Language of document : ECLI:EU:T:2021:417

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

7 juillet 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑267/20,

Sergej Arbuzov, demeurant à Kiev (Ukraine), représenté par Me V. Rytikov, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. R. Pekař et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2020/373 du Conseil, du 5 mars 2020, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 10), et du règlement d’exécution (UE) 2020/370 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 1), dans la mesure où ces actes maintiennent le nom du requérant sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Spielmann, président, Mme O. Spineanu‑Matei et M. R. Mastroianni (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Sergej Arbuzov, a notamment occupé les fonctions de gouverneur de la Banque nationale d’Ukraine ainsi que de Premier ministre de l’Ukraine.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1) Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)       Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures restrictives en cause et définit les modalités de celles-ci en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et par le règlement no 208/2014 sont inscrits sur la liste figurant à l’annexe de ladite décision et à l’annexe I dudit règlement (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription. À l’origine, le nom du requérant n’apparaissait pas sur la liste.

9        La décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 ont été modifiés par la décision d’exécution 2014/216/PESC du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre la décision 2014/119 (JO 2014, L 111, p. 91), et par le règlement d’exécution (UE) no 381/2014 du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2014, L 111, p. 33).

10      Par la décision d’exécution 2014/216 et par le règlement d’exécution no 381/2014, le nom du requérant a été ajouté sur la liste avec les informations d’identification « ancien Premier ministre d’Ukraine » et la motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 juin 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑434/14, tendant à l’annulation de la décision 2014/119, telle que modifiée par la décision d’exécution 2014/216, en ce qu’elle le visait.

12      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

13      La décision 2015/143 a modifié, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des personnes visées par le gel des fonds, le texte de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 étant remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

14      Le règlement 2015/138 a modifié de façon similaire le règlement no 208/2014.

15      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives en cause, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016 et, d’autre part, remplacé l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

16      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « ancien Premier ministre de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mai 2015, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑221/15, tendant à l’annulation des actes de mars 2015, en ce qu’ils le visaient.

18      Par arrêt du 28 janvier 2016, Arbuzov/Conseil (T‑434/14, non publié, EU:T:2016:46), le Tribunal a annulé la décision 2014/119, telle que modifiée par la décision d’exécution 2014/216, en ce qu’elle visait le requérant.

19      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

20      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

21      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 2016, le requérant a adapté la requête relative à l’affaire T‑221/15, conformément à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, afin de demander également l’annulation des actes de mars 2016, en ce qu’ils le visaient.

22      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1).

23      Par ces actes, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2017, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑258/17, tendant à l’annulation de la décision 2017/381, en tant qu’elle le concernait.

25      Par arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil (T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478), le Tribunal a rejeté l’intégralité des demandes du requérant à l’égard tant des actes de mars 2015 que des actes de mars 2016.

26      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63, p. 5) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

27      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2018, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑284/18, tendant à l’annulation des actes de mars 2018, en ce qu’ils le visaient.

29      Par arrêt du 6 juin 2018, Arbuzov/Conseil (T‑258/17, EU:T:2018:331), le Tribunal a annulé la décision 2017/381, en ce qu’elle visait le requérant.

30      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2019 »).

31      Par les actes de mars 2019, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2020 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

32      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er mai 2019, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑289/19, tendant à l’annulation des actes de mars 2019, en ce qu’ils le visaient.

33      Par arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil (T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018, en ce qu’ils visaient le requérant.

34      Entre les mois de juillet 2019 et de février 2020 le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis au requérant plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG »), incluant des décisions du juge d’instruction du tribunal de district de Petchersk à Kiev concernant les procédures pénales dont ce dernier faisait l’objet et sur lesquelles il se fondait pour envisager ladite prorogation.

35      Le 5 mars 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/373, modifiant la décision 2014/119 (JO 2020, L 71, p. 10), et le règlement d’exécution (UE) 2020/370, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2020, L 71, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

36      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2021 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus. Par ailleurs, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014 ont été subdivisées en deux sections, dont la seconde a été intitulée « Droits de la défense et droit à une protection juridictionnelle effective ». Dans cette section figure, s’agissant du requérant, la mention suivante :

« La procédure pénale relative au détournement de fonds ou d’avoirs publics est toujours en cours. Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Arbuzov et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoignent notamment la lettre du 24 avril 2017 concernant l’envoi de la notification écrite de suspicion, les décisions du juge d’instruction du 19 décembre 2018, du 18 mars 2019 et du 29 juillet 2019 faisant droit à une demande introduite par la défense contre l’inaction du parquet général, la décision du juge d’instruction du 10 août 2017 autorisant l’ouverture d’une enquête spéciale par défaut et les décisions du juge d’instruction du 4 novembre 2019 et du 5 novembre 2019 rejetant les demandes introduites par la défense en vue de la fixation d’un délai pour l’achèvement de l’enquête préliminaire. »

37      Par courrier du 6 mars 2020, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives en cause à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans ses correspondances des 16 octobre et 19 décembre 2019 ainsi que des 23 janvier et 6 février 2020 et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il lui a indiqué le délai pour présenter des observations avant l’adoption d’une décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours 

38      Par arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil (T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445), le Tribunal a annulé les actes de mars 2019, en ce qu’ils visaient le requérant.

39      Le 4 mars 2021, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2021/394, modifiant la décision 2014/119 (JO 2021, L 77, p. 29), et le règlement d’exécution (UE) 2021/391, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2021, L 77, p. 2), qui ont prorogé l’application des mesures restrictives en cause jusqu’au 6 mars 2022. Par lesdits actes, la mention relative au requérant dans la liste a été supprimée.

 Procédure et conclusions des parties

40      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mai 2020, le requérant a introduit le présent recours, tendant à l’annulation des actes attaqués.

41      Le 4 septembre 2020, le Conseil a déposé le mémoire en défense.

42      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 20 octobre 2020.

43      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 8 décembre 2020. À cette même date, la phase écrite de la procédure a été close.

44      En vertu de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, en l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en l’absence d’une telle demande, de statuer sans phase orale de la procédure.

45      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

46      Le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2020/373 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2020/370 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

47      Bien que la requête ne soit pas explicitement structurée par moyens, il y a lieu de considérer que, ainsi que le fait remarquer le Conseil dans le mémoire en défense, sans être contredit par le requérant, ce dernier invoque à l’appui du recours, en substance, trois moyens, tirés, le premier, d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, le deuxième, de la violation du droit à une bonne administration, en ce que le Conseil a commis une erreur d’appréciation du contenu des procédures engagées contre lui et a violé son droit d’être entendu ainsi que l’obligation de motivation et, le troisième, de la violation du droit de propriété.

48      Tout d’abord, il convient d’examiner le premier moyen, en ce que, par celui-ci, le requérant reproche notamment au Conseil de ne pas avoir vérifié, au moment de l’adoption des actes attaqués, si, dans le cadre des procédures pénales le visant et sur lesquelles le Conseil se serait appuyé, les autorités ukrainiennes avaient respecté, conformément à la jurisprudence du juge de l’Union européenne, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective, y compris le droit à être jugé dans un délai raisonnable.

49      S’agissant, premièrement, de la procédure pénale no 42015000000000915 (ci-après la « procédure 915 »), qui a été dissociée de la procédure no 42014000000000359 le 18 mai 2015 et qui a trait au prétendu détournement de fonds publics lié à la création d’une chaîne de télévision de la Banque nationale d’Ukraine, le requérant souligne qu’il n’y a pas eu d’évolution dans l’enquête préliminaire, et ce en dépit, d’une part, de l’avis de clôture de celle-ci daté du 16 janvier 2019, qui indiquait qu’il avait le droit de prendre connaissance du dossier et, d’autre part, de la communication au Conseil, par le BPG, de l’intention de transmettre l’acte d’accusation à un tribunal, pour un examen au fond de l’affaire, avant la fin du mois de février 2019.

50      À cet égard, le requérant fait valoir qu’il a insisté à maintes reprises auprès du BPG pour exercer son droit de consulter le dossier à partir de janvier 2019 et qu’il a dû constater un manque de coopération de la part de celui-ci, ce dont il aurait informé le Conseil. En tout état de cause, ses représentants ne seraient aucunement responsables des retards qui se seraient accumulés dans la phase de familiarisation du dossier.

51      S’agissant, deuxièmement, de la procédure pénale no 42017000000002807 (ci-après la « procédure 807 »), qui a été dissociée de la procédure no 22014000000000090 le 1er septembre 2017 et qui a trait à un prétendu détournement de fonds publics lié à la création d’un réseau de télécommunication spécialisé à usage spécifique, le requérant fait notamment valoir que, en dépit de la décision du 10 août 2017 autorisant l’ouverture d’une enquête spéciale par défaut, le BPG n’a pas encore transféré au tribunal l’acte d’accusation. Par ailleurs, bien que, après le rejet de sa demande de clôture de ladite procédure à la fin de l’année 2018, l’enquête préliminaire ait été transférée au bureau national anticorruption de l’Ukraine, il n’y aurait eu aucun progrès dans la procédure, aucun acte n’ayant été adopté après septembre 2017, hormis les documents afférents au transfert de compétence, et rien n’aurait changé après ledit transfert.

52      Selon le requérant, les autorités ukrainiennes ont dépassé tous les délais possibles pour mener l’enquête préliminaire et ont violé ses droits fondamentaux garantis par la constitution ukrainienne et par la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), ce qui n’aurait pas été vérifié par le Conseil.

53      En outre, le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil ne saurait fonder les actes attaqués sur la lettre du 24 avril 2017 relative à la notification de l’avis de suspicion pour démontrer le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre de la procédure 807. En effet, le BPG n’aurait pas prouvé lui avoir notifié ledit avis de suspicion.

54      S’agissant, troisièmement, de la procédure pénale no 42018000000000583 (ci-après la « procédure 583 »), qui a été dissociée de la procédure no 12013220540000400 le 14 mars 2018 et qui a trait à une prétendue complicité dans le détournement de fonds liée à l’achat de deux plates‑formes de forage autonomes, le requérant fait valoir que, depuis la réception de l’avis de suspicion le 30 janvier 2018, il n’y a eu aucun acte d’enquête, la procédure ayant été suspendue depuis le tout début et jusqu’à aujourd’hui. Selon lui, le BPG a signalé à tort qu’il se cachait pour échapper à l’enquête, dès lors que son représentant a demandé explicitement à celui-ci de procéder à des actes d’investigation à son véritable lieu de résidence en Russie.

55      Enfin, le requérant reproche au bureau national anticorruption de l’Ukraine, qui était la nouvelle autorité en charge de l’enquête préliminaire depuis novembre 2019, d’avoir rejeté sa demande d’accès au dossier au motif que cela pouvait compromettre la procédure. Il affirme avoir ainsi été obligé de déposer une plainte devant la Cour suprême de lutte contre la corruption, laquelle, le 6 février 2020, a rendu une décision en sa faveur, enjoignant au responsable de la procédure au sein dudit bureau d’examiner ladite demande d’accès. Selon lui, ce n’est qu’après avoir eu accès au dossier de l’affaire qu’il a pu constater une inaction totale et l’inexistence de tout document postérieur à la notification de l’avis de suspicion.

56      À titre liminaire, le Conseil précise, tout d’abord, qu’il a envoyé au BPG une série de questions spécifiques, visant à obtenir des éclaircissements, notamment, au regard de certaines affirmations du requérant, auxquelles le BPG a toujours répondu.

57      Ensuite, le Conseil fait observer, d’une part, que les éléments spécifiques des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre de la procédure pénale doivent être appréciés en tenant compte du stade où se trouve ladite procédure et, d’autre part, que certains éléments du droit à une protection juridictionnelle effective exigent que l’intéressé exerce lui-même ce droit.

58      Enfin, le Conseil fait valoir que, contrairement à ce que prétend le requérant, s’agissant des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, dans les actes attaqués, il s’est appuyé non seulement sur les informations relatives aux procédures 807 et 583, mais également sur celles relatives à la procédure 915, dans la mesure où il les a fournies au requérant dans la correspondance qu’il a échangée avec lui.

59      S’agissant, premièrement, de la procédure 915, le Conseil fait valoir, d’une part, que, depuis janvier 2019, celle-ci se trouve dans la phase de la consultation du dossier par les représentants du requérant et, d’autre part, que ces derniers font obstacle à l’achèvement de cette phase et, plus généralement, de l’enquête préliminaire dans le cadre de cette procédure. Il ajoute que la durée de la phase actuelle est, en principe, à la discrétion du requérant, car celui-ci pourrait à tout moment y mettre fin en indiquant avoir suffisamment consulté le dossier.

60      S’agissant, deuxièmement, de la procédure 807, le Conseil souligne, tout d’abord, qu’il a reçu du BPG des preuves concernant la réception par le requérant de l’avis de suspicion. Quant à la prétendue durée excessive de la procédure, il rétorque que, d’après les informations du BPG, elle est justifiée par la complexité de l’affaire concernant un nombre significatif de personnes dans des procédures connexes et la tentative du requérant d’échapper à sa responsabilité pénale.

61      S’agissant, troisièmement, de la procédure 583, le Conseil rappelle que, d’après les informations du BPG, sa durée est justifiée par la complexité de l’affaire et la nécessité d’effectuer un nombre significatif d’actes d’instruction et de procédure, également à l’étranger, ainsi que par la tentative du requérant d’échapper à sa responsabilité pénale. Par ailleurs, il souligne que le requérant a toujours eu la possibilité d’invoquer l’inaction du parquet devant un tribunal, comme en témoignent les décisions du juge d’instruction du 19 décembre 2018 et des 18 mars et 29 juillet 2019.

62      Selon le Conseil, les considérations concernant la durée de la procédure 583 ont d’ailleurs été confirmées par la décision du juge d’instruction du 5 novembre 2019.

63      Enfin, le Conseil fait valoir qu’il appartient au juge d’instruction d’exercer un contrôle judiciaire du respect des droits et des libertés des personnes impliquées dans une procédure pénale. Ainsi, il serait en droit de s’appuyer sur les conclusions des décisions de justice adoptées par une telle juridiction.

64      Il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels que consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 60 et jurisprudence citée).

65      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir lesdits actes, sont étayés (voir arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 61 et jurisprudence citée).

66      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers, reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 62 et jurisprudence citée).

67      Aussi, si, en vertu du critère d’inscription, tel que celui rappelé au point 13 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 63 et jurisprudence citée).

68      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel des fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et de telle sorte à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même si les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 64 et jurisprudence citée).

69      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la CEDH implique un contrôle, par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 68 ci-dessus (voir arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 65 et jurisprudence citée).

70      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié si la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 66 et jurisprudence citée).

71      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives, telles que celles en l’espèce, sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part de la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 67 et jurisprudence citée).

72      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté ces obligations qui lui incombaient dans le cadre de l’adoption des actes attaqués en ce que ceux-ci concernent le requérant.

73      À cet égard, il y a lieu de relever que le Conseil a mentionné dans les actes attaqués les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener une procédure pénale à l’encontre du requérant pour détournement de fonds ou d’avoirs publics avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective (voir point 36 ci-dessus). Il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que tel avait été le cas.

74      En effet, l’examen du bien-fondé de la motivation, qui relève de la légalité au fond des actes attaqués et consiste, en l’occurrence, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à démontrer la vérification du respect de ces droits par les autorités ukrainiennes, doit être distingué de la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle et ne constitue que le corollaire de l’obligation du Conseil de s’assurer, au préalable, du respect desdits droits (voir arrêt du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 74 et jurisprudence citée).

75      Or, les mesures restrictives précédemment adoptées ont été prorogées et maintenues à l’égard du requérant par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel qu’il a été modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel qu’il a été modifié par le règlement 2015/138 (voir points 13 et 14 ci-dessus). Ce critère vise les personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

76      Il convient de constater que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui‑ci faisait l’objet d’une procédure pénale des autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives de détournement de fonds ou d’avoirs publics, qui était établie par les lettres du BPG ainsi que par certaines décisions de justice dont le requérant avait reçu copie (voir point 34 ci-dessus).

77      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil (T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

78      Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté à celles-ci une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

79      Dans la première partie de la nouvelle section en cause figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale. En particulier, tout d’abord, les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale sont rappelés. Ensuite, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 de ce code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction d’un tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquête, telles que la saisie de biens et les mesures de détention, ne sont possibles que moyennant une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

80      La seconde partie de la nouvelle section en cause concerne le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de chacune des personnes inscrites sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoigneraient, notamment, la lettre du 24 avril 2017 concernant l’envoi de la notification écrite de suspicion ainsi que les décisions du juge d’instruction du 19 décembre 2018 et des 18 mars et 29 juillet 2019, la décision du juge d’instruction du 10 août 2017 et les décisions du juge d’instruction des 4 et 5 novembre 2019 (voir point 36 ci‑dessus).

81      Dans la lettre du 6 mars 2020 adressée au requérant (voir point 37 ci-dessus), le Conseil a indiqué qu’il ressortait des informations que le BPG lui avait fournies que le requérant continuait à faire l’objet des procédures 583, 807 et 915 pour détournement de fonds ou d’avoirs publics sur lesquelles il s’était fondé. S’agissant plus particulièrement du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, il a précisé qu’il ressortait de la lettre du BPG du 24 avril 2017, concernant l’envoi de la notification écrite de suspicion, des décisions du juge d’instruction du 19 décembre 2018 et des 18 mars et 29 juillet 2019, faisant droit à une demande introduite par la défense contre l’inaction du BPG, de la décision du juge d’instruction du 10 août 2017, autorisant l’ouverture d’une enquête spéciale par défaut, et des décisions du juge d’instruction des 4 et 5 novembre 2019, rejetant les demandes introduites par la défense en vue de la fixation d’un délai pour l’achèvement de l’enquête préliminaire, que lesdits droits avaient été respectés. Par ces deux dernières décisions, il aurait été établi que le délai légal pour l’instruction n’avait pas encore expiré, que des démarches étaient en cours concernant la recherche du requérant et la coopération internationale et que, compte tenu de la complexité des enquêtes et de la nécessité d’achever les procédures dans le cadre de la coopération internationale, il n’y avait aucune raison de rendre les procédures pénales plus courtes que ce que prévoyait le code de procédure pénale.

82      Il ressort d’une lecture combinée des motifs figurant dans les actes attaqués et de la lettre du 6 mars 2020 que, contrairement à ce que prétend le Conseil, les procédures 583 et 807 sont celles pour lesquelles celui-ci atteste avoir effectivement vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

83      À cet égard, il doit être observé, d’emblée, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure toutes les décisions en cause témoignent du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure 583 ou de la procédure 807. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 67 et 68 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider du maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquête pénale portant sur des infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics prétendument commises par le requérant avait été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 80, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 83 et jurisprudence citée).

84      Dans cette perspective, les décisions de justice mentionnées au point 80 ci-dessus ne sauraient être identifiées comme étant des décisions d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives. Cela étant, il est possible d’admettre que, d’un point de vue substantiel, dès lors que ces décisions ont été rendues par une juridiction, à tout le moins celles des 18 mars, 29 juillet, 4 et 5 novembre 2019, qui sont pertinentes sous l’angle temporel, elles ont réellement été prises en compte par le Conseil comme étant la base factuelle justifiant le maintien des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 84 et jurisprudence citée).

85      Il y a donc lieu de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que les décisions du juge d’instruction des 18 mars, 29 juillet, 4 et 5 novembre 2019 ainsi que celles du 10 août 2017 et du 19 décembre 2018 témoignaient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

86      S’agissant, en premier lieu, de la décision du 10 août 2017, concernant l’ouverture d’une enquête spéciale par défaut dans le cadre de la procédure 807, et de celle du 19 décembre 2018, faisant droit à une demande du requérant contre l’inaction du BPG dans le cadre de la procédure 583, il convient de relever que celles-ci ont été prises par le juge d’instruction bien avant l’adoption des actes attaqués. Il s’ensuit qu’elles ne sauraient suffire à établir que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne, sur laquelle le Conseil a entendu se fonder pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2020 au mois de mars 2021, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant, a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 93 et jurisprudence citée). Au demeurant, le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer à l’égard de la décision du 10 août 2017 dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil (T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, points 76, 82 et 83), qui n’a pas été contesté par le Conseil. Dans ce dernier arrêt, il a été jugé que cette décision n’était pas susceptible de démontrer que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés dans le cadre de la procédure 807.

87      S’agissant, en deuxième lieu, des décisions du juge d’instruction des 18 mars et 29 juillet 2019, il convient de relever que toutes les deux font droit à des pétitions introduites par les représentants du requérant dans le cadre de la procédure 583. Plus particulièrement, la première fait droit à une pétition tendant à ce que soit examinée par le parquet la demande du requérant de citer des personnes pour être entendues en tant que témoins, alors que la seconde fait droit à une pétition tendant à ce que soit examinée par le parquet la demande du requérant d’être interrogé, conformément à la procédure d’entraide judiciaire internationale, et à ce qu’une démarche en ce sens soit engagée auprès des autorités compétentes de la Fédération de Russie.

88      À cet égard, il convient de relever que les pièces du dossier ne permettent pas de déterminer sur quel fondement le Conseil a considéré que les décisions du juge d’instruction des 18 mars et 29 juillet 2019 pouvaient témoigner du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure 583, compte tenu par ailleurs qu’il n’a pas été informé de la suite que le parquet général aurait donné à ces décisions.

89      Certes, ainsi que le souligne le Conseil, il s’agit de décisions favorables au requérant, dans la mesure où le juge d’instruction aurait forcé le parquet à agir. Toutefois, cette considération, à elle seule, ne suffit pas à établir que le Conseil a vérifié le respect desdits droits par les autorités ukrainiennes (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klyuyev/Conseil, T‑305/18, non publié, EU:T:2019:506, points 83 à 85).

90      En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 67 et 68 ci-dessus, le Conseil doit s’assurer du respect de ces droits lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder, à savoir, en l’espèce, la décision d’une autorité ukrainienne, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant le requérant. Ainsi, il ne pouvait pas négliger les raisons ayant déterminé le rejet des pétitions du requérant de la part de l’autorité qui mène l’enquête, dans la mesure où un tel rejet aurait pu se révéler, par exemple, dépourvu de tout fondement, outre qu’injustifié d’un point de vue procédural.

91      S’agissant, en troisième lieu, des décisions du juge d’instruction des 4 et 5 novembre 2019, toutes les deux rejetant les demandes du requérant visant à faire fixer un délai pour l’achèvement de l’enquête préliminaire, respectivement, dans la procédure 807 et dans la procédure 583, il convient de relever, d’une part, que, bien qu’elles concernent des demandes présentées par le requérant dans deux procédures différentes, elles sont, en substance, identiques et, d’autre part, qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’un appel de la part du requérant.

92      Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil a vérifié dans quelle mesure les décisions du juge d’instruction des 4 et 5 novembre 2019 se conciliaient avec les articles du code de procédure pénale, explicitement mentionnés dans la première partie de la nouvelle section des actes attaqués relative aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective figurant dans l’annexe de la décision 2014/119 et dans l’annexe I du règlement no 208/2014 telles que modifiées par les actes attaqués (voir point 79 ci-dessus), qui établissent, notamment, le droit de la personne soupçonnée de « contester des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur, du procureur et du juge d’instruction » (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 82).

93      S’agissant, en quatrième lieu, de la notification écrite de suspicion envoyée au requérant le 24 avril 2017, ce qui est d’ailleurs contesté par celui-ci, il convient de relever que, à l’instar des décisions de justice mentionnées au point 86 ci-dessus, elle ne saurait suffire à établir que la décision de l’administration judiciaire sur laquelle le Conseil a entendu se fonder pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2020 au mois de mars 2021, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

94      En tout état de cause, il doit également être relevé que toutes les décisions de justice ukrainiennes mentionnées au point 80 ci-dessus, qui font toutes suite à des pétitions du requérant et ne témoignent donc d’aucune évolution dans les enquêtes préliminaires auxquelles elles se rattachent, s’insèrent dans le cadre des procédures pénales ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes au regard de celle-ci, dans la mesure où elles sont de nature procédurale. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, en ce que, conformément au critère d’inscription applicable, le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener ladite procédure pénale, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, ainsi qu’il incombe au Conseil de le vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 68 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 85 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 94 et jurisprudence citée).

95      Au demeurant, il convient de relever que le Conseil n’invoque aucune pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués dont il résulterait qu’il a examiné les décisions de justice invoquées et qu’il a pu en conclure que les droits procéduraux du requérant avaient été respectés dans leur substance.

96      La simple référence faite par le Conseil à des lettres et à des prises de position des autorités ukrainiennes dans lesquelles celles-ci ont expliqué en quoi les droits fondamentaux du requérant avaient été respectés et ont donné des assurances à cet égard ne saurait suffire pour considérer que la décision de maintenir son nom sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, au sens de la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 44).

97      À cet égard, il doit également être observé que le Conseil était tenu d’effectuer une telle vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, la simple existence de dispositions du code de procédure pénale n’étant pas suffisante en soi pour démontrer le respect de ces droits par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klyuyev/Conseil, T‑305/18, non publié, EU:T:2019:506, point 72).

98      D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment, en particulier, la simple existence des décisions mentionnées au point 80 ci-dessus permettrait de considérer que le respect du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant a été garanti. À cet égard, il y a lieu de relever que, comme celui-ci l’avait fait valoir dans les lettres envoyées au Conseil, tant la procédure 807 que la procédure 583, qui concernaient des faits prétendument commis avant 2013 et qui étaient en l’état suspendues depuis plusieurs mois, se trouvaient encore au stade de l’enquête préliminaire, de sorte qu’elles n’avaient pas été soumises à un tribunal ukrainien sur le fond, un tel tribunal n’en ayant connu que pour des questions procédurales.

99      Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 89 et jurisprudence citée), prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

100    Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus à l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH.

101    À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant l’article 6 de la CEDH, d’une part, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort et que ledit principe soulignait l’importance de rendre la justice sans les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE :ECHR :2015 :0707JUD 007228710, point 126 et jurisprudence citée). D’autre part, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de périodes d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE :ECHR :2004 :0106JUD 005026899, points 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE :ECHR :2007 :0927JUD 000150502, points 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE :ECHR :2012 :0112JUD 002572502, points 58 à 62).

102    Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, de la même enquête préliminaire, le Conseil est tenu de vérifier le respect des droits fondamentaux de cette personne, et donc de son droit à être jugée dans un délai raisonnable, par les autorités ukrainiennes avant qu’il décide s’il y a lieu de proroger ou non une nouvelle fois ces mesures (voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 92 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 101 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 114 et jurisprudence citée). Or, des décisions telles que celles invoquées dans les actes attaqués, qui ne se fondent pas sur la réalisation d’activités d’enquête, ne sauraient témoigner d’une véritable progression de la procédure pénale en cause.

103    En l’espèce, il suffit de constater que l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure 807 a été suspendue sans jamais avoir été réactivée depuis le 1er septembre 2017 et que l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure 583 a été suspendue sans jamais avoir été réactivée depuis le 11 juillet 2018. En outre, il ressort du dossier qu’aucun acte d’investigation ou procédural n’a été accompli par les autorités chargées de l’enquête, qui ont par ailleurs changé en novembre 2019, ni dans l’une ni dans l’autre procédure.

104    Or, bien que le Conseil ait effectué des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes afin d’être éclairé sur les raisons ayant justifié les suspensions en cause, il s’est satisfait des explications fournies par le BPG selon lesquelles les suspensions seraient justifiées, notamment, par la tentative du requérant de se soustraire à la responsabilité pénale et, s’agissant de la procédure 807, la nécessité de procéder à des actes de procédure dans le cadre de l’entraide judiciaire internationale.

105    Le Conseil aurait dû à tout le moins indiquer les raisons pour lesquelles, en dépit de nombreux arguments du requérant, il pouvait considérer que le droit de celui-ci à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne avait été respecté en ce qui concernait son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 93 et jurisprudence citée).

106    Il ne saurait donc être conclu, étant donné les pièces du dossier, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener la procédure pénale en cause avait été adoptée et mise en œuvre dans le respect des droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

107    À cet égard, il convient également de relever que la jurisprudence selon laquelle, en cas d’adoption d’une mesure de gel de fonds telle que celle adoptée à l’égard du requérant dans le cadre des actes attaqués, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures restrictives faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier si la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption desdites mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 95 et jurisprudence citée).

108    Enfin, doit être rejeté l’argument du Conseil selon lequel, en substance, il ne lui appartient pas de mettre en cause les décisions des juridictions ukrainiennes, qui bénéficieraient d’une sorte de présomption de légalité. En effet, s’il est vrai, ainsi que le prétend le Conseil, qu’il est en droit de se fonder sur des décisions de justice comme preuves de l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds publics à l’encontre du requérant, il n’en va pas de même en ce qui concerne les preuves du bon déroulement de cette procédure pénale, y compris pour ce qui est du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective.

109    Ainsi qu’il a été rappelé au point 68 ci-dessus, pour s’assurer que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, le Conseil doit vérifier non seulement s’il existe des procédures judiciaires en cours concernant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics, mais également si, dans le cadre de ces procédures, lesdits droits du requérant ont été respectés (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 153 et jurisprudence citée).

110    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre des procédures pénales sur lesquelles il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir le nom du requérant sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

111    Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments invoqués par ce dernier.

112    Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 46, deuxième tiret, ci-dessus), tendant, en substance, au maintien des effets de la décision 2020/373 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi visant le présent arrêt, en tant qu’il annulerait le règlement d’exécution 2020/370 dans la mesure où il concerne le requérant, et, au cas où un pourvoi serait introduit à cet égard, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2020/373 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2021. Par conséquent, l’annulation de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Arbuzov/Conseil, T‑289/19, non publié, EU:T:2020:445, point 98 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

113    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2020/373 du Conseil, du 5 mars 2020, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2020/370 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Sergej Arbuzov a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Spineanu-Matei

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le tchèque.