclusion que la surtaxe litigieuse ne constituait pas une contrepartie pour l’utilisation du réseau, mais une taxe au moyen de laquelle la moins-value subie par les gestionnaires de réseau devait être couverte.

121    Par ailleurs, il convient de rappeler que, pour qu’une mesure constitue une « taxe » au sens des articles 30 ou 110 TFUE, il suffit qu’elle soit perçue sur des produits ou des services intermédiaires, sans qu’elle se répercute nécessairement sur les consommateurs finals des produits ou des services en aval, la jurisprudence ayant confirmé que, aux fins de l’application de ces dispositions, la qualité du débiteur de la taxe importait peu, pour autant que la taxe ait porté sur le produit ou sur une activité nécessaire en relation avec le produit (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C‑206/06, EU:C:2008:413, point 49). L’élément décisif, à cet égard, ainsi qu’il est affirmé par la jurisprudence citée au point 90 ci-dessus, est constitué par le fait que de telles entités sont mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, et non simplement tenues à une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres.

122    Ensuite, il convient de relever que, en l’espèce, après avoir précisé que la surtaxe litigieuse avait été ordonnée, de manière juridiquement contraignante, par la décision BNetzA de 2011, la Commission a conclu, au considérant 143 de la décision attaquée, que la décision BNetzA de 2011 imposait aux gestionnaires de réseau de distribution l’obligation de percevoir la surtaxe litigieuse auprès de tous les consommateurs finals ou fournisseurs et que cette décision prévoyait également de transférer mensuellement les recettes générées par cette surtaxe aux différents gestionnaires de réseau de transport.

123    En effet, le point 3 de la décision BNetzA de 2011, lu conjointement avec son point 5.2, prévoit que les gestionnaires de réseau de distribution sont tenus de collecter la surtaxe litigieuse « auprès de tous les consommateurs finals ou fournisseurs et de la transmettre mensuellement au gestionnaire de réseau de transport concerné ». Il convient donc de conclure que la surtaxe litigieuse, introduite par une autorité administrative par le biais d’une mesure réglementaire, avait un caractère obligatoire à l’égard des consommateurs finals, en tant qu’utilisateurs du réseau, en ce que ladite décision obligeait les gestionnaires de réseau de distribution à répercuter sur lesdits consommateurs les surcoûts liés à la surtaxe litigieuse, contrairement à la situation qui était à l’origine de l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 70).

124    Par ailleurs, d’une part, cette conclusion de la Commission est fondée sur l’interprétation donnée par les autorités allemandes au cours de la procédure administrative, dont il ressort clairement que les gestionnaires de réseau de distribution avaient l’obligation de percevoir la surtaxe litigieuse auprès des consommateurs finals ou fournisseurs et de la transférer mensuellement aux différents gestionnaires de réseau de transport. D’autre part, nonobstant, dans la décision d’ouverture, le fait que la Commission a clairement affirmé que la décision BNetzA de 2011 avait imposé aux gestionnaires de réseau de distribution l’obligation de percevoir la surtaxe litigieuse auprès des consommateurs finals, en tant qu’utilisateurs du réseau (voir notamment point 14 de la décision d’ouverture), les autorités allemandes n’ont fait valoir, au cours de la procédure administrative, aucun argument visant à contester cette conclusion.

125    En outre, s’agissant de l’argument selon lequel la décision BNetzA de 2011 n’avait pas d’effets obligatoires, puisque l’obligation de paiement incombant aux utilisateurs du réseau découlait exclusivement de contrats de droit privé entre les gestionnaires et les utilisateurs du réseau, et selon lequel la BNetzA ne pouvait pas imposer une obligation qui n’était pas autorisée par le cadre législatif, à savoir le règlement StromNEV 2011 et la loi sur la promotion de la cogénération de chaleur et d’électricité du 19 mars 2002, à laquelle ce règlement renvoyait, et indépendamment de la recevabilité de cet argument, soulevé dans la réplique, il convient de relever que le texte du point 3 de la décision BNetzA de 2011 impose l’obligation de percevoir la surtaxe litigieuse aux gestionnaires de réseau de distribution, qui sont donc tenus de prélever cette surtaxe sur leurs clients. Or, dans la mesure où cette décision faisait partie du régime en vigueur pendant la période pertinente et a produit des effets obligatoires, qui, par ailleurs, n’ont pas été retirés par les dispositions qui ont, successivement, abrogé ce régime (voir points 14 et 15 ci-dessus), il doit être conclu que le régime fondé sur la surtaxe litigieuse a produit un effet juridiquement obligatoire.

126    Enfin, la Commission a relevé, aux considérants 39, 144 et 145 de la décision attaquée, que le mécanisme de la surtaxe litigieuse assurait aux gestionnaires de réseau la compensation intégrale de la moins-value qu’ils subissaient en raison de l’exonération litigieuse, puisque le montant de ladite surtaxe était adapté au montant des ressources requises en raison de l’exonération litigieuse.

127    Cette interprétation de la Commission est corroborée par les points 2 et 6 de la décision BNetzA de 2011, qui exigent que les gestionnaires de réseau de transport tiennent compte des prévisions de pertes de recettes dues à l’exonération litigieuse pour le calcul de la surtaxe litigieuse et que la différence entre la prévision des recettes perdues et les recettes effectivement perdues soit compensée individuellement par chaque gestionnaire de réseau.

128    Les autres arguments de la requérante ne sauraient infirmer ces constatations.

129    Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel le montant de la surtaxe litigieuse ne serait pas fixé par l’État, mais par les gestionnaires de réseau de transport, il suffit de rappeler que, ainsi que cela est relevé par la Commission au considérant 37 de la décision attaquée, pour la première année d’application du régime, la décision BNetzA de 2011 a fixé le montant initial de la surtaxe litigieuse à 440 millions d’euros, dont un montant estimé de 140 millions d’euros pour les redevances individuelles appliquées aux consommateurs anticycliques et de 300 millions d’euros pour l’exonération litigieuse, et, pour la seconde année d’application du régime, ladite décision BNetzA a établi une méthode très détaillée pour le calcul de la surtaxe. Ainsi qu’il ressort des points 1 et 2 de cette décision, ainsi que de son point 5.2, les gestionnaires de réseau de transport devaient déterminer, d’une part, la moins-value escomptée résultant de l’exonération par rapport au paiement intégral des redevances de réseau et, d’autre part, la consommation attendue, afin de déterminer le montant de la surtaxe litigieuse par kilowatt/heure, compte tenu des revenus générés durant l’avant-dernière année. En outre, ainsi que cela est relevé par la Commission au considérant 39 de la décision attaquée, conformément à la décision BNetzA de 2011, les gestionnaires de réseau de transport devaient adapter le montant de la surtaxe litigieuse chaque année sur la base des besoins financiers réels de l’année précédente.

130    Deuxièmement, il convient de rejeter l’argument selon lequel il n’existait aucun mécanisme légal pour assurer une compensation intégrale des pertes, notamment au motif de l’impossibilité de répercuter les coûts de la surtaxe litigieuse en cas de créances irrécouvrables. En effet, la qualification de la surtaxe litigieuse de taxe parafiscale suffit à considérer les recettes de cette taxe comme ressources d’État, sans qu’il soit nécessaire que l’État s’engage à compenser les pertes générées par le non-paiement de ladite surtaxe, notamment en cas de créances irrécouvrables. Même si, comme le reconnaît la Commission, les pertes de créances non récupérables sont supportées économiquement par les gestionnaires de réseau de distribution, il convient de relever qu’une perte de recettes due à une insolvabilité ne constitue pas une perte de recettes au sens du régime en question et se justifie au motif que les relations entre les gestionnaires de réseau et les débiteurs ultimes de la surtaxe litigieuse sont des relations de droit privé.

131    Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel, en vertu de l’affectation exclusive des ressources générées par la surtaxe litigieuse, l’État n’avait aucun pouvoir de disposition sur les fonds, ce qui, conformément à l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 76), exclurait que la surtaxe litigieuse impliquât l’utilisation de ressources d’État, il convient de constater que, au point 76 de cet arrêt, l’existence d’une affectation exclusive des ressources avait été appréciée dans l’examen du contrôle étatique sur les gestionnaires de réseau, et non dans celui de l’existence d’une taxe parafiscale, comme en l’espèce. Partant, cet argument sera examiné dans le contexte de l’examen du contrôle étatique desdits gestionnaires (voir points 144 et 145 ci-après). En tout état de cause, la qualification de la surtaxe litigieuse de taxe parafiscale, lorsqu’elle est confirmée sur la base de l’appréciation qui précède, n’est pas remise en cause par l’existence d’une affectation exclusive des ressources. Au contraire, ce dernier élément confirme que le mécanisme de la surtaxe est réglé par des dispositions étatiques.

132    À la lumière de ce qui précède, il convient de conclure que la décision BNetzA de 2011, imposant aux gestionnaires de réseau de distribution, de manière juridiquement contraignante, l’obligation de percevoir la surtaxe litigieuse auprès des consommateurs finals, en tant qu’utilisateurs du réseau, constitue une taxe parafiscale ou une charge obligatoire au sens de la jurisprudence visée au point 121 ci-dessus et implique donc l’utilisation de ressources d’État.

3)      Sur l’existence d’un contrôle étatique sur les fonds perçus au titre de la surtaxe ou sur les gestionnaires de réseau

133    S’agissant du second élément, à savoir l’existence d’un contrôle étatique sur les fonds perçus au titre de la surtaxe ou sur les gestionnaires de réseau, il convient de relever que, certes, contrairement à ce que fait valoir la Commission, il n’existe pas de contrôle étatique sur les gestionnaires de réseau, conformément aux principes dégagés par la Cour dans l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268), qui, au demeurant, concernait les mêmes gestionnaires du réseau électrique allemand. En effet, le fait que ces gestionnaires soient soumis à autorisation ou à certification et qu’ils soient titulaires de concessions n’est pas suffisant pour établir qu’ils agissent purement et simplement sous contrôle public. De même, la Cour a précisé qu’un simple contrôle de la bonne exécution du régime en question n’était pas suffisant à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, points 77 à 85).

134    Toutefois, l’absence d’un contrôle public permanent sur les gestionnaires de réseau n’est pas décisive en l’espèce, dans la mesure où il y a un contrôle étatique sur les fonds, c’est-à-dire sur le mécanisme entier de perception et d’attribution de la surtaxe litigieuse (voir également jurisprudence citée au point 89 ci-dessus).

135    À cet égard, il convient de rappeler que la décision BNetzA de 2011 oblige les gestionnaires de réseau à percevoir, auprès des utilisateurs du réseau, y compris les consommateurs finals, la surtaxe litigieuse, telle que calculée par la BNetzA (pour l’année 2012) ou selon la méthode fixée par cette dernière (pour l’année 2013), et les recettes perçues sont versées aux gestionnaires de réseau de transport en compensation des surcoûts générés par l’exonération litigieuse. En outre, il est constant entre les parties que les recettes générées par la surtaxe litigieuse sont exclusivement affectées aux objectifs du régime par les dispositions législatives et réglementaires examinées. Il a été également relevé, au point 129 ci-dessus, que, selon la décision BNetzA de 2011, les gestionnaires de réseau recevaient une somme qui correspondait aux surcoûts générés par l’exonération litigieuse, le montant de la surtaxe litigieuse étant adapté au montant des ressources requises en raison de l’exonération litigieuse.

136    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que, d’une part, il existe une analogie entre la surtaxe litigieuse et les surcoûts générés par l’exonération litigieuse et, d’autre part, les gestionnaires de réseau agissaient en tant que simples intermédiaires dans l’exécution d’un mécanisme réglé dans sa totalité par des dispositions étatiques (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 20 septembre 2019, FVE Holýšov I e.a./Commission, T‑217/17, non publié, sous pourvoi, EU:T:2019:633, points 115 et 116).

137    Cette conclusion ne saurait être remise en question par les arguments de la requérante.

138    Premièrement, si le fait que la surtaxe litigieuse est perçue en exécution d’objectifs étatiques ou d’une politique étatique mise en œuvre par la décision de la BNetzA de 2011, en lui-même, n’est pas un élément décisif pour établir l’existence d’un contrôle étatique, cela n’enlève rien à ce qu’il s’agit d’un des éléments dont il ressort qu’il existe un contrôle étatique sur le système de perception et d’attribution de la surtaxe litigieuse.

139    Deuxièmement, l’argument selon lequel les gestionnaires de réseau ne constituent pas des organismes mandatés par l’État pour gérer les recettes de la surtaxe litigieuse, mais participent exclusivement à la mise en œuvre du système, ne saurait convaincre. En effet, selon la jurisprudence, un « mandat » explicite n’est pas nécessaire à cet égard, lorsqu’il est démontré, sur la base des considérations exposées ci-dessus, qu’il existe un contrôle étatique sur le mécanisme entier de perception de la surtaxe litigieuse et d’attribution des fonds générés. En effet, dans les affaires où l’absence d’un tel « mandat » étatique a été un élément décisif pour écarter la nature étatique des ressources en question, il y avait soit une simple obligation d’achat imposée sur des entreprises de droit privé au moyen de leurs ressources financières propres (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, EU:C:2001:160, points 58 à 61, et du 13 septembre 2017, ENEA, C‑329/15, EU:C:2017:671, points 26 et 30), soit l’absence, à la fois, d’une charge obligatoirement imposée sur les clients finals et d’un contrôle étatique des fonds générés par le prélèvement en question (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, points 65 à 86).

140    Troisièmement, la circonstance selon laquelle les gestionnaires de réseau sont des organismes de droit privé et agissent sur la base de relations juridiques de droit privé, en particulier en ce qui concerne le recouvrement des créances liées à la surtaxe litigieuse, sans bénéficier d’aucun pouvoir d’exécution, n’est pas en soi décisive, ce qui compte étant de savoir si ces organismes ont été désignés par l’État en vue de gérer des ressources étatiques (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère! e.a., C‑262/12, EU:C:2013:851, point 20, et du 20 septembre 2019, FVE Holýšov I e.a./Commission, T‑217/17, non publié, sous pourvoi, EU:T:2019:633, point 126). Par ailleurs, l’argument tiré de ce que l’un des gestionnaires de réseau de transport, TransnetBW, était majoritairement détenu par l’État, bien qu’il soit fondé, n’est pas pertinent à cet égard.

141    Quatrièmement, il est vrai que, selon la jurisprudence, le contrôle de la bonne exécution du système par les autorités publiques ne suffit pas à établir l’existence d’un contrôle sur les gestionnaires ou sur les fonds en question (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 77).

142    Toutefois, dans l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 82), la Cour ne remet pas en cause sa jurisprudence selon laquelle des fonds alimentés par des charges obligatoires imposées par la législation de l’État membre, gérés et répartis conformément à cette législation, peuvent être considérés comme des ressources d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, même s’ils sont gérés par des entités distinctes de l’autorité publique (arrêt du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère! e.a., C‑262/12, EU:C:2013:851, point 25), mais elle souligne l’absence, dans cet autre cas d’espèce, de deux éléments essentiels, à savoir l’existence d’un principe de couverture intégrale de l’obligation d’achat par l’État membre en question et le fait que les sommes en question étaient confiées à la Caisse des dépôts et consignations, c’est-à-dire à une personne morale de droit public qui agissait sous l’autorité de l’État (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, points 83 à 85). Cet argument, donc, ne saurait convaincre lorsqu’il est démontré, ainsi que le relève la Commission, que le contrôle étatique concerne le mécanisme entier de prélèvement de la surtaxe litigieuse et d’attribution des recettes générées par la surtaxe, y inclus la couverture intégrale des surcoûts générés par cette surtaxe, sur la base des considérations qui précèdent (voir point 135 ci-dessus).

143    Cinquièmement, l’argument selon lequel l’État ne garantit pas la couverture des éventuelles pertes de recettes, les surcoûts pouvant n’être pas répercutés et les gestionnaires des réseaux de distribution fermés étant tenus d’accorder l’exonération litigieuse sans bénéficier d’aucun remboursement, a été écarté dans le cadre de la qualification de la surtaxe litigieuse de taxe parafiscale (voir point 130 ci-dessus).

144    Sixièmement, s’agissant de l’argument tiré de ce que l’affectation exclusive des ressources en question exclut tout pouvoir de disposition de l’État sur les fonds générés par la surtaxe litigieuse, il est vrai que si, dans certaines circonstances, le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C‑206/06, EU:C:2008:413, point 69 ; du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 66, et du 11 décembre 2014, Autriche/Commission, T‑251/11, EU:T:2014:1060, point 70) a considéré l’affectation exclusive des ressources imposée par la loi comme un indice du fait que les fonds ou les gestionnaires de ces fonds étaient sous contrôle public, et donc comme un indice de l’emploi de ressources étatiques, dans d’autres circonstances, la Cour, même en présence d’une affectation exclusive des ressources, a écarté l’existence d’une influence dominante des autorités publiques, et donc l’existence de l’emploi de ressources étatiques, en l’absence d’un pouvoir de disposition sur les fonds, c’est-à-dire de la possibilité d’affectation différente de ces fonds de la part des autorités publiques (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission, C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 76).

145    Or, il faut tenir compte de ce que, dans l’arrêt du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268), contrairement à la jurisprudence précédente, la Cour a examiné cet élément aux fins d’apprécier l’existence d’un contrôle étatique sur les fonds, dans une situation où elle avait exclu le caractère obligatoire de la charge, tout en précisant que l’affectation exclusive des ressources tendait plutôt à démontrer, en l’absence de tout autre élément en sens contraire, que l’État n’était précisément pas en mesure de disposer de ces fonds, c’est-à-dire de décider d’une affectation différente de celle prévue par les dispositions législatives en question. Partant, plutôt que de revenir sur la jurisprudence précédente, laquelle a, de surcroît, été confirmée peu de temps après par l’arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a. (C‑706/17, EU:C:2019:407, point 66), la Cour s’est délibérément limitée à indiquer que, à défaut d’autres éléments, cet élément n’était pas, à lui seul, décisif pour démontrer l’existence d’un tel contrôle.

146    À la lumière de tout ce qui précède, il convient de conclure que la surtaxe litigieuse constitue, conformément à la jurisprudence pertinente, une taxe parafiscale ou une charge obligatoire, dont le montant a été fixé par une autorité publique (pour l’année 2012) ou selon une méthode imposée par cette autorité (pour l’année 2013), qui poursuit des objectifs d’intérêt public, qu’elle a été imposée sur les gestionnaires de réseau selon des critères objectifs et qu’elle a été prélevée par ces derniers selon les règles imposées par les autorités nationales.

147    Il s’ensuit que l’exonération litigieuse constitue une mesure accordée au moyen de ressources d’État.

148    Dans ces circonstances, il convient de rejeter la seconde branche du deuxième moyen.

2.      Sur le troisième moyen, tiré de la compatibilité de l’aide présumée avec le marché intérieur

149    Par le troisième moyen, la requérante fait valoir que, à supposer que les mesures litigieuses constituent une aide d’État, celle-ci serait compatible avec le marché intérieur soit en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, soit en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

a)      Sur la compatibilité de l’aide présumée en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE

150    La requérante reproche à la Commission d’avoir commis une erreur d’appréciation en ce qu’elle n’a pas conclu que l’exonération litigieuse était compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Elle rappelle que, à la suite de l’accident du réacteur de Fukushima (Japon), survenu au printemps 2011, le gouvernement fédéral allemand avait adopté un ensemble de dispositions réglementaires, et notamment l’exonération litigieuse, pour amorcer la transition énergétique en faisant sortir l’Allemagne de l’énergie nucléaire et en renforçant les énergies renouvelables, ce qui a exigé l’extension du réseau et a engendré une hausse des coûts de l’approvisionnement en électricité, provoquant le risque d’une délocalisation de la production par des industries à forte intensité électrique.

151    La Commission conteste les arguments de la requérante.

152    Aux termes de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur notamment les aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre.

153    À cet égard, il doit être rappelé que, s’agissant d’une dérogation au principe général d’incompatibilité avec le marché intérieur des aides d’État énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE est d’interprétation stricte (voir arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 142 et jurisprudence citée).

154    En outre, il ressort de la jurisprudence que la Commission ne peut déclarer une aide compatible avec l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE que si elle peut constater que cette aide contribue à la réalisation de l’un des objectifs cités, objectifs que l’entreprise bénéficiaire ne pourrait atteindre par ses propres moyens dans des conditions normales de marché. En d’autres termes, il ne faut pas permettre aux États membres d’effectuer des versements qui apporteraient une amélioration de la situation financière de l’entreprise bénéficiaire sans être nécessaires pour atteindre les buts prévus par l’article 107, paragraphe 3, TFUE (arrêts du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, EU:T:1998:140, point 105, et du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 143).

155    Il convient également de rappeler que l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire dont l’exercice implique des appréciations d’ordre économique et social. Le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’au contrôle de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ou de détournement de pouvoir (voir arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 78 et jurisprudence citée). En particulier, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation économique à celle de l’auteur de la décision (voir arrêt du 13 décembre 2018, Stena Line Scandinavia/Commission, T‑631/15, non publié, EU:T:2018:944, point 116 et jurisprudence citée).

156    Par ailleurs, la charge de la preuve concernant la compatibilité d’une aide d’État incombe à l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 1993, Italie/Commission, C‑364/90, EU:C:1993:157, point 20).

157    En l’espèce, la Commission a constaté, au considérant 167 de la décision attaquée, que l’exonération litigieuse n’était pas liée à un projet important d’intérêt européen commun et que la République fédérale d’Allemagne n’avait pas fourni d’informations qui attesteraient que cette exonération remédiait à une perturbation grave de son économie.

158    La requérante conteste cette constatation, en faisant valoir que certaines parties intéressées à la procédure et la République fédérale d’Allemagne avaient évoqué l’existence d’une perturbation grave de l’économie allemande, ainsi qu’il ressortirait, respectivement, des considérants 64 et 79 de la décision attaquée.

159    Or, au considérant 64 de la décision attaquée, la Commission souligne, de façon très générique, que quelques parties intéressées avaient soutenu que l’exonération litigieuse était compatible avec le marché intérieur, car elle renforçait la compétitivité de gros consommateurs d’énergie et empêchait la délocalisation de leurs activités vers des pays tiers. Au considérant 79 de la même décision, elle rappelle les observations de la République fédérale d’Allemagne selon lesquelles l’exonération litigieuse n’entraînerait pas de distorsion de concurrence sur le marché intérieur. Il ne ressort pas de ces considérants que la République fédérale d’Allemagne ou les autres parties intéressées à la procédure aient fourni des éléments démontrant notamment l’existence d’une perturbation grave de l’économie allemande en l’espèce, au sens de la disposition invoquée.

160    En revanche, aux considérants 80 et 165 de la décision attaquée, la Commission rappelle que, au cours de la procédure administrative, la République fédérale d’Allemagne a fait valoir que l’exonération litigieuse pouvait être considérée comme compatible avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, sous b) ou c), TFUE, parce que cette exonération poursuivait des objectifs de garantie de la sécurité d’approvisionnement, de promotion des sources d’énergie renouvelables et d’introduction d’un système d’accès au réseau sans discrimination entre ses utilisateurs, conformément à l’article 32 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55), et visait à garantir que les redevances de réseau reflètent les coûts effectivement engagés, conformément à l’article 14 du règlement (CE) n° 714/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, sur les conditions d’accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d’électricité et abrogeant le règlement (CE) n° 1228/2003 (JO 2009, L 211, p. 15), arguments qu’elle a écartés aux considérants 163 à 216 de la décision attaquée.

161    Par ailleurs, la Commission a précisé, sans que cela soit contesté par la requérante, que la République fédérale d’Allemagne avait mentionné une seule fois l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE au cours de la procédure administrative et avait motivé son application par une référence à la sortie du nucléaire dans le contexte de la crise économique et financière ainsi qu’à la réindustrialisation de l’Union qu’aurait exigée la Commission.

162    Or, force est de constater que, face à ces références très génériques et à défaut d’autres éléments pertinents dans le dossier, la Commission n’était pas tenue d’examiner en détail l’application de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE en l’espèce.

163    En tout état de cause, les arguments avancés par la requérante ne sauraient non plus suffire à fonder l’applicabilité de cette disposition en l’espèce.

164    En effet, la requérante se borne à évoquer l’accident du réacteur de Fukushima de 2011, soutenant que le gouvernement fédéral allemand avait adopté l’exonération litigieuse, parmi d’autres mesures, pour amorcer la transition énergétique en faisant sortir l’Allemagne de l’énergie nucléaire et en renforçant les énergies renouvelables. Cela aurait exigé une extension du réseau et engendré une hausse des coûts de l’approvisionnement en électricité, provoquant le risque d’une délocalisation de la production par des industries à forte intensité électrique.

165    Or, ces allégations, qui par ailleurs ne sont pas étayées par des éléments concrets, ne suffisent pas à démontrer l’existence d’une grave perturbation de l’économie en l’espèce, sans compter l’absence de tout lien entre l’exonération litigieuse, qui favorise les consommateurs de charge en continu dans l’objectif déclaré d’assurer la stabilité du réseau, et la prétendue perturbation de l’économie, qui devrait être de caractère général, ainsi que l’absence de toute démonstration de la proportionnalité de l’exonération litigieuse eu égard à l’objectif poursuivi, au sens de la jurisprudence citée au point 154 ci-dessus.

166    Il convient donc de rejeter la première branche du troisième moyen.

b)      Sur la compatibilité de l’aide présumée en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sousc), TFUE

167    La requérante reproche à la Commission d’avoir commis une erreur d’appréciation en ce qu’elle n’a pas conclu que l’exonération litigieuse était compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. L’exonération litigieuse satisferait aux quatre conditions introduites par la jurisprudence à cet égard, puisque, premièrement, elle contribuerait à la réalisation d’objectifs d’intérêt commun, notamment à l’augmentation de la sécurité d’approvisionnement et à la promotion des énergies renouvelables, deuxièmement, elle serait nécessaire et aurait un effet incitatif, la mesure ayant incité les industries à forte intensité énergétique à ne pas fermer leurs sites d’exploitation en Allemagne ou dans l’Union en raison des coûts élevés de l’électricité, troisièmement, elle serait proportionnée à l’objectif poursuivi, question que la Commission n’aurait même pas examinée, et, quatrièmement, elle ne produirait aucun effet négatif pour le marché intérieur.

168    La Commission conteste les arguments de la requérante.

169    Aux termes de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur notamment les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

170    À cet égard, il doit être rappelé que, s’agissant d’une dérogation au principe général d’incompatibilité avec le marché intérieur des aides d’État énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE est d’interprétation stricte (voir arrêt du 13 décembre 2017, Grèce/Commission, T‑314/15, non publié, EU:T:2017:903, point 160 et jurisprudence citée).

171    En outre, il ressort de la jurisprudence que la Commission ne peut déclarer une aide compatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, TFUE que si elle peut constater que cette aide contribue à la réalisation de l’un des objectifs mentionnés dans cette disposition, objectifs que l’entreprise bénéficiaire ne pourrait atteindre par ses propres moyens dans des conditions normales de marché. En d’autres termes, afin qu’une aide puisse bénéficier d’une des dérogations prévues à l’article 107, paragraphe 3, TFUE, elle doit être non seulement conforme à l’un des objectifs visés par l’article 107, paragraphe 3, sous a), b), c) ou d), TFUE, mais également nécessaire pour atteindre ces objectifs. Cette aide doit en effet inciter le bénéficiaire à adopter un comportement de nature à contribuer à la réalisation desdits objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Achemos Grupė et Achema/Commission, T‑417/16, non publié, sous pourvoi, EU:T:2019:597, point 68 et jurisprudence citée).

172    Il convient également de rappeler que, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées à l’échelle de l’Union. Le Tribunal, en contrôlant la légalité de l’exercice d’une telle liberté, ne saurait substituer son appréciation en la matière à celle de l’autorité compétente, mais doit se limiter à examiner si cette dernière appréciation est entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir. Dès lors que le large pouvoir d’appréciation conféré à la Commission, explicité, le cas échéant, par les règles indicatives adoptées par elle, implique des évaluations complexes d’ordre économique et social devant être effectuées à l’échelle de l’Union, le juge exerce sur celles-ci un contrôle restreint. Celui-ci se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de l’obligation de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir [voir arrêt du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 87 (non publié) et jurisprudence citée].

173    En outre, ainsi qu’il est rappelé au point 156 ci-dessus, la charge de la preuve concernant la compatibilité d’une aide d’État incombe à l’État membre concerné.

174    En l’espèce, aux considérants 168 à 215 de la décision attaquée, la Commission a conclu que l’exonération litigieuse ne remplissait pas les quatre conditions pour l’application de cette disposition, à savoir, premièrement, l’existence d’un objectif d’intérêt commun et le caractère approprié de l’aide (considérants 171 à 194 de ladite décision), deuxièmement, la nécessité de l’aide (considérants 195 à 202 de ladite décision), troisièmement, l’effet incitatif de l’aide (considérants 203 et 204 de ladite décision) et, quatrièmement, le caractère adéquat de l’aide et l’absence d’effets négatifs prépondérants (considérants 205 à 215 de ladite décision).

175    À titre liminaire, il convient de relever que, ainsi que le souligne la Commission, la requérante n’avance aucun argument concret contre les conclusions de la Commission relatives à la quatrième condition, ce qui suffit pour écarter comme inopérante le reste de son argumentation et, partant, rejeter la branche en question.

176    En tout état de cause, les arguments de la requérante ne sauraient prospérer.

177    En premier lieu, s’agissant de l’argument tiré de ce que l’exonération litigieuse contribue à la réalisation d’objectifs d’intérêt commun, à savoir l’augmentation de la sécurité d’approvisionnement et la promotion des énergies renouvelables, il convient de rappeler que, aux considérants 173 et 174 de la décision attaquée, la Commission, tout en reconnaissant que ces deux objectifs avaient été reconnus comme des objectifs d’intérêt commun, a relevé que l’exonération litigieuse n’était pas en mesure d’atteindre ces objectifs, ni n’était appropriée à cet égard, puisqu’elle conduisait à des résultats contradictoires et pouvait même faire obstacle à ces objectifs.

178    À cet égard, la requérante soutient que les consommateurs de charge en continu apportent une contribution positive au déploiement des énergies renouvelables, puisque, en substance, leur consommation contribue au délestage du réseau, réduisant la probabilité de réglages à la baisse des installations de production d’électricité à partir de sources renouvelables, de sorte que la compensation pour lesdits réglages incombant sur ces installations est moins élevée.

179    Cet argument reprend l’argument de la République fédérale d’Allemagne, résumé aux considérants 172 et 175 de la décision attaquée, selon lequel la consommation continue et constante d’électricité par les consommateurs de charge en continu « soulage et stabilise » le réseau, car la prévisibilité de la consommation de charge en continu exonérée contribue à une utilisation efficace des capacités de production, en évitant de recourir à des mesures de compensation et de redistribution ainsi qu’aux réserves.

180    Or, tout d’abord, force est de constater que, si les effets de stabilisation du réseau peuvent être pris en considération en ce qui concerne la possibilité de fixer des redevances individuelles pour les consommateurs de charge en continu, il n’est pas démontré que ces effets justifient une exonération complète de ces charges, à l’instar de l’exonération litigieuse.

181    Ensuite, il convient de relever que, même en tenant compte de la circonstance, évoquée par la République fédérale d’Allemagne, que les sites des consommateurs de charge en continu subissent moins de pertes de transport, étant implantés plus près des centrales électriques, une exonération totale à l’égard de tous ces consommateurs ne tient pas compte de la distance séparant chacun d’entre eux des centrales, et donc de la contribution, forcément différente, que chacun d’entre eux apporte à l’équilibre du système.

182    Enfin, il convient également de relever que, ainsi que le fait valoir la Commission au considérant 171 de la décision attaquée, par une constatation qui n’a pas été contestée par la requérante, l’exonération litigieuse exonère les consommateurs de charge en continu des coûts de réseau que de toute façon ils génèrent, bien que dans une proportion moins importante que d’autres entreprises, ce qui contredit le principe, inscrit au considérant 36 de la directive 2009/72, selon lequel les redevances de réseau doivent refléter les coûts.

183    En deuxième lieu, s’agissant de l’argument tiré de ce que l’exonération litigieuse est nécessaire pour atteindre les objectifs de promotion de l’électricité d’origine renouvelable et de garantie de la sécurité d’approvisionnement, il convient de rappeler que, aux considérants 195 à 202 de la décision attaquée, la Commission a conclu, en substance, que la République fédérale d’Allemagne n’avait pas démontré que, sans l’exonération litigieuse, les consommateurs de charge en continu auraient quitté le réseau public et construit un raccordement direct à une centrale ou seraient devenus autoproducteurs, ni qu’ils auraient modifié leur comportement de consommation et adopté un profil de charge variable et imprévisible.

184    À cet égard, la requérante fait valoir que l’exonération litigieuse créait un facteur supplémentaire incitant les industries à forte intensité énergétique à ne pas fermer leurs sites d’exploitation en Allemagne ou dans l’Union en raison des coûts élevés de l’électricité.

185    Cet argument ne se fonde sur aucune base factuelle et, par ailleurs, concerne un objectif, à savoir celui d’éviter la délocalisation des entreprises, qui est différent de l’objectif d’intérêt commun invoqué au soutien de la compatibilité de l’aide, à savoir celui de promouvoir l’électricité renouvelable et de garantir la sécurité d’approvisionnement, et qui pourrait difficilement être qualifié d’objectif d’intérêt commun de l’Union. Au demeurant, la requérante ne conteste pas les considérations énoncées aux considérants 203 et 204 de la décision attaquée concernant l’absence d’effet incitatif de l’exonération litigieuse, par lesquelles la Commission a constaté, notamment, que, dans de nombreux cas, l’exonération litigieuse avait été accordée à des consommateurs de charge en continu pour un comportement de consommation qui correspondait à leur comportement de consommation habituel, puisque leur processus de production rendait nécessaire une consommation d’électricité continue, ce qui d’ailleurs constitue une constatation logique.

186    En troisième lieu, s’agissant de l’analyse de la proportionnalité de l’exonération litigieuse eu égard aux objectifs poursuivis, il convient de rappeler que, aux considérants 205 à 215 de la décision attaquée, la Commission a conclu que les effets négatifs de l’aide l’emportaient sur la contribution positive hypothétique qu’elle apportait éventuellement à la promotion de l’électricité d’origine renouvelable ou à la sécurité d’approvisionnement.

187    À cet égard, la requérante se limite, d’une part, à reprocher à la Commission de ne pas avoir examiné la relation entre l’objectif poursuivi et l’exonération litigieuse et, d’autre part, à soutenir que celle-ci, qui va plus loin que les redevances individuelles, n’est pas disproportionnée au regard des objectifs qu’elle poursuit et que, en revanche, elle constitue un moyen raisonnable pour réaliser ces objectifs.

188    Or, à supposer que ces arguments satisfassent aux exigences de clarté et de précision imposées par l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requérante n’apporte aucun élément qui permettrait d’étayer ses conclusions.

189    En quatrième lieu, s’agissant de l’examen des effets négatifs de l’exonération litigieuse pour le marché intérieur, la requérante se limite à soutenir que cette mesure n’est à l’origine d’aucun effet négatif pour le marché intérieur et n’entraîne ni la constitution d’une puissance sur le marché, ni un obstacle à l’accès au marché, ni d’autres répercussions préjudiciables pour la concurrence.

190    Or ces considérations ne remplissent pas les conditions énoncées à l’article 76, sous d), du règlement de procédure et, en tout état de cause, ne permettent pas de remettre en question les passages contestés de la décision attaquée, qui sembleraient être les mêmes que ceux que la requérante conteste par l’argument précédent.

191    Il y a donc lieu d’écarter la seconde branche du troisième moyen et, par conséquent, de rejeter le troisième moyen dans sa totalité.

3.      Sur le quatrième moyen, tiré de l’illégalité de la décision de récupération, au motif qu’elle aurait été prise en violation, d’une part, du principe de non-discrimination et, d’autre part, du principe de protection de la confiance légitime

a)      Sur la première branche, tirée de la violation du principe de non-discrimination

192    La requérante invoque la violation du principe de non-discrimination, consacré à l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement 2015/1589 ainsi qu’aux articles 14 et 32 de la directive 2009/72, du fait d’une inégalité de traitement, premièrement, parmi les consommateurs de charge en continu totalisant plus de 7 000 heures d’utilisation à pleine charge, deuxièmement, à l’égard des consommateurs de charge en continu totalisant plus de 7 500 heures d’utilisation à pleine charge et, troisièmement, entre les consommateurs de charge en continu et les consommateurs anticycliques.

193    La Commission conteste les arguments de la requérante.

194    À titre liminaire, il convient de relever que la requérante ne conteste pas l’appréciation de la Commission, formulée aux considérants 101 à 121 de la décision attaquée, concernant le caractère sélectif, et donc discriminatoire, de l’exonération litigieuse. Cela étant, elle n’explique pas dans quelle mesure l’ordre de récupération d’une mesure dont elle ne conteste pas la nature discriminatoire pourrait être à son tour discriminatoire.

195    Partant, les arguments de la requérante sont inopérants.

196    En tout état de cause, il convient de constater que les arguments de la requérante concernant la violation du principe de non-discrimination sont également infondés.

197    Par le premier argument, la requérante déplore une inégalité de traitement entre les consommateurs de charge en continu totalisant plus de 7 000 heures d’utilisation à pleine charge, au motif que le montant à récupérer correspondrait au moins à la redevance minimale. En substance, tout d’abord, la requérante conteste le recours à une disposition antérieure à l’instauration de l’exonération litigieuse, imposant la redevance minimale, ensuite, elle soutient que la seule méthode du chemin physique, sans l’application de la redevance minimale, garantit le respect des principes de réflectivité des coûts, de proportionnalité et de non-discrimination et, enfin, elle fait valoir que l’article 16, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 limite la récupération de toute aide illégale à l’aide allouée et donc ne permet pas de demander le paiement a posteriori de la redevance minimale.

198    Par ailleurs, la décision attaquée serait également entachée d’un défaut de motivation, dans la mesure où la Commission n’aurait pas expliqué pourquoi la redevance minimale devait être imposée dans le cadre de la récupération.

199    Or, ces arguments ne sauraient prospérer.

200    En effet, dans la décision attaquée, la Commission a relevé que le système antérieur à l’instauration des mesures litigieuses, fondé sur l’imposition de redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique, intégré par l’application de la redevance minimale, ne comportait pas d’aide d’État. Dans ce contexte, l’application de la redevance minimale jouait un rôle important, dans la mesure où elle permettait de tenir compte des avantages que ces consommateurs tiraient du raccordement au réseau, dans l’hypothèse où, à cause de la proximité des installations aux centrales électriques, les redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique étaient nulles ou presque nulles (voir notamment considérant 111 de la décision attaquée).

201    Par ailleurs, le recours au système antérieur à l’instauration des mesures litigieuses pour calculer l’avantage que l’exonération litigieuse octroyait n’a rien d’exceptionnel, la Commission étant censée vérifier si la nouvelle mesure induisait un avantage par rapport aux règles qui auraient été appliquées en son absence et dont la Commission considère qu’elles ne comportaient pas d’éléments d’aides d’État.

202    S’agissant du défaut de motivation soulevé dans le cadre de cet argument, il ressort clairement de la décision attaquée, et notamment de ses considérants 226 à 228, que la Commission a expliqué que l’aide illégale devait être quantifiée au regard de la différence entre le régime applicable avant et après l’introduction de l’exonération litigieuse et donc que cette aide correspondait à l’exonération des redevances de réseau calculées sur la base de la méthode du chemin physique et compte tenu de la redevance minimale, laquelle constituait, comme cela est expliqué, un élément fondamental du régime précédent (voir point 200 ci-dessus).

203    Par le deuxième argument, la requérante déplore une inégalité de traitement à l’égard des consommateurs de charge en continu totalisant plus de 7 500 heures d’utilisation à pleine charge. La non-application, aux fins de la récupération, des redevances forfaitaires prévues par le régime transitoire (voir point 15 ci-dessus) provoquerait une discrimination à l’égard des consommateurs de charge en continu qui, avant l’entrée en vigueur du règlement StromNEV 2013, avaient obtenu l’exonération litigieuse par rapport aux consommateurs de charge en continu qui, n’ayant pas encore obtenu ladite exonération, avaient bénéficié des redevances forfaitaires.

204    À cet égard, il convient de relever que le régime transitoire invoqué par la requérante a été introduit rétroactivement pour les années 2012 et 2013, à titre transitoire, postérieurement à la publication de la décision d’ouverture et n’a pas été notifié. Par ailleurs, ce régime ne s’appliquait pas (même ex post) aux consommateurs de charge en continu qui avaient fait l’objet de la décision attaquée. Partant, toute référence au régime précédent, qui n’a pas fait l’objet de la décision attaquée, est inopérante à l’égard de l’examen de la légalité du régime fondé sur les mesures litigieuses.

205    Par le troisième argument, la requérante reproche à la Commission d’avoir traité de façon égale les consommateurs de charge en continu et les consommateurs anticycliques, qui, toutefois, auraient des profils d’utilisation totalement différents et auraient droit à des redevances individuelles sur des fondements très différents.

206    En effet, même si ces deux catégories d’utilisateurs du réseau étaient soumises aux mêmes dispositions, c’est-à-dire celles de l’article 19, paragraphe 2, du règlement StromNEV 2011, celles-ci n’étaient pas homogènes, puisque prévoyant deux types d’utilisation distincts. Les raisons de l’octroi de redevances individuelles à ces deux catégories seraient différentes, puisque les utilisateurs anticycliques contribueraient à la stabilité du réseau par une consommation en dehors des heures de pointe, tandis que les consommateurs de charge en continu contribueraient également à la stabilité du réseau, mais par leur consommation élevée et constante.

207    En outre, l’application de la redevance minimale serait arbitraire, ainsi que cela est démontré par l’introduction successive des redevances forfaitaires et par la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), et, en tout état de cause, ne ferait partie du cadre de référence que pour les utilisateurs anticycliques. La requérante réitère son argumentation tirée de ce que le calcul des redevances selon la seule méthode du chemin physique permettrait de tenir compte de tous les éléments de coût pertinents.

208    À cet égard, il convient de relever que, en dépit d’un profil de consommation différent, c’est-à-dire une consommation en dehors des heures de pointe pour les uns, une consommation élevée et constante pour les autres, les deux catégories en question, à savoir les consommateurs de charge en continu et les consommateurs anticycliques, sont comparables dans la mesure où elles contribuent à la stabilité du réseau et, dans les deux cas, il se peut que les redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique soient nulles ou presque nulles et, partant, que l’application de la redevance minimale se justifie pour pouvoir tenir compte des avantages que ces consommateurs tirent du raccordement au réseau.

209    Par ailleurs, l’assimilation de ces deux catégories aux fins de l’application des redevances individuelles n’est pas l’œuvre de la Commission, mais du législateur allemand, qui, après l’abrogation des mesures litigieuses, est revenu à un régime très similaire au précédent et identique pour ces deux catégories.

210    Il convient donc de rejeter la première branche du quatrième moyen.

b)      Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe de protection de la confiance légitime

211    La requérante invoque la violation du principe de protection de la confiance légitime, d’une part, à cause de la durée excessive de la procédure et, d’autre part, du fait que les bénéficiaires de l’exonération litigieuse ne pouvaient pas prévoir que le montant de la récupération atteindrait au moins celui de la redevance minimale, prévue par une disposition abrogée depuis plus de sept ans.

212    La Commission conteste les arguments de la requérante.

213    À titre liminaire, il convient de relever que, conformément à une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime suppose que des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, aient été fournies à l’intéressé par les autorités compétentes de l’Union. En effet, ce droit appartient à tout justiciable à l’égard duquel une institution, un organe ou un organisme de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître à son égard des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (voir arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 97 et jurisprudence citée).

214    Il est également de jurisprudence constante que, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides d’État opéré par la Commission au titre de l’article 108 TFUE, d’une part, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à cet article et, d’autre part, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci (voir arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 98 et jurisprudence citée).

215    Aux considérants 221 à 223 de la décision attaquée, la Commission a écarté l’application du principe de protection de la confiance légitime, étant donné qu’un opérateur économique prudent et avisé était en mesure de prévoir qu’une mesure telle que celle reposant sur l’exonération litigieuse pouvait être considérée comme étant une aide d’État et que les principes dégagés dans l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C‑379/98, EU:C:2001:160), et précisés dans l’arrêt du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, EU:C:2008:413), ne pouvaient fonder des espérances légitimes quant à la légalité de cette mesure.

216    Or, cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments de la requérante.

217    En effet, il suffit de constater qu’une durée excessive de la procédure formelle d’examen, à la supposer avérée, ne saurait être assimilée à des « assurances précises, inconditionnelles et concordantes » fournies à la requérante par la Commission, conformément à la jurisprudence citée au point 213 ci-dessus, d’autant plus que la requérante avait été prévenue du risque d’une décision de récupération lors de l’adoption de la décision d’ouverture et que la procédure en question concernait des aides illégales. Au contraire, ainsi que cela a été relevé par la Commission, une longue durée de la procédure formelle d’examen pourrait plutôt être un signe des difficultés qu’elle a rencontrées lors de son examen, et donc de l’existence de problèmes quant à la légalité de cette mesure.

218    En ce qui concerne le fait que le montant de l’aide a été quantifié au regard d’une mesure qui n’était plus en vigueur depuis plus de sept ans, il suffit de relever, ainsi que le fait la Commission, que c’était forcément eu égard à la règle qui s’appliquait avant l’exonération litigieuse et qui aurait été appliquée en l’absence de celle-ci qu’il fallait examiner la légalité de l’exonération litigieuse, et donc calculer l’avantage qu’elle conférait, d’autant plus que la Commission considérait que la règle précédente ne soulevait pas de doutes à l’égard des règles en matière d’aides d’État (voir notamment considérant 111 de la décision attaquée).

219    Il convient donc de rejeter le quatrième moyen et, partant, le recours dans son ensemble.

IV.    Sur les dépens

220    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.

221    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. La République fédérale d’Allemagne supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Covestro Deutschland AG est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

Collins

Kreuschitz

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 octobre 2021.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

A. Sur la requérante

B. Sur les mesures législatives et réglementaires en cause

1. Sur le système de redevances de réseau avant l’introduction des mesures litigieuses

2. Sur les mesures litigieuses

3. Sur le système de redevance de réseau postérieur aux mesures litigieuses

C. Sur la procédure administrative

D. Sur la décision attaquée

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur la recevabilité du recours

B. Sur le fond

1. Sur le deuxième moyen, tiré de l’absence d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

a) Sur la première branche du deuxième moyen, tirée de l’absence d’avantage

b) Sur la seconde branche du deuxième moyen, tirée de l’absence d’une aide octroyée au moyen de ressources d’État

1) Considérations liminaires

2) Sur l’existence d’une charge obligatoire

3) Sur l’existence d’un contrôle étatique sur les fonds perçus au titre de la surtaxe ou sur les gestionnaires de réseau

2. Sur le troisième moyen, tiré de la compatibilité de l’aide présumée avec le marché intérieur

a) Sur la compatibilité de l’aide présumée en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE

b) Sur la compatibilité de l’aide présumée en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE

3. Sur le quatrième moyen, tiré de l’illégalité de la décision de récupération, au motif qu’elle aurait été prise en violation, d’une part, du principe de non-discrimination et, d’autre part, du principe de protection de la confiance légitime

a) Sur la première branche, tirée de la violation du principe de non-discrimination

b) Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe de protection de la confiance légitime

IV. Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’allemand.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.