Language of document : ECLI:EU:C:2023:791

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 octobre 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Respect des droits de propriété intellectuelle – Directive 2004/48/CE – Article 13 – Procédure pénale – Champ d’application – Dommages subis par le titulaire d’une marque comme élément constitutif de l’infraction – Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) – Article 61 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 51, paragraphe 1 – Mise en œuvre du droit de l’Union – Compétence – Article 49, paragraphes 1 et 3 – Légalité et proportionnalité des peines »

Dans l’affaire C‑655/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Rayonen sad – Nesebar (tribunal d’arrondissement de Nesebar, Bulgarie), par décision du 14 octobre 2021, parvenue à la Cour le 27 octobre 2021, dans la procédure pénale contre

G. ST. T.,

en présence de :

Rayonna prokuratura Burgas, TO Nesebar,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu-Matei (rapporteure), MM. J.-C. Bonichot, S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mme J. Schmoll et Mme A. Kögl, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. S. L. Kalėda et I. Zaloguin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 avril 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45), et de l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre G. ST. T. pour contrefaçon de marques.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’« accord ADPIC »), qui constitue l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1), comporte une partie III, intitulée « Moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle ».

4        Figurant dans la section 5, intitulée « Procédures pénales », de cette partie III, l’article 61 de l’accord ADPIC stipule :

« Les Membres prévoiront des procédures pénales et des peines applicables au moins pour les actes délibérés de contrefaçon de marque de fabrique ou de commerce ou de piratage portant atteinte à un droit d’auteur, commis à une échelle commerciale. Les sanctions incluront l’emprisonnement et/ou des amendes suffisantes pour être dissuasives, et seront en rapport avec le niveau des peines appliquées pour des délits de gravité correspondante. Dans les cas appropriés, les sanctions possibles incluront également la saisie, la confiscation et la destruction des marchandises en cause et de tous matériaux et instruments ayant principalement servi à commettre le délit. Les Membres pourront prévoir des procédures pénales et des peines applicables aux autres actes portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle, en particulier lorsqu’ils sont commis délibérément et à une échelle commerciale. »

 Le droit de l’Union

5        Aux termes du considérant 28 de la directive 2004/48 :

« En plus des mesures, procédures et réparations de nature civile et administrative prévues au titre de la présente directive, des sanctions pénales constituent également, dans des cas appropriés, un moyen d’assurer le respect des droits de propriété intellectuelle. »

6        Conformément à son article 1er, intitulé « Objet », cette directive « concerne les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle ».

7        L’article 2 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », énonce :

« 1.      Sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus dans la législation communautaire ou nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits, les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive s’appliquent, conformément à l’article 3, à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation communautaire et/ou la législation nationale de l’État membre concerné.

2.      La présente directive est sans préjudice des dispositions particulières concernant le respect des droits et les exceptions prévues par la législation communautaire dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur et notamment par la directive 91/250/CEE [du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO 1991, L 122, p. 42)], en particulier son article 7, ou par la directive 2001/29/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10)], en particulier ses articles 2 à 6 et son article 8.

3.      La présente directive n’affecte pas :

[...]

b)      les obligations découlant, pour les États membres, des conventions internationales, et notamment de l’[accord ADPIC], y compris celles relatives aux procédures pénales et aux sanctions applicables ;

c)      l’ensemble des dispositions nationales des États membres relatives aux procédures pénales ou aux sanctions applicables en cas d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle. »

8        L’article 13 de la même directive, intitulé « Dommages-intérêts », prévoit :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte.

Lorsqu’elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires :

a)      prennent en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte ;

ou

b)      à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question.

2.      Lorsque le contrevenant s’est livré à une activité contrefaisante sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir, les États membres peuvent prévoir que les autorités judiciaires pourront ordonner le recouvrement des bénéfices ou le paiement de dommages-intérêts susceptibles d’être préétablis. »

9        Aux termes de l’article 16 de ladite directive, intitulé « Sanctions appliquées par les États membres » :

« Sans préjudice des mesures, procédures et réparations de nature civile et administrative prévues par la présente directive, les États membres peuvent appliquer d’autres sanctions appropriées en cas d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle. »

 Le droit bulgare

 Le code pénal

10      L’article 172b du Nakazatelen kodeks (code pénal), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « code pénal »), dispose :

« (1)      Quiconque, sans le consentement du titulaire du droit exclusif, fait usage dans la vie des affaires d’une marque […] est puni d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans et d’une amende allant jusqu’à cinq mille [leva bulgares (BGN)].

(2)      Si l’acte visé au paragraphe 1 a été commis à plusieurs reprises ou s’il a causé des conséquences préjudiciables importantes, la peine est de cinq à huit ans d’emprisonnement et de cinq mille à huit mille BGN d’amende.

(3)      L’objet de l’infraction pénale est confisqué au profit de l’État, quel qu’en soit le propriétaire, et il est détruit. »

 Le ZMGO ancien et le ZMGO nouveau

11      L’article 13 du zakon za markite i geografskite oznachenia (loi relative aux marques et aux indications géographiques, DV n° 81, du 14 septembre 1999), dans sa version applicable au litige au principal (ci‑après le « ZMGO ancien »), prévoyait :

« (1)      Le droit sur une marque comprend le droit du titulaire de celle-ci d’en faire usage, d’en disposer et d’interdire à tout tiers de faire usage dans la vie des affaires, sans son consentement, de tout signe qui :

1.      est identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2.      parce qu’il est identique ou similaire à la marque et est utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux de la marque, entraîne un risque de confusion dans l’esprit des consommateurs, y compris un risque d’association entre le signe et la marque.

3.      est identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée sur le territoire de la République de Bulgarie et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque […] ou leur porte préjudice.

(2)      L’usage dans la vie des affaires au sens du paragraphe 1 consiste à :

1.      apposer le signe sur les produits ou leurs conditionnements ;

2.      offrir les produits avec ce signe ou les mettre sur le marché, les détenir à ces fins, ainsi qu’offrir ou fournir des services sous ce signe ;

3.      importer ou exporter des produits avec ce signe ;

[...] »

12      L’article 76b de cette loi, intitulé « Cas particuliers d’indemnisation », prévoyait :

« (1)      Lorsque la demande est fondée mais que les informations sur son montant sont insuffisantes, le requérant peut demander à titre de réparation :

1.      de 500 BGN à 100 000 BGN, la détermination du montant précis étant laissée à l’appréciation de la juridiction dans les conditions prévues à l’article 76a, paragraphes 2 et 3, ou

2.      l’équivalent des prix de détail de produits fabriqués légalement, identiques ou similaires aux produits objet de l’infraction.

(2)      Pour déterminer l’indemnité au sens du paragraphe 1 sont également pris en compte les bénéfices réalisés du fait de l’infraction. »

13      Intitulé « Infractions et sanctions administratives », l’article 81 de ladite loi disposait :

« (1)      Quiconque fait usage dans la vie des affaires au sens de l’article 13 de produits ou services, sur lesquels est apposé un signe identique ou similaire à une marque enregistrée, sans le consentement de son titulaire, est puni d’une amende de 500 à 1 500 BGN, et les entreprises individuelles et les personnes morales d’une sanction pécuniaire d’un montant de 1 000 à 3 000 BGN.

(2)      En cas de réitération de l’infraction au sens du paragraphe 1, la personne est passible d’une amende de 1 500 à 3 000 BGN, et les entreprises individuelles et personnes morales, d’une sanction pécuniaire d’un montant de 3 000 à 5 000 BGN.

(3)      L’infraction est réitérée lorsqu’elle est commise dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la décision infligeant au contrevenant une sanction administrative pour le même type d’infraction.

[...]  

(5)      Les produits visés au paragraphe 1, quel que soit leur propriétaire, sont confisqués au profit de l’État et remis pour destruction, le titulaire de la marque ou une personne autorisée par lui pouvant assister à la destruction.

[...] »

14      Le ZMGO ancien a été abrogé et remplacé par le zakon za markite i geografskite oznachenia (loi relative aux marques et aux indications géographiques, DV n° 98, du 13 décembre 2019, ci‑après le « ZMGO nouveau »). L’article 13 du ZMGO nouveau comporte le même texte que l’article 13 du ZMGO ancien abrogé.

15      L’article 127 du ZMGO nouveau, intitulé « Infractions et sanctions administratives », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Quiconque fait usage dans la vie des affaires au sens de l’article 13, paragraphes 1 et 2, de produits ou services, sur lesquels est apposé un signe identique ou similaire à une marque enregistrée, sans le consentement de son titulaire, est puni d’une amende de 2 000 à 10 000 BGN, et les entreprises individuelles et les personnes morales, d’une sanction pécuniaire d’un montant de 3 000 à 20 000 BGN. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

16      G. ST. T. est la propriétaire d’une entreprise individuelle qui exerce une activité de vente de vêtements.

17      Au cours de l’année 2016, des agents du ministère de l’Intérieur bulgare ont effectué un contrôle dans un local commercial loué par cette entreprise dans la commune de Nesebar (Bulgarie) et ont procédé à la saisie de produits qui y étaient offerts à la vente. L’expertise judiciaire ordonnée a mis en évidence que les signes apposés sur ces produits étaient similaires à des marques enregistrées et a estimé la valeur totale desdits produits à 1 404 590 BGN (environ 718 000 euros) « en tant qu’originaux » et à 80 201 BGN (environ 41 000 euros) « en tant qu’imitations ».

18      La Rayonna prokuratura Burgas, TO Nesebar (parquet d’arrondissement de Burgas, unité territoriale de Nesebar, Bulgarie) a considéré que G. ST. T. avait ainsi, sans le consentement des titulaires des droits exclusifs, fait usage dans la vie des affaires de marques faisant l’objet de ces droits exclusifs et que cette activité avait causé des « conséquences préjudiciables importantes », de sorte que l’intéressée a été renvoyée devant le Rayonen sad – Nesebar (tribunal d’arrondissement de Nesebar, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi, du chef de l’infraction de contrefaçon aggravée prévue à l’article 172b, paragraphe 2, du code pénal.

19      Aucune des personnes morales lésées n’a présenté de demande d’indemnisation contre G. ST. T. ni ne s’est constituée partie civile dans le cadre de cette procédure.

20      La juridiction de renvoi expose, en substance, que, dans le cadre de la faculté dont disposent les États membres, conformément au considérant 28 de la directive 2004/48, de prévoir des sanctions pénales en cas de violation des droits de propriété intellectuelle, la République de Bulgarie a introduit l’article 172b, paragraphes 1 et 2, du code pénal. Cette disposition, à son paragraphe 1, qualifie d’infraction pénale l’usage d’une marque dans la vie des affaires sans le consentement du titulaire du droit exclusif et vise, à son paragraphe 2, le cas où cet acte a été commis à plusieurs reprises ou a causé « des conséquences préjudiciables importantes ». Cet État membre aurait également introduit, à l’article 81, paragraphe 1, du ZMGO ancien, remplacé depuis lors par l’article 127, paragraphe 1, du ZMGO nouveau, une infraction administrative destinée à sanctionner les mêmes faits.

21      En premier lieu, la juridiction de renvoi se demande si une disposition nationale, telle que l’article 172b, paragraphe 2, du code pénal, selon laquelle les préjudices subis par le titulaire de la marque font partie des éléments constitutifs de l’infraction pénale qu’elle institue est conforme aux normes relatives aux préjudices causés du fait d’un exercice illégal de droits de propriété intellectuelle introduites par la directive 2004/48 et, dans l’affirmative, si le mécanisme de détermination des préjudices fondé sur une présomption, à savoir selon la valeur des produits offerts à la vente aux prix de détail de produits fabriqués légalement, introduit par la jurisprudence bulgare est conforme à ces normes.

22      En deuxième lieu, la juridiction de renvoi rappelle que le principe de légalité des délits et des peines, consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte, suppose qu’une réglementation entrant dans le champ d’application du droit de l’Union fixe clairement les limites du comportement qui constitue une infraction pénale et, en particulier, définisse les éléments constitutifs de l’infraction en cause. Or, il existerait dans la législation bulgare des dispositions qui définissent le même comportement, à savoir l’usage dans la vie des affaires d’une marque en l’absence de consentement du titulaire du droit exclusif, comme une infraction administrative (article 81, paragraphe 1, du ZMGO ancien et article 127, paragraphe 1, du ZMGO nouveau) et comme une infraction pénale (article 172b du code pénal). Toutefois, cette législation ne contiendrait pas de critère distinctif de qualification en tant qu’infraction pénale ou infraction administrative. Cette absence de critère clair et précis conduirait à des pratiques contradictoires et à un traitement inégal entre justiciables ayant commis pratiquement les mêmes actes.

23      En troisième lieu, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le principe de proportionnalité consacré à l’article 49, paragraphe 3, de la Charte s’oppose à une législation telle que la législation bulgare eu égard à la sévérité des sanctions prévues pour réprimer l’infraction visée à l’article 172b, paragraphe 2, du code pénal, à savoir une peine d’emprisonnement élevée cumulée avec une amende lourde. Cette juridiction précise, dans ce contexte, que les possibilités de réduction de la peine et de sursis à exécution sont limitées et que ces peines sont assorties de la confiscation et de la destruction des produits contrefaits.

24      Dans ces circonstances, le Rayonen sad – Nesebar (tribunal d’arrondissement de Nesebar) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une législation et une jurisprudence selon lesquelles les préjudices subis par le titulaire font partie des éléments constitutifs des infractions pénales prévues à l’article 172b, paragraphes 1 et 2, du [code pénal] sont-elles conformes aux normes relatives aux préjudices causés par un exercice illégal de droits de propriété intellectuelle introduites par la directive [2004/48] ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, le mécanisme présomptif, introduit par la jurisprudence bulgare, de détermination des préjudices (à un montant égal à la valeur des produits offerts à la vente, aux prix de détail de produits fabriqués légalement) est-il conforme aux normes de la directive [2004/48] ?

3)      Une législation qui ne comporte pas de délimitation entre l’infraction administrative (article 127, paragraphe 1, du [ZMGO nouveau] et article 81, paragraphe 1, du [ZMGO ancien]), l’infraction pénale prévue à l’article 172b, paragraphe 1, du [code pénal] et, en cas de réponse négative à la première question, l’infraction pénale prévue à l’article 172b, paragraphe 2, du [code pénal], est-elle conforme au principe de légalité des délits [et des peines] consacré à l’article 49 de la Charte ?

4)      Les peines prévues à l’article 172b, paragraphe 2, du [code pénal] (cinq à huit ans d’emprisonnement et une amende de cinq mille à huit mille BGN) sont-elles conformes au principe consacré à l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, selon lequel l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et deuxième questions

25      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13 de la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation et à une jurisprudence nationales en vertu desquelles l’importance du préjudice subi figure au nombre des éléments constitutifs de l’infraction pénale de contrefaçon aggravée de marque. En cas de réponse négative, elle s’interroge sur le point de savoir si un mécanisme présomptif de détermination des préjudices est conforme aux normes fixées par cette même directive.

26      À cet égard, il convient de relever que l’article 2 de la directive 2004/48, relatif au champ d’application de celle-ci, prévoit, à ses paragraphes 1 et 2, que les mesures, procédures et réparations prévues par celle-ci s’appliquent à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation de l’Union ou la législation nationale de l’État membre concerné, et que cette directive est sans préjudice des dispositions particulières concernant le respect des droits et les exceptions prévues par la législation de l’Union dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur.

27      Toutefois, ce même article 2 de la directive 2004/48 ajoute, à son paragraphe 3, sous b) et c), que celle-ci n’affecte ni les obligations découlant, pour les États membres, des conventions internationales, et notamment de l’accord ADPIC, y compris celles relatives aux procédures pénales et aux sanctions applicables, ni l’ensemble des dispositions nationales relatives à ces procédures ou à ces sanctions en cas d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle.

28      En outre, l’article 16 de cette directive précise que, sans préjudice des mesures, procédures et réparations de nature civile et administrative qu’elle prévoit, les États membres peuvent appliquer d’autres sanctions appropriées en cas d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle.

29      Enfin, le considérant 28 de ladite directive énonce que des sanctions pénales constituent également, dans des cas appropriés, un moyen d’assurer le respect des droits de propriété intellectuelle, en plus desdites mesures, procédures et réparations de nature civile et administrative prévues au titre de la même directive.

30      Il ressort de ces dispositions et de ce considérant que la directive 2004/48 ne régit pas les procédures et les sanctions pénales en cas d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, tout en reconnaissant aux États membres la faculté de légiférer en vertu du droit national ou international pour prévoir des sanctions, notamment de nature pénale, qu’ils jugent appropriées en cas d’atteinte à ces droits.

31      Selon une jurisprudence constante, il appartient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national, en vue de vérifier sa propre compétence ou la recevabilité de la demande qui lui est soumise. À cet égard, la Cour a régulièrement souligné que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher et que la justification du renvoi préjudiciel tient non pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais dans le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie [arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny e.a. (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19, EU:C:2022:201, points 59 à 61 ainsi que jurisprudence citée].

32      Or, la directive 2004/48 ne s’appliquant pas aux règles nationales relatives aux procédures pénales et aux sanctions pénales en cas d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, l’interprétation de cette directive sollicitée par la juridiction de renvoi par ses première et deuxième questions n’est pas nécessaire pour la solution de l’affaire au principal, laquelle constitue une procédure purement pénale.

33      Il s’ensuit que les première et deuxième questions sont irrecevables.

 Sur les troisième et quatrième questions

 Sur la compétence de la Cour

34      Par ses troisième et quatrième questions, la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation de l’article 49 de la Charte aux fins de vérifier la compatibilité avec celui-ci de l’article 172b, paragraphe 2, du code pénal.

35      D’emblée, il convient de rappeler que la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles posées lorsque la situation juridique à l’origine de l’affaire au principal relève du champ d’application du droit de l’Union. À cet égard, il est de jurisprudence constante que les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (arrêt du 24 février 2022, Viva Telecom Bulgaria, C‑257/20, EU:C:2022:125, point 128 et jurisprudence citée).

36      Le gouvernement autrichien soutient que la Cour n’est pas compétente pour répondre aux troisième et quatrième questions. En effet, les dispositions pénales en cause au principal ne constitueraient pas une mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et elles ne pourraient, dès lors, être appréciées à l’aune de l’article 49 de la Charte.

37      À cet égard, aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Partant, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, les droits fondamentaux garantis par la Charte sont applicables dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais non en dehors de telles situations (arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, points 17 et 19 et jurisprudence citée, ainsi que du 5 mai 2022, BPC Lux 2 e.a., C‑83/20, EU:C:2022:346, points 25 et 26).

38      La Cour a déjà considéré que, lorsque les États membres exécutent les obligations découlant d’un accord international conclu par l’Union européenne, lequel fait partie intégrante du droit de celle-ci à compter de son entrée en vigueur, ils doivent être considérés comme mettant en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte [voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, points 69 et 213].

39      Or, l’accord instituant l’OMC, qui comporte l’accord ADPIC, a été conclu par l’Union et fait donc partie intégrante du droit de l’Union à compter de son entrée en vigueur, soit à compter du 1er janvier 1995 [voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2012, SCF, C‑135/10, EU:C:2012:140, points 39 et 40 ainsi que jurisprudence citée, et du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, points 69 à 71].

40      L’accord ADPIC a notamment pour objectif de réduire les distorsions du commerce international en garantissant, sur le territoire de chacun des membres de l’OMC, une protection efficace et suffisante des droits de propriété intellectuelle. La partie II dudit accord contribue à la réalisation de cet objectif en énonçant, pour chacune des principales catégories de droits de propriété intellectuelle, des normes qui doivent être appliquées par chaque membre de l’OMC (arrêt du 18 juillet 2013, Daiichi Sankyo et Sanofi-Aventis Deutschland, C‑414/11, EU:C:2013:520, point 58). Quant à la partie III du même accord, qui poursuit également ce même objectif, elle porte sur les « moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle » et énonce, en particulier, les procédures et les mesures que les membres de l’OMC ont l’obligation, aux fins de cet objectif, d’introduire dans leur législation.

41      Ainsi, sous la section 5, intitulée « Procédures pénales », de sa partie III, l’article 61 de l’accord ADPIC stipule que « les [membres de l’OMC] prévoiront des procédures pénales et des peines applicables au moins pour les actes délibérés de contrefaçon de marque de fabrique ou de commerce ou de piratage portant atteinte à un droit d’auteur, commis à une échelle commerciale », que « [l]es sanctions incluront l’emprisonnement et/ou des amendes suffisantes pour être dissuasives, et seront en rapport avec le niveau des peines appliquées pour des délits de gravité correspondante », et que, « [d]ans les cas appropriés, les sanctions possibles incluront également la saisie, la confiscation et la destruction des marchandises en cause et de tous matériaux et instruments ayant principalement servi à commettre le délit ».

42      Il en découle que, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 30 de ses conclusions, lorsque les États membres exécutent les obligations découlant de l’accord ADPIC, y compris celles imposées à l’article 61 de cet accord, ils doivent être considérés comme mettant en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

43      En effet, l’obligation découlant de l’article 61 de l’accord ADPIC de prévoir des procédures pénales qui sont, à tout le moins en cas d’actes délibérés de contrefaçon de marque ou de piratage portant atteinte à un droit d’auteur, commis à une échelle commerciale, susceptibles de conduire à des sanctions effectives, dissuasives et proportionnées, lie chacun des membres de l’OMC, y compris l’Union et ses États membres, et fait, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 39 du présent arrêt, partie du droit de l’Union, indépendamment d’actes d’harmonisation interne. La jurisprudence de la Cour selon laquelle un État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, lorsqu’il s’acquitte d’une obligation, énoncée dans une disposition de droit de l’Union, de prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l’égard de personnes responsables des infractions visées par cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C‑537/16, EU:C:2018:193, points 22 et 23), s’applique dans ce cas de figure. Le fait que cette obligation est énoncée dans un accord international conclu par l’Union et non dans un acte législatif interne de celle-ci est, à cet égard, dépourvu de pertinence, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 38 du présent arrêt.

44      Par conséquent, si un État membre s’acquitte de l’obligation énoncée à l’article 61 de l’accord ADPIC, cet État membre met en œuvre le droit de l’Union, de sorte que la Charte est applicable.

45      En l’occurrence, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, l’article 172b, paragraphes 1 et 2, du code pénal paraît constituer une mise en œuvre par le droit bulgare des engagements découlant de l’article 61 de l’accord ADPIC.

46      Il s’ensuit que la Cour est compétente pour répondre aux troisième et quatrième questions posées.

 Sur le fond

–       Sur la troisième question

47      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49, paragraphe 1, de la Charte doit être interprété en ce sens que le principe de légalité des délits et des peines s’oppose à une législation nationale qui prévoit, en cas d’usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif, que le même comportement peut être qualifié tant comme infraction administrative que comme infraction pénale, sans comporter de critères permettant de délimiter l’infraction administrative par rapport à l’infraction pénale, voire par rapport à l’infraction pénale aggravée.

48      La juridiction de renvoi expose que, selon la législation bulgare, certains comportements peuvent constituer aussi bien une infraction administrative qu’une infraction pénale. Tel serait le cas de l’usage d’une marque dans la vie des affaires sans le consentement du titulaire du droit exclusif, acte constitutif non seulement de l’infraction administrative visée à l’article 81, paragraphe 1, du ZMGO ancien, applicable aux faits en cause au principal, mais aussi de l’infraction pénale définie à l’article 172b, paragraphe 1, du code pénal. En outre, l’infraction pénale prévue à l’article 172b, paragraphe 2, de ce code coïnciderait en partie, en ce qui concerne ses éléments constitutifs, avec l’article 172b, paragraphe 1, dudit code, en ce qu’il viserait à réprimer également ledit usage prohibé.

49      À cet égard, en vertu du principe de légalité des délits et des peines, inscrit à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions pénales doivent respecter certaines exigences d’accessibilité et de prévisibilité en ce qui concerne tant la définition de l’infraction que la détermination de la peine (arrêt du 11 juin 2020, Prokuratura Rejonowa w Słupsku, C‑634/18, EU:C:2020:455, point 48).

50      Selon la jurisprudence de la Cour, ce principe constitue une expression particulière du principe général de sécurité juridique et implique, notamment, que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment [voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 47 et jurisprudence citée].

51      Cette exigence se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux et d’un avis juridique, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (voir, en ce sens, arrêts du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936, point 56, ainsi que du 5 mai 2022, BV, C‑570/20, EU:C:2022:348, point 38 et jurisprudence citée).

52      En l’occurrence, l’article 172b du code pénal prévoit que tout usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif constitue une infraction pénale et donne lieu à l’infliction des peines mentionnées dans cette disposition.

53      Certes, en vertu de la loi bulgare sur les marques, le ZMGO, ce même comportement est également qualifié d’infraction administrative et peut donner lieu à l’infliction d’une amende administrative.

54      Ainsi, il ressort de ces dispositions que le même comportement, consistant à faire usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif, est qualifié d’infraction pénale et d’infraction administrative et, partant, peut donner lieu tant à des sanctions pénales qu’à des sanctions administratives.

55      Toutefois, sous réserve du respect des principes généraux du droit de l’Union, dont le principe de proportionnalité, qui fait l’objet de la quatrième question, les États membres peuvent imposer, pour les mêmes faits, une combinaison de sanctions administratives et pénales (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 34, et du 24 juillet 2023, Lin, C‑107/23 PPU, EU:C:2023:606, point 84 ainsi que jurisprudence citée).

56      Il s’ensuit que, pourvu que la disposition pénale soit, en tant que telle, conforme aux exigences découlant du principe de légalité des délits et des peines, rappelées aux points 50 et 51 du présent arrêt, ce principe ne s’oppose pas à ce qu’une législation nationale qualifie un même comportement d’infraction pénale et d’infraction administrative et définisse donc le comportement sanctionné par de telles infractions dans des termes similaires, voire identiques.

57      Or, l’usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif est sans ambiguïté présenté, par l’article 172b du code pénal, comme l’infraction pénale qui donne lieu aux peines qui y sont énoncées. Dans ces conditions, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 50 et 51 du présent arrêt, le principe de légalité des délits et des peines énoncé à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte doit, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, être regardé comme étant respecté.

58      En ce qui concerne la circonstance, relevée par la juridiction nationale, que la législation nationale, en particulier l’article 81, paragraphe 1, du ZMGO ancien et l’article 172b du code pénal, ne contient pas de critères permettant de délimiter l’infraction administrative par rapport à l’infraction pénale, il convient de faire observer qu’une exigence selon laquelle la législation nationale doit contenir de tels critères ne découle pas de ce principe.

59      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 49, paragraphe 1, de la Charte doit être interprété en ce sens que le principe de légalité des délits et des peines ne s’oppose pas à une législation nationale qui prévoit, en cas d’usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif, que le même comportement peut être qualifié tant comme infraction administrative que comme infraction pénale, sans comporter de critères permettant de délimiter l’infraction administrative par rapport à l’infraction pénale, l’infraction étant décrite dans des termes similaires, voire identiques, dans la loi pénale et dans la loi sur les marques.

–       Sur la quatrième question

60      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 49, paragraphe 3, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition législative nationale qui, en cas d’usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif, prévoit l’infliction de sanctions pénales tant privatives de liberté que pécuniaires, la peine privative de liberté étant de cinq à huit ans d’emprisonnement lorsque cet usage a été fait à plusieurs reprises ou a causé des conséquences préjudiciables importantes.

61      À cet égard, la juridiction de renvoi relève que la limite inférieure de cette peine d’emprisonnement est extrêmement élevée et que cette peine se cumule en outre avec une amende dont le montant est également élevé. Par ailleurs, les possibilités dont dispose le juge de la réduire ou d’en suspendre l’exécution seraient très limitées. Enfin, la mesure supplémentaire de confiscation et de destruction des biens faisant l’objet de l’infraction contribuerait à accroître la sévérité globale des sanctions encourues.

62      Conformément à l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, qui s’applique, ainsi qu’il a été relevé aux points 44 et 45 du présent arrêt, pour autant que la disposition nationale en cause au principal met en œuvre l’article 61 de l’accord ADPIC, l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction.

63      À cet égard, il convient de rappeler que, tout en laissant le choix et les modalités des procédures pénales et des sanctions applicables à la discrétion des membres de l’OMC, l’article 61 de l’accord ADPIC impose à ceux-ci de sanctionner pénalement au moins certaines violations de droit de propriété intellectuelle, telles que les actes délibérés de contrefaçon de marque de fabrique ou de commerce commis à une échelle commerciale. En outre, cet article indique que les sanctions doivent inclure « l’emprisonnement et/ou des amendes suffisantes pour être dissuasives » et doivent être « en rapport avec le niveau des peines appliquées pour des délits de gravité correspondante ». Dans les cas appropriés, les sanctions possibles doivent inclure « également la saisie, la confiscation et la destruction des marchandises en cause et de tous matériaux et instruments ayant principalement servi à commettre le délit ».

64      Comme M. l’avocat général l’a relevé au point 46 de ses conclusions, en l’absence de mesures législatives internes de l’Union dans le domaine des sanctions applicables, les États membres sont compétents pour déterminer la nature et le niveau de ces sanctions, dans le respect, notamment, du principe de proportionnalité [voir, en ce sens, arrêt du 11 février 2021, K. M. (Sanctions infligées au capitaine de navire), C‑77/20, EU:C:2021:112, point 36 et jurisprudence citée].

65      Selon la jurisprudence de la Cour, conformément à ce dernier principe, les mesures répressives permises par une législation nationale ne doivent pas excéder les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par cette législation. La rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif, tout en n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif [voir, en ce sens, arrêts du 11 février 2021, K. M. (Sanctions infligées au capitaine de navire), C‑77/20, EU:C:2021:112, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée, et du 14 octobre 2021, Landespolizeidirektion Steiermark (Machines à sous), C‑231/20, EU:C:2021:845, point 45].

66      Ainsi, lorsque la réglementation nationale prévoit un cumul de sanctions de nature pénale, tel que le cumul de sanctions pécuniaires et de peines privatives de liberté, les autorités compétentes ont l’obligation de s’assurer que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées n’excède pas la gravité de l’infraction constatée, sous peine de méconnaître le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2022, BV, C‑570/20, EU:C:2022:348, points 49 et 50).

67      La Cour a également jugé que le principe de proportionnalité exige que, lors de la détermination de la sanction ainsi que de la fixation du montant de l’amende, il soit tenu compte des circonstances individuelles du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N, C‑384/17, EU:C:2018:810, point 45).

68      Doit également être prise en compte, pour apprécier la proportionnalité des sanctions, la possibilité dont dispose le juge national de modifier la qualification par rapport à celle figurant dans l’acte d’accusation, cette possibilité étant de nature à conduire à l’application d’une sanction moins sévère, et celle de moduler la sanction par rapport à la gravité de l’infraction constatée [voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2015, Chmielewski, C‑255/14, EU:C:2015:475, point 26, et du 11 février 2021, K. M. (Sanctions infligées au capitaine de navire), C‑77/20, EU:C:2021:112, point 51].

69      En l’occurrence, en premier lieu, il ressort de la décision de renvoi que l’article 172b, paragraphe 2, du code pénal, sur le fondement duquel les poursuites ont été engagées contre G. ST. T., vise à sanctionner l’usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif lorsque cet usage présente une certaine gravité, soit parce qu’il a été commis à plusieurs reprises, soit parce qu’il a causé des préjudices importants.

70      En ce qu’elle prévoit, en répression d’un tel acte, une peine privative de liberté de cinq à huit ans et une amende de 5 000 à 8 000 BGN, cette législation nationale apparaît apte à atteindre les objectifs légitimes poursuivis par l’article 61 de l’accord ADPIC, lequel impose de sanctionner pénalement et de manière suffisamment dissuasive, à tout le moins, les actes délibérés de contrefaçon de marque commis à une échelle commerciale.

71      En second lieu, s’agissant de la question de savoir si la mesure ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis, il ressort de la décision de renvoi que la peine privative de liberté prévue pour l’infraction de contrefaçon aggravée visée à l’article 172b, paragraphe 2, du code pénal est fixée à un seuil minimal de cinq ans, seuil que la juridiction de renvoi considère comme étant « extrêmement élevé ».

72      En outre, cette même disposition prévoit que, à cette peine privative de liberté, s’ajoute une amende de nature pénale, d’un montant de 5 000 à 8 000 BGN, également considéré par cette juridiction comme étant élevé.

73      Ladite juridiction mentionne par ailleurs l’obligation, énoncée à l’article 172b, paragraphe 3, du code pénal, d’infliger une mesure supplémentaire consistant à confisquer les biens faisant l’objet de l’infraction et à les détruire. Ces mesures contribuent, selon la même juridiction, à accroître la sévérité de la sanction globalement infligée.

74      À cet égard, il importe de faire observer, ainsi qu’il a été rappelé au point 63 du présent arrêt, que l’article 61 de l’accord ADPIC prévoit que les sanctions que les membres de l’OMC doivent imposer « incluront l’emprisonnement et/ou des amendes suffisantes pour être dissuasives ». En ayant recours aux conjonctions « et » et « ou », cette disposition autorise ainsi ces membres à prévoir, dans leur législation, le cumul d’une peine privative de liberté et d’une amende aux fins de la sanction de ce comportement.

75      En outre, ledit article 61 de l’accord ADPIC fait obligation aux membres de l’OMC de prévoir que, dans les cas appropriés, les sanctions possibles « incluront également la saisie, la confiscation et la destruction des marchandises en cause et de tous matériaux et instruments ayant principalement servi à commettre le délit ». De telles mesures, outre les conséquences financières qu’elles entraînent pour le contrefacteur, sont de nature à contribuer à l’efficacité de la sanction en ce qu’elles évitent que des marchandises portant atteinte à un droit intellectuel puissent rester sur le marché et faire l’objet d’un usage ultérieur.

76      Ainsi, ce sont les stipulations elles-mêmes de l’article 61 de l’accord ADPIC qui exigent un degré de sévérité suffisamment élevé afin d’éviter que le comportement incriminé soit adopté ou se répète.

77      Par conséquent, il ne saurait être affirmé qu’une législation pénale introduite par un État membre pour réprimer des actes de contrefaçon de marque présentant une certaine gravité est disproportionnée en raison du seul fait qu’elle prévoit, dans des cas appropriés, outre l’infliction d’une amende et la destruction des marchandises en cause ainsi que des outils ayant servi à commettre le délit, l’infliction d’une peine privative de liberté.

78      Cependant, ainsi qu’il résulte également dudit article 61 de l’accord ADPIC, qui reflète à cet égard l’exigence de proportionnalité également énoncée à l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, toute sanction pénale prévue par cette législation doit être en adéquation avec la gravité du délit correspondant.

79      Or, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, le comportement infractionnel visé à l’article 172b du code pénal, consistant en l’« usage » dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif, apparaît couvrir l’ensemble des actes visés à l’article 13 (1) et (2), du ZMGO, tant ancien que nouveau. Ces dernières dispositions correspondent, en substance, à l’article 10, paragraphes 2 et 3, de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1).

80      Il apparaît ainsi que l’article 172b du code pénal est susceptible de concerner tout acte d’usage, dans la vie des affaires, d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif. En outre, en vertu de l’article 172b, paragraphe 2, de ce code, tout acte répondant à cette description et ayant été commis à plusieurs reprises ou ayant causé des conséquences préjudiciables importantes est puni, notamment, d’une peine d’emprisonnement de cinq ans au minimum.

81      Si une telle sanction n’est pas nécessairement disproportionnée dans certains cas de contrefaçon, force est néanmoins de constater qu’une disposition telle que l’article 172b, paragraphe 2, du code pénal, qui associe une description d’infraction particulièrement large à une peine privative de liberté de cinq ans au minimum, ne permet pas de garantir la capacité des autorités compétentes d’assurer dans chaque cas individuel, conformément à l’obligation découlant de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte rappelée au point 66 du présent arrêt, que la sévérité des sanctions imposées n’excède pas la gravité de l’infraction constatée.

82      Ces autorités peuvent, en effet, être amenées à examiner des actes d’usage non consenti d’une marque dont l’effet demeure particulièrement limité dans la vie des affaires, même si ces actes ont été commis délibérément et à plusieurs reprises.

83      Lesdites autorités peuvent également être amenées, en dehors des cas de figure portant sur des produits contrefaits, à examiner des actes d’usage non consenti d’une marque qui, tout en étant commis délibérément, à plusieurs reprises et avec des effets considérables dans la vie des affaires, ne s’avèrent illicites qu’après une appréciation complexe de la portée du droit exclusif.

84      En prévoyant une peine d’emprisonnement de cinq ans au minimum pour l’ensemble des cas d’usage non consenti d’une marque dans la vie des affaires, une disposition législative nationale telle que celle visée par la quatrième question posée rend excessivement difficile la tâche pour les autorités compétentes de fixer, au regard de l’ensemble des éléments pertinents, une sanction dont l’intensité n’excède pas la gravité de l’infraction constatée.

85      En effet, la juridiction de renvoi a indiqué que la possibilité offerte par le droit pénal bulgare de fixer une peine inférieure à la peine minimale prévue à l’article 172b, paragraphe 2, du code pénal est limitée aux cas où les circonstances atténuantes sont soit exceptionnelles soit nombreuses. Cette juridiction a également indiqué que la possibilité de surseoir à l’exécution d’une peine d’emprisonnement n’existe que si cette peine ne dépasse pas trois ans. Eu égard à la fixation, à l’article 172b, paragraphe 2, du code pénal, d’une peine d’emprisonnement de cinq ans au minimum pour l’ensemble des cas d’usage non consenti d’une marque dans la vie des affaires, ces possibilités limitées de réduction de la peine et de sursis à exécution peuvent s’avérer insuffisantes pour ramener dans chaque cas la répression à une peine qui est proportionnée à cette gravité.

86      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 49, paragraphe 3, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition législative nationale qui, en cas d’usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif, à plusieurs reprises ou avec des conséquences préjudiciables importantes, prévoit une peine plancher de cinq ans d’emprisonnement.

 Sur les dépens

87      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

doit être interprété en ce sens que :

le principe de légalité des délits et des peines ne s’oppose pas à une législation nationale qui prévoit, en cas d’usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif, que le même comportement peut être qualifié tant comme infraction administrative que comme infraction pénale, sans comporter de critères permettant de délimiter l’infraction administrative par rapport à l’infraction pénale, l’infraction étant décrite dans des termes similaires, voire identiques, dans la loi pénale et dans la loi sur les marques.

2)      L’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une disposition législative nationale qui, en cas d’usage dans la vie des affaires d’une marque sans le consentement du titulaire du droit exclusif, à plusieurs reprises ou avec des conséquences préjudiciables importantes, prévoit une peine plancher de cinq ans d’emprisonnement.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.