Language of document : ECLI:EU:T:2014:785

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

18 septembre 2014 (*)

« Référé – Aides d’État – Alcools et spiritueux – Annulation d’une dette fiscale dans le cadre d’une procédure collective d’insolvabilité – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Demande de sursis à exécution –Nouvelle demande – Absence de faits nouveaux – Défaut de fumus boni juris – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑103/14 R II,

Frucona Košice a.s., établie à Košice (Slovaquie), représentée par MM. K. Lasok, QC, B. Hartnett, J. Holmes, barristers, et Me O. Geiss, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme L. Armati, M. P.-J. Loewenthal et Mme K. Walkerová, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision 2014/342/UE de la Commission, du 16 octobre 2013, concernant l’aide d’État SA.18211 (C 25/05) (ex NN 21/05) mise à exécution par la République slovaque en faveur de Frucona Košice a.s. (JO 2014, L 176, p. 38), pour autant qu’elle ordonne à la République slovaque de procéder à la récupération de l’aide,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        La requérante, Frucona Košice a.s., est une société de droit slovaque active, notamment, dans le secteur de la production d’alcools et de spiritueux.

2        Le 16 octobre 2013, la Commission européenne a adopté la décision 2014/342/UE concernant l’aide d’État SA.18211 (C 25/05) (ex NN 21/05), mise à exécution par la République slovaque en faveur de Frucona Košice a.s. [notifiée sous le numéro C (2013) 6261] (JO 2014, L 176, p. 38 ; ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission a considéré qu’une aide d’État incompatible avec le marché intérieur avait été accordée à la requérante (article 2 de la décision attaquée) et enjoint à la République slovaque de récupérer cette aide auprès de la requérante (article 3 de la décision attaquée), en précisant que la restitution devait intervenir sans délai.

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 février 2014, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

4        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 18 février 2014, la requérante a introduit une demande en référé, dans laquelle elle sollicitait, en substance, le sursis à l’exécution de l’article 3, paragraphes 1 et 2, ainsi que de l’article 4 de la décision attaquée.

5        Dans ses observations sur la demande en référé, la Commission a conclu au rejet de la demande en référé.

6        Par ordonnance du 6 mai 2014, Frucona Košice/Commission (T‑103/14 R, EU:T:2014:255, ci-après l’« ordonnance du 6 mai 2014 »), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé aux motifs que la requérante n’était parvenue à établir ni que les conditions relatives au fumus boni juris et à l’urgence étaient remplies ni que la mise en balance des intérêts en présence penchait en sa faveur.

7        La requérante n’a pas saisi la Cour d’un pourvoi contre l’ordonnance du 6 mai 2014.

8        En revanche, par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 juillet 2014, la requérante a introduit une nouvelle demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de l’article 3, paragraphes 1 et 2, ainsi que de l’article 4 de la décision attaquée, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours principal ;

–        ordonner toute autre mesure provisoire appropriée eu égard aux circonstances de l’espèce ;

–        condamner la Commission aux dépens.

9        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 22 août 2014, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

10      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente nouvelle demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

11      Aux termes de l’article 109 du règlement de procédure du Tribunal, le rejet d’une demande en référé n’empêche pas la partie qui l’avait introduite de présenter une autre demande fondée sur des faits nouveaux.

12      Selon une jurisprudence bien établie, il y a lieu d’entendre par « faits nouveaux », au sens de cette disposition, des faits qui apparaissent après l’adoption de l’ordonnance rejetant la première demande en référé ou que la partie requérante n’a pas pu invoquer dans sa première demande ou pendant la procédure débouchant sur la première ordonnance et qui sont pertinents pour apprécier le cas en cause (voir ordonnance du 13 octobre 2006, Vischim/Commission, T‑420/05 R II, Rec, EU:T:2006:304, point 54 et jurisprudence citée).

13      Il y a donc lieu de vérifier si, dans la présente demande en référé, la requérante – qui n’avait pas introduit de pourvoi contre l’ordonnance du 6 mai 2014 – a établi l’existence de faits nouveaux susceptibles de remettre en cause les appréciations qui ont amené le juge des référés à rejeter, par cette ordonnance, la première demande en référé.

14      S’agissant de la condition relative au fumus boni juris, il convient de rappeler que, aux points 21 et 22 de l’ordonnance du 6 mai 2014, l’argumentation présentée par la requérante moyennant un renvoi global au recours principal a été déclarée irrecevable. Il a été de même de certaines des affirmations avancées au point 22 de la première demande en référé qui ont été considérées, au point 46 de l’ordonnance du 6 mai 2014, comme confuses et incohérentes. En ce qui concerne le premier moyen soulevé dans le cadre de la première procédure de référé, tiré d’une violation des droits de la défense, le juge des référés a estimé, aux points 24 à 32 de l’ordonnance du 6 mai 2014, qu’il n’était prima facie pas de nature à établir l’existence d’un fumus boni juris. Le même sort a été réservé au second moyen, tiré d’une erreur de droit entachant le considérant 83 de la décision attaquée pour méconnaissance du critère du créancier privé, le juge des référés ayant conclu, aux points 33 à 42 de l’ordonnance du 6 mai 2014, que l’argumentation présentée ne pouvait être considérée comme révélant l’existence de questions juridiques complexes ou d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’imposait pas d’emblée.

15      Au point 19 de sa nouvelle demande en référé, la requérante indique vouloir présenter plus en détail les moyens invoqués pour fonder son recours en annulation. À cette fin, elle reproduit, aux points 20 à 178 de cette demande et sur une trentaine de pages, l’ensemble du recours qu’elle a introduit dans le litige principal, y compris les notes en bas de page, en y ajoutant, d’une part, des réponses au mémoire en défense déposé par la Commission dans ce même litige ainsi que, d’autre part, des critiques dirigées contre l’ordonnance du 6 mai 2014.

16      Ce faisant, loin de produire des faits nouveaux susceptibles de remettre en cause l’appréciation du fumus boni juris opérée dans l’ordonnance du 6 mai 2014, la requérante s’efforce de pallier les déficiences de l’argumentation juridique qu’elle avait présentée dans le cadre de la première procédure de référé et d’augmenter sa capacité de persuasion juridique par rapport à cette argumentation initiale. Cependant, l’article 109 du règlement de procédure n’est pas conçu pour permettre à une partie requérante, dont la demande en référé vient d’être rejetée, d’introduire une ou plusieurs nouvelles demandes pour ouvrir un débat juridique avec le juge des référés. Si une telle partie requérante n’est pas en mesure d’établir des faits qui sont apparus après le rejet de sa première demande en référé ou qui ne pouvaient pas être invoqués lors de la procédure débouchant sur ce rejet, il ne lui reste qu’à saisir la Cour d’un pourvoi afin de dénoncer d’éventuelles erreurs de droit commises par le juge de première instance.

17      Il s’ensuit que l’argumentation juridique avancée par la requérante dans sa nouvelle demande en référé au regard du fumus boni juris ne se fonde sur aucun fait nouveau au sens de l’article 109 du règlement de procédure. Dans ces circonstances, il n’y a aucun motif justifiant une appréciation du fumus boni juris différente de celle exprimée dans l’ordonnance du 6 mai 2014.

18      Par conséquent, eu égard à la jurisprudence selon laquelle les conditions d’octroi d’une mesure provisoire sont cumulatives de sorte qu’une demande en référé doit être rejetée dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec, EU:C:1996:381, point 30], la présente demande en référé ne saurait être accueillie.

19      Dans ces conditions, il est superflu de se prononcer sur l’argumentation présentée par la requérante dans sa nouvelle demande à l’égard de la condition relative à l’urgence, d’autant que cette condition n’avait été examinée qu’à titre surabondant dans l’ordonnance du 6 mai 2014 (voir point 47 de cette dernière), de sorte que ladite nouvelle argumentation ne peut être considérée comme pertinente pour apprécier le cas en cause, au sens de la jurisprudence citée au point 12 ci-dessus.

20      En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que le juge des référés a constaté, aux points 55 à 58 de l’ordonnance du 6 mai 2014, que la requérante n’avait pas établi l’urgence au regard de la jurisprudence qui exigeait la prise en considération des caractéristiques du groupe auquel elle appartenait et selon laquelle elle aurait dû fournir tous les éléments permettant d’apprécier les caractéristiques financières du groupe qu’elle composait, en tant que société anonyme, avec ses actionnaires ou démontrer l’autonomie de ses intérêts objectifs par rapport à ceux de ses actionnaires. Or, la requérante n’avait fourni aucun élément de cette nature, qui aurait permis au juge des référés d’examiner la pertinence du concept de groupe dans le cas d’espèce.

21      Dans sa nouvelle demande en référé, la requérante affirme qu’elle a trois actionnaires, dont l’un est une société d’investissement slovaque et les deux autres des personnes physiques, en précisant que la situation des actionnaires est présentée dans les annexes de sa demande. Elle ajoute que ses actionnaires ne sont pas parties à la présente procédure et que leur risque financier, en tant qu’actionnaires d’une société par action, est limité, les actionnaires de sociétés par actions n’étant, en vertu du droit slovaque, pas responsables des dettes de la société. Par ailleurs, les intérêts objectifs de la requérante seraient différents de ceux de ses actionnaires. En effet, ces derniers ne seraient pas des entreprises intervenant sur le même marché que la requérante.

22      À cet égard, il suffit de relever qu’aucune des précisions fournies par la requérante sur les caractéristiques de ses actionnaires ou sur la nature des intérêts économiques et financiers poursuivis par ceux-ci ne saurait être considérée comme constituant un fait qui serait apparu après l’adoption de l’ordonnance du 6 mai 2014 ou qu’elle n’aurait pas pu invoquer pendant la procédure débouchant sur ladite ordonnance, au sens de la jurisprudence citée au point 12 ci-dessus. Il s’agit plutôt d’éléments que la requérante aurait pu et – compte tenu de la jurisprudence constante citée aux points 52 à 54 de l’ordonnance du 6 mai 2014 – aurait dû porter à la connaissance du juge des référés déjà dans la première demande en référé.

23      Par ailleurs, au lieu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable au regard du concept de groupe (points 51 et 52 de l’ordonnance du 6 mai 2014), la requérante s’est contentée de produire, dans les annexes de sa nouvelle demande en référé, de brèves déclarations unilatérales émanant de ses trois actionnaires, selon lesquelles leurs ressources financières seraient engagées ailleurs, ce qui les empêcherait d’apporter un financement supplémentaire à la requérante, sans fournir la moindre preuve documentaire de ces affirmations. En outre, ces déclarations n’ont pas été délivrées in tempore non suspecto, mais en juillet 2014, c’est-à-dire peu avant le dépôt de la nouvelle demande en référé et dans le but apparent de satisfaire les critères du concept de groupe rappelés dans l’ordonnance du 6 mai 2014. De plus, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, le fait que la requérante et ses actionnaires opèrent dans des marchés différents ne signifie pas automatiquement que les intérêts de ses actionnaires soient totalement distincts de ceux de la société, dès lors que la requérante n’a pas établi qu’elle se trouvait dans une situation de concurrence avec ses actionnaires et poursuivait donc des objectifs stratégiques contraires à ceux de ces derniers (voir, en ce sens, ordonnance du 13 avril 2011, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission, T‑393/10 R, Rec, EU:T:2011:178, point 40).

24      Dans ces circonstances, il n’y a aucun motif justifiant une appréciation de l’urgence différente de celle exprimée aux points 55 à 58 de l’ordonnance du 6 mai 2014. Il n’y a dès lors lieu de se prononcer ni sur l’argumentation développée dans la nouvelle demande en référé au regard du raisonnement que le juge des référés a encore ajouté aux points 59 à 65 de ladite ordonnance, concluant au défaut d’urgence du fait que la requérante n’avait pas démontré l’imperfection des voies de recours slovaques en la matière, ni sur la lettre de la requérante du 15 septembre 2014 faisant état d’une décision la concernant qu’un juge slovaque a adoptée entre-temps.

25      Enfin, s’agissant de la mise en balance des intérêts en présence, la requérante, au lieu de présenter un « fait nouveau » au sens de l’article 109 du règlement de procédure, se borne à invoquer qu’il « n’existe aucun élément en l’espèce » qui jouerait en défaveur de l’octroi des mesures provisoires sollicitées.

26      Il résulte de tout ce qui précède que les conditions de l’article 109 du règlement de procédure ne sont manifestement pas remplies. Par conséquent, la présente demande en référé doit être rejetée.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 18 septembre 2014.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.