Language of document : ECLI:EU:T:2022:218

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

6 avril 2022 (*)

« FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement – Obligation d’augmenter les contrôles sur place – Article 35 du règlement d’exécution (UE) no 809/2014 – Valeur juridique de documents de travail de la Commission – Modalités de calcul de l’augmentation du taux de contrôles sur place »

Dans l’affaire T‑57/21,

Hongrie, représentée par MM. M. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme J. Aquilina, M. A. Sauka et Mme Z. Teleki, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. S. Gervasoni, président, Mme R. Frendo (rapporteure) et M. J. Martín y Pérez de Nanclares, juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 9 décembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, la Hongrie, demande l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2020/1734 de la Commission, du 18 novembre 2020, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2020, L 390, p. 10), uniquement en ce que la Commission européenne a exclu la somme de 4 334 068,02 euros du montant des aides financières qui lui ont été accordées par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) pour l’exercice financier 2018 en raison de la réalisation d’un nombre insuffisant de contrôles sur place (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Les articles 30 à 33 du règlement d’exécution (UE) no 809/2014 de la Commission, du 17 juillet 2014, établissant les modalités d’application du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le système intégré de gestion et de contrôle, les mesures en faveur du développement rural et la conditionnalité (JO 2014, L 227, p. 69), fixent les taux de contrôles de base des bénéficiaires des régimes d’aides et d’autres mesures de soutien institués dans le cadre de la politique agricole commune.

3        En vertu de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014, « [l]orsque des contrôles sur place révèlent une non-conformité significative dans le cadre d’un régime d’aide ou d’une mesure de soutien ou dans une région ou une partie de région, l’autorité compétente augmente en conséquence le pourcentage de bénéficiaires devant faire l’objet d’un contrôle sur place l’année suivante ».

4        Le 8 juin 2015, la Commission a adopté un document de travail DS/CDP/2015/02 sur l’augmentation des pourcentages de demandes d’aide pour le régime de paiement de base et pour le régime de paiement unique à la surface à contrôler lorsque des non-conformités importantes sont constatées (ci-après le « document de travail de 2015 »).

5        Le 19 avril 2016, la Commission a adopté un second document de travail DS/CDP/2015/19 sur l’augmentation du pourcentage de bénéficiaires à contrôler dans le cadre de l’écologisation lorsque des non-conformités importantes sont constatées (ci-après, pris avec le document de travail de 2015, les « documents de travail »).

6        Les documents de travail exposent le point de vue de la Commission sur l’interprétation de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 et explicitent, en particulier, l’expression « augmente en conséquence le pourcentage de bénéficiaires devant faire l’objet d’un contrôle sur place ». Ils fixent, en substance, la même méthode pour déterminer cette augmentation. À cet égard, les documents de travail indiquent, en premier lieu, que, pour la calculer, il convient d’ajouter aux taux majorés déterminés au titre des non-conformités décelées sur la base des contrôles sur place les cas auxquels il faut donner suite en conséquence des contrôles administratifs. Ils précisent, en second lieu, que l’échantillon supplémentaire de bénéficiaires à contrôler doit reposer, d’une part, sur une sélection aléatoire de ceux-ci et, d’autre part, sur une sélection fondée sur une analyse des risques.

7        Lors d’un audit réalisé en 2016, portant sur l’année de demandes 2015, la Commission a constaté que le niveau des contrôles sur place effectués en Hongrie dans le cadre du régime de paiement unique à la surface n’avait pas été augmenté dans la mesure nécessaire au vu des non-conformités constatées dans le cadre de l’année de demandes 2014. La Commission a observé, à cet égard, que le taux des contrôles sur place effectués par la Hongrie était calculé uniquement sur la base d’un échantillon de bénéficiaires sélectionnés de manière aléatoire, et non pas également sur la base d’un échantillon de bénéficiaires sélectionnés à la suite d’une analyse des risques.

8        En 2018, la Commission a procédé à une nouvelle vérification au cours de laquelle elle a constaté que la Hongrie continuait d’effectuer les calculs relatifs à l’augmentation des taux de contrôles sur place sur la base de la pratique décrite au point 7 ci-dessus, qu’elle avait déjà critiquée en 2016.

9        Il s’en est suivi un échange de courriers au cours duquel la Hongrie a maintenu sa position et a contesté, en outre, les calculs de la Commission en ce qu’ils étaient fondés sur l’addition des non-conformités constatées lors des contrôles administratifs et des non-conformités établies lors des contrôles sur place.

10      Les parties ont tenu une réunion bilatérale le 21 janvier 2019, puis ont échangé de nouveaux courriers et ont ouvert une procédure de conciliation.

11      Au vu de ce qui précède, la Commission a fixé sa position finale le 28 mai 2020 et a adopté un rapport de synthèse le 21 octobre suivant (ci-après le « rapport de synthèse »). Dans ce rapport, la Commission a conclu que la Hongrie avait effectué un nombre de contrôles sur place insuffisant pour deux motifs. Le premier était qu’elle n’avait pas tenu compte des irrégularités constatées lors des contrôles administratifs. Le second était qu’elle avait seulement tenu compte des non-conformités observées lors des contrôles sur place dans l’échantillon de bénéficiaires constitué de manière aléatoire, en omettant de prendre aussi en considération les non-conformités relevées lors desdits contrôles opérés parmi les bénéficiaires formant l’échantillon constitué sur la base d’une analyse des risques.

12      Le 18 novembre 2020, la Commission a adopté la décision d’exécution 2020/1734. Dans cette décision, la Commission, se référant au rapport de synthèse, a décidé, en ce qui concernait la Hongrie, d’écarter du financement de l’Union européenne 5 719 705,72 euros pour les années de demandes 2016 à 2018. Toutefois, la Hongrie ne conteste cette décision d’exécution qu’en tant qu’elle écarte un montant de 4 334 068,02 euros du financement de l’exercice financier de 2018 en raison de la « réalisation d’un nombre insuffisant de [contrôles sur place] ».

 Conclusions des parties

13      La Hongrie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

14      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la Hongrie aux dépens.

 En droit

15      À l’appui de son recours, la Hongrie invoque trois moyens. Les deux premiers moyens sont tirés d’une violation de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014. Dans le premier, la Hongrie allègue que les documents de travail suppriment illégalement la marge de manœuvre que cet article laisse aux États membres. Dans le deuxième, la Hongrie fait valoir que la méthodologie instituée par ces documents est erronée. Le troisième moyen est, quant à lui, tiré d’une méconnaissance de l’article 52 du règlement (UE) no 1306/2013, du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1200/2005 et (CE) no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549), et de l’article 12 du règlement délégué (UE) no 907/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement no 1306/2013 en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les garanties et l’utilisation de l’euro (JO 2014, L 255, p. 18).

16      En réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, la Hongrie a indiqué que, par ses deux premiers moyens, elle soulevait, en substance, une exception d’illégalité à l’encontre des documents de travail, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

17      Il y a lieu d’examiner ensemble les deux premiers moyens.

 Sur la question de savoir si les documents de travail suppriment toute marge de manœuvre des États membres

18      La Hongrie fait observer que l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 ne précise pas la méthode selon laquelle le taux d’augmentation des contrôles sur place doit être calculé pour l’année qui suit celle au cours de laquelle une non-conformité significative a été constatée.

19      La Hongrie fait ainsi valoir par son premier moyen que l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 laisse une marge de manœuvre aux États membres, ce que leur dénieraient pourtant les documents de travail.

20      Dans son deuxième moyen, la Hongrie admet qu’elle s’écarte de la méthodologie prévue par les documents de travail par deux aspects.

21      D’une part, alors que les documents de travail fixent le taux d’augmentation des contrôles sur place en tenant compte des non-conformités constatées l’année précédente, tant lors des contrôles sur place que lors des contrôles administratifs effectués auprès de l’ensemble des bénéficiaires, la Hongrie précise qu’elle calcule ledit taux d’augmentation en tenant seulement compte des non-conformités décelées lors des contrôles sur place l’année précédente.

22      D’autre part, s’agissant des contrôles sur place, alors que les documents de travail prennent en considération les non-conformités constatées tant dans l’échantillon composé de bénéficiaires sélectionnés de manière aléatoire que dans l’échantillon établi sur la base d’une analyse des risques, la Hongrie indique se fonder uniquement sur les irrégularités constatées dans l’échantillon de la population concernée sélectionné sur une base aléatoire.

23      La Hongrie soutient que c’est au vu de ces deux différences dans sa pratique par rapport aux documents de travail que la Commission a jugé erronée sa méthode de calcul du pourcentage d’augmentation du taux de contrôles sur place, sans tenir compte des circonstances concrètes de l’espèce. Ainsi, la Commission aurait rejeté des dépenses du financement aux titres du FEAGA et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) en appliquant les documents de travail comme s’ils imposaient une méthode générale applicable automatiquement à toutes les situations, c’est-à-dire comme s’il s’agissait d’actes contraignants.

24      La Commission, quant à elle, soutient que les documents de travail ne fournissent que des orientations non contraignantes. Elle prétend qu’un État membre demeure libre de s’en écarter et qu’elle examine alors si la méthode qu’il a utilisée est appropriée. Cependant, en l’espèce, la Hongrie n’aurait pas fourni les données nécessaires à cet examen.

25      À cet égard, il y a lieu d’observer d’emblée que, dans la mesure où l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 ne fixe ni le taux d’augmentation des contrôles sur place qui s’impose en cas de non-conformités significatives ni les modalités selon lesquelles ce taux doit être déterminé, cet article confère effectivement aux États membres une marge de manœuvre.

26      Il n’en reste pas moins que, ainsi qu’il découle de l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, les fonds agricoles ne financent que les interventions effectuées conformément aux dispositions du droit de l’Union (arrêt du 12 juillet 2017, Estonie/Commission, T‑157/15, non publié, EU:T:2017:483, point 40).

27      Ainsi, et comme le relève la Commission, selon l’article 58, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 1306/2013, les États membres doivent prendre, dans le cadre de la politique agricole commune, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives ainsi que toute autre mesure nécessaire pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l’Union. À ce titre, il leur incombe notamment de s’assurer de la légalité et de la régularité des opérations financées par les fonds en question et de veiller à une prévention efficace de la fraude, en particulier pour les zones à haut niveau de risque.

28      Il résulte par conséquent de l’article 58, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013, que pèse sur les États membres une obligation d’adopter les mesures à même de garantir l’efficacité des contrôles afin de veiller au respect de la législation régissant les régimes d’aide de l’Union et de réduire à son minimum le risque de préjudice financier pour celle-ci.

29      Néanmoins, si, au titre du règlement no 1306/2013, les États membres doivent veiller aux intérêts financiers de l’Union, ils disposent, en l’absence de règles contraires du droit de l’Union, d’une marge de manœuvre en ce qui concerne les modalités des contrôles destinés à garantir une protection efficace desdits intérêts. Tel est le cas dans le présent litige, l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014, ainsi qu’il ressort du point 25 ci-dessus, laissant aux États membres une marge de manœuvre à cet effet.

30      Pour autant, la Commission, qui est chargée de l’exécution du budget de l’Union et de la gestion des programmes en vertu de l’article 17, paragraphe 1, TUE, n’est pas privée de tout pouvoir de contrôle et de vérification pour faire respecter, notamment, le règlement no 1306/2013 et pour réduire à son minimum le risque de fraude. Dès lors, il incombe à la Commission d’apprécier si les mesures prises par les États membres au titre de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 sont adéquates et si, au vu des non-conformités constatées antérieurement, ceux-ci ont « augment[é] en conséquence » le taux des contrôles sur place.

31      Or, la Commission peut, dans l’exercice de ses compétences, s’imposer des orientations pour l’exercice de ses pouvoirs d’appréciation par des actes tels que des lignes directrices, à condition que ces actes contiennent des règles indicatives sur l’orientation à suivre par cette institution et qu’ils ne s’écartent pas des normes qui régissent la matière (voir, par analogie, arrêts du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, EU:C:2002:143, point 52 ; du 9 septembre 2008, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑75/06, EU:T:2008:317, point 119, et du 14 mai 2019, Marinvest et Porting/Commission, T‑728/17, non publié, EU:T:2019:325, point 108).

32      Les parties s’opposant sur la question de savoir si les documents de travail constituent, en l’espèce, de simples règles indicatives ou des normes contraignantes, il convient de rappeler que, pour déterminer si un acte produit des effets juridiques obligatoires, il y a lieu de s’attacher à sa substance et d’apprécier lesdits effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de celui-ci, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de son adoption ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteure (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C‑31/13 P, EU:C:2014:70, point 55, et du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 32) et de l’intention de cette dernière (ordonnance du 30 janvier 2020, Lettonie/Commission, T‑293/18, EU:T:2020:29, point 26). En revanche, la forme dans laquelle cet acte est pris est, en principe, indifférente, étant entendu qu’elle peut néanmoins être prise en considération, dans la mesure où elle peut contribuer à en identifier la nature (voir arrêt du 13 décembre 2016, IPSO/BCE, T‑713/14, EU:T:2016:727, point 18 et jurisprudence citée).

33      En l’occurrence, il ressort des termes mêmes des documents de travail que l’objectif de la Commission est d’y fournir son interprétation de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014, en particulier de la notion de « non-conformité significative » et de l’obligation d’« augmente[r] en conséquence le pourcentage de bénéficiaires devant faire l’objet d’un contrôle ». Les documents de travail mentionnent également que leur objet est seulement de fournir des lignes directrices non contraignantes et que, en aucun cas, ils ne se substituent à des dispositions réglementaires.

34      Toutefois, la seule circonstance selon laquelle les documents de travail ne se présentent pas, par leur forme et par leur libellé, comme des actes destinés à produire des effets juridiques obligatoires n’est pas suffisante pour conclure qu’ils n’en produisent pas (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2010, Allemagne/Commission, T‑258/06, EU:T:2010:214, point 29).

35      En l’espèce, il y a lieu d’observer que le rapport de synthèse du 21 octobre 2020 fait état de ce que l’audit réalisé en 2016 par la direction générale (DG) « Agriculture et développement rural » a permis de constater que le niveau des contrôles sur place pour l’année de demandes 2015 n’avait pas atteint le « niveau requis » par le document de travail de 2015, de ce que ladite DG avait déjà antérieurement « exprimé son désaccord » sur l’interprétation par la Hongrie de la manière d’augmenter les contrôles sur place et de ce qu’elle « ne pouvait accepter une exemption, un écart ou une mise en œuvre partielle de la méthode » décrite dans ce document.

36      Ces formules suggèrent que, nonobstant le libellé des documents de travail, dans leur application, la Commission leur attribue une force obligatoire ne permettant aucune exemption, même partielle.

37      Toutefois, le rapport de synthèse mentionne également que la position des autorités hongroises avait déjà été examinée dans une « communication précédente », adressée par la Commission à la Hongrie.

38      En réponse à une mesure d’organisation de la procédure au titre de l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, la Commission a déposé ladite communication datée du 3 mai 2018. Il ressort de cette communication et des éclaircissements, non contestés, fournis par la Commission lors de l’audience, que les parties ont effectivement débattu dans le cadre d’une enquête menée en 2016 des deux questions litigieuses. Elles ont en effet discuté de la question de savoir si, pour déterminer le taux d’augmentation des futurs contrôles sur place, il fallait tenir compte non seulement des non-conformités décelées lors des contrôles sur place antérieurs, mais aussi de celles constatées à la suite des contrôles administratifs. Elles ont aussi discuté de la question de savoir si l’augmentation de ces contrôles devait se fonder uniquement sur les irrégularités constatées parmi les agriculteurs formant l’échantillon aléatoire ou s’il fallait aussi prendre en considération les constatations opérées parmi l’échantillon sélectionné sur la base de l’analyse des risques.

39      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Hongrie (voir points 19 et 23 ci-dessus), la Commission n’a pas considéré que les documents de travail étaient des actes contraignants supprimant la marge de manœuvre des États membres.

40      Il n’en reste pas moins que, ainsi que cela ressort de la jurisprudence citée au point 31 ci-dessus, des lignes directrices ne peuvent valablement s’écarter des normes qui régissent la matière. Aussi, dans la mesure où, après avoir débattu avec la Hongrie, la Commission a persisté à appliquer strictement les documents de travail, il convient d’examiner leur contenu au regard de celui des dispositions réglementaires applicables, afin de déterminer s’ils correspondent à ces dernières ou s’ils établissent des obligations spécifiques ou nouvelles incompatibles avec ces dispositions (voir, par analogie, arrêt du 20 mai 2010, Allemagne/Commission, T‑258/06, EU:T:2010:214, points 27 et 28).

41      Il s’ensuit qu’il y a lieu d’examiner les deux griefs soulevés plus précisément par la Hongrie à l’encontre des documents de travail dans le cadre de son deuxième moyen.

 Sur le grief tiré de ce qu’il n’y aurait pas lieu de prendre en considération les contrôles administratifs lors de la détermination d’une « non-conformité significative »

42      Les documents de travail, qui reflètent l’interprétation que fait la Commission de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 (voir point 33 ci-dessus), contiennent une succession de formules et un tableau permettant d’établir le taux de contrôles majoré selon l’importance des non-conformités constatées lors des contrôles sur place. Ils indiquent aussi que les cas auxquels il faut donner suite en conséquence des contrôles administratifs doivent s’ajouter aux taux majorés déterminés au titre des non-conformités décelées sur la base des contrôles sur place.

43      La Commission soutient, à cet égard, que, lorsque l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 fait référence à une non-conformité « révélée » lors d’un contrôle sur place, cette expression ne signifie pas que l’irrégularité doit avoir été détectée sur place, mais concerne aussi les non-conformités déjà découvertes durant la phase administrative et définitivement confirmées par un contrôle sur place.

44      Selon une jurisprudence constante, la signification et la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doivent être établies conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs de la réglementation dont ils font partie (arrêts du 3 septembre 2014, Deckmyn et Vrijheidsfonds, C‑201/13, EU:C:2014:2132, point 19, et du 5 avril 2017, Changshu City Standard Parts Factory et Ningbo Jinding Fastener/Conseil, C‑376/15 P et C‑377/15 P, EU:C:2017:269, point 52).

45      Or, le terme « révèlent », utilisé dans l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014, signifie, dans le langage courant, découvrir, mettre à nu ou encore mettre en évidence une chose ignorée, inconnue, cachée ou secrète, dans des versions linguistiques telles que l’allemande, l’anglaise, l’espagnole, la française, la hongroise, l’italienne, la maltaise ou la néerlandaise. Dans la mesure où, selon une jurisprudence également constante, les dispositions du droit de l’Union doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union et où, en cas de disparité entre les diverses versions linguistiques, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir arrêt du 12 septembre 2019, A e.a., C‑347/17, EU:C:2019:720, point 38 et jurisprudence citée), il y a lieu d’observer que la Commission ne précise pas quelles autres versions justifieraient son interprétation.

46      Par conséquent, l’interprétation de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 suggérée par la Commission au point 43 ci-dessus ne trouve pas de fondement dans le libellé de celui-ci.

47      De surcroît, l’intention ayant conduit à l’adoption de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 confirme ce qui précède. Ainsi, le considérant 36 dudit règlement d’exécution indique qu'« [i]l importe que la détection de non-conformités importantes lors des contrôles sur place nécessite une augmentation du niveau de contrôles sur place pendant l’année suivante, en vue de parvenir à un niveau de garantie acceptable quant à l’exactitude des demandes d’aide et de paiement concernées ». Ce considérant est rédigé de manière similaire dans les versions linguistiques citées au point 45 ci-dessus.

48      La Commission avance toutefois une série d’arguments, liés au contexte dans lequel s’inscrit l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014, qui justifieraient de prendre en compte des irrégularités décelées lors des contrôles administratifs pour augmenter le taux de contrôles sur place l’année suivante.

49      En premier lieu, la Commission soutient, et la Hongrie ne conteste pas, qu’il existe des irrégularités susceptibles de conduire d’office au rejet de demandes sur la seule foi de contrôles administratifs, au vu de registres par exemple. Elle prétend également qu’il existe des formes de vérification qu’il n’est pas opportun ou pas possible d’effectuer lors des contrôles sur place. Elle allègue encore que des constats effectués lors de contrôles administratifs peuvent être confirmés lors de contrôles sur place.

50      Cependant, aucun de ces arguments n’implique que l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 devrait être interprété, contre son libellé, comme incluant les non-conformités détectées lors des contrôles administratifs dans celles devant conduire à une augmentation des contrôles sur place.

51      En deuxième lieu, il en va de même pour la circonstance, évoquée par la Commission, selon laquelle l’article 58, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 met en exergue la nécessité, pour les États membres, de protéger les intérêts financiers de l’Union.

52      En troisième lieu, il en va également de même pour l’article 59, paragraphe 1, l’article 74, paragraphe 1, ainsi que pour l’article 24, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 809/2014, invoqués par la Commission, selon lesquels, en substance, les États membres sont tenus de mettre en place un ensemble de contrôles comprenant, en principe, un contrôle administratif systématique de toutes les demandes d’aide et de toutes les demandes de paiement, complété par des contrôles sur place, pour un cercle restreint de bénéficiaires.

53      En quatrième lieu, s’agissant, en particulier, des régimes d’aides ou des mesures de soutien liés à la surface, la Commission tire argument de l’article 37, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 809/2014, dont il ressort que les contrôles sur place portent non seulement sur le mesurage des superficies, mais aussi sur les critères d’admissibilité, les engagements et les autres obligations concernant la superficie des parcelles déclarées.

54      Toutefois, cette définition de l’objet des contrôles sur place dans les régimes d’aides ou les mesures de soutien liés à la surface n’implique pas qu’il faille, pour déterminer le taux futur de ce type de contrôles, prendre en compte les non-conformités déjà constatées lors de contrôles administratifs. La circonstance, alléguée par la Commission, selon laquelle les contrôles sur place seraient plus approfondis que les contrôles administratifs, permettraient de confirmer, le cas échéant, les irrégularités constatées lors de ces derniers, ou inversement de les infirmer, et présenteraient ainsi un intérêt majeur ne retire rien au fait que les irrégularités décelées lors de la phase administrative des vérifications ne sont pas « révélées » par les contrôles sur place au sens de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014. Cette circonstance conforte même l’interprétation selon laquelle seules les non-conformités réellement découvertes à l’occasion de contrôles sur place sont, en raison de la spécificité de ces contrôles et de la plus-value qu’ils apportent, de nature à justifier une augmentation de ceux-ci au cours de l’année suivante.

55      En cinquième lieu, le fait, allégué par la Commission, qu’il découlerait du caractère complémentaire des contrôles sur place que leur fonction n’est pas uniquement de déceler des irrégularités qui n’ont pas été découvertes durant les autres contrôles, mais aussi de garantir un suivi des manquements constatés durant les contrôles administratifs ne justifie pas, pour autant, une interprétation contra legem de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014.

56      En sixième lieu, la Commission tire argument de l’article 2, point 23, du règlement délégué (UE) no 640/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement no 1306/2013 (JO 2014, L 181, p. 48). Selon cette disposition, la « surface déterminée », dont dépendent les paiements liés à la surface, est la superficie des surfaces déclarées pour lesquelles l’ensemble des critères d’admissibilité ou d’autres obligations relatives aux conditions d’octroi de l’aide est respecté, indépendamment de la question de savoir si la détermination de cette surface de référence a été réalisée au moyen de contrôles administratifs ou sur place.

57      Cependant, même s’il peut être déduit de cette disposition, lue conjointement avec l’article 17, paragraphe 1, et l’article 18, paragraphe 6, du même règlement que, afin de déterminer la superficie de référence pour les paiements, il n’y a pas lieu d’établir une différence entre les non-conformités constatées lors de contrôles administratifs et celles constatées lors de contrôles sur place, il ne s’ensuit pas qu’une même assimilation s’impose dans le cadre de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014, qui est une disposition spéciale régissant exclusivement l’augmentation du taux de contrôles sur place.

58      Pour sa part, la Hongrie fait observer que le mode de calcul imposé dans les documents de travail peut aboutir à une surestimation des non-conformités découvertes, dans la mesure où celles-ci seraient constatées une première fois lors des contrôles administratifs préalables, puis une seconde fois lors des contrôles sur place ultérieurs.

59      À cet égard, la Commission fait valoir que, en vertu de l’article 34, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 809/2014, seules les demandes intégralement rejetées à la suite de contrôles administratifs doivent être retirées de la population de contrôle et, par voie de conséquence, de l’échantillon tiré de celle-ci qui fera l’objet des contrôles sur place. La Commission en déduit que, après le premier écrémage des irrégularités constatées au stade administratif qui justifient par elles-mêmes l’exclusion des demandes, il y a lieu, après la constitution de l’échantillon de contrôle, de vérifier sur place, lors d’une seconde étape, toutes les demandes sélectionnées dans cet échantillon et de suivre les irrégularités détectées lors du contrôle administratif n’ayant pas justifié un rejet des demandes au premier stade, par exemple, en ce qui concerne la taille réelle de la surface déclarée. La Commission en conclut qu’il est possible qu’une erreur déjà détectée lors du contrôle administratif qui, en soi, ne donne pas lieu au rejet de la demande, soit de nouveau relevée lors du contrôle sur place.

60      Toutefois, s’il est possible qu’une irrégularité apparaisse lors des contrôles administratifs et aussi lors des contrôles sur place, cette possibilité, de nouveau, n’implique pas pour autant, au vu du libellé de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014, que les irrégularités décelées au stade administratif puissent être assimilées aux non-conformités révélées sur place, seules visées par cette disposition, qui doivent ainsi être comptabilisées pour l’augmentation des contrôles sur place l’année suivante.

61      Enfin, s’agissant toujours du risque de chevauchement invoqué par la Hongrie entre les irrégularités détectées d’abord au stade administratif, puis lors des contrôles sur place, la Commission soutient que, dans le document de travail de 2015, elle a tenu compte de ce risque en n’y prévoyant une augmentation des contrôles sur place que lorsque les non-conformités dépassaient 2 %. Elle soutient aussi que, dans un scénario où le seuil des 2 % serait néanmoins atteint par les manquements constatés lors du seul contrôle administratif, ces non-conformités, si elles étaient également détectables lors d’un contrôle sur place, ne feraient pas l’objet d’une double comptabilisation. En réponse à une question que le Tribunal a posée lors de l’audience, la Commission a précisé que cette pratique se fondait sur les documents de travail et sur une lecture combinée de l’article 2, point 23, et de l’article 18 du règlement délégué no 640/2014, déjà évoqués aux points 56 et 57 ci-dessus.

62      Toutefois, l’article 18 du règlement délégué no 640/2014 définit la méthode de calcul des superficies à prendre en compte pour les paiements liés à la surface et précise, en substance, qu’il convient de se fonder sur la valeur la plus basse déterminée au moyen des contrôles administratifs ou des contrôles sur place, conformément à l’article 2, point 23, du même règlement délégué.

63      Il s’ensuit que ces deux dispositions n’ont pas de lien direct avec la question de savoir quel type de contrôle révélant des irrégularités doit être pris en compte afin de déterminer s’il y a lieu, et dans quelle proportion, d’augmenter le nombre de contrôles sur place. Au demeurant, même s’il fallait avoir égard au contexte constitué par ces deux dispositions, elles inclineraient à considérer qu’il n’y a pas lieu d’additionner les irrégularités constatées lors des contrôles administratifs et des contrôles sur place dans la mesure où l’article 2, point 23, du règlement délégué no 809/2014, qui est la seule de ces deux dispositions à évoquer les contrôles, prévoit explicitement une alternative et non un cumul des contrôles administratifs et des contrôles effectués sur place.

64      Enfin, la pratique, fondée sur un seuil de 2 % et sur l’absence, le cas échéant, d’une double comptabilisation au-delà de ce seuil, constitue un accommodement qui laisse apparaître que la méthode de la Commission décrite dans les documents de travail n’est pas en adéquation avec l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014.

65      Il résulte de tout ce qui précède que l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 ne permet pas à la Commission d’imposer aux États membres l’obligation de prendre en considération les irrégularités révélées lors des contrôles administratifs pour établir l’existence d’une non-conformité significative dans le cadre d’un régime d’aide ou d’une mesure de soutien ou dans une région ou une partie de région qui imposerait à l’autorité compétente d’augmenter en conséquence le pourcentage de bénéficiaires devant faire l’objet d’un contrôle sur place l’année suivante.

66      Il s’ensuit que les documents de travail contreviennent à l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 en ce qu’ils déterminent la « non-conformité significative » au sens de cet article sur la base des irrégularités révélées tant lors des contrôles administratifs que lors des contrôles sur place. Dans cette mesure, l’exception d’illégalité soulevée par la Hongrie à l’encontre desdits documents est fondée.

67      Cette illégalité est susceptible à elle seule d’entraîner l’annulation de la décision attaquée qui résulte de l’application de toutes les dispositions des documents de travail, en méconnaissance de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014.

68      Toutefois, dans la mesure où les deux premiers moyens de la requête sont tirés d’une exception d’illégalité des documents de travail portant sur un seul et même objet, à savoir l’augmentation des contrôles sur place, et dans la mesure où la controverse opposant les parties perdure depuis plusieurs années, il y a lieu, dans un souci de bonne administration de la justice, de poursuivre l’examen du recours et de statuer sur le second grief soulevé par la Hongrie, afin de donner une solution complète au litige.

 Sur le grief tiré de ce qu’il y aurait lieu de prendre uniquement en considération les irrégularités constatées parmi les agriculteurs formant l’échantillon aléatoire et non celles relevées dans l’échantillon sélectionné sur la base d’une analyse des risques

69      Les documents de travail déterminent l’existence d’une « non-conformité significative » au sens de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 sur la base, en substance, de la moyenne arithmétique des non-conformités constatées chez les bénéficiaires sélectionnés de manière aléatoire et chez ceux sélectionnés sur la base d’une analyse des risques.

70      En premier lieu, la Hongrie fait valoir que cette « non-conformité significative » ne peut résulter que de l’échantillonnage constitué sur une base aléatoire, car seul celui-ci permettrait de déterminer, dans une population donnée, la moyenne de ceux qui, parmi les bénéficiaires, se comportent de façon irrégulière. En revanche, dans la mesure où l’analyse des risques se concentre sur une sélection des bénéficiaires dont il est attendu les non-conformités les plus importantes, l’échantillon constitué sur cette base ne donnerait pas une image exacte de l’ensemble de la population, mais seulement de ses membres tendant le plus à commettre des irrégularités. En d’autres termes, l’échantillon aléatoire serait statistiquement représentatif, tandis que celui fondé sur l’analyse des risques fausserait les conclusions à tirer de l’ensemble de la population concernée. Ainsi, le recours à un échantillon fondé également sur une analyse des risques conduirait concrètement à révéler plus d’erreurs que le recours à un échantillon constitué sur la seule base aléatoire.

71      Il y a lieu d’observer d’emblée que, si l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 précise que la « non-conformité significative » doit ressortir de « contrôles sur place », il ne prévoit pas de critère permettant de qualifier les non-conformités révélées comme étant précisément « significatives » et ne précise pas davantage comment doit être déterminé l’échantillon de bénéficiaires à contrôler.

72      Toutefois, l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 dispose que l’échantillon de demandeurs à contrôler sur place doit se composer d’une partie constituée de manière aléatoire et d’une partie sélectionnée sur la base du niveau de risque, qui vise les domaines où le risque d’erreur est le plus élevé. Il résulte, à cet égard, du considérant 52 dudit règlement que, s’il appartient aux États membres d’adopter leurs programmes de contrôle, ceux-ci doivent cibler tout particulièrement les secteurs ou les entreprises qui présentent des risques de fraude élevés. Au demeurant, la Hongrie reconnaît elle-même, dans ses écrits de procédure, que l’analyse des risques vise à une protection efficace des intérêts financiers de l’Union.

73      L’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 concrétise ainsi l’obligation plus générale imposée par l’article 58, paragraphe 1, sous a) et b), du même règlement aux États membres. Comme cela a déjà été exposé au point 27 ci-dessus, ceux-ci doivent en effet prendre toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives ainsi que toute autre mesure nécessaire pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l’Union, en vue de s’assurer de la légalité et de la régularité des opérations financées par les fonds de l’Union et d’assurer une prévention efficace de la fraude, en particulier dans les zones à plus haut niveau de risque. Partant, afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, il importe que les contrôles mis en place par les États membres soient efficaces, à savoir qu’ils doivent permettre de vérifier de manière fiable que les conditions d’octroi des aides sont respectées [conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire République tchèque/Commission (Contrôles par télédétection dans le cadre du FEAGA et du Feader), C‑742/18 P, EU:C:2020:200, point 29].

74      Or, la Commission fait observer que l’échantillon de contrôle soumis à des contrôles sur place peut, en principe, être limité à 5 % des bénéficiaires, ainsi que cela ressort des articles 30 à 33 du règlement d’exécution no 809/2014. Ainsi, c’est à juste titre qu’elle soutient que, pour protéger efficacement les intérêts financiers de l’Union, le pourcentage des bénéficiaires devant être contrôlés sur place doit être composé non seulement sur la base d’un échantillon choisi de manière aléatoire, mais aussi sur la base d’une « deuxième couche [...] visant les zones où le risque d’erreurs est le plus élevé ».

75      En effet, dans le contexte d’un échantillon restreint de 5 % des bénéficiaires, il n’apparaît pas déraisonnable de considérer qu’une sélection fondée sur une base aléatoire donne une vision de l’ensemble de la population comportant une marge d’erreur élevée. Par conséquent, pour avoir une image plus précise et pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l’Union, il n’apparaît pas davantage déraisonnable de déterminer l’échantillon des bénéficiaires devant faire l’objet d’un contrôle sur place non seulement sur une base aléatoire, mais également sur la base d’une analyse des risques permettant de cibler les catégories de bénéficiaires qui présentent des risques de fraude élevés.

76      En deuxième lieu, la Hongrie fait valoir que « le rôle prépondérant » de l’échantillon constitué sur une base aléatoire ressort notamment de l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013, du considérant 33 du règlement d’exécution no 809/2014 et de l’article 36, paragraphe 2, quatrième alinéa, de ce dernier.

77      Toutefois, à supposer même que ces dispositions et ce considérant puissent être lus comme reconnaissant un rôle prépondérant à l’échantillon constitué sur une base aléatoire, ce rôle, étant toujours non exclusif, n’autoriserait pas pour autant la Hongrie à se fonder sur les résultats des contrôles opérés sur un échantillon de bénéficiaires défini sur cette seule base.

78      En troisième lieu, la Hongrie expose que l’article 34, paragraphe 4, du règlement d’exécution no 809/2014 précise, tout au plus, que l’échantillon sélectionné pour les futurs contrôles sur place excédant le minimum prévu aux articles 30 à 33 dudit règlement doit contenir une partie sélectionnée sur la base d’une analyse des risques. Toutefois, selon elle, il ne pourrait être déduit de cette disposition que les non-conformités détectées au cours de l’année antérieure de référence dans l’échantillon sélectionné sur la base d’une analyse des risques devraient être comptabilisées dans la non-conformité significative devant conduire à une augmentation des contrôles sur place durant l’année suivante.

79      Une telle thèse n’est cependant pas conciliable avec une interprétation systématique de l’article 34, paragraphe 4, du règlement d’exécution no 809/2014, fondée sur le contexte dans lequel il s’insère. En particulier, l’exigence érigée par l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013 de sélectionner une partie de l’échantillon de contrôle au vu d’une analyse des risques implique de prendre en compte les non-conformités décelées dans cette partie de l’échantillon pour apprécier la non-conformité significative devant conduire à une augmentation des contrôles sur place au titre de l’article 35 du règlement d’exécution susmentionné. Une telle prise en compte est en effet indispensable pour donner pleinement son sens à l’article 59, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013.

80      De surcroît, l’article 34, paragraphe 4, du règlement d’exécution no 809/2014 prévoit que, lorsque les contrôles sur place ne sont plus limités au minimum, comme c’est le cas de la Hongrie où leur taux devait être augmenté, le pourcentage de bénéficiaires sélectionnés pour ces contrôles supplémentaires sur une base aléatoire ne dépasse pas 25 %. Cette disposition souligne ainsi, a contrario, l’importance que revêt la sélection de l’échantillon sur la base d’une analyse des risques pour apprécier le nombre de non-conformités significatives justifiant l’augmentation des contrôles sur place. Or, cette importance n’est, de toute évidence, pas compatible avec la position de la Hongrie qui, quant à la question de savoir s’il faut procéder à cette augmentation, se fonde sur les non-conformités révélées lors du contrôle de bénéficiaires sélectionnés seulement sur une base aléatoire.

81      En quatrième lieu, la Hongrie soutient que prendre en compte les non-conformités décelées dans l’échantillon sélectionné sur la base d’une analyse des risques conduit à une distinction injustifiée entre les États membres, en fonction des différences existant dans leurs systèmes de contrôle respectifs. En effet, ceux appliquant un système efficace d’analyse des risques pourraient être contraints d’assumer des contrôles sur place supplémentaires, alors que le niveau moyen réel de non-conformités serait similaire à celui des États où l’analyse des risques étant moins efficace, ces derniers ne seraient pas contraints d’augmenter le taux des contrôles sur place. Dès lors, la Hongrie fait valoir que la méthode retenue par la Commission a pour conséquence que les États membres n’ont pas intérêt à ce que leurs systèmes d’analyse des risques soient efficaces, car ces États mettraient ainsi à jour des non-conformités qui les obligeraient à augmenter le taux de contrôles sur place et à supporter une charge administrative supplémentaire indue.

82      Cet argument est cependant voué au rejet dès lors qu’il va à l’encontre de l’obligation pour les États membres de coopérer loyalement avec les institutions, conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE et, en particulier, de protéger les intérêts financiers de l’Union en mettant en place des contrôles efficaces (voir point 73 ci-dessus).

83      En outre, force est de constater que la prémisse sur laquelle la Hongrie se fonde, à savoir celle selon laquelle le niveau moyen réel de non-conformités serait similaire dans différents États membres appliquant pourtant des systèmes d’analyse des risques d’efficacité variable, est hypothétique ou, en tout état de cause, hautement improbable, puisque rien ne permettrait d’établir cette similarité.

84      De même, contrairement à ce que prétend la Hongrie, il n’est pas paradoxal que les analyses de risques les plus efficaces conduisent à constater davantage d’irrégularités et justifient ainsi davantage de contrôles sur place. En effet, la découverte du plus grand nombre d’irrégularités possible constitue l’objectif même d’un système de contrôles efficace que chaque État membre doit mettre en place, aux fins d’une bonne gestion des fonds de l’Union et de la protection des intérêts financiers de celle-ci.

85      En cinquième lieu, la Hongrie prétend déceler une anomalie dans la méthode utilisée par la Commission dans les documents de travail pour déterminer les cas de « non-conformité significative » au sens de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014. Elle fait valoir que, dans l’hypothèse d’un comportement, et donc d’un nombre de non-conformités, constant d’année en année, la méthode de calcul prévue par ces documents aurait pour conséquence que le taux de contrôles sur place ferait, d’année en année, un bond tantôt vers le haut, tantôt vers le bas.

86      Toutefois, il y a lieu d’admettre, avec la Commission, qu’un comportement des producteurs constant d’une année à l’autre est fort peu probable et que l’argument que la Hongrie en tire repose, partant, sur une hypothèse peu crédible.

87      De plus, il ressort de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 que le taux augmenté de contrôles sur place ne peut être ramené au niveau de base prévu aux articles 30 à 33 dudit règlement que si le nombre de cas de non-conformité au cours de l’année ou des années suivantes diminue, de sorte que, si le taux d’irrégularités reste constant, c’est-à-dire s’il demeure à un niveau élevé, le niveau des contrôles sur place ne peut baisser.

88      Il résulte de l’examen ci-dessus que les documents de travail ne méconnaissent pas l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 en ce qu’ils énoncent que la sélection de l’échantillon de la population de contrôle, pour établir l’existence d’une non-conformité significative justifiant une augmentation du taux de contrôles sur place l’année suivante, doit être fondée non seulement sur une base aléatoire, mais également sur la base d’une analyse des risques. Dans cette mesure, l’exception d’illégalité soulevée par la Hongrie à l’encontre desdits documents n’est pas fondée.

 Conclusions

89      Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée, adoptée en application de l’ensemble des dispositions des documents de travail, ne contrevient pas à l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014 en ce que ces documents de travail comptabilisent les irrégularités constatées dans l’échantillon de la population constitué sur la base d’une analyse des risques pour établir l’existence d’une non-conformité significative.

90      En revanche, la décision attaquée méconnaît elle-même cet article dans la mesure où elle se fonde sur lesdits documents qui, en méconnaissance de l’article 35 du règlement d’exécution no 809/2014, déterminent cette non-conformité au vu des irrégularités révélées tant lors des contrôles administratifs que lors des contrôles sur place.

91      Ainsi que cela a déjà été exposé au point 67 ci-dessus, ce dernier constat suffit pour que la décision attaquée doive être annulée sur la base des deux premiers moyens réunis, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le troisième moyen invoqué.

 Sur les dépens

92      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Hongrie.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution (UE) 2020/1734 de la Commission, du 18 novembre 2020, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), uniquement en ce que la Commission européenne a exclu la somme de 4 334 068,02 euros du montant des aides financières accordées à la Hongrie par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) pour l’exercice financier 2018 en raison de la réalisation d’un nombre insuffisant de contrôles sur place, est annulée.

2)      La Commission est condamnée aux dépens.

Gervasoni

Frendo

Martín y Pérez de Nanclares

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 avril 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.