CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA
présentées le 3 mars 2020 (1)
Affaire C‑24/19
A,
B,
C,
D,
E
contre
Gewestelijke stedenbouwkundige ambtenaar van het departement Ruimte Vlaanderen, afdeling Oost-Vlaanderen,
en présence de :
Organisatie voor Duurzame Energie Vlaanderen VZW
[demande de décision préjudicielle formée par le Raad voor Vergunningsbetwistingen (Conseil du contentieux des permis, Belgique)]
« Renvoi préjudiciel – Directive 2001/42/CE – Évaluation des incidences de certains “plans et programmes” sur l’environnement – Évaluation environnementale stratégique – Notion de “plans et programmes” – Conditions relatives à l’installation d’éoliennes établies par un arrêté réglementaire et une circulaire administrative – Conséquences juridiques de l’absence d’évaluation environnementale stratégique – Possibilité, pour un juge national, de maintenir provisoirement les effets des actes nationaux »
1. L’évaluation des effets (ou répercussions) sur l’environnement de certains « projets » ou de certains « plans et programmes » est l’un des principaux instruments du droit de l’Union en vue d’atteindre un niveau élevé de protection de l’environnement.
2. L’évaluation environnementale des projets est régie par la directive 2011/92/UE (2) ; celle des plans et programmes est régie par la directive 2001/42/CE (3). Sauf erreur de ma part, la Cour a rendu, à ce jour, 17 arrêts relatifs à cette dernière directive, dont un pourcentage considérable trouve son origine dans des questions préjudicielles posées par des juridictions belges.
3. Le Raad voor Vergunningsbetwistingen (Conseil du contentieux des permis, Belgique) pose à la Cour une série de questions liées au champ d’application de la directive ESIE et l’invite, en particulier, à reconsidérer sa jurisprudence constante issue de l’arrêt du 22 mars 2012, Inter-Environnement Bruxelles e.a. (4).
4. Ce même organe juridictionnel souhaite savoir si les juges nationaux peuvent maintenir temporairement les effets de la réglementation nationale en cause dans l’hypothèse où celle‑ci n’est pas compatible avec le droit de l’Union, conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt du 28 février 2012, Inter‑Environnement Wallonie et Terre wallonne (5).
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union : la directive ESIE
5. Aux termes de l’article 1er de la directive ESIE :
« La présente directive a pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement, et de contribuer à l’intégration de considérations environnementales dans l’élaboration et l’adoption de plans et de programmes en vue de promouvoir un développement durable en prévoyant que, conformément à la présente directive, certains plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient soumis à une évaluation environnementale. »
6. L’article 2 de cette directive dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “plans et programmes” : les plans et programmes, y compris ceux qui sont cofinancés par la Communauté européenne, ainsi que leurs modifications :
– élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d’une procédure législative, et
– exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ;
b) “évaluation environnementale” : l’élaboration d’un rapport sur les incidences environnementales, la réalisation de consultations, la prise en compte dudit rapport et des résultats des consultations lors de la prise de décision, ainsi que la communication d’informations sur la décision, conformément aux articles 4 à 9 ;
[…] »
7. En vertu de l’article 3 de ladite directive :
« 1. Une évaluation environnementale est effectuée, conformément aux articles 4 à 9, pour les plans et programmes visés aux paragraphes 2, 3 et 4 susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
2. Sous réserve du paragraphe 3, une évaluation environnementale est effectuée pour tous les plans et programmes :
a) qui sont élaborés pour les secteurs de l’agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l’énergie, de l’industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l’eau, des télécommunications, du tourisme, de l’aménagement du territoire urbain et rural ou de l’affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l’avenir ; ou
b) pour lesquels, étant donné les incidences qu’ils sont susceptibles d’avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE.
3. Les plans et programmes visés au paragraphe 2 qui déterminent l’utilisation de petites zones au niveau local et des modifications mineures des plans et programmes visés au paragraphe 2 ne sont obligatoirement soumis à une évaluation environnementale que lorsque les États membres établissent qu’ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
[…] »
B. Le droit belge
1. La section 5.20.6 du Vlarem II
8. Le Besluit van de Vlaamse regering van 1 juni 1995 houdende algemene en sectorale bepalingen inzake milieuhygiëne (6), adopté en exécution de dispositions antérieures du gouvernement flamand (7), a subi en 2011 (8) une importante modification consistant à y ajouter la section 5.20.6, intitulée « Installations de production d’électricité par l’énergie éolienne ».
9. Cette section 5.20.6 contient des dispositions relatives aux parcs éoliens et portant sur l’ombre stroboscopique, sur certains aspects de la sécurité ainsi que sur le bruit de ces installations de production d’énergie éolienne.
2. La circulaire de 2006
10. L’omzendbrief van 12 mei 2006 EME/2006/01 – RO/2006/02 « afweginskader en randvoorwaarden voor de inplanting van windturbines » (9) est destinée aux collèges des bourgmestres et échevins, aux conseillers communaux, aux gouverneurs de province, aux membres des députations permanentes (des provinces) et aux fonctionnaires compétents en matière de permis.
11. Elle fixe les lignes d’orientation du gouvernement flamand en vue d’offrir des perspectives suffisantes de développement à l’énergie éolienne terrestre et de réduire ses effets sur différents secteurs (notamment la nature, le paysage, l’environnement d’habitat et de vie, l’économie, le bruit, la sécurité, le rendement énergétique, etc.).
12. Elle établit, pour chacun de ces domaines, des normes qui – tout comme celles prévues par le Vlarem II – abordent de manière plus détaillée des sujets tels que le bruit, l’ombre stroboscopique, la sécurité et la nature des installations éoliennes.
13. La circulaire se fonde sur les piliers que sont le développement urbanistique durable et l’utilisation durable de l’énergie, ainsi que sur les avantages de l’énergie éolienne et sa plus-value par rapport à d’autres sources d’énergie.
14. Le principe d’aménagement du territoire du regroupement déconcentré (ou clustering) occupe une place centrale : le regroupement aussi poussé que possible des éoliennes doit garantir la conservation de l’espace ouvert restant dans une région aussi fortement urbanisée que la Flandre.
15. La circulaire décrit enfin le rôle du Windwerkgroep (groupe de travail « Vent »), qui a pour mission de sélectionner des sites pour des parcs d’éoliennes de grande taille et de les proposer au Minister van Ruimtelijke Ordening (ministre du gouvernement flamand chargé de l’Aménagement du territoire). Ce groupe de travail fournit par ailleurs des conseils dans le cadre des demandes individuelles de permis.
II. Le litige au principal et les questions préjudicielles
16. Le 25 mars 2011, Electrabel NV a déposé auprès de l’administration compétente une demande de permis d’urbanisme en vue d’ériger huit éoliennes. En cours de procédure, elle a retiré sa demande pour l’une d’entre elles.
17. Le 30 novembre 2016, le fonctionnaire compétent (10) a décidé de délivrer un permis d’urbanisme sous conditions pour la construction de cinq éoliennes le long de l’autoroute E40, sur les communes d’Aalter et de Nevele (11). La motivation de cette décision fait référence à la réglementation pertinente, y compris le Vlarem II et la circulaire.
18. Le permis a été accordé après examen des griefs et observations présentés qui concernaient, entre autres, l’incidence sur l’intérêt paysager, les nuisances sonores, l’aménagement du territoire, l’ombre stroboscopique et la sécurité (12).
19. Cinq parties requérantes au principal ont demandé à l’organe juridictionnel de renvoi d’annuler la décision du 30 novembre 2016. Elles ont fait valoir que cette dernière était fondée sur un corpus normatif (le Vlarem II et la circulaire) incompatible avec l’article 2, sous a), et avec l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE, dès lors qu’il a été adopté sans l’évaluation environnementale requise.
20. L’administration flamande considère que ce corpus normatif n’est ni un plan, ni un programme au sens de la directive ESIE, puisqu’il n’instaure pas un système cohérent et suffisamment complet pour l’implantation de projets éoliens.
21. Malgré les précisions apportées par l’arrêt D’Oultremont e.a. (13), l’organisme de renvoi s’interroge sur la validité du corpus normatif flamand (le Vlarem II et la circulaire) ainsi que sur le fondement juridique des autorisations d’implantation d’éoliennes en cause s’il devait apparaître que ledit corpus exigeait une évaluation environnementale.
22. Il invite par ailleurs la Cour à reconsidérer la jurisprudence constante issue de l’arrêt Inter-Environnement Bruxelles e.a., relative au syntagme « exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives » visé à l’article 2, sous a), de la directive ESIE (14).
23. Selon l’organisme de renvoi, la Cour devrait privilégier une interprétation plus proche de l’intention du législateur de l’Union, qui consisterait à limiter l’application de cette disposition aux actes devant être obligatoirement adoptés par le législateur national, et non aux actes simplement encadrés par des dispositions légales ou réglementaires nationales. D’après l’organisme de renvoi, cette interprétation a été initialement proposée par l’avocate générale Kokott dans ses conclusions dans l’affaire Inter-Environnement Bruxelles e.a. (15).
24. Dans ce contexte, le Raad voor Vergunningsbetwistingen (Conseil du contentieux des permis) pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« L’article 2, sous a), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la [directive ESIE] imposent-ils de qualifier de “plan ou programme”, au sens des dispositions de la directive, l’article 99 du besluit van de Vlaamse regering tot wijziging van het besluit van de Vlaamse Regering van 6 februari 1991 houdende de vaststelling van het Vlaams reglement betreffende de milieuvergunning en van het besluit van de Vlaamse regering van 1 juni 1995 houdende algemene en sectorale bepalingen inzake milieuhygiëne (arrêté portant modification de l’arrêté du gouvernement flamand du 6 février 1991 arrêtant le règlement flamand concernant le permis d’environnement et de l’arrêté du gouvernement flamand du 1er juin 1995 portant dispositions générales et sectorielles en matière d’hygiène de l’environnement) du 23 décembre 2011 en ce qui concerne l’actualisation des arrêtés précités à l’évolution de la technique, qui insère dans le Vlarem II la section 5.20.6 concernant les installations de production d’électricité par énergie éolienne et la circulaire “cadre d’évaluation et conditions requises pour implanter des éoliennes” de 2006 [conjointement dénommées les “présents instruments”] comportant tous deux différentes dispositions pour l’installation d’éoliennes dont des mesures relatives à la sécurité, et en fonction des zones planologiques à la projection d’ombre définie ainsi que des normes de bruit ? S’il apparaît qu’une évaluation environnementale devait être réalisée avant l’adoption des présents instruments, le Conseil peut-il aménager dans le temps les effets juridiques de la nature illégale de ces instruments ? Un certain nombre de sous-questions doivent être posées à cet effet :
1) Une ligne de conduite que l’administration se donne, telle la présente circulaire, que l’autorité concernée adopte dans les limites de son pouvoir d’appréciation et de la latitude qui lui est propre, en sorte que l’autorité compétente n’est pas à proprement parler appelée à élaborer le “plan ou programme” et pour laquelle aucune procédure formelle d’adoption n’est prévue, peut-elle être assimilée à un plan ou un programme au sens de l’article 2, sous a), de la directive ESIE ?
2) Suffit-il qu’une ligne de conduite que l’administration se donne ou une règle générale, tels les présents instruments, prévoie une limitation de la marge d’appréciation d’une autorité habilitée à délivrer des permis pour pouvoir être assimilée à un “plan ou programme” au sens de l’article 2, sous a), de la directive ESIE même si ces instruments ne font pas office de condition nécessaire requise pour délivrer un permis ou n’ont pas vocation à encadrer la délivrance ultérieure de permis, alors que le législateur européen a indiqué que cette finalité participe de la définition des “plans et programmes” ?
3) Une ligne de conduite que se donne l’administration, qui a été établie pour des raisons de sécurité juridique et constitue donc une décision complètement libre, telle la présente circulaire, peut-elle être définie comme un “plan ou programme” au sens de l’article 2, sous a), de la directive ESIE et une telle interprétation ne heurte‑t‑elle pas la jurisprudence de la Cour de justice voulant qu’une interprétation téléologique d’une directive ne puisse fondamentalement s’écarter de la volonté clairement exprimée par le législateur de l’Union ?
4) La section 5.20.6 du Vlarem II peut-elle être définie, là où les règles qu’elle renferme ne devaient pas être obligatoirement établies, comme un “plan ou programme” au sens de l’article 2, sous a), de la directive ESIE et une telle interprétation ne heurte‑t‑elle pas la jurisprudence de la Cour de justice voulant qu’une interprétation téléologique d’une directive ne puisse fondamentalement s’écarter de la volonté clairement exprimée par le législateur de l’Union ?
5) Une ligne de conduite que se donne l’administration et un arrêté ministériel normatif tels les présents instruments, lesquels ont une valeur indicative limitée, ou à tout le moins ne fixent pas de cadre dont peut être tiré le moindre droit à la réalisation d’un projet et desquels ne peut pas être tiré de droit à un cadre indiquant dans quelle mesure des projets peuvent être accordés, peuvent-ils être assimilés à un “plan ou programme” définissant “le cadre dans lequel [la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE] pourra être autorisée à l’avenir” au sens de l’article 2, sous a), et de l’article 3, paragraphe 2, de la directive ESIE et une telle interprétation ne heurte-t-elle pas la jurisprudence de la Cour voulant qu’une interprétation téléologique d’une directive ne puisse fondamentalement s’écarter de la volonté clairement exprimée par le législateur de l’Union ?
6) Une ligne de conduite que se donne l’administration, telle la circulaire EME/2006/01 – RO/2006/02 qui a une simple valeur indicative ou un arrêté normatif du gouvernement, telle la section 5.20.6 du Vlarem II fixant simplement des limites minimales pour la délivrance de permis et qui a en outre un effet parfaitement autonome en tant que règle générale ; qui ne comportent tous deux qu’un nombre restreint de critères et modalités ; et dont aucun des deux n’est exclusivement décisif même pour un seul critère ou modalité et dont on peut dès lors soutenir que l’on peut exclure sur la base de données objectives qu’ils sont susceptibles d’affecter l’environnement de manière significative ; peuvent-ils être assimilés à un “plan ou programme” dans une lecture conjointe de l’article 2, sous a), et de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive ESIE et peuvent‑ils être donc assimilés à des actes qui établissent, en définissant des règles et des procédures de contrôle applicables au secteur concerné, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l’autorisation et la mise en œuvre d’un ou de plusieurs projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ?
7) Si la question précédente appelle une réponse négative, une juridiction peut‑elle le déterminer elle‑même après l’adoption de l’arrêté ou de la pseudo-législation (telles les présentes normes du Vlarem II et la circulaire) ?
8) Si une juridiction n’est qu’indirectement compétente pour avoir été saisie par voie d’exception, dont l’issue est limitée aux parties, et s’il ressort de la réponse aux questions préjudicielles que les présents instruments sont illégaux, peut-elle décider de maintenir les effets de l’arrêté illégal ou de la circulaire illégale si les instruments illégaux contribuent à un objectif de protection de l’environnement poursuivi par une directive au sens de l’article 288 TFUE et que sont remplies les conditions de ce maintien requises par le droit de l’Union (telles que définies dans l’arrêt Association France Nature Environnement) ?
9) Si la question 8 appelle une réponse négative, une juridiction peut-elle décider de maintenir les effets du projet contesté pour répondre ainsi indirectement aux conditions requises par le droit de l’Union (telles que définies dans l’arrêt Association France Nature Environnement) pour maintenir les effets juridiques du plan ou programme non conforme à la directive ESIE ? »
25. Des observations écrites ont été présentées par les requérants au principal A e.a., par les gouvernements belge, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission européenne.
26. Les requérants au principal A e.a., la partie intervenante au principal Organisatie voor Duurzame Energie Vlaanderen VZW (organisation pour les énergies durables – Flandre), les gouvernements belge et néerlandais et la Commission sont intervenus lors de l’audience du 9 décembre 2019.
III. Analyse des questions préjudicielles
A. Observation préliminaire
27. L’organisme de renvoi a formulé neuf questions, qui peuvent être regroupées sous deux thèmes :
– par ses sept premières questions, il souhaite savoir si la réglementation belge en cause relève de la notion de « plans et programmes » susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement réclamant une évaluation environnementale [article 2, sous a), et article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE] ;
– par ses deux dernières questions, elle souhaite savoir s’il est possible de limiter dans le temps les effets de l’éventuelle annulation de cette réglementation nationale, ainsi que les effets des permis accordés en vertu de celle‑ci.
28. Comme il s’agit du premier renvoi préjudiciel déféré par le Raad voor Vergunningsbetwistingen (Conseil du contentieux des permis), il convient, avant de répondre à ces questions, de déterminer si ce dernier constitue une juridiction au sens de l’article 267 TFUE (16).
29. Selon les informations fournies, le Raad voor Vergunningsbetwistingen (Conseil du contentieux des permis) serait une juridiction instituée en 2009 par l’article 4.8.1 du Vlaamse Codex Ruimtelijke Ordening (code flamand d’aménagement du territoire), qui connaît des recours contre les décisions d’enregistrement et d’octroi ou de refus des permis d’urbanisme ou de lotissement, contre les permis d’environnement et contre les expropriations.
30. Il s’agit d’une juridiction indépendante, composée de huit juges du contentieux administratif, dont les décisions peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Il tranche les litiges en suivant une procédure contradictoire et en appliquant les règles de droit de la Région flamande en matière d’environnement et d’urbanisme.
31. Tout indique donc qu’il peut être qualifié de juridiction apte à faire usage de l’article 267 TFUE.
B. Introduction à la directive ESIE
32. La directive ESIE met en œuvre le principe d’intégration et de protection de l’environnement (articles 11 et 191 TFUE) en exigeant une évaluation environnementale lors de la préparation et de l’approbation des plans et des programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
33. Même si le mot « stratégique » n’apparaît ni dans son intitulé ni dans son texte, elle est généralement désignée comme « directive relative à l’évaluation stratégique environnementale », parce qu’elle place cette dernière à un niveau plus élevé (plus stratégique) que l’évaluation prévue par la directive EIE.
34. La directive ESIE ne contient pas d’exigences de fond pour l’autorisation des projets, mais vise surtout à garantir que, lors de l’approbation de certains plans et programmes, leurs incidences sur l’environnement soient prises en compte. Il s’agit donc, essentiellement, d’une directive de procédure, qui définit les étapes que les États membres doivent suivre pour identifier et évaluer les effets environnementaux de certains plans et programmes.
35. Conçue en ce sens, l’évaluation stratégique environnementale (ci‑après l’« ESE ») a pour but d’aider les responsables politiques à prendre des décisions en connaissance de cause, fondées sur des informations objectives ainsi que sur les résultats des consultations avec le public, les parties intéressées et les autorités compétentes.
36. La directive ESIE et la directive EIE se complètent : la première vise à anticiper l’analyse des effets sur l’environnement (17) à la phase de planification stratégique des actions des autorités nationales. L’étude des incidences sur l’environnement qu’elle impose est donc plus large, ou plus globale, que celle qui est propre à un projet spécifique.
37. Partant de cette prémisse, la difficulté consiste à préciser jusqu’à quel stade il est possible de faire remonter l’obligation de procéder à une ESE. Il est clair que l’ESE précède l’évaluation des projets individuels, mais également qu’elle ne devrait pas être étendue à toutes les réglementations d’un État membre ayant une incidence sur l’environnement.
38. Il n’est assurément pas facile de faire une distinction entre, premièrement, les projets ayant une incidence sur l’environnement, soumis à la directive EIE, deuxièmement, les plans et programmes ayant une incidence notable sur l’environnement, qui relèvent de la directive ESIE et, troisièmement, les réglementations nationales ayant une incidence sur l’environnement, qui sont exclues de l’évaluation environnementale. Les limites entre ces trois catégories sous-tendent les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi.
39. La mise en œuvre de la directive ESIE a posé aux autorités des États membres de nombreuses difficultés que la Commission s’est efforcée d’atténuer (18). La clé consiste à faire une distinction entre ce que l’on entend par plans et programmes et, parmi ceux‑ci, à d’identifier ceux qui ont des incidences notables sur l’environnement.
C. Les sept premières questions préjudicielles : notion de « plans et programmes » au sens de la directive ESIE
40. Les règles qui régissent le champ d’application de la directive ESIE sont principalement reprises dans deux articles connexes :
– l’article 2, sous a), définit les critères cumulatifs auxquels les plans et programmes doivent répondre pour être soumis à la directive : premièrement, avoir été élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d’une procédure législative et, deuxièmement, être exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ;
– l’article 3, paragraphe 2), sous a), indique les conditions permettant d’identifier, parmi ces plans et programmes, ceux qui sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et doivent par conséquent faire l’objet d’une ESE, à savoir ceux, premièrement, qui sont élaborés pour certains secteurs et activités économiques déterminés et , deuxièmement, ceux qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l’avenir.
41. De la combinaison de ces préceptes découlent, en réalité, quatre conditions que j’analyserai ci‑dessous, à la fois pour en exposer les grandes lignes et pour déterminer si une réglementation régionale telle que celle en cause y satisfait.
1. Élaboration ou adoption du plan ou du programme par une autorité de l’État membre
42. La première condition, dont l’appréciation ne pose généralement pas de problème herméneutique, est que la réglementation nationale a été adoptée ou élaborée par une autorité d’un État membre, au niveau national, régional ou local.
43. La juridiction de renvoi indique que les autorités régionales flamandes ont adopté la section 5.20.6 du Vlarem II en exécution du décret sur l’autorisation écologique. Elle précise également (19) que la section 5.20.6 et la circulaire ont été promulgués afin de mettre en œuvre la directive 2009/28/CE (20).
44. Le gouvernement belge considère cependant que la section 5.20.6 du Vlarem II ne remplit pas cette première condition, non pas parce que ces dispositions ne sont pas attribuables à l’administration régionale, mais parce qu’elles n’ont aucune dimension planificatrice ou programmatique. Je me prononcerai ultérieurement sur cet argument, mais précise déjà que la nature normative de cet article me semble incontestable.
45. Quant à la circulaire, il appartient à la juridiction de renvoi de préciser, au regard du droit belge, ses caractéristiques sur lesquelles les parties ne s’accordent pas.
46. D’après les informations en possession de la Cour, il semble que la circulaire a été élaborée et approuvée en tant qu’acte administratif, sans que cela implique, stricto sensu, que la Région flamande exerce les pouvoirs législatif ou réglementaire. Elle exprime la volonté de l’administration flamande de mettre en œuvre (dans les termes prévus par la circulaire elle‑même) l’application des règles relatives à l’implantation des parcs éoliens.
47. Plus précisément, selon le gouvernement belge, la circulaire réunit les lignes directrices que l’autorité régionale a l’intention de suivre lorsqu’elle exerce un pouvoir discrétionnaire dans des cas particuliers, tels que l’octroi d’un permis d’installation d’éoliennes.
48. Sous réserve, je le répète, de l’appréciation de la juridiction de renvoi, je considère que si le contenu de la circulaire lie l’administration régionale flamande qui l’a adoptée comme règle pour son action future (21), il pourrait s’inscrire dans la notion de « plans ou de programmes » au sens de la directive ESIE. Ce ne serait pas le cas s’il s’agissait d’un texte dépourvu de tout caractère juridiquement contraignant, même ad intra.
2. Plans et programmes exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives
a) Considérations générales
49. Aux termes de l’article 2, sous a), second tiret, de la directive ESIE, les plans et programmes adoptés par les autorités d’un État membre qui entrent dans son champ d’application sont ceux qui sont « exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ».
50. Depuis l’arrêt Inter-Environnement Bruxelles e.a., les plans et programmes dont l’adoption est encadrée par des dispositions législatives ou réglementaires nationales déterminant les autorités compétentes pour les adopter ainsi que leur procédure d’élaboration sont réputés être « exigés » au sens et pour l’application de la directive ESIE (22).
51. Avec cette interprétation, la Cour a procédé à une lecture généreuse de la directive ESIE, en considérant qu’elle s’applique aux plans et programmes visés par des dispositions légales ou réglementaires nationales à la fois lorsque leur adoption est obligatoire et lorsqu’elle est facultative.
52. Dans l’affaire Inter-Environnement Bruxelles e.a., l’avocate générale Kokott avait proposé une interprétation plus restrictive : une ESE ne serait exigée que pour les plans et programmes dont l’adoption, imposée par une règle de droit national, est obligatoire (23).
53. La juridiction de renvoi invite la Cour à modifier sa jurisprudence et à l’aligner sur cette interprétation plus restrictive. Le gouvernement du Royaume‑Uni soutient cette proposition que la Supreme Court (Cour suprême, Royaume‑Uni) a, en son temps, également retenue dans l’arrêt HS2 Action Alliance (24). Le gouvernement belge a également défendu cette proposition à titre subsidiaire dans ses observations écrites, mais il est revenu sur cette position lors de l’audience. Les parties A, B, C, D et E, la Commission et le gouvernement néerlandais s’opposent à cette thèse et ont réitéré leur soutien à cette jurisprudence : aucune de ces parties, ni in fine le gouvernement belge, ne promeut un revirement de jurisprudence dans le sens suggéré par la juridiction de renvoi.
54. La Cour devrait-elle abandonner ou, au contraire, confirmer son interprétation de l’expression « exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives » ?
55. Pour ma part, je reconnais que, dans cette controverse, l’une et l’autre thèse s’appuient sur des arguments de poids (25). Si je devais, en fin de compte, suggérer à la Cour de confirmer sa jurisprudence, je le ferais parce que, comme cela a été clairement dit lors de l’audience, aucun argument nouveau, faisant pencher la balance en faveur d’un revirement, n’a été avancé.
56. L’absence d’arguments nouveaux va de pair avec la répétition, par la juridiction de renvoi et par les tenants de cette position, des arguments déjà avancés par l’avocate générale Kokott, que la Cour n’a pas retenus dans plusieurs arrêts depuis 2012 (26).
57. Dans ces conditions, je ne trouve pas de motifs suffisants pour proposer une autre solution. J’ai conclu, dans des circonstances similaires (27), que face à des situations telles que celle qui nous occupe, il me semble plus prudent d’opter pour la stabilité de la jurisprudence, c’est‑à‑dire de privilégier la règle du précédent, en tant que règle la mieux adaptée aux impératifs de la sécurité juridique.
58. La clé du problème réside dans le choix du type d’interprétation de la directive ESIE :
– faire primer une interprétation littérale et historique de l’article 2, sous a), second tiret, permet de soutenir que seuls les plans et programmes dont l’adoption est légalement obligatoire nécessitent une évaluation environnementale ;
– à l’inverse, si l’on privilégie une interprétation systématique et téléologique de cette disposition, le champ d’application de la directive ESIE englobe également les plans et programmes prévus par la loi ou la réglementation, mais dont l’adoption est volontaire, ceux‑ci devant également faire l’objet d’une ESE lorsqu’ils ont une incidence notable sur l’environnement.
59. Au risque de reproduire les arguments d’une polémique qui, je le répète, n’apporte que peu d’innovations, je me limiterai à mettre en évidence les fondements herméneutiques en faveur de l’interprétation que la Cour a, jusqu’à présent, maintenue.
60. L’interprétation littérale de l’article 2, sous a), second tiret, de la directive ESIE ne semble pas concluante. Le terme « exigés » peut signifier qu’il s’agit de programmes et de plans « requis », « réclamés », « imposés », mais est ambigu quant au point de savoir s’il couvre ou non, de manière exclusive, les plans et programmes que les autorités nationales sont obligées d’adopter (28). L’adage « in claris non fit interpretatio » ne saurait être appliqué à cet égard.
61. Comme toutes les versions linguistiques d’un acte de l’Union ont la même valeur, il importe, lorsqu’elles présentent des divergences et afin de préserver l’unité d’interprétation du droit de l’Union, d’interpréter la disposition concernée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (29). Il convient dès lors de procéder à une interprétation systématique et téléologique, mais j’aborderai auparavant l’interprétation historique de l’article 2, sous a), second tiret, de la directive ESIE.
62. Si nous examinons la genèse de cette disposition, les termes « exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives » n’apparaissaient ni dans la proposition initiale de la Commission (30) ni dans une version modifiée ultérieure (31). Ils ont été ajoutés par le Conseil dans la position commune adoptée le 30 mars 2002 sans avoir été modifiée par le Parlement européen (32).
63. L’on pourrait déduire de cet ajout introduit par le Conseil de l’Union européenne que ce dernier voulait soumettre certains plans et programmes à l’ESE, mais non que son intention expresse était de limiter ces plans et programmes exclusivement à ceux dont l’adoption était obligatoire. Les plans et programmes prévus par des dispositions légales et réglementaires et dont l’adoption est volontaire peuvent avoir des incidences sur l’environnement tout aussi importantes, voire plus importantes, que les plans et programmes dont l’adoption est obligatoire. Il est risqué de présumer que le Conseil ait eu la volonté d’exclure ces derniers de l’ESE, au seul motif que certains États auraient fait valoir qu’une telle évaluation pourrait dissuader les autorités nationales de les adopter (33).
64. Dès lors que l’interprétation littérale et l’interprétation historique ne sont pas concluantes, le recours à l’interprétation systématique et à l’interprétation téléologique s’impose.
65. Du point de vue systématique, la directive ESIE ne s’applique qu’à « certains » plans et programmes ayant des incidences notables sur l’environnement, et non à la totalité d’entre eux. Les exclusions énoncées à l’article 3, paragraphes 8 et 9, ne mentionnent pas les plans et programmes prévus par les réglementations nationales et dont l’adoption est volontaire, mais les plans et programmes :
– destinés uniquement à des fins de défense nationale et de protection civile, ou
– financiers ou budgétaires, ou
– cofinancés par les fonds structurels de l’Union.
66. L’interprétation large de l’adjectif « exigés » permet de mieux englober dans le champ d’application de la directive ESIE les plans et programmes dont l’adoption et la préparation peuvent, en fonction des droits nationaux, difficilement être réduites à la dichotomie obligatoire/facultatif, dans la mesure où cette interprétation couvre de multiples hypothèses intermédiaires.
67. L’hétérogénéité des pratiques des États membres dans l’élaboration de ces plans et programmes (34) recommande une interprétation large du terme « exigés ». Cet argument est d’autant plus pertinent que les modifications des plans et programmes, qui doivent être traitées de la même manière que leur adoption et leur élaboration, exigent une évaluation environnementale, pour autant que les critères fixés par la directive sont respectés (35).
68. Ces modifications sont généralement décidées par les autorités des États membres sans qu’il y ait d’obligation légale de les mettre en œuvre. Une interprétation restrictive du terme « exigés » les exclurait de facto de la directive ESIE, même si elles avaient des incidences notables sur l’environnement.
69. L’interprétation téléologique de l’article 2, sous a), second tiret, de la directive ESIE plaide également en faveur d’une lecture large du terme « exigés », permettant d’inclure les plans et programmes adoptés par les autorités nationales de manière volontaire.
70. Compte tenu de l’objectif de la directive ESIE (assurer un niveau élevé de protection de l’environnement), les dispositions qui délimitent son champ d’application, et plus précisément celles qui définissent les actes auxquels elle se réfère, ne doivent pas être interprétées de manière restrictive (36).
71. L’interprétation pro environnement de la directive ESIE est en outre encouragée par les dispositions du droit primaire :
– en vertu de l’article 191, paragraphe 2, TFUE (qui a succédé à l’article 174, paragraphe 2, CE), la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise à atteindre un « niveau de protection élevé », en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union ;
– l’article 3, paragraphe 3, TUE prévoit que l’Union œuvre concrètement pour un « niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement » (37).
72. La réalisation de l’objectif de la directive ESIE (qui, je le répète, vise assurer un niveau élevé de protection de l’environnement) pourrait être mise en péril par une interprétation du terme « exigés » qui exclurait de l’ESE les plans et programmes prévus dans les réglementations nationales, mais adoptés sur une base volontaire. Une telle interprétation porterait atteinte, au moins en partie, à l’effet utile de cette directive (38) en allant à l’encontre de sa finalité consistant à établir une procédure de contrôle des actes de nature normative susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
73. Je ne pense pas que l’approche suivie jusqu’à présent par la Cour mette en péril ou aille à l’encontre de cette intention du législateur. La possibilité d’appliquer également la directive ESIE à des plans et programmes prévus par la réglementation nationale, mais adoptés sur une base volontaire, ne signifie pas que ces plans requièrent toujours cette évaluation : il faut, en plus, qu’ils remplissent les conditions établies à l’article 3 de ce texte.
74. En particulier, il convient de souligner que ces plans et programmes doivent répondre à la condition d’intégration d’un cadre normatif pour l’autorisation ultérieure des projets ayant des incidences notables sur l’environnement. Je pense qu’il s’agit là de l’élément clé pour déterminer la juste portée du champ d’application de la directive ESIE, sans interférer de manière excessive dans l’activité législative des États membres.
75. J’estime par conséquent que, pour parvenir à une application raisonnable, efficace et homogène de la directive ESIE, la Cour devrait affiner sa jurisprudence relative aux contours de ce cadre normatif plutôt que celle relative à la locution « exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ».
b) Application de ces critères dans la présente affaire
76. La juridiction de renvoi souhaite savoir si la section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire peuvent être qualifiés de plans ou de programmes « exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ».
77. S’agissant de la section 5.20.6 du Vlarem II, elle confirme que son adoption était prévue à l’article 20 du décret sur l’autorisation écologique ainsi qu’à l’article 5.1.1 du DABM. Elle confirme également que même si cette section était prévue par la loi, son adoption par les autorités régionales flamandes n’était pas obligatoire, celles‑ci pouvant s’en dispenser.
78. Conformément à l’interprétation de la Cour que j’ai résumée ci‑dessus et que je propose de maintenir, il convient de considérer que la section 5.20.6 du Vlarem II incorpore un plan ou un programme exigé par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, au sens de l’article 2, sous a), second tiret, de la directive ESIE.
79. Quant à la circulaire, la Commission soutient qu’elle ne relève pas de cette catégorie, car les normes en matière de protection de l’environnement applicables en Flandre pour l’installation de parcs éoliens ne prévoyaient pas spécifiquement son adoption. La circulaire serait le résultat d’une décision politique libre de l’administration régionale flamande, qui n’est pas prévue par la loi (39).
80. Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si, par son contenu, la circulaire développe et complète la section 5.20.6 du Vlarem II, au point d’acquérir le statut de disposition réglementaire plus ou moins déguisée (40). Si, conformément au droit belge, l’administration opère, par l’intermédiaire de la circulaire, une autolimitation de son champ d’action, en fixant des lignes directrices que les particuliers doivent également respecter, l’on pourrait considérer qu’elle était prévue par le décret sur l’autorisation écologique et par le DABM.
3. Plan ou programme relatif à une activité ou à un secteur économique couvert par la directive ESIE
81. L’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE prévoit que, sous réserve du paragraphe 3 de cet article, une évaluation environnementale est effectuée pour tous les plans et programmes qui sont élaborés, entre autres, « pour les secteurs […] de l’énergie, […] de l’aménagement du territoire urbain et rural ou de l’affectation des sols ».
82. La section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire concernent le secteur de l’énergie et, concrètement, l’installation de parcs éoliens. Les normes de bruit applicables aux éoliennes influencent la localisation de celles‑ci dans les zones habitées et ont dès lors également une incidence sur l’aménagement du territoire urbain et rural, ainsi que sur l’affectation des sols.
83. Il ne fait dès lors aucun doute que l’objet de ce corpus normatif est couvert par la directive ESIE.
4. Plan ou programme constituant un cadre de référence pour l’autorisation de projets couverts par la directive EIE
84. L’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE subordonne la soumission des plans et programmes à une ESE aux conditions suivantes, qui s’ajoutent au fait qu’ils doivent concerner un des secteurs énoncés par cette disposition :
– les plans et programmes doivent définir le cadre dans lequel la mise en œuvre de projets pourra être autorisée à l’avenir ;
– ces projets doivent être énumérés aux annexes I et II de la directive EIE (41).
85. S’agissant de la seconde condition, la section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire concernent un type d’installation expressément mentionné à l’annexe II, point 3, i), de la directive EIE, sous l’appellation « Installations destinées à l’exploitation de l’énergie éolienne pour la production d’énergie (parcs éoliens) » (42).
86. Quant à la première condition, l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE prévoit que, pour être soumis à l’obligation d’effectuer une ESE, il est indispensable que les plans et programmes définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l’avenir.
87. La Cour a jugé que la notion de « plans et programmes » se rapporte à tout acte qui instaure, en définissant des règles et des procédures, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l’autorisation et la mise en œuvre de projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (43).
88. Un acte est donc réputé définir le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l’avenir et, par conséquent, est considéré comme un plan ou un programme relevant de l’ESIE s’il inclut un ensemble significatif de critères et de modalités (règles et procédures) pour la mise en œuvre de projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (44).
89. Cette interprétation « vise à assurer […] que des prescriptions susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement fassent l’objet d’une évaluation environnementale » (45) au sein d’un ensemble de dispositions ; sous l’angle inverse, elle évite que des critères ou des conditions fixés de manière isolée imposent une ESE.
90. Par conséquent, la notion d’« ensemble significatif de critères et de modalités » (cadre de référence) doit être comprise de manière qualitative et non pas quantitative. Il suffit que l’ensemble soit significatif, et non exhaustif, pour que le plan ou le programme qui l’établit exige une ESE. Cela permet également d’éviter de possibles stratégies de contournement des obligations énoncées par la directive ESIE, par exemple une fragmentation des mesures, réduisant ainsi l’effet utile de cette directive (46).
91. Il convient de transposer cette jurisprudence à la réglementation flamande en cause (soit la section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire, si cette dernière devait avoir des effets juridiques), en tenant compte des éléments que j’indique ci‑dessous.
92. En premier lieu, et avant toute autre considération, la Cour a jugé qu’une réglementation (wallonne, dans l’espèce considérée) relative à la mise en œuvre de parcs éoliens, en partie analogue à la réglementation flamande qui nous occupe, constituait un cadre pour l’autorisation de projets ayant une incidence notable sur l’environnement. La Cour s’est clairement prononcée en ce sens dans l’arrêt D’Oultremont e.a. (47).
93. Les deux réglementations présentent certes quelques différences, mais la réglementation flamande en cause dans la présente affaire organise de manière détaillée des dispositions portant sur plusieurs questions sensibles (bruit, ombre stroboscopique, sécurité et nature des éoliennes) comparables à celles traités dans l’arrêté wallon.
94. En principe, aucun projet d’implantation d’un parc éolien en Flandre ne peut être autorisé s’il ne respecte pas les conditions fixées dans cette réglementation. Les informations disponibles suggèrent donc qu’il s’agit d’un cadre de référence, non pas exhaustif, mais bel et bien significatif, pour l’autorisation de projets de parcs éoliens, dont les incidences environnementales sont indéniables.
95. Le gouvernement belge admet lui‑même implicitement que la section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire constituent un cadre de référence significatif pour l’autorisation de projets de parcs éoliens lorsqu’il assure, au sujet de l’éventuelle limitation dans le temps des effets de l’arrêt à intervenir, que déclarer ces textes illégaux aurait pour conséquence qu’il n’existerait plus de conditions environnementales sectorielles juridiquement valables pour les éoliennes(48).
96. La Commission fait valoir que les normes de la section 5.20.6 du Vlarem II relatives au bruit des éoliennes sont les seules à être pertinentes pour l’autorisation des projets de parcs éoliens, en ce qu’elles déterminent directement leur localisation par rapport aux bâtiments occupés et aux zones résidentielles. Il n’en irait pas de même des normes relatives à l’ombre stroboscopique et à la sécurité de ces éoliennes, qui ont une incidence sur la phase d’exploitation de chaque parc éolien : l’évaluation de leurs incidences devrait être effectuée sur la base de la directive EIE et non de la directive ESIE.
97. Je ne partage pas cette approche, car elle se concentre sur l’analyse individuelle des dispositions du plan ou du programme, et non sur l’ensemble de celui‑ci. En outre, les exigences relatives à l’ombre stroboscopique et à la sécurité doivent également être prises en compte lors de l’implantation des éoliennes, indépendamment de leur incidence ultérieure sur l’exploitation du parc éolien (comme c’est du reste le cas pour les normes de bruit).
98. En deuxième lieu, la Cour considère que la notion de « plans et programmes » peut recouvrir des actes normatifs adoptés par la voie législative ou réglementaire.
99. La Cour a refusé d’exclure les mesures législatives de la double notion de « plans et programmes », puisque ces mesures sont expressément reprises dans la définition de l’article 2, sous a), premier tiret, de la directive ESIE (49). Elle a également rejeté l’analogie avec les catégories de la convention d’Aarhus (50) et du protocole de Kiev (51) « dans la mesure où la directive ESIE ne contient précisément pas de dispositions spécifiques relatives à des politiques ou à des réglementations générales qui nécessiteraient une délimitation par rapport aux “plans et programmes” » (52).
100. Pour le gouvernement belge, la section 5.20.6 du Vlarem II est une réglementation de nature générale, sans dimension programmatique ou planificatrice, qui ne poursuit pas d’objectif de transformation du cadre existant pour l’implantation des parcs éoliens. Cette section ne relèverait pas de la notion de « plans ou programmes » et ne requerrait dès lors pas d’ESE (53).
101. Cet argument conduirait, en réalité, à réactiver la lecture de la directive ESIE à la lumière de la convention d’Aarhus et du protocole de Kiev, en vertu desquels les dispositions légales et réglementaires sont exemptées d’évaluation de l’impact sur l’environnement.
102. Comme je l’ai souligné précédemment, la Cour a rejeté cette interprétation dans son arrêt D’Oultremont e.a. Une norme interne à caractère réglementaire (comme en l’espèce) exigera dès lors une ESE pour autant qu’elle établisse un cadre de référence significatif pour la mise en œuvre de projets de parcs éoliens. Comme je l’ai déjà expliqué, c’était le cas des règles analysées dans l’arrêt D’Oultremont e.a., dont les dispositions, je le répète, sont en partie similaires à celles actuellement en cause.
103. En troisième lieu, la jurisprudence de la Cour n’exige pas que les plans ou programmes « doivent avoir pour objet l’aménagement d’un territoire donné », mais qu’ils « visent, plus largement, l’aménagement de territoires ou de zones en général » (54).
104. Tout comme la réglementation wallonne en cause dans l’affaire D’Oultremont e.a., la section 5.20.6 du Vlarem II concerne le territoire d’une région (la Flandre) dans son ensemble. Les valeurs limites de bruit qu’elle fixe présentent un lien étroit avec ledit territoire, dès lors qu’elles sont déterminées en fonction des différents types d’affectation des zones géographiques. Son application permet de déduire les lieux où les éoliennes peuvent être implantées, comme c’est le cas dans les communes d’Aalter et de Nevele.
105. Enfin, la Cour a jugé qu’il convient d’éviter qu’un même plan ou programme soit assujetti à plusieurs ESE. Par conséquent seront exclus du régime de l’ESE, à la condition que l’évaluation de leurs incidences ait été préalablement réalisée, les plans et programmes qui s’insèrent dans une hiérarchie d’actes ayant eux‑mêmes fait l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement et dont il peut raisonnablement être considéré qu’ils prennent suffisamment en compte les intérêts que la directive ESIE vise à protéger (55).
106. Selon cette jurisprudence, si la section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire font partie d’un ensemble de dispositions dont l’adoption a déjà fait l’objet d’une ESE, elles ne doivent pas nécessairement faire l’objet d’une autre évaluation spécifique.
107. Le dossier ne contient aucun élément permettant de vérifier cette circonstance. La section 5.20.6 du Vlarem II trouve son fondement dans le décret sur l’autorisation écologique, mais les conditions qu’il établit pour l’implantation des éoliennes ne coïncident même pas avec celles de la norme de base. Comme la Commission l’a déclaré lors de l’audience, la section 5.20.6 du Vlarem II est un plan ou programme nouveau aux fins de la directive ESIE.
108. J’ai précédemment indiqué qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si, par son contenu, la circulaire développe et complète la section 5.20.6 du Vlarem II en tant que disposition réglementaire déguisée (56). Si tel devait être le cas, elle devrait également être soumise à la directive ESIE, car elle semble, à première vue, contenir des normes de qualité environnementale moins strictes en matière de bruit que la section 5.20.6 du VLAREM II, en ce qu’elle permet d’installer des éoliennes dans des endroits non habilités à cette fin par ladite section.
109. La circulaire semble donner aux autorités administratives flamandes la possibilité d’admettre plus facilement des exceptions aux règles existantes du VLAREM II en ce qui concerne l’installation d’éoliennes. Cela confirmerait que, conformément à la jurisprudence de la Cour, elle pourrait relever de l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive ESIE (57).
110. En résumé, un corpus réglementaire tel que celui en cause, dont les dispositions régissent le cadre d’accès aux autorisations de parcs éoliens en termes d’ombre stroboscopique, de sécurité et de bruit, relève de la notion de « plans et programmes » visée à l’article 2, sous a), de la directive ESIE, et peut avoir une incidence notable sur l’environnement. Dans cette même mesure, il exige la réalisation d’une ESE, conformément à l’article 3, paragraphe 2, sous a), de cette directive.
D. Huitième et neuvième questions
111. La juridiction de renvoi demande des éclaircissements quant aux effets de l’arrêt à intervenir sur les plans et programmes (ainsi que sur les décisions individuelles prises en vertu de ceux‑ci) s’il s’avère que la section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire auraient dû être soumises à une ESE. Plus précisément, elle souhaite savoir si les effets d’une éventuelle annulation pourraient être limités afin de maintenir temporairement les effets de ces normes, de manière à protéger l’environnement et à garantir l’approvisionnement en électricité.
112. En outre, elle demande si une telle limitation dans le temps pourrait s’appliquer non seulement aux recours (directs) en annulation contre des plans et programmes adoptés sans ESE, mais également aux recours (indirects) lorsque la contestation des décisions individuelles d’autorisation de projet prises en application de ces plans et programmes se fonde – exclusivement ou non – sur la nullité de ces derniers.
113. Je constate que la juridiction de renvoi pose cette dernière question tout en assurant ne pas être compétente, en vertu du droit belge, pour annuler la section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire (58). Elle est appelée à statuer sur un recours en annulation contre une décision individuelle d’autorisation d’éoliennes (59), dans le cadre duquel une exception d’illégalité tirée de l’éventuelle nullité de la section 5.20.6 du Vlarem II et de la circulaire, a été soulevée.
114. La Cour a jugé que « [e]n l’absence, dans [la] directive [ESIE], de dispositions relatives aux conséquences à tirer d’une violation des dispositions procédurales qu’elle édicte, il appartient aux États membres de prendre, dans le cadre de leurs compétences, toutes les mesures nécessaires, générales ou particulières pour que tous les “plans” ou “programmes” susceptibles d’avoir des “incidences notables sur l’environnement” au sens de [cette] directive […] fassent, préalablement à leur adoption, l’objet d’une évaluation environnementale, conformément aux modalités procédurales et aux critères prévus par ladite directive » (60).
115. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les États membres sont tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union et une telle obligation incombe, dans le cadre de ses compétences, à chaque organe de l’État membre concerné.
116. Spécifiquement, s’agissant de l’obligation de remédier à l’omission de l’évaluation requise par la directive ESIE, il découle de cette jurisprudence que :
– la suspension ou l’annulation de l’acte entaché d’un tel vice, incombe également aux juridictions nationales saisies d’un recours contre un acte de droit interne adopté en violation de la directive ESIE ;
– les modalités procédurales applicables à de tels recours relèvent de l’ordre juridique interne de chaque État membre, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) ;
– les juridictions saisies à cet égard doivent adopter, sur le fondement de leur droit national, des mesures tendant à la suspension ou à l’annulation du plan ou programme adopté en méconnaissance de l’obligation de procéder à une évaluation environnementale prévue par ladite directive (61).
117. Conformément à cette obligation générale, un plan ou un programme adopté sans ESE, en violation de la directive ESIE, devrait être suspendu, annulé ou laissé inappliqué par la juridiction nationale afin de donner effet utile à la primauté du droit de l’Union. A fortiori, le même sort devrait être réservé aux autorisations de projets accordées en vertu de ce plan ou de ce programme.
118. La Cour a cependant admis qu’il est possible, « à titre exceptionnel et pour des considérations impérieuses de sécurité juridique, d’accorder une suspension provisoire de l’effet d’éviction exercé par une règle du droit de l’Union à l’égard du droit national contraire à celle‑ci » (62).
119. La Cour se réserve cette prérogative à titre exclusif et assure que si des juridictions nationales avaient le pouvoir de donner aux dispositions nationales la primauté par rapport au droit de l’Union contraire à celles‑ci, serait-ce même à titre provisoire, il serait porté atteinte à l’application uniforme du droit de l’Union.
120. La Cour accepte donc qu’une juridiction nationale puisse, lorsque le droit interne le permet, exceptionnellement et au cas par cas, limiter dans le temps certains effets d’une déclaration d’illégalité d’une disposition du droit national qui a été adoptée en méconnaissance des obligations prévues par la directive ESIE.
121. Pour faire usage de cette possibilité, dans des cas tels que celui qui nous occupe, la limitation doit être justifiée par une considération impérieuse liée à la protection de l’environnement et il convient de tenir compte des circonstances spécifiques de l’affaire sur lesquelles la juridiction nationale doit se prononcer. Cette faculté exceptionnelle ne saurait toutefois être exercée que lorsque toutes les conditions qui ressortent de l’arrêt Inter-Environnement Wallonie (63), que j’exposerai ci‑dessous (64), sont remplies.
122. En ce qui concerne la directive EIE, la Cour a également déclaré (65) que, en cas d’omission d’une évaluation des incidences d’un projet sur l’environnement exigée par cette directive, s’il incombe aux États membres d’en effacer les conséquences illicites, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’une telle évaluation soit effectuée à titre de régularisation alors que le projet est en cours de réalisation ou même après qu’il a été réalisé, pour autant que certaines conditions soient remplies (66).
123. Il ressort de cette jurisprudence que la Cour admet, à titre exceptionnel, que les juridictions nationales suspendent temporairement, dans des conditions strictes, « l’effet d’exclusion » de la primauté de la directive ESIE afin de protéger une exigence impérative d’intérêt général, telle que l’environnement ou la sécurité de l’approvisionnement en électricité d’un pays.
124. Cette faculté a, jusqu’à présent, été reconnue dans des cas de recours en annulation introduits devant des juridictions nationales contre des plans et programmes relevant du champ d’application de la directive ESIE et dont l’adoption n’a pas donné lieu à une ESE (67). La juridiction de renvoi souhaite savoir si cette même faculté pourrait être étendue aux recours introduits contre les décisions individuelles autorisant l’implantation d’éoliennes en application de ces plans et programmes (68).
125. Les parties qui ont présenté des observations défendent à cet égard des positions opposées :
– la Commission estime que la possibilité de maintenir, à titre exceptionnel, les effets de plans ou de programmes contraires à la directive ESIE ne peut exister que dans le cadre d’un recours en annulation direct contre les plans ou programmes concernés. Elle ne voit pas de raison d’élargir cette possibilité exceptionnelle aux décisions d’autorisation individuelles ;
– le gouvernement belge défend la thèse opposée. Selon lui, le statut procédural de l’exception d’illégalité (qui consiste à attaquer indirectement le plan ou le programme proprement dit pour violation de la directive ESIE, en vue d’attaquer la validité du permis accordé pour un projet spécifique) commande d’appliquer cette jurisprudence de la Cour (69).
126. L’argumentation du gouvernement belge me semble, in abstracto, plus convaincante. En définitive, les deux formes de contestation (recours direct ou indirect) poursuivent le même objectif, à savoir purger l’ordre juridique des décisions et des règles qui sont contraires, dans la mesure qui nous intéresse, au droit de l’Union.
127. Une des considérations qui ont conduit la Cour à développer sa jurisprudence sur le maintien temporaire des effets d’un acte national incompatible avec le droit de l’Union est le souci de sécurité juridique. L’incertitude (ou le vide normatif) causé par la constatation de la nullité de cet acte est accrue lorsque les recours (directs) en annulation sont accueillis erga omnes, mais elle survient également dans le cadre des recours indirects, lorsque l’exception d’illégalité est retenue (70). La multiplication de ces derniers peut, de facto, avoir les mêmes conséquences que l’annulation directe de la disposition concernée (71).
128. L’application du parallélisme pris en compte par la Cour dans l’affaire Winner Wetten justifierait donc que la suspension temporaire, par le juge national, de l’« effet d’exclusion » de la primauté du droit de l’Union puisse également intervenir dans le cadre des exceptions d’illégalité, en présence de décisions individuelles mettant en œuvre des plans ou des programmes adoptés en violation de la directive ESIE (72).
129. Il convient également de garder à l’esprit que l’obligation de réaliser une ESE est une exigence procédurale qui doit être respectée lors de l’approbation de certains plans et programmes. Même si ces derniers n’ont pas été soumis à cette exigence, il est possible que leur contenu matériel reflète un niveau élevé de protection de l’environnement.
130. Cette circonstance (qui explique en partie la jurisprudence « permissive » de la Cour exposée ci‑dessus) concerne tant les recours directs en annulation contre le plan ou le programme adopté sans l’ESE obligatoire que les recours indirects dans lesquels la violation du droit de l’Union est opposée, sous la forme d’une exception d’illégalité, à des décisions individuelles appliquant ledit plan ou programme.
131. Enfin, la protection de l’environnement et la sécurité de l’approvisionnement en électricité d’un État membre constituent des raisons impérieuses d’intérêt général dont la Cour admet qu’elles justifient la suspension de l’« effet d’exclusion » de la primauté du droit de l’Union sur le droit national adopté en violation de la directive ESIE.
132. En l’espèce, au moins une de ces raisons impérieuses (à savoir la protection de l’environnement) (73) pourrait justifier le maintien temporaire des effets des permis de construire des cinq éoliennes dans les communes d’Aalter et de Nevele et, indirectement, des règles qu’ils ont respectées.
133. Cette faculté exceptionnelle que la Cour peut reconnaître aux juridictions nationales ne peut être exercée que si toutes les conditions prévues par l’arrêt Inter-Environnement Wallonie (74) sont réunies, à savoir :
– la disposition du droit national attaquée doit constituer une mesure de transposition correcte du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement ;
– l’adoption et l’entrée en vigueur d’une nouvelle disposition du droit national ne permettrait pas d’éviter les effets préjudiciables sur l’environnement découlant de l’annulation de la disposition du droit national attaquée ;
– l’annulation de la disposition du droit national contestée doit avoir pour conséquence de créer un vide juridique en ce qui concerne la transposition du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement qui serait plus préjudiciable à celui‑ci, en ce sens que cette annulation se traduirait par une protection moindre et irait ainsi à l’encontre même de l’objectif essentiel du droit de l’Union ;
– le maintien exceptionnel des effets de la disposition du droit national attaquée ne doit couvrir que le laps de temps strictement nécessaire à l’adoption des mesures permettant de remédier à l’irrégularité constatée.
134. D’après les indications de la décision de renvoi et les observations présentées, ces conditions sont, en l’espèce, réunies :
– la section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire constituent une mesure de transposition correcte d’une norme du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement, à savoir la directive 2009/28. Le développement de la production d’énergie par l’intermédiaire de parcs éoliens est un élément indispensable de la stratégie suivie par l’État belge pour atteindre une augmentation de la production électrique provenant de sources renouvelables à l’échéance 2020 ;
– la section 5.20.6 du Vlarem II et la circulaire ont été un élément important de la réglementation belge en matière d’implantation de parcs éoliens et, conformément à ce qu’indique la juridiction de renvoi, ont dans une large mesure servi de base à l’octroi des permis individuels d’implantation d’éoliennes depuis le 31 mars 2012 ;
– L’adoption et l’entrée en vigueur d’une nouvelle disposition du droit national ne permettrait pas d’éviter les effets préjudiciables sur l’environnement découlant de l’annulation de la section 5.20.6 du Vlarem II et de la circulaire. Cette annulation permettrait une contestation en cascade de la légalité des permis d’implantation d’éoliennes délivrés en Flandre depuis le 31 mars 2012, ce qui pourrait même entraîner des décisions de mise à l’arrêt.
– l’annulation de la section 5.20.6 du Vlarem II et de la circulaire aurait pour conséquence la création d’un vide juridique en ce qui concerne la transposition du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement qui serait davantage préjudiciable à celui‑ci. Concrètement, il n’y aurait plus en Flandre de normes de référence en matière de bruit, d’ombre stroboscopique et de sécurité des éoliennes, au risque que celles‑ci puissent être implantées avec des critères moins stricts de protection de l’environnement.
135. En résumé, il semble plus logique que la Cour admette que le juge national, si son droit interne le prévoit (75), puisse exceptionnellement maintenir les effets de la section 5.20.6 du Vlarem II et de la circulaire, ainsi que les permis accordés pour l’implantation d’éoliennes sur la base de ces normes, pendant le laps de temps strictement nécessaire à l’adoption de mesures remédiant à l’irrégularité constatée, c’est‑à‑dire pendant le laps de temps indispensable pour que les autorités régionales compétentes procèdent à l’ESE de ce corpus réglementaire.
136. En outre, si cette évaluation devait se révéler favorable, la réglementation flamande pourrait continuer d’être appliquée en tant que plan ou programme adapté à la directive ESIE une fois palliée l’absence d’ESE.
IV. Conclusion
137. Eu égard à ce qui a été exposé, je suggère à la Cour de répondre aux questions préjudicielles déférées par le Raad voor Vergunningsbetwistingen (Conseil du contentieux des permis, Belgique) dans les termes suivants :
1) Une réglementation nationale contenant des règles précises en matière d’ombre stroboscopique, de sécurité et de bruit des parcs éoliens, qui constitue le cadre de référence pour autoriser l’emplacement et les caractéristiques de futurs projets d’éoliennes, relève de la notion de « plans ou programmes » visée à l’article 2, sous a), de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, et a une incidence notable sur ce dernier, de sorte qu’elle requiert la réalisation préalable d’une évaluation environnementale stratégique conformément à l’article 3, paragraphe 2, sous a), de cette directive.
2) La juridiction nationale peut limiter les effets dans le temps de la décision qu’elle rend au principal lorsque celle‑ci fait droit à l’exception d’illégalité de la réglementation nationale en cause, afin de maintenir temporairement les effets des permis d’implantation d’éoliennes de manière à protéger l’environnement et, le cas échéant, d’assurer l’approvisionnement en énergie électrique. Cette faculté est subordonnée au respect des conditions établies dans l’arrêt du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, EU:C:2012:103), mises en relation, aux fins de la présente affaire, avec la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE.