Language of document : ECLI:EU:T:2005:395

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

15 novembre 2005 (*)

« Fonctionnaires – Agents temporaires – Classement en grade et en échelon – Classement au grade supérieur de la carrière »

Dans l’affaire T‑145/04,

Elisabetta Righini, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Me É. Boigelot, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Joris et Mme C. Berardis-Kayser, en qualité d’agents, assistés de Me D. Waelbroeck, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l’annulation des décisions de la Commission de classer la requérante à son entrée en service au grade A 7, échelon 3, que ce soit en qualité d’agent temporaire ou de fonctionnaire stagiaire et, pour autant que de besoin, l’annulation de la décision du 21 janvier 2004 portant rejet de la réclamation de la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras, président, F. Dehousse et D. Šváby, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 février 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       L’article 31 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, tel qu’il était en vigueur au moment des faits (ci-après le « statut ») disposait :

« 1. Les candidats ainsi choisis sont nommés :

–       fonctionnaires de la catégorie A ou du cadre linguistique :

au grade de base de leur catégorie ou de leur cadre,

[...]

2. Toutefois, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut déroger aux dispositions visées ci-avant dans les limites suivantes :

[...]

b) pour les autres grades [que les grades A 1, A 2, A 3 et LA 3], à raison :

–       d’un tiers s’il s’agit de postes rendus disponibles,

–       de la moitié s’il s’agit de postes nouvellement créés.

Sauf pour le grade LA 3, cette disposition s’applique par série de six emplois à pourvoir dans chaque grade. »

2       L’article 10 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes, tel qu’il était en vigueur au moment des faits (ci-après le « RAA »), prévoyait :

« Les dispositions de l’article 1er bis, de l’article 5, paragraphes 1, 2 et 4, et de l’article 7 du statut concernant respectivement l’égalité de traitement entre fonctionnaires, la classification des emplois en catégories, cadres et grades et l’affectation des fonctionnaires sont applicables par analogie.

[...]

L’affectation d’un agent temporaire à un emploi correspondant à un grade supérieur à celui auquel il a été engagé rend nécessaire la conclusion d’un avenant au contrat d’engagement. »

3       L’article 15, paragraphe 1, du RAA disposait :

« 1. Le classement initial de l’agent temporaire est déterminé conformément aux dispositions de l’article 32 du statut.

En cas d’affectation de l’agent à un emploi correspondant à un grade supérieur, conformément aux dispositions de l’article 10, troisième alinéa, son classement est déterminé conformément aux dispositions de l’article 46 du statut. »

4       Le 1er septembre 1983, la Commission a adopté une décision relative aux critères applicables à la nomination en grade et au classement en échelon lors du recrutement des fonctionnaires (ci-après la « décision de 1983 »). L’article 2, modifié le 7 février 1996, à la suite de l’arrêt du Tribunal du 5 octobre 1995, Alexopoulou/Commission (T‑17/95, RecFP p. I‑A‑227 et II‑683, ci-après l’« arrêt Alexopoulou I »), prévoit désormais que l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci‑après l’« AIPN ») « nomme le fonctionnaire stagiaire au grade de base de la carrière pour laquelle il est recruté », tout en précisant que, par exception à ce principe, l’AIPN peut décider de nommer le fonctionnaire stagiaire au grade supérieur de la carrière, lorsque des besoins spécifiques du service exigent le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié ou lorsque la personne recrutée possède des qualifications exceptionnelles.

5       L’article 5 de la décision de 1983 mentionne aussi que ladite décision « s’applique mutatis mutandis à l’engagement des agents temporaires ».

6       La Commission a, par ailleurs, établi un document intitulé « Guide administratif » comportant des informations relatives au classement des nouveaux fonctionnaires. Ce guide énumère notamment les indices sur la base desquels l’AIPN peut décider de nommer un fonctionnaire stagiaire au grade supérieur de la carrière pour laquelle il a été recruté. Ces indices sont les suivants :

« –      Niveau et pertinence des qualifications et diplômes autres que ceux permettant d’ores et déjà d’accéder à la catégorie ;

–       niveau et qualité de l’expérience professionnelle, pour autant qu’elle réponde aux besoins de la Commission (qualité de l’expérience, niveau de responsabilité, complexité et difficultés inhérentes aux postes concernés, expérience de la gestion, responsabilités financières, etc.) ;

–       durée de l’expérience professionnelle en liaison avec le poste proposé ;

–       pertinence de l’expérience professionnelle pour le poste à pourvoir au sein de la Commission ;

–       particularités du marché de l’emploi au regard des compétences requises (pénurie de personnel qualifié, en particulier). »

 Faits à l’origine du litige

7       La requérante a été engagée en qualité d’agent auxiliaire au sein du service juridique de la Commission, pour la période du 16 octobre 1999 au 30 avril 2002, en vertu de trois contrats successifs. Le premier, conclu pour une durée d’un an, la classait dans la catégorie A, groupe II, classe 2, le deuxième, conclu pour six mois, la classait dans la catégorie B, groupe IV, classe 2, et le troisième, de nouveau d’une durée d’un an, la classait dans la catégorie A, groupe II, classe 3. Ce dernier contrat a été prolongé d’un mois.

8       À la suite de l’avis de vacance COM/2002/1276 demeuré infructueux, la Commission a engagé la requérante en qualité d’agent temporaire pour la période du 1er mai 2002 au 31 juillet 2003, en application de l’article 2, sous b), du RAA. La requérante était classée, par ce contrat, dans la catégorie A, grade 7, échelon 1.

9       Le 24 juillet 2002, la requérante a demandé la révision de son classement en vue d’être classée au grade A 6. Elle prétendait remplir les deux conditions fixées par la décision de 1983, permettant à la Commission de nommer un agent au grade supérieur de la carrière pour laquelle il est recruté. La requérante a exposé à cet égard en quoi les besoins spécifiques du service juridique avaient exigé le recrutement d’un juriste particulièrement qualifié et en quoi elle possédait des qualifications exceptionnelles.

10     Le directeur général du service juridique de la Commission a appuyé la démarche de la requérante par un courrier du même jour. Il y exposait que, à l’époque où Mme Righini a été recrutée comme agent auxiliaire, son service manquait de juristes ayant à la fois une connaissance exceptionnelle du droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’expérience nécessaire pour être immédiatement opérationnels. Selon le directeur général du service juridique, Mme Righini remplissait ces conditions et son service ne pouvait pas prendre le risque de se priver de son expérience. En conclusion, le directeur général du service juridique estimait que, dans le cas de Mme Righini, les besoins spécifiques du service, qui exigeaient le recrutement d’un juriste pouvant faire état d’une expérience exceptionnelle dans le domaine de l’OMC, et l’extrême difficulté à recruter des juristes aussi hautement spécialisés justifiaient amplement que la requérante soit classée à un grade supérieur au grade A 7.

11     La requérante avait entre-temps réussi le concours général COM/A/6/01, relatif à la constitution d’une réserve de recrutement d’administrateurs (A 7/A 6) dans le domaine notamment des relations extérieures (JO 2001, C 110 A, p. 13). Après la réussite de ce concours, elle a été engagée, le 24 septembre 2002, en tant que fonctionnaire stagiaire, en qualité d’administrateur avec classement au grade A 7, échelon 1 , à compter du 1er septembre 2002. Elle a été affectée au service juridique de la Commission à suite de l’avis de vacance COM/2002/1279/F.

12     Le 7 octobre 2002, la requérante a demandé, en qualité de fonctionnaire stagiaire, son reclassement au grade A 6.

13     Par lettre du 6 février 2003, la requérante a fourni à la Commission, dans la perspective de l’examen de ses demandes de reclassement, des informations additionnelles au sujet de son expérience professionnelle.

14     Par courrier daté du 16 mai et reçu le 27 mai 2003, la Commission a fait parvenir à la requérante un amendement à son contrat d’agent temporaire la classant rétroactivement au grade A 7, échelon 3. Il s’agit du premier acte attaqué.

15     Le 21 mai 2003, l’AIPN a pris une nouvelle décision nommant la requérante en qualité de fonctionnaire stagiaire au service juridique de la Commission, avec classement au grade A 7, échelon 3 et effet au 1er septembre 2002. Il s’agit du deuxième acte attaqué.

16     Le 14 août 2003, la requérante a introduit une réclamation contre ces deux décisions, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut, en joignant en annexe ses précédents courriers, dont notamment sa demande du 24 juillet 2002.

17     La Commission a rejeté cette réclamation par une décision du 21 janvier 2004. Il s’agit du troisième acte attaqué.

18     Après avoir rappelé les règles applicables et la jurisprudence en la matière, la Commission a examiné la réclamation de la requérante au fond. Elle a précisé, à cet égard, que la question était « de déterminer si, parmi les fonctionnaires du grade A 7 de la catégorie A possédant déjà les plus hautes qualités de rendement, de compétence et d’intégrité, comme l’exige[ait] l’article 27 du statut [...], Mme Righini [...] poss[édait], en outre, des qualifications exceptionnelles ».

19     La Commission a également souligné que « les conditions de recrutement prévues par les avis de concours, tout comme les règles de classement prévues à l’article 2 de la [d]écision de 1983, prévo[yaient] la durée minimale d’expérience pour un recrutement ou un classement au premier échelon du grade de base de la carrière, soit [trois] ans pour le grade A 7 et [douze] ans pour le grade A 5 ». La Commission a néanmoins précisé que « [c]ette règle fixait] le minimum à l’entrée en service, mais ne conf[érait] aucun droit proportionnellement à la durée de l’expérience au moment du classement définitif ».

20     S’agissant du profil académique de la requérante, la Commission a relevé que celle-ci était titulaire d’un diplôme donnant accès aux emplois de la catégorie A et qu’elle avait suivi un enseignement de troisième cycle à l’University College of London. Selon la Commission, cette formation était de très bonne qualité, tant par rapport à l’emploi que Mme Righini occupait qu’au regard du profil moyen des lauréats de concours comparables, dont le niveau était également très élevé.

21     En ce qui concerne la qualité de l’expérience professionnelle de la requérante, la Commission a observé que Mme Righini avait été avocate stagiaire pendant deux ans, puis qu’elle avait collaboré avec plusieurs cabinets d’avocats, tant en Italie qu’au Royaume-Uni. D’après la Commission, Mme Righini a ainsi pu « acquérir une solide expérience non seulement dans le domaine du droit européen, mais aussi dans celui du droit commercial international ».

22     La Commission a ensuite relevé que la requérante a été affectée au service juridique en qualité d’agent auxiliaire à compter du 16 octobre 1999 et qu’elle exerçait toujours son activité dans ce service. Sur la base de ce qui précède, la Commission a considéré que l’intéressée avait « exercé des fonctions de bon niveau avant sa nomination en qualité de fonctionnaire stagiaire ». Elle a aussi « pris note de la continuité du travail de Mme Righini dans des domaines spécifiques – droit communautaire et des affaires –, des bonnes appréciations de ses supérieurs hiérarchiques et du caractère opérationnel de l’intéressée à son entrée en service comme fonctionnaire stagiaire ».

23     La Commission a fixé la durée de l’expérience de la requérante à huit ans et huit mois et demi. Elle a estimé que celle-ci « n’excéd[ait] pas celle d’autres lauréats de concours comparables ».

24     La Commission a ensuite abordé la question de la pertinence de l’expérience professionnelle de la requérante, par rapport à l’emploi pour lequel elle avait été recrutée. Elle a relevé à cet égard que Mme Righini, après avoir réussi le concours COM/A/6/01, avait été nommée fonctionnaire stagiaire au service juridique, à la suite de l’avis de vacance COM/2002/1279/F. La Commission a admis qu’il existait une concordance entre les qualifications et l’expérience professionnelle de Mme Righini, d’une part, et le domaine du poste en question, d’autre part. Toutefois, elle a constaté que l’avis de vacance ne mentionnait aucune exigence particulière. En effet, les compétences et les qualités requises devaient être « d’un très bon niveau [...], sans toutefois présenter le caractère exceptionnel qui justifierait une nomination au grade supérieur de la carrière ».

25     En conséquence, la Commission a estimé que le profil de la requérante « ne constitu[ait] pas une circonstance exceptionnelle par rapport à un profil de lauréat de haut niveau ».

26     À « titre subsidiaire », elle a admis l’exceptionnelle pertinence de l’expérience professionnelle de Mme Righini non plus par rapport à l’emploi pour lequel elle avait été recrutée le 1er septembre 2002, mais par rapport à son recrutement initial en tant qu’agent auxiliaire, en octobre 1999. Elle avait en effet été engagée à l’époque dans le but de renforcer l’équipe du service juridique de la Commission traitant du contentieux de l’OMC.

27     La Commission a toutefois considéré :

« [L]e caractère exceptionnel de ce rapport ne suffit pas pour constater que la décision attaquée, prise globalement, est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, la correspondance entre [l’expérience de la requérante] et l’emploi à pourvoir est précisément ce qui lui a permis de se distinguer des huit autres candidats à ce poste et d’y être recrutée. De plus [...] il n’existe aucune obligation de nommer un candidat au grade supérieur de la carrière, même lorsque les [...] critères [...] sont remplis. » 

28     Par ailleurs, la Commission a encore observé que, même si la nécessité de recruter une personne particulièrement qualifiée était avérée en l’espèce, l’autre critère, relatif à la particularité du profil professionnel de Mme Righini, ne l’était pas.

29     La Commission a considéré, à cet égard, que, « même si les juristes ayant le profil de l’intéressée [étaient] recherchés, elle ne rencontr[ait] pas de difficultés particulières à recruter des personnes ayant une formation et une expérience professionnelle comparables ».

 Procédure et conclusions des parties

30     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 avril 2004, la requérante a introduit le présent recours.

31     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

32     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 17 février 2005.

33     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision de l’autorité habilitée à conclure des contrats d’engagement (ci‑après l’« AHCC »), datée du 16 mai 2003 et reçue le 27 mai 2003, de classer définitivement la requérante à son entrée en service en qualité d’agent temporaire au grade A 7, échelon 3 ;

–       annuler la décision de l’AIPN du 21 mai 2003 de nommer la requérante en qualité de fonctionnaire stagiaire avec classement définitif au grade A 7, échelon 3 ;

–       pour autant que de besoin, annuler la décision de la Commission du 21 janvier 2004 portant rejet de la réclamation de la requérante ;

–       condamner la défenderesse aux dépens.

34     La défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       condamner la requérante aux dépens comme de droit.

 En droit

1.     Observations liminaires

35     À l’appui de son recours, la requérante soulève quatre moyens tirés d’une violation, premièrement, de l’obligation de motivation, deuxièmement, de l’article 31, paragraphe 2, du statut et des dispositions le mettant en œuvre ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation, troisièmement, du principe d’égalité de traitement et, quatrièmement, du principe de confiance légitime et du devoir de sollicitude.

36     Avant d’examiner les moyens développés dans la requête, il y a lieu de rappeler les règles juridiques régissant la décision de classer un fonctionnaire au grade supérieur de la carrière.

37     L’article 31, paragraphe 2, du statut dispose que l’AIPN « peut déroger » à la règle selon laquelle un fonctionnaire nouvellement recruté est classé au grade de base de la carrière à laquelle il est nommé.

38     Cet article n’a pas été expressément rendu applicable aux agents temporaires par les dispositions du RAA. De plus, l’article 2 de la décision de 1983 ne concerne explicitement que les fonctionnaires stagiaires.

39     Néanmoins, la requérante a invoqué ces deux dispositions pour être reclassée au grade A 6 non seulement en qualité de fonctionnaire stagiaire, mais aussi en tant qu’agent temporaire, et la Commission les a indistinctement appliquées aux deux situations en question.

40     En effet, les règles contenues dans l’article 31, paragraphe 2, du statut peuvent raisonnablement être appliquées aux agents temporaires, en vertu du principe de bonne administration (arrêts du Tribunal du 17 novembre 1998, Fabert-Goossens/Commission, T‑217/96, RecFP p. I‑A‑607 et II‑1841, points 41 et 42 ; du 6 juillet 1999, Forvass/Commission, T‑203/97, RecFP p. I‑A‑129 et II‑705, point 42, et du 17 décembre 2003, Chawdhry/Commission, T‑133/02, RecFP p. I‑A‑329 et II‑1617, point 35). Ainsi, l’article 5 de la décision de 1983 a étendu, mutatis mutandis, l’application de l’article 2 de ladite décision aux agents temporaires.

41     Il incombe donc au Tribunal d’examiner le recours à la lumière de cette précision.

42     L’article 31, paragraphe 2, du statut confère à l’AIPN ou à l’AHCC la faculté de nommer un candidat au grade supérieur de sa carrière sans prévoir de condition particulière.

43     L’usage de cette faculté doit cependant être concilié avec les exigences propres à la notion de carrière résultant de l’article 5 et de l’annexe I du statut. En conséquence, il n’est admissible de recruter au grade supérieur d’une carrière qu’à titre exceptionnel (arrêt de la Cour du 1er juillet 1999, Alexopoulou/Commission, C‑155/98 P, Rec. p. I‑4069, points 32 et 33, et ordonnance du Tribunal du 12 octobre 1998, Campoli/Commission, T‑235/97, RecFP p. I‑A‑577 et II‑1731, point 32).

44     Par ailleurs, les institutions peuvent se fixer des directives internes par souci de transparence, afin de faciliter l’adoption, au cas par cas, de décisions individuelles, et pour garantir le respect du principe d’égalité de traitement dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation.

45     La Commission a adopté de telles directives internes dans la décision de 1983 (arrêt Alexopoulou I, point 23). Elle y énonce deux critères susceptibles de l’amener à classer une nouvelle recrue au grade supérieur de la carrière. Aux termes de cette décision, l’article 31, paragraphe 2, du statut peut être appliqué, premièrement, lorsque la personne recrutée possède des qualifications exceptionnelles ou, deuxièmement, lorsque des besoins spécifiques du service exigent le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié. Ces hypothèses sont alternatives et non cumulatives, comme l’ont d’ailleurs reconnu les parties lors de l’audience.

46     La Commission a complété les deux critères ci-dessus en énumérant cinq indices dans son guide administratif.

47     La Commission a entendu apprécier l’existence de qualifications exceptionnelles en se fondant sur les trois premiers indices que sont le profil académique, la durée et la qualité de l’expérience professionnelle.

48     Elle a ensuite voulu circonscrire l’existence de besoins spécifiques du service exigeant le recrutement d’un agent particulièrement qualifié, en s’appuyant sur les deux derniers indices, c’est-à-dire la pertinence de l’expérience professionnelle de l’intéressé par rapport au poste à pourvoir et les particularités du marché de l’emploi quant aux compétences requises.

49     La possibilité de classer un fonctionnaire nouvellement recruté au grade supérieur de la carrière ne pouvant intervenir qu’à titre exceptionnel (voir point 43 ci-dessus), les conditions justifiant un tel classement doivent être interprétées de manière restrictive. Il convient par conséquent de considérer que, dans l’examen du premier critère, les trois premiers indices susmentionnés sont cumulatifs. De même, dans l’examen du second critère, les deux derniers indices ci-dessus énumérés sont également cumulatifs. Les parties se sont accordées sur ce point lors de l’audience.

50     C’est dans ce contexte qu’il appartient à l’AIPN ou à l’AHCC d’examiner concrètement si un fonctionnaire ou un agent nouvellement recrutés qui demande à bénéficier de l’article 31, paragraphe 2, du statut possède des qualifications exceptionnelles ou si les besoins spécifiques d’un service exigent le recrutement d’un fonctionnaire particulièrement qualifié.

51     Lorsqu’elles admettent qu’un de ces critères est rempli, ces autorités sont tenues de procéder à une appréciation concrète de l’application éventuelle de l’article 31, paragraphe 2, du statut (arrêt Alexopoulou I, point 21, et arrêt du Tribunal du 26 octobre 2004, Brendel/Commission, T‑55/03, non encore publié au Recueil, point 61). Elles peuvent encore décider, à ce stade, en tenant compte de l’intérêt du service en général, s’il y a lieu, ou non, d’octroyer à un fonctionnaire ou un agent nouvellement recrutés un classement au grade supérieur. En effet, l’emploi du verbe « pouvoir » à l’article 31, paragraphe 2, du statut, implique que l’AIPN ou l’AHCC n’est pas obligée d’appliquer cette disposition et que les agents ou fonctionnaires nouvellement recrutés n’ont pas un droit subjectif à un tel classement (ordonnance du Tribunal du 13 février 1998, Alexopoulou/Commission, T‑195/96, RecFP p. I‑A‑51 et II‑117, point 43 ; arrêts Chawdhry/Commission, point 40 supra, point 44, et Brendel/Commission, précité, point 61).

52     Il résulte de ce qui précède que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation, dans le cadre fixé par l’article 31 du statut, pour examiner si l’emploi à pourvoir exige le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié ou si ce dernier possède des qualifications exceptionnelles. Elle dispose également d’un pouvoir d’appréciation étendu, lorsque, après avoir constaté l’existence de l’une de ces deux situations, elle en examine les conséquences.

53     Dans ces conditions, le contrôle juridictionnel d’une décision portant classement en grade ne saurait se substituer à l’appréciation de l’AIPN ou de l’AHCC. Le juge communautaire doit en conséquence se limiter à vérifier s’il n’y a pas eu de violation des formes substantielles, si l’AIPN, ou l’AHCC, n’a pas fondé sa décision sur des faits matériels inexacts ou incomplets ou si la décision n’est pas entachée d’un détournement de pouvoir, d’une erreur de droit ou d’une insuffisance de motivation. En outre, il convient de vérifier si l’AIPN, ou l’AHCC, n’a pas usé de son pouvoir de manière manifestement erronée (arrêts du Tribunal du 3 octobre 2002, Platte/Commission, T‑6/02, RecFP p. I‑A‑189 et II‑973, point 36 ; Chawdhry/Commission, point 40 supra, point 45, et Brendel/Commission, point 51 supra, point 60).

2.     Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

54     La requérante observe dans l’exposé des faits de sa requête que les décisions des 16 et 21 mai 2003, constituant les deux premiers actes attaqués, ne sont pas motivées.

55     Le Tribunal rappelle qu’une décision de classement présente certaines analogies avec une décision de promotion (arrêt Alexopoulou/Commission, point 43 supra, point 27). Ces analogies justifient de transposer, aux décisions portant classement en grade, les principes régissant l’obligation de motivation des décisions en matière de promotion. À cet égard, d’une part, il est de jurisprudence constante que l’obligation peut être utilement remplie au stade de la décision statuant sur la réclamation. D’autre part, il suffit que la motivation concerne la réunion des conditions légales auxquelles le statut subordonne la régularité de la procédure de promotion, la révélation de l’appréciation comparative que l’AIPN a effectuée, en particulier, n’étant pas exigée. Il suffit que l’AIPN indique au fonctionnaire concerné le motif individuel et pertinent justifiant la décision prise à son égard (arrêts Chawdhry/Commission, point 40 supra, point 121, et Brendel/Commission, point 51 supra, point 120).

56     La décision de l’AIPN du 21 janvier 2004 satisfait à ces exigences. En effet, l’AIPN a considéré, en substance, et en prenant comme critère le profil d’un lauréat de haut niveau, que la formation et l’expérience professionnelle de la requérante étaient de très bonne qualité, mais n’étaient pas pour autant exceptionnelles, que le même constat s’imposait en ce qui concerne la pertinence de son expérience professionnelle et que le recrutement de personnes ayant une formation et une expérience professionnelle comparables ne suscitait pas de difficulté particulière.

57     Le premier moyen n’est donc pas fondé.

3.     Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 31, paragraphe 2, du statut, de la décision de 1983, du guide administratif et d’une erreur manifeste d’appréciation

58     Ce moyen peut être divisé en deux branches. Dans la première branche, la requérante fait valoir que la Commission n’aurait pas apprécié concrètement sa situation au regard de l’article 31, paragraphe 2, du statut. Dans la seconde branche, elle critique la manière selon laquelle la défenderesse a appliqué les critères et les indices mentionnés aux points 4 et 6 ci-dessus et prétend y satisfaire.

 Sur la première branche du deuxième moyen

 Arguments des parties

59     La requérante admet que la Commission n’a aucune obligation de classer un fonctionnaire au grade supérieur de la carrière, même lorsque des besoins spécifiques du service exigent le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié ou lorsque la personne recrutée possède des qualifications exceptionnelles.

60     La requérante rappelle cependant la jurisprudence selon laquelle la Commission est obligée de procéder à une appréciation concrète de l’application de l’article 31, paragraphe 2, du statut, lorsqu’est rempli l’un des deux critères consistant dans les qualifications exceptionnelles du candidat et dans la nécessité de recruter un titulaire particulièrement qualifié (arrêt Chawdhry/Commission, point 40 supra, point 56).

61     La requérante estime que la Commission n’a pas examiné concrètement ses demandes de reclassement au grade A 6 lors de l’examen ayant conduit à l’adoption des décisions des 16 et 21 mai 2003, constituant les deux premiers actes attaqués.

62     La requérante fait encore valoir que la Commission aurait dû s’efforcer d’objectiver les critères servant à son appréciation. La Commission se serait dès lors retranchée derrière des considérations excessivement subjectives qui rendraient impossible tout contrôle a posteriori. Or, le pouvoir que la Commission tire de l’article 31, paragraphe 2, du statut ne pourrait être exercé de manière arbitraire. La requérante relève ainsi que l’AIPN a admis que ses « qualifications académiques [...] sont très bonnes et pertinentes », mais qu’elles ne sont toutefois pas exceptionnelles. Ce raisonnement empêcherait une réelle objectivation. Or, la Commission devrait s’efforcer de rendre objectifs les critères à la base de son appréciation des qualités de l’agent.

63     Elle ajoute que le simple fait que la Commission a affirmé avoir tenu compte de la durée et de la qualité de son expérience professionnelle ne suffit pas à établir la réalité d’une appréciation concrète. La requérante en veut pour preuve que, dans sa décision du 21 janvier 2004, la Commission a indiqué que les règles de classement, prévues à l’article 2 de la décision de 1983, fixent à trois ans la durée minimale de l’expérience professionnelle pour le classement au grade A 7, alors que son expérience professionnelle serait de huit ans et huit mois et demi.

64     La requérante fait valoir enfin que l’AIPN n’a avancé aucune raison d’intérêt général (par exemple, des disponibilités budgétaires inexistantes) s’opposant au classement de la requérante au grade A 6.

65     La défenderesse conteste ces arguments et soutient que le moyen n’est pas fondé.

 Appréciation du Tribunal

66     Dans le cadre de la première branche du deuxième moyen, il appartient au Tribunal d’examiner si la défenderesse a effectivement apprécié les circonstances de la cause, de la manière décrite aux points 50 et suivants, ci-dessus.

67     En premier lieu, la brièveté des décisions des 16 et 21 mai 2003, qui ont fixé le classement de la requérante, ne permet pas de conclure que l’AIPN et l’AHCC n’auraient pas, à ce stade, procédé à une appréciation concrète des demandes de reclassement de celle-ci à un grade supérieur. En effet, la fiche du comité de classement du 11 mars 2003, qui a servi de fondement à ces deux décisions, révèle qu’ont été pris en considération le parcours académique et l’expérience professionnelle, exposés par la requérante dans ses demandes de reclassement au grade A 6 des 24 juillet et 7 octobre 2002, ainsi que dans sa lettre du 6 février 2003. De plus, la circonstance que ces deux décisions ont reclassé Mme Righini dans le grade A 7, de l’échelon 1 à l’échelon 3, atteste que la Commission a effectivement examiné son cas avant de les prendre.

68     En deuxième lieu, la motivation circonstanciée de la décision du 21 janvier 2004, rejetant la réclamation de la requérante, démontre aussi que l’AIPN a concrètement examiné si les arguments avancés par Mme Righini permettaient de conclure à sa valeur exceptionnelle ou à l’existence d’un besoin particulier du service juridique.

69     La distinction effectuée par la défenderesse entre une très bonne qualification et une qualification exceptionnelle ne signifie pas qu’elle a entendu occulter l’ineffectivité de son examen et empêcher tout contrôle. Elle a pu user de la nuance qui différencie ces deux qualificatifs, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation qui est le sien. Ce pouvoir d’appréciation est lui-même justifié par la grande diversité des expériences professionnelles présentées par les candidats à la fonction publique européenne et par les besoins spécifiques relevant de chaque poste à pourvoir (arrêts du Tribunal du 5 novembre 1997, Barnett/Commission, T‑12/97, RecFP p. I‑A‑313 et II-863, point 51, et Platte/Commission, point 53 supra, point 35).

70     Le fait que cette nuance rende malaisé le contrôle juridictionnel de l’administration est, au demeurant, inhérent à l’interdiction, pour le Tribunal, de substituer son appréciation à celle de l’AIPN et à la limitation qui en découle de l’intensité de son contrôle (voir point 53 ci‑dessus).

71     L’effectivité de l’examen opéré par la défenderesse n’est pas démentie par l’indication, dans la décision du 21 janvier 2004, qu’un classement au grade A 7 requérait une « durée minimale d’expérience » de trois ans, alors que la requérante pouvait se prévaloir d’une expérience de huit ans et huit mois et demi. En effet, il ressort de la décision elle-même qu’il ne s’agit que d’un rappel du minimum requis, afin de poser, « à titre général », un des points de repère de l’argumentation circonstanciée qui suit. Au demeurant, le fait que l’expérience de la requérante avait une durée supérieure à la durée minimale exigée par la décision de 1983 pour un classement au grade A 7 ne démontre pas que la Commission n’aurait pas réellement examiné sa demande. En effet, l’appréciation à laquelle la défenderesse devait procéder en l’espèce n’impliquait pas de comparer la durée de l’expérience professionnelle de Mme Righini au minimum requis pour un classement au grade A 7. Elle consistait à déterminer si la durée de son expérience était exceptionnelle par rapport à celle des autres lauréats de procédures de sélection comparables (voir, en ce sens, arrêt Chawdhry/Commission, point 40 supra, point 82).

72     La requérante reproche aussi à la Commission d’avoir insuffisamment rendu objectifs les critères à la base de son appréciation.

73     Il convient cependant de rappeler qu’une institution peut se fixer des lignes directrices susceptibles de la guider dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, mais qu’elle n’y est pas obligée. De plus, la Commission a, en l’occurrence, effectivement encadré de directives internes son propre pouvoir d’appréciation. L’article 2 de sa décision de 1983, tel qu’il résulte de la modification intervenue après l’arrêt Alexopoulou I, énumère deux critères que l’institution a précisés par cinq indices. Compte tenu de la nature casuelle de l’examen auquel la Commission est tenue en l’occurrence, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir mentionné des critères et des indices plus précis (arrêt du Tribunal du 11 juillet 2002, Wasmeier/Commission, T‑381/00, RecFP p. I‑A‑125 et II‑677, point 76).

74     La requérante reproche enfin à tort à la Commission de n’avoir opposé aucune raison d’intérêt général à son classement au grade A 6. En effet, la question de l’intérêt du service à classer d’emblée un agent au grade supérieur de la carrière doit être abordée seulement après l’éventuelle reconnaissance du fait que l’emploi à pourvoir exige le recrutement d’un titulaire particulièrement qualifié ou que l’intéressé possède des qualifications exceptionnelles (voir point 51 ci-dessus). La Commission ayant estimé ne pas être en présence de l’une de ces hypothèses, elle n’avait pas à examiner cette question.

75     Il s’ensuit que la première branche du deuxième moyen n’est pas fondée.

 Sur la seconde branche du deuxième moyen

 Arguments des parties

76     La requérante prétend satisfaire aux deux hypothèses dans lesquelles un fonctionnaire peut être classé au grade supérieur de la carrière par la défenderesse.

77     Elle estime tout d’abord posséder des qualifications exceptionnelles.

78     En ce qui concerne le niveau et la qualité de ses diplômes et de ses publications, la requérante fait valoir qu’elle est titulaire d’une licence en droit public international délivrée par l’université de Florence. Afin d’obtenir cette licence, elle aurait rédigé une « thèse » sur les accords de limitation volontaire des exportations. Elle insiste sur le fait que celle-ci a été publiée. La Commission aurait omis de prendre cet élément en considération. La requérante signale aussi avoir obtenu un « Master of Laws (International Business Law) » à l’University College of London, à l’issue duquel elle aurait rédigé une seconde « thèse » sur l’impact des accords OMC sur les entreprises multinationales.

79     Elle mentionne encore avoir enseigné le droit économique international pendant quatre ans au Queen Mary and Westfield College – University of London.

80     S’agissant de la qualité de son expérience professionnelle, elle invoque le fait qu’elle a été admise au barreau de Florence après trois années de pratique judiciaire en droit italien et en droit européen. La requérante souligne qu’elle a également fourni ses services dans le domaine du droit de l’OMC au sein d’un cabinet londonien réputé. Elle insiste en outre sur le fait qu’elle a été sollicitée par le service juridique de la Commission, afin de venir renforcer l’équipe chargée des questions de droit et des procédures concernant l’OMC. La requérante rappelle enfin que toutes ces qualités lui ont valu le soutien du directeur général du service juridique de la Commission à l’occasion de sa demande de classement au grade supérieur.

81     La requérante aborde ensuite la durée de son expérience professionnelle, qu’elle évalue à huit ans, neuf mois et trois jours. Elle considère que, pour apprécier son caractère exceptionnel, il ne convient pas de se référer à la durée de l’expérience des autres lauréats de concours. Il conviendrait d’apprécier l’importance de son expérience au regard du poste qu’elle a occupé sans interruption depuis le mois d’octobre 1999. Elle estime, au demeurant, que la défenderesse ne saurait lui reprocher de ne pas avoir établi les bases d’une comparaison avec les autres fonctionnaires. En effet la Commission elle-même affirmerait, dans la décision du 21 janvier 2004, que l’indication d’une appréciation comparative n’est pas exigée et qu’il suffit à la Commission d’indiquer au fonctionnaire concerné le motif individuel et pertinent justifiant la décision prise à son égard. En tout état de cause, la requérante prétend que des personnes recrutées au sein du service juridique au grade A 6 n’ont pas un curriculum vitae d’une valeur supérieure au sien. Pour des raisons « de confidentialité et de respect du statut des autres collègues », elle ne fournit toutefois pas plus de précisions.

82     En ce qui concerne la pertinence de son expérience personnelle pour le poste qu’elle occupe, la requérante estime que celle-ci « est à l’évidence parfaite ». Elle conteste en effet l’affirmation de la Commission selon laquelle il y a lieu de comparer la pertinence de l’expérience professionnelle de l’intéressé aux exigences du poste auquel il a été affecté. 

83     La requérante observe à cet égard que l’avis de vacance COM/2002/1279/F, sur la base duquel elle a été recrutée, est l’avis habituellement publié par le service juridique. Or, selon la requérante, il apparaît souvent au cours du processus de recrutement que le poste à pourvoir revêt une grande spécificité. Tel aurait été le cas en l’espèce. La requérante considère qu’une telle pratique n’offre aucun élément susceptible d’être soumis à l’appréciation du Tribunal, car plus les tâches sont décrites de manière générique, plus large est le pouvoir d’appréciation de l’administration dans le classement en grade et en échelon. Le service juridique de la Commission viderait ainsi de sa substance l’article 31, paragraphe 2, du statut.

84     La requérante prétend qu’il convient en réalité de prendre en considération le contexte de son arrivée à la Commission. Elle rappelle d’ailleurs qu’elle conteste non seulement son classement en tant que fonctionnaire stagiaire, mais aussi celui en tant qu’agent temporaire. Or elle aurait été recrutée en tant qu’agent auxiliaire en 1999, pour traiter les questions concernant l’OMC, parce que la Commission manquait de juristes compétents dans ce domaine. Elle serait, depuis, en charge de ces questions, qu’elle traiterait « avec une compétence exceptionnelle et reconnue depuis de longues années ». Dans sa décision du 21 janvier 2004, la Commission aurait d’ailleurs reconnu, à titre subsidiaire, le caractère effectivement exceptionnel de la pertinence de son expérience professionnelle par rapport aux fonctions pour lesquelles elle a été recrutée.

85     La requérante examine ensuite la particularité du marché de l’emploi des spécialistes du droit commercial international. Elle soutient que ce marché était, lors de son engagement, et est toujours, particulièrement étroit. Elle fait valoir que, au moment de son recrutement en tant qu’agent auxiliaire, il existait très peu de juristes européens spécialisés dans les accords économiques internationaux, alors que les institutions européennes étaient confrontées à de nombreux litiges en rapport avec les accords OMC. Les difficultés de la Commission à cet égard seraient confirmées par un courrier du 24 juillet 2002 du directeur général du service juridique de la Commission et par une note de 1999 émanant de son prédécesseur.

86     La requérante fait remarquer que, dans cette dernière note, l’ancien directeur général du service juridique insistait sur la circonstance qu’elle réunissait toutes les qualités requises pour être recrutée. La requérante voit en outre une preuve de ce que son expérience professionnelle était précieuse au service juridique dans le fait que celui-ci aurait mis tout en œuvre pour la maintenir au même poste, notamment en lui faisant occuper pendant quelques mois un poste de la catégorie B, alors qu’elle exerçait les mêmes responsabilités qu’auparavant. L’objectif était, selon la requérante, d’opérer une « cassure » artificielle dans son engagement en tant qu’agent auxiliaire afin de l’engager à nouveau, par la suite, dans la catégorie A.

87     La requérante prétend que c’est encore en raison de l’étroitesse du marché de l’emploi dans son domaine de prédilection qu’elle s’est vu offrir un contrat d’agent temporaire. Cela ressortirait d’une note du service juridique du 20 mars 2002. Les mêmes difficultés auraient été mises en évidence lors de son recrutement en tant que fonctionnaire stagiaire, dans une note du même service du 8 août 2002. La requérante en déduit que la Commission ne pouvait affirmer ne pas avoir de difficultés particulières à recruter des personnes ayant une formation et une expérience professionnelle comparables à la sienne.

88     La requérante s’appuie aussi sur le fait que, en 1999, lors de son engagement comme agent auxiliaire dans le service juridique, un cabinet d’avocats international lui avait proposé une place d’associé. La requérante conteste à cet égard que les propositions de travail qui lui ont été faites à ce moment ne puissent être prises en considération pour son classement, intervenu avec effet au 1er mai 2002. Elle affirme, en outre, avoir toujours eu de tels contacts. Elle soutient cependant que, dans un domaine où la durée normale d’une affaire dépasserait 18 mois, formaliser ces contacts aurait été de nature à briser la relation de confiance mutuelle qui s’était établie entre elle et le service juridique et que cela aurait été contraire aux règles de déontologie de la profession d’avocat.

89     La défenderesse réfute ces arguments et soutient que le moyen n’est pas fondé.

 Appréciation du Tribunal

–       Sur la qualification exceptionnelle de la requérante

90     La Commission a examiné, en premier lieu, si la requérante possédait des qualifications exceptionnelles en s’appuyant sur les trois premiers indices énumérés dans son guide administratif.

91     Il incombe donc au Tribunal d’examiner si la défenderesse a commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a confronté la situation de la requérante à ces différents indices.

92     Le Tribunal a déjà eu l’occasion de rappeler, à cet égard, que les prétendues qualifications exceptionnelles doivent être appréciées par la Commission non pas au regard de la population dans son ensemble, mais par rapport au profil moyen des lauréats de concours, qui constituent déjà une population très sévèrement sélectionnée conformément aux exigences de l’article 27 du statut (arrêts Barnett/Commission, point 69 supra, point 50, et Platte/Commission, point 53 supra, point 38).

93     C’est à la lumière de ce paramètre qu’il convient d’examiner si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation.

94     La décision du 21 janvier 2004 indique, premièrement, les études constituant le profil académique de la requérante. Elle ne mentionne pas la rédaction de deux « thèses » ainsi que leur publication. Ces éléments ne sont toutefois pas déterminants. En effet, la requérante n’est pas titulaire d’un doctorat en droit et les deux « thèses » en question ont été rédigées dans le cadre des études relevées par la défenderesse. Par ailleurs, la requérante ne fournit aucun indice dont le Tribunal pourrait déduire que le nombre et l’importance de ses publications seraient exceptionnels, par comparaison à d’autres fonctionnaires du même grade.

95     En vue d’apprécier, deuxièmement, le niveau et la qualité de l’expérience professionnelle, la défenderesse a, dans sa décision du 21 janvier 2004, tenu compte des éléments essentiels du curriculum vitae de la requérante.

96     Elle n’y mentionne pas cependant les périodes d’enseignement du droit économique international à l’université de Londres comme « Visiting Lecturer » puis comme « Visiting Fellow », dont Mme Righini se prévaut. Dans ses écrits de procédure, la Commission a toutefois exposé, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que cette activité devait être prise en considération pour l’analyse de l’expérience professionnelle plutôt que dans le cadre du profil académique de la requérante. Par ailleurs, il ressort du dossier que le comité de classement a tenu compte de cet élément. De surcroît, le seul fait de ne pas l’avoir mis en exergue dans une motivation ne saurait être constitutif d’une erreur manifeste d’appréciation.

97     La requérante insiste sur la circonstance que le service juridique a lui-même cherché à la recruter comme agent auxiliaire, parce qu’elle répondait d’emblée à ses exigences dans le domaine du droit du commerce international et, notamment, de l’OMC. Cependant, le fait que l’expérience professionnelle de Mme Righini ait, par hypothèse, été particulièrement pertinente au regard des fonctions à pourvoir n’implique pas que cette expérience avait été, en soi, exceptionnelle, spécialement s’agissant de fonctionnaires et d’agents très sévèrement sélectionnés.

98     La requérante souligne aussi que le directeur général du service juridique a appuyé sa demande de reclassement en raison du « niveau exceptionnel de son expérience » dans le domaine en question. Toutefois, en réservant à l’AIPN ou à l’AHCC le soin de décider d’un éventuel classement au grade supérieur de la carrière, l’article 31, paragraphe 2, du statut a entendu réserver à un organe unique le soin de fournir une analyse objective des besoins des différents services. L’AIPN et l’AHCC ne sauraient être liées dans cette tâche par les appréciations, souvent plus circonstancielles, de ces derniers. De surcroît, une erreur manifeste d’appréciation ne saurait résulter d’une divergence d’appréciation au sein de la Commission. Il en va d’autant plus ainsi qu’il n’y a pas en l’espèce de réelle divergence, le service juridique ayant sollicité le recrutement de la requérante en qualité d’auxiliaire parce qu’elle possédait les connaissances approfondies et l’expérience professionnelle nécessaires, sans aller jusqu’à évoquer une expérience exceptionnelle. Au demeurant, le Tribunal constate, dans le prolongement de ce qui précède, que la requérante a été classée, comme auxiliaire, dans la catégorie A, classe 2 puis 3, ou dans la catégorie B, classe 2, de sorte que seule une « certaine expérience » lui a été reconnue conformément à l’article 53 du RAA.

99     Enfin, la Commission n’a pas omis de prendre « note de la continuité du travail de Mme Righini dans des domaines spécifiques – droit communautaire et des affaires –, des bonnes appréciations de ses supérieurs hiérarchiques et du caractère opérationnel de l’intéressée à son entrée en service comme fonctionnaire stagiaire ».

100   Au vu des éléments du dossier, la Commission a donc pu « estime[r] que l’intéressée [avait] exercé des fonctions de bon niveau avant sa nomination en qualité de fonctionnaire stagiaire », sans pour autant les qualifier d’exceptionnelles.

101   La défenderesse n’ayant pas commis d’erreur manifeste à l’égard de deux des trois indices cumulatifs permettant d’apprécier le premier critère, au vu duquel un classement au grade supérieur de la carrière peut être décidé, il n’y a pas lieu d’examiner le troisième indice, dont une application inadéquate ne pourrait, en tout état de cause, conduire isolément à l’annulation des actes attaqués.

–       Sur les besoins spécifiques du service juridique

102   En second lieu, la Commission a vérifié, conformément au guide administratif, si les besoins spécifiques du service juridique exigeaient le recrutement d’un titulaire doté d’une expérience spécifique et si le marché du travail était, à cet égard, source de difficultés.

103   Il convient donc d’examiner si la défenderesse a commis une éventuelle erreur manifeste lorsqu’elle a apprécié ces éléments.

104   Le Tribunal considère que, en l’espèce, il y a lieu de débuter cet examen par la question des particularités du marché de l’emploi au regard des compétences requises par le poste à pourvoir.

105   La défenderesse a affirmé, dans sa décision du 21 janvier 2004, qu’elle ne rencontrait pas de difficultés particulières à recruter des personnes ayant une formation et une expérience professionnelle comparables à celles de la requérante, même si les juristes ayant un tel profil sont recherchés. La défenderesse s’est fondée, à cet égard, sur la situation qui prévalait au moment du recrutement de la requérante comme agent temporaire, alors que celle-ci prétend qu’il convenait de prendre en considération la situation existant lors de son engagement comme agent auxiliaire.

106   Il convient de relever, à ce propos, que l’article 31, paragraphe 2, du statut impose une comparaison des qualifications du requérant aux exigences du poste auquel l’agent concerné est affecté en qualité de fonctionnaire ou, par extension (voir points 38 et suivants ci-dessus), d’agent temporaire. Cette disposition figure en effet dans le titre III, chapitre premier, intitulé « Recrutement », et fait référence aux « postes rendus disponibles [ou] nouvellement créés ». Par ailleurs, la décision de 1983 est relative aux critères applicables à la nomination en grade et au classement en échelon lors du recrutement (arrêt Wasmeier/Commission, point 73 supra, point 64). Le guide administratif précise enfin que la pertinence de l’expérience professionnelle de l’intéressé doit être appréciée par rapport aux « poste[s] à pourvoir », qui ne peuvent être, dans le prolongement de ce qui précède, que des emplois statutaires ou temporaires.

107   Il s’ensuit que l’application éventuelle de l’article 31, paragraphe 2, du statut ne saurait dépendre d’engagements en tant qu’auxiliaire, antérieurs aux recrutements visés. Par ailleurs, le marché de l’emploi connaît une constante évolution. Dès lors, il n’est pas concevable qu’au moment de classer les fonctionnaires ou les agents nouvellement recrutés la Commission se réfère à une période révolue de pénurie de personnes ayant un profil professionnel déterminé. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu, en tout état de cause, de faire droit aux arguments que la requérante tire des difficultés auxquelles le service juridique était confronté en 1999 et des propositions qu’un cabinet international lui aurait faites à cette époque.

108   La requérante prétend néanmoins que, au moment de son engagement en tant qu’agent temporaire et en qualité de fonctionnaire stagiaire, le service juridique était toujours confronté aux mêmes difficultés de recruter des spécialistes en droit commercial international.

109   Il ressort de notes des 20 mars et 8 août 2002 que, après avoir écarté la possibilité de recourir aux procédures internes de mobilité, le service juridique a préféré recruter la requérante plutôt que l’un des lauréats d’un concours récent dont les profils n’étaient pas jugés satisfaisants. En effet, selon le service juridique, « [v]u son expérience dans le domaine OMC et la haute qualité de son travail au sein de l’équipe [‘Relations extérieures’] du [s]ervice [j]uridique à laquelle Mme Righini a été affectée comme agent auxiliaire [...] et ensuite comme agent temporaire », ses qualifications « correspond[ai]ent idéalement au profil recherché ».

110   Il n’en résulte pas pour autant que l’AIPN ou l’AHCC aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que le marché du travail ne présentait pas, pour sa part, de difficultés particulières.

111   Dans une note du 24 juillet 2002, à l’appui de la demande de reclassement de la requérante, le directeur général du service juridique a néanmoins fait allusion à l’exceptionnelle difficulté du marché du travail. Pour les raisons déjà exposées au point 98 ci-dessus, cette lettre ne saurait toutefois fonder une erreur manifeste d’appréciation dans le contexte de l’espèce.

112   Cette difficulté, décrite comme exceptionnelle, n’est d’ailleurs pas étayée par des faits précis. En effet, si la requérante a fait état d’une proposition de collaboration avec un cabinet d’avocats international en 1999 et si le directeur général du service juridique a évoqué, dans la note susmentionnée, un risque de la perdre au profit d’un potentiel cabinet d’affaires, elle n’apporte toutefois pas la preuve de sollicitations réelles, concomitantes à son engagement en qualité d’agent temporaire ou de fonctionnaire stagiaire. La requérante prétend, certes, que les règles de déontologie de la profession d’avocat l’empêchaient de formaliser de tels contacts, mais cette affirmation n’est pas étayée et ces règles ne sauraient, en toute hypothèse, conditionner l’application du statut des fonctionnaires. La requérante évoque aussi la nécessité de ne pas briser la relation de confiance qui s’était établie entre elle et le service juridique. Cependant, le fait même de se trouver, comme agent auxiliaire, sous contrat à durée déterminée justifiait au contraire la recherche d’un emploi plus stable et des démarches auprès d’employeurs potentiels.

113   Au vu de ce qui précède, la requérante n’a pas établi que la défenderesse aurait manifestement mal apprécié les éventuelles particularités du marché de l’emploi au regard des compétences requises par le poste à pourvoir.

114   Il découle de ce qui précède que le second indice du critère fondé sur les besoins spécifiques du service n’est pas rempli. Les indices en la matière étant cumulatifs et non alternatifs (voir point 49 ci-dessus), il n’est pas nécessaire d’examiner la question de la pertinence de l’expérience professionnelle de la requérante par rapport aux exigences du poste à pourvoir, pour conclure que la défenderesse a pu refuser de faire droit aux prétentions de Mme Righini sur la base du second critère.

115   La seconde branche du deuxième moyen n’est donc pas fondée.

116   En conséquence, le deuxième moyen, dans son ensemble, doit être rejeté.

4.     Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement

 Arguments des parties

117   La requérante fait valoir que la Commission aurait accordé dans le passé des classements au grade supérieur de la carrière A 6/A 7 à des fonctionnaires ayant un profil manifestement moins exceptionnel que le sien. Elle fait état d’un fonctionnaire qui a été recruté comme spécialiste au même titre qu’elle et qui aurait été classé au grade A 6 avec seulement neuf ans d’expérience.

118   Elle demande que la défenderesse soit invitée « à communiquer le profil de tous les fonctionnaires, lauréats d’un concours A 7/A 6, qui ont obtenu un classement au grade supérieur de la carrière ».

119   La requérante fait valoir qu’il ressort aussi d’un tableau de simulation de carrière que, pour les années 1989 à 2000, 5,88 années seulement sont nécessaires, en moyenne, à un fonctionnaire de grade A 8, sans expérience, pour atteindre le grade A 6.

120   Elle en déduit l’existence d’une discrimination, qui se répercutera tout au long de sa carrière. La défenderesse aurait dû, à tout le moins, indiquer clairement dans sa motivation les raisons pour lesquelles elle exigeait de la requérante une expérience largement supérieure pour atteindre le même grade.

121   La défenderesse conteste ces arguments et soutient que le moyen n’est pas fondé.

 Appréciation du Tribunal

122   Le Tribunal a déjà souligné (voir point 50 ci-dessus) que l’appréciation des qualifications d’un fonctionnaire ne peut être effectuée de manière abstraite. Or, la nature casuelle de cette évaluation s’oppose à ce que le requérant puisse utilement invoquer une violation du principe d’égalité de traitement (arrêt Chawdhry/Commission, point 40 supra, point 102), lorsque, pour apprécier ce moyen, le Tribunal devrait entrer dans une évaluation détaillée des qualifications de chaque candidat comparable. En effet, le Tribunal serait ainsi amené à se substituer à la Commission en méconnaissant le large pouvoir d’appréciation dont celle-ci dispose. Or, en présence d’un tel pouvoir d’appréciation, le Tribunal ne peut contrôler que l’existence éventuelle d’une erreur manifeste (arrêt Brendel/Commission, point 51 supra, point 129). En l’espèce, une telle erreur n’a pas été démontrée.

123   Par ailleurs, la circonstance qu’un tableau de simulation des carrières révèle que 5,88 ans seulement sont nécessaires, en moyenne, pour qu’un agent sans expérience passe du grade A 8 au grade A 6 n’établit pas pour autant l’existence d’une rupture de l’égalité de traitement.

124   En effet, tout d’abord, la durée de l’expérience n’est pas le seul critère à prendre en considération. Il convient également de tenir compte du profil académique et de la qualité de l’expérience professionnelle de l’intéressé. Ensuite, les années en question ne sont qu’une moyenne. Enfin, la Commission a affirmé dans ses écrits de procédure et à l’audience, sans être contredite sur ce point, que les lauréats du concours COM/A/6/01, option « Relations extérieures », réussi par la requérante, qui ont été classés au grade supérieur, avaient une expérience professionnelle plus importante que la sienne.

125   La défenderesse ne conteste cependant pas que les recrutements par concours pour le recrutement direct au grade A 6 supposent que les candidats puissent se prévaloir d’une expérience professionnelle de huit ans, alors que la requérante pouvait faire état d’une expérience de huit ans et demi. Toutefois, ces candidats doivent réussir ledit concours avant de pouvoir espérer être classés au grade en question. Or, la requérante n’a pas réussi un tel concours, mais un concours pour le recrutement aux grades A 8/A 6.

126   Partant, le troisième moyen n’est pas fondé.

5.     Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime et du devoir de sollicitude

127   Le quatrième moyen peut être divisé en deux branches.

 Sur la première branche, tirée de la violation du principe de protection de la confiance légitime

 Arguments des parties

128   La requérante prétend qu’elle était en droit de s’attendre à ce que la Commission la classe au grade A 6 au vu des éléments qu’elle avait produits. Elle soutient qu’elle avait reçu des assurances précises, inconditionnelles et concordantes en ce sens. Elle se réfère à cet égard aux notes du directeur général du service juridique et de son assistant des 2 juin 1999, 20 mars 2002, 24 juillet 2002 et 8 août 2002. Les termes élogieux de ces notes n’auraient laissé aucun doute sur son caractère exceptionnel.

129   La défenderesse conteste ces arguments.

 Appréciation du Tribunal

130   Le droit de réclamer la protection de la confiance légitime suppose la réunion de trois conditions. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’administration communautaire. Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables (arrêts Forvass/Commission, point 40 supra, point 70, et Wasmeier/Commission, point 73 supra, point 106).

131   Or, les éléments que la requérante a fournis à l’appui de sa prétention à être classée au grade A 6 ne pouvaient faire naître en elle une confiance légitime. Cette confiance ne saurait en effet résulter de la conviction personnelle de la requérante en sa propre qualité exceptionnelle. Par ailleurs, la décision de classement fondée sur l’article 31, paragraphe 2, du statut relève exclusivement d’un pouvoir d’appréciation de l’AHCC ou de l’AIPN. Par conséquent, les notes et les courriers du service juridique ne pouvaient préjuger de ce que ces autorités appliqueraient éventuellement cette disposition à la requérante (arrêt Forvass/Commission, point 40 supra, point 74).

132   Partant, la première branche de ce moyen n’est pas fondée.

 Sur la seconde branche, tirée du devoir de sollicitude

 Arguments des parties

133   La requérante fait valoir que la Commission a méconnu son devoir de sollicitude, en vertu duquel l’autorité doit prendre en considération non seulement l’intérêt du service, mais aussi celui du fonctionnaire concerné et envisager l’application de dispositions en faveur de celui-ci.

134   Elle soutient que la Commission a pris la décision de ne pas la classer au grade supérieur de la carrière sans avoir procédé à une appréciation des critères permettant l’application de l’article 31, paragraphe 2, du statut. Or, la requérante aurait démontré qu’elle disposait des qualifications exceptionnelles requises et qu’il existait des besoins spécifiques du service juridique en ce sens.

135   En ce qui concerne ce dernier point, la requérante prétend que la Commission, qui refuse injustement son classement au grade supérieur en dépit du point de vue du directeur général du service juridique, agit contre l’intérêt même du service. La requérante ajoute que ce refus crée pour elle un « milieu de travail insupportable » qui pourrait la conduire « à ne pas offrir au service toute sa collaboration ».

136   La requérante fait par ailleurs observer qu’elle n’a été classée au grade contesté que plusieurs mois après sa nomination en tant que fonctionnaire stagiaire.

137   La défenderesse réfute ces arguments et soutient que le moyen n’est pas fondé.

 Appréciation du Tribunal

138   Le devoir de sollicitude de l’administration à l’égard de ses agents reflète l’équilibre des droits et des obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public. Ce devoir implique notamment que, lorsqu’elle statue sur la situation d’un fonctionnaire ou d’un agent, l’autorité prenne en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi de l’intérêt du fonctionnaire concerné. La jurisprudence est également fixée en ce sens que la protection des droits et des intérêts des fonctionnaires doit toujours trouver sa limite dans le respect des normes en vigueur (arrêts Forvass/Commission, point 40 supra, points 53 et 54 ; Chawdhry/Commission, point 40 supra, point 107, et Brendel/Commission, point 51 supra, point 133).

139   En l’espèce, il ressort de l’examen de la première branche du deuxième moyen que la Commission a apprécié la demande de classement de la requérante au grade supérieur et qu’elle a procédé à un examen concret de sa réclamation. Il ressort aussi de l’examen de la deuxième branche de ce moyen que l’AIPN et l’AHCC n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant qu’elle ne disposait pas de qualifications exceptionnelles et qu’il n’existait pas, au moment de son recrutement comme agent temporaire ou fonctionnaire, des besoins spécifiques du service justifiant, au vu du marché du travail, l’application de l’article 31, paragraphe 2, du statut.

140   Par ailleurs, il a été montré, au point 98 ci-dessus, que l’AIPN ou l’AHCC ne sauraient être liées par les appréciations de services particuliers, lorsqu’ils adoptent des décisions en la matière.

141   En outre, l’affirmation de la requérante selon laquelle elle se trouverait désormais dans un contexte professionnel insupportable ne saurait conduire par elle-même à admettre une violation du devoir de sollicitude. Celui-ci n’emporte en effet pas l’obligation, pour la défenderesse, de donner en tout état de cause satisfaction à un fonctionnaire, mais suppose la recherche d’un équilibre qui tienne compte de l’intérêt du service, comme cela a été rappelé ci-dessus. Par ailleurs, pour pouvoir être prises en compte, les affirmations des fonctionnaires doivent être étayées et pouvoir être considérées comme justifiées de manière objective. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

142   La Commission n’a pas non plus méconnu le devoir de sollicitude par le seul délai, raisonnable, qu’elle a mis à répondre à la demande et à la réclamation de Mme Righini.

143   Par conséquent, le quatrième moyen n’est pas fondé.

144   Le recours n’est par conséquent pas fondé.

 Sur les dépens

145   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. La requérante ayant succombé, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Chaque partie supportera ses propres dépens.



Vilaras

Dehousse

Šváby

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 novembre 2005.



Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Vilaras


* Langue de procédure : le français.