Language of document : ECLI:EU:T:2006:123

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

10 mai 2006 (*)

« Aides d’État – Transport aérien – Plainte – Absence de prise de position de la Commission – Recours en carence – Délai – Recevabilité »

Dans l’affaire T‑395/04,

Air One SpA, établie à Chieti (Italie), représentée par Mes G. Belotti et M. Padellaro, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Di Bucci et Mme E. Righini, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 232 CE visant à faire constater que la Commission a manqué aux obligations qui lui incombaient en s’abstenant d’adopter une décision au sujet de la plainte introduite par la requérante le 22 décembre 2003 concernant des aides qui auraient été accordées illégalement par la République italienne à la compagnie aérienne Ryanair,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. H. Legal, président, Mme P. Lindh et M. V. Vadapalas, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 janvier 2006,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Par lettre du 22 décembre 2003, la requérante a transmis à la Commission une plainte dénonçant des aides que les autorités italiennes auraient accordées illégalement à la compagnie aérienne Ryanair sous forme de réduction des prix des services aéroportuaires et d’assistance en escale. La requérante invitait la Commission à enjoindre à la République italienne de suspendre le versement de ces aides.

2        Cette plainte étant restée sans réponse, la requérante a, par lettre du 26 janvier 2004, demandé à la Commission d’en accuser réception.

3        Par lettre du 17 février 2004, la Commission a confirmé avoir reçu la plainte, enregistrée le 29 décembre 2003. La Commission demandait à la requérante de pouvoir révéler son nom aux autorités italiennes ou, dans la négative, de lui transmettre une version non confidentielle de la plainte.

4        Par lettre du 23 février 2004, la requérante, alors dans l’attente d’une réponse, a invité la Commission à enquêter sur les aides dénoncées.

5        Par télécopie du 1er mars 2004, la requérante a adressé à la Commission une version non confidentielle de sa plainte.

6        Le 11 juin 2004, demeurant dans l’attente d’une réponse, la requérante a invité formellement la Commission à prendre position sur sa plainte en vertu de l’article 232 CE.

7        Par lettre du 9 juillet 2004, la Commission a transmis la plainte de la requérante aux autorités italiennes, les invitant à vérifier la véracité de son contenu et à y répondre dans un délai de trois semaines. À la demande des autorités italiennes, ce délai a été reporté au 30 septembre 2004.

8        Par télécopie du 13 septembre 2004, la Commission a informé la requérante que la version non confidentielle de sa plainte avait été transmise aux autorités italiennes le 9 juillet 2004 et qu’un délai de réponse expirant au 30 septembre 2004 leur avait été accordé.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 octobre 2004, la requérante a introduit le présent recours.

10      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 11 janvier 2006.

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer que la Commission a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu du traité CE en s’abstenant de prendre position, bien qu’elle ait été invitée formellement à le faire, sur la plainte présentée le 22 décembre 2003 à propos des aides d’État que les autorités italiennes auraient illégalement accordées au transporteur aérien Ryanair ;

–        ordonner à la Commission de prendre sans retard position sur cette plainte et sur les mesures conservatoires demandées ;

–        condamner la Commission aux dépens, même s’il n’y a plus lieu de statuer en raison de l’adoption d’un acte par la Commission en cours d’instance.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ou, subsidiairement, non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

  Sur la recevabilité

 Arguments des parties

13      La Commission soutient que le recours est irrecevable, car la requérante n’a pas démontré être directement et individuellement concernée par la décision qu’elle aurait manqué d’adopter. Faute d’avoir suffisamment prouvé que les mesures dénoncées ont affecté ses intérêts, la requérante n’aurait pas qualité pour agir.

14      La Commission estime qu’il incombe à la requérante de démontrer l’importance de l’atteinte à sa position sur le marché (ordonnance du Tribunal du 27 mai 2004, Deutsche Post et DHL/Commission, T‑358/02, Rec. p. II‑1565, point 37), quelle que soit la phase de la procédure au terme de laquelle la Commission a pris la décision faisant l’objet du recours en annulation. Elle déplore cependant que la jurisprudence du Tribunal ait évolué vers plus de permissivité. En reconnaissant à toute entreprise se prévalant d’un rapport de concurrence, même non substantiel, la qualité d’intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE et, par voie de conséquence, la qualité pour agir, cette jurisprudence aboutirait à vider de son contenu la condition prévue aux articles 230 CE et 232 CE selon laquelle un particulier doit être directement et individuellement concerné par une décision pour pouvoir en demander l’annulation ou dénoncer la carence de son auteur. La Commission ajoute que ses doutes rejoignent ceux exprimés par l’avocat général M. Jacobs dans ses conclusions du 24 février 2005 sous l’arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum (C‑78/03 P, non encore publiées au Recueil). Elle invite le Tribunal à adopter une approche plus stricte des critères de recevabilité, conformément à la voie suivie par la Cour dans les arrêts du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677), et du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré (C‑263/02 P, Rec. p. I‑3425).

15      La Commission estime que la requérante n’a pas démontré être substantiellement affectée par les mesures étatiques qu’elle dénonce, en particulier quant à leur incidence sur sa position concurrentielle. Le simple fait d’être un concurrent potentiel du bénéficiaire des mesures étatiques dénoncées ne suffirait pas à considérer que la requérante est « directement et individuellement concernée ».

16      Sans aller jusqu’à exiger une coïncidence parfaite entre les lignes aériennes desservies par la requérante et Ryanair, la Commission estime qu’il incombe à la requérante de démontrer l’existence d’un rapport de substituabilité entre ses lignes et celles de Ryanair. En l’espèce, le rapport de concurrence entre Ryanair et la requérante serait négligeable. En effet, seule la ligne entre Rome et Francfort serait desservie par les deux compagnies. Néanmoins, la requérante exploiterait cette ligne en coopération avec Lufthansa, sous forme d’un accord de partage de codes. Dès lors, il ne serait pas possible de considérer que les vols sur cette ligne puissent être considérés comme réservés à la requérante.

17      La requérante soutient que le recours est recevable.

18      Premièrement, l’interprétation exagérément restrictive des conditions de recevabilité proposée par la Commission ne correspondrait pas à l’état actuel de la jurisprudence du Tribunal (voir arrêt du Tribunal du 1er décembre 2004, Kronofrance/Commission, T‑27/02, non encore publié au Recueil, point 34, et la jurisprudence citée).

19      Deuxièmement, il serait manifeste que la requérante, concurrent potentiel de Ryanair, est une partie intéressée au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE. Sa croissance serait freinée par les aides accordées à Ryanair, notamment sur les lignes au départ des aéroports italiens de Rome (Ciampino), Milan (Bergame, Orio al Serio), Pescara, Alghero et Venise (Trévise).

20      Troisièmement, la requérante souligne que, si elle n’était pas directement et individuellement concernée par les aides accordées à son concurrent Ryanair, elle n’aurait pas consacré ses ressources à dénoncer ces aides et à intenter un recours.

21      Quatrièmement, la thèse de l’irrecevabilité soutenue par la Commission serait contraire aux objectifs du traité en matière de contrôle des aides. En effet, les plaintes d’entreprises tierces contribueraient à l’effectivité de l’exercice par la Commission de ses prérogatives exclusives en la matière.

22      Cinquièmement, s’agissant des règles de concurrence applicables aux entreprises, la jurisprudence aurait déjà reconnu la recevabilité des recours destinés à contrôler les décisions ou carences de la Commission lorsque celle-ci est saisie d’une plainte dénonçant l’existence d’une infraction (arrêt de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26/76, Rec. p. 1875, point 13). Ces principes devraient également s’appliquer dans le domaine des aides d’État. La requérante relève, en particulier, que le Tribunal a déjà consacré la recevabilité d’un recours intenté par un concurrent potentiel contre une décision en matière de contrôle des concentrations (arrêt du Tribunal du 3 avril 2003, BaByliss/Commission, T‑114/02, Rec. p. II‑1279).

23      Sixièmement, la requérante soutient que la Commission ne saurait se prévaloir de l’ordonnance Deutsche Post et DHL/Commission, précitée, pour contester l’affectation substantielle de ses intérêts. Cette ordonnance concernerait un recours en annulation contre une décision prise au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, au terme d’une procédure formelle d’examen des aides, au cours de laquelle les tiers avaient été dûment invités à présenter leurs observations.

 Appréciation du Tribunal

24      D’emblée, il y a lieu de constater l’irrecevabilité du chef de conclusions de la requérante visant à ce que le Tribunal ordonne à la Commission de prendre sans retard position sur la plainte et la demande de mesures conservatoires de la requérante. Le juge communautaire n’a pas compétence pour adresser des injonctions à une institution dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 232 CE. Le Tribunal a uniquement la possibilité de constater l’existence d’une carence. Ensuite, il incombe, en application de l’article 233 CE, à l’institution concernée de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal (arrêts du Tribunal du 24 janvier 1995, Ladbroke/Commission, T‑74/92, Rec. p. II‑115, point 75, et du 9 septembre 1999, UPS Europe/Commission, T‑127/98, Rec. p. II‑2633, point 50).

25      S’agissant de la recevabilité du chef de conclusions visant à la constatation d’une carence de la part de la Commission, il importe de souligner que les articles 230 CE et 232 CE ne forment que l’expression d’une seule et même voie de droit. Il en résulte que, de même que l’article 230, quatrième alinéa, CE permet aux particuliers de former un recours en annulation contre un acte d’une institution dont ils ne sont pas les destinataires dès lors que cet acte les concerne directement et individuellement, l’article 232, troisième alinéa, CE doit être interprété comme leur ouvrant également la faculté de former un recours en carence contre une institution qui aurait manqué d’adopter un acte qui les aurait concernés de la même manière (arrêt de la Cour du 26 novembre 1996, T. Port, C‑68/95, Rec. p. I‑6065, point 59).

26      Il convient, dès lors, d’examiner si la requérante serait recevable à agir en annulation d’au moins un des actes que la Commission pouvait adopter au terme de la phase préliminaire d’examen des aides visée à l’article 88, paragraphe 3, CE et qui aurait consisté à retenir soit que les mesures dénoncées ne constituaient pas une aide, soit qu’elles constituaient une aide mais s’avéraient compatibles avec le marché commun, soit qu’elles nécessitaient l’ouverture de la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE.

27      La jurisprudence a déjà admis la recevabilité d’un recours formé par un concurrent du bénéficiaire d’une aide visant à faire constater l’omission par la Commission d’adopter une décision au titre de la phase préliminaire d’examen des aides prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE (arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T‑95/96, Rec. p. II‑3407, points 57 à 70, et du 3 juin 1999, TF1/Commission, T‑17/96, Rec. p. II‑1757, points 26 à 36).

28      La Commission s’oppose à l’application de cette solution en l’espèce. Ses critiques, en substance, s’articulent en trois points.

29      En premier lieu, elle fait valoir que la qualité d’intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE ne devrait pas suffire à déclarer un concurrent recevable à agir. Il faudrait que ce dernier démontre une affectation substantielle de ses intérêts, conformément aux exigences posées par la jurisprudence pour la recevabilité des recours contre des décisions prises à l’issue de la procédure formelle d’examen des aides prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE.

30      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, lorsque, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission constate, par une décision prise sur le fondement du paragraphe 3 du même article, qu’une aide est compatible avec le marché commun, les bénéficiaires des garanties de procédure prévues par l’article 88, paragraphe 2, CE ne peuvent en obtenir le respect que s’ils ont la possibilité de contester devant le juge communautaire cette décision (arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission, C‑198/91, Rec. p. I‑2487, point 23 ; du 15 juin 1993, Matra/Commission, C‑225/91, Rec. p. I‑3203, point 17, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 40).

31      Pour ces motifs, le juge communautaire déclare recevable un recours visant à l’annulation d’une telle décision, introduit par un intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, lorsque l’auteur de ce recours tend, par l’introduction de celui-ci, à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition (arrêts Cook/Commission, précité, points 23 à 26, et Matra/Commission, précité, points 17 à 20).

32      En revanche, si le requérant met en cause le bien-fondé de la décision d’appréciation de l’aide en tant que telle ou une décision prise au terme de la procédure formelle d’examen, le simple fait qu’il puisse être considéré comme intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Il doit alors démontrer qu’il jouit d’un statut particulier au sens de l’arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197). Il en est notamment ainsi au cas où la position sur le marché du requérant est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391, points 22 à 25, et ordonnance de la Cour du 18 décembre 1997, Sveriges Betodlares et Henrikson/Commission, C‑409/96 P, Rec. p. I‑7531, point 45).

33      Cette jurisprudence, récemment réaffirmée par l’arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, démontre ainsi l’importance qu’il convient d’attacher aux différentes phases de la procédure d’examen des aides, ce dont la Commission est convenue à l’audience. Ainsi, la Commission ne peut utilement se prévaloir de l’ordonnance Deutsche Post et DHL/Commission, précitée, pour conclure à l’irrecevabilité du recours, au motif que la position de la requérante sur le marché en cause ne serait pas substantiellement affectée par l’octroi des mesures dénoncées. En effet, l’ordonnance d’irrecevabilité susvisée, fondée sur l’absence d’affectation substantielle de la position concurrentielle des deux entreprises requérantes, a été rendue dans une affaire dans laquelle un recours avait été introduit contre une décision de la Commission adoptée à l’issue de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE et dans le cadre de laquelle les intéressés avaient été dûment invités à présenter leurs observations.

34      Il convient donc de rejeter la thèse de la Commission visant à étendre à tous les recours dirigés contre des décisions en matière d’aides d’État les conditions de recevabilité applicables aux recours dirigés contre des décisions prises à l’issue de la procédure formelle d’examen des aides prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE ou aux recours dirigés contre des décisions prises sur le fondement de l’article 88, paragraphe 3, CE qui ne visent pas la sauvegarde des garanties procédurales des intéressés, mais la contestation du bien-fondé de ces décisions.

35      En deuxième lieu, la Commission objecte que la requérante ne peut être assimilée à une partie intéressée ayant qualité pour agir, faute d’avoir prouvé être substantiellement affectée par les aides dénoncées.

36      Cette objection doit également être rejetée. En effet, selon une jurisprudence constante, les intéressés au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE sont les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l’octroi d’une aide, c’est-à-dire en particulier les entreprises concurrentes des bénéficiaires de cette aide et les organisations professionnelles (arrêts de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323/82, Rec. p. 3809, point 16 ; Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 41, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 36). La jurisprudence née de l’arrêt Intermills/Commission, précité, a été consacrée à l’article 1er, sous h), du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1), qui énonce que la notion de parties intéressées comprend « tout État membre et toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, en particulier le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles ». La qualité d’intéressé n’est donc pas réservée aux entreprises substantiellement affectées par l’octroi d’aides.

37      En troisième lieu, la Commission objecte qu’un concurrent potentiel ne peut être considéré comme une partie intéressée ayant qualité pour agir.

38      En l’espèce, la requérante étant déjà présente sur le marché italien des services réguliers de transport aérien de passagers, la qualité d’intéressée ne saurait lui être refusée au seul motif que les lignes qu’elle exploite directement ne coïncident pas parfaitement avec celles du bénéficiaire des mesures en cause. Aux fins de l’examen de la recevabilité, il suffit de constater que la requérante est une concurrente du bénéficiaire des mesures étatiques dénoncées, dans la mesure où ces deux entreprises exploitent, directement ou indirectement, des services réguliers de transport aérien de passagers à partir ou à destination d’aéroports italiens, notamment d’aéroports régionaux.

39      S’agissant des liaisons internationales, la requérante offre, notamment, de tels services entre Rome et Francfort, deux villes qui sont également desservies par Ryanair. Certes, la requérante n’exploite pas directement cette ligne avec des appareils de sa propre flotte, mais a conclu un accord de partage de codes avec Lufthansa. Cette circonstance ne permet cependant pas d’occulter le fait que la requérante a pu offrir au public des services de transport entre ces deux villes. Disposant déjà d’une flotte d’appareils, la requérante est, par ailleurs, en mesure de développer son activité vers d’autres destinations également desservies par Ryanair. S’agissant des liaisons nationales, force est de constater que, si, à l’époque des faits, Ryanair n’exploitait pas de lignes reliant des villes italiennes, rien ne permet d’exclure qu’elle ne puisse ultérieurement le faire en concurrence directe avec la requérante.

40      Ces circonstances permettent de mettre en lumière l’existence d’un rapport de concurrence suffisant, aux fins de l’examen de la recevabilité, entre la requérante et le bénéficiaire des mesures dénoncées.

41      Par conséquent, la requérante est une partie intéressée au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE. Dès lors, elle serait recevable à contester une décision de la Commission prise au titre de l’article 88, paragraphe 3, CE dans le but d’obtenir le respect de ses droits procéduraux en sa qualité de partie intéressée. Dans ces conditions, elle est recevable à demander au Tribunal de constater la carence éventuelle de la Commission, étant donné qu’on ne peut exclure que la Commission prenne position sur la plainte sans ouvrir la procédure formelle d’examen.

42      Le recours est donc recevable.

 Sur le fond

 Arguments des parties

43      La requérante soutient que la Commission était tenue de statuer sur sa plainte dans un délai raisonnable à compter de sa saisine. Ce délai serait d’autant plus bref que la plainte envoyée à la Commission est précise. La Commission ne saurait prolonger indéfiniment l’examen préliminaire de mesures étatiques ayant fait l’objet d’une plainte au regard de l’article 88 CE, dès lors qu’elle a, comme en l’espèce, accepté d’entamer un tel examen (arrêt Gestevisión Telecinco/Commission, précité, points 72 à 74). L’éventuelle décision de la Commission de ne pas entamer l’examen sur le fond et de ne pas donner suite à une plainte ou de rejeter la demande de mesures conservatoires devrait, à plus forte raison, intervenir dans un délai bien inférieur.

44      En l’espèce, la Commission n’aurait pas respecté cette obligation, puisqu’elle est restée inactive pendant neuf mois. La requérante souligne le caractère déraisonnable de l’attitude de la Commission qui, dans les onze mois qui ont suivi le dépôt de la plainte, s’est contentée de transmettre celle-ci aux autorités italiennes. La Commission, dans le cadre du présent recours, n’aurait avancé aucun autre élément permettant de vérifier l’existence du moindre acte d’instruction au cours de cette période. Son rôle, exclusivement passif, serait incompatible avec le principe de bonne administration. Il y aurait donc omission d’agir, constitutive d’une carence au sens de l’article 232 CE.

45      La requérante fait observer que cette carence est d’autant plus criante que les aides en cause concernent l’entreprise Ryanair, dont le financement a déjà fait l’objet d’enquêtes de la part du service de la direction générale « Énergie et transport » de la Commission spécialisé dans l’application des aides d’État au secteur aérien auquel la plainte a été adressée (décision 2004/393/CE de la Commission, du 12 février 2004, concernant les avantages consentis par la Région wallonne et Brussels South Charleroi Airport à la compagnie aérienne Ryanair lors de son installation à Charleroi, JO L 137, p. 1). S’agissant de l’existence de ressources d’État, la requérante fait également observer que, à l’exception de l’aéroport de Rome Ciampino, toutes les sociétés gestionnaires d’aéroports visées dans sa plainte sont majoritairement détenues par des entités publiques.

46      La Commission aurait dû au moins se prononcer dans un délai raisonnable sur les demandes de mesures conservatoires formulées dans la plainte, conformément à l’article 11 du règlement nº 659/1999.

47      La Commission conteste le bien-fondé de ces allégations.

48      En premier lieu, elle rappelle que les plaignants ne sont pas destinataires des décisions en matière d’aides d’État, y compris celles de ne pas engager la procédure formelle d’examen des aides prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 45). Ces décisions auraient, en effet, pour destinataires les seuls États membres. Par conséquent, c’est uniquement à l’égard des États membres concernés que la Commission serait tenue d’agir en ce qui concerne les mesures étatiques en cause.

49      En deuxième lieu, la Commission affirme que la première obligation qui lui incombe lorsqu’elle est saisie d’une plainte en matière d’aides d’État est d’examiner cette plainte et, le cas échéant, d’entendre l’État membre concerné, afin de décider s’il y a lieu d’engager une procédure. Elle rappelle que le règlement n° 659/1999 (article 10, article 11, paragraphes 1 et 2, et article 20, paragraphe 2) lui impose d’examiner sans délai les renseignements reçus et de demander des précisions à l’État membre concerné. À l’issue de cette phase d’enquête préliminaire, la Commission aurait alors l’obligation de prendre position et de communiquer celle-ci au plaignant ou de l’informer qu’il n’existe pas de motifs suffisants pour exprimer un avis.

50      La Commission prétend s’être acquittée de ces obligations. Tout d’abord, elle expose avoir informé la requérante, par lettre du 17 février 2004, que les services compétents allaient analyser les renseignements fournis et vérifieraient si une action pouvait être engagée auprès des autorités italiennes. La Commission rappelle avoir à cette occasion interrogé la requérante sur la confidentialité éventuelle d’informations contenues dans la plainte. Cette lettre démontrerait donc que la plainte était déjà en cours d’examen au mois de février.

51      Ensuite, la Commission aurait, par lettre du 9 juillet 2004, interrogé les autorités italiennes sur les mesures visées par la plainte afin de recueillir des informations et des précisions complémentaires par rapport aux renseignements fournis dans la plainte. Elle en aurait informé la requérante le 13 septembre 2004. La Commission en déduit que, à cette date, la requérante ne pouvait ignorer que sa plainte faisait l’objet d’un examen, ce qui exclurait toute hypothèse de carence.

52      En troisième lieu, la Commission souligne que les actes qu’elle a pu accomplir jusqu’à présent s’inscrivent dans le cadre de la phase préliminaire qui devrait lui permettre d’arrêter l’un des actes prévus à l’article 4, paragraphes 2, 3 et 4, du règlement n° 659/1999, à savoir l’adoption d’une décision déclarant que les mesures en question ne sont pas des aides ou qu’il s’agit d’aides compatibles ou qu’il y a lieu d’engager une procédure formelle sur la base de l’article 88, paragraphe 2, CE. À l’issue de cette procédure, la requérante aurait alors la possibilité de soumettre au contrôle du Tribunal l’acte ainsi adopté.

53      En quatrième lieu, la Commission expose qu’elle n’est soumise à aucun délai pour analyser des aides non notifiées. En effet, le délai visé par l’arrêt de la cour du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471), ne serait pas applicable aux aides non notifiées (arrêt Gestevisión Telecinco/Commission, précité, point 78). Pour ces dernières, l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 prévoirait que la Commission peut ou doit demander des informations à l’État membre avant d’ouvrir la procédure formelle.

54      Certes, le règlement n° 659/1999 imposerait à la Commission d’examiner les faits dont elle est saisie sans délai, le caractère raisonnable d’un tel examen devant être apprécié à la lumière des circonstances et du contexte de chaque affaire (arrêt Gestevisión Telecinco/Commission, précité, point 75). Elle ne serait toutefois pas tenue de fournir aux plaignants des explications détaillées sur les enquêtes en cours.

55      En l’espèce, la durée de la procédure administrative aurait été d’environ onze mois à compter de la réception de la version confidentielle de la plainte et de neuf mois à compter de la réception de sa version non confidentielle. Compte tenu des circonstances et du contexte de l’affaire, cette durée ne serait pas déraisonnable. La Commission souligne quatre difficultés particulières rencontrées dans le traitement de la plainte :

–        les prétendues aides en cause intervenaient dans un secteur complexe (transport aérien de passagers et services aéroportuaires) ;

–        les dispensateurs des aides alléguées étaient des sociétés dans le capital desquelles les pouvoirs publics disposaient de diverses participations, ce qui compliquait, pour l’État membre et la Commission, la collecte de renseignements relatifs aux conventions entre ces dispensateurs et Ryanair ;

–         il était difficile de vérifier si les aides dénoncées s’appuyaient sur des ressources étatiques ou étaient imputables à l’État ;

–        la plainte de la requérante invitait la Commission à étendre son enquête à trois sociétés de gestion d’infrastructures aéroportuaires identifiées par le seul nom de l’aéroport qu’elles exploitaient, ce qui impliquait un important travail supplémentaire de la part de la Commission.

56      La Commission estime avoir agi avec diligence après avoir été mise en demeure par la requérante.

57      La Commission déduit de la chronologie de la procédure que, à la date d’introduction du présent recours (le 5 octobre 2004), la requérante ne pouvait ignorer l’état d’avancement de l’enquête. Compte tenu du délai de réponse imposé aux autorités italiennes, la requérante ne pouvait raisonnablement escompter une prise de position de la Commission avant le 5 octobre 2004. Les renseignements fournis par les autorités italiennes auraient été reçus par la Commission le 7 octobre 2004 et des renseignements complémentaires complétés le 9 novembre 2004.

58      Enfin, s’agissant d’une prétendue violation du principe de bonne administration, la Commission estime que ce moyen, soulevé pour la première fois au stade de la réplique, est nouveau et donc irrecevable.

 Appréciation du Tribunal

59      À titre liminaire, il y a lieu de relever que l’argumentation relative à la violation du principe de bonne administration n’a pas été expressément développée au stade de la requête. Toutefois, cette argumentation est étroitement liée à celle relative au dépassement d’un délai raisonnable dans l’examen de la plainte qui constitue le moyen unique de ce recours. Dès lors, cette argumentation ne saurait être considérée comme un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal et, partant, est recevable.

60      Il importe de vérifier si, au moment de la mise en demeure de la Commission au sens de l’article 232 CE, il pesait sur cette dernière une obligation d’agir.

61      Dans la mesure où elle possède une compétence exclusive pour apprécier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun, la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives aux aides d’État, de procéder à un examen diligent et impartial d’une plainte dénonçant l’existence d’une aide incompatible avec le marché commun. Il s’ensuit que la Commission ne peut prolonger indéfiniment l’examen préliminaire de mesures étatiques ayant fait l’objet d’une plainte, dès lors qu’elle a, comme en l’espèce, accepté d’entamer un tel examen en demandant des renseignements à l’État membre concerné. Le caractère raisonnable de la durée de l’examen d’une plainte doit s’apprécier en fonction des circonstances propres de chaque affaire et, notamment, du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission doit suivre et de la complexité de l’affaire (arrêts Gestevisión Telecinco/Commission, précité, points 72 à 75, et TF1/Commission, précité, points 73 à 75).

62      En l’espèce, la Commission a reçu la plainte de la requérante le 29 décembre 2003. Au moment où la Commission a été mise en demeure conformément à l’article 232 CE, c’est-à-dire le 11 juin 2004, l’examen de la plainte durait donc depuis moins de six mois.

63      L’affaire est indéniablement complexe et d’une certaine nouveauté, nonobstant l’adoption, trois mois environ après le dépôt de la plainte de la requérante, de la décision 2004/393.

64      Parmi les difficultés soulevées par l’examen de la plainte, il peut être relevé que celle-ci visait plusieurs aéroports italiens sans pour autant désigner spécifiquement tous les dispensateurs des aides dénoncées. Bien que la plainte ait visé nommément les sociétés so.ge.a.al, Saga et Aeroporti di Roma, gestionnaires des aéroports d’Alghero, de Pescara et de Rome, la requérante invitait également la Commission à élargir son enquête aux conventions passées par Ryanair avec d’autres aéroports italiens, en particulier ceux de Trévise, de Pise et de Bergame (Orio al Serio). Afin, notamment, de vérifier la présence de ressources d’origine publique, les autorités italiennes ont été amenées à demander un délai supplémentaire de deux mois pour identifier les gestionnaires des aéroports en cause.

65      Par ailleurs, la Commission n’est pas restée inactive après la réception de la plainte de la requérante. En effet, elle a interrogé les autorités italiennes le 9 juillet 2004 après avoir obtenu de la requérante une version non confidentielle de sa plainte. La réponse de ces dernières est parvenue à la Commission le 7 octobre 2004, soit de manière quasi concomitante avec l’expiration du délai de recours.

66      Certes, il n’a été offert au Tribunal aucune explication permettant de comprendre pourquoi la Commission a attendu plus de quatre mois pour transmettre aux autorités italiennes la version non confidentielle de la plainte et leur demander de fournir des renseignements. Nonobstant ce retard, il demeure que la durée totale de l’enquête reste inférieure à celle d’affaires d’une complexité similaire pour lesquelles le Tribunal a conclu à l’existence d’une carence illégale. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la durée de traitement des plaintes dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Gestevisíon Telecinco/Commission et TF1/Commission, précités, était, dans la première de ces affaires, de 47 mois pour la première plainte et de 26 mois pour la seconde plainte et, dans la deuxième affaire, de 31 mois.

67      Ces éléments, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de considérer que, à la date de la mise en demeure, la durée de l’examen de la plainte excédait les limites du délai raisonnable.

68      Le recours doit, dès lors, être rejeté.

 Sur les dépens

69      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête  :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante est condamnée aux dépens.

Legal

Lindh

Vadapalas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 mai 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      H. Legal


* Langue de procédure : l’italien.