Language of document : ECLI:EU:T:2006:292

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

4 octobre 2006 (*)

« Enquête de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) concernant la divulgation d’informations confidentielles – Suspicions de corruption et de violation du secret professionnel – Communication à des autorités judiciaires nationales d’informations sur des faits susceptibles de poursuites pénales – Perquisition au domicile et au bureau d’un journaliste – Recours en annulation – Recevabilité – Recours en indemnité – Lien de causalité – Violation suffisamment caractérisée »

Dans l’affaire T‑193/04,

Hans-Martin Tillack, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par M. I. Forrester, QC, Mes T. Bosly, C. Arhold, N. Flandin, J. Herrlinger et J. Siaens, avocats,

partie requérante,

soutenu par

International Federation of Journalists      (IFJ), établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes A. Bartosch et T. Grupp, avocats,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. C. Docksey et C. Ladenburger, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de l’acte par lequel, le 11 février 2004, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a transmis aux autorités judiciaires allemandes et belges des informations relatives à des suspicions de violation du secret professionnel et de corruption et, d’autre part, une demande en réparation du préjudice moral subi par le requérant du fait de cette transmission d’informations et de la publication de communiqués de presse par l’OLAF,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. H. Legal, président, Mme P. Lindh et M. V. Vadapalas, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 mai 2006,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’Office européen de lutte antifraude (OLAF), institué par la décision 1999/352/CE, CECA, Euratom de la Commission, du 28 avril 1999 (JO L 136, p. 20), est chargé, notamment, d’effectuer des enquêtes administratives internes destinées à rechercher les faits graves, liés à l’exercice d’activités professionnelles, pouvant constituer un manquement aux obligations des fonctionnaires et agents des Communautés susceptible de poursuites disciplinaires et, le cas échéant, pénales.

2        Le règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF (JO L 136, p. 1), régit les contrôles, vérifications et actions entrepris par les agents de l’OLAF dans l’exercice de leurs fonctions.

3        Le considérant 13 du règlement n° 1073/1999 dispose :

« Considérant qu’il incombe aux autorités nationales compétentes ou, le cas échéant, aux institutions, organes ou organismes de décider des suites à donner aux enquêtes terminées, sur la base du rapport établi par l’[OLAF] ; qu’il convient, cependant, de prévoir l’obligation pour le directeur de l’[OLAF] de transmettre directement aux autorités judiciaires de l’État membre concerné les informations que l’[OLAF] aura recueillies lors d’enquêtes internes sur des faits susceptibles de poursuites pénales. »

4        L’article 6 du règlement n° 1073/1999, intitulé « Exécution des enquêtes », prévoit, en son paragraphe 6, que « [l]es États membres veillent à ce que leurs autorités compétentes, en conformité avec les dispositions nationales, prêtent le concours nécessaire aux agents de l’[OLAF] pour l’accomplissement de leur mission ».

5        L’article 9 du règlement n° 1073/1999, sous le titre « Rapport d’enquête et suite des enquêtes », est libellé comme suit en son paragraphe 2 :

« […] Les rapports ainsi dressés constituent, au même titre et dans les mêmes conditions que les rapports administratifs établis par les contrôleurs administratifs nationaux, des éléments de preuve admissibles dans les procédures administratives ou judiciaires de l’État membre où leur utilisation s’avère nécessaire […] »

6        L’article 10 du règlement n° 1073/1999, intitulé « Transmission d’informations par l’[OLAF] », dispose, en son paragraphe 2 :

« [… L]e directeur de l’[OLAF] transmet aux autorités judiciaires de l’État membre concerné les informations obtenues par l’[OLAF] lors d’enquêtes internes sur des faits susceptibles de poursuites pénales […] »

 Faits à l’origine du litige

7        Le requérant est journaliste, employé par le magazine allemand Stern.

8        Par un mémorandum en date du 31 août 2001, M. Van Buitenen, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, a fait état de possibles irrégularités commises dans plusieurs services de la Commission (ci-après le « mémorandum Van Buitenen »). Une copie de ce document a été reçue par l’OLAF le 5 septembre 2001.

9        Le 23 octobre 2001, le directeur de l’OLAF a chargé l’unité « Magistrats, conseil et suivi judiciaire » d’évaluer les allégations exposées dans le mémorandum Van Buitenen et de formuler des recommandations quant à la suite à leur donner.

10      Le 31 janvier 2002, l’unité « Magistrats, conseil et suivi judiciaire » a remis une note interne à caractère confidentiel, contenant douze propositions et recommandations, parmi lesquelles l’ouverture d’enquêtes pour certaines des allégations mentionnées dans le mémorandum. Sur la base de ce document, ladite unité a rédigé une note abrégée, datée du 14 février 2002, présentant également un caractère confidentiel.

11      Le requérant a rédigé deux articles, publiés dans Stern respectivement les 28 février et 7 mars 2002, dans lesquels il a relaté des cas d’irrégularités au sein des institutions européennes. Ces articles étaient fondés sur le mémorandum Van Buitenen et la note de l’OLAF du 31 janvier 2002.

12      Le 12 mars 2002, l’OLAF, soupçonnant que ses notes confidentielles des 31 janvier et 14 février 2002 avaient été divulguées de façon illicite, a ouvert une enquête interne en vue d’identifier les fonctionnaires ou agents des Communautés européennes à l’origine de la fuite.

13      Le 22 mars 2002, le directeur de la direction « Intelligence, stratégie opérationnelle et services de l’information » de l’OLAF a adressé une note au directeur de l’OLAF pour lui signaler que, selon une source d’information fiable, le requérant aurait remis 8 000 euros à un agent de l’OLAF afin d’obtenir plusieurs documents en lien avec l’affaire Van Buitenen. Le même jour, le porte-parole de l’OLAF a indiqué au directeur de l’OLAF qu’il avait rencontré M. G., porte-parole de la Commission pour le budget et la lutte anti-fraude, et que celui-ci lui avait déclaré avoir été informé par un journaliste de Stern que le requérant avait versé de l’argent à un membre de l’OLAF pour se procurer des documents.

14      Le 27 mars 2002, l’OLAF a publié un communiqué de presse, sous le titre « Enquête interne concernant une fuite d’informations confidentielles », libellé de la façon suivante :

« […] Suite à une apparente fuite d’informations confidentielles incluses dans un rapport préparé par l’OLAF, l’[OLAF] a décidé, en conformité avec l’article 5, paragraphe 1, du règlement […] n° 1073/1999, d’ouvrir une enquête interne. Selon les informations reçues par l’[OLAF], un journaliste a reçu plusieurs documents relatifs au dossier surnommé l’‘affaire Van Buitenen’. Il n’est pas exclu que de l’argent ait été versé à quelqu’un au sein de l’OLAF (voire d’une autre institution) pour obtenir ces documents […]

L’[OLAF] respecte toujours les normes éthiques les plus élevées. Il mène ses enquêtes de manière totalement indépendante. Toutefois, il est nécessaire de souligner que la corruption active ou le paiement d’un agent contre fourniture d’informations confidentielles est illégal en Belgique. De plus, les informations obtenues par l’OLAF dans le déroulement de ses enquêtes sont protégées par les dispositions du droit belge en la matière. Si, à la suite de l’enquête interne, une activité de nature illégale est avérée, l’[OLAF] a l’intention d’en poursuivre les auteurs, conformément aux dispositions disciplinaires et criminelles applicables […] »

15      En réponse, Stern a publié un communiqué de presse, le 28 mars 2002, par lequel il a, d’une part, confirmé détenir le mémorandum Van Buitenen et, d’autre part, souligné qu’il n’avait pas versé d’argent à un fonctionnaire des Communautés européennes pour l’obtention de documents liés à cette affaire. Ce communiqué cite le nom et les coordonnées du requérant. Stern a également écrit au président du comité de surveillance de l’OLAF, le 3 avril 2002, pour s’élever contre les allégations de l’OLAF.

16      Le 4 avril 2002, le magazine European Voice a indiqué que, selon un porte-parole de l’OLAF, celui-ci disposait « à première vue » de « preuves » indiquant qu’« un paiement pouvait avoir eu lieu » et traitait cette question sérieusement.

17      Lors d’une réunion tenue les 9 et 10 avril 2002, le comité de surveillance de l’OLAF a demandé à être informé des indices confortant les soupçons de versement d’argent dans cette affaire.

18      Le 11 avril 2002, le porte-parole de l’OLAF a envoyé un courriel à des agents de l’OLAF en indiquant ce qui suit :

« […] Les seuls faits certains sont, pour le moment, qu’un document confidentiel de l’OLAF est arrivé entre les mains de la presse (et cela n’aurait pas dû être le cas), [et] qu’il y avait des ‘rumeurs’ qui circulaient autour de l’OLAF et autour de la Commission […] selon lesquelles ces documents auraient même été ‘payés’ (avec même l’indication d’un montant…) […] Il est inadmissible que […] le risque existe que des informations confidentielles de l’OLAF soient obtenues par la presse et que ces informations soient obtenues en corrompant un fonctionnaires public [et que] des soupçons, ‘rumeurs’ ou ‘spéculations’, telles que celles qui ont entouré l’[OLAF] dans les semaines écoulées, restent sans vérification de leur bien-fondé sur un service d’enquête […] »

19      Le 22 octobre 2002, le requérant a présenté une plainte (1840/2002/GG) au Médiateur européen visant le communiqué de presse de l’OLAF du 27 mars 2002.

20      Le 9 décembre 2002, les enquêteurs de l’OLAF ont officiellement entendu M. G. Celui-ci a indiqué que, selon l’un de ses anciens collègues de Stern dont il a refusé de révéler le nom, le requérant aurait reçu 8 000 marks allemands (DEM) ou 8 000 euros pour se procurer des informations au sujet de la Commission ou éventuellement de l’OLAF.

21      Le 18 juin 2003, le Médiateur a souligné, dans son projet de recommandation relatif à la plainte du requérant, que, en alléguant l’existence d’un délit de corruption sans qu’il soit étayé par des éléments factuels à la fois suffisants et publiquement vérifiables, l’OLAF avait agi de manière disproportionnée, ce qui constituait un cas de mauvaise administration. Il recommandait que l’OLAF retire les allégations de corruption publiées, qui pouvaient être comprises comme visant le plaignant.

22      À la suite de ce projet de recommandation, l’OLAF a publié un communiqué de presse, le 30 septembre 2003, sous le titre « Clarification de l’OLAF concernant une apparente fuite d’informations », rédigé comme suit :

« Le 27 mars 2002, l’[…] OLAF a publié un communiqué de presse annonçant qu’une enquête interne avait été ouverte conformément au règlement […] n° 1073/1999 au sujet d’une apparente fuite d’informations confidentielles incluses dans un rapport élaboré au sein de l’[OLAF].

Ce communiqué indiquait que, selon des informations reçues par l’[OLAF], un journaliste s’était procuré plusieurs documents relatifs au dossier dit de l’‘affaire van Buitenen’ et qu’il n’était pas exclu que de l’argent ait été versé à quelqu’un au sein de l’OLAF (voire d’une autre institution) pour obtenir ces documents.

L’enquête de l’OLAF à ce sujet n’est pas close, mais l’[OLAF] n’a pas trouvé, jusqu’ici, de preuve qu’un tel paiement a bien eu lieu. »

23      Le 12 novembre 2003, le requérant a publié sur le site Internet de Stern un article critiquant l’action du directeur de l’OLAF.

24      Dans sa décision finale du 20 novembre 2003, relative à la plainte 1840/2002/GG, le Médiateur a réaffirmé que l’OLAF avait commis un cas de mauvaise administration et il a estimé que l’OLAF, qui avait accepté son projet de recommandation, ne l’avait pas mis en œuvre de façon satisfaisante. Dans ces circonstances, il a considéré qu’un commentaire critique de sa part pouvait constituer une réparation adéquate pour le plaignant.

25      M. G., qui avait quitté la Commission en juillet 2003, a été auditionné à nouveau par les enquêteurs de l’OLAF, le 6 janvier 2004. Il a, d’une part, confirmé les propos tenus lors de sa première audition et, d’autre part, révélé le nom de la personne qui l’avait informé.

26      Les 20 et 21 janvier 2004, lors d’une réunion du comité de surveillance de l’OLAF, le directeur a informé le comité des « développements d’une affaire en cours », en indiquant que ceux-ci impliquaient des contacts confidentiels avec des autorités judiciaires nationales. Selon le procès-verbal de la réunion, les membres du comité ont accepté, « compte tenu des particularités du cas évoqué, de recevoir une information différée […], étant précisé qu’il appartiendra[it] à l’OLAF le moment venu de fournir une information suffisante à l’institution concernée ».

27      Le 11 février 2004, l’OLAF a transmis des informations relatives à des suspicions de violation du secret professionnel et de corruption aux autorités judiciaires de Bruxelles (Belgique) et de Hambourg (Allemagne), en se référant à l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999.

28      Sur la base des informations transmises, les autorités judiciaires belges tout comme les autorités judiciaires allemandes ont ouvert une instruction pour corruption présumée et, dans le cas des autorités judiciaires belges, pour violation du secret professionnel.

29      Le 19 mars 2004, à la demande du juge d’instruction chargé de l’affaire, la police belge a opéré une perquisition au domicile et au bureau du requérant et a saisi ou mis sous scellés des documents professionnels ainsi que des effets personnels.

30      Le requérant a introduit un recours contre cette saisie devant les juridictions belges. Au terme de cette procédure, la Cour de cassation belge a rejeté son recours, sur le fond, le 1er décembre 2004.

31      Le 15 avril 2004, le requérant a écrit au directeur de l’OLAF pour se plaindre de la procédure suivie et demander l’accès au dossier d’enquête le concernant.

32      Le 7 mai 2004, une copie de la lettre envoyée aux autorités judiciaires belges le 11 février 2004, expurgée de ses éléments confidentiels, a été transmise au président du comité de surveillance de l’OLAF. À la fin du même mois, le requérant a également obtenu une copie de ladite lettre.

33      Le 12 mai 2005, le Médiateur a adressé un rapport spécial au Parlement européen concernant la plainte 2485/2004/GG, introduite par le requérant. Selon ce rapport, l’OLAF devrait reconnaître qu’il avait effectué des déclarations incorrectes et trompeuses dans les mémoires qu’il avait adressés au Médiateur dans le cadre de l’enquête portant sur la plainte 1840/2002/GG. Le Médiateur a également proposé que le Parlement adopte cette recommandation en tant que résolution.

 Procédure et conclusions des parties

34      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er juin 2004, le requérant a introduit le présent recours.

35      Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le 4 juin 2004, le requérant a introduit une demande visant, en substance, d’une part, à ce qu’il soit sursis à l’exécution de toute mesure à prendre dans le cadre de la prétendue plainte déposée par l’OLAF le 11 février 2004 auprès des autorités judiciaires belges et allemandes et, d’autre part, à ce qu’il soit ordonné à l’OLAF de s’abstenir d’obtenir, d’inspecter, d’examiner ou d’entendre le contenu de tout document et de toute information se trouvant en possession des autorités judiciaires belges à la suite de la perquisition diligentée à son domicile et à son bureau le 19 mars 2004.

36      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 17 juin 2004, l’International Federation of Journalists (IFJ) a présenté une demande d’intervention au soutien des conclusions du requérant.

37      Par ordonnance du président du Tribunal du 15 octobre 2004, Tillack/Commission (T‑193/04 R, Rec. p. II‑3575), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé et a réservé les dépens.

38      Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 décembre 2004, le requérant a formé un pourvoi contre l’ordonnance Tillack/Commission, précitée.

39      Par ordonnance du 26 janvier 2005, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis l’intervention de l’IFJ dans la présente affaire. La partie intervenante a déposé son mémoire et les autres parties ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

40      Par ordonnance du 19 avril 2005, Tillack/Commission [C‑521/04 P(R), Rec. p. I‑3103], le président de la Cour a rejeté le pourvoi dans l’affaire en référé et le requérant a été condamné aux dépens de l’instance.

41      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

42      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 11 mai 2006.

43      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de l’OLAF de saisir les autorités judiciaires allemandes et belges de la « plainte » du 11 février 2004 ;

–        condamner la Commission à l’indemniser d’un montant qu’il plaira au Tribunal de déterminer, majoré d’un intérêt qu’il plaira au Tribunal de fixer ;

–        ordonner toute autre mesure nécessaire à la justice ;

–        condamner la Commission aux dépens.

44      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation et le recours en indemnité comme irrecevables ;

–        à titre subsidiaire, rejeter lesdits recours comme non fondés ;

–        condamner le requérant aux dépens.

45      L’IFJ conclut à ce qu’il plaise au Tribunal annuler la décision de l’OLAF du 11 février 2004 de « porter plainte » auprès des autorités judiciaires allemandes et belges.

 En droit

 Sur la recevabilité des conclusions tendant à l’annulation de l’acte par lequel l’OLAF a transmis des informations aux autorités judiciaires allemandes et belges

 Arguments des parties

46      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, la Commission fait valoir que le recours en annulation est manifestement irrecevable, faute d’acte attaquable au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

47      Se référant à l’ordonnance du Tribunal du 18 décembre 2003, Gómez-Reino/Commission (T‑215/02, RecFP p. I‑A‑345 et II‑1685, points 50 et 51), la Commission soutient que l’acte par lequel l’OLAF a transmis des informations aux autorités judiciaires belges et allemandes, conformément à l’obligation posée par l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999, constitue un acte préparatoire qui, en soi, ne modifie pas la situation juridique du requérant. En effet, les autorités judiciaires nationales décideraient seules de la suite à donner aux informations transmises en choisissant ou non, suivant leur droit national, d’ouvrir une enquête judiciaire, d’ordonner des mesures d’instruction et d’engager des poursuites pénales. La juridiction nationale serait ensuite compétente pour condamner ou non la personne concernée.

48      La Commission relève également que, dans l’arrêt du 15 janvier 2003, Philip Morris International e.a./Commission (T‑377/00, T‑379/00, T‑380/00, T‑260/01 et T‑272/01, Rec. p. II‑1), le Tribunal aurait considéré que la décision de la Commission d’intenter une action civile devant un tribunal américain n’était pas susceptible de faire l’objet d’un recours au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, car cette action ne modifiait pas en soi la situation juridique du défendeur. Selon la Commission, cette jurisprudence doit s’appliquer à plus forte raison au cas d’espèce, dans lequel l’OLAF n’a pas déposé de plainte ni formé de recours, mais a simplement transmis des informations factuelles pouvant ou non inciter les autorités compétentes à ouvrir une procédure dans laquelle ni l’OLAF ni la Commission n’ont en principe la qualité de partie.

49      En outre, le devoir de coopération, prévu par l’article 10 CE, ne produirait pas d’effet juridique obligatoire à l’égard des autorités judiciaires nationales ou du requérant. L’article 6, paragraphe 6, du règlement n° 1073/1999 ne s’appliquerait pas aux actes effectués au cours d’enquêtes pénales menées par les autorités judiciaires nationales des États membres après qu’elles ont reçu des informations de l’OLAF. Quant au règlement (Euratom, CE) n° 2185/96 du Conseil, du 11 novembre 1996, relatif aux contrôles et vérifications sur place effectués par la Commission pour la protection des intérêts financiers des Communautés européennes contre les fraudes et autres irrégularités (JO L 292, p. 2), il n’aurait aucun rapport avec la présente affaire.

50      Par ailleurs, le requérant aurait bénéficié d’une protection juridictionnelle effective. Premièrement, le mandat de perquisition belge constituant le seul acte affectant la liberté d’expression du requérant, la protection juridictionnelle contre cet acte devrait être assurée par les tribunaux belges. Deuxièmement, même lorsqu’un mandat de perquisition national est délivré sur la base d’informations transmises par l’OLAF, les voies de recours nationales assureraient également la protection juridictionnelle du plaignant, même si l’article 234 CE pourrait alors recevoir application lorsque le plaideur fait valoir, devant la juridiction nationale, que l’OLAF a enfreint le droit communautaire dans sa procédure d’enquête. Troisièmement, le fait qu’une transmission d’informations opérée en vertu de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999 ne puisse être contestée au moyen d’un recours en annulation ne signifierait pas qu’un recours en responsabilité non contractuelle devant les juridictions communautaires soit a priori exclu.

51      Enfin, la Commission déclare que toute exception aux règles applicables à la recevabilité d’un recours au titre de l’article 230 CE aurait des conséquences néfastes pour l’efficacité, la confidentialité et l’indépendance des enquêtes de l’OLAF. Elle considère que, même si les juridictions belges avaient rejeté comme irrecevable tout moyen tiré de la violation des formes substantielles par l’OLAF, le présent recours en annulation ne serait pas, pour autant, recevable. L’arrêt de la Cour du 30 mars 2004, Rothley e.a./Parlement (C‑167/02 P, Rec. p. I‑3149), ne conduirait pas à une conclusion différente.

52      Le requérant fait valoir que son recours en annulation, formé au titre de l’article 230 CE, est recevable.

53      Il estime, tout d’abord, que la « plainte » de l’OLAF a produit des effets juridiques, car les autorités nationales ont ensuite diligenté une enquête. En effet, les États membres seraient tenus de prêter leur concours à l’OLAF, conformément à l’article 10 CE et au règlement n° 1073/1999, notamment à son article 6, paragraphe 6.

54      Ensuite, les intérêts du requérant seraient insuffisamment protégés s’il devait attendre la décision finale des autorités belges avant de pouvoir contester la « plainte » de l’OLAF. Plus généralement, les journalistes et leurs informateurs seraient dissuadés de révéler des informations concernant les institutions communautaires s’ils couraient le risque que les « plaintes » déposées par l’OLAF conduisent à l’ouverture de procédures pénales. L’annulation de la mesure contestée contribuerait également à rétablir la réputation du requérant, qui aurait été sérieusement atteinte par les allégations mensongères répétées de l’OLAF.

55      Selon le requérant, attaquer la « plainte » constitue la seule voie efficace pour interdire une exploitation illégale des informations réunies par les autorités belges lors de la perquisition et susceptibles de permettre l’identification des sources du requérant. En effet, l’OLAF pourrait se porter partie civile dans la procédure pénale belge et, par conséquent, demander l’accès aux documents saisis. En outre, l’annulation de la « plainte » serait susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques, notamment en évitant le renouvellement d’une telle pratique de la part de la Commission.

56      S’agissant de l’ordonnance Gómez-Reino/Commission, précitée, le requérant considère que les circonstances ayant donné lieu à celle-ci étaient très différentes de celles de l’espèce.

57      Par ailleurs, le règlement n° 1073/1999 ainsi que le règlement n° 2185/96 conféreraient des droits particuliers à l’OLAF, lequel développerait une coopération étroite avec les institutions nationales de contrôle.

58      En réponse à l’affirmation de la Commission selon laquelle l’OLAF n’a jamais demandé aux autorités judiciaires allemandes ou belges de prendre des mesures spécifiques, le requérant considère qu’elle est inexacte. Tout d’abord, dans la « plainte » adressée aux autorités belges, l’OLAF aurait recommandé une action rapide en raison du prétendu déménagement prochain du requérant à Washington (États-Unis). Ensuite, les enquêteurs de l’OLAF auraient déjà contacté des fonctionnaires nationaux les 13 et 16 janvier 2004, dans le but de coordonner les mesures d’enquête. Enfin, l’OLAF aurait sollicité des autorités nationales une perquisition au domicile et au bureau du requérant afin de réunir des preuves dans le cadre de son enquête interne, ce que confirmerait une déclaration du président du comité de surveillance de l’OLAF au House of Lords Select Committee on the European Union (Commission spéciale sur l’Union européenne de la Chambre des Lords, Royaume-Uni), le 19 mai 2004. Le juge d’instruction n’aurait donc pas agi en toute indépendance, mais sur demandes de l’OLAF.

59      Le requérant fait également observer que les autorités nationales ne peuvent qu’avoir confiance dans les rapports d’enquête de l’OLAF, qui constituent des éléments de preuve admissibles devant les tribunaux selon l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999. À cet égard, le requérant fait valoir que la violation du secret professionnel n’est pas un délit en droit belge. Dès lors, selon lui, l’OLAF n’a pu devenir partie civile qu’en raison des relations privilégiées entretenues avec les autorités belges, qui étaient disposées à agir sur la base de la « plainte ».

60      Il résulterait des éléments précédents que la « plainte » de l’OLAF ne peut être comparée à la décision de la Commission d’intenter une action civile dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Philip Morris International e.a./Commission, précité, dans laquelle la position de la Commission était comparable à celle de tout particulier. D’autre part, l’ordonnance du Tribunal du 13 juillet 2004, Comunidad Autónoma de Andalucía/Commission (T‑29/03, Rec. p. II‑2923), viserait un contexte différent en ce qu’elle concernait un rapport final dans une procédure d’enquête externe. En outre, le Tribunal aurait tenu compte du fait qu’entre-temps le procureur avait classé l’affaire, de sorte que le rapport ne pouvait plus avoir d’effets juridiques défavorables.

61      Enfin, se référant à l’arrêt Rothley e.a./Parlement, précité, le requérant considère que l’article 230 CE doit être appliqué à la lumière du droit à une protection juridictionnelle effective. Or, en l’espèce, il ne disposerait d’aucune autre voie de recours pour contester les agissements de l’OLAF. Il lui serait impossible de demander à une juridiction nationale de saisir la Cour à titre préjudiciel, car l’illégalité des agissements de l’OLAF ne préjugerait pas celle des mesures prises par les autorités judiciaires nationales. Seules les juridictions communautaires auraient le pouvoir de juger l’OLAF et non les juridictions nationales ou, en dernier ressort, la Cour européenne des droits de l’homme. Dès lors, une procédure nationale ne permettrait pas de garantir un contrôle juridictionnel effectif. Selon le requérant, il n’est pas admissible que, dans une affaire mettant en jeu la liberté de la presse, il dispose seulement d’un recours en indemnité devant le Tribunal.

62      L’IFJ soutient que la requête est recevable en ce que les « plaintes » déposées auprès des autorités judiciaires allemandes et belges constituent des décisions au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE. À cet égard, le recours en annulation ne serait pas dirigé contre la perquisition menée par les autorités belges, mais contre une décision de l’OLAF visant à produire des effets de droit sur la personne du requérant.

63      Contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance Gómez-Reino/Commission, précitée, la présente espèce concernerait une « plainte » emportant des conséquences juridiques directes sur le requérant et non de simples mesures préparatoires.

64      Se référant à l’arrêt de la Cour du 5 octobre 1988, Hamill/Commission (180/87, Rec. p. 6141), l’IFJ souligne que mêmes de simples informations livrées à des autorités judiciaires nationales sont susceptibles d’être contrôlées par les juridictions communautaires.

65      Enfin, d’après l’IFJ, le recours en annulation est également recevable en application du droit à une protection juridictionnelle effective. En effet, l’article 230 CE devrait être interprété dans l’esprit d’une communauté de droit afin que le requérant obtienne la protection de la justice contre les agissements de l’OLAF. À cet égard, les tribunaux belges ne seraient pas en mesure de contrôler cas par cas, de manière exhaustive et approfondie, si les actes pris par des institutions communautaires sont conformes au droit communautaire.

 Appréciation du Tribunal

66      En l’espèce, le recours en annulation est dirigé contre l’acte par lequel l’OLAF, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999, a transmis aux autorités judiciaires allemandes et belges des informations relatives à des suspicions de violation du secret professionnel et de corruption impliquant le requérant.

67      Selon une jurisprudence constante, constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation, au sens de l’article 230 CE, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 9, et arrêt du Tribunal du 6 avril 2006, Camós Grau/Commission, T‑309/03, non encore publié au Recueil, point 47).

68      Or, il y a lieu de constater que, en l’espèce, l’acte attaqué ne modifie pas de façon caractérisée la situation juridique du requérant.

69      Il ressort des dispositions du règlement nº 1073/1999, en particulier du considérant 13 et de l’article 9 de ce règlement, que les conclusions de l’OLAF contenues dans un rapport final ne sauraient aboutir d’une manière automatique à l’ouverture de procédures judiciaires ou disciplinaires, dès lors que les autorités compétentes sont libres de décider de la suite à donner au rapport final et sont donc les seules autorités à pouvoir arrêter des décisions susceptibles d’affecter la situation juridique des personnes à l’endroit desquelles le rapport aurait recommandé l’engagement de telles procédures (ordonnance Comunidad Autónoma de Andalucía/Commission, précitée, point 37, et arrêt Camós Grau/Commission, précité, point 51).

70      De même, l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999 se borne à prévoir une transmission d’informations aux autorités judiciaires nationales, qui demeurent libres, dans le cadre de leurs pouvoirs propres, d’apprécier le contenu et la portée desdites informations et, partant, les suites qu’il convient, le cas échéant, d’y donner. Par conséquent, l’éventuelle ouverture d’une procédure judiciaire à la suite de la transmission d’informations par l’OLAF, ainsi que les actes juridiques subséquents, relève de la seule et entière responsabilité des autorités nationales.

71      Aucun des arguments avancés par le requérant et l’intervenante n’est de nature à mettre en cause cette constatation.

72      En premier lieu, le principe de coopération loyale entraîne une obligation pour les États membres de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit communautaire et impose aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale avec les États membres (arrêts de la Cour du 26 novembre 2002, First et Franex, C‑275/00, Rec. p. I‑10943, point 49, et du 4 mars 2004, Allemagne/Commission, C‑344/01, Rec. p. I‑2081, point 79). Ce principe implique que les autorités judiciaires nationales, lorsque l’OLAF leur transmet des informations en application de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999, doivent examiner attentivement lesdites informations et en tirer les conséquences appropriées pour assurer le respect du droit communautaire, le cas échéant en ouvrant des procédures judiciaires si elles estiment que cela est justifié. Une telle obligation d’examen attentif n’impose cependant pas de retenir de la disposition susmentionnée une interprétation conférant un caractère contraignant aux transmissions en cause, en ce sens que les autorités nationales seraient obligées de prendre des mesures spécifiques, car une telle interprétation modifierait la répartition des tâches et des responsabilités telle qu’elle est prévue pour la mise en œuvre du règlement n° 1073/1999 (ordonnance du 19 avril 2005, Tillack/Commission, précitée, point 33).

73      En outre, l’article 6, paragraphe 6, du règlement n° 1073/1999, qui concerne les enquêtes exécutées par l’OLAF, et le règlement n° 2185/96, relatif aux contrôles et vérifications sur place effectués par la Commission pour la protection des intérêts financiers des Communautés européennes contre les fraudes et autres irrégularités, se rapportent aux pouvoirs d’enquête propres à l’OLAF et à la Commission. La coopération loyale attendue des États membres, lorsque ces pouvoirs d’enquête propres sont exercés, si elle implique que les autorités nationales compétentes apportent leur concours à l’action conduite au nom de la Communauté, est sans rapport avec les prérogatives propres desdites autorités, notamment judiciaires, et n’entraîne pas d’immixtion dans les compétences de ces dernières.

74      En deuxième lieu, concernant l’argument du requérant selon lequel l’OLAF pourrait se porter partie civile dans la procédure pénale belge afin d’avoir accès aux documents saisis au domicile et au bureau de l’intéressé, il convient d’observer que, à supposer cette possibilité avérée, celle-ci serait sans incidence sur le caractère attaquable ou non de l’acte par lequel l’OLAF transmet des informations à des autorités judiciaires nationales.

75      En troisième lieu, l’arrêt Hamill/Commission, précité, qui a pour objet un recours en indemnité et non un recours en annulation, n’indique nullement qu’une transmission d’informations par l’OLAF au titre de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999 produirait des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant.

76      En quatrième lieu, les éléments de fait invoqués par le requérant, qui prouvent, selon lui, que les autorités judiciaires belges n’ont pas agi en toute indépendance mais suivant les demandes de l’OLAF, ne sauraient être accueillis.

77      S’agissant, d’une part, de la déclaration du président du comité de surveillance de l’OLAF devant le House of Lords Select Committee on the European Union, le 19 mai 2004, le requérant ne produit aucun élément permettant au Tribunal de vérifier le contenu de cette déclaration et il n’y a, dès lors, pas lieu de la prendre en considération.

78      Concernant, d’autre part, le rapport intérimaire annexé à la lettre adressée aux autorités judiciaires belges, ses points 2.2 et 2.3 sont respectivement libellés de la façon suivante :

« Comme déjà discuté avec le Parquet de Hambourg […], le 13 janvier 2004 et avec le Parquet de Bruxelles […], le 16 janvier 2004, la transmission d’informations aux deux autorités judiciaires se révèle nécessaire afin d’entamer des procédures indépendantes mais coordonnées ;

[…]

Une action rapide est souhaitable vu que M. Tillack, selon notre information, quittera Bruxelles dans le courant du mois de mars de cette année pour devenir correspondant du Stern à Washington […] Avec son départ de Bruxelles, des pièces probantes importantes pourraient disparaître définitivement. »

79      Cependant, s’agissant du point 2.2 du rapport intérimaire, le requérant ne conteste pas l’affirmation de la Commission selon laquelle les contacts entre l’OLAF et les Parquets nationaux ont porté sur des points purement formels tels que la question de savoir à quelle personne il devait transmettre les informations. Quant au point 2.3, s’il doit être constaté que l’OLAF a effectivement exprimé le souhait d’un traitement rapide de l’affaire en cause, ce souhait n’oblige aucunement les autorités judiciaires belges. En effet, il ne saurait être assimilé à une demande, faite aux autorités belges, tendant à l’ouverture d’une procédure judiciaire ou à l’adoption de toute autre mesure. Au demeurant, l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999, relatif à la transmission des informations obtenues au cours des enquêtes qu’il diligente aux autorités nationales compétentes, se borne à prévoir la transmission desdites informations aux autorités nationales auxquelles il appartient, dans l’exercice de leurs compétences propres, de décider des suites qu’il convient d’y donner.

80      Enfin, est inopérant l’argument tiré de l’absence de protection juridictionnelle effective. En effet, cet argument ne permet pas, à lui seul, de fonder la recevabilité d’un recours (ordonnances du Tribunal du 19 septembre 2005, Aseprofar et Edifa/Commission, T‑247/04, non encore publiée au Recueil, point 59, et du 28 novembre 2005, EEB et Stichting Natuur en Milieu/Commission, T‑236/04 et T‑241/04, non encore publiée au Recueil, point 68). Au demeurant, il ressort du dossier et des débats lors de l’audience que le requérant a introduit un recours devant les juridictions belges puis devant la Cour européenne des droits de l’homme contre les mesures prises par les autorités judiciaires belges à la suite de la transmission d’informations par l’OLAF le 11 février 2004. En outre, le requérant disposait de la possibilité d’inviter les juridictions nationales, qui ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes l’invalidité de l’acte par lequel l’OLAF a transmis des informations aux autorités judiciaires belges (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 octobre 1987, Foto-Frost, 314/85, Rec. p. 4199, point 20), à interroger à cet égard la Cour par voie de question préjudicielle.

81      Il résulte de ce qui précède que la transmission d’informations au titre de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999 étant, en l’espèce, dépourvu d’effet juridique obligatoire, ne saurait être considérée comme un acte susceptible d’affecter la situation juridique du requérant.

82      Par conséquent, les conclusions tendant à l’annulation de l’acte par lequel l’OLAF a transmis, le 11 février 2004, des informations aux autorités judiciaires allemandes et belges sont irrecevables.

 Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice allégué

 Sur la recevabilité

–       Arguments des parties

83      La Commission considère que le recours en indemnité comprend deux demandes différentes. Elles concerneraient l’indemnisation du préjudice prétendument causé, d’une part, par la « plainte » de l’OLAF et, d’autre part, par les communiqués de presse de l’OLAF de mars 2002 et septembre 2003 ainsi que d’autres déclarations publiques de l’OLAF.

84      Ce recours serait irrecevable dans son intégralité car il ne respecterait pas les conditions prévues par l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

85      En outre, la demande d’indemnisation relative à la « plainte » de l’OLAF serait irrecevable, dès lors que cette action en réparation est étroitement liée à un recours en annulation lui-même déclaré irrecevable.

86      Le requérant considère, tout d’abord, que la demande en indemnité relative à la « plainte » de l’OLAF est recevable. Il souligne que les mauvais agissements de l’OLAF ne sauraient échapper au contrôle juridictionnel.

87      Il conteste, ensuite, l’argument selon lequel une action en réparation est irrecevable si la cause du préjudice fait l’objet d’une action en annulation elle-même irrecevable.

88      Enfin, il estime que la requête satisfait aux conditions de recevabilité posées par le règlement de procédure et serait suffisamment claire pour permettre à la défenderesse de préparer sa défense. En effet, elle décrirait le comportement illicite de l’OLAF, le préjudice subi et les motifs pour lesquels il existe un lien de causalité entre ce comportement illicite et ledit préjudice.

–       Appréciation du Tribunal

89      Selon une jurisprudence constante, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce statut et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels il se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (arrêts du Tribunal du 10 juillet 1997, Guérin automobiles/Commission, T‑38/96, Rec. p. II‑1223, point 41, et du 16 mars 2004, Danske Busvognmænd/Commission, T-157/01, Rec. p. II‑917, point 45)

90      Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation des dommages prétendument causés par une institution communautaire devrait contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice prétendument subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T‑387/94, Rec. p. II‑961, point 107, et du 10 février 2004, Calberson GE/Commission, T‑215/01, T‑220/01 et T‑221/01, Rec. p. II‑587, point 176).

91      En l’espèce, il y a lieu de relever, tout d’abord, que les conclusions de la requête tendant à la réparation du préjudice allégué sont très succinctes. Elles permettent toutefois d’identifier deux comportements prétendument fautifs de l’OLAF, qui, selon le requérant, lui ont causé un préjudice. Le premier concerne la « plainte » de l’OLAF auprès des autorités judiciaires belges. Le second est constitué par les communiqués de presse de l’OLAF du 27 mars 2002 et du 30 septembre 2003 ainsi que par les déclarations du porte-parole de l’OLAF publiées dans European Voice le 4 avril 2002 et celles du directeur général de l’OLAF diffusées sur Stern TV le 24 mars 2004.

92      Ensuite, il ressort de la requête que le préjudice que le requérant prétend avoir subi du fait des différents comportements fautifs allégués de l’OLAF consiste en une atteinte à sa réputation et à son honorabilité professionnelle. La requête permet également d’identifier l’étendue du préjudice prétendument causé par l’OLAF.

93      Enfin, le requérant mentionne l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice invoqué et les différents comportements fautifs reprochés à l’OLAF.

94      En outre, il ressort de l’argumentation développée par la Commission sur le bien-fondé du recours qu’elle a pu utilement préparer sa défense sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

95      Il y a donc lieu de rejeter le grief tiré par la Commission du défaut de conformité de la requête aux prescriptions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

96      La Commission soutient également que, s’agissant de la demande d’indemnisation relative à la « plainte » de l’OLAF, celle-ci est irrecevable dès lors qu’elle est étroitement liée à un recours en annulation lui-même irrecevable.

97      À cet égard, il convient de rappeler que le recours en responsabilité est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique. Alors que les recours en annulation et en carence visent à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant ou l’absence d’un tel acte, le recours en responsabilité a pour objet la demande en réparation d’un préjudice découlant d’un acte ou d’un comportement illicite imputable à une institution ou à un organe communautaire (voir arrêt de la Cour du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, Rec. p. I‑2803, point 59, et la jurisprudence citée).

98      Ainsi, les justiciables qui, en raison des conditions de recevabilité visées à l’article 230, quatrième alinéa, CE, ne peuvent attaquer directement certains actes ou mesures communautaires ont cependant la possibilité de mettre en cause un comportement dépourvu de caractère décisionnel, de ce fait insusceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, en introduisant un recours en responsabilité non contractuelle prévu à l’article 235 CE et à l’article 288, deuxième alinéa, CE, dans la mesure où un tel comportement serait de nature à engager la responsabilité de la Communauté (arrêt Philip Morris International e.a./Commission, précité, point 123, et arrêt Camós Grau/Commission, précité, point 78).

99      Dès lors, le recours en indemnité introduit par le requérant et tendant à la réparation du préjudice moral qui résulterait pour lui des comportements reprochés à l’OLAF doit être envisagé, en ce qui concerne sa recevabilité, indépendamment du recours en annulation.

100    Il résulte de ce qui précède que les conclusions du requérant tendant à obtenir réparation du préjudice que lui auraient causé les comportements prétendument fautifs de l’OLAF sont recevables.

 Sur le fond

–       Arguments des parties

101    Le requérant considère que les actes administratifs fautifs sont constitués, tout d’abord, de la « plainte » que l’OLAF a déposée auprès des autorités judiciaires belges. Celle-ci serait illégale puisqu’elle aurait violé plusieurs règles de forme ainsi que le droit fondamental que constitue la liberté de la presse. Le requérant vise également les communiqués de presse de l’OLAF de mars 2002 et de septembre 2003. À cet égard, le Médiateur aurait déclaré que le communiqué de presse de mars 2002, fondé sur des rumeurs, constituait un acte manifeste de mauvaise administration et violait le principe de proportionnalité. Ce communiqué devrait donc, en tant que tel, être considéré comme un acte administratif illicite. Le communiqué de presse de septembre 2003 constituerait aussi un cas de mauvaise administration et violerait le principe de proportionnalité, en réitérant les allégations contenues dans le communiqué de presse de mars 2002. Enfin, le requérant fait référence aux déclarations du porte-parole de l’OLAF, telles que publiées dans le magazine European Voice du 4 avril 2002, et à celles du directeur de l’OLAF diffusées sur Stern TV le 24 mars 2004. Elles seraient de nature à porter atteinte à la réputation du requérant et, fondées sur de simples rumeurs, violeraient également le principe de bonne administration.

102    Le requérant soutient également que l’OLAF a dépassé la marge d’appréciation dont il bénéficie. Compte tenu de la gravité des fautes commises, le comportement de l’OLAF devrait être considéré comme constitutif d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit communautaire.

103    Il fait valoir qu’il a subi un préjudice moral majeur consistant en une atteinte à sa réputation et à son honorabilité professionnelle. D’une part, il lui serait beaucoup plus difficile d’obtenir des informations auprès des sources qu’il exploite pour exercer son métier. D’autre part, la vente de ses articles à des journaux et revues serait fortement entravée. Ainsi, les actions de l’OLAF auraient sérieusement porté atteinte aux possibilités d’évolution de carrière du requérant. En outre, l’existence d’un préjudice moral serait particulièrement caractérisée lorsque les fausses accusations conduisent à l’ouverture d’enquêtes pénales, à une perquisition et à des saisies, comme c’est le cas en l’espèce. Le requérant demande que le Tribunal fixe le montant exact de la condamnation pécuniaire, qui puisse à la fois l’indemniser et être dissuasif pour la Commission. Le requérant propose provisoirement un montant de 250 000 euros.

104    À propos du lien de causalité, le requérant affirme que le préjudice à sa réputation a été causé par les communiqués de presse de l’OLAF et les déclarations qui s’en sont suivies, le point culminant étant la plainte de l’OLAF auprès des autorités judiciaires belges, laquelle a conduit à une perquisition à son domicile et à son bureau. À cet égard, les enquêteurs de l’OLAF auraient conseillé les autorités judiciaires et leur auraient communiqué, dans la plainte, des informations de nature à les induire en erreur quant à l’urgence et à la nécessité d’agir. D’après le requérant, le fait que les autorités belges ont agi avec une certaine légèreté ne porte pas atteinte au bien-fondé de la requête.

105    S’agissant des communiqués de presse et autres déclarations publiques de l’OLAF, le requérant souligne qu’il est exceptionnel que l’OLAF publie des communiqués annonçant l’ouverture d’une enquête. En outre, selon lui, quiconque s’intéresse à l’affaire l’a immédiatement identifié comme le journaliste ayant corrompu un fonctionnaire des Communautés. De surcroît, les faits, tels qu’ils sont connus aujourd’hui, apparaîtraient comme bien plus graves que ceux examinés par le Médiateur en 2003. En effet, l’OLAF se serait livré à une désinformation du Médiateur en prétendant qu’il avait été informé par des sources sûres, notamment des membres du Parlement européen, alors que son unique source aurait été M. G.

106    Dans son mémoire en réplique, le requérant souligne que les allégations publiques de l’OLAF ne constitueraient pas seulement un cas de mauvaise administration mais aussi une violation des principes de bonne administration, de la présomption d’innocence ainsi que du droit à un procès équitable. La publication des communiqués de presse serait également constitutive d’une violation de l’article 8 du règlement n° 1073/1999, dès lors que les informations communiquées et obtenues dans le cadre des enquêtes internes sont couvertes par le secret professionnel.

107    La Commission fait valoir que les deux demandes en indemnité ne sont pas fondées.

108    S’agissant, premièrement, de la demande indemnitaire visant la transmission des informations aux autorités judiciaires belges et allemandes, elle soutient que l’OLAF n’a enfreint aucune règle de droit. En outre, le requérant n’aurait pas établi une violation suffisamment caractérisée des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de l’OLAF.

109    En ce qui concerne la réalité du préjudice allégué, la requête ne fournirait pas d’informations concrètes sur la situation professionnelle particulière du requérant. Ce dernier serait salarié du magazine Stern et sa réputation n’aurait pas souffert de la perquisition et de la saisie opérée par les autorités belges.

110    Surtout, le requérant n’aurait pas établi le lien de causalité entre la transmission des informations par l’OLAF et le préjudice qu’il prétend avoir subi. En effet, deux actes souverains et discrétionnaires des autorités belges rompraient tout lien de causalité : l’ouverture d’une enquête judiciaire ; la perquisition et la saisie. Seule ces dernières constitueraient la cause directe et déterminante du préjudice allégué. Selon la Commission, en l’absence de perquisition, laquelle relève du pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, il n’y a aucun risque de porter atteinte à l’anonymat des informateurs du requérant. Si le requérant estime avoir subi un préjudice du fait de la perquisition, c’est à l’État belge qu’il devrait en demander réparation.

111    S’agissant, deuxièmement, de la demande indemnitaire visant les communiqués de presse et d’autres déclarations publiques, la Commission estime que l’OLAF n’a enfreint aucune règle de droit affectant le requérant, et notamment sa réputation. En particulier, le communiqué de presse du 27 mars 2002 ne citerait pas le nom d’un journaliste ou d’un organe de presse. C’est uniquement dans un communiqué de Stern, publié le 28 mars 2002, que ce magazine aurait affirmé détenir en exclusivité les documents divulgués et que le nom du journaliste aurait été révélé. De plus, le communiqué du 27 mars 2002 aurait décrit de la manière la plus neutre possible l’objet principal de l’enquête interne engagée. Il n’aurait rien de contraire à la vérité et ne serait pas non plus disproportionné. Affirmer que son porte-parole est allé trop loin dans ses déclarations reviendrait à priver l’OLAF de tout droit de publier un communiqué de presse confirmant l’ouverture d’une enquête et indiquant son objet. À titre subsidiaire, la Commission fait observer que l’OLAF n’a pas transgressé de manière grave et manifeste les limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation dans la gestion de ses relations avec les médias.

112    Par ailleurs, la Commission affirme qu’il n’existe, en tout état de cause, aucun lien de causalité entre le communiqué de presse du 27 mars 2002 et un éventuel préjudice porté à la réputation du requérant. D’après la défenderesse, à supposer même que le communiqué de l’OLAF ait pu, dès sa publication, être interprété par le public comme faisant référence au requérant, le communiqué de Stern publié le lendemain a rompu tout lien de causalité.

113    Enfin, concernant les conclusions du Médiateur, la Commission allègue que les faits sur lesquels il a fondé sa recommandation de 2003 étaient différents de ceux que la Commission soumet au Tribunal dans la présente procédure. De plus, l’identification d’un cas de mauvaise administration par le Médiateur n’équivaudrait pas à la constatation judiciaire d’une violation des droits du requérant par la Commission. En particulier, le Médiateur n’aurait pas examiné la question de savoir si l’OLAF avait commis une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit. Par ailleurs, le Médiateur aurait appliqué des règles relatives à la charge de la preuve autres que celles qui régissent les recours en responsabilité non contractuelle au titre de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE. En effet, le Médiateur et le juge communautaire appliqueraient des critères et méthodes d’appréciation différents, qui reflètent leur nature et leur fonction bien distinctes.

114    L’IFJ considère que l’OLAF a manifestement franchi les limites de sa marge de discrétion ou d’appréciation en livrant des informations aux autorités judiciaires allemandes et belges sur la base de simples rumeurs et spéculations. Cette appréciation aurait dû être menée en tenant compte, en particulier, des dispositions du règlement n° 1073/1999 et des droits et libertés des personnes concernées.

115    L’intervenante considère que l’OLAF a violé la liberté de la presse, le droit au respect de la vie privée et du domicile, le traité CE, la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le règlement n° 1073/1999 ainsi que certaines règles de procédure.

–       Appréciation du Tribunal

116    Il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir : l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44 ; du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20).

117    S’agissant de la première des conditions, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42). Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêt de la Cour du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 54, et arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134).

118    S’agissant de la condition relative au lien de causalité, la Communauté ne peut être tenue pour responsable que du préjudice qui découle de manière suffisamment directe du comportement irrégulier de l’institution concernée (arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier Frères e.a./Conseil, 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, et arrêt du Tribunal du 13 février 2003, Meyer/Commission, T‑333/01, Rec. p. II‑117, point 32). En revanche, il n’incombe pas à la Communauté de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, de comportements de ses organes (voir, en ce sens, arrêt Dumortier Frères e.a./Conseil, précité, point 21).

119    Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, points 19 et 81, et arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37).

120    C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient de vérifier le bien-fondé des différents arguments invoqués par le requérant.

121    À titre liminaire, il y a lieu de relever que la protection de la vie privée et du domicile, la liberté de la presse, le principe de la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable, qui constituent des droits fondamentaux, confèrent aux particuliers des droits dont le juge communautaire garantit le respect. À cet égard, le requérant invoque deux comportements prétendument fautifs de l’OLAF qui, étant de nature distincte, doivent être examinés séparément.

122    En premier lieu, en ce qui concerne la demande en réparation du préjudice découlant prétendument de la « plainte » de l’OLAF, il a été constaté qu’il appartenait aux autorités judiciaires d’apprécier les suites qu’il convenait de donner aux informations transmises par l’OLAF sur le fondement de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999 sans que cette transmission ait un quelconque caractère contraignant à leur égard (voir point 70 ci-dessus). Par conséquent, le comportement des autorités judiciaires nationales, qui ont décidé, dans le cadre de leurs prérogatives propres, d’ouvrir d’une procédure judiciaire et de mener ensuite des actes d’enquête, est à l’origine du préjudice allégué par le requérant.

123    En outre, le requérant n’explique pas comment une transmission d’informations à des autorités judiciaires nationales, de nature confidentielle et dont il n’est pas soutenu que la confidentialité n’aurait pas été respectée, pourrait porter atteinte à sa réputation et à son honorabilité professionnelle.

124    Il s’ensuit que le requérant n’a pas établi l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre la transmission des informations opérée par l’OLAF aux autorités judiciaires belges, au titre de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 1073/1999 et le préjudice allégué.

125    La condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté tenant au lien de causalité entre le préjudice allégué et le comportement de l’OLAF n’étant, dès lors, pas remplie en l’espèce, la demande en indemnité relative à la « plainte » de l’OLAF doit être rejetée sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres conditions d’engagement de ladite responsabilité.

126    En second lieu, en ce qui concerne la demande en réparation du préjudice découlant prétendument des communiqués de presse de l’OLAF, il convient de relever que le requérant renvoie au projet de recommandation du Médiateur du 10 juin 2003 et à sa recommandation du 20 novembre 2003, concluant à un cas de mauvaise administration, pour en inférer que le communiqué de presse du 27 mars 2002 constitue, « en tant que tel », un « acte administratif illicite » et que le communiqué de presse du 30 septembre 2003 représente un nouveau cas de mauvaise administration, violant lui aussi le principe de proportionnalité, en réitérant les allégations du précédent communiqué.

127    À cet égard, il y a lieu de relever, tout d’abord, que le principe de bonne administration, dont la seule violation est invoquée dans ce cadre, ne confère pas, par lui-même, de droits aux particuliers (arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Area Cova e.a./Conseil et Commission, T‑196/99, Rec. p. II‑3597, point 43), sauf lorsqu’il constitue l’expression de droits spécifiques comme le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable, le droit d’être entendu, le droit d’accès au dossier, le droit à la motivation des décisions, au sens de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

128    À titre surabondant, la qualification d’« acte de mauvaise administration » par le Médiateur ne signifie pas, par elle-même, que le comportement de l’OLAF constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit, au sens de la jurisprudence. En effet, par l’institution d’un médiateur, le traité a ouvert aux citoyens de l’Union, et plus particulièrement aux fonctionnaires et autres agents de la Communauté, une voie alternative à celle du recours devant le juge communautaire afin de défendre leurs intérêts. Cette voie alternative extrajudiciaire répond à des critères spécifiques et n’a pas nécessairement le même objectif que celui d’un recours en justice (arrêt Médiateur/Lamberts, précité, point 65).

129    Il convient également, compte tenu de l’autonomie conférée à l’OLAF par le règlement n° 1073/1999 et de l’objectif d’intérêt général d’information du public par des communiqués de presse, de considérer que l’OLAF dispose d’une marge d’appréciation quant à l’opportunité et au contenu des communiqués relatifs à ses activités d’enquête.

130    En outre, il ressort de l’examen des termes du communiqué de presse du 27 mars 2002 que le seul passage éventuellement préjudiciable est libellé comme suit :

« Selon les informations reçues par l’[OLAF], un journaliste a reçu plusieurs documents relatifs au dossier surnommé l’‘affaire Van Buitenen’. Il n’est pas exclu que de l’argent ait été versé à quelqu’un au sein de l’OLAF (voire d’une autre institution) pour obtenir ces documents […] »

131    Même à supposer que les personnes ayant connaissance de l’affaire pouvaient faire le rapprochement avec le requérant, ces allégations, formulées de façon hypothétique, sans indication du nom du requérant et du magazine pour lequel il travaillait, ne constituent pas une méconnaissance manifeste et grave, par l’OLAF, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. En outre, c’est Stern lui-même qui, dans son communiqué de presse du 28 mars 2002, a cité le nom du requérant. La révélation de l’identité de ce dernier, mise en relation avec les investigations de l’OLAF, n’est donc pas le fait de l’OLAF mais du magazine Stern, pour lequel travaillait le requérant. Partant, les préjudices d’atteinte à la réputation et à l’honorabilité professionnelle allégués, liés à cette publicité, ne sauraient être imputés à l’OLAF. Par conséquent, le communiqué de presse litigieux ne révèle aucune violation suffisamment caractérisée du droit communautaire par l’OLAF.

132    De son côté, le communiqué de presse de l’OLAF du 30 septembre 2003, publié à la suite du projet de recommandation du Médiateur du 18 juin 2003, vise à atténuer les allégations contenues dans le communiqué de presse du 27 mars 2002. Il indique ainsi :

« […] l’enquête de l’OLAF à ce sujet n’est pas close, mais l’[OLAF] n’a pas trouvé jusqu’ici de preuve qu’un tel paiement a bien eu lieu. » Dès lors, il y a lieu de considérer que ce communiqué ne constitue pas, pas plus que le précédent communiqué, une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit.

133    La même conclusion doit être tirée en ce qui concerne la déclaration du porte-parole de l’OLAF, citée par le magazine European Voice du 4 avril 2002, selon laquelle l’OLAF « disposait de preuves, à première vue, qu’un paiement pouvait avoir eu lieu », la prudence des termes employés ne pouvant établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire. Quant à la déclaration du directeur de l’OLAF sur Stern TV le 24 mars 2004, le requérant ne produit aucun élément de nature à permettre d’en vérifier le contenu.

134    Au demeurant, le requérant ne développe dans sa requête aucune argumentation en droit permettant d’apprécier en quoi la publication des communiqués de presse et des autres déclarations publiques de l’OLAF pourrait être qualifiée de « violation suffisamment caractérisée » d’une règle de droit.

135    Il résulte de ce qui précède que le requérant n’a pas démontré l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire imputable à l’OLAF susceptible de lui causer un préjudice. Dès lors, il y a lieu de rejeter sa demande en indemnité en ce qui concerne les communiqués de presse et les autres déclarations publiques de l’OLAF, sans qu’il soit besoin d’apprécier la réalité et la consistance du préjudice allégué.

136    Partant, le recours en indemnité doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur la demande de production de documents

137    Le requérant demande au Tribunal d’ordonner à la Commission de soumettre une copie intégrale des « plaintes » adressées par l’OLAF aux autorités judiciaires allemandes et belges.

138    À cet égard, il convient de relever que la Commission a produit, lors de la procédure devant le Tribunal, les lettres adressées aux autorités judiciaires allemandes et belges, le 11 février 2004, dans une version non expurgée.

139    Dès lors, il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande devenue sans objet.

140    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

141    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner, outre à ses propres dépens, aux dépens exposés par la Commission, y compris ceux afférents à la procédure de référé, conformément aux conclusions de la Commission.

142    En application de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, l’IFJ, partie intervenante, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de production de documents.

3)      Le requérant est condamné à supporter ses dépens ainsi que les dépens exposés par la Commission, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

4)      L’International Federation of Journalists supportera ses propres dépens.

Legal

Lindh

Vadapalas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 octobre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       H. Legal


* Langue de procédure : l’anglais.