Language of document : ECLI:EU:T:2024:206

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DE LA PRÉSIDENTE DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

22 mars 2024 (*)

« Intervention – Recours en annulation – Absence d’intérêt à la solution du litige – Rejet »

Dans l’affaire T‑591/23,

Illumina, Inc., établie à Wilmington, Delaware (États-Unis), représentée par Mes F. González Díaz, M. Siragusa, A. Setari et E. Chutrova, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. P. Berghe, Mme A. Boitos, M. G. Conte, Mme B. Ernst et M. N. Khan, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Illumina, Inc., demande l’annulation de la décision C(2023) 4623 final, du 12 juillet 2023 (affaire M.10483 – Illumina/GRAIL) (ci-après la « décision attaquée »), par laquelle la Commission a, conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), imposé une amende à Illumina et GRAIL LLC pour la violation de l’obligation de suspension prévue à l’article 7 de ce règlement dans le contexte de l’opération de concentration relative à l’acquisition par Illumina du contrôle exclusif de GRAIL (ci-après la « concentration en cause »).

 Faits et procédure

2        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 décembre 2023, GRAIL a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

3        Cette demande d’intervention a été signifiée aux parties principales conformément à l’article 144, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

4        Par leurs observations respectives déposées au greffe du Tribunal le 26 janvier 2024, la requérante a informé le Tribunal qu’elle était favorable à cette demande d’intervention tandis que la Commission a soulevé des objections à l’encontre de ladite demande.

 En droit

5        Conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal, en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis au Tribunal, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir audit litige.

6        Selon une jurisprudence constante, la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens dudit article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir [voir ordonnance du vice-président de la Cour du 24 juin 2021, ratiopharm e.a./Commission, C‑220/21 P(I), non publiée, EU:C:2021:521, point 18 et jurisprudence citée].

7        À cet égard, il convient notamment de vérifier que le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à l’issue du litige est certain. En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention (voir ordonnance du président de la Cour du 10 mars 2023, Illumina/Commission, C‑611/22 P, EU:C:2023:205, point 7 et jurisprudence citée).

8        Selon la jurisprudence, une partie qui est admise à intervenir à un litige soumis au juge de l’Union ne peut pas modifier l’objet du litige tel que circonscrit par les conclusions et les moyens des parties principales. Il s’ensuit que seuls les arguments d’un intervenant qui s’inscrivent dans le cadre défini par ces conclusions et ces moyens sont recevables. Ainsi, c’est en tenant compte, notamment, de l’objet du litige tel qu’il ressort des conclusions des parties principales et des moyens avancés au soutien de ces conclusions, qu’il y a lieu d’apprécier l’intérêt d’un demandeur à intervenir à la solution de ce litige (voir ordonnance du président de la Cour du 28 janvier 2020, VodafoneZiggo Group/Commission, C‑689/19 P, non publiée, EU:C:2020:50, point 9 et jurisprudence citée).

9        À l’appui de sa demande, GRAIL fait valoir qu’elle a un intérêt à intervenir au soutien des conclusions de la requérante dès lors que sa position juridique et économique sera directement affectée par le dispositif de l’arrêt à intervenir.

10      Premièrement, GRAIL soutient que, d’une part, en tant qu’entreprise concernée au sens du règlement no 139/2004, elle a un intérêt spécifique à la solution de tout litige concernant la concentration en cause. D’autre part, GRAIL avance que, si le Tribunal fait droit au recours de la requérante, elle ne peut plus être considérée comme ayant sciemment et intentionnellement violé l’article 7 dudit règlement et l’amende qui lui a été infligée par la décision attaquée est annulée. En outre, elle serait protégée contre des litiges potentiels engagés par des tiers alléguant un dommage subi du fait de cette violation.

11      Deuxièmement, GRAIL invoque sa participation active dans la procédure administrative qui a conduit à l’adoption de la décision attaquée.

12      Troisièmement, GRAIL estime qu’elle est, en tant qu’entreprise concernée, particulièrement bien placée pour aider le Tribunal à statuer sur la présente affaire.

13      À cet égard, il y a lieu de relever que, en l’espèce, tant la requérante que GRAIL sont destinataires de la décision attaquée.

14      Une telle décision, bien que rédigée et publiée sous la forme d’une seule décision, doit s’analyser comme un faisceau de décisions individuelles constatant, à l’égard de chacune des entreprises destinataires, la ou les infractions retenues à sa charge et lui infligeant, le cas échéant, une amende. Elle ne peut être annulée qu’en ce qui concerne les destinataires ayant obtenu gain de cause dans leurs recours devant le juge de l’Union et elle demeure contraignante à l’égard des destinataires n’ayant pas introduit de recours en annulation (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 100, et ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2020, Commission/HSBC Holdings e.a., C‑806/19 P, non publiée, EU:C:2020:364, point 16). En effet, si un destinataire d’une décision décide d’introduire un recours en annulation, le juge de l’Union n’est saisi que des éléments de la décision le concernant, tandis que ceux concernant d’autres destinataires n’entrent pas en principe dans l’objet du litige que le juge de l’Union est appelé à trancher (arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 66).

15      Dès lors, si le recours de la requérante tend à l’annulation de la décision attaquée, cette dernière ne peut être annulée qu’en ce qu’elle concerne la requérante. En revanche, GRAIL n’ayant pas contesté la décision attaquée dans les délais prévus à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, les éléments de cette décision concernant GRAIL sont devenus définitifs à son égard et ne sauraient faire l’objet d’une annulation dans le cadre de la présente affaire (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C‑122/16 P, EU:C:2017:861, points 83 et 85).

16      Il en est a fortiori ainsi dans la mesure où la requérante et GRAIL sont visées, respectivement, par une partie distincte et autonome du dispositif de la décision attaquée, à savoir, en ce qui concerne la requérante, par les articles 1 et 3 de cette décision, et, en ce qui concerne GRAIL, par les articles 2 et 4 de ladite décision (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2020, Commission/HSBC Holdings e.a., C‑806/19 P, non publiée, EU:C:2020:364, point 17).

17      Il s’ensuit que, même si le recours introduit par la requérante était accueilli et, partant, les articles 1 et 3 du dispositif de la décision attaquée, par lesquels la Commission a constaté une violation de l’article 7 du règlement no 139/2004 par la requérante et a infligé une amende à cette dernière, étaient annulés, cette annulation n’aurait aucune incidence directe, sur le plan juridique, sur les articles 2 et 4 du dispositif de ladite décision par lesquels la Commission a constaté une violation dudit article 7 par GRAIL et a infligé une amende à cette dernière. De même, l’annulation des articles 1 et 3 du dispositif de la décision attaquée n’empêcherait pas des tiers d’engager des litiges contre GRAIL.

18      Ainsi, les situations de la requérante et de GRAIL sont distinctes en fait et en droit, malgré les similarités des infractions constatées et des amendes qui leur ont été infligées respectivement par la décision attaquée.

19      Dans ces circonstances, il y a lieu de constater, comme le soutient la Commission, que le sort réservé aux conclusions de la requérante dans le cadre du présent litige n’aura aucune incidence directe sur la position juridique de GRAIL et que cette dernière ne justifie que d’un intérêt indirect à la solution du litige (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2020, Commission/HSBC Holdings e.a., C‑806/19 P, non publiée, EU:C:2020:364, points 12 et 15).

20      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments de GRAIL.

21      Premièrement, le fait que GRAIL soit une entreprise concernée au sens du règlement no 139/2004 ne signifie pas qu’elle a un intérêt spécifique à la solution de tout litige concernant la concentration en cause, même en l’absence d’une modification de sa position juridique au sens de la jurisprudence citée au point 7 ci-dessus.

22      À cet égard, il y a lieu de noter que, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 13 juillet 2022, Illumina/Commission (T‑227/21, EU:T:2022:447), auquel GRAIL fait référence dans le cadre de son argumentation, il se posait la question de savoir si GRAIL LLC avait perdu sa qualité de partie intervenante après que, d’une part, son prédécesseur en droit, Grail Inc., ait cessé d’exister, et, d’autre part, Illumina ait acquis la totalité de ses parts sociales. Au point 58 dudit arrêt, le Tribunal a constaté que, en sa qualité d’ayant cause à titre universel, GRAIL LLC s’est substituée à Grail, Inc. en tant que partie intervenante dans cette affaire et conservait son intérêt à la solution du litige au même titre que celui dont a justifié son prédécesseur en droit Grail, Inc. Or, une telle question ne se pose pas en l’espèce dès lors que c’est GRAIL LLC qui a introduit la demande d’intervention.

23      En outre, il convient de relever que les décisions qui faisaient l’objet de ladite affaire se distinguaient de la décision attaquée en ce qu’elles soumettaient la concentration en cause au champ d’application du règlement no 139/2004 et, dès lors, affectaient la situation juridique des parties à cette concentration (arrêt du 13 juillet 2022, Illumina/Commission, T‑227/21, EU:T:2022:447, points 68 et 70). Dès lors, le fait que GRAIL, en tant que l’autre partie à la concentration en cause, a été admise comme partie intervenante dans cette même affaire s’explique par les circonstances particulières de cette dernière.

24      Deuxièmement, la participation à la procédure administrative ne suffit pas, en tant que telle, à établir un intérêt à la solution du litige (ordonnances du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 28, et du 7 mai 2020, Canon/Commission, T‑609/19, non publiée, EU:T:2020:203, point 24).

25      Troisièmement, ainsi que le soutient la Commission, les avantages pratiques invoqués par GRAIL pour sa participation, en tant qu’entreprise concernée au sens du règlement no 139/2004, à la présente procédure devant le Tribunal, ne sont pas pertinents au sens de la jurisprudence exposée au points 6 à 8 ci-dessus.

26      Il résulte de tout ce qui précède que GRAIL n’a pas démontré l’existence d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Par conséquent, sa demande d’intervention doit être rejetée.

27      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de traitement confidentiel de certains éléments de la requête et de ses annexes à l’égard de GRAIL, déposées au greffe du Tribunal, le 26 janvier 2024, par la requérante et la Commission.

 Sur les dépens

28      En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de GRAIL, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande d’intervention.

29      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 144, paragraphe 6, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la demanderesse en intervention et cette dernière ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LA PRÉSIDENTE DE LA SIXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande d’intervention de GRAIL LLC est rejetée.

2)      GRAIL LLC est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne afférents à la demande en intervention.

Fait à Luxembourg, le 22 mars 2024.

Le greffier

 

La présidente

V. Di Bucci

 

M. J. Costeira


*      Langue de procédure : l’anglais.