Language of document : ECLI:EU:T:2021:913

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

21 décembre 2021  (*)

« Fonction publique – Agents temporaires – Enquête de l’OLAF – Transmission à des autorités judiciaires nationales d’informations relatives à des faits susceptibles de poursuites pénales – Procédure pénale nationale – Acquittement – Comportement du Cedefop lié à la procédure pénale nationale – Rejet de la demande d’indemnisation – Recours en annulation et en indemnité – Conflit d’intérêts – Présomption d’innocence – Compétences de la commission de recours du Cedefop »

Dans l’affaire T‑159/20,

Helene Hamers, demeurant à Angelochori (Grèce), représentée par Mes V. Christianos, A. Politis, M. Rodopoulos et A. Skoulikis, avocats,

partie requérante,

contre

Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Cedefop), représenté par MM. J. Siebel et L. Zacheilas, en qualité d’agents, assistés de Mes B. Wägenbaur et C. Meidanis, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision implicite du Cedefop du 19 janvier 2020 rejetant la réclamation concernant une demande en réparation de préjudices que la requérante aurait subis et, d’autre part, à la réparation de ces préjudices,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mmes O. Porchia (rapporteure) et M. Stancu, juges,

greffier : M. I. Pollalis, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 14 juillet 2021,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Mme Helene Hamers, est agent temporaire, de grade AD 12, au Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Cedefop).

2        En 2001, la requérante a été nommée chef du service « Budget et finances » du Cedefop et a exercé cette fonction jusqu’en 2007.

3        En 2005, le conseil d’administration du Cedefop a demandé au service d’audit interne (ci-après le « SAI ») de la Commission européenne de contrôler la régularité ainsi que la légalité des procédures d’appel d’offres et de l’adjudication des marchés publics pour la période couvrant les années 2001 à 2005. Dans son rapport, le SAI a conclu à l’existence d’irrégularités graves au regard de la réglementation dans les procédures d’appel d’offres de marchés publics, en faisant référence à la requérante en sa qualité de chef de service.

4        Le 14 octobre 2005, sur la base du rapport du SAI, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a ouvert une enquête interne, distincte de celle du SAI, à l’encontre de six personnes, dont la requérante, portant sur la même période, à savoir de 2001 à 2005.

5        Le 16 août 2007, l’OLAF a rendu son rapport final et a conclu à l’existence d’une fraude organisée portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne mise en œuvre par les six personnes en cause, dont la requérante.

6        Le 2 octobre 2007, l’OLAF a transmis son rapport final aux autorités judiciaires grecques ainsi qu’au Cedefop.

7        Le 31 mars 2008, le procureur du Protodikeio Thessalonikis (tribunal de première instance de Thessalonique, Grèce) (ci-après le « procureur ») a chargé le Soma Dioksis Oikonomikou Egklimatos (SDOE, Agence de lutte contre les crimes économiques) de réaliser une enquête préliminaire.

8        Le 4 septembre 2008, le Cedefop s’est constitué partie civile.

9        Le 23 juin 2009, le SDOE a rendu son rapport d’enquête, dans lequel il a relevé des irrégularités dans certains marchés publics (ci-après les « marchés litigieux »). Le procureur a décidé de poursuivre les six personnes en cause, dont la requérante. Le 2 juillet 2009, une enquête pénale a été ordonnée.

10      Le 6 mars 2017, le Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges, Grèce) a procédé à l’examen de l’affaire et a ouvert une procédure pénale.

11      Par arrêt du 20 juillet 2018, le Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges) a prononcé l’acquittement des six personnes en cause, dont la requérante, pour insuffisance de preuve.

12      Le 12 mars 2019, la requérante a présenté une demande d’indemnisation des préjudices, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), pour un montant total de 442 276,78 euros (ci-après la « demande d’indemnisation »). Ce montant se composait de 250 000 euros au titre de préjudices moraux, de 150 000 euros au titre d’un préjudice lié à la santé de la requérante ainsi que de 42 276,78 euros au titre d’un préjudice matériel lié aux frais d’avocat exposés devant les juridictions nationales.

13      Le 3 juillet 2019, le directeur exécutif du Cedefop faisant fonction, en sa qualité d’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN »), a rejeté la demande d’indemnisation (ci-après la « décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 »).

14      Le 19 septembre 2019, la requérante a présenté, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation contre la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 (ci-après la « réclamation »).

15      Le 20 novembre 2019, la commission de recours du Cedefop (ci-après la « commission de recours ») a suggéré aux parties d’entamer une conciliation concernant les frais d’avocat que la requérante avait exposés devant les juridictions nationales.

16      Dans le cadre de cette procédure de conciliation, le directeur exécutif du Cedefop a, le 28 novembre 2019, proposé de verser, à titre gracieux, la somme de 17 000 euros à la requérante, qui a refusé. Par courrier du 11 décembre 2019, il a réévalué cette somme à 25 000 euros, que la requérante a également refusée.

17      Le 16 janvier 2020, la commission de recours a adopté une décision par laquelle elle a annulé, pour défaut de motivation, la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 en ce qui concerne le préjudice lié aux frais d’avocat. Elle a conclu au rejet de la réclamation pour le surplus (ci-après la « décision de la commission de recours du 16 janvier 2020 »).

18      Par courrier du 23 janvier 2020, la requérante a indiqué que le montant des frais d’avocat s’élevait à 36 156,78 euros.

19      À la suite de la décision de la commission de recours du 16 janvier 2020, le directeur exécutif du Cedefop a, par courrier du 10 avril 2020, confirmé le refus d’octroyer une compensation au titre des frais d’avocat, mais a néanmoins proposé, à titre gracieux, la somme de 12 500 euros (ci-après la « décision du directeur exécutif du 10 avril 2020 »), que la requérante a refusée.

 Procédure et conclusions des parties

20      Par requête enregistrée le 23 mars 2020 au greffe du Tribunal, la requérante a introduit le présent recours contre la « décision implicite de rejet » de la réclamation, au motif que la décision de la commission de recours du 16 janvier 2020 ne serait pas une décision de l’AIPN et qu’il n’y aurait pas eu de réponse du directeur exécutif dans les quatre mois après l’introduction de sa réclamation, conformément à l’article 90, paragraphe 2, du statut.

21      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 5 mai 2020, la requérante a déposé, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, un mémoire en adaptation afin de tenir compte de la décision du directeur exécutif du 10 avril 2020.

22      Le 17 juin 2020, le Cedefop a demandé l’omission de certaines données envers le public et a déposé le mémoire en défense.

23      Le 22 juin 2020, le Cedefop a présenté ses observations sur le mémoire en adaptation.

24      Le 28 août et le 6 octobre 2020, la requérante et le Cedefop ont respectivement déposé la réplique et la duplique. Dans le cadre de la réplique, la requérante s’est désistée de sa demande d’indemnisation du préjudice matériel évalué à 6 120 euros correspondant aux 17 jours de congés qu’elle aurait posés afin de comparaître devant les autorités nationales.

25      À la suite de l’adaptation de la requête, la requérante demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision implicite de rejet de la réclamation du directeur exécutif du Cedefop du 19 janvier 2020 ;

–        condamner le Cedefop à lui verser la somme totale de 436 156,78 euros ;

–        accueillir la demande en adaptation de la requête, conformément à l’article 86 du règlement de procédure ;

–        condamner le Cedefop à l’intégralité des dépens, y compris ceux correspondant à l’adaptation de la requête.

26      À la suite des observations relatives au mémoire en adaptation, le Cedefop conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        rejeter la demande d’adaptation de la requête ;

–        condamner la requérante aux dépens.

27      Le 11 juin 2021, le Tribunal a invité les parties, par la voie des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous a) et b), du règlement de procédure, à répondre à une question lors de l’audience.

28      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses à la question posée par le Tribunal lors de l’audience du 14 juillet 2021.

 En droit

 Sur l’objet du litige

29      À titre liminaire, en premier lieu, il convient de préciser que, dans la requête, la requérante a demandé l’annulation de la décision implicite du directeur exécutif du Cedefop du 19 janvier 2020, qui rejetterait la réclamation. Selon la requérante, la décision de la commission de recours du 16 janvier 2020 ne peut être considérée comme une décision de l’AIPN, dans la mesure où cette commission ne serait pas compétente pour répondre à une réclamation introduite conformément à l’article 90 du statut et portant sur une demande indemnitaire. Seul le directeur exécutif du Cedefop, agissant en qualité d’AIPN, serait compétent pour accorder des indemnités et donc pour examiner les réclamations à caractère indemnitaire. Ladite commission aurait une compétence ratio materiae limitée aux aspects procéduraux et à l’examen et au traitement des tentatives de conciliation. À cet égard, la requérante fait référence à une décision du conseil d’administration du Cedefop du 26 février 2019 qui contiendrait une délégation générale au directeur exécutif pour agir et intervenir en tant qu’autorité compétente, sauf lorsqu’il s’agit de compétences réservées au conseil d’administration ou à un autre organe du Cedefop. Par conséquent, elle estime que, en l’absence d’une décision de l’AIPN concernant la réclamation, celle-ci a été rejetée implicitement à l’expiration du délai de quatre mois prévu à l’article 90, paragraphe 2, du statut. Elle ajoute que, en tout état de cause, à supposer que la décision de la commission de recours du 16 janvier 2020 soit l’acte attaqué, le Tribunal est autorisé à requalifier d’office la demande en annulation, en ce sens qu’elle serait dirigée contre cette décision.

30      Le Cedefop soutient que, si le directeur exécutif est compétent pour connaître des demandes d’indemnisation et, en particulier, pour fixer le montant de celle-ci, c’est la commission de recours qui est compétente pour connaître des réclamations contre les décisions du directeur exécutif en matière indemnitaire.

31      Selon l’article 1er de la décision du conseil d’administration du Cedefop du 4 février 2000, la commission de recours est chargée d’examiner les réclamations introduites par les fonctionnaires et les autres agents du Cedefop en application de l’article 90 du statut contre les actes ou les omissions de l’AIPN ou, le cas échéant, de l’autorité habilitée à conclure des contrats. L’article 5, premier et dernier alinéas, de cette décision prévoit que la réclamation est adressée au président de ladite commission et que, lorsqu’une conciliation n’a pas été possible et au regard des délais fixés à l’article 90, paragraphe 2, du statut, il organise les réunions de cette commission pour qu’une décision soit prise.

32      Ainsi, pour les réclamations que la commission de recours est chargée d’examiner, la décision du conseil d’administration du Cedefop du 4 février 2000 ne fait pas de distinction entre les réclamations introduites à la suite d’une demande en annulation et celles introduites à la suite d’une demande indemnitaire ni ne limite la compétence de ladite commission à l’examen et au traitement des tentatives de conciliation. Le fait que l’article 5 de ladite décision prévoit que cette commission examine les possibilités de conciliation, ce qui a été au demeurant fait en l’espèce avant que la décision de la commission de recours du 16 janvier 2020 ne soit prise, ne saurait signifier que ses pouvoirs sont limités à l’examen et au traitement de telles tentatives, d’autant qu’il est prévu que celle-ci se réunit en cas d’échec, en tenant compte des délais fixés à l’article 90, paragraphe 2, du statut.

33      Il s’ensuit que, comme l’a jugé le Tribunal, c’est à la commission de recours que la décision du conseil d’administration du Cedefop du 4 février 2000 attribue la qualité pour répondre à toutes les réclamations introduites par le personnel du Cedefop conformément à l’article 90, paragraphe 2, du statut (arrêt du 7 juillet 2011, Longinidis/Cedefop, T‑283/08 P, EU:T:2011:338, point 114).

34      Par ailleurs, il convient d’ajouter que la requérante s’est prévalue d’une décision du conseil d’administration du Cedefop du 26 février 2019, qui contiendrait une délégation générale au directeur exécutif pour agir et intervenir en tant qu’autorité compétente. Or, la requérante a expliqué, à l’audience, qu’il ressort de cette décision qu’une telle délégation ne vise pas les compétences réservées au conseil administratif ou à un autre organe du Cedefop. Il ressort donc de l’explication apportée par la requérante elle-même que cette décision ne vise pas les compétences déjà attribuées à la commission de recours, comme c’est le cas des compétences visées par la décision du conseil d’administration du Cedefop du 4 février 2000 s’agissant des réclamations introduites au titre de l’article 90 du statut contre les décisions de l’AIPN.

35      C’est donc bien par sa décision du 16 janvier 2020 que la commission de recours a examiné la réclamation et l’a rejetée, à l’exception de la demande relative aux frais d’avocat, et c’est à la suite de cette décision qu’il est revenu au directeur exécutif de se prononcer sur le préjudice matériel lié auxdits frais.

36      En second lieu, il importe de relever que, selon la jurisprudence, la réclamation administrative, visée à l’article 90, paragraphe 2, du statut, et son rejet, explicite ou implicite, font partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, un recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, points 7 et 8), sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation a une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée (arrêt du 25 octobre 2006, Staboli/Commission, T‑281/04, EU:T:2006:334, point 26).

37      En l’espèce, dans la mesure où la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 a été annulée par la décision de la commission de recours du 16 janvier 2020 uniquement en ce qui concerne le préjudice matériel lié aux frais d’avocat, il convient de considérer le recours comme formé contre la première décision, dont la légalité doit être examinée en tenant compte de la seconde décision, qui la confirme en ce qui concerne les autres préjudices.

 Sur ladaptation de la requête

38      La requérante a déposé un mémoire en adaptation afin de tenir compte de la décision du directeur exécutif du 10 avril 2020. Cette décision est intervenue après celle de la commission de recours du 16 janvier 2020, qui a annulé en partie la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019, à savoir en ce qui concerne le préjudice lié aux frais d’avocat.

39      Le Cedefop conteste la recevabilité du mémoire en adaptation.

40      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.

41      Il importe de souligner que la notion d’acte « remplacé ou modifié par un autre acte », au sens de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, renvoie, d’une part, à la situation dans laquelle une décision individuelle, explicite ou implicite, a été remplacée par une autre décision ayant le même objet et, d’autre part, à la situation dans laquelle une disposition du droit dérivé est prorogée sans que le principe qu’elle énonce et qui constitue l’essentiel de l’objet du litige soit modifié [voir arrêt du 3 juillet 2019, PT/BEI, T‑573/16, EU:T:2019:481, point 197 (non publié) et jurisprudence citée].

42      De plus, il résulte des articles 90 et 91 du statut que le recours dirigé contre un acte faisant grief consistant dans une décision de l’AIPN n’est recevable que si l’intéressé a préalablement saisi l’AIPN d’une réclamation et si celle-ci a fait l’objet d’un rejet explicite ou implicite (voir arrêt du 1er avril 2009, Valero Jordana/Commission, T‑385/04, EU:T:2009:97, point 78 et jurisprudence citée).

43      Or, en l’espèce, il convient de relever que, contrairement à ce que prévoit la procédure précontentieuse visée aux articles 90 et 91 du règlement de procédure, à la suite de la décision du directeur exécutif du 10 avril 2020, la requérante n’a pas introduit de nouvelle réclamation concernant sa demande d’indemnisation en ce qui concerne le préjudice matériel lié aux frais d’avocat.

44      En conséquence, les conclusions du mémoire en adaptation, en ce qu’elles portent sur la demande d’indemnisation pour le préjudice matériel lié aux frais d’avocat, doivent être rejetées comme irrecevables.

45      Par ailleurs, dès lors que la requérante a entendu déposer le mémoire en adaptation au motif que la décision du directeur exécutif du 10 avril 2020 concerne aussi la demande d’indemnisation pour les autres préjudices, il convient de rappeler que cette décision ne remplace pas la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 pour ces préjudices. En effet, cette décision a été confirmée à cet égard par la décision de la commission de recours du 16 janvier 2020. Il convient donc de déclarer irrecevable ledit mémoire en ce qu’il concernerait la demande d’indemnisation pour les autres préjudices.

 Sur les conclusions en annulation

46      Dans la requête, la requérante a soulevé formellement quatre moyens d’annulation, tirés, le premier, de l’illégalité des agissements ou des comportements du Cedefop qui ont été déterminants quant à l’ouverture de la procédure pénale à son égard, le deuxième, de la violation du droit à une bonne administration en ce que sa demande d’indemnisation a été examinée par un agent du Cedefop en situation de conflit d’intérêts, le troisième, de la violation de la présomption d’innocence ainsi que, notamment, de l’article 4, paragraphe 3, TUE et, le quatrième, de l’illégalité du comportement du Cedefop, qui a conduit à sa dévalorisation professionnelle.

47      Lors de l’audience, la requérante a précisé que seuls les deuxième et troisième moyens fondaient ses conclusions en annulation.

 Sur le moyen relatif au conflit d’intérêts

48      La requérante soutient que le Cedefop a méconnu les principes de bonne administration, d’indépendance et d’impartialité en raison de l’existence d’un conflit d’intérêts dans lequel s’est trouvé un de ses agents, qui avait été témoin à charge de l’accusation devant l’OLAF ainsi que devant les instances judiciaires et qui s’est prononcé, en tant que directeur exécutif faisant fonction, sur sa demande d’indemnisation, alors qu’il aurait dû s’abstenir.

49      Selon la requérante, la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019, que l’agent en question a signée en tant que directeur exécutif faisant fonction, est entachée d’un vice grave qui concerne aussi la décision implicite de rejet de la réclamation du 19 janvier 2020. Elle estime que le fait que la demande d’indemnisation a été examinée par une personne ayant eu un rôle de premier plan dans l’accusation la concernant est contraire à l’obligation d’impartialité qui incombe au Cedefop et vicie la motivation d’ensemble des deux décisions.

50      La requérante fait valoir que l’agent en question a déclaré sous serment, de manière catégorique et péremptoire, que, en vertu de ses fonctions, elle avait connaissance des irrégularités, était responsable de l’audit interne et jouait le rôle de vérificateur financier. Elle ajoute que la juridiction pénale a jugé de manière définitive qu’elle n’exerçait pas lesdites fonctions et qu’elle n’avait pas connaissance des actes et des omissions qui lui étaient reprochés.

51      Le Cedefop conteste les arguments de la requérante.

52      Il convient de souligner que le conflit d’intérêts allégué en l’espèce ne découlerait pas, en tant que tel, des déclarations que l’agent en question a faites dans le cadre des procédures d’enquête ainsi que des procédures judiciaires et qui sont invoquées dans le cadre des conclusions indemnitaires. Il découlerait du fait que cet agent n’aurait pas dû, en qualité de directeur exécutif faisant fonction, prendre la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019, compte tenu desdites déclarations.

53      À cet égard, il convient de relever que le conflit d’intérêts n’est qu’une variante du vice de partialité, puisque l’exigence d’impartialité couvre toutes circonstances que le fonctionnaire ou l’agent amené à se prononcer sur une affaire doit raisonnablement comprendre comme étant de nature à apparaître, aux yeux des tiers, comme susceptibles d’affecter son indépendance en la matière (arrêt du 19 septembre 2019, GE Healthcare/Commission, T‑783/17, EU:T:2019:624, point 172).

54      L’exigence d’impartialité qui s’impose à l’administration en vertu de l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») recouvre deux aspects. En premier lieu, l’administration doit être subjectivement impartiale, c’est-à-dire qu’aucun de ses membres ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, l’impartialité personnelle se présumant jusqu’à preuve du contraire. En second lieu, l’administration doit être objectivement impartiale, c’est-à-dire qu’elle doit offrir les garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, par analogie, arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 54, et du 22 septembre 2016, Weissenfels/Parlement, T‑684/15 P, non publié, EU:T:2016:525, point 17).

55      En l’espèce, le fait que le directeur exécutif faisant fonction qui s’est prononcé sur la demande d’indemnisation a fait, en qualité de témoin, des déclarations à l’égard de la requérante lors des procédures d’enquête et des procédures judiciaires ne saurait suffire pour mettre en cause son impartialité lorsqu’il a pris la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 et, dès lors, pour conclure qu’il y a eu un conflit d’intérêts au sens de l’article 11 bis du statut.

56      Il importe de rappeler que c’est en qualité de directeur exécutif faisant fonction que celui-ci a pris la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 et que c’était en qualité de représentant du Cedefop dans l’exercice de ses fonctions qu’il avait été auditionné. Il n’a à aucun moment témoigné à titre personnel contre la requérante, ainsi que le soutient à juste titre le Cedefop.

57      En tout état de cause, et surtout, il y a lieu de rappeler que la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 a fait l’objet d’une réclamation.

58      À cet égard, il convient de relever que l’objectif de la procédure administrative de réclamation est de permettre et de favoriser un règlement amiable du différend surgi entre le réclamant et l’autorité compétente et d’imposer à cette autorité dont dépend le fonctionnaire de réexaminer sa décision, dans le respect des règles, à la lumière des objections éventuelles de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2015, Z/Cour de justice, T-88/13 P, EU:T:2015:393, point 144). Dans ce cadre, cette procédure permet au réclamant de préciser ses prétentions et à l’administration de corriger d’éventuelles erreurs, de reconsidérer sa position et de compléter la motivation de la décision contestée.

59      Ainsi, la procédure précontentieuse a été prévue non seulement dans l’intérêt de l’administration, mais également dans l’intérêt du fonctionnaire (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 1990, Pfloeschner/Commission, T-135/89, EU:T:1990:26, point 17), qui doit bénéficier d’un réexamen régulier de la décision de l’administration.

60      Or, il convient de souligner que, par sa décision du 16 janvier 2020, la commission de recours a procédé au réexamen complet de la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 et il est constant que le directeur exécutif faisant fonction qui a pris cette dernière décision ne faisait pas partie de ladite commission.

61      Il résulte de tout ce qui précède que le présent moyen doit être rejeté.

 Sur le moyen tiré de la violation de la présomption d’innocence et de l’article 4, paragraphe 3, TUE

62      La requérante fait valoir, en substance, que, malgré l’arrêt du Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges), qui a retiré tout fondement à l’accusation, le Cedefop a remis en cause l’autorité de la chose jugée de cet arrêt. Elle estime que le Cedefop persiste à remettre en cause les constatations définitives opérées par cette juridiction, comme cela ressortirait de la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 et de la décision implicite de rejet de la réclamation du 19 janvier 2020. Selon elle, le Cedefop est lié par les constatations définitives de cette juridiction et le fait de les remettre en cause méconnaîtrait la jurisprudence du juge de l’Union ainsi que celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle fait observer que le Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges) a expressément dit pour droit qu’elle n’était pas responsable de la vérification financière de tous les marchés publics, y compris les marchés litigieux, alors que le Cedefop a soutenu des accusations en ce sens au cours de la procédure pénale, suggérant qu’elle connaissait et dissimulait les actes et les omissions qui lui étaient reprochés. Elle soutient que le Cedefop a contesté l’appréciation de ladite juridiction s’agissant de la description de ses fonctions, en violation de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de l’article 48 de la Charte et de l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), reconnu comme un principe général du droit de l’Union.

63      Lors de l’audience, la requérante précise que le présent moyen est fondé sur la violation du principe de la présomption d’innocence et de l’article 4, paragraphe 3, TUE, qui consacre le principe de coopération loyale entre les autorités nationales et européennes.

64      Le Cedefop conteste les arguments de la requérante.

65      En l’espèce, compte tenu de ce qui a été indiqué aux points 58 et 59 ci-dessus, il convient d’emblée de constater qu’il faut tenir compte des motifs de la décision de la commission de recours du 16 janvier 2020. En effet, cette commission a, dans ladite décision, réexaminé la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 et a souligné que le Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges) n’avait jamais personnellement désigné la requérante comme auteur d’une violation des règles pénales ou financières et que celle-ci était non seulement mise hors de cause, mais jouissait nécessairement de la présomption d’innocence pour ce qui était du respect de ses obligations statutaires.

66      Par ailleurs, il convient de rappeler que le principe de la présomption d’innocence, énoncé à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH et à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, constitue un droit fondamental qui confère aux particuliers des droits dont le juge de l’Union garantit le respect (voir arrêt du 4 avril 2019, Rodriguez Prieto/Commission, T‑61/18, EU:T:2019:217, point 91 et jurisprudence citée).

67      En outre, le respect de la présomption d’innocence exige que toute personne accusée d’une infraction soit présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (arrêt du 7 mars 2018, Gollnisch/Parlement, T-624/16, non publié, EU:T:2018:121, point 78).

68      Or, en l’espèce, il ne ressort pas de la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 qu’il y soit affirmé que la requérante devait être considérée comme responsable des irrégularités relevées dans les marchés litigieux ou des faits qui lui étaient reprochés dans le cadre de l’exercice de ses fonctions.

69      Tout d’abord, dans la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019, il est uniquement indiqué que le seul fait que le SDOE et les juridictions nationales ont constaté que la requérante n’était pas responsable de la vérification financière des marchés litigieux et n’était pas intervenue dans la passation des marchés litigieux effectuée de manière irrégulière ne préjugeait pas de la question de savoir si celle-ci exerçait, en raison du poste occupé, les fonctions de vérificateur financier au sein du Cedefop et avait eu des responsabilités, sans que celles-ci aient été relevées, concernant, en particulier, les marchés litigieux qui avaient fait l’objet de l’enquête pénale.

70      Ensuite, dans la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019, il est répondu à l’argument de la requérante visant à remettre en cause indirectement le contenu de documents officiels certifiant qu’elle exerçait les fonctions de vérificateur financier au sein du Cedefop. Il est, à cet égard, énuméré lesdits documents dans lesquels il était attesté, notamment, la description des tâches dans la fiche de poste, le contenu des rapports d’évolution de carrière, non contestés par la requérante, ainsi que les décisions de réaffectation prises à son égard, que la requérante avait contresignées et qu’elle n’a pas non plus contestées.

71      Enfin, il ne ressort pas de la décision du directeur exécutif du 3 juillet 2019 qu’il ait été laissé subsister soit un doute quant à la culpabilité ou l’implication de la requérante dans l’infraction pénale pour laquelle elle a été poursuivie, soit un antagonisme d’intérêts entre la requérante et le Cedefop sur les faits qui ont été reprochés à celle-ci devant les juridictions grecques et pour lesquels elle a été acquittée.

72      En tout état de cause, comme il a été relevé au point 65 ci-dessus, la commission de recours a souligné, dans sa décision du 16 janvier 2020, notamment que la requérante était mise hors de cause et jouissait nécessairement de la présomption d’innocence pour ce qui était du respect de ses obligations statutaires.

73      Il s’ensuit que le Cedefop n’a ni remis en cause l’autorité de la chose jugée de la décision de justice nationale, ni méconnu l’acquittement de la requérante retenu dans l’arrêt du Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges).

74      Il ne peut, dès lors, pas davantage être constaté de violation de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

75      Il résulte de tout ce qui précède que le moyen doit être rejeté ainsi que, par conséquent, la demande en annulation fondée sur les deux moyens analysés ci-dessus.

 Sur les conclusions indemnitaires

76      À titre liminaire, il convient de relever que, s’agissant des premier et quatrième moyens décrits au point 46 ci-dessus, ils visent à démontrer l’illégalité des agissements ou des comportements du Cedefop, qui soit seraient liés à l’ouverture de la procédure pénale à l’encontre de la requérante, soit auraient conduit à la dévalorisation professionnelle de celle-ci. Or, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la décision d’une institution portant rejet d’une demande en indemnité et la décision portant rejet de la réclamation qui s’en est suivie font partie intégrante de la procédure administrative qui précède un recours en responsabilité formé devant le Tribunal et que, par conséquent, les conclusions en annulation de ces décisions ne peuvent être appréciées de manière autonome au regard des conclusions indemnitaires du recours. En effet, l’acte contenant la prise de position de l’institution pendant la phase précontentieuse a uniquement pour effet de permettre à la partie qui aurait subi un préjudice de saisir le Tribunal d’une demande en indemnité (arrêts du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 42, et du 10 juin 2020, AL/Commission, T‑83/19, non publié, EU:T:2020:254, point 58).

77      Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner les premier et quatrième moyens décrits au point 46 ci-dessus uniquement en tant qu’ils ont été soulevés à l’appui des conclusions indemnitaires.

78      Par ailleurs, le Cedefop soulève l’irrecevabilité de certaines demandes présentées par la requérante et invoque, en tout état de cause, le caractère non fondé de toutes les demandes présentées par celle-ci. Pour les besoins du présent arrêt et sous réserve de ce qui a été déjà constaté aux points 29 à 45 ci-dessus, le Tribunal examinera d’abord au fond la demande d’indemnisation formulée par la requérante.

79      À cet égard, selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité de l’Union suppose la réunion de trois conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, aux organes ou aux organismes, le caractère réel et certain du préjudice invoqué et l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité reprochée et ce préjudice (voir arrêt du 13 janvier 2021, Helbert/EUIPO, T‑548/18, EU:T:2021:4, point 116 et jurisprudence citée).

80      Ces trois conditions sont cumulatives, ce qui implique que, dès lors que l’une d’elles n’est pas satisfaite, la responsabilité de l’Union ne peut être retenue (voir arrêt du 13 janvier 2021, Helbert/EUIPO, T‑548/18, EU:T:2021:4, point 117 et jurisprudence citée).

81      S’agissant de la condition tenant à l’illégalité du comportement, il est bien établi que le contentieux en matière de fonction publique au titre de l’article 270 TFUE et des articles 90 et 91 du statut, y compris celui visant à la réparation d’un dommage causé à un fonctionnaire ou à un agent, obéit à des règles particulières et spéciales au regard de celles découlant des principes généraux régissant la responsabilité non contractuelle de l’Union dans le cadre de l’article 268 TFUE et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En effet, il ressort notamment du statut que, à la différence de tout autre particulier, le fonctionnaire ou l’agent de l’Union est lié à l’institution dont il dépend par une relation juridique d’emploi comportant un équilibre de droits et d’obligations réciproques spécifiques, qui est reflétée par le devoir de sollicitude de l’institution à l’égard de l’intéressé. Cet équilibre est essentiellement destiné à préserver la relation de confiance qui doit exister entre les institutions et leurs fonctionnaires aux fins de garantir aux citoyens le bon accomplissement des missions d’intérêt général dévolues aux institutions. Il s’ensuit que, lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, l’Union est soumise à une responsabilité accrue, se manifestant par l’obligation de réparer les dommages causés à son personnel par toute illégalité commise en sa qualité d’employeur (voir arrêt du 10 juin 2020, AL/Commission, T‑83/19, non publié, EU:T:2020:254, point 66 et jurisprudence citée).

82      Un recours en indemnisation relevant de l’article 270 TFUE et de l’article 91, paragraphe 1, du statut peut être fondé non seulement sur l’adoption, par une institution ou par un organisme de l’Union, d’un acte entaché d’illégalité, mais aussi, notamment, sur un comportement dépourvu de caractère décisionnel d’une telle institution ou d’un tel organisme, lorsque ce comportement présente un caractère illégal, justifiant de le qualifier de « faute de service » (voir arrêt du 4 juin 2020, Schokker/AESA, C‑310/19 P, non publié, EU:C:2020:435, point 53 et jurisprudence citée).

83      En l’espèce, dans la mesure où les deux moyens examinés aux points 48 à 75 ont été rejetés, la requérante ne saurait valablement s’en prévaloir au soutien de ses conclusions en indemnisation. Il résulte desdits points une absence de conduite illégale du Cedefop et, partant, de toute responsabilité de celui-ci à cet égard. Dans le cadre de l’examen des présentes conclusions, il ne reste donc qu’à examiner les deux autres moyens soulevés par la requérante. Ceux-ci visent, d’une part, l’illégalité des agissements ou des comportements du Cedefop qui ont été déterminants quant à l’ouverture de la procédure pénale à l’encontre de la requérante et, d’autre part, l’illégalité du comportement du Cedefop qui a conduit à la dévalorisation professionnelle de la requérante.

 Sur l’illégalité des agissements ou des comportements du Cedefop qui ont été déterminants quant à l’ouverture de la procédure pénale à l’encontre de la requérante

84      Il importe d’emblée de relever que la requérante ne conteste pas que la procédure pénale engagée devant le Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges) et qui l’a visée, avec cinq autres accusés, fait suite à la transmission, le 2 octobre 2007, du rapport final de l’OLAF du 16 août 2007 aux autorités judiciaires grecques et que le SAI et le SDOE ont aussi rendu deux rapports portant sur les faits à l’origine de cette procédure pénale. La requérante ne conteste pas non plus que le Cedefop n’est pas l’auteur desdits rapports. Selon elle, ce sont des agissements ou des comportements du Cedefop qui ont toutefois été déterminants quant à l’ouverture de ladite procédure pénale à son égard.

85      La requérante soutient que le Cedefop a adopté un comportement partial et injuste à son égard et a commis une série d’actes et d’omissions illégaux et dommageables, constituant un ensemble unique et indivisible, par lesquels elle a été accusée de manière mensongère et infondée. Elle estime que ce comportement visait à la discréditer, pour qu’elle soit condamnée pénalement. Selon elle, le Cedefop a porté atteinte au principe de bonne administration, à l’obligation d’agir avec diligence et impartialité ainsi qu’à l’obligation de vérité. Plus précisément, premièrement, elle soutient que le Cedefop a illégalement décrit ses fonctions pour justifier l’ouverture de toutes les procédures dont elle a été l’objet. Deuxièmement, elle allègue que le Cedefop a exagéré le montant du préjudice qu’il aurait subi, alors qu’aucun préjudice n’avait existé ou n’avait été prouvé, dans le but de justifier les chefs d’accusation qui l’ont visée. Troisièmement, elle soutient que le Cedefop s’est constitué partie civile dans le but d’obtenir, de manière systématique et pressante, sa condamnation pénale.

–       Sur l’allégation de la requérante selon laquelle le Cedefop a illégalement décrit ses fonctions pour justifier l’ouverture de toutes les procédures dont elle a été l’objet

86      La requérante soutient que son implication dans la procédure pénale a été la conséquence directe d’omissions et d’actes illégaux du Cedefop, résultant de la description inexacte, erronée et infondée de ses fonctions par ce dernier. Elle indique que celui-ci a affirmé qu’elle exerçait les fonctions de vérificateur financier des marchés publics, consistant notamment à l’exclusion d’opérateurs économiques, alors qu’elle avait exercé des responsabilités limitées au contrôle comptable de l’existence d’une ligne budgétaire pour une dépense et à la vérification comptable de la réalisation des paiements. Elle indique que c’est sur la base de ces critères erronés que le Cedefop s’est constitué partie civile, ce qui lui a causé un préjudice. Elle fait valoir que le Cedefop a continué, jusqu’à la fin de la procédure judiciaire, à présenter de faux éléments quant à la description de ses fonctions et de son rôle dans l’attribution des marchés litigieux, malgré les conclusions du rapport du SDOE, que le Cedefop a ignorées, alors que cela aurait dû le conduire à demander la clôture de l’affaire, dès le début de la procédure. En outre, elle souligne que les témoignages faits sous serment, mais toutefois mensongers, des agents du Cedefop sur ses fonctions ont induit en erreur le ministère public, qui a entamé des poursuites à son égard. Elle considère que, par son comportement, le Cedefop a porté atteinte à l’obligation d’agir avec diligence dans la conduite d’enquêtes.

87      Le Cedefop conteste les arguments de la requérante.

88      En l’espèce, il convient d’examiner si les agents du Cedefop mentionnés par la requérante ont décrit de manière inexacte et infondée, lors des procédures devant le SAI et l’OLAF ainsi que lors de la procédure pénale, les fonctions que la requérante exerçait.

89      La requérante invoque à cet égard le procès-verbal de l’OLAF du 15 décembre 2005, dans lequel un premier agent du Cedefop a indiqué notamment qu’elle était responsable des finances. Elle invoque aussi le mémoire d’un deuxième agent du Cedefop, présenté au juge d’instruction, dans lequel cet agent a indiqué qu’elle était chef du service financier et responsable des questions financières. Elle se fonde également sur la note explicative ainsi que le mémoire adressés au juge d’instruction par un troisième agent du Cedefop, qui a notamment indiqué qu’elle était chef du service financier et avait, avec le directeur exécutif du Cedefop ainsi que le chef du service juridique et du service de gestion des contrats, la responsabilité individuelle de contrôler les procédures et d’approuver les engagements budgétaires pour la partie dont ils étaient responsables. Elle se prévaut enfin d’une déclaration faite sous serment devant le juge d’instruction par ledit premier agent du Cedefop.

90      D’emblée, il convient de relever, à la lumière des fonctions que la requérante a exercées, que les agents du Cedefop mentionnés par celle-ci n’ont fait aucune description inexacte ou erronée de ces fonctions.

91      À cet égard, il ressort de la fiche de poste qui décrit, selon la requérante elle-même, ses fonctions pour la période couvrant les années 2001 à 2007 qu’elle a exercé les fonctions de chef de service « Budget et finances », au sein du service financier, et qu’elle a assumé la responsabilité de la vérification financière des contrats du Cedefop. La requérante devait contribuer à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques au sein du Cedefop. Cela se traduisait par la vérification des prévisions des recettes et leur montant ainsi que par la vérification des ordres de recouvrement, y compris l’existence des crédits d’ordre financier et opérationnel. Il ressort également de la liste des tâches incombant à la requérante dans le cadre de la passation de marchés, selon les pièces qu’elle-même a produites et qui font apparaître le flux des tâches à accomplir, par les différents services, dans les marchés publics et des contrats de gestion, qu’il incombait au service financier, dont elle était le chef, de vérifier les lignes budgétaires et d’attribuer des lignes de crédit. Il importe de relever que, concernant cette liste de tâches, la requérante s’est limitée, à l’audience, à indiquer qu’il ne ressortait pas de ce document qu’elle exerçait elle-même la fonction de vérificateur financier dans le cadre de cette procédure. Ce faisant, elle n’a pas remis en cause la réalité des tâches assurées par le service dans lequel elle avait assuré la fonction de chef de service.

92      De même, il ressort du rapport d’évolution de carrière de 2009 de la requérante, signé par elle, qu’elle a exercé les tâches de « vérification financière », telles que celles relatives aux ordres de paiement, d’engagement et d’engagement complémentaire. Dans ce rapport, la requérante a précisé que 90 % des tâches étaient de nature récurrente et constituaient de ce fait l’objectif prioritaire personnel et du service, à savoir un bon fonctionnement et un respect intégral des procédures et des échéances. Il convient de relever que, si ce rapport d’évolution de carrière correspond à des tâches effectuées en 2009, donc en dehors de la période couverte par les enquêtes ayant donné lieu aux poursuites pénales, la requérante n’a jamais soutenu que ses tâches de vérification financière aient été modifiées entre cette période et 2009, s’il est fait exception de la période entre 2007 et 2009, durant laquelle il est constant qu’elle a cessé d’être chef du service financier.

93      L’exercice des fonctions de vérificateur financier par la requérante est également corroboré par la décision du Cedefop du 3 novembre 2009 relative à la réaffectation de la requérante dans l’intérêt du service, que celle-ci n’a pas contesté, et qui indique qu’elle occupait le poste de conseiller financier au sein du Cedefop et qu’elle exerçait la fonction principale de vérificateur financier au sein du Cedefop. Les tâches d’un tel vérificateur consistaient à conseiller sur les questions budgétaires, à assurer une bonne gestion budgétaire au regard de la réglementation financière, à contribuer à la mise en œuvre et à la surveillance des systèmes internes de contrôle et de gestion des risques ainsi qu’à promouvoir les bonnes pratiques au sein du Cedefop. À l’audience, la requérante s’est limitée, en réponse aux questions du Tribunal, à soutenir qu’elle n’avait pas exercé cette fonction dans le cadre de la procédure concernant les faits incriminés, sans exclure la possibilité qu’elle ait exercé cette fonction en général.

94      Au surplus, il importe d’ajouter que les agents du Cedefop mentionnés par la requérante, qui ont témoigné sous serment, n’ont pas fait de déclarations au cours desquelles ils auraient soutenu que la requérante était responsable des faits incriminés pour les marchés publics ou des autres contrats en cause dans le cadre de la procédure pénale.

95      Ainsi, s’agissant des déclarations du premier agent du Cedefop mentionné par la requérante, il ressort du procès-verbal de l’OLAF du 15 décembre 2005 et de l’arrêt du Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges) que, à la question de savoir s’il avait constaté des irrégularités dans la procédure d’attribution des marchés, cet agent n’a pas répondu que la requérante était responsable de la vérification financière des marchés publics et des autres contrats en cause ainsi que des faits incriminés. Il ressort aussi dudit arrêt que, si cet agent a déclaré que la requérante avait, avec un autre agent, qualité de vérificateur financier des marchés, c’était dans la mesure où elle vérifiait si la ligne budgétaire prévue dans le contrat correspondait à celle dont il lui était demandé de retirer les fonds.

96      S’agissant des déclarations du deuxième agent du Cedefop mentionné par la requérante, il ressort de celles faites le 27 mai 2011 et figurant dans le mémoire du 27 mai 2011 qu’elles sont toujours liées aux conclusions de l’OLAF, auxquelles cet agent fait à chaque fois référence. Par ailleurs, il ressort de l’arrêt du Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges) que ce deuxième agent n’a pas déclaré que le rôle de vérificateur financier des marchés exercé par la requérante concernait les marchés publics ou les autres contrats en cause dans le cadre de la procédure pénale.

97      S’agissant des déclarations du troisième agent mentionné par la requérante, il ressort de la note explicative du 16 juin 2011 ainsi que du mémoire du 17 novembre 2011 adressés au juge d’instruction que cet agent a seulement indiqué que, en raison de leurs fonctions respectives, le directeur exécutif du Cedefop, le chef du service juridique et du service de gestion des contrats ainsi que la requérante, en tant que chef du service financier, avaient la responsabilité individuelle de contrôler les procédures et d’approuver les engagements budgétaires pour la partie dont ils étaient responsables.

98      Il résulte de ce qui précède qu’aucun comportement illégal, constitutif d’une faute de service imputable aux agents du Cedefop mentionnés par la requérante, ne peut être constaté au motif que ceux-ci auraient décrit de manière erronée les fonctions de la requérante afin de justifier l’ouverture des procédures à son égard. Il ne peut pas davantage être retenu l’existence d’une quelconque faute grave, au sens de l’article 22 du statut, de la part du Cedefop.

–       Sur l’allégation de la requérante selon laquelle le Cedefop a exagéré le montant du préjudice, alors qu’aucun préjudice n’avait existé ni n’avait été prouvé, dans le but de justifier les chefs d’accusation qui l’ont visée

99      La requérante soutient que le Cedefop a eu un comportement illégal, en exagérant le montant du préjudice qu’il aurait subi pour obtenir son renvoi devant les juridictions nationales. À cet égard, la détermination du montant du préjudice aurait été effectuée par des personnes choisies par le Cedefop qui auraient elles-mêmes réalisé des contrôles comptables approximatifs et erronés pour l’évaluation de ce préjudice. En outre, le Cedefop aurait repris ou considéré comme acquis le montant du préjudice déterminé par l’OLAF, alors même que ce dernier n’aurait pas le rôle de contrôleur financier. La requérante estime que le Cedefop n’a pas non plus contrôlé l’exactitude de ce montant pour lequel elle a été accusée d’infractions pénales graves. Du fait desdits contrôles approximatifs et erronés, le Cedefop aurait identifié, sans procéder aux vérifications nécessaires, un préjudice inexistant, comme l’aurait constaté le Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis(chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges). La requérante fait valoir que, en la considérant responsable de ce préjudice, le Cedefop, en violation de son obligation d’agir avec diligence et de manière prudente à l’égard de ses agents, a conduit à ce qu’elle soit impliquée dans la procédure pénale nationale. En outre, elle fait observer que, même si le SDOE a, dans le rapport d’enquête, identifié un préjudice d’un montant de 150 000 euros, il a conclu, tout comme la juridiction pénale, qu’elle n’en était pas responsable et que les seules indications relatives à l’ampleur du préjudice allégué ont été données a posteriori et uniquement par le Cedefop lui-même.

100    Le Cedefop conteste les arguments de la requérante.

101    À cet égard, d’une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Cedefop ait sciemment exagéré ou amplifié de manière artificielle le montant du préjudice qu’il a subi, dans le but que le procureur poursuive et défère la requérante pour une infraction qualifiée de crime, et non de délit. Il convient de relever que ce sont tant l’OLAF que le SDOE, dans le cadre de leurs missions respectives et en toute indépendance, qui ont constaté l’existence d’un préjudice du fait, respectivement, de l’existence d’une fraude organisée et de la présence de graves irrégularités dans la passation et l’adjudication des marchés litigieux.

102    C’est également l’OLAF qui a considéré que le montant du préjudice dépassait la somme de 73 000 euros et le SDOE qui a estimé celui-ci à 150 000 euros.

103    D’autre part, c’est le procureur, à la suite du rapport transmis par le SDOE, qui a examiné l’importance de l’affaire, en procédant, à cet égard, en toute indépendance, à la qualification de l’infraction, et qui a renvoyé la requérante, ainsi que cinq autres personnes au demeurant, devant le Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges) pour des faits criminels.

104    Partant, l’argument de la requérante visant à soutenir que le Cedefop a exagéré le montant du préjudice qu’il estimait avoir subi afin d’obtenir la condamnation de la requérante est dénué de tout fondement.

–       Sur l’allégation de la requérante selon laquelle le Cedefop s’est constitué partie civile dans le but d’obtenir, de manière systématique et pressante, sa condamnation

105    La requérante fait valoir que le Cedefop a illégalement transformé les recommandations de l’OLAF en une obligation stricte de se constituer partie civile, sans contrôle plus approfondi. Elle invoque également le rôle prépondérant du Cedefop en tant qu’accusateur et partie civile dans la procédure pénale.

106    Le Cedefop aurait agi de manière contraire au principe de bonne administration, au devoir de vérité et d’impartialité ainsi qu’avec imprudence. Au demeurant, la transmission du rapport de l’OLAF du 16 août 2007 n’aurait pas fait naître automatiquement un droit pour le Cedefop de se constituer partie civile, dès lors que les rapports de l’OLAF comportent des recommandations. En outre, si le Cedefop avait agi conformément au droit ainsi qu’à son devoir de diligence et d’impartialité, il aurait dû s’abstenir de poursuites judiciaires envers la requérante et cette dernière n’aurait nullement été impliquée, dès lors qu’il résultait dudit rapport de l’OLAF ainsi que de la description des fonctions dans sa fiche de poste qu’elle était chargée uniquement du contrôle comptable des marchés litigieux, et non de la vérification financière de ces derniers. De plus, le Cedefop aurait eu l’obligation et la possibilité de constater que les irrégularités reprochées ne relevaient pas des responsabilités de la requérante. Selon elle, il devait et pouvait aussi cesser toute action supplémentaire à son égard, telle que la constitution de partie civile.

107    Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le Cedefop aurait dû respecter les garanties conférées par le droit de l’Union dans les procédures administratives, à savoir le respect du principe de diligence visant l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents. La requérante affirme en outre que le Cedefop n’était pas tenu de participer à la procédure pénale pour chercher à obtenir, jusqu’à la fin de celle-ci, la condamnation de son fonctionnaire, alors même qu’il savait ou aurait été en position de savoir d’emblée qu’elle n’était pas responsable.

108    S’agissant par ailleurs du rôle prépondérant du Cedefop en tant qu’accusateur et partie civile dans la procédure pénale, la requérante soutient que, sans les faux témoignages, les fausses accusations et les informations mensongères des représentants du Cedefop sur les fonctions exercées par elle, les autorités nationales n’auraient pas disposé d’éléments suffisants pour engager des poursuites. Selon elle, le Cedefop avait l’obligation d’éclairer les autorités nationales compte tenu du devoir de vérité ainsi que de l’obligation de sollicitude et du devoir de diligence découlant de l’article 41 de la Charte.

109    Le Cedefop conteste les arguments de la requérante.

110    À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que les rapports de l’OLAF ne constituent que des éléments de preuve susceptibles d’être utilisés dans les procédures administratives ou judiciaires nationales, qu’ils sont à apprécier selon les règles établies en matière de preuve dans le droit national et qu’ils ont la force probante établie par le droit national. Il ne s’agit donc pas d’actes qui font grief, en tant que tels, aux personnes qui y sont nommées (voir ordonnance du 16 juin 2021, Green Power Technologies/Commission et Entreprise commune ECSEL, T‑533/20, non publiée, EU:T:2021:375, point 34 et jurisprudence citée).

111    Il y a lieu aussi de rappeler que les institutions et les organes de l’Union doivent prendre en compte leur devoir de sollicitude à l’égard de leurs fonctionnaires. Ce devoir reflète l’équilibre des droits et des obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre les agents du service public et leur administration. Conjointement avec le principe de bonne administration, il implique notamment que, lorsqu’elle statue sur la situation d’un fonctionnaire, l’autorité prenne en considération l’ensemble des éléments susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi de celui du fonctionnaire concerné (voir arrêt du 10 juin 2021, Commission/De Esteban Alonso, C‑591/19 P, EU:C:2021:468, point 61 et jurisprudence citée).

112    Néanmoins, le devoir de sollicitude n’interdisant pas à une institution de se constituer partie civile avant la clôture d’une enquête de l’OLAF, cette institution ne pouvait pas encourir le reproche d’avoir commis une erreur d’appréciation, lorsque les résultats de l’enquête étaient d’ores et déjà suffisamment prévisibles pour être ancipités, si l’implication personnelle d’un fonctionnaire paraissait peu douteuse et si la plainte qu’elle avait déposée l’avait été contre inconnu (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Commission/De Esteban Alonso, C‑591/19 P, EU:C:2021:468, points 61 et 62).

113    A fortiori, la décision du Cedefop de se porter partie civile sans déposer de plainte, après la transmission par l’OLAF aux autorités judiciaires nationales d’informations concernant un fonctionnaire, recueillies au cours de son enquête, ne saurait suffire à démontrer à elle seule une violation du devoir de sollicitude ainsi que du principe de bonne administration.

114    Il y a lieu d’ajouter que le fait de pouvoir faire valoir ses droits par la voie juridictionnelle, ainsi que le contrôle juridictionnel qu’il implique, est l’expression d’un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a également été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH et par l’article 47 de la Charte. L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait, pour une institution, d’intenter une action en justice est susceptible de constituer une faute de service (voir arrêt du 4 avril 2019, Rodriguez Prieto/Commission, T‑61/18, EU:T:2019:217, point 75 et jurisprudence citée).

115    En l’espèce, il convient de souligner que parmi les recommandations du rapport final de l’OLAF du 16 août 2007 figurait la transmission des résultats de l’enquête aux autorités judiciaires pour toutes les personnes concernées, y inclus la requérante.

116    Il y a lieu d’ajouter que le Cedefop n’a pas porté plainte et que c’est l’OLAF qui a transmis son rapport final du 16 août 2007 au procureur, lequel a décidé par la suite de diligenter une enquête et de saisir le SDOE à cette fin. Le Cedefop ne s’est constitué partie civile qu’après l’ouverture de ladite enquête pénale ordonnée par le procureur.

117    Le fait que le Cedefop s’est constitué partie civile à la procédure ouverte par les autorités judiciaires grecques après que lui a été transmis le rapport final de l’OLAF du 16 août 2007 ne saurait donc être constitutif d’une faute de service susceptible d’engager sa responsabilité. Au demeurant, la requérante n’avance pas d’argument de nature à établir l’existence de circonstances exceptionnelles, au sens de la jurisprudence citée au point 114 ci-dessus.

118    En second lieu, tout d’abord, il convient de rappeler que les allégations de la requérante concernant de faux témoignages et accusations ainsi que des informations mensongères des agents du Cedefop qu’elle a mentionnés en ce qui concerne les fonctions exercées par elle manquent en fait, ainsi qu’il a été constaté au point 98 ci-dessus.

119    Ensuite, ainsi que le souligne à juste titre le Cedefop, l’ouverture de l’enquête pénale a reposé sur toute une série d’éléments, à savoir des témoignages, mais aussi des documents, tels que des contrats, des courriels, des factures, des expertises informatiques ainsi que des expertises légales d’ordinateurs ou de serveurs, dont l’existence et le contenu n’ont pas été remis en cause par la requérante. Lesdits éléments ont été recueillis dans le cadre des enquêtes du SAI, de l’OLAF, qui a transmis son rapport final du 16 août 2007 aux autorités nationales, ainsi que du SDOE, et ni l’existence ni la validité de telles enquêtes n’ont été remises en cause par la requérante.

120    Enfin, interrogée à l’audience sur le rôle du procureur en droit grec, la requérante a indiqué que celui-ci conduisait les enquêtes à charge et à décharge. Elle a ajouté que, en l’espèce, les accusations à son égard n’étant pas manifestement fausses ou erronées, cela expliquait que le procureur ait poursuivi la procédure.

121    Il importe d’ajouter que, dans le cadre de la procédure pénale nationale, l’existence d’un antagonisme entre le Cedefop, visant à la défense des intérêts financiers de l’Union du fait d’un préjudice prétendument subi, et la requérante, visant à son acquittement, ne saurait suffire pour caractériser un comportement illégal imputable au Cedefop.

122    Par ailleurs, le fait que le directeur exécutif du Cedefop a, par lettre du 7 juillet 2020, demandé au Trimeles Efeteio Kakourgimaton Thessalonikis (chambre criminelle de la cour d’appel de Thessalonique composée de trois juges) la possibilité d’accélérer la procédure judiciaire ne démontre en rien que le Cedefop entendait obtenir la reconnaissance de la culpabilité de la requérante. Obtenir une décision judiciaire rapidement était aussi dans l’intérêt même de la requérante.

123    Il résulte de ce qui précède que l’illégalité des agissements ou des comportements du Cedefop qui auraient été déterminants quant au déroulement de la procédure pénale ouverte à l’encontre de la requérante ne peut être constatée.

 Sur l’illégalité du comportement du Cedefop qui a conduit à la dévalorisation professionnelle de la requérante

124    La requérante fait valoir, premièrement, que le comportement partial du Cedefop a conduit à sa dévalorisation professionnelle. Elle affirme avoir été amenée à travailler dans un secteur qui ne relevait pas de son domaine de spécialisation et à assumer des responsabilités qui étaient en deçà de celles correspondant au grade AD 11 qu’elle avait à l’époque, en violation de la règle de correspondance entre le grade et l’emploi au sens de l’article 7 du statut. Elle soutient avoir été rétrogradée à un poste incompatible avec son expérience professionnelle et avec son parcours universitaire, puisqu’elle a été mutée à un poste inférieur à son grade, en violation de l’article 36 du statut. Elle fait valoir, deuxièmement, que l’absence de promotion pendant quatorze années consécutives constitue un comportement directement lié aux accusations du Cedefop à son égard. Elle soutient que, si l’AIPN dispose d’une certaine marge d’appréciation, celle-ci devait être exercée dans le respect du principe d’égalité de traitement et des critères de promotion fixés par le statut. Elle ajoute que la stagnation professionnelle longue et injustifiée dont elle a été victime, en méconnaissance de son ancienneté ainsi que de ses qualifications universitaires, est uniquement due à l’existence des accusations qui l’ont visée.

125    Le Cedefop soutient que le moyen, tiré de la violation de l’article 7 du statut, est irrecevable. Il fait valoir que la requérante n’a pas avancé un tel argument en tant que moyen de droit, au stade de la réclamation, mais uniquement en tant que préjudice qu’elle aurait subi. En outre et en tout état de cause, la requérante ne serait pas recevable à réclamer une compensation financière pour une prétendue non-concordance entre le grade et l’emploi ainsi que pour la période durant laquelle elle n’a jamais été promue, dès lors qu’elle n’a jamais contesté, dans le respect des délais impartis, les décisions telles que la décision de réaffectation du 3 novembre 2009 et sa non-promotion lors de chaque exercice annuel de promotion.

126    La requérante conteste l’irrecevabilité du moyen au motif que, d’une part, elle l’a bien invoqué tant dans la demande d’indemnisation que dans la réclamation et, d’autre part, la dévalorisation professionnelle dont elle a été victime a constitué une pratique constante dont le Cedefop aurait reconnu qu’elle était liée aux accusations portées contre elle.

127    S’agissant de l’irrecevabilité soulevée par le Cedefop, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le recours en annulation et le recours en indemnité sont des voies autonomes de recours. Les articles 90 et 91 du statut ne faisant aucune distinction entre ces deux recours, en ce qui concerne la procédure tant administrative que contentieuse, le fonctionnaire peut choisir, en raison de l’autonomie de ces voies de droit distinctes, soit l’une, soit l’autre, soit les deux conjointement, à condition de saisir le juge de l’Union dans le délai de trois mois après le rejet de sa réclamation (voir arrêt du 18 septembre 2018, Barroso Truta e.a./Cour de justice de l’Union européenne, T‑702/16 P, EU:T:2018:557, point 66 et jurisprudence citée).

128    Cependant, la jurisprudence a posé une exception à ce principe, lorsque l’action en indemnité comporte un lien étroit avec l’action en annulation, qui serait ou devrait être, par ailleurs, déclarée irrecevable. Ainsi, les conclusions en indemnité sont irrecevables lorsque l’action en indemnité tend exclusivement à faire réparer les conséquences de l’acte qui était visé dans l’action en annulation qui aurait pu être ou a été déclarée irrecevable, notamment lorsque l’action en indemnité a pour seul objet de compenser des pertes de rémunération qui n’auraient pas eu lieu si, par ailleurs, l’action en annulation avait pu prospérer ou avait prospéré. Ainsi, selon cette jurisprudence, un fonctionnaire ou agent qui a omis d’attaquer des actes lui faisant grief en introduisant, en temps utile, une réclamation et, ultérieurement, un recours en annulation ne saurait réparer cette omission et ménager ainsi de nouveaux délais de recours, par le biais d’une demande en indemnité introduite ultérieurement et dont l’objet est clairement d’obtenir un résultat pécuniaire identique à celui qui aurait résulté d’une action, en temps utile, en annulation contre ces actes (voir arrêt du 18 septembre 2018, Barroso Truta e.a./Cour de justice de l’Union européenne, T‑702/16 P, EU:T:2018:557, point 67 et jurisprudence citée).

129    En l’espèce, s’agissant de la décision de réaffectation du 3 novembre 2009, il est constant que la requérante n’a pas introduit de recours en annulation à l’encontre de ladite décision dans les délais requis. Elle n’est donc pas recevable à présenter un recours tendant à l’indemnisation du préjudice causé par cet acte.

130    Aussi la requérante n’est-elle pas en droit de se prévaloir de la méconnaissance de la règle de non-concordance entre le grade AD 11, qu’elle a conservé, et l’emploi occupé au sein de l’unité des visites et des études au sein du Cedefop.

131    Il convient cependant d’ajouter que, selon la jurisprudence, lorsque les deux actions, à savoir, d’une part, l’action en annulation et, d’autre part, l’action en indemnité, trouvent leur origine dans des actes ou des comportements différents de l’administration, l’action en indemnité ne saurait être identifiée avec l’action en annulation, même si les deux actions aboutissaient au même résultat pécuniaire pour la partie requérante (voir arrêt du 18 septembre 2018, Barroso Truta e.a./Cour de justice de l’Union européenne, T‑702/16 P, EU:T:2018:557, point 68 et jurisprudence citée).

132    Ainsi est-il possible de faire une distinction entre, d’une part, la décision de réaffectation en elle-même, qui n’a pas été contestée, comme cela est indiqué au point 129 ci-dessus, et, d’autre part, les éventuels agissements non décisionnels du Cedefop qui auraient eu pour effet ou pour objet de vider de leur contenu les fonctions attribuées à la requérante par la décision de réaffectation. En effet, seuls les agissements non décisionnels du Cedefop susmentionnés sont susceptibles d’engager sa responsabilité (voir, par analogie, arrêt du 11 mai 2010, Nanopoulos/Commission, F‑30/08, EU:F:2010:43, point 233).

133    À cet égard, la requérante n’apporte aucun élément de preuve de nature à démontrer, à l’appui de son argumentation, que la décision de réaffectation aurait eu pour objet ou pour effet de vider de leur contenu les fonctions qui lui avaient été attribuées au sein de l’unité des visites et des études du Cedefop ou que ladite décision répondait à un autre objectif que celui de l’intérêt du service. Elle se limite à soutenir que son poste au sein de cette unité ne correspondait pas à sa formation et à ses aptitudes professionnelles.

134    S’agissant du grief de la requérante tiré de l’absence de promotion, il importe de relever qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante ait contesté les rapports d’évolution de carrière depuis sa réaffectation, à compter du 4 novembre 2009, à l’unité des visites et des études du Cedefop, de sorte qu’ils sont aussi devenus définitifs, ce qui n’est pas contesté par la requérante au demeurant. Aussi, même si le Cedefop a reconnu que la période de non-promotion était plus longue que la moyenne, la requérante ne saurait être recevable à présenter un recours tendant à l’indemnisation du préjudice causé par ces rapports d’évolution de carrière.

135    En tout état de cause, et à supposer que la requérante puisse se prévaloir d’autres agissements du Cedefop, à savoir un comportement partial de celui-ci prétendument fondé sur la constitution de partie civile, qui seraient la cause de sa dévalorisation professionnelle, force est de constater que la requérante n’apporte pas d’éléments visant à établir que la prétendue stagnation professionnelle dont elle aurait été sujette serait directement ou indirectement liée à la procédure pénale devant les juridictions judiciaires grecques ou à un hypothétique comportement partial du Cedefop, d’autant que ce dernier avait demandé au procureur s’il était possible d’accélérer la procédure pour qu’il y soit mis un terme rapidement. En outre, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, aux fonctionnaires n’est pas conféré un droit à la promotion, même à ceux qui réunissent toutes les conditions pour pouvoir être promus (voir arrêt du 16 juin 2021, RA/Cour des comptes, T‑867/19, non publié, EU:T:2021:361, point 81 et jurisprudence citée). Il ne peut donc être constaté une illégalité concernant un comportement du Cedefop qui a conduit à la dévalorisation professionnelle de la requérante.

136    Il résulte de tout de ce qui précède qu’aucun comportement illégal imputable au Cedefop n’a été établi et que la première condition pour pouvoir retenir la responsabilité non contractuelle de l’Union, telle que rappelée au point 79 ci-dessus, n’est pas remplie.

137    En conséquence, la demande en indemnité doit être rejetée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres conditions pour engager la responsabilité non contractuelle de l’Union ni qu’il y ait lieu de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par le Cedefop et relatives à ces conditions.

138    Le recours doit donc être rejeté.

 Sur les dépens

139    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Cedefop.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme HeleneHamers est condamnée aux dépens.

Kanninen

Porchia

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 décembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le grec.