Language of document : ECLI:EU:T:2004:292

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
6 octobre 2004 (1)

« Marque communautaire – Procédure d'opposition – Marque antérieure figurative comprenant l'élément verbal ‘Krafft’ – Demande de marque communautaire verbale VITAKRAFT – Motif relatif de refus – Usage sérieux de la marque antérieure – Similitude des signes – Article 8, paragraphe 1, sous  b), du règlement (CE) nº 40/94  – Règle 22, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 2868/95 »

Dans l'affaire T-356/02,

Vitakraft-Werke Wührmann & Sohn GmbH & Co. KG, établie à Brême (Allemagne), représentée par Me U. Sander, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par Mme A. Apostolakis et M. G. Schneider, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

l'autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l'OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

Krafft, SA, établie à Andoain (Espagne), représentée par Me P. Koch Moreno, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l'OHMI du 4 septembre 2002 (affaires jointes R 506/2000-4 et R 581/2000-4), relative à une procédure d'opposition entre Krafft, SA, et Vitakraft-Werke Wührmann & Sohn GmbH & Co. KG,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),



composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij et N. J. Forwood, juges,

greffier : Mme B. Pastor, greffier adjoint,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 29 novembre 2002,

vu le mémoire en réponse de l'OHMI déposé au greffe du Tribunal le 25 avril 2003,

vu le mémoire en réponse de l'intervenante déposé au greffe du Tribunal le 10 avril 2003,

à la suite de l'audience du 5 mai 2004,

rend le présent



Arrêt




Antécédents du litige

1
Le 5 juin 1996, la requérante a demandé l’enregistrement d’une marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) nº 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié.

2
La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal VITAKRAFT.

3
Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 1, 3, 4, 12 et 19 de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

classe 1 : « Produits chimiques destinés à l’industrie, aux sciences, à la photographie, ainsi qu’à l’agriculture, l’horticulture et la sylviculture, en particulier produits chimiques et matériaux filtrants à base chimique, minérale, végétale, à base de matériaux artificiels bruts ou de particules de céramique pour traiter l’eau, en particulier pour aquariums et plans d’eau ; résines artificielles à l’état brut, matières plastiques à l’état brut ; engrais pour les terres ; compositions extinctrices ; préparations pour la trempe et la soudure des métaux ; produits chimiques destinés à conserver les aliments ; matières tannantes ; adhésifs (matières collantes) destinés à l’industrie » ;

classe 3 : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; produits pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser, en particulier papier de sable pour cages d’animaux ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices » ;

classe 4 : « Huiles et graisses industrielles ; lubrifiants ; produits pour absorber, arroser et lier la poussière ; combustibles (y compris les essences pour moteurs) et matières éclairantes ; bougies, mèches » ;

classe 12 : « Véhicules ; appareils de locomotion par terre, par air ou par eau » ;

classe 19 : « Matériaux de construction non métalliques ; tuyaux rigides non métalliques pour la construction ; asphalte, poix et bitume ; constructions transportables non métalliques ; monuments non métalliques ».

4
La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques communautaires nº 30/98 du 27 avril 1998.

5
Le 27 juillet 1998, l’intervenante a formé une opposition sur le fondement de l’article 42 du règlement nº 40/94.

6
L’opposition s’est appuyée sur les marques figuratives reproduites ci‑après :

A B C

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7
Ces marques ont fait l’objet en Espagne des enregistrements suivants :

enregistrement nº 1924081 (du signe A) du 5 mai 1995 pour les produits suivants compris dans la classe 1 : « Produits chimiques destinés à l’industrie, aux sciences, à la photographie, ainsi qu’à l’agriculture, l’horticulture et la sylviculture ; résines artificielles à l’état brut, matières plastiques à l’état brut ; engrais pour les terres ; compositions extinctrices ; préparations pour la trempe et la soudure des métaux ; produits chimiques destinés à conserver les aliments ; matières tannantes ; adhésifs (matières collantes) destinés à l’industrie, en particulier antigels, liquides de refroidissement, matières collantes et garnitures d’étanchéité destinées à l’industrie, produits chimiques collants » (ci‑après la « marque antérieure A1 ») ;

enregistrement nº 1924082 (du signe A) et du 5 mai 1995 pour les produits suivants compris dans la classe 3 : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; produits pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices, en particulier produits pour nettoyer les moteurs et les carburateurs de véhicules ; cire et produits pour polir les véhicules, shampooing pour laver les véhicules, shampooing pour nettoyer les revêtements textiles des véhicules, produits pour nettoyer et polir des produits avec revêtement chromé, encaustiques et produits pour remettre à neuf des produits brillants, rafraîchisseurs d’air pour véhicules » (ci‑après la « marque antérieure A2 ») ;

enregistrement nº 1160484 (du signe B) du 5 septembre 1987 pour les produits suivants compris dans la classe 4 : « Huiles et graisses industrielles ; lubrifiants ; produits pour absorber, arroser et lier la poussière ; combustibles (y compris les essences pour moteurs) et matières éclairantes ; bougies, mèches » (ci‑après la « marque antérieure B ») ;

enregistrement nº 1042443 (du signe C) du 20 février 1984 pour les produits suivants compris dans la classe 12 : « Véhicules ; appareils de locomotion par terre, par air ou par eau ; moteurs pour véhicules terrestres » (ci‑après la « marque antérieure C1 ») ;

enregistrement nº 1052802 (du signe C) du 20 juillet 1984 pour les produits suivants compris dans la classe 19 : « Matériaux de construction non métalliques ; tuyaux rigides non métalliques pour la construction ; asphalte, poix et bitume ; constructions transportables non métalliques ; monuments non métalliques » (ci‑après la « marque antérieure C2 »).

8
La requérante a demandé que l’intervenante apporte la preuve que les marques antérieures B, C1 et C2 ont fait l’objet d’un usage sérieux, conformément à l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 40/94. À la suite de cette demande, l’intervenante a produit 18 catalogues relatifs à différents produits de sa gamme.

9
Par décision nº 317/2000, du 24 février 2000, la division d’opposition a fait partiellement droit à l’opposition après avoir établi l’identité des produits compris dans les classes 1 et 3, puis reconnu la similitude des signes et, partant, conclu à l’existence d’un risque de confusion. En revanche, elle a rejeté l’opposition en ce qu’elle concernait les produits compris dans les classes 4, 12 et 19 au motif que l’intervenante n’avait pas apporté de preuve suffisante de l’usage des marques antérieures B, C1 et C2, plus particulièrement en ce qui concerne l’importance et la durée de l’usage.

10
Le 26 avril 2000, l’intervenante a formé un recours contre la décision de la division d’opposition en soutenant principalement que la division d’opposition avait, à tort, estimé insuffisante la preuve de l’usage des marques antérieures pour les produits compris dans les classes 4, 12 et 19. Faisant valoir, par ailleurs, la similitude entre les produits compris dans les classes 1 et 3 désignés par les marques antérieures et les produits contestés compris dans les classes 4, 12 et 19 tels que spécifiés dans la demande d’enregistrement, l’intervenante a demandé que cette dernière soit rejetée également pour les produits compris dans les classes 4, 12 et 19.

11
Par lettre du 5 mai 2000, la requérante a formé un recours contre la décision de la division d’opposition en faisant principalement grief à celle-ci d’avoir retenu l’existence d’une similitude des signes.

12
Par décision du 4 septembre 2002 rendue dans les affaires jointes R 506/2000‑4 et R 581/2000-4 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’OHMI, estimant que la preuve d’un usage sérieux des marques B et C2 de l’intervenante avait été rapportée pour une partie des produits, à savoir pour les « graisses et huiles de moteurs ; lubrifiants » compris dans la classe 4 et pour les « mortiers et pâtes égalisatrices pour la construction » compris dans la classe 19, a partiellement annulé la décision de la division d’opposition. Elle a constaté l’existence d’une similitude entre les produits « huiles et graisses industrielles, lubrifiants, combustibles (y compris les essences pour moteurs) et matières éclairantes » relevant de la classe 4, visés par la demande de marque, et les produits pour lesquels l’usage de la marque antérieure B avait été prouvé. Par ailleurs, la chambre de recours a conclu à l’existence d’une similitude entre les « produits pour nettoyer » relevant de la classe 3 et couverts par la marque antérieure A2 et les « produits pour absorber, arroser et lier la poussière » relevant de la classe 4 et désignés par la demande d’enregistrement. De plus, elle a constaté une similitude entre les produits « matériaux de construction non métalliques ; tuyaux rigides non métalliques pour la construction ; asphalte, poix et bitume » visés par la marque demandée et les « mortiers et pâtes égalisatrices » pour lesquels l’intervenante avait démontré l’usage de la marque antérieure C2. En revanche, estimant que la décision de la division d’opposition avait conclu à juste titre à l’existence d’un risque de confusion en raison de la similitude des signes et des produits concernés, la chambre de recours a entièrement rejeté le recours de la requérante. En outre, elle a partiellement rejeté le recours de l’intervenante, premièrement, au motif que celle-ci n’avait prouvé ni l’usage sérieux de la marque antérieure C1 ni celui des marques antérieures B et C2 pour les produits autres que les « graisses et huiles de moteurs ; lubrifiants » (classe 4) et les « mortiers et pâtes égalisatrices pour la construction » (classe 19) et, deuxièmement, en ce que certains produits contestés relevant des classes 4, 12 et 19 n’étaient pas similaires aux produits désignés par les marques antérieures A1, A2 et C2, relevant des classes 1, 3 et 19. En substance, l’enregistrement de la marque communautaire a été refusé pour les produits suivants compris dans la demande de marque communautaire : tous les produits relevant des classes 1 et 3 de l’arrangement de Nice ainsi que les « huiles et graisses industrielles ; lubrifiants ; produits pour absorber, arroser et lier la poussière ; combustibles (y compris les essences pour moteurs) et matières éclairantes » (classe 4) et les « matériaux de construction non métalliques ; tuyaux rigides non métalliques pour la construction ; asphalte, poix et bitume » (classe 19).


Procédure et conclusions des parties

13
Le 8 janvier 2003, l’intervenante a demandé de désigner l’anglais comme langue de procédure. La requête ainsi que la demande d’enregistrement en cause ayant été rédigées en allemand, cette demande a été rejetée et, conformément à l’article 131, paragraphe 1, et paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, l’allemand est devenue la langue de procédure.

14
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler partiellement la décision attaquée dans la mesure où elle a fait droit au recours de la société Krafft, SA, et où elle n’a pas fait droit à son recours ;

condamner l’OHMI aux dépens.

15
L’OHMI et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

16
À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 40/94 et de la règle 22, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement nº 40/94 (JO L 303, p. 1) ; le second moyen est tiré d’une violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94.

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 40/94 et de la règle 22, paragraphe 2, du règlement nº 2868/95

Arguments des parties

17
La requérante fait valoir que l’intervenante n’a pas rapporté la preuve que les marques antérieures ont fait l’objet d’un usage sérieux en ce qui concerne les produits « graisses et huiles de moteurs ; lubrifiants » et « mortiers et pâtes égalisatrices pour la construction ».

18
Pour ce qui est du catalogue relatif aux huiles de moteurs prétendument imprimé en 1992, celui‑ci ne tomberait pas dans la période pertinente qui s’étendrait du 28 avril 1993 au 28 avril 1998.

19
En revanche, les catalogues prétendument imprimés en 1993, 1994 et 1996 ne contiennent, selon la requérante, aucun élément se rapportant à l’usage des marques antérieures pour les produits « graisses et huiles de moteurs » relevant de la classe 4, ou les produits « mortiers et pâtes égalisatrices pour la construction » relevant de la classe 19.

20
La requérante concède que les catalogues en question contiennent certaines indications relatives aux « lubrifiants ». Elle fait toutefois valoir que ces indications ne remplissent pas les exigences figurant à la règle 22, paragraphe 2, du règlement nº 2868/95. Les preuves ne porteraient que sur les années 1993 à 1996 et non sur les années 1997 et 1998. La requérante considère que, lorsque les preuves relatives à l’usage de la marque ne concernent qu’une partie de la période pertinente, il est indispensable que le titulaire des marques antérieures démontre au moins que, pendant cette durée, cet usage a été important. L’intervenante n’aurait fourni aucun élément exploitable concernant l’importance de l’usage des marques antérieures.

21
L’OHMI relève que quatre des catalogues produits par l’intervenante lors de la procédure d’opposition permettent d’en tirer des conclusions quant à la durée, à la nature et au lieu de l’usage, à savoir :

le catalogue 1, intitulé « Emergiendo con fuerza », relatif aux huiles de moteurs, imprimé en 1992, qui comporte l’indication que les prix mentionnés ne s’appliquent qu’à partir de janvier 1993 ;

le catalogue 2, intitulé « Lubricantes para automoción », qui concerne les lubrifiants et qui a été édité en 1993 ;

le catalogue 3, intitulé « Lubricantes automoción », de 1994, concernant des graisses et des lubrifiants ;

le catalogue 4, intitulé « Suelos industriales », de 1997, relatif aux mortiers et aux pâtes égalisatrices pour la construction.

22
En revanche, l’OHMI doute que les catalogues en cause comportent des indications utiles concernant l’importance de l’usage des marques antérieures, indications requises en vertu de la règle 22, paragraphe 2, du règlement nº 2868/95 afin de distinguer l’usage sérieux des marques d’un usage purement fictif. Selon l’OHMI, la production de matériel publicitaire peut, en principe, constituer une preuve suffisante. Toutefois, l’OHMI s’interroge sur la nécessité de donner des indications quant à l’importance de la diffusion des moyens publicitaires. Il reconnaît que, en l’espèce, de telles indications font défaut.

23
L’intervenante adopte le raisonnement retenu par la chambre de recours. Elle estime, notamment, que les exigences de la règle 22, paragraphe 2, du règlement nº 2886/95 ont été respectées. L’indication et la preuve du lieu de l’usage ressortiraient de l’indication des représentants de l’intervenante dans des différentes villes d’Espagne. Celles de la durée de l’usage découleraient des dates d’impression des catalogues. Pour ce qui est de la nature de l’usage, ces derniers présenteraient les produits pourvus des marques antérieures B et C2.

24
L’intervenante a concédé, lors de l’audience, que les catalogues ne comprenaient aucune indication relative à l’importance de l’usage. De plus, elle n’a pas maintenu l’argument selon lequel la preuve de l’usage découle du fait que ses marques étaient connues sur le marché espagnol. Toutefois, elle souligne qu’il importe seulement de démontrer que l’usage qui a été fait des marques antérieures B et C2 n’est pas un usage fictif dans le seul but de les maintenir au registre. L’intervenante a ajouté, toujours lors de l’audience, que, selon la pratique de l’OHMI, il convient de présenter des preuves objectives telles que, par exemple, des catalogues ou des factures. Elle a expliqué que ses factures ne contenaient que la dénomination des produits, sans indication de la marque, car elle commercialisait exclusivement des produits de la marque Krafft de sorte que la marque ne saurait distinguer les différents produits de sa gamme. L’intervenante aurait donc choisi de démontrer l’usage des marques antérieures au moyen du matériel publicitaire qu’elle avait produit lors de la procédure devant l’OHMI.

Appréciation du Tribunal

25
Ainsi qu’il découle du neuvième considérant du règlement nº 40/94, le législateur a considéré que la protection de la marque antérieure n’est justifiée que dans la mesure où celle-ci est effectivement utilisée. En conformité avec ce considérant, l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 40/94 prévoit que le demandeur d’une marque communautaire peut requérir la preuve que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux sur le territoire sur lequel elle est protégée au cours des cinq années qui précèdent la publication de la demande de marque ayant fait l’objet d’une opposition [arrêt du Tribunal du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison (HIWATT), T‑39/01, Rec. p. II-5233, point 34].

26
Ainsi qu’il ressort de l’arrêt de la Cour du 11 mars 2003, Ansul (C‑40/01, Rec. p. I-2439, point 43), une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. De plus, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle qu’elle est protégée dans le territoire pertinent, soit utilisée, publiquement et vers l’extérieur [arrêt Ansul, point 37, et arrêt du Tribunal du 12 mars 2003, Goulbourn/OHMI – Redcats (Silk Cocoon), T‑174/01, Rec. p. II‑789, point 39].

27
En vertu de la règle 22, paragraphe 2, du règlement nº 2868/95, la preuve de l’usage doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure.

28
En outre, le Tribunal a jugé que l’usage sérieux d’une marque ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné (arrêt HIWATT, précité, point 47).

29
C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier si, en l’espèce, la chambre de recours a considéré sans erreur de droit que l’intervenante avait rapporté la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures B et C2 pour les produits « graisses et huiles de moteurs ; lubrifiants » (classe 4) ainsi que pour les produits « mortiers et pâtes égalisatrices pour la construction » (classe 19). Le Tribunal note, à cet égard, que l’intervenante n’a pas fait grief à la chambre de recours d’avoir considéré ces marques antérieures comme étant enregistrées pour les seuls produits pour lesquels, aux yeux de la chambre de recours, celle-ci avait concrètement rapporté la preuve de l’usage et non pour la catégorie entière à laquelle ces produits appartiennent et pour lesquels ces marques antérieures ont été enregistrées. En ce qui concerne la marque antérieure C1 et les autres produits visés par les marques antérieures B et C2, l’intervenante n’ayant pas contredit les constatations de la chambre de recours selon lesquelles l’usage des marques n’a pas été démontré pour ceux-ci, ces constatations ne font pas l’objet du présent litige.

30
À titre liminaire, il convient de relever que, la demande de marque communautaire ayant été publiée le 27 avril 1998, la période de cinq ans s’étend du 27 avril 1993 au 26 avril 1998. Ensuite, les marques antérieures B et C2 étant protégées par des enregistrements espagnols, le territoire visé est celui de l’Espagne. Il s’ensuit que l’intervenante est tenue de démontrer que ses marques antérieures ont été utilisées sur le marché espagnol, entre le 27 avril 1993 et le 26 avril 1998.

31
La chambre de recours a considéré, au point 14 de la décision attaquée, qu’elle n’avait aucune raison de douter du fait que les catalogues présentés par l’intervenante reflètent la commercialisation, pendant la période pertinente, des produits montrés dans ces catalogues sous la marque qui y est reproduite. Elle a considéré en outre, au point 16 de la décision attaquée, que des catalogues portant des dates comprises dans la période pertinente, qui montrent les produits commercialisés par la partie opposante et la marque telle qu’elle est protégée ainsi que la façon dont la marque est appliquée sur les produits, qui contiennent une liste de représentants de la partie opposante et qui font le lien entre la partie opposante et la marque dont celle-ci est titulaire démontraient à suffisance, aux fins de l’article 43, paragraphe 2, du règlement nº 40/94, que la marque antérieure avait fait l’objet d’un usage sérieux.

32
Ce raisonnement est erroné en ce qu’il est fondé sur des présomptions.

33
Il découle de la jurisprudence, citée au point 26 ci-dessus, qu’il convient d’examiner si l’intervenante a démontré, lors de la procédure devant l’OHMI, que ses marques antérieures B et C2, telles que protégées, ont été utilisées, sur le territoire pertinent, publiquement et vers l’extérieur, aux fins de créer ou de maintenir un débouché pour les produits que ces marques désignent. En vertu de la règle 22, paragraphe 2, du règlement nº 2868/95, cette preuve doit porter, notamment, sur l’importance de cet usage. Enfin, il n’est pas suffisant que l’usage sérieux de la marque apparaisse probable ou crédible, mais il faut qu’une preuve de cet usage soit rapportée.

34
En l’espèce, les catalogues présentés devant la chambre de recours n’établissent ni le fait que ceux-ci aient été distribués à une clientèle espagnole potentielle, ni l’importance de leur distribution éventuelle, ni la quantité de ventes effectuées de produits protégés par la marque. L’intervenante n’a pas apporté d’indications, étayées de preuves, permettant d’en tirer des conclusions utiles à cet égard. En effet, la seule existence de ces catalogues pourrait, tout au plus, rendre probable ou crédible le fait que des produits protégés par les marques antérieures ont été commercialisés ou, au moins, offerts sur le territoire pertinent, mais elle ne saurait en rapporter la preuve.

35
Il convient dès lors de constater que la chambre de recours a commis une erreur de droit en considérant comme preuve suffisante les catalogues produits par l’intervenante, sans qu’il soit nécessaire de trancher les questions de savoir si les catalogues comportent des indications satisfaisantes concernant les produits « graisses et huiles de moteurs » et les produits « mortiers et pâtes égalisatrices pour la construction » ou concernant la durée de l’usage.

36
Par conséquent, le premier moyen de la requérante est fondé. Dès lors, c’est à tort que la chambre de recours a, partiellement, fait droit au recours de l’intervenante contre la décision de la division d’opposition. Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où celle-ci a fait droit au recours de l’intervenante devant la chambre de recours concernant les produits « huiles et graisses industrielles ; lubrifiants ; combustibles (y compris les essences pour moteurs) et matières éclairantes » (classe 4) et les produits « matériaux de construction non métalliques ; tuyaux rigides non métalliques pour la construction ; asphalte, poix, bitumes » (classe 19), contenus dans la demande de marque communautaire.

Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94

Arguments des parties

37
La requérante considère que la chambre de recours a effectué une analyse comparative erronée des deux signes en cause.

38
Premièrement, les marques antérieures seraient des marques à la fois verbales et figuratives, consistant en un rectangle de couleurs rouge, bleue et blanche, divisé en deux parties égales dont la partie supérieure est constituée de l’inscription « krafft » en blanc sur fond rouge et dont la partie inférieure est constituée d’une surface bleue. Même si la requérante concède que l’élément distinctif et dominant des marques antérieures est la dénomination « Krafft », elle soutient que la chambre de recours a, à tort, estimé que cet élément graphique serait totalement ignoré et oublié par le consommateur moyen.

39
Deuxièmement, la requérante rappelle que, selon la jurisprudence, la marque est perçue comme un tout. Le consommateur moyen ne procéderait pas à une analyse des détails de celle-ci. Dès lors, la requérante réfute la thèse de la chambre de recours selon laquelle le consommateur espagnol décomposera la marque demandée en « vita » et « kraft ». De plus, à supposer que le consommateur procède à une telle décomposition, il ne serait pas amené à omettre le terme « vita » pour ne retenir que le terme « kraft ». À cet égard, la requérante souligne que le mot « vita » n’est pas descriptif des produits visés par la marque demandée. Elle soutient que, s’il est vrai que la partie constitutive d’une marque complexe, dotée d’un caractère descriptif à l’égard des produits désignés, ne peut en principe pas être considérée comme élément dominant de la marque, cette thèse ne s’applique pas au cas d’espèce. Partant, le mot « vita » n’occuperait pas une place de second rang. Il s’ensuit, selon la requérante, que les marques en conflit présentent, du point de vue de leurs éléments graphiques et verbaux, des différences suffisantes pour les rendre distinctes.

40
Troisièmement, la requérante estime que les signes en conflit sont suffisamment différents sur le plan auditif du fait que le signe demandé sera prononcé « vitakraft », tandis que l’élément verbal des signes antérieurs se prononce « krafft ».

41
Enfin, la requérante considère qu’il y a également une différence conceptuelle manifeste entre les signes en cause. Les signes antérieurs seraient perçus, par le consommateur espagnol, comme une simple dénomination de fantaisie. En revanche, le signe demandé évoquerait l’idée de vitalité (en espagnol : « vitalidad »), voire l’adjectif « vital » (en espagnol : « vital »).

42
L’OHMI et l’intervenante adoptent entièrement le raisonnement de la chambre de recours.

43
L’intervenante souligne, notamment, que le préfixe « vita » est une notion courante, dotée d’un caractère distinctif faible, et que, en espagnol, l’accent tonique, dans la prononciation de « vitakraft », tombe sur la syllabe « kraft ».

Appréciation du Tribunal

44
Comme le premier moyen de la requérante est fondé, il convient d’apprécier uniquement le risque de confusion entre le signe demandé et les marques antérieures A1 et A2 (ci-après les « marques antérieures ») qui ne sont pas soumises à l’exigence de preuve de l’usage sérieux, car, à la date de la publication de la demande de marque communautaire, elles étaient enregistrées depuis moins de cinq ans (article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 40/94).

45
Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 40/94, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée.

46
Selon une jurisprudence constante, constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement.

47
Selon cette même jurisprudence, le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, notamment de l’interdépendance entre la similitude des signes et celle des produits ou services désignés [voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Laboratorios RTB/OHMI – Giorgio Beverly Hills (GIORGIO BEVERLY HILLS), T-162/01, Rec. p. II-2821, points 31 à 33, et la jurisprudence citée].

48
Il convient de relever que les constatations de la chambre de recours relatives à la similitude des produits n’ont été contestées ni par la requérante ni par l’intervenante. L’issue du recours dépend, dès lors, de la question de savoir s’il existe un risque de confusion en raison d’une similitude des signes. Sont concernés par l’examen de la similitude des signes tous les produits figurant dans la demande de marque communautaire relevant des classes 1 et 3 de l’arrangement de Nice ainsi que les « produits pour absorber, arroser et lier la poussière » (classe 4) que la chambre de recours avait considérés comme similaires aux « préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser » protégées par la marque antérieure A2 et relevant de la classe 3.

49
Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, l’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en conflit, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants [voir arrêt du Tribunal du 14 octobre 2003, Phillips-Van Heusen/OHMI – Pash Textilvertrieb und Einzelhandel (BASS), T‑292/01, non encore publié au Recueil, point 47, et la jurisprudence citée].

50
En ce qui concerne, premièrement, l’aspect visuel des marques antérieures, la chambre de recours a constaté, à juste titre, que l’élément dominant de ces marques, en dépit de leur caractère figuratif, est constitué par le mot « Krafft ». En effet, les éléments figuratifs des signes antérieurs, à savoir la graphie du mot « Krafft », d’une part, et les rectangles bleu et rouge, d’autre part, ne sont pas suffisamment importants pour frapper davantage l’esprit du consommateur que l’élément verbal de ceux-ci.

51
Le signe demandé, quant à lui, est constitué, pour un consommateur hispanophone, d’un mot composé de deux éléments dont le premier consiste en le terme « vita » et le second en le terme « kraft ». La chambre de recours a considéré, à juste titre, qu’un consommateur, en percevant un signe verbal, le décomposera en des éléments verbaux qui, pour lui, suggèrent une signification concrète ou qui ressemblent à des mots qu’il connaît. Ainsi, le terme « vita » sera perçu, par un consommateur de langue espagnole, comme faisant allusion à des mots tels que « vitalité » ou « vital » (en espagnol : « vitalidad » ou « vital »). En revanche, même si le terme « kraft » signifie « force » dans certaines langues, dont l’allemand, il n’a pas de signification concrète en langue espagnole.

52
Le Tribunal rappelle que, en règle générale, un terme fantaisiste attirera davantage l’attention du consommateur [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 23 octobre 2002, Matratzen Concord/OHMI – Hukla Germany (MATRATZEN), T‑6/01, Rec. p. II‑4335, point 43, confirmé par ordonnance de la Cour du 28 avril 2004, Matratzen Concord/OHMI, C‑3/03 P, non encore publiée au Recueil]. Le Tribunal a également observé que, en général, le public ne considérera pas un élément descriptif faisant partie d’une marque complexe comme l’élément distinctif et dominant de l’impression d’ensemble produite par celle-ci [arrêt du Tribunal du 3 juillet 2003, José Alejandro/OHMI – Anheuser-Busch (BUDMEN), T-129/01, non encore publié au Recueil, point 53]. Des considérations analogues s’appliquent à des éléments qui ont une signification très générale suggérant une qualité positive attribuable à une grande gamme de produits ou de services différents. Le Tribunal considère que, pour le public espagnol, le mot « vita » relève de cette catégorie d’éléments.

53
Il s’ensuit que, en espagnol, l’élément dominant du signe demandé est constitué par la seconde partie, « kraft », du fait qu’il s’agit d’un terme fantaisiste et que, pour le public visé, la première partie du signe, « vita », a un caractère distinctif moins élevé.

54
Quant à l’aspect phonétique, les marques antérieures sont prononcées « Krafft ». En revanche, le signe demandé comprend trois syllabes (« vi », « ta » et « kraft »). Pour les raisons exposées aux points 52 et 53 ci-dessus, le public visé percevra la dernière syllabe du signe demandé, à savoir le mot « kraft », comme l’élément prépondérant du signe verbal VITAKRAFT.

55
Il s’ensuit que tant du point de vue visuel que du point de vue auditif, l’élément prépondérant du signe demandé, « kraft », et l’élément verbal des marques antérieures, « Krafft », sont très similaires voire identiques, les deux « f » du mot « Krafft » n’entraînant ni une différence phonétique perceptible ni une différence visuelle suffisante pour écarter les éléments de similitude visuelle évoqués ci-dessus.

56
Quant à l’aspect conceptuel, s’il est vrai que le mot « vita » évoque l’idée de « vitalité » ou l’adjectif « vital », il n’en demeure pas moins que le signe VITAKRAFT n’a pas de sens déterminé en langue espagnole. Étant donné que ni la marque demandée ni les marques antérieures n’ont une signification concrète dans cette langue, aucune différence conceptuelle suffisante ne peut être relevée entre les deux signes.

57
Il s’ensuit que, pour le public visé, qui est constitué des consommateurs hispanophones, les signes en cause sont similaires sur les plans visuel et phonétique. Étant donné que les produits visés par les marques en cause sont identiques ou très similaires, c’est sans erreur de droit que la chambre de recours a constaté l’existence d’un risque de confusion entre les marques antérieures comprenant l’élément « Krafft » et la marque demandée VITAKRAFT, en ce qui concerne tous les produits relevant des classes 1 et 3 figurant dans la demande de marque communautaire, ainsi que les « produits pour absorber, arroser et lier la poussière » relevant de la classe 4.

58
Par conséquent, il convient de rejeter le second moyen de la requérante.

59
Il s’ensuit que le recours est bien fondé uniquement en ce que la chambre de recours a considéré, à tort, que l’intervenante a rapporté la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures B, visant les produits « graisses et huiles de moteurs ; lubrifiants » (classe 4), et C2, visant les produits « mortiers et pâtes égalisatrices pour la construction » (classe 19). Par conséquent, il convient d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle a fait droit au recours de l’intervenante devant la chambre de recours concernant les produits « huiles et graisses industrielles ; lubrifiants ; combustibles (y compris les essences pour moteurs) et matières éclairantes » (classe 4) et les produits « matériaux de construction non métalliques ; tuyaux rigides non métalliques pour la construction ; asphalte, poix, bitumes » (classe 19), contenus dans la demande de marque communautaire. Pour le surplus, il y a lieu de rejeter le recours.


Sur les dépens

60
Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

61
En l’espèce, la requérante ainsi que l’OHMI et l’intervenante ont succombé pour partie en leurs conclusions. Par conséquent, il y a lieu d’ordonner que chaque partie supporte ses propres dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)
La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) du 4 septembre 2002 (affaires jointes R 506/2000-4 et R 581/2000-4) est annulée en ce qu’elle a fait droit au recours de l’intervenante devant la chambre de recours concernant les produits « huiles et graisses industrielles ; lubrifiants ; combustibles (y compris les essences pour moteurs) et matières éclairantes » (classe 4) et les produits « matériaux de construction non métalliques ; tuyaux rigides non métalliques pour la construction ; asphalte, poix, bitumes » (classe 19), contenus dans la demande de marque communautaire.

2)
Le recours est rejeté pour le surplus.

3)
Chaque partie supportera ses propres dépens.

Pirrung

Meij

Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 octobre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Pirrung


1
Langue de procédure : l'allemand.