Language of document : ECLI:EU:T:2021:432

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

14 juillet 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne figurative RICH JOHN RICHMOND – Absence d’usage sérieux de la marque – Article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001] – Usage sous une forme qui diffère par des éléments altérant le caractère distinctif de la marque – Article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 18, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑297/20,

Fashioneast Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg),

AM.VI. Srl, établie à Naples (Italie),

représentées par Mes A. Camusso et M. Baghetti, avocats,

parties requérantes,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme R. Cottrell, MM. J. Crespo Carrillo et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Moschillo Srl, établie à Avellino (Italie),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 16 mars 2020 (affaire R 1381/2019‑2), relative à une procédure de déchéance entre, d’une part, Moschillo et, d’autre part, Fashioneast et AM.VI.,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. A. M. Collins, président, V. Kreuschitz (rapporteur) et Z. Csehi, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2020,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 27 août 2020,

vu la lettre, déposée au greffe du Tribunal le 6 avril 2021, par laquelle les requérantes ont informé le Tribunal qu’elles n’assisteront pas à l’audience, ainsi que la lettre, déposée au greffe du Tribunal le 14 avril 2021 en réponse à une question du Tribunal, par laquelle l’EUIPO a indiqué qu’il ne soulevait pas d’objections contre la clôture de la phase orale de la procédure sans audience, et ayant décidé, en application de l’article 108, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, de clore la phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 27 février 2011, le prédécesseur en droit des requérantes, Fashioneast Sàrl et AM.VI. Srl, a obtenu, auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)], l’enregistrement du signe figuratif suivant en tant que marque de l’Union européenne :

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2        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été effectué relèvent des classes 3, 9, 14, 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

3        Le 9 décembre 2016, l’autre partie à la procédure devant l’EUIPO, Moschillo Srl, a introduit une demande de déchéance de la marque contestée pour tous les produits visés au point 2 ci-dessus.

4        Le motif invoqué à l’appui de la demande de déchéance était celui visé à l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001].

5        Le 18 juillet 2017, Fashioneast a produit plusieurs documents à titre de preuve de l’usage sérieux de la marque contestée.

6        Le 29 avril 2019, la division d’annulation a prononcé la déchéance de la marque contestée dans son intégralité à compter de la date de la demande de déchéance.

7        Le 25 juin 2019, les requérantes ont formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation.

8        Par décision du 16 mars 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré que les éléments soumis par Fashioneast devant l’EUIPO concernaient un usage de la marque contestée sous une forme qui différait par des éléments qui altéraient le caractère distinctif de cette marque sous la forme sous laquelle elle avait été enregistrée (points 19 à 34 de la décision attaquée) et qu’il n’était donc pas nécessaire d’examiner le lieu, la durée et l’importance dudit usage (point 35 de la décision attaquée).

 Conclusions des parties

9        Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et déclarer que la marque contestée reste enregistrée pour toutes les classes de produits pour lesquelles un usage sérieux a été démontré ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée et renvoyer l’affaire à la chambre de recours afin qu’elle se prononce sur la durée, le lieu et l’importance de l’usage de la marque contestée ;

–        « décharger [les requérantes] du paiement de toutes les taxes et tous les dépens de la procédure de recours et en déchéance, fixés par la deuxième chambre de recours à un montant de 1 360 euros » ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

10      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens exposés par lui.

 En droit

 Considérations liminaires

11      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, en l’espèce, la demande de déchéance a été déposée auprès de l’EUIPO le 9 décembre 2016 (voir point 3 ci-dessus), soit avant la date d’applicabilité du règlement 2017/1001, le 1er octobre 2017 (voir article 212, second alinéa, du règlement 2017/1001), mais après la date d’entrée en vigueur du règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, modifiant le règlement no 207/2009 et le règlement (CE) no 2868/95 de la Commission portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire, et abrogeant le règlement (CE) no 2869/95 de la Commission relatif aux taxes à payer à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (JO 2015, L 341, p. 21), le 23 mars 2016 (voir article 4, premier alinéa, du règlement 2015/2424). Par suite, le présent litige est régi par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009, tel que modifié par le règlement 2015/2424 (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C‑668/17 P, EU:C:2019:557, point 3).

12      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée ainsi que par les requérantes et l’EUIPO dans leurs écritures aux dispositions du règlement 2017/1001 comme visant les dispositions d’une teneur identique du règlement no 207/2009 [voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2021, Novomatic/EUIPO – adp Gauselmann (Power Stars), T‑588/19, non publié, EU:T:2021:157, point 21].

13      Il convient, en outre, de rappeler que, aux termes de l’article 80 du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), le règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1) continue de s’appliquer aux procédures en cours jusqu’à leur terme lorsque le règlement 2018/625 ne s’applique pas, conformément à son article 82.

14      Selon l’article 82, paragraphe 2, sous f) et i), du règlement 2018/625, les articles 12 à 15 ne s’appliquent pas aux demandes en déchéance déposées avant le 1er octobre 2017 et l’article 19 dudit règlement ne s’applique pas aux demandes de preuve de l’usage déposées avant le 1er octobre 2017.

15      Au soutien de leur recours, les requérantes soulèvent un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 ainsi que de l’article 15 dudit règlement (devenu article 18 du règlement 2017/1001). Elles admettent que les éléments de preuve qu’elles ont déposés devant l’EUIPO ne démontrent pas l’usage de la marque contestée exactement dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, mais soutiennent que les éléments dominants de ladite marque, telle qu’elle a été enregistrée, y sont utilisés d’une façon qui ne modifie pas le caractère distinctif de la marque contestée.

16      L’EUIPO conteste les arguments des requérantes et considère que la chambre de recours a pu considérer que les requérantes n’avaient pas démontré qu’elles avaient fait un usage sérieux de la marque contestée. Il considère, en substance, qu’aucun des éléments de preuve produits par les requérantes en l’espèce ne montre les éléments verbaux « rich » et « john richmond » associés l’un à l’autre et qu’ils prouvent, au contraire, qu’il s’agit de deux signes autonomes et indépendants.

17      Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’EUIPO, si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union européenne pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage.

18      Il convient de rappeler que, conformément à la règle 22, paragraphe 3, du règlement no 2868/95, qui s’applique mutatis mutandis aux procédures de déchéance conformément à la règle 40, paragraphe 5, du même règlement, la preuve de l’usage sérieux d’une marque doit porter, à titre d’exigences cumulatives, sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui en a été fait [voir arrêt du 13 février 2015, Husky CZ/OHMI – Husky of Tostock (HUSKY), T‑287/13, EU:T:2015:99, point 62 et jurisprudence citée].

 Sur la nature de l’usage

19      Comme le soulève, en substance, à juste titre, l’EUIPO, quant à la nature de l’usage, il doit être prouvé que la marque contestée a été utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée et que cet usage concerne la marque contestée dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée.

20      S’agissant de cette dernière condition, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement no 207/2009 dans la version applicable au présent litige [devenu article 18, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement 2017/1001], l’usage d’une marque de l’Union européenne sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, constitue également un usage de ladite marque aux fins de l’article 15, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 207/2009 [devenu article 18, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement 2017/1001].

21      Le caractère distinctif d’une marque au sens du règlement no 207/2009 signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises [voir arrêt du 13 septembre 2016, hyphen/EUIPO – Skylotec (Représentation d’un polygone), T‑146/15, EU:T:2016:469, point 26 et jurisprudence citée].

22      Il y a lieu de préciser que l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement no 207/2009 vise l’hypothèse où une marque enregistrée, nationale ou de l’Union européenne, est utilisée dans le commerce sous une forme légèrement différente par rapport à la forme sous laquelle l’enregistrement a été effectué. L’objet de cette disposition, qui évite d’imposer une conformité stricte entre la forme utilisée de la marque et celle sous laquelle elle a été enregistrée, est de permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en altérer le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. Conformément à son objet, le champ d’application matériel de cette disposition doit être considéré comme limité aux situations dans lesquelles le signe, concrètement utilisé par le titulaire d’une marque pour désigner les produits ou les services pour lesquels celle-ci a été enregistrée, constitue la forme sous laquelle cette même marque est commercialement exploitée. Dans de pareilles situations, lorsque la forme du signe utilisé dans le commerce diffère de la forme sous laquelle celui-ci a été enregistré uniquement par des éléments négligeables, de sorte que les deux signes peuvent être considérés comme globalement équivalents, la disposition susvisée prévoit que l’obligation d’usage de la marque enregistrée peut être remplie en rapportant la preuve de l’usage du signe qui en constitue la forme utilisée dans le commerce (voir arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, point 27 et jurisprudence citée).

23      Le constat d’une altération du caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée requiert un examen du caractère distinctif et dominant des éléments ajoutés en se fondant sur les qualités intrinsèques de chacun de ces éléments ainsi que sur la position relative des différents éléments dans la configuration de la marque [voir arrêt du 30 janvier 2020, Grupo Textil Brownie/EUIPO – The Guide Association (BROWNIE), T‑598/18, EU:T:2020:22, point 63 et jurisprudence citée].

24      Par ailleurs, selon la jurisprudence, lorsqu’une marque est constituée ou composée de plusieurs éléments et que l’un ou plusieurs d’entre eux ne sont pas distinctifs, l’altération de ces éléments ou leur omission n’est pas de nature à affecter le caractère distinctif de la marque dans son ensemble (voir arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, point 30 et jurisprudence citée).

25      En l’espèce, il est constant qu’aucun des éléments de preuve produits par les requérantes devant l’EUIPO ne porte sur la marque contestée dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée. C’est donc à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner si c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré, en substance, que les requérantes n’avaient pas non plus démontré l’usage sérieux de la marque contestée sous une forme qui constituait une différence recevable, conformément à l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement no 207/2009.

26      Selon les requérantes, les éléments de preuve qu’elles avaient soumis à l’EUIPO démontrent un usage constant des éléments distinctifs de la marque contestée sur les produits, à savoir, d’une part, l’élément verbal « rich », qui caractériserait la sous-marque RICH JOHN RICHMOND par rapport aux autres sous-marques de la maison, et, d’autre part, la marque de maison RICHMOND.

27      À l’appui de cette allégation, les requérantes avancent, en substance, cinq griefs.

 Sur le premier grief

28      Par le premier grief, les requérantes soutiennent, en substance, que la chambre de recours n’a pas suffisamment tenu compte d’une déclaration de M. Z. ainsi que de photographies de certains produits (des chaussures produites par la société de M. Z. pour la ligne RICH JOHN RICHMOND au cours des années 2011, 2012, 2013 et 2015) qui étaient annexées à cette déclaration ou produites séparément par les requérantes devant l’EUIPO.

29      L’EUIPO conteste les arguments des requérantes.

30      Tout d’abord, il y a lieu de relever que les requérantes ne prétendent pas que les photographies qu’elles ont produites en tant qu’éléments de preuve portent sur un usage de la marque contestée dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée. Elles soutiennent, en substance, que ces photographies témoignent d’un usage constant de deux éléments de la marque contestée sur les produits en cause, à savoir, d’une part, de l’élément « rich » à un endroit du produit et, d’autre part, de l’élément « richmond » à un autre endroit du produit. En revanche, elles ne prétendent pas que ces deux éléments soient utilisés au même endroit en tant que partie d’un signe d’ensemble, ni que les photographies démontrent un usage de l’élément « john » sur les produits en cause.

31      Par suite, force est de constater que, même en se basant sur les affirmations des requérantes, la déclaration faite par M. Z., selon laquelle sa société a appliqué la marque RICH JOHN RICHMOND à certains modèles de chaussures produits par sa société, n’est effectivement pas corroborée par les éléments de preuve produits par les requérantes à son appui, tout comme l’a constaté la chambre de recours au point 26 de la décision attaquée.

32      En outre, comme le fait valoir à juste titre l’EUIPO, il ressort de la jurisprudence que l’usage sérieux d’une marque ne peut être démontré par des probabilités ou par des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [voir arrêt du 4 avril 2019, Hesse et Wedl & Hofmann/EUIPO (TESTA ROSSA), T‑910/16 et T‑911/16, EU:T:2019:221, point 31 et jurisprudence citée].

33      Au regard du nombre de photographies de produits sur lesquelles figure clairement l’élément « richmond », il peut être admis que les photographies de produits sur lesquelles cet élément n’est que partiellement visible (voir point 26 de la décision attaquée) reproduisent bien l’élément « richmond » en intégralité. Il s’agit, en effet, d’éléments concrets et objectifs qui prouvent effectivement une utilisation dudit élément en intégralité sur ces produits photographiés, sans qu’il faille recourir à des hypothèses.

34      En revanche, il ne saurait en être ainsi en cas d’absence de toute trace apparente de l’élément « richmond », même en partie, sur une photographie d’un produit précis. Accepter, comme le font valoir les requérantes, qu’il ressort de l’ensemble des éléments de preuve que cet élément est présent sur tous les produits photographiés, même s’il n’est pas visible du tout sur une photographie spécifique, équivaudrait à faire reposer la preuve de l’usage de cet élément sur des probabilités ou sur des présomptions.

35      Il s’ensuit qu’il ne peut pas être reproché à la chambre de recours de n’avoir pas pris en compte la déclaration de M. Z. en tant qu’élément de preuve de l’usage de la marque contestée. Cependant, la chambre de recours aurait dû reconnaître l’élément « richmond » sur les photographies de produits sur lesquelles au moins une partie de cet élément était clairement perceptible. Par suite, il y a lieu de conclure que les requérantes ont prouvé qu’un certain nombre de chaussures sur lesquelles figurait, sous diverses formes, tant l’élément « rich » à un endroit que l’élément « richmond » à un autre endroit, a été produit.

 Sur le deuxième grief

36      Dans le cadre du deuxième grief, les requérantes considèrent, en substance, que la chambre de recours aurait dû reconnaître que l’utilisation conjointe des éléments verbaux « rich » et « richmond » constituait un usage sérieux de la marque contestée ne modifiant pas son caractère distinctif.

37      L’EUIPO conteste les arguments des requérantes.

38      Comme l’a déjà soulevé, en substance, la chambre de recours, au point 26 de la décision attaquée, les éléments « rich » et « richmond » n’apparaissent jamais ensemble, comme c’est le cas dans la marque contestée. L’EUIPO fait valoir, à juste titre, que ces éléments sont toujours placés séparément sur des parties différentes des produits concernés, ce que les requérantes ne contestent pas (voir point 30 ci-dessus). Au vu de cet espacement des deux éléments sur les produits en cause, c’est également à juste titre que l’EUIPO avance qu’ils constituent donc plutôt deux signes autonomes qui ne sont pas utilisés comme une seule marque.

39      Cette considération est corroborée par l’affirmation des requérantes selon laquelle l’élément « richmond » correspond à la marque « maison », alors que l’élément « rich » désigne une sous-marque de celle-ci. Comme l’EUIPO l’observe à juste titre, il ressort de la jurisprudence qu’il est possible que deux ou plusieurs marques fassent l’objet d’un usage conjoint et autonome avec ou sans le nom de la société du fabricant [voir arrêt du 6 novembre 2014, Popp et Zech/OHMI – Müller-Boré & Partner (MB), T‑463/12, non publié, EU:T:2014:935, point 43 et jurisprudence citée]. Une telle pratique consistant à désigner des produits tant par une marque « maison » que par une sous-marque identifiant une ligne de produits précise n’est, en outre, effectivement pas étrangère au secteur de la mode au sens large qui est en cause ici.

40      Cependant, s’il y a lieu d’accepter le fait que l’élément « richmond » désigne la marque « maison », il ne saurait être soutenu qu’il constitue également un élément de la sous-marque qui correspond, selon le raisonnement proposé par les requérantes elles-mêmes, simplement à l’élément « rich ». Par suite, s’il y a lieu d’accepter le fait que ces deux éléments peuvent faire l’objet d’un usage conjoint et autonome, il n’est pas possible de tenir compte de l’un desdits éléments pour apprécier l’usage sérieux de l’autre ou d’une marque dont il constitue une partie, comme c’est le cas de la marque contestée.

41      Il s’ensuit que les éléments de preuve ne portent pas sur l’usage d’une marque unique constituée des éléments « rich » et « richmond », mais sur l’usage conjoint et autonome de ces deux éléments en tant que marques distinctes. Comme le relève à juste titre l’EUIPO, ces éléments ne sont donc pas regroupés en une seule marque comme dans la marque contestée, ni stylisés comme dans celle-ci.

42      En outre, c’est à juste titre que l’EUIPO renvoie, en substance, à la jurisprudence selon laquelle, lorsqu’une marque est constituée ou composée de plusieurs éléments et que l’un ou plusieurs d’entre eux ne sont pas distinctifs, l’omission de ces éléments n’est pas de nature à affecter le caractère distinctif de la marque dans son ensemble (voir point 24 ci-dessus).

43      En l’espèce, étant donné que, aux fins d’apprécier l’usage de l’élément « rich » ou de l’élément « richmond » sur les produits faisant l’objet des éléments de preuve, il n’est pas possible de tenir compte de l’autre élément figurant ailleurs sur ces produits (voir point 40 ci-dessus), il faudrait que l’usage de l’un de ces éléments seul puisse constituer un usage de la marque figurative RICH JOHN RICHMOND et que tous les autres éléments verbaux et tous les aspects visuels de cette marque ne soient pas distinctifs.

44      Or, comme l’avancent les requérantes elles-mêmes, l’élément « richmond », désignant la « marque de maison », est très distinctif. En outre, c’est à juste titre que l’EUIPO fait valoir, d’une part, que l’élément « rich » joue un rôle essentiel dans la marque contestée en raison de sa stylisation, de sa taille et de sa position dans celle-ci, et, d’autre part, que l’élément « john » possède un certain caractère distinctif et ne peut, dès lors, pas être considéré comme négligeable. En définitive, comme le soulève à juste titre l’EUIPO, l’élément verbal « john richmond » est un élément distinctif identifiant le créateur des produits qui ne peut être considéré comme négligeable, au vu de sa stylisation, de sa position et de sa longueur qui le rendent clairement perceptible. Par suite, chacun des trois éléments ayant au moins un certain caractère distinctif, l’omission de l’un d’entre eux est de nature à affecter le caractère distinctif de la marque contestée dans son ensemble.

45      Il s’ensuit que, même s’il y avait lieu d’admettre qu’il soit possible de tenir compte non seulement de l’élément « rich », mais également de l’élément « richmond » figurant ailleurs sur les produits et vice-versa, il manquerait toujours un élément distinctif de la marque contestée, à savoir, l’élément « john ». En outre, s’agissant des aspects visuels de la marque contestée, c’est à juste titre que l’EUIPO rappelle que celle-ci est une marque figurative dans laquelle l’élément verbal « rich » est écrit en lettres majuscules grasses noires et placé au-dessus du second élément verbal « john richmond », écrit plus petit et en lettres majuscules noires plus fines. Cette stylisation particulière ainsi que la grande proximité entre tous ces éléments définissent effectivement la marque contestée. Par suite, le fait que les éléments « rich » et « richmond » soient éparpillés sur les produits en cause ainsi que l’omission de l’élément distinctif « john » suffisent, en tout état de cause, à altérer le caractère distinctif de la marque contestée.

46      Ce constat n’est pas remis en cause par le renvoi des requérantes à l’arrêt du 10 décembre 2015, Sony Computer Entertainment Europe/OHMI – Marpefa (Vieta) (T‑690/14, non publié, EU:T:2015:950). Dans cet arrêt, le Tribunal a, en effet, appliqué la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus et examiné si les éléments figuratifs de la marque contestée dans le cadre de cette affaire, telle qu’elle avait été enregistrée, constituaient un élément distinctif de celle-ci. À cet égard, le Tribunal a, notamment, considéré que le caractère distinctif de la marque contestée provenait essentiellement, non de ses éléments figuratifs, mais de son élément verbal, dès lors que cet élément verbal revêtait un caractère distinctif élevé et occupait une position importante dans l’impression d’ensemble produite par la marque contestée, telle qu’enregistrée, tandis que ses éléments figuratifs n’avaient qu’un caractère distinctif faible et n’occupaient qu’une place accessoire dans cette impression d’ensemble. Le Tribunal a corroboré ce constat factuel avec un renvoi à la jurisprudence de laquelle il découle que, lorsqu’une marque est composée d’éléments verbaux et figuratifs, les premiers sont, en principe, plus distinctifs que les seconds (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2015, Vieta, T‑690/14, non publié, EU:T:2015:950, points 45 à 49).

47      Or, en l’espèce, il ne saurait être considéré que la combinaison des éléments « rich » et « richmond » en une seule marque constitue un aspect figuratif de la marque contestée qui serait négligeable. La scission de ces deux éléments suffit à elle seule à altérer le caractère distinctif de la marque contestée (voir point 45 ci-dessus). En outre, dans une marque complexe comme l’est la marque contestée, il ne saurait être fait abstraction de l’élément « john ». Son omission totale altère également le caractère distinctif de la marque contestée (voir point 44 ci-dessus). Ainsi, la situation du cas de l’espèce se distingue nettement de celle en cause dans l’arrêt du 10 décembre 2015, Vieta (T‑690/14, non publié, EU:T:2015:950).

48      Étant donné que l’utilisation conjointe des éléments « rich » et « richmond » sur différentes parties des produits en cause ne saurait constituer un usage sérieux de la marque contestée qui ne modifierait pas son caractère distinctif, il y a lieu de rejeter également le deuxième grief.

 Sur le troisième grief

49      Dans le cadre du troisième grief, les requérantes se réfèrent à des catalogues RICHMOND qu’elles avaient soumis à titre de preuve d’usage devant l’EUIPO et qui présentent, selon elles, des sacs et accessoires de la ligne RICH JOHN RICHMOND. Les produits qui y sont présentés contiendraient l’élément verbal « rich » visiblement incorporé au dessin du produit. Certaines images de produits montreraient également l’élément verbal « richmond » aux côtés de l’élément « rich ». Cependant, même si l’élément « rich » était le seul visible sur les photographies de produits contenues dans ces catalogues, il n’en demeurerait pas moins qu’un tel produit serait présenté au public dans un catalogue RICHMOND ou dans un magasin RICHMOND, de sorte qu’il n’existerait aucun risque réel de confusion pour le consommateur quant à l’origine desdits produits.

50      L’EUIPO conteste les arguments des requérantes.

51      Au regard des considérations exposées dans le cadre du deuxième grief, un usage de l’élément « rich », sans que celui-ci fasse partie intégrante d’un seul signe d’ensemble dans lequel figure également tant l’élément « richmond » que l’élément « john », constitue un usage qui altère le caractère distinctif de la marque contestée.

52      En particulier, contrairement à ce que les requérantes prétendent, la présentation d’un produit portant l’élément « rich » dans un contexte plutôt large d’un catalogue RICHMOND ou dans un magasin RICHMOND ne permet pas de considérer que la marque utilisée sur un tel produit consiste non seulement en l’élément « rich », mais également en l’élément « richmond ».

53      Il s’ensuit que le troisième grief doit également être rejeté.

 Sur le quatrième grief

54      Par le quatrième grief, les requérantes font valoir que les deux contrats de conception (design agreements) conclus le 20 janvier 2009 entre leur prédécesseur en droit et la société F. prouvent l’usage de la marque contestée par le biais de licences. Il ressortirait de la définition qui en est donnée dans le considérant B des contrats que le terme « marque » englobe également la marque contestée. Selon les requérantes, les deux contrats couvrent des produits visés par la marque contestée et étaient applicables de 2009 à 2020 et donc pour l’intégralité de la période pertinente. Il conviendrait de lire ces contrats de licence ensemble avec les factures adressées par la société F. à des clients en Italie, datées de 2013 et 2014 et concernant des sacs à main et d’autres produits identifiés par l’abréviation « RICH ». Ces documents révèleraient, ensemble, une chaîne évidente d’usage de la marque contestée pour désigner, à tout le moins, des produits compris dans les classes 18 et 25.

55      L’EUIPO conteste les arguments des requérantes.

56      Tout d’abord, il convient de relever que les contrats ne mentionnent pas expressément la marque contestée. Le considérant B des contrats prévoit que le terme « marque » désigne la marque John Richmond ainsi que toute marque et tout signe dérivés de celle-ci, en tout cas toute marque contenant le nom ou le signe Richmond. S’il semble donc possible que le contrat soit également applicable à la marque contestée qui comporte l’élément verbal « rich john richmond », il y a lieu d’observer que les contrats ont été conclus le 20 janvier 2009 et donc avant l’enregistrement de la marque contestée (voir point 1 ci-dessus).

57      En tout état de cause, à défaut de mention expresse de la marque contestée dans les contrats, il ne saurait être affirmé, en l’absence d’autres éléments de preuve concernant ces contrats, qu’ils témoignent d’un usage de la marque contestée.

58      Dans la mesure où les requérantes renvoient, à cet égard, à deux factures adressées, selon elles, par la société F. à des clients en Italie, datées de 2013 et 2014 et concernant des sacs à main et d’autres produits identifiés par l’abréviation « RICH », il convient d’observer que ces factures concernent, en effet, respectivement, 73 et 167 sacs en cuir.

59      Or, premièrement, les listes des produits visés par les deux contrats n’incluent pas des sacs d’une quelconque nature. Se rapportant à des produits différents, les contrats, d’une part, et les factures, d’autre part, ne sauraient donc constituer, comme le prétendent les requérantes, une chaîne évidente d’usage de la marque contestée.

60      Deuxièmement, il apparaît que ces factures ne sont, en effet, pas émises par la société F., mais qu’elles lui sont plutôt adressées par la société M.

61      Troisièmement, à l’instar des contrats, les factures ne mentionnent pas expressément la marque contestée, ni d’ailleurs l’ensemble de ses éléments verbaux. Comme l’EUIPO le fait valoir à juste titre, les factures font uniquement référence au terme « RICH », ce qui ne saurait constituer un usage de la marque contestée sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque contestée dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée.

62      Par suite, le quatrième grief doit être rejeté.

 Sur le cinquième grief

63      Dans le cadre du cinquième grief, les requérantes se réfèrent à certaines pièces qu’elles avaient soumises au cours de la procédure devant l’EUIPO qui portent sur l’usage des éléments verbaux « john richmond ». Si le Tribunal considérait que l’usage conjoint des éléments verbaux « rich » et « richmond » ne suffit pas pour prouver l’usage sérieux de la marque contestée, il s’ensuivrait que l’usage des autres éléments « john richmond » devrait être suffisant pour établir l’usage sérieux de la marque contestée.

64      Au regard des considérations exposées dans le cadre du deuxième grief, un usage de l’élément « john richmond », sans que celui-ci fasse partie intégrante d’un seul signe d’ensemble dans lequel figure également l’élément « rich », constitue un usage qui altère le caractère distinctif de la marque contestée. Le cinquième grief doit donc être rejeté.

 Conclusion

65      Aucun des griefs n’étant fondé, il y a lieu de conclure que les requérantes n’ont pas démontré avoir fait un usage de la marque contestée sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de celle-ci dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée.

 Sur le lieu, la durée et l’importance de l’usage

66      Aux points 35 et 36 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré à juste titre que, indépendamment de la question de savoir si les informations contenues dans les éléments de preuve produits par les requérantes devant l’EUIPO étaient suffisantes quant au lieu, à la durée et à l’importance de l’usage, les requérantes n’avaient pas démontré l’usage sérieux de la marque contestée dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée. Par suite, elle a conclu, à bon droit, que ces éléments ne suffisaient pas à prouver que la marque contestée avait fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union au cours de la période pertinente pour les produits pour lesquels elle avait été enregistrée.

67      Il s’ensuit que le moyen unique doit être rejeté.

 Conclusion

68      Le moyen unique n’étant pas fondé, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’analyser la recevabilité, contestée par l’EUIPO, d’une part, du premier chef de conclusions des requérantes, en ce qu’il vise à obtenir une déclaration selon laquelle la marque contestée reste enregistrée, et, d’autre part, de son troisième chef de conclusions concernant, en substance, le remboursement des taxes et des dépens exposés par les requérantes au cours de la procédure devant la division d’annulation ainsi que devant la chambre de recours.

 Sur les dépens

69      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément, en substance, aux conclusions de l’EUIPO.

70      Par suite, il y a également lieu de rejeter, en tout état de cause, le troisième chef de conclusions des requérantes, par lequel celles-ci demandent au Tribunal de les « décharger du paiement de toutes les taxes et tous les dépens de la procédure de recours et en déchéance, fixés par la deuxième chambre de recours à un montant de 1 360 euros ».

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Fashioneast Sàrl et AM.VI. Srl sont condamnées aux dépens.

Collins

Kreuschitz

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.