Language of document : ECLI:EU:T:2005:370

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

25 octobre 2005 (*)

« Fonctionnaires – Rémunération – Indemnité de dépaysement – Article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut – Services effectués pour un autre État – Notion de résidence habituelle »

Dans l’affaire T-299/02,

Carles Dedeu i Fontcuberta, agent temporaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes J. García-Gallardo Gil-Fournier, J. Guillem Carrau, D. Domínguez Pérez et A. Sayagués Torres, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall, en qualité d’agent, assisté de Mes J. Rivas Andrés et J. Gutiérrez Gisbert, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation des décisions de la Commission de rejet implicite de la réclamation de la requérante du 23 septembre 2002 et de rejet explicite du 14 novembre 2002, qui lui refusent le bénéfice de l’indemnité de dépaysement prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, ainsi que des indemnités qui y sont associées,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme V. Trstenjak, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 16 et 17 février 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       En vertu de l’article 20, deuxième alinéa, du régime applicable aux autres agents des Communautés (ci-après le « RAA »), dans sa rédaction applicable à la présente espèce, les dispositions de l’article 69 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut ») concernant l’indemnité de dépaysement sont applicables par analogie aux agents temporaires. En outre, l’article 21 du RAA prévoit que les dispositions de l’article 4 de l’annexe VII du statut concernant les modalités d’attribution de l’indemnité de dépaysement sont également applicables par analogie.

2       L’article 69 du statut dispose que l’indemnité de dépaysement est égale à 16 % du total du traitement de base et de l’allocation de foyer ainsi que de l’allocation pour enfant à charge auxquelles le fonctionnaire a droit.

3       En outre, l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut prévoit que l’indemnité de dépaysement égale à 16 % du montant total du traitement de base ainsi que de l’allocation de foyer et de l’allocation pour enfant à charge versées au fonctionnaire est accordée :

« a)       au fonctionnaire :

–       qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation

et

–       qui n’a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État. Pour l’application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération ;

[…]».

 Faits à l’origine du recours

4       Le requérant, de nationalité espagnole, a effectué un stage à Bruxelles au sein du cabinet d’avocats espagnol Pedro Brosa et associés, entre le mois de novembre 1993 et de mai 1994.

5       Par la suite, entre le 18 mai 1994 et le 31 août 2001, le requérant a exercé son activité professionnelle au sein de la délégation, à Bruxelles, du Patronat Català Pro Europa (ci-après le « Patronat »), entité chargée de la gestion des intérêts du gouvernement de la communauté autonome de Catalogne (Comunidad Autónoma de Catalunya) auprès des institutions communautaires à Bruxelles. Dans un premier temps, il a travaillé pour le Patronat sous contrat temporaire de formation de six mois (du 18 mai 1994 au 17 novembre 1994), prorogé une première fois pour six mois (du 18 novembre 1994 au 17 mai 1995) et, une seconde fois, pour six mois de plus (du 18 mai 1995 au 17 novembre 1995). Le 18 mai 1996, il a signé un contrat à durée indéterminée avec le Patronat, qui a pris fin le 31 août 2001.

6       Le 1er septembre 2001, le requérant est entré en fonctions à la Commission en tant qu’agent temporaire. La période de cinq années mentionnée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), second tiret, de l’annexe VII du statut aux fins du bénéfice de l’indemnité de dépaysement, appelée la « période de référence », était, en l’espèce, comprise entre le 1er mars 1996 et le 28 février 2001.

7       Le 5 septembre 2001, le requérant a eu un entretien avec les services de la direction générale (DG) « Personnel et administration » en vue de déterminer ses droits et de compléter sa fiche personnelle d’entrée en service. La fiche personnelle établie à cette date indiquait que l’indemnité de dépaysement et les indemnités associés lui étaient refusées à titre provisoire.

8       Le 11 février 2002, le requérant a adressé une lettre contenant des informations complémentaires à la DG « Personnel et administration », afin que celle-ci prenne une décision définitive concernant l’octroi de l’indemnité de dépaysement.

9       Par note du 25 février 2002, le chef de l’unité « Gestion des droits individuels » de la DG « Personnel et administration » a répondu au requérant qu’il ne réunissait pas les conditions prévues par le statut pour pouvoir bénéficier de l’indemnité de dépaysement, car il résidait habituellement en Belgique depuis le mois de novembre 1993 et que son activité professionnelle au sein du Patronat ne pouvait être considérée comme des « services effectués pour un autre État » au sens de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, car, selon ses termes :

« […] s’il est vrai que les communautés [a]utonomes espagnoles disposent de compétences propres qui leur ont été conférées par la Constitution espagnole, il n’en demeure pas moins que le fait d’être titulaire de certaines compétences ne les convertit pas en États. »

10     Le 22 mai 2002, le requérant a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la note du 25 février 2002.

11     Le 23 septembre 2002, cette réclamation a fait l’objet d’un rejet implicite.

12     Le 14 novembre 2002, la Commission a adopté une décision explicite de rejet de la réclamation du requérant.

 Procédure et conclusions des parties

13     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2002, le requérant a introduit le présent recours.

14     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a invité les parties ainsi que le Royaume d’Espagne à produire certains documents et à répondre à des questions écrites. Les parties et le Royaume d’Espagne ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

15     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience des 16 et 17 février 2005.

16     Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision du 23 septembre 2002 de rejet implicite de la réclamation ainsi que la décision du 14 novembre 2002 de rejet explicite, lui refusant le bénéfice de l’indemnité de dépaysement et des indemnités qui y sont associées ;

–       condamner la Commission à l’ensemble des dépens, y compris les frais occasionnés par la phase administrative de la procédure ;

–       prescrire toute autre mesure que le Tribunal jugera appropriée pour que la Commission s’acquitte de ses obligations découlant de l’article 233 CE et, en particulier, procède à un réexamen de sa réclamation. 

17     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       déclarer irrecevable la demande du requérant tendant à ce que le Tribunal ordonne toute mesure appropriée afin que la Commission s’acquitte de ses obligations et, notamment, qu’elle procède à un réexamen de sa réclamation ; 

–       rejeter le recours comme non fondé ;

–       condamner le requérant au paiement de ses propres dépens.

 Sur la recevabilité

18     Par son troisième chef de conclusions, le requérant demande au Tribunal de prescrire toutes les mesures jugées appropriées pour que la Commission respecte ses obligations et, en particulier, procède à un nouvel examen des réclamations administratives. La Commission prétend qu’un tel chef de conclusions est irrecevable.

19     Selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas au juge communautaire, dans le cadre du contrôle de légalité, d’adresser des injonctions aux institutions communautaires ou de se substituer à ces dernières (arrêts du Tribunal du 11 juillet 1991, Von Hoessle/Cour des comptes, T‑19/90, Rec. p. II‑615, point 30, et du 11 juin 1996, Sánchez Mateo/Commission, T‑110/94, RecFP p. I‑A‑275 et II‑805, point 36).

20     Le troisième chef de conclusions doit donc être déclaré irrecevable.

 Sur le fond

 Sur l’objet du litige

21     Le Tribunal constate que le requérant a affirmé, dans sa réplique, ne pas souhaiter introduire un recours autonome contre la décision explicite de rejet du 14 novembre 2002 et a ainsi demandé l’annulation de cette décision dans le cadre du recours introduit contre la décision implicite de rejet de sa réclamation du 23 septembre 2002.

22     Or, il y a lieu de considérer que la décision du requérant de ne pas introduire un nouveau recours contre la décision du 14 novembre 2002 est conforme aux règles de procédure. En effet, il convient de relever que le rejet implicite de la réclamation a eu lieu le 23 septembre 2002 et que le présent recours a été introduit le 30 septembre 2002. Par conséquent, la décision explicite de rejet du 14 novembre 2002 ayant été prise dans le délai de recours contentieux et ayant le même objet que celle du 23 septembre 2002, le présent recours peut aussi viser, comme le prétend le requérant, cette décision du 14 novembre 2002. Il en serait autrement si cette décision explicite avait fait droit en partie à la réclamation du requérant, car l’objet du litige aurait été modifié. Il est vrai que le juge communautaire déclare, en principe, irrecevable, un recours intenté contre un acte qui est purement confirmatif d’un acte antérieur (arrêt de la Cour du 11 janvier 1996, Zunis Holding e.a./Commission, C-480/93 P, Rec. p. I-1, point 14). Cette jurisprudence est toutefois fondée sur le souci de ne pas faire renaître des délais de recours. Dans cette optique, un recours contre une décision confirmative n’est irrecevable que si la décision confirmée est devenue définitive à l’égard de l’intéressé, faute d’avoir fait l’objet d’un recours introduit dans le délai requis. Dans le cas où la décision confirmée n’est pas devenue définitive, comme c’est le cas en l’espèce, la personne intéressée est en droit d’attaquer soit la décision confirmée, soit la décision confirmative, soit l’une et l’autre de ces décisions (arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Chavane de Dalmassy e.a./Commission, T-64/92, RecFP p. I-A-227 et II-723, point 25).

23     Bien que les conclusions du requérant visent à l’annulation de la décision de la Commission du 14 novembre 2002 rejetant la réclamation introduite le 22 mai 2002, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision du 25 février 2002, le présent recours a pour effet, conformément à une jurisprudence constante, de saisir le Tribunal de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée (arrêts du Tribunal du 9 juillet 1997, Echauz Brigaldi e.a./Commission, T-156/95, RecFP p. I-A-171 et II-509, point 23, et du 15 décembre 1999, Latino/Commission, T-300/97, RecFP p. II-1263, point 30). Il en résulte que le présent recours tend également à l’annulation de la décision de la Commission du 25 février 2002 refusant au requérant le bénéfice de l’indemnité de dépaysement et des indemnités qui y sont associées. 

 Sur l’indemnité de dépaysement

24     Le requérant invoque, en substance, quatre moyens à l’appui de son recours. Par son premier moyen, il fait valoir la violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut. Le deuxième moyen est tiré de l’erreur d’appréciation des faits. Le troisième moyen est pris de la violation de l’obligation de motivation. Enfin, le quatrième moyen est fondé sur la violation du principe d’égalité de traitement.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a) de l’annexe VII du statut

–       Arguments des parties

25     Le requérant soutient qu’il a droit à l’indemnité de dépaysement et que la Commission a erronément interprété l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut. Son activité professionnelle au sein du Patronat à Bruxelles devrait être considérée comme des « services effectués pour un autre État », en l’occurrence, l’État espagnol et, partant, les périodes de travail devraient être « neutralisées » par l’exception prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut et ne pas être prises en compte pour la détermination de la période de référence.

26     En premier lieu, le requérant prétend que la jurisprudence de la Cour a établi une notion communautaire d’État qui respecte partiellement le concept d’État, tel qu’il est prévu dans l’ordre juridique interne de chaque État membre. Ainsi, la Cour aurait considéré que les autorités publiques intégrant la notion d’État seraient tant le gouvernement central que les autorités juridictionnelles et législatives, les entités décentralisées et même certains organismes considérés comme des émanations de l’État (arrêts de la Cour du 26 février 1986, Marshall, 152/84, Rec. p. 723, et du 10 mars 1987, Commission/Italie, 199/85, Rec. p. 1039). En outre, la Cour aurait précisé que l’État remplit aussi bien des fonctions traditionnelles de souveraineté ou d’autorité que des fonctions d’interventionnisme économique, qui seraient exercées tant par les autorités publiques que par des organismes de droit public ou de droit privé (arrêts de la Cour du 17 décembre 1980, Commission/Belgique, 149/79, Rec. p. 3881, et du 30 janvier 1985, Commission/France, 290/83, Rec. p. 439).

27     En deuxième lieu, le requérant formule des considérations relatives à la notion d’État dans l’ordre juridique espagnol. Ainsi, il rappelle que la Constitution espagnole a établi un ordre juridique profondément décentralisé, dénommé « État des Autonomies », qui se caractérise par une répartition des compétences entre l’administration centrale et les communautés autonomes. Au niveau des compétences en matière de droit communautaire, le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle espagnole) aurait considéré que l’Union européenne n’était pas un espace international et que les questions ayant trait à l’ordre juridique communautaire devaient être assimilées à des questions d’ordre interne. En particulier, le Tribunal Constitucional aurait affirmé dans sa décision nº 165/1994, du 26 mai 1994, que, à la différence des relations internationales dont la compétence exclusive appartiendrait au gouvernement central, « les communautés autonomes seraient] directement intéressées à l’activité des Communautés européennes ». Partant, la répartition des compétences obligerait les communautés autonomes à suivre le développement des activités législatives des institutions européennes, puisqu’elles seraient, dans plusieurs cas, les autorités chargées de transposer la législation communautaire subissant au surplus ses effets directs, ce qui justifierait la présence des bureaux de représentation des communautés autonomes auprès de l’Union européenne.

28     En outre, le requérant expose les divers instruments qui ont été créés en vue de faciliter la gestion des affaires européennes par le gouvernement central espagnol et les communautés autonomes, tels que la « Conferencia para los asuntos relativos a las Comunidades Europeas (CARCE) » (conférence pour les affaires relatives aux Communautés européennes), qui aurait été instaurée en 1992 dans le but d’accroître la coopération entre le gouvernement central et les communautés autonomes dans les matières communautaires. En vertu des accords adoptés dans ce cadre, les communautés autonomes participeraient depuis 1998 aux réunions des comités consultatifs présidés par la Commission et, en outre, le personnel des communautés autonomes et de la représentation permanente du Royaume d’Espagne procéderaient à des réunions sectorielles techniques en vue d’assurer le suivi des travaux du Conseil et des initiatives législatives communautaires. De plus, le personnel travaillant pour les délégations des communautés autonomes serait assujetti au même régime d’assurance maladie (accès à la sécurité sociale espagnole moyennant les formulaires E 111 et E 106) et au même régime fiscal (article 19 de la convention conclue en 1970 entre le Royaume d’Espagne et le Royaume de Belgique afin d’éviter la double imposition sur les revenus, ci-après la « convention relative à la double imposition ») que le personnel diplomatique de la représentation permanente du Royaume d’Espagne.

29     En troisième lieu, le requérant fait valoir que, dans le cas de la communauté autonome de Catalogne, le Patronat est l’institution de droit public créée en 1982 par le gouvernement catalan en vue de l’adhésion du Royaume d’Espagne aux Communautés européennes et qui, depuis cette date, suit et participe à l’évolution législative communautaire, en défendant les intérêts et en canalisant les inquiétudes et attentes de ladite communauté autonome. Cette institution ferait donc partie intégrante de l’administration de la communauté autonome de Catalogne et, partant, de l’État espagnol, raison pour laquelle les services que le requérant aurait fournis pour le Patronat auraient le caractère de services effectués pour l’État espagnol.

30     Le requérant ajoute que, s’il est clair que la notion d’État doit faire l’objet d’une interprétation autonome, une notion fondée sur les ordres juridiques internes des États membres ne dénaturerait pas l’exception de l’article 4 de l’annexe VII du statut, car la Commission elle-même aurait admis lors de l’entretien d’entrée en service que, dans le cas des États fédéraux, les services fournis par le personnel des délégations fédérales rentraient dans le champ d’application de l’exception. Par ailleurs, une telle notion autonome ne conduirait pas à affirmer que toute entité municipale fournirait des services pour l’État, car, à la différence de ces entités, les compétences des communautés autonomes n’auraient pas été confiées par l’État, mais seraient des compétences propres, prévues dans la Constitution espagnole. Enfin, le requérant précise qu’il ne prétend pas assimiler son statut à celui du corps diplomatique, mais à celui du personnel d’une représentation permanente qui ne fait pas partie du corps diplomatique. Or, si l’immunité diplomatique était un élément déterminant, il n’y aurait aucune raison d’appliquer l’exception susvisée à tout le personnel d’une telle représentation comme le ferait la Commission.

31     La Commission considère que, s’il est vrai que les communautés autonomes espagnoles sont titulaires d’une série de compétences propres qui leur ont été transférées directement par l’administration générale de l’État en application de la Constitution espagnole, cela ne signifie pas que les communautés autonomes soient des États ni que le travail accompli au sein du Patronat soit considéré comme des services effectués pour un État, au sens de l’exception prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut.

–       Appréciation du Tribunal

32     Selon une jurisprudence constante, la raison d’être de l’indemnité de dépaysement est de compenser les charges et les désavantages particuliers résultant de l’exercice permanent de fonctions dans un pays avec lequel le fonctionnaire n’a pas établi de liens durables avant son entrée en fonctions (arrêts du Tribunal du 30 mars 1993, Vardakas/Commission, T‑4/92, Rec. p. II‑357, point 39 ; du 14 décembre 1995, Diamantaras/Commission, T‑72/94, RecFP p. I‑A‑285 et II‑865, point 48, et du 28 septembre 1999, J/Commission, T‑28/98, RecFP p. I‑A‑185 et II‑973, point 32). Pour que de tels liens durables puissent s’établir et ainsi faire perdre au fonctionnaire le bénéfice de l’indemnité de dépaysement, le législateur exige que le fonctionnaire ait eu sa résidence habituelle ou ait exercé son activité professionnelle principale pendant une période de cinq ans dans le pays de son lieu d’affectation (arrêt Diamantaras/Commission, précité, point 48).

33     Il y a également lieu de rappeler qu’une exception est prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), second tiret, de l’annexe VII du statut en faveur des personnes ayant effectué des services pour un autre État ou une organisation internationale pendant la période de référence de cinq années expirant six mois avant leur entrée en fonctions. Cette exception trouve sa raison d’être dans le fait que, dans de telles conditions, ces personnes ne peuvent pas être considérées comme ayant établi des liens durables avec le pays d’affectation en raison du caractère temporaire de leur détachement dans ce pays (arrêts de la Cour du 15 janvier 1981, Vutera/Commission, 1322/79, Rec. p. 127, point 8, et du 2 mai 1985, De Angelis/Commission, 246/83, Rec. p. 1253, point 13).

34     Le requérant est entré en fonctions à la Commission le 1er septembre 2001 et, par conséquent, la période de référence à prendre en considération pour l’application de l’article 4 de l’annexe VII du statut est celle comprise entre le 1er mars 1996 et le 28 février 2001. Il est constant entre les parties que, pendant cette période de référence, le requérant a exercé son activité professionnelle principale au sein de la délégation du Patronat à Bruxelles.

35     La question qui se pose dans la présente espèce est de déterminer si le travail effectué par le requérant pour la délégation du Patronat à Bruxelles doit être considéré, ainsi que le prétend le requérant, comme des services effectués pour un État, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut.

36     Il est de jurisprudence constante qu’il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit communautaire que du principe d’égalité que les termes d’une disposition de droit communautaire qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver dans toute la Communauté une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause. En l’absence d’un renvoi exprès, l’application du droit communautaire peut toutefois impliquer, le cas échéant, une référence au droit des États membres lorsque le juge communautaire ne peut déceler dans le droit communautaire ou dans les principes généraux du droit communautaire les éléments lui permettant d’en préciser le contenu et la portée par une interprétation autonome (voir arrêt de la Cour du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, Rec. p. 107, point 11 ; arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Díaz García/Parlement, T‑43/90, Rec. p. II‑2619, point 36, du 28 janvier 1999, D/Conseil, T‑264/97, RecFP p. I‑A‑1 et II‑1, points 26 et 27, confirmé par l’arrêt de la Cour du 31 mai 2001, D et Suède/Conseil, C‑122/99 P et C‑125/99 P, Rec. p. I‑4319).

37     En l’occurrence, le droit communautaire et, notamment, le statut fournissent des indications suffisantes permettant de préciser la portée de l’article 4 de l’annexe VII du statut et, partant, d’établir une interprétation autonome de la notion d’État par rapport aux différents droits nationaux, comme les parties elles-mêmes l’ont admis dans leurs mémoires.

38     En premier lieu, la Cour a jugé qu’il ressort clairement de l’économie générale du traité que la notion d’État membre, au sens des dispositions institutionnelles, ne vise que les seules autorités gouvernementales des États membres et ne saurait être étendue aux gouvernements des régions ou des communautés autonomes, quelle que soit l’étendue des compétences qui leur sont reconnues. Admettre le contraire conduirait à porter atteinte à l’équilibre institutionnel prévu par les traités, qui déterminent notamment les conditions dans lesquelles les États membres, c’est-à-dire les États parties aux traités institutifs et aux traités d’adhésion, participent au fonctionnement des institutions communautaires (ordonnances de la Cour du 21 mars 1997, Région wallonne/Commission, C‑95/97, Rec. p. I‑1787, point 6, et du 1er octobre 1997, Regione Toscana/Commission, C‑180/97, Rec. p. I‑5245, point 6).

39     En deuxième lieu, selon une jurisprudence constante, les dispositions du statut, qui ont pour seule finalité de réglementer les relations juridiques entre les institutions et les fonctionnaires en établissant des droits et des obligations réciproques, comportent une terminologie précise dont l’extension par analogie à des cas non visés de façon explicite est exclue (arrêts de la Cour du 16 mars 1971, Bernardi/Parlement, 48/70, Rec. p. 175, points 11 et 12, et du 20 juin 1985, Klein/Commission, 123/84, Rec. p. 1907, point 23 ; arrêt du Tribunal du 19 juillet 1999, Mammarella/Commission, T‑74/98, RecFP p. I‑A‑151 et II‑797, point 38).

40     Dans l’article 4 de l’annexe VII du statut, le législateur a choisi le terme « État » alors qu’il existait déjà, à l’époque où le statut a été adopté, des États membres à structure fédérale ou régionale, tels que la République fédérale d’Allemagne, et non uniquement des États dotés d’une structure interne de nature centralisée. Dès lors, si le législateur communautaire avait voulu introduire les subdivisions politiques ou les collectivités locales dans ledit article, il l’aurait fait expressément. Il pourrait être considéré que les auteurs du statut n’ont pas eu l’intention d’inclure les subdivisions politiques d’un État, telles que les gouvernements des régions, des communautés autonomes ou d’autres entités locales dans l’expression « services effectués pour un autre État » figurant dans le même article.

41     Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la notion d’« État » prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut ne vise que l’État, en tant que personne juridique et sujet unitaire du droit international et ses organes de gouvernement. Une interprétation telle que celle proposée par le requérant pourrait conduire, ainsi que le soutient la Commission, à considérer comme des États toutes les entités publiques dotées d’une personnalité juridique propre auxquelles le gouvernement central aurait transféré des compétences internes, y inclus les municipalités ou toute entité à laquelle une administration aurait délégué des fonctions.

42     Dès lors, il y a lieu d’interpréter l’expression « services effectués pour un autre État », visée à l’article 4 de l’annexe VII du statut, comme ne se référant pas aux services fournis pour les gouvernements des subdivisions politiques des États.

43     Il découle de ce qui précède que les services que le requérant a fournis pour la délégation du Patronat à Bruxelles ne sauraient être considérés comme des services effectués pour un État au sens de l’article 4 de l’annexe VII du statut.

44     Cette appréciation ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant tiré de l’existence d’une notion autonome d’État en droit communautaire qui engloberait les entités décentralisées. S’il est clair que, conformément à la jurisprudence évoquée par le requérant en matière de constatation de manquement d’État, il y a lieu de considérer que les autorités d’un État auxquelles il incombe d’assurer le respect des règles du droit communautaire sont tant les autorités du pouvoir central, les autorités d’un État fédéré que les autorités territoriales ou décentralisées dudit État dans le cadre de leurs compétences respectives, il convient également de rappeler que le recours par lequel la Cour peut constater qu’un État membre a manqué à l’une des obligations lui incombant ne vise que le gouvernement de ce dernier, quand bien même le manquement résulterait de l’action ou de l’inaction des autorités d’un État fédéré, d’une région ou d’une communauté autonome (ordonnances Région wallonne/Commission, précitée, point 7, et Regione Toscana/Commission, précitée, point 7). Cette jurisprudence ne saurait donc être valablement invoquée au soutien de la thèse de l’interprétation large de la notion d’« État » prônée par le requérant.

45     De même, les arguments avancés par le requérant tirés des compétences propres des communautés autonomes dans l’ordre juridique espagnol ainsi que des termes de la décision du Tribunal Constitucional espagnol doivent être rejetés. Il est vrai que les communautés autonomes ont des compétences propres qui leur ont été attribuées conformément à la Constitution espagnole et que la décision du Tribunal Constitucional du 26 mai 1994, précitée, expose que, en vertu de ces compétences, elles ont un intérêt à suivre et à s’informer de l’activité des institutions communautaires et peuvent avoir des bureaux à Bruxelles pour ce faire. Néanmoins, il faut relever que la décision du Tribunal Constitucional règle un problème de droit interne espagnol sur la base de la Constitution espagnole et que, dans cette perspective, elle rappelle clairement que les traités constitutifs prévoient la participation des seuls États membres à l’activité communautaire et que cela exclut l’existence de relations entre des entités infraétatiques, telles que les communautés autonomes, et les institutions communautaires, susceptibles d’engager d’une façon quelconque la responsabilité de l’État espagnol. D’ailleurs, selon le Tribunal Constitucional, de telles relations ne sont pas possibles compte tenu de la structure même de l’Union européenne. En tout état de cause, l’interprétation du droit communautaire revient, en dernier lieu, aux juridictions communautaires, en vertu de l’article 220 CE.

46     De surcroît, il convient de remarquer que les délégations des communautés autonomes espagnoles à Bruxelles ont pour mission la gestion des intérêts des administrations qu’elles représentent, intérêts qui ne coïncident pas nécessairement avec les intérêts des autres communautés autonomes et avec ceux du Royaume d’Espagne, en tant qu’État.

47     Le requérant ne saurait se prévaloir, non plus, du fait qu’il était assujetti au même régime d’assurance maladie et au même régime fiscal que le personnel travaillant à la représentation permanente du Royaume d’Espagne à Bruxelles.

48     Il y a lieu de rappeler, d’une part, que la convention relative à la double imposition, adoptée quelques années après le statut, prévoit dans son article 19, paragraphe 1, que « les rémunérations, y compris les pensions, versées par un État contractant ou par l’une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales […] à une personne physique au titre de services rendus à cet État ou à l’une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales, ne sont imposables que dans ledit État ». Cette convention distingue donc entre les services rendus à un État et les services rendus à une subdivision politique d’un État, distinction que ne fait pas l’article 4 de l’annexe VII du statut.

49     D’autre part, s’agissant du régime d’assurance maladie, les formulaires E 106 et E 111 ne font qu’attester le droit d’une personne à bénéficier de soins de santé dans un pays autre que celui où elle est normalement assurée ou a été assurée auparavant. Concernant le formulaire E 106, il y a lieu de noter, de plus, qu’il est délivré non seulement aux diplomates et aux autres membres de la représentation permanente du Royaume d’Espagne auprès de l’Union européenne, mais aussi à de nombreuses autres catégories de personnes travaillant en dehors du territoire espagnol.

50     Enfin, concernant l’argument du requérant tiré de la participation des représentants des communautés autonomes aux comités consultatifs de la Commission, il y a lieu d’observer que l’exception figurant à l’article 4, paragraphe 1, sous a), second tiret, de l’annexe VII du statut ne peut être limitée aux seules personnes ayant fait partie du personnel d’un autre État ou d’une organisation internationale, puisqu’elle vise toutes « les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale » (arrêts du Tribunal Diamantaras/Commission, précité, point 52, et du 3 mai 2001, Liaskou/Conseil, T‑60/00, RecFP p. I‑A‑107 et II‑489, point 49). Le bénéfice de l’exception prévue audit article 4 exige, néanmoins, que l’intéressé ait eu des liens juridiques directs avec l’État ou l’organisation internationale en cause, ce qui est conforme à l’autonomie dont jouissent les États et les institutions dans l’organisation interne de leurs services, qui les habilite à inviter des personnes tierces n’appartenant pas à leur structure hiérarchique à proposer leurs services afin d’assurer l’exécution de travaux bien précis (arrêts du Tribunal du 22 mars 1995, Lo Giudice/Parlement, T‑43/93, RecFP p. I‑A‑57 et II‑189, point 36, et du 11 septembre 2002, Nevin/Commission, T‑127/00, RecFP p. I‑A‑149 et II‑781, point 51).

51     À cet égard, il suffit de constater que le requérant a explicitement reconnu lors de l’audience qu’il n’a jamais intégré ni fait partie de la délégation espagnole participant aux réunions des organes du Conseil et de la Commission qui ont eu lieu au cours de la période de référence qui lui était applicable. Le requérant n’a pas invoqué, non plus, qu’il aurait éventuellement maintenu un quelconque lien juridique direct avec le gouvernement central de l’État espagnol permettant de considérer qu’il a effectué des services pour l’État espagnol pendant ladite période.

52     Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que le requérant a fourni des services pour un État au sens de l’article 4 de l’annexe VII du statut.

53     Au vu de ce qui précède, le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’erreur d’appréciation des faits

–       Arguments des parties

54     Le requérant fait valoir que la Commission a commis une erreur d’appréciation des faits, car sa résidence habituelle et son centre d’intérêts, pendant une partie de la période de référence prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut, se trouvaient en Espagne et non en Belgique. Dès lors, il remplirait les critères établis par cette disposition pour bénéficier de l’indemnité de dépaysement.

55     À cet égard, le requérant indique qu’il n’a pas résidé de manière habituelle à Bruxelles pendant toute la durée de la période de référence. Il aurait transféré officiellement sa résidence en Belgique le 23 septembre 1997 et, partant, pendant la première partie de la période de référence (entre le 1er mars 1996 et le 23 septembre 1997), son centre d’intérêts et sa résidence habituelle se seraient situés à Barcelone (Espagne). À l’appui de cette prétention, le requérant invoque les éléments suivants:

–       renouvellement de sa carte d’identité, de son passeport et de son permis de conduire en Espagne ;

–       contrats de travail de droit espagnol, signés à Barcelone, enregistré auprès de l’Institut national de l’emploi espagnol et régis par la législation espagnole en matière de droit fiscal et social ;

–       versement de rémunérations en Espagne, en vertu des contrats de travail signés avec le Patronat en tant que salarié espagnol détaché à Bruxelles, tel que cela ressortirait des bulletins de salaire et de l’attestation patronale présentée par le Patronat à l’Office des étrangers du ministère de la Justice belge ;

–       paiement d’impôts en Espagne, où le requérant présenterait sa déclaration annuelle en tant que travailleur salarié espagnol assujetti à l’article 19 de la convention relative à la double imposition, tel que le prouveraient les attestations du Patronat au bureau central de taxation de Bruxelles et au ministère de l’Intérieur et de la Fonction publique belge ; 

–       assurance maladie régie par le droit espagnol sur la base du formulaire E 111 puis du formulaire E 106, en tant que personnel détaché à Bruxelles ;

–       compte bancaire ouvert et contrat d’assurance vie souscrit à Barcelone.

56     En outre, le requérant fait valoir que la période de stage effectuée entre les mois de novembre 1993 et de mai 1994 dans le cabinet Pedro Brosa et associés à Bruxelles devrait être considérée comme une période d’études et que la résidence à Bruxelles en raison de son travail au service du Patronat entre les mois de mai 1994 et de septembre 1997, n’aurait été que provisoire et secondaire. Ainsi, il n’aurait conclu aucun contrat de bail pour un logement à Bruxelles, n’aurait eu aucune voiture, n’aurait souscrit aucun type d’assurance, n’apparaîtrait pas dans l’annuaire téléphonique belge et n’aurait procédé à aucun déménagement de ses biens vers la Belgique pendant cette période. En revanche, en septembre 1997, il aurait effectivement transféré sa résidence principale à Bruxelles, tel que cela ressortirait des documents produits en annexe et du fait que ce n’est qu’après cette date qu’il aurait signé ses premiers contrats de bail et d’assurance habitation, qu’il se serait abonné aux services du gaz et de l’électricité et qu’il aurait commencé à payer périodiquement les taxes communales à la ville de Bruxelles. 

57     Le requérant ajoute que, contrairement à ce que soutiendrait la Commission, le transfert de sa résidence à Bruxelles en septembre 1997 ne serait pas dû au fait que Mme G. lui avait laissé son appartement, mais au fait qu’il devait s’inscrire sur le registre municipal afin de bénéficier des droits d’accès à la sécurité sociale espagnole. En outre, la Commission procéderait à une lecture erronée de la lettre envoyée à l’échevin des propriétés communales de la ville de Bruxelles, celle-ci exposant qu’avant le mois de septembre 1997, il partageait son temps entre l’Espagne et la Belgique. Par ailleurs, le fait qu’il recevait une somme complémentaire pour expatriation, conformément aux contrats établis avec le Patronat, ne signifierait nullement qu’il résidait à Bruxelles avant le mois de septembre 1997, car cette indemnité avait précisément pour but de dédommager le requérant pour un séjour temporaire et non définitif à Bruxelles.

58     La Commission considère que le grief doit être rejeté comme non fondé, car le requérant a, de manière habituelle, résidé et exercé son activité professionnelle principale à Bruxelles, depuis 1993 et pendant toute la période de référence prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut, sans que les éléments invoqués par celui-ci soient de nature à démontrer le contraire.

59     Selon la Commission, les éléments évoqués par le requérant seraient révélateurs des liens habituels que toute personne maintient avec son pays d’origine, ne permettant pas d’établir que le centre de ses intérêts se soit situé en Espagne jusqu’en septembre 1997. En outre, le paiement d’impôts sur les revenus en Espagne découlerait simplement de l’application de l’article 19 de la convention relative à la double imposition, et l’accès aux soins de santé en Belgique sur la base des formulaires E 111 et E 106 prouverait précisément que le requérant résidait en Belgique. De surcroît, le requérant aurait affirmé dans sa requête que ses contrats de travail prévoyaient l’octroi d’une prime de dépaysement. S’il s’agissait simplement de séjours provisoires et non d’une résidence effective, une telle compensation aurait été dépourvue de sens. Par ailleurs, le fait que le requérant n’avait pas de contrat de bail et que son nom ne figurait pas dans l’annuaire téléphonique belge avant le mois de septembre 1997 ne serait pas probant, car cela serait simplement dû au fait qu’il résidait dans l’appartement de Mme G. Dans la lettre qu’il avait adressée en 1999 à l’échevin des propriétés communales de la ville de Bruxelles, il aurait affirmé qu’il travaillait depuis cinq ans au service du Patronat à Bruxelles et qu’il résidait, pendant ces années, dans l’appartement loué par Mme G. dont il voulait reprendre le contrat de bail. Il ressortirait du dossier que l’officialisation de sa situation en Belgique en septembre 1997 répondrait à des motifs autres que le transfert effectif de sa résidence à Bruxelles, tels que l’intention de reprendre le bail d’une autre personne.

–       Appréciation du Tribunal

60     L’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut dispose que l’indemnité de dépaysement est accordée au fonctionnaire qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation et qui n’a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire dudit État.

61     En vue de déterminer de telles situations, la jurisprudence a affirmé que l’article 4 de l’annexe VII du statut doit être interprété comme retenant pour critère primordial, quant à l’octroi de l’indemnité de dépaysement, la résidence habituelle du fonctionnaire, antérieurement à son entrée en fonctions. En outre, la notion de dépaysement dépend également de la situation subjective du fonctionnaire, à savoir son degré d’intégration dans son nouveau milieu, lequel peut être établi, par exemple, par sa résidence habituelle ou par l’exercice antérieur d’une activité professionnelle principale (arrêt De Angelis/Commission, précité, point 13 ; arrêt du Tribunal du 8 avril 1992, Costacurta Gelabert/Commission, T‑18/91, Rec. p. II‑1655, point 42; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 octobre 1984, Witte/Parlement, 188/83, Rec. p. 3465, point 8).

62     La résidence habituelle est le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. Aux fins de la détermination de la résidence habituelle, il importe de tenir compte de tous les éléments de fait constitutifs de celle-ci et notamment, de la résidence effective de l’intéressé (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, Magdalena Fernández/Commission, C‑452/93 P, Rec. p. I‑4295, point 22 ; arrêts du Tribunal du 10 juillet 1992, Benzler/Commission, T‑63/91, Rec. p. II‑2095, point 17, et du 28 septembre 1993, Magdalena Fernández/Commission, T‑90/92, Rec. p. II‑971, point 27).

63     Il y a lieu de rappeler que la période de référence à prendre en considération pour l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII se situe entre le 1er mars 1996 et le 28 février 2001, le requérant étant entré en fonctions six mois après cette dernière date, soit le 1er septembre 2001.

64     En l’espèce, le requérant admet qu’il a transféré officiellement sa résidence à Bruxelles le 23 septembre 1997 et que, par conséquent, son centre d’intérêts et ainsi sa résidence habituelle se situent en Belgique depuis cette date.

65     Il convient donc de déterminer quel était le lieu de résidence habituelle du requérant entre le 1er mars 1996 et le 22 septembre 1997. Etant donné que la Commission soutient que le requérant a, de manière habituelle, résidé et exercé son activité professionnelle à Bruxelles depuis 1993, il convient de procéder à la détermination du lieu de résidence habituelle du requérant à partir de cette année.

66     Pendant la période allant du mois de novembre 1993 au mois de mai 1994, le requérant a effectué un stage dans un cabinet d’avocats à Bruxelles. Il importe d’observer qu’à l’époque actuelle, où une formation universitaire comporte ou est fréquemment suivie d’une période de formation additionnelle ou de stage à l’étranger, le seul fait de résider dans un pays étranger en tant que stagiaire ne permet pas de présumer l’existence d’une volonté de déplacer le centre permanent ou habituel de ses intérêts. Partant, il ne saurait être déduit de cette situation que le requérant avait la volonté de fixer le centre permanent de ses intérêts et ainsi sa résidence habituelle à Bruxelles.

67     Il y a lieu de relever, ensuite, que lorsqu’une telle période de stage est suivie d’une période d’emploi au même endroit, la présence continue de l’intéressé à l’étranger peut créer la présomption d’une éventuelle volonté dans le chef de celui-ci de déplacer le centre permanent ou habituel de ses intérêts et ainsi sa résidence habituelle. Toutefois, cette présomption est susceptible d’être renversée lorsque d’autres éléments tirés des circonstances professionnelles ou personnelles relatives à l’intéressé montrent que celui-ci a conservé le centre permanent ou habituel de ses intérêts dans son pays d’origine.

68     En l’espèce, le requérant a travaillé au service de la délégation du Patronat à Bruxelles à partir du 18 mai 1994 jusqu’à son entrée au service de la Commission le 1er septembre 2001. Cependant, la présomption d’une volonté de déplacer le centre permanent ou habituel de ses intérêts, qui résulte de cette présence du requérant à Bruxelles, notamment entre le 18 mai 1994 et le 18 mai 1996, est renversée, à suffisance, par les éléments du dossier.

69     D’abord, le contrat de travail du 16 mai 1994 qui a régi l’activité professionnelle du requérant au service du Patronat entre les mois de mai 1994 et de mai 1996 était un contrat temporaire de formation de six mois, qui a été prorogé pour des périodes successives de six mois jusqu’au 18 mai 1996, lorsque le requérant a conclu un contrat à durée indéterminée avec le Patronat.

70     Ensuite, il n’est pas contesté qu’avant le mois de mai 1996, le requérant n’a pas loué d’appartement à Bruxelles et n’a signé aucun contrat de bail pour un logement dans cette ville.

71     De même, il ne découle pas du dossier que le requérant ait disposé des facilités habituelles de nature à mettre en évidence l’existence d’une résidence habituelle à Bruxelles. Ainsi, il est également non contesté qu’avant le mois de mai 1996, le requérant n’a pas souscrit d’assurances en Belgique, qu’il n’a pas été abonné aux services du gaz et de l’électricité belges, qu’il n’a pas eu de voiture immatriculée à Bruxelles, que son nom ne figurait pas dans l’annuaire téléphonique belge et qu’il n’a procédé à aucun déménagement de ses biens vers la Belgique.

72     Partant, s’il peut raisonnablement être admis que la résidence du requérant à Bruxelles depuis le 18 mai 1996 était habituelle, dès lors que, en acceptant le contrat susmentionné à durée indéterminée, il manifestait sa volonté de rester de manière permanente à Bruxelles, en revanche, son séjour à Bruxelles avant cette date doit être considéré comme ayant été nécessairement provisoire.

73     Les éléments avancés par la Commission, contrairement à ce qu’elle soutient, ne sont pas de nature à infirmer cette conclusion.

74     Ainsi, l’octroi de la prime supplémentaire de dépaysement, prévue dans le contrat du 16 mai 1994, ne saurait nécessairement conférer au séjour du requérant à Bruxelles avant le mois de mai 1996 un caractère permanent. Les suppléments de dépaysement sont accordés pour compenser les difficultés qu’implique nécessairement le fait de vivre et travailler dans un pays autre que le sien, ainsi que, dans certains pays, le coût plus élevé de la vie, indépendamment du fait que le séjour soit provisoire ou définitif.

75     La lettre adressée par le requérant à l’échevin des propriétés communales de la ville de Bruxelles en date du 15 mars 1999, contrairement à la position exposée par la Commission, confirme le caractère provisoire de sa situation à Bruxelles. Cette lettre indique effectivement que « [d]epuis 5 ans, [il exerçait] la fonction de conseiller juridique à la [d]élégation de Catalogne auprès de l’Union [e]uropéenne », mais en soulignant explicitement que, pendant ces années, « [ses] responsabilités [l’avaient] conduit à partager [son] temps entre l’Espagne et la Belgique » et que « [l]ors de [ses] séjours à Bruxelles » il résidait « de manière occasionnelle » dans l’appartement loué par Mme G. à Bruxelles, au bail duquel il voulait se subroger. Or, cette lettre ayant été écrite à un moment où le présent litige entre les parties n’existait pas et où le requérant ne travaillait pas au service de la Commission, la force probante des termes qui expriment la nature provisoire de cette résidence à Bruxelles ne saurait être mise en question. Partant, cette lettre ne peut pas constituer un indice concluant à l’appui de la position de la Commission.

76     Enfin, les éléments exposés ci-dessus relatifs au fait que le requérant n’avait pas de contrat de bail pour un logement à Bruxelles ou qu’il n’était pas abonné aux services du gaz, de l’électricité et du téléphone belges, loin de confirmer la position de la Commission, étayent, au contraire, le caractère provisoire et incertain de la résidence effective du requérant à Bruxelles avant le mois de mai 1996. En effet, la Commission ne peut se prévaloir, comme elle le fait systématiquement, de tels indices pour affirmer qu’ils sont de nature à corroborer la résidence habituelle d’un intéressé lorsqu’ils sont présents et n’en tirer aucune conséquence lorsque, comme en l’espèce, ces indices ne le sont pas.

77     Il découle de ce qui précède que le requérant n’a pas résidé ni exercé son activité professionnelle de manière habituelle à Bruxelles du 1er mars au 18 mai 1996 et que, par conséquent, il n’a pas résidé de manière habituelle à Bruxelles pendant la totalité de la période de référence prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut. Il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir où étaient la résidence habituelle et le centre d’intérêts du requérant entre le 18 mai 1996 et le 23 septembre 1997, date à laquelle il admet avoir transféré sa résidence habituelle à Bruxelles.

78     Il s’ensuit que la Commission a commis une erreur d’appréciation des faits concernant la situation personnelle du requérant.

79     Le deuxième moyen doit donc être accueilli.

80     Dès lors, il y a lieu de déclarer fondé le présent recours et d’annuler la décision litigieuse, en tant qu’elle refuse au requérant le bénéfice de l’indemnité de dépaysement, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens avancés par le requérant.

 Sur les indemnités associées à l’indemnité de dépaysement

81     Le requérant demande l’application de la jurisprudence, en vertu de laquelle l’indemnité journalière et l’indemnité d’installation lui sont automatiquement dues en cas de reconnaissance de son droit à l’indemnité de dépaysement (arrêt de la Cour du 28 mai 1998, Commission/Lozano Palacios, C‑62/97 P, Rec. p. I‑3273).

82     La Commission considère que cette jurisprudence n’est pas applicable en l’espèce, puisque le requérant n’a pas le droit de percevoir l’indemnité de dépaysement.

83     Le Tribunal relève que l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de l’annexe VII, applicable aux agents temporaires par analogie en vertu de l’article 22 du RAA, prévoit qu’une indemnité d’installation égale à deux mois de traitement de base, s’il s’agit d’un fonctionnaire qui a droit à l’allocation de foyer, ou égale à un mois de traitement de base, s’il s’agit d’un fonctionnaire n’ayant pas droit à cette allocation, est due au fonctionnaire qui remplit les conditions pour bénéficier de l’indemnité de dépaysement ou qui justifie avoir été tenu de changer de résidence pour satisfaire aux obligations de l’article 20 du statut. Cette disposition prévoit donc que, pour avoir droit à l’indemnité d’installation, le fonctionnaire doit remplir l’une des deux conditions alternatives suivantes, à savoir soit remplir les conditions pour bénéficier de l’indemnité de dépaysement, soit justifier avoir été tenu de changer de résidence pour satisfaire aux obligations de l’article 20 du statut (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Lozano Palacios/Commission, T‑33/95, RecFP p. I‑A‑575 et II‑1535, point 59, confirmé par la Cour, sur pourvoi, par l’arrêt Commission/Lozano Palacios, précité, points 20 à 22).

84     Dès lors, l’indemnité d’installation prévue audit article 5, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut étant due au fonctionnaire qui remplit les conditions pour bénéficier de l’indemnité de dépaysement, force est de constater que le requérant a droit à l’indemnité d’installation.

85     S’agissant de l’indemnité journalière, il importe d’observer que cette indemnité n’est pas liée à l’indemnité de dépaysement et qu’elle est uniquement octroyée, conformément à l’article 10, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, applicable par analogie aux agents temporaires en vertu de l’article 22 du RAA, au fonctionnaire qui justifie être tenu de changer de résidence pour satisfaire aux obligations de l’article 20 du statut. Le requérant n’ayant pas établi avoir été tenu de changer de résidence pour satisfaire auxdites obligations, il n’y a pas lieu de faire droit à sa demande d’annulation en ce qui concerne l’indemnité journalière.

86     Il résulte de ce qui précède qu’il y a également lieu d’annuler la décision litigieuse, en tant qu’elle refuse au requérant le bénéfice de l’indemnité d’installation.

 Sur les dépens

87     Le requérant demande au Tribunal de condamner la Commission à l’ensemble des dépens, y compris les frais occasionnés par la phase administrative de la procédure.

88     Aux termes de l’article 91, sous b), du règlement de procédure du Tribunal, sont considérés comme dépens récupérables « les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, conseil ou avocat ». Il découle de cette disposition que les dépens récupérables sont limités, d’une part, à ceux exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et, d’autre part, à ceux qui ont été indispensables à ces fins (ordonnances du Tribunal du 24 janvier 2002, Groupe Origny/Commission, T‑38/95 DEP, Rec. p. II‑217, point 28, et du 20 novembre 2002, Spruyt/Commission, T‑171/00 DEP, RecFP p. I‑A‑225 et II‑1127, point 22). Il y a donc lieu de rejeter la demande du requérant tendant à ce que la Commission soit condamnée aux frais exposés lors de la phase administrative de la procédure devant la Commission. 

89     En outre, aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter l’ensemble des dépens, conformément aux conclusions en ce sens du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La note de la Commission du 25 février 2002 et la décision de la Commission du 14 novembre 2002 sont annulées dans la mesure où elles portent refus d’octroyer au requérant le bénéfice de l’indemnité de dépaysement prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le bénéfice de l’indemnité d’installation prévue à l’article 5, paragraphe 1, de cette même annexe.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission supportera l’ensemble des dépens.



Cooke

García-Valdecasas      

Trstenjak


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 octobre 2005.


Le greffier

 

       Le président


E. Coulon

 

       R. García-Valdecasas


* Langue de procédure: l’espagnol.