Language of document : ECLI:EU:T:2023:503

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Notion d’“homme d’affaires influent” – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑364/22,

Aleksandr Aleksandrovich Shulgin, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes T. Bontinck, F. Bélot, A. Guillerme, L. Burguin et M. Brésart, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme A. Nowak-Salles et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, I. Gâlea et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 15 mai 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Aleksandr Aleksandrovich Shulgin, demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2022/582 du Conseil, du 8 avril 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 55), et du règlement d’exécution (UE) 2022/581 du Conseil, du 8 avril 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 3) (ci-après, ensemble, les « actes initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, ensemble, les « premiers actes de maintien »), et, troisièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75I, p. 1) (ci-après, ensemble, les « seconds actes de maintien » et ensemble avec les actes initiaux et les premiers actes de maintien les « actes attaqués »), en tant que ces actes inscrivent et maintiennent son nom sur les listes annexées audits actes.

I.      Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité russe.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

4        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives interdisant notamment le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale.

6        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

7        Le 25 février 2022, le Conseil a adopté une deuxième série de mesures restrictives applicables notamment dans le domaine de la finance, de la défense, de l’énergie, dans le secteur de l’aviation et de l’industrie spatiale.

8        À la même date, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement (UE) no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause. Selon le considérant 11 de la décision 2022/329, le Conseil a estimé qu’il convenait de modifier les critères de désignation de façon à inclure les personnes et entités qui apportent un soutien au gouvernement de la Fédération de Russie ou qui tirent avantage de ce gouvernement ainsi que les personnes et entités qui lui fournissent une source substantielle de revenus et les personnes physiques ou morales associées aux personnes et aux entités figurant sur la liste.

9        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée »), se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a)      à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;

[…]

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

10      Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

11      L’article 1er, paragraphe 1, sous a) et e), de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et g), de cette même décision.

12      Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), impose l’adoption des mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

13      Dans ce contexte, le 8 avril 2022, le Conseil a adopté les actes initiaux, sur le fondement de l’article 29 TUE et de l’article 215 TFUE.

14      Par ces deux actes, le nom du requérant, M. Aleksandr Aleksandrovich Shulgin, a été ajouté, respectivement, à la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et à celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 modifié (ci-après les « listes en cause »), aux motifs suivants :

« [Le requérant] est un homme d’affaires influent et le PDG [du groupe] Ozon, la principale plateforme de commerce électronique multicatégorie en Russie. Le 24 février 2022, il a participé à la réunion des oligarques au Kremlin avec le président Vladimir Poutine pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il ait été invité à participer à cette réunion montre qu’il fait partie du cercle rapproché des oligarques proches du président Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. En outre, il a une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

15      Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 11 avril 2022 (JO 2022, C 157, p. 11), un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes initiaux. Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes annexées à ces actes, en y joignant des pièces justificatives.

16      Par courriel du 19 avril 2022, le requérant a contesté le bien-fondé de l’inscription de son nom sur les listes en cause et a demandé au Conseil de lui donner accès aux documents ayant servi de fondement à l’adoption des mesures restrictives le concernant.

17      Par lettre du 28 avril 2022, le Conseil a répondu à la demande du requérant visée au point 16 ci-dessus et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 5053/2022, daté du 5 avril 2022 (ci-après le « premier dossier WK »).

18      Le 31 mai 2022, le requérant a introduit une demande de réexamen auprès du Conseil.

19      Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les premiers actes de maintien qui ont prolongé l’application des actes initiaux jusqu’au 15 mars 2023. Les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause ont été modifiés comme suit :

« [Le requérant] est un homme d’affaires influent, et il a été le PDG [du groupe] Ozon, la principale plateforme de commerce électronique multicatégorie en Russie. Le 24 février 2022, il a participé à la réunion des oligarques au Kremlin avec le président Vladimir Poutine pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il ait été invité à participer à cette réunion montre qu’il fait partie du cercle rapproché des oligarques proches du président Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. En outre, il a une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. ».

20      Ainsi, la seule modification au regard des actes initiaux consistait dans l’actualisation de la fonction du requérant, qui n’était plus le PDG du groupe Ozon.

21      Par lettre du 15 septembre 2022, le Conseil a répondu à la demande de réexamen du 31 mai 2022 du requérant, en rejetant cette demande et en lui notifiant sa décision de maintenir son nom sur les listes en cause. Le Conseil a précisé au requérant que ses observations, qui avaient été examinées avec attention, ne permettaient pas de remettre en cause son appréciation selon laquelle il existait des motifs suffisants pour maintenir son nom sur les listes en cause.

22      Par lettres des 15 septembre et 21 octobre 2022, le requérant a demandé au Conseil la communication du dossier ayant servi de fondement à l’adoption des premiers actes de maintien. Par lettre du 27 octobre 2022, le Conseil a répondu au requérant qu’il ne disposait pas de nouveaux éléments de preuve par rapport à ceux contenus dans le premier dossier WK.

23      Par lettre du 31 octobre 2022, le requérant a demandé le réexamen des actes de maintien.

24      Par lettre du 22 décembre 2022, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 1769/2022, daté du 14 décembre 2022 (ci-après le « second dossier WK »).

25      Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté les seconds actes de maintien qui ont prolongé les mesures prises à l’encontre du requérant jusqu’au 15 septembre 2023, sans apporter de modification aux motifs d’inscription de son nom sur les listes en cause par rapport à ceux figurant dans les premiers actes de maintien.

II.    Conclusions des parties

26      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

27      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués dans la mesure où le nom du requérant a été inscrit sur les listes en cause, ordonner, en substance, que les effets de la décision 2022/1530 ainsi que de la décision 2023/572 soient maintenus en ce qui concerne le requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/1529 et du règlement d’exécution 2023/571 prenne effet.

III. En droit

28      À l’appui du recours, le requérant soulève cinq moyens, tirés, le premier, d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux et, le quatrième, d’une violation du principe d’égalité de traitement. Dans les deux mémoires en adaptation, le requérant soulève à l’encontre des premiers et des seconds actes de maintien un cinquième moyen tiré de la violation du droit d’être entendu, de ses droits de la défense et de l’obligation du Conseil de revoir sa décision.

A.      Sur le premier moyen, tiré de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’obligation de motivation

29      Le requérant soutient que la motivation retenue dans les actes attaqués ne lui permettrait pas de se défendre et de comprendre les critères que le Conseil entend appliquer, ni même comment et pourquoi ces critères lui seraient applicables.

30      En substance, premièrement, le requérant déplore l’absence de clarté des motifs en ce que les critères mentionnés dans les actes attaqués divergent de ceux figurant dans le premier dossier WK. Cela engendrerait une confusion quant à la compréhension exacte du critère sur lequel le Conseil entend fonder sa décision. Deuxièmement, l’absence de définition ou de précisions des différentes notions utilisées par le Conseil dans les actes attaqués l’empêcherait de comprendre la portée des allégations qui lui sont reprochées et de se défendre utilement. Troisièmement, la motivation des actes attaqués et le peu de pièces contenues dans les deux dossiers WK ne lui permettraient pas non plus de connaître les raisons individuelles, spécifiques et concrètes de nature à lui donner une indication suffisante pour savoir si les actes attaqués sont bien fondés. Le requérant prétend ne pas être en mesure d’identifier de quelle manière il soutiendrait ou mettrait en œuvre les actions et les politiques de la Russie en Ukraine, ni comment le secteur dans lequel il exercerait une activité fournirait un revenu substantiel au gouvernement russe. Dans la réplique, le requérant fait valoir que le fait que le Conseil n’ait pas convenablement exposé les raisons de l’inscription de son nom sur les listes en cause l’a obligé à réfuter des allégations sans savoir exactement ce qui lui était reproché, et sans permettre au Tribunal de comprendre lesdites allégations en violation de son droit à une protection juridictionnelle effective.

31      Dans les deux mémoires en adaptation, le requérant fait valoir, en substance, que les premiers et les seconds actes de maintien sont entachés des mêmes erreurs que les actes initiaux violant, à nouveau, l’obligation de motivation et son droit à une protection juridictionnelle effective. Tout d’abord, le Conseil ne tire aucune conséquence de l’unique changement dans la situation du requérant, à savoir la démission de toute fonction de membre de direction du groupe Ozon. Or, dès lors que c’est ce qui constituait la base de l’inscription de son nom sur les listes en cause, il estime ne plus pouvoir être valablement qualifié d’homme d’affaires ayant une activité dans un secteur qui prétendument fournit une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Ensuite, le requérant souligne que le Conseil n’a pas expliqué pourquoi il considérait que, à la date d’adoption des premiers et des seconds actes de maintien et des mois après la réunion du 24 février 2022 qui constitue un évènement isolé, il était considéré comme soutenant et mettant en œuvre les actions et les politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Enfin, le requérant relève que le Conseil laisse entendre, dans sa lettre du 14 mars 2023, par laquelle il a indiqué au requérant les raisons pour lesquelles il a maintenu son nom sur les listes en cause, que le requérant était toujours un homme d’affaires influent en raison de ses prétendus liens étroits avec le président Poutine et de sa prétendue appartenance au cercle rapproché de celui-ci. Or, il reproche au Conseil de ne pas expliquer comment cela pourrait signifier qu’il était impliqué dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement russe.

32      Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.

33      Selon une jurisprudence constante, le droit à une protection juridictionnelle effective, affirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite à sa demande. Cela est sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 100 et jurisprudence citée ; arrêt du 21 janvier 2016, Makhlouf/Conseil, T‑443/13, non publié, EU:T:2016:27, point 38).

34      En outre, il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises aux fins d’en apprécier le bien-fondé et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 25 et jurisprudence citée).

35      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 26 et jurisprudence citée).

36      Enfin, il importe de rappeler que la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte, ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application des mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (voir arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 111 et jurisprudence citée).

37      En l’espèce, la motivation retenue à l’égard du requérant dans les actes attaqués est celle exposée aux points 14 et 19 ci-dessus.

38      En premier lieu, il convient de relever que le contexte général, ayant conduit le Conseil à adopter les mesures restrictives en cause, est exposé aux considérants des actes attaqués. De même, il résulte desdits actes l’indication de la base juridique des mesures adoptées par le Conseil, respectivement l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE.

39      En deuxième lieu, il convient de relever que le requérant ne conteste pas qu’il résulte clairement de la lecture de la motivation des actes attaqués que le Conseil a inscrit et maintenu son nom sur les listes en cause en se fondant sur les critères concernant :

–        les « personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques » [critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée, à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 269/2014 modifié ainsi que, en substance, à l’article 1er, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145 modifiée, ci-après le « critère a) » ;

–        les « femmes et hommes d’affaires influents […] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine [et] les personnes physiques et morales […] qui leur sont associés » [critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 modifiée, à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014 modifié ainsi que, en substance, à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la décision 2014/145 modifiée, ci-après le « critère g) »].

40      En troisième lieu, contrairement à ce que fait valoir le requérant, il convient de constater que les raisons, spécifiques et concrètes, ayant conduit le Conseil à procéder à l’inscription et au maintien de son nom sur les listes en cause, sont indiquées de manière suffisamment claire pour lui permettre de les comprendre. Premièrement, s’agissant du critère a), les motifs des actes attaqués soulignent que, compte tenu de sa participation à la réunion du 24 février 2022, il fait partie du cercle proche du président Poutine, et soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine. Deuxièmement, s’agissant du critère g), les motifs des actes attaqués indiquent qu’il est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie de par sa fonction de PDG du groupe Ozon, pour les actes initiaux, et de par son ancienne fonction de PDG du groupe Ozon, pour les premiers et les seconds actes de maintien. Il est en outre mentionné, dans les actes attaqués, que le groupe Ozon est la principale plateforme de commerce électronique.

41      Partant, bien que les critères mentionnés dans les actes attaqués divergent de ceux figurant dans le premier dossier WK, le requérant ne saurait valablement soutenir que cela a engendré une confusion quant à la compréhension exacte du critère sur lequel le Conseil entendait fonder sa décision. D’une part, il y a lieu d’ajouter que, s’il est vrai qu’un critère diffère entre les actes attaqués et le premier dossier WK, il n’en demeure pas moins que les motifs exposés dans les actes attaqués et dans le premier dossier WK sont identiques et exempts d’ambiguïté quant au fait qu’il est reproché au requérant de soutenir ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine en raison de sa participation à la réunion du 24 février 2022. D’autre part, contrairement à ce que prétend le requérant, une lecture combinée des motifs figurant aux points 14 et 19 ci-dessus et des éléments de preuve des deux dossiers WK lui permettait aisément de comprendre ce qui lui était reproché et de se défendre. Cela est d’ailleurs pleinement confirmé par les moyens et les arguments qu’il a soulevés dans ses écritures dont il ressort, d’une part, qu’il a été mis en mesure de connaître les justifications des mesures prises à son égard afin de pouvoir les contester utilement devant le juge de l’Union européenne et, d’autre part, que le contexte dans lequel s’inscrivent les mesures était connu de lui.

42      Enfin, doit être rejetée l’allégation du requérant selon laquelle, en substance, aucun élément de preuve des dossiers WK n’est lié au critère a), en ce qu’elle manque en fait. Il ressort, en effet, d’un élément de preuve de chaque dossier WK que le requérant a participé à la réunion du 24 février 2022. Or, c’est précisément en raison de cette participation que le Conseil considère qu’il fait partie du cercle proche du président Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ou la stabilité et la sécurité en Ukraine.

43      En quatrième lieu, le fait que le Conseil n’ait pas donné de définition ou de précisions des différentes notions utilisées ou encore qu’il n’ait pas exposé de manière détaillée quels auraient été les actes de soutien ou de mise en œuvre des actions et des politiques de la Russie en Ukraine ne saurait conduire à constater une violation de l’obligation de motivation qui lui incombe. En effet, conformément à la jurisprudence rappelée au point 35 ci-dessus, le Conseil n’est pas tenu de spécifier tous les éléments de fait et de droit pertinents, et le requérant a été mis en mesure de comprendre la portée des mesures prises à son égard.

44      Enfin, en cinquième lieu, dès lors que les arguments du requérant, selon lesquels son maintien sur les listes en cause serait illogique puisqu’il a démissionné de ses fonctions au sein du groupe Ozon et que sa participation à la réunion du 24 février 2022 est un évènement isolé, ne tendent pas à remettre spécifiquement en cause le caractère suffisant de la motivation des premiers et des seconds actes de maintien, mais plutôt la légalité au fond de ces actes, ils doivent être examinés dans le cadre du deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation. Il en va de même de l’argument selon lequel le Conseil n’a pas expliqué pourquoi le requérant pourrait toujours être qualifié d’homme d’affaires influent en raison de ses prétendus liens étroits avec le président Poutine et de sa prétendue appartenance au cercle rapproché de celui-ci.

45      Il convient d’en conclure que la motivation des actes attaqués est compréhensible et suffisamment précise pour permettre au requérant de connaître les raisons ayant conduit le Conseil à considérer que l’inscription et le maintien de son nom sur les listes en cause étaient justifiés, et d’en contester la légalité devant le juge de l’Union et pour permettre à ce dernier d’exercer son contrôle, conformément aux règles rappelées aux points 33 à 35 ci-dessus.

46      Il y a donc lieu de rejeter les arguments du requérant selon lesquels la motivation des actes attaqués serait imprécise tant en ce qui concerne le critère a) que le critère g), violant ainsi son droit à une protection juridictionnelle effective et l’obligation de motivation.

47      Dès lors, le premier moyen doit être rejeté.

B.      Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

48      Le requérant conteste pouvoir être tenu pour responsable d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine ou être considéré comme soutenant de telles actions ou politiques. De même, il conteste être un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Cela serait d’autant plus le cas pour les premiers et pour les seconds actes de maintien, dès lors qu’il a démissionné de toute fonction au sein du groupe Ozon avant leur adoption ainsi que cela ressort clairement du second dossier WK. Il fait valoir, en substance, qu’aucune pièce des deux dossiers WK ne permettrait de conclure qu’il remplit les conditions de ces deux critères.

49      Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen. Le critère a) serait rempli dès lors que le requérant ne nie pas avoir participé, le jour du début de la guerre le 24 février 2022, à une réunion avec le président Poutine visant à discuter de la conduite des affaires à la suite des mesures restrictives instaurées par l’Union européenne. En ce qui concerne le critère g), le Conseil estime que le requérant satisfait aux conditions de ce critère compte tenu de ses fonctions au sein du groupe Ozon.

50      À titre liminaire, il importe de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

51      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

52      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

53      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

54      C’est à la lumière de ces règles jurisprudentielles qu’il convient d’examiner le bien-fondé des arguments du requérant.

55      À cet égard, une distinction doit être faite entre les actes initiaux, d’une part, et les actes de maintien, d’autre part, en ce que les premiers visent le requérant en tant que PDG du groupe Ozon, alors que les seconds le visent en tant qu’ancien PDG de ce groupe.

1.      Sur les actes initiaux

56      En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil a produit le dossier WK comportant huit éléments de preuve. Il convient de relever qu’il s’agit d’éléments d’information publiquement accessibles, à savoir :

–        un article de presse du site Internet « tass.ru » de février 2022 (pièce no 1) ;

–        un extrait du site Internet « zonebourse.com » consulté en mars 2022 (pièce no 2) ;

–        un extrait du site Internet « marketscreener.com » consulté en mars 2022 (pièce no 3) ;

–        des informations relatives au groupe Ozon figurant sur le site Internet « wikipedia.org » consulté en mars 2022 (pièce no 4) ;

–        des pages extraites du site Internet officiel du groupe Ozon dont l’une est datée de juin 2021 et a été consultée en mars 2022 (pièce no 5) et l’autre a été consultée en mars 2022 (pièce no 6) ;

–        un article de presse du site Internet « reuters.com » de mars 2022 (pièce no 7) ;

–        un article de presse du site Internet « themoscowtimes.com » de février 2022 (pièce no 8).

a)      Sur lapplication au requérant du critère a)

57      À titre liminaire, il y a lieu de relever que le requérant reconnaît, dans la requête et la réplique, qu’il ressort des motifs contenus dans les actes initiaux que ce critère lui a été appliqué.

58      Le motif retenu dans les actes initiaux qui se rattache au critère a) résulte du fait que, en sa qualité de PDG du groupe Ozon, il a participé à la réunion du 24 février 2022 avec le président Poutine et il ferait partie du cercle rapproché des oligarques proches du président Poutine (voir points 14 et 19 ci-dessus).

59      Il y a donc lieu d’examiner s’il ressort du dossier WK que le requérant était responsable, à la date d’adoption des actes initiaux, d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine, voire qu’il soutenait ou mettait en œuvre de telles actions ou politiques, ou, à tout le moins, si les éléments figurant dans ce dossier peuvent constituer un faisceau d’indices au sens de la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus.

60      À cet égard, il importe de constater d’emblée que le Conseil ne conteste pas que la seule justification apportée, pour inscrire le nom du requérant sur les listes en cause, au titre du critère a) est constituée de la pièce no 1.

61      Il ressort de cet élément de preuve que des « représentants de grandes entreprises ont participé à une [réunion] jeudi [24 février 2022] avec le président Poutine ». Il est en outre indiqué que la « conversation a eu lieu au […] Kremlin » et que « [c]ertains des hommes d’affaires présents à [cette] réunion ont été récemment inclus dans les nouvelles listes de sanctions de l’Union européenne ». Par ailleurs, il contient une liste des personnes ayant participé à [ladite] réunion, dont fait partie le requérant en sa qualité de « directeur général d’Ozon », ce que ne conteste au demeurant pas le requérant.

62      Il y a donc lieu de constater que la pièce no 1 se limite à relater que des hommes d’affaires représentant de grandes entreprises, dont fait partie le requérant, ont rencontré le président Poutine et que certains d’entre eux ont fait l’objet de sanctions.

63      Or, force est de considérer que de telles informations ne sauraient suffire à justifier, à elles-seules, l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, au titre du critère a). En effet, ainsi que le soutient en substance le requérant, le Conseil ne saurait inférer, du seul fait qu’il ait participé à une réunion organisée par le président Poutine réunissant des représentants de grandes entreprises, qu’il aurait pu éventuellement être tenu pour responsable d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine, ou considéré comme soutenant de telles actions ou politiques. Par ailleurs, à supposer que le fait d’être un oligarque ou de faire partie du cercle rapproché du président Poutine puisse être pris en compte aux fins du critère a), ni la pièce no 1 ni le premier dossier WK ne contiennent d’informations de nature à laisser entendre que les participants à cette réunion étaient des oligarques, ni qu’ils faisaient partie du cercle rapproché du président Poutine. De même, il ne ressort nullement de la pièce no 1 ou du premier dossier WK, dans quelles conditions et quand cette réunion avait été organisée, ni quel avait été le contenu des discussions tenues lors de cette réunion.

64      À défaut d’élément de preuve additionnel figurant dans le premier dossier WK qui serait susceptible d’étayer, voire de suggérer, que le requérant fait partie du cercle rapproché des oligarques proches du président Poutine et qu’il soutient des actions ou des politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine, il y a donc lieu de considérer que le Conseil n’a pas apporté, au sens de la jurisprudence rappelée au point 52 ci-dessus, dans le cadre du premier dossier WK, d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles d’étayer de manière suffisante le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause au titre du critère a).

65      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments du Conseil invoqués dans ses écritures et lors de l’audience selon lesquels, en substance, son soutien aux actions ou aux politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine serait corroboré, d’une part, par la transcription officielle de la réunion fournie par le requérant à l’annexe A.45 à la requête et, d’autre part, par les informations fournies par celui-ci à l’annexe A.22 à la requête, selon lesquelles le groupe Ozon dispose de plusieurs points de collecte en Crimée.

66      En effet, il y a lieu de rappeler que c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voit point 53 ci-dessus). En outre, selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté. Le Conseil ne peut, par conséquent, invoquer devant le Tribunal, pour justifier le bien-fondé de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause et celui de son maintien, des éléments sur lesquels il ne s’est pas fondé lors de l’adoption des actes attaqués (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2021, Al Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 69 et jurisprudence citée).

67      Dans ces conditions, sauf à admettre une substitution de motifs, il ne saurait être admis que le Conseil se prévale des informations contenues dans les annexes A.22 et A.45 à la requête pour justifier le bien-fondé des actes attaqués, alors que de telles informations ne se rattachent ni aux éléments de preuve figurant dans le premier dossier WK, ni aux motifs desdits actes. En tout état de cause, indépendamment de la question de savoir si ces informations sont fiables et si elles ont été effectivement prises en considération par le Conseil au moment de l’adoption des actes initiaux, force est de constater qu’aucune d’entre elles n’apporte des précisions suffisamment étayées sur le requérant et son soutien aux actions ou aux politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine.

68      Il résulte des considérations qui précèdent que le requérant ne saurait être considéré comme soutenant ou mettant en œuvre des actions ou des politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine. Partant, le premier motif d’inscription des actes initiaux qui se rattache au critère a) n’est pas suffisamment étayé.

69      Il convient, dès lors, d’examiner le second motif d’inscription.

b)      Sur lapplication au requérant du critère g)

70      À titre liminaire, il y a lieu de relever que le requérant reconnaît, dans la requête et la réplique qu’il ressort des motifs contenus dans les actes initiaux que le critère de l’« homme d’affaires influent » lui a été appliqué.

71      Le motif retenu dans les actes initiaux à l’égard du requérant qui se rattache au critère g) a trait au fait que, à la date des actes initiaux, il était PDG du groupe Ozon qui est la principale plateforme de commerce électronique multicatégorie en Russie.

72      Le requérant conteste pouvoir être qualifié d’homme d’affaires influent. En substance, il considère que l’interprétation du terme « influent » que propose le Conseil est trop vaste, dans la mesure où elle ne fait pas référence à une importance de type économique ou décisionnelle, de sorte qu’elle ne permet pas au requérant de comprendre en quoi il aurait ce statut. Par ailleurs, il fait valoir qu’il a accédé à ses fonctions au sein du groupe Ozon par ses propres mérites et que lesdites fonctions ne lui conféraient qu’un pouvoir décisionnel limité au sein de ce groupe.

73      Il convient donc de vérifier si l’ensemble des éléments de preuve soumis par le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe et constitue un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer ce motif d’inscription des actes initiaux.

74      S’agissant de la notion d’« hommes d’affaires influent », elle doit être comprise comme visant l’importance de ces derniers au regard notamment de leur statut professionnel et de leurs activités économiques.

75      En effet, il y a lieu de relever que le terme « influent » est rendu dans les versions linguistiques autres que française de la décision 2014/145 et du règlement n°°269/2014, notamment en anglais, en allemand, en slovène, en roumain, en hongrois, en espagnol, en portugais et en néerlandais, respectivement par les termes suivants : « leading », « führende », « vodilne », « imortanţi », « vezetö », « principales », « proeminentes » et « vooraanstaande ».

76      Contrairement à ce qu’a prétendu le requérant lors de l’audience, l’emploi des termes mentionnés au point 75 ci-dessus met en évidence que par l’emploi de l’adjectif « influent », le législateur de l’Union a désigné tout homme d’affaires important, qui figure en tête du classement des hommes d’affaires les plus riches de Russie ou qui, bien que ne figurant pas en tête d’un tel classement, peut se voir attribuer un tel qualificatif, du fait notamment de l’importance de ses possessions capitalistiques ou de ses fonctions au sein d’une ou de plusieurs grandes entreprises.

77      À cet égard, en premier lieu, il est constant entre les parties que, jusqu’au 11 avril 2022, le requérant était directeur exécutif du conseil d’administration de Ozon Holdings PLC et PDG du groupe Ozon et que, jusqu’au 28 avril 2022, il occupait les fonctions de directeur général de Ozon Holding LLC et Internet Solutions LLC. Ces éléments sont confirmés dans la requête et se trouvent notamment dans les pièces nos 2 à 6.

78      En deuxième lieu, il est également constant entre les parties que le groupe Ozon est l’un des leaders du marché russe du commerce électronique ayant connu une croissance rapide et qu’il est coté au Nasdaq. Ces éléments sont confirmés dans la requête et se trouvent notamment dans les pièces nos 4 à 6 et 8.

79      En troisième lieu, il convient de souligner que le requérant était présent lors de la réunion du 24 février 2022 organisée par le président Poutine et réunissant plusieurs hommes d’affaires russes (pièce no 1). Or, bien que n’étant pas à lui seul déterminant, cet élément corrobore le caractère d’homme d’affaires influent du requérant. En effet, le Conseil relève, sans être contredit par le requérant, que parmi tous les hommes d’affaires actifs en Russie, seulement 37 ont été conviés à cette réunion.

80      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant est un homme d’affaires influent, en raison de l’importance de son statut et de ses fonctions au sein du groupe Ozon.

81      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument avancé par le requérant selon lequel, en substance, il a accédé à ses fonctions au sein du groupe Ozon par ses propres mérites et que lesdites fonctions ne lui conféraient qu’un pouvoir décisionnel limité au sein de ce groupe. En effet, le Conseil a apporté un faisceau d’indices permettant de considérer que, en raison des hautes responsabilités qui résultent des postes du requérant, de l’importance du groupe Ozon sur le marché russe et de la présence du requérant à la réunion du 24 février 2022 en tant que représentant de ce groupe, il ne saurait être considéré comme un « simple » employé de ce groupe. Par ailleurs, s’agissant du prétendu pouvoir décisionnel limité du requérant, quand bien même il n’aurait pu prendre de décision stratégique seul comme il le prétend, il convient de considérer que le pouvoir d’influence et la responsabilité qui sont supposés résulter de fonctions telles que celles occupées par le requérant impliquent nécessairement une participation du requérant dans les activités menées par le groupe Ozon (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 131 et jurisprudence citée).

82      Il convient donc d’examiner si le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que le requérant était un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

83      À titre liminaire, il convient de souligner que le critère g) doit être interprété en ce sens qu’il vise les revenus fournis par le secteur dans lequel le requérant a une activité, et non ceux du groupe dans lequel il est impliqué, ainsi que cela ressort clairement des différentes versions linguistiques, et notamment par les versions anglaise, allemande, italienne, néerlandaise et hongroise.

84      En l’espèce, contrairement à ce que prétend le requérant, il ressort clairement tant des motifs des actes attaqués que du dossier WK, que le secteur dans lequel le requérant exerce son activité est celui du commerce électronique.

85      À cet égard, il convient de relever qu’il ressort du point 74 ci-dessus que le groupe Ozon, au sein duquel le requérant occupait des fonctions de premier plan en tant que PDG, est l’un des leaders du marché russe du commerce électronique et que ce groupe est coté au Nasdaq.

86      Il ressort de la pièce no 4 que le groupe Ozon a été qualifié comme étant l’équivalent de la société Amazon en Russie. Ce groupe a en effet débuté son activité de vente de livres en ligne en 1998 et s’est étendu, comme Amazon, à d’autres activités pour devenir l’une des trois plus grandes plateformes de commerce électronique en Russie en 2019 et la troisième société Internet la plus importante de Russie en 2020.

87      En premier lieu, s’agissant de la diversification des activités du groupe Ozon, les pièces no 5 à 8 mentionnent les secteurs de la technologie, de la logistique, du voyage, de la technologie financière ou des services aux marchands.

88      Il ressort de la page extraite du site Internet du groupe Ozon (pièce no 6), premièrement, que ce groupe exploite la principale agence de voyages en ligne de Russie et qu’il détient une participation dans la plus grande plateforme russe de livres électroniques. Deuxièmement, il est indiqué que le groupe Ozon s’efforce d’utiliser la technologie, la logistique et l’innovation pour toujours avoir une longueur d’avance sur les besoins de ses clients. En outre, il est mentionné que ce groupe aide non seulement les petites et moyennes entreprises en leur fournissant une plateforme de croissance et de développement, mais aussi les clients à trouver des produits uniques auprès de vendeurs de toutes tailles sur un marché unique. Enfin, il est également mentionné que ce soutien renforce les liens entre les acheteurs et les producteurs locaux, ce qui stimule le développement de l’économie russe et offre des opportunités aux entrepreneurs. La pièce no 7 mentionne en outre que le groupe Ozon a acquis 100 % du capital d’une banque et qu’il constatait une forte demande pour ses services financiers.

89      En deuxième lieu, s’agissant du secteur du commerce électronique et de la place que le groupe Ozon y occupe, il ressort des pièces nos5, 6 et 8 que ce groupe a presque doublé de valeur, qu’il a augmenté son chiffre d’affaires et son capital social de l’ordre de 1,2 milliard et 750 millions de dollars des États-Unis (USD), entre novembre 2020 et début 2021, en raison de son introduction en bourse et des placements privés (pièce no 8). En outre, il ressort des pièces nos 6 et 8 que, sans compter les indicateurs liés à l’agence de voyages en ligne, la valeur brute de marchandises a augmenté de 125 % pour atteindre 6 milliards de USD et qu’ont été livrées plus de 220 millions de commandes, à savoir trois fois plus qu’en 2020. D’après cette même pièce, le groupe Ozon a déclaré qu’il comptait sur plus de 25 millions de clients mensuels d’ici à la fin de l’année 2021. Il en ressort, également, que le groupe Ozon a continué d’investir pour développer sa capacité logistique tout au long de l’année pour disposer d’un vaste réseau d’entrepôts de traitement et de stockage, ainsi que de « dark store » et de points de ramassage, de casiers et de services de courrier. Le requérant aurait d’ailleurs déclaré que les résultats ont été fantastiques et étaient le fruit des progrès incroyables du groupe dans la culture d’habitudes d’achats à haute fréquence parmi ses clients. Enfin, la pièce no 4 indique également que le groupe Ozon employait 10 000 personnes en Russie en 2020.

90      Au vu de la diversité de ces activités en Russie, notamment de sa place de principale plateforme de commerce électronique créant des activités commerciales pour de nombreux acteurs de l’économie russe, du nombre de personnes qu’il emploie directement et indirectement, de sa position sur le marché russe comme principal groupe dans le secteur commerce électronique, il y a lieu de considérer que ce dernier contribue à différents secteurs de l’économie russe.

91      Or, les secteurs de l’économie dans lesquels le requérant a des activités sont stratégiques en terme de croissance économique. D’ailleurs, il ressort de la page extraite du site Internet du groupe Ozon (pièce no 6) que ce groupe reconnaît lui-même stimuler le développement de l’économie russe et offrir des opportunités aux entrepreneurs. Il y a donc lieu de tenir compte du développement économique résultant de l’expansion de ce secteur qui entraîne des investissements dans d’autres secteurs stratégiques. En effet, un groupe comme Ozon représente un écosystème qui dessert des dizaines de millions de consommateurs et d’entreprises en Russie et qui a vocation à développer de manière croissante ses produits et ses services sur tout le territoire russe.

92      Il y a lieu d’ajouter qu’il découle de la pièce no 8 que le secteur du commerce électronique connaît une croissance exponentielle. En effet, s’agissant de l’année 2021, il y est mentionné, premièrement, que les leaders russes de la vente au détail en ligne ont doublé leurs ventes, deuxièmement, que plusieurs grandes entreprises russes de commerce électronique ont annoncé des résultats impressionnants poursuivant leur croissance rapide depuis le début de la pandémie de coronavirus, troisièmement, que le marché russe de la vente au détail en ligne a augmenté de 40 % au cours de l’année et, quatrièmement, que certains leaders de ce marché, dont le groupe Ozon, ont largement surpassé. Il y a d’ailleurs lieu de souligner que, ne serait-ce qu’en ce qui concerne le groupe Ozon, il ressort de cette même pièce no 8 que la valeur brute de marchandises a augmenté de 125 % en 2021 pour atteindre 6 milliards de USD et que plus de 220 millions de commandes ont été livrées, à savoir trois fois plus qu’en 2020.

93      Enfin, il y a lieu de souligner qu’il ressort de l’annexe A. 28 à la requête et ainsi que cela a été mentionné également lors de l’audience, qu’il est prévu que le marché du commerce électronique atteigne d’ici à 2026 environ 181 milliards de USD. Il est vrai, comme le souligne le requérant dans la réplique, que ces chiffres ne font que représenter la croissance de la vente en ligne et la taille estimée du marché russe du commerce électronique en 2026, et non les contributions fiscales du secteur. Il n’en demeure pas moins que ces chiffres corroborent la pièce no 8 et le fait que le secteur du commerce électronique connaît un accroissement exponentiel qui fournit nécessairement une source de revenus substantielle au gouvernement de la Fédération de Russie.

94      Certes, il est vrai que ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié ne définit cette notion de « source substantielle de revenus ». Il convient cependant de relever que l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc non négligeable. De même, le Conseil n’a pas fourni de données chiffrées des revenus procurés à ce gouvernement. Toutefois, force est de constater que les secteurs d’activités dans lesquels il est impliqué fournissent directement ou à tout le moins, indirectement, une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, ne serait-ce que par le paiement des impôts indirects payés par les consommateurs sur les biens et les services.

95      À cet égard, ainsi que l’a réitéré à juste titre le Conseil lors de l’audience, il importe de relever que, quand bien même ces impôts seraient payés uniquement par les consommateurs, il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent être une source de revenus substantielle, et que rien dans le libellé du critère g) ne permet d’exclure la prise en compte de tels impôts. En effet, rien ne semble s’opposer à ce qu’il soit tenu compte de toute source de revenu que le gouvernement russe tire des activités du secteur concerné, y compris la TVA, ainsi que tout autre revenu directement ou indirectement versé au budget de l’État russe lié audit secteur.

96      Partant, eu égard, d’une part, aux fonctions du requérant au sein du groupe Ozon et, d’autre part, aux d’activités de ce groupe, il y a lieu de considérer que le requérant est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

97      Il y a donc lieu d’en conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

98      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments du requérant.

99      Premièrement, il fait valoir, en substance, que le secteur du commerce électronique ne représenterait qu’une contribution fiscale insignifiante par rapport aux recettes fiscales totales du budget de la Fédération de Russie. Tout d’abord, quand bien même cela serait établi, il n’en demeure pas moins que, bien que moins importante que d’autres recettes fiscales, elle peut s’avérer substantielle. D’ailleurs, force est de constater que l’application du critère g) n’implique pas nécessairement que le Conseil prenne en compte la totalité des recettes fiscales du budget de l’État russe, mais qu’il vérifie si le secteur économique dans lequel le requérant a ses activités constitue une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Ensuite, cet argument fait abstraction du paiement des impôts indirects. Enfin, en tout état de cause, cet argument ne tient pas compte du fait que le secteur du commerce en ligne et l’activité du groupe Ozon stimulent le développement de l’économie russe ainsi que cela ressort notamment de la pièce no 6 (voir point 88 ci-dessus), offrent des opportunités aux entrepreneurs et entraînent des investissements dans d’autres secteurs stratégiques. Par ailleurs, doit être rejeté comme inopérant l’argument du requérant selon lequel, en substance, le Conseil n’aurait pas démontré que le groupe Ozon aurait fourni des revenus substantiels au gouvernement de la Fédération de Russie. En effet, il suffit de constater à cet égard que le critère g) vise les revenus fournis par le secteur dans lequel le requérant a une activité et non ceux du groupe dans lequel il est impliqué (voir point 83 ci-dessus).

100    Deuxièmement, doit être rejeté l’argument du requérant selon lequel, malgré sa position de leader sur le marché russe du commerce électronique, le groupe Ozon a enregistré des pertes importantes au cours des dernières années. En effet, à supposer que le groupe ait effectivement subi des pertes, il suffirait de constater, d’une part, que le critère g) se réfère aux revenus fournis par le secteur et non par l’entreprise opérant dans ce secteur et, d’autre part, que ce fait n’a aucune incidence notamment sur les impôts indirects générés par le secteur en cause.

101    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le Conseil pouvait à bon droit considérer que le requérant remplissait le critère g) pour les actes initiaux.

102    Il résulte des considérations qui précèdent que le deuxième moyen doit être rejeté en ce qui concerne les actes initiaux.

2.      Sur les premiers et les seconds actes de maintien

103    À titre liminaire, force est de constater que les motifs du maintien du nom du requérant sur les listes en cause sont demeurés les mêmes que ceux des actes initiaux, exception faite pour la mise à jour relative à ses fonctions de PDG du groupe Ozon (voir points 19, 20 et 25 ci-dessus). Il y a lieu d’ajouter que, pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes en cause dans les premiers actes de maintien, le Conseil s’est fondé sur les mêmes éléments de preuve que ceux figurant dans le premier dossier WK (voir point 22 ci-dessus). S’agissant des seconds actes de maintien, le Conseil s’est également fondé sur trois éléments de preuve supplémentaires, consistant en trois articles. Le premier mentionne la participation du requérant à la réunion du 24 février 2022 et les deux autres portent sur la démission du requérant de ses fonctions au sein du groupe Ozon.

104    Il convient donc de vérifier si l’ensemble des éléments de preuve soumis par le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe et constitue un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer les motifs d’inscription des actes de maintien.

a)      Sur lapplication au requérant du critère a)

105    S’agissant de ce critère, il ressort des points 57 à 68 ci-dessus, que le Conseil est resté en défaut d’apporter un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles d’étayer de manière suffisante le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, au titre du critère a) quand il occupait les fonctions de PDG du groupe Ozon. Or, s’agissant des premiers actes de maintien, dès lors qu’il n’est pas contesté que le requérant n’occupait plus les fonctions de PDG du groupe Ozon au jour de l’adoption des actes de maintien et que le Conseil n’a apporté aucun élément de preuve supplémentaire par rapport à ceux sur lesquels il s’était fondé dans le cadre des actes initiaux, à savoir la pièce no 1 mentionnant qu’il avait participé à la réunion le 24 février 2022 avec le président Poutine, la conclusion tirée au point 68 ci-dessus vaut a fortiori pour les premiers actes de maintien. Cette conclusion vaut également pour les seconds actes dès lors que, dans le second dossier WK, le Conseil s’est à nouveau borné à fournir un article mentionnant que le requérant a participé à cette réunion.

106    Partant, le premier motif d’inscription des actes de maintien qui se rattache au critère a) n’est pas suffisamment étayé.

107    Il convient, dès lors, d’examiner le second motif d’inscription.

b)      Sur lapplication au requérant du critère g)

108    Le requérant estime que les actes de maintien sont entachés d’une erreur d’appréciation dès lors que le Conseil n’a tiré aucune conséquence du changement de sa situation personnelle. Selon lui, le fait qu’il n’occupe plus aucune fonction au sein du groupe Ozon, ce qui constituait le fondement de son inscription initiale sur les listes en cause, ferait obstacle à ce qu’il soit qualifié d’homme d’affaires influent au sens du critère g) dans les actes de maintien.

109    Le Conseil conteste les arguments du requérant et fait valoir, en substance, avoir procédé à une appréciation actualisée tant de la situation en Ukraine que de la situation personnelle du requérant, au terme de laquelle il a considéré que ce dernier pouvait toujours être qualifié d’homme d’affaires influent.

110    Il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67 et jurisprudence citée).

111    Pour justifier le maintien du nom d’une personne sur la liste, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur la liste pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’ait pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. Ce contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 et jurisprudence citée).

112    D’emblée, il y a lieu de relever que, s’il est vrai que le contexte général de la situation de l’Ukraine en ce qui concerne les menaces à son intégrité territoriale, à sa souveraineté et à son indépendance est resté inchangé depuis l’adoption des actes initiaux, il n’en est pas de même en ce qui concerne la situation du requérant.

113    Il convient donc de vérifier si, conformément à la jurisprudence citée au point 110 ci-dessus, le Conseil a dument tenu compte de l’évolution de la situation du requérant aux fins de décider du maintien de son nom sur les listes en cause. À cette fin, il convient donc d’examiner s’il ressort des deux dossiers WK que le requérant pouvait être qualifié, à la date d’adoption des premiers et des seconds actes de maintien, d’homme d’affaires influent au sens du critère g) ou, à tout le moins, si les éléments figurant dans lesdits dossiers peuvent constituer un faisceau d’indices au sens de la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus.

114    En l’espèce, force est de constater que la base factuelle du motif retenu dans les actes de maintien à l’égard du requérant, qui se rattache au critère g), se réfère exclusivement à ses anciennes fonctions de PDG du groupe Ozon.

115    Or, si de telles fonctions pouvaient suffire à justifier, en elles-mêmes, l’inscription initiale du nom du requérant (voir points 70 à 102 ci-dessus), il n’en est pas de même pour ce qui est du maintien de son nom sur les listes en cause, qui se fondent sur un réexamen périodique des mesures restrictives afin de permettre au Conseil de tenir compte des éventuels changements de circonstances concernant, notamment, la situation individuelle des personnes visées par celles-ci. En effet, les premiers et les seconds actes de maintien représentent l’aboutissement de cet exercice de réexamen périodique.

116    Premièrement, le Conseil ne saurait présumer, du seul fait que le requérant a été PDG du groupe Ozon lors de l’inscription initiale de son nom sur les listes en cause, qu’il peut être qualifié d’hommes d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, même plusieurs mois après avoir quitté ses fonctions au sein du groupe Ozon. En effet, cela conduirait à figer la situation du requérant et à priver de tout effet utile l’exercice de réexamen périodique prévu, notamment, à l’article 6, troisième alinéa, de la décision 2014/145 et à l’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014, tels que modifiés (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2021, Ghaoud/Conseil, T‑700/19, non publié, EU:T:2021:576, point 85 et jurisprudence citée).

117    Deuxièmement, il n’est pas non plus possible de considérer que le seul fait que le requérant était PDG du groupe Ozon, dans un passé peu éloigné de l’adoption des actes de maintien, puisse constituer une preuve suffisante de ce que sa qualité d’homme d’affaires influent perdurait. En effet, il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 52 ci-dessus que le bien-fondé du maintien du nom du requérant sur les listes en cause doit être examiné dans son contexte global et non de manière isolée.

118    Il est vrai qu’il ne saurait être exclu d’emblée que l’ancien PDG d’un grand groupe tel qu’Ozon puisse toujours être qualifié d’homme d’affaires influent, même après sa démission, qui plus est lorsque cette démission est concomitante de son inscription initiale sur les listes en cause. Toutefois, lorsque l’existence de cette qualification est contestée, il appartient au Conseil d’avancer des indices suffisamment probants permettant raisonnablement de considérer que l’intéressé exerce toujours une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, justifiant l’inscription de son nom sur la liste, même après sa démission (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 150 et jurisprudence citée).

119    Le Conseil n’a cependant fourni aucun élément probant relatif au requérant dans les deux dossiers WK ou dans le cadre du présent recours permettant d’expliquer les raisons pour lesquelles celui-ci devait être considéré comme étant toujours un homme d’affaires influent au sens du critère g). Il se borne à alléguer, dans ses observations sur les deux mémoires en adaptation et lors de l’audience, que, malgré sa démission, rien ne suggère que le requérant ne détiendrait plus les participations dans le groupe Ozon d’une valeur de 122 millions de USD, ce qui serait suffisant pour le qualifier d’homme d’affaires influent. À cet égard, le Conseil soutient, en substance, que, s’il est vrai que cet élément d’information ne peut être pris en compte pour apprécier la légalité des actes initiaux dès lors qu’il n’en avait pas connaissance lors de leur adoption, tel n’était pas le cas s’agissant de l’adoption des premiers et des seconds actes de maintien, puisque cette information figurait dans les annexes à la requête.

120    Une telle allégation ne saurait toutefois prospérer. Il convient de relever que, bien que le Conseil prétende en avoir eu connaissance lors de l’adoption des premiers et des seconds actes de maintien, cet élément d’information ne se rattache pas aux motifs des actes de maintien et ne figure nullement ni dans les motifs desdits actes ni dans l’un des deux dossiers WK, ainsi que l’a d’ailleurs reconnu le Conseil lors de l’audience. Or, sauf à admettre une substitution de motifs, il y a lieu de rappeler qu’il ne saurait être admis que le Conseil se prévale d’une information contenue dans les annexes à la requête pour justifier le bien-fondé des actes de maintien, alors qu’une telle information ne se rattache ni aux motifs desdits actes ni aux éléments de preuve figurant dans les dossiers WK, comme c’est le cas en l’espèce (voir point 67 ci-dessus). En tout état de cause, indépendamment de la question de savoir si cette information est fiable et si elle a été effectivement prise en considération par le Conseil au moment de l’adoption des actes de maintien, elle n’est suffisamment étayée pour démontrer que le requérant peut toujours être qualifié d’homme d’affaires influent au sens du critère g).

121    Troisièmement, à supposer que le Conseil considère que le requérant est toujours un homme d’affaires influent en raison de ses prétendus liens étroits avec le président Poutine et de sa prétendue appartenance au cercle rapproché de celui-ci, comme pourrait le laisser entendre la lettre du Conseil du 14 mars 2023, une telle considération ne peut qu’être rejetée. En effet, indépendamment de la circonstance que cela ne figure ni dans les motifs des actes de maintien ni dans les deux dossiers WK, force est de constater que le Conseil n’explique nullement comment le fait de faire partie du cercle rapproché du président Poutine, à le supposer avéré, permet de considérer que le requérant exerce une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie au sens du critère g).

122    Il résulte des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’accueillir partiellement le deuxième moyen et d’annuler, par conséquent, les premiers et les seconds actes de maintien en ce qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres arguments et sur les autres moyens invoqués par ce dernier à leur égard.

123    Les autres moyens du recours seront donc examinés uniquement en ce qu’ils visent les actes initiaux.

C.      Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux

124    Le requérant fait valoir, en substance, que l’inscription de son nom sur les listes en cause constitue une limitation injustifiée et disproportionnée de ses droits fondamentaux, au rang desquels figurent, notamment, le droit à la vie privée. Il ajoute que le Conseil n’a pas expliqué en quoi les mesures restrictives le concernant seraient nécessaires, appropriées et pourraient exercer une pression sur les autorités russes. Il observe, en substance, qu’il n’est partie prenante d’aucune action liée à l’Ukraine et qu’il n’est pas lié au gouvernement russe ou aux décideurs russes. Par ailleurs, il estime que l’interprétation du critère g) par le Conseil serait disproportionnée, car elle permettrait de sanctionner sur cette seule base toutes les personnes physiques qui sont employées dans une entreprise qui exerce dans un secteur donnant lieu à des contributions fiscales conséquentes. Enfin, il considère que les actes attaqués l’auraient forcé à démissionner portant ainsi atteinte à sa carrière et à sa réputation.

125    Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.

126    Il convient de rappeler que le droit au respect de la vie privée fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré par l’article 7 de la Charte. De même, à supposer qu’il faille considérer que le requérant se prévale de sa violation, la liberté d’entreprise est consacrée à l’article 16 de cette Charte.

127    En l’espèce, les mesures restrictives en cause constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur droit au respect de leur vie privée ou de leur liberté d’entreprise. Toutefois, elles affectent incontestablement une restriction de l’usage du droit au respect de la vie privée et de la liberté d’entreprise du requérant (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 115 et jurisprudence citée).

128    Cependant, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, dans le droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société (voir arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 113 et jurisprudence citée).

129    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

130    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à quatre conditions. Premièrement, elle doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre les droits fondamentaux d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel de ces droits. Troisièmement, ladite limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 69 et 84 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, point 140 et jurisprudence citée).

131    En l’espèce, ces quatre conditions sont remplies s’agissant des actes initiaux.

132    En effet, en premier lieu, les mesures restrictives en cause que les autres actes attaqués comportent pour le requérant sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, ainsi que d’une motivation suffisante en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application au requérant (voir points 29 à 47 ci-dessus) (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée). De plus, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, il a été établi que la motivation des actes initiaux permettait de conclure que le Conseil pouvait légitimement inscrire le nom du requérant sur les listes en cause (voir point 100 ci-dessus).

133    En deuxième lieu, en ce qui concerne la question de savoir si la limitation en cause respecte le « contenu essentiel » desdits droits fondamentaux, il y a lieu de constater que les mesures restrictives imposées sont limitées dans le temps et sont réversibles (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Oblitas Ruzza/Conseil, T‑551/18, non publié, EU:T:2021:453, point 96 et jurisprudence citée).

134    Tout d’abord, en vertu de l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée, les listes en cause font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées.

135    Ensuite, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée, ainsi que l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques. En outre, dans la mesure où les actes attaqués n’ont pas pour effet de confisquer les biens du requérant, il y a lieu de considérer que de telles mesures ne revêtent aucun caractère pénal.

136    Enfin, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

137    En troisième lieu, les mesures restrictives en cause visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Or, il s’agit là d’un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes de droit international, ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale et de la protection des populations civiles.

138    En quatrième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler que ce dernier, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 178 et jurisprudence citée).

139    La jurisprudence précise à cet égard que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 179 et jurisprudence citée).

140    En l’espèce, en ce qui concerne le caractère apte à réaliser les objectifs poursuivis des mesures en cause, d’une part, il y a lieu de relever que, au regard de l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause, les conséquences négatives résultant de leur application au requérant ne sont pas manifestement démesurées (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 71, et du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 116).

141    Il en est ainsi d’autant plus que, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, il a été établi que les mesures restrictives adoptées dans le cadre des actes initiaux à l’égard du requérant étaient justifiées, au motif que sa situation permettait de considérer qu’il remplissait les conditions pour l’application du critère g).

142    D’autre part, le fait que le requérant n’ait pas eu un rôle direct dans des actions menées à l’encontre de l’Ukraine est sans pertinence, puisqu’il ne s’est pas vu imposer des mesures restrictives pour cette raison, mais en raison du fait qu’il est un homme d’affaires influent intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

143    En ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures restrictives en cause, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, à savoir l’exercice d’une pression sur les décideurs russes responsables de la situation en Ukraine, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 182 et jurisprudence citée). Par ailleurs, force est de constater que le requérant est resté en défaut d’indiquer quelles mesures moins contraignantes le Conseil aurait pu adopter.

144    De plus, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée et l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

145    De même, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

146    Enfin, la présence du nom du requérant sur les listes en cause ne saurait être qualifiée de disproportionnée en raison d’un prétendu caractère potentiellement illimité. En effet, ces listes font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 185 et jurisprudence citée).

147    Il s’ensuit que les restrictions des droits fondamentaux du requérant qui découlent des mesures restrictives en cause adoptées dans le cadre des actes initiaux ne sont pas disproportionnées et ne peuvent pas entraîner leur annulation.

148    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant selon lequel l’interprétation du Conseil du critère g) serait trop large et permettrait d’inscrire sur les listes en cause tous les noms d’hommes d’affaires qui exercent avec succès une activité économique en Russie. En effet, outre son caractère non étayé, il suffit de constater que le requérant a fait l’objet des mesures restrictives à la suite d’une évaluation individuelle, fondée sur des éléments de preuve concrets.

149    Le présent moyen doit donc être rejeté en ce qu’il vise les actes initiaux.

D.      Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement

150    En substance, le requérant souligne que l’application du critère g) par le Conseil est discriminatoire en ce qu’elle vise les hommes d’affaires et les entreprises de nationalité russe en ignorant les entreprises étrangères, alors que ces dernières opèrent également sur le territoire russe et qu’elles contribuent pour des montants beaucoup plus importants au financement du budget de la Russie.

151    Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.

152    À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental de droit, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (voir arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 152 et jurisprudence citée).

153    En l’espèce, s’agissant de l’argument du requérant concernant le fait que le critère g) serait discriminatoire en ce qu’il viserait les hommes d’affaires et les entreprises de nationalité russe en ignorant les entreprises étrangères, il suffit de constater que ce critère ne vise pas la nationalité des personnes désignées, mais toute personne physique influente au sens du critère g). Ainsi, les personnes faisant l’objet de mesures restrictives peuvent être de toute nationalité si elles remplissent ledit critère.

154    Dans ces circonstances, même à supposer que le Conseil n’ait pas adopté des mesures de gel des fonds à l’égard de certaines personnes répondant au critère litigieux et examiné, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents relatifs à ces personnes, cette circonstance ne pourrait être valablement invoquée par le requérant, dès lors que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination doivent se concilier avec le principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2016, Post Bank Iran/Conseil, T‑68/14, non publié, EU:T:2016:263, point 135 et jurisprudence citée).

155    Il convient donc de rejeter le quatrième moyen en ce qu’il vise les actes initiaux.

156    À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’annuler les premiers et les seconds actes de maintien, en ce qu’ils concernent le requérant, et de rejeter le recours pour le surplus.

E.      Sur les effets de l’annulation des actes de maintien

157    Le Conseil a demandé, dans le cadre de son troisième chef de conclusions, que, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués en ce qu’ils concernent le requérant, le Tribunal ordonne le maintien des effets de la décision 2022/1530 et ceux de la décision 2023/572 en qui concerne le requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/1529 et du règlement d’exécution 2023/571 prenne effet. Toutefois, en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, le Conseil a indiqué que sa conclusion visant à ce qu’il plaise au Tribunal d’ordonner que les effets de la décision 2022/1530 soient maintenus en ce qui concerne le requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/1529 prenne effet, était devenue sans objet suite à l’adoption de la décision 2023/572 et du règlement d’exécution 2023/571.

158    En l’espèce, s’agissant du règlement d’exécution 2023/571, il doit être rappelé que, en vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, dudit statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci.

159    Dans ces circonstances, en l’absence de pourvoi, le Conseil dispose d’un délai de deux mois, augmenté du délai de distance de dix jours, à compter de la notification du présent arrêt pour adopter, le cas échéant, de nouvelles mesures restrictives à l’égard du requérant.

160    En revanche, s’agissant de la décision 2023/572, il convient de constater que, en principe, son annulation devrait entraîner la disparition de l’inscription du nom du requérant sur la liste en cause figurant à l’annexe I de la décision 2014/145 modifiée.

161    Néanmoins, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2023/571, d’une part, et celle de la décision 2023/572, d’autre part, serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces quatre actes infligeant au requérant des mesures identiques (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2022, LAICO/Conseil, T‑627/20, non publié, EU:T:2022:590, point 106).

162    Il s’ensuit que les effets de la décision 2023/572 doivent être maintenus à l’égard du requérant jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel du pourvoi.

F.       Sur la demande d’adoption d’une mesure d’organisation de la procédure

163    Le requérant demande au Tribunal d’ordonner au Conseil, par voie de mesure d’organisation de la procédure, de produire le dossier administratif confidentiel l’ayant conduit à inscrire son nom sur les listes en cause.

164    Le Conseil fait valoir qu’il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande au motif que tous les éléments concernant l’inscription du nom du requérant sur les listes sont ceux transmis au requérant et figurant dans le premier dossier WK.

165    À cet égard, il convient de rappeler que le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi (arrêts du 10 juillet 2001, Ismeri Europa/Cour des comptes, C‑315/99 P, EU:C:2001:391, point 19, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 67).

166    En l’espèce, compte tenu du fait que le Conseil affirme ne pas disposer d’autres éléments que ceux figurant dans le premier dossier WK transmis au requérant, il n’est pas nécessaire de faire droit à la demande du requérant.

 Sur les dépens

167    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l’espèce, les conclusions du requérant doivent être accueillies en ce qui concerne l’annulation des premiers et des seconds actes de maintien, alors qu’elles doivent être rejetées s’agissant des actes initiaux, si bien qu’il y a lieu de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, sont annulés, dans la mesure où le nom de M. Aleksandr Aleksandrovich Shulgin a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Les effets de la décision 2023/572 sont maintenus à l’égard de M. Shulgin jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel du pourvoi.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Spielmann

Gâlea

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.