Language of document : ECLI:EU:T:2002:71

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

20 mars 2002(1)

«Concurrence - Entente - Conduites de chauffage urbain - Article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) - Boycottage - Amende - Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes - Non-rétroactivité - Confiance légitime»

Dans l'affaire T-15/99,

Brugg Rohrsysteme GmbH, établie à Wunstorf (Allemagne), représentée par Mes T. Jestaedt, H.-C. Salger et M. Sura, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. W. Mölls et É. Gippini Fournier, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d'annulation de la décision 1999/60/CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 - Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1) ou, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l'amende infligée par cette décision à la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. P. Mengozzi, président, Mme V. Tiili et M. R. M. Moura Ramos, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 23 octobre 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    La requérante est une société allemande opérant dans le secteur du chauffage urbain et commercialisant des conduites précalorifugées.

2.
    Dans les systèmes de chauffage urbain, l'eau chauffée dans un site central est acheminée, par des conduites souterraines, vers les locaux à chauffer. Étant donné que la température de l'eau (ou de la vapeur) transportée est très élevée, les conduites doivent être calorifugées pour assurer une distribution économique et sans risque. Les conduites utilisées sont précalorifugées et, à cette fin, sont généralement constituées d'un tube d'acier enveloppé d'un tube de plastique, avec une couche de mousse isolante entre les deux.

3.
    Les conduites de chauffage urbain font l'objet d'un commerce important entre les États membres. Les plus grands marchés nationaux de l'Union européenne sont l'Allemagne, avec 40 % de la consommation communautaire, et le Danemark, avec 20 %. Avec 50 % de la capacité de fabrication de l'Union européenne, le Danemark est le principal centre de production de l'Union qui approvisionne tous les États membres où est utilisé le chauffage urbain.

4.
    Par une plainte datée du 18 janvier 1995, l'entreprise suédoise Powerpipe AB a signalé à la Commission que les autres fabricants et fournisseurs de conduites de chauffage urbain s'étaient réparti le marché européen dans le cadre d'une entente et qu'ils avaient pris des mesures concertées pour nuire à son activité, ou confiner cette activité au marché suédois, ou encore l'évincer purement et simplement du secteur.

5.
    Le 28 juin 1995, agissant en vertu d'une décision de la Commission du 12 juin 1995, des fonctionnaires de cette dernière et des représentants des autorités de la concurrence des États membres concernés ont procédé, simultanément et sans préavis, à des vérifications dans dix entreprises ou associations présentes dans le secteur du chauffage urbain. Une telle vérification n'a pas été effectuée chez la requérante.

6.
    Ensuite, la Commission a adressé des demandes de renseignements à la requérante et à la plupart des entreprises concernées par les faits litigieux, en vertu de l'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204).

7.
    Le 20 mars 1997, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante et aux autres entreprises concernées. Ensuite, une audition a eu lieu les 24 et 25 novembre 1997.

8.
    Le 21 octobre 1998, la Commission a adopté la décision 1999/60/CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 - Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision du 6 novembre 1998 [C(1998) 3415 final] (ci-après la «décision» ou la «décision attaquée») constatant la participation de diverses entreprises, et, notamment, de la requérante, à un ensemble d'accords et de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) (ci-après l'«entente»).

9.
    Selon la décision, un accord a été conclu, à la fin de l'année 1990, entre les quatre producteurs danois de conduites de chauffage urbain sur le principe d'une coopération générale sur leur marché national. Cet accord aurait réuni ABB IC Møller A/S, la filiale danoise du groupe helvético-suédois ABB Asea Brown Boveri Ltd (ci-après «ABB»), Dansk Rørindustri A/S, aussi connue sous le nom de Starpipe (ci-après «Dansk Rørindustri»), Løgstør Rør A/S (ci-après «Løgstør») et Tarco Energi A/S (ci-après «Tarco») (ci-après, les quatre pris ensemble, les «producteurs danois»). L'une des premières mesures aurait consisté à coordonner une augmentation des prix tant pour le marché danois que pour les marchés à l'exportation. Aux fins de partager le marché danois, des quotas auraient été fixés puis appliqués et contrôlés par un «groupe de contact» réunissant les responsables des ventes des entreprises concernées. Pour chaque projet commercial (ci-après un «projet»), l'entreprise à laquelle le groupe de contact avait attribué le projet auraitinformé les autres participants du prix qu'elle avait l'intention de proposer et ces derniers auraient alors fait une offre plus élevée de façon à protéger le fournisseur désigné par l'entente.

10.
    Selon la décision, deux producteurs allemands, le groupe Henss/Isoplus (ci-après «Henss/Isoplus») et Pan-Isovit GmbH, se sont joints aux réunions régulières des producteurs danois à partir de l'automne de 1991. Dans le cadre de ces réunions se seraient tenues des négociations en vue de la répartition du marché allemand. Celles-ci auraient abouti, en août 1993, à des accords fixant des quotas de vente pour chaque entreprise participante.

11.
    Toujours selon la décision, il a été convenu d'un accord entre tous ces producteurs, en 1994, afin de fixer des quotas pour l'ensemble du marché européen. Cette entente européenne aurait comporté une structure à deux niveaux. Le «club des directeurs», réunissant les présidents ou les directeurs généraux des entreprises participant à l'entente, aurait attribué des quotas à chacune de ces entreprises tant sur l'ensemble du marché que sur chacun des marchés nationaux, notamment l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas et la Suède. Pour certains marchés nationaux, un «groupe de contact» aurait été institué, composé de responsables locaux des ventes, qui se serait vu confier la tâche de gérer les accords en attribuant les projets et en coordonnant les soumissions aux appels d'offres.

12.
    En ce qui concerne le marché allemand, la décision mentionne que, à la suite d'une réunion des six principaux producteurs européens (ABB, Dansk Rørindustri, Henss/Isoplus, Løgstør, Pan-Isovit et Tarco) et de la requérante, le 18 août 1994, une première réunion du groupe de contact pour l'Allemagne s'est tenue le 7 octobre 1994. Les réunions de ce groupe se soient poursuivies longtemps après les vérifications de la Commission, à la fin de juin 1995, bien que, à partir de ce moment-là, elles se soient tenues à l'extérieur de l'Union européenne, à Zurich. Les réunions à Zurich se seraient poursuivies jusqu'au 25 mars 1996.

13.
    Comme élément de l'entente, la décision cite, notamment, l'adoption et la mise en oeuvre de mesures concertées visant à éliminer la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe. La Commission précise que certains participants à l'entente ont recruté des «salariés clés» de Powerpipe et ont fait comprendre à cette dernière qu'elle devait se retirer du marché allemand. À la suite de l'attribution à Powerpipe d'un important projet allemand, en mars 1995, une réunion se serait tenue à Düsseldorf, à laquelle auraient participé les six producteurs susvisés et la requérante. Selon la Commission, il a été décidé, lors de cette réunion, d'instituer un boycottage collectif des clients et des fournisseurs de Powerpipe . Ce boycottage aurait ensuite été mis en oeuvre.

14.
    Dans sa décision, la Commission expose les motifs pour lesquels non seulement l'arrangement exprès de partage des marchés conclu entre les producteurs danois à la fin de 1990, mais également les arrangements conclus à compter d'octobre1991, visés ensemble, peuvent être considérés comme formant un «accord» prohibé par l'article 85, paragraphe 1, du traité. De plus, la Commission souligne que les ententes «danoise» et «européenne» ne constituaient que l'expression d'une seule entente qui a débuté au Danemark mais qui avait, dès le départ, pour objectif, à plus long terme, d'étendre le contrôle des participants à tout le marché. Selon la Commission, l'accord continu entre producteurs a eu un effet sensible sur le commerce entre États membres.

15.
    Pour ces motifs, la décision a pour dispositif:

«Article premier

ABB Asea Brown Boveri Ltd, Brugg Rohrsysteme GmbH, Dansk Rørindustri A/S, le groupe Henss/Isoplus, KE KELIT Kunststoffwerk GmbH, Oy KWH Tech AB, Løgstør Rør A/S, Pan-Isovit GmbH, Sigma Tecnologie di rivestimento S.r.L. et Tarco Energi A/S ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en participant, de la manière et dans la mesure indiquées dans la motivation à un ensemble d'accords et de pratiques concertées qui a été mis en place, vers novembre ou décembre 1990, entre les quatre producteurs danois, qui a ensuite été étendu à d'autres marchés nationaux, auquel se sont ralliées Pan-Isovit et Henss/Isoplus, et qui a fini par constituer, fin 1994, une entente générale couvrant l'ensemble du marché commun.

La durée de l'infraction était la suivante:

[...]

-    dans le cas de Brugg: à peu près à partir d'août 1994, jusqu'[en mars ou avril 1996]

[...]

Les principales caractéristiques de l'entente étaient:

-    la répartition entre producteurs des différents marchés nationaux, puis de l'ensemble du marché européen, grâce à un système de quotas,

-    l'attribution de marchés nationaux à certains producteurs et l'organisation du retrait des autres producteurs,

-    la fixation des prix du produit et de chaque projet,

-    l'attribution de projets à des producteurs désignés à cet effet et la manipulation des procédures de soumission, afin que les marchés en question soient attribués à ces producteurs,

-    pour protéger l'entente de la concurrence de la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe AB, l'adoption et la mise en oeuvre de mesures concertées visant à entraver son activité commerciale, à nuire à la bonne marche de ses affaires ou à l'évincer purement et simplement du marché.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l'article 1er, en raison de l'infraction constatée audit article:

[...]

b)    Brugg Rohrsysteme GmbH, une amende de 925 000 écus;

[...]»

16.
    La décision a été notifiée à la requérante par lettre du 12 novembre 1998, reçue par celle-ci le lendemain.

Procédure et conclusions des parties

17.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 janvier 1999, la requérante a introduit le présent recours.

18.
    Sept des neuf autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-9/99, T-16/99, T-17/99, T-21/99, T-23/99, T-28/99 et T-31/99).

19.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d'organisation de la procédure, a demandé aux parties de répondre à des questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

20.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 23 octobre 2000.

21.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    subsidiairement, annuler l'article 1er de la décision attaquée dans la mesure où il lui impute une participation:

    -    à des infractions avant décembre 1994 et après février 1996;

    -    à l'adoption et à l'exercice de pratiques concertées à l'encontre de     Powerpipe;

    -    à une entente s'étendant à l'ensemble du marché commun;

-    plus subsidiairement, réduire le montant de l'amende qui lui a été infligée;

-    condamner la défenderesse aux dépens.

22.
    La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur le fond

23.
    La requérante invoque, en substance, quatre moyens. Le premier moyen est tiré d'erreurs de fait dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le deuxième moyen est tiré d'une violation des droits de la défense. Le troisième moyen est tiré d'une violation de principes généraux et d'erreurs de fait lors de la détermination du montant de l'amende. Le quatrième moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation dans la détermination du montant de l'amende.

Sur le premier moyen, tiré d'erreurs de fait dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité

24.
    La requérante reproche à la Commission des erreurs de fait dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en ce qui concerne, premièrement, la durée de sa participation à l'infraction, deuxièmement, sa prétendue participation aux actions concertées contre Powerpipe et, troisièmement, sa prétendue participation à une entente à l'échelle communautaire.

Sur la durée de l'infraction reprochée à la requérante

- Arguments des parties

25.
    Selon la requérante, la Commission a exagéré la durée de l'infraction la concernant, en déterminant que sa participation à l'entente a débuté le 18 août 1994 et n'a cessé qu'en mars ou avril 1996.

26.
    D'une part, le début de sa participation ne saurait être daté du 18 août 1994, date à laquelle elle a participé à Copenhague à une réunion de directeurs ayant eu lieu à l'occasion d'une réunion de l'association professionnelle «European Heating Pipe Manufacturers Association» (ci-après l'«EuHP»).

27.
    En effet, la requérante n'aurait pas été invitée officiellement à cette réunion mais s'y serait rendue, à l'instigation de M. Henss, pour s'informer des possibilités de devenir membre de l'association. Les sujets traités lors de cette réunion auraient été sans intérêt pour la requérante et elle n'y aurait pas assisté sans interruption. Contrairement à ce que pense la Commission, il n'y aurait été pas débattu de propositions sur un relèvement des prix en Allemagne ou sur l'élaboration d'un barème de prix commun, du moins pas en présence de la requérante. Ce serait seulement lors de la réunion qu'elle aurait appris qu'il existait, sur le marché allemand, une coopération entre les autres producteurs et qu'elle était obligée de s'y joindre.

28.
    De plus, le fait qu'elle n'aurait pas pris part aux réunions du groupe de contact qui ont immédiatement fait suite à la réunion du 18 août 1994 mais n'aurait participé à ces réunions qu'à partir du 7 décembre 1994 démontrerait que sa participation à l'entente n'a pas commencé avec sa présence lors de la réunion du 18 août 1994. L'affirmation, au considérant 61 de la décision, suivant laquelle «KWH et Brugg n'étaient pas présentes à la réunion du 16 novembre [1994], mais ABB ayant bon espoir qu'[elles] puissent adhérer à ce régime, [cette dernière] a été mandatée par l'entente pour élaborer un accord final avec ces deux producteurs», démontrerait que la requérante, à la date de la réunion du 16 novembre 1994, n'avait pas encore adhéré à l'entente. Par ailleurs, contrairement à ce que mentionne la décision, la requérante n'aurait pas été présente à la réunion du 7 octobre 1994.

29.
    En ce qui concerne la fin de l'infraction, la requérante aurait déjà mis fin à sa participation le 25 février 1996, date à laquelle aurait eu lieu à Zurich la dernière réunion à laquelle elle a participé.

30.
    La défenderesse fait observer que la réunion du 18 août 1994 doit être retenue comme étant le début de la participation de la requérante à l'infraction. Dans la réponse de la requérante du 9 août 1996 à la demande de renseignements du 9 juillet 1996 (ci-après la «réponse de la requérante»), cette dernière aurait bien évoqué la réunion en question parmi les rencontres pendant lesquelles des sujets relatifs à la concurrence avaient été discutés. L'entrée de la requérante dans l'entente aurait été consommée, en tout cas dans son principe, après qu'elle a participé à la réunion du 18 août 1994 sans exprimer son désaccord, même s'il subsistait encore des doutes quant à la place qu'elle devait occuper dans le cadre de l'entente européenne qui en était au stade de création.

31.
    Quant à la fin de l'infraction, la défenderesse rappelle que la requérante elle-même a confirmé, tant lors de la procédure administrative que dans sa requête, qu'elle a encore participé à une réunion le 25 mars 1996.

- Appréciation du Tribunal

32.
    Il y a lieu de constater que la requérante ne conteste pas avoir été présente lors d'une réunion de l'entente à Copenhague, le 18 août 1994.

33.
    En ce qui concerne l'objet de cette réunion, il convient de noter, au préalable, que, selon Tarco, il existait au sein de l'entente une liste de prix devant être appliqués lors des soumissions d'offres et communiquée, probablement en mai 1994, par le coordinateur de l'entente (réponse de Tarco du 31 mai 1994 à la demande de renseignements du 13 mars 1996). Dans la lettre d'invitation à cette réunion, envoyée le 10 juin 1994 à M. Henss et aux directeurs d'ABB, de Dansk Rørindustri, de Løgstør, de Pan-Isovit et de Tarco (annexe 56 de la communication des griefs), le coordinateur de l'entente a mentionné ce qui suit: «[É]tant donné que la liste du 9 mai 1994 est incomplète en ce qui concerne certains postes et que, de ce fait, les comparaisons d'offres ont entraîné des confrontations et des différences d'interprétation importantes, je me permets de compléter les postes manquants par la liste ci-jointe.» À la lumière de la réponse d'ABB du 4 juin 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996 (ci-après la «réponse d'ABB»), selon laquelle il existait un barème de prix qui, à la suite d'une réunion du 3 mai 1994 à Hanovre, devait être utilisé pour toutes les livraisons aux fournisseurs allemands, il doit être conclu que, lors de l'organisation de la réunion du 18 août 1994, il a été envisagé de continuer la discussion sur cette liste de prix dont la mise en oeuvre avait déjà débuté, quoique de manière problématique.

34.
    Ensuite, il y a lieu de remarquer que, selon la réponse d'ABB, des mesures visant à «améliorer» le niveau de prix en Allemagne ont été discutées lors de la réunion du 18 août 1994. D'après ABB, ces mesures auraient pu comprendre la fourniture de nouveaux barèmes de prix au coordinateur de l'entente aux fins de l'établissement d'un nouveau barème commun ainsi qu'un accord en vertu duquel les rabais sur les prix du barème commun ne dépasseraient pas un maximum fixé avant la fin de 1994 et en vertu duquel les prix dudit barème seraient obligatoires à partir du 1er janvier 1995, bien que, sur ce dernier point, l'accord aurait pu être conclu également lors d'une réunion ultérieure (réponse d'ABB). Or, même si l'affirmation d'ABB sur le contenu de la réunion du 18 août 1994 n'est pas confirmée par d'autres participants à l'entente, il y a lieu de constater, eu égard aux conclusions devant être tirées de l'invitation à cette réunion, que la discussion du 18 août 1994 a complété sinon confirmé le barème de prix commun fixé au mois de mai 1994.

35.
    Quant à la participation de la requérante, il y a lieu d'observer que celle-ci a reconnu, dans sa réponse, avoir été impliquée, lors de la réunion du 18 août 1994,dans une discussion portant sur la situation de la concurrence sur le marché en cause (réponse de la requérante, annexe 2). Dans sa requête, elle reconnaît que, à cette occasion, même si elle n'a pas été présente pendant toute la réunion, il était manifeste qu'il existait une coopération étroite sur les marchés danois et allemand de nature à mettre en danger la survie de son entreprise si elle n'y participait pas.

36.
    À cet égard, le fait que la requérante n'ait pas été invitée formellement à la réunion du 18 août 1994 mais s'y soit rendue à l'initiative de M. Henss est sans pertinence. La requérante ne saurait non plus soutenir qu'elle s'attendait à une discussion sur les normes techniques. En effet, elle a déclaré, dans sa réponse, avoir pris part à cette réunion sur la base de contacts lors desquels il a été question d'une coopération entre les concurrents pouvant avoir des répercussions pour elle. De plus, la requérante a affirmé, dans ses observations sur la communication des griefs, que M. Henss lui avait conseillé de participer à la réunion afin, d'une part, de se faire une idée sur sa participation à l'EuHP et, d'autre part, d'avoir un aperçu de la situation du marché et des concurrents qui y sont présents. Il s'ensuit que, même si le but principal de sa participation à la réunion a été d'adhérer à l'EuHP, la requérante s'y est rendue en sachant que la discussion au sein de cette réunion dépasserait les activités liées à l'élaboration de normes techniques qui constitue un des objets de l'EuHP.

37.
    Étant donné que, lors de la réunion en cause, la requérante a pris connaissance de l'existence d'une coopération étroite sur les marchés danois et allemand, elle a dû être consciente, au moins, du fait que les autres participants étaient impliqués dans une discussion sur un barème de prix commun pour le marché allemand.

38.
    Or, il y a lieu d'observer que dès lors qu'une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à une réunion entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu'elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celle-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat de la réunion et qu'elle s'y conformera, il peut être considéré comme établi qu'elle a participé à l'entente résultant de ladite réunion (voir arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 232, du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, Rec. p. II-907, point 98, et du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791, points 85 et 86).

39.
    Il est manifeste que la requérante, après avoir pris connaissance de l'existence d'une coopération sur les marchés danois et allemand, ne s'est pas distanciée du contenu anticoncurrentiel de la réunion. Au contraire, le fait de se voir attribuer, par la suite, un quota pour le marché allemand démontre que, après sa participation à la réunion du 18 août 1994, elle a été considérée par les autres participants à l'entente comme une entreprise qui devait être incluse dans le système de répartition des marchés.

40.
    Il convient d'observer que la décision ne conduit pas à une autre interprétation lorsqu'elle évoque la déclaration de Løgstør selon laquelle ABB a exposé, lorsd'une réunion, le 16 novembre 1994, qu'il n'y avait toujours pas d'accord avec Brugg et Oy KWH Tech AB (ci-après «KWH») mais qu'ABB espérait qu'un arrangement pourrait être trouvé (observations de Løgstør sur la communication des griefs). En effet, Løgstør se réfère au processus de négociation de l'accord sur la répartition du marché européen, au cours de laquelle Brugg aurait exigé un quota de 2 % sur le marché européen et de 4 % sur le marché allemand. À propos de cette négociation, il est indiqué, toujours dans les observations de Løgstør, en ce qui concerne le fait que, lors d'une réunion du 30 septembre 1994, un accord n'a pas pu être conclu, qu'«un accord supposait la participation de KWH et Brugg». Or, cela confirme que la requérante était considérée, après sa participation à la discussion sur les prix, comme participant à l'entente, même si, à cette époque, la négociation pour compléter l'accord sur les prix par un accord sur la répartition du marché n'avait pas encore abouti.

41.
    Étant donné que la participation de la requérante à l'entente qui existait entre les autres participants à la réunion du 18 août 1994 ressort suffisamment de sa présence à cette réunion, il n'est pas non plus pertinent de retenir que la requérante n'aurait pas immédiatement participé aux réunions du groupe de contact allemand.

42.
    En ce qui concerne la fin de la participation de la requérante à l'infraction considérée, il suffit de constater que celle-ci a confirmé, lors de l'audience, l'information communiquée en annexe 2 de sa réponse, selon laquelle elle a encore participé à une réunion du groupe de contact allemand, le 25 mars 1996.

43.
    Par conséquent, la Commission a constaté à juste titre que la requérante a participé à l'infraction à peu près à partir d'août 1994 jusqu'en mars ou avril 1996.

Sur la participation aux mesures concertées contre Powerpipe

- Arguments des parties

44.
    La requérante conteste avoir participé à l'adoption ou à la mise en oeuvre d'une mesure quelconque visant à nuire à Powerpipe.

45.
    En ce qui concerne sa participation à une réunion à Düsseldorf, le 24 mars 1995, elle fait observer que, bien qu'ait été évoqué, lors de cette réunion, le fait que Powerpipe avait obtenu peu de jours auparavant le projet de Leipzig-Lippendorf, aucun boycottage de Powerpipe n'y a été décidé. La Commission mentionnerait au considérant 100 de sa décision que, à cette occasion, un boycottage a seulement été «envisagé». En outre, la décision relèverait que, lors d'une réunion ultérieure, ABB et Henss/Isoplus auraient «préconisé l'adoption de mesures concertées contre Powerpipe», ce qui n'aurait pas été nécessaire si une décision relative à ces mesures concertées avait déjà été adoptée lors de la réunion précédente. Laréunion du 24 mars 1995 n'aurait été qu'une réunion secondaire regroupant des responsables des ventes.

46.
    Dans son exposé concernant le boycottage, la Commission se baserait d'ailleurs essentiellement sur d'autres réunions, auxquelles la requérante n'aurait jamais participé. De plus, l'argument selon lequel un boycottage aurait été décidé le 24 mars 1995 serait contredit par l'exposé que la Commission fait d'actions menées contre Powerpipe qui remontent à l'époque de l'entente danoise à laquelle la requérante n'aurait jamais participé.

47.
    De toute façon, une participation au boycottage ne pourrait être imputée à la requérante uniquement du fait qu'elle ait été présente lors de la réunion du 24 mars 1995, lors de laquelle le boycottage a fait l'objet des discussions.

48.
    En ce qui concerne la mise en oeuvre du boycottage, la requérante fait observer que la Commission ne donne aucune indication quant à une action de boycottage entreprise par la requérante. Contrairement aux cas d'accords sur des prix ou sur des quotas, où la seule participation à un accord, ou à une réunion lors de laquelle un accord est conclu, entraînerait une certaine discipline de marché, un boycottage produirait des effets uniquement dans la mesure où il est réellement mis en oeuvre par les entreprises qui en sont convenues. Or, la requérante n'aurait entrepris aucune action de boycottage.

49.
    À cet égard, la requérante souligne qu'elle ne fabriquait pas de conduites à gaine de plastique. Dès lors, en tant que simple revendeur, elle n'aurait eu aucune relation avec les fournisseurs de conduites lui permettant d'exercer un boycottage de Powerpipe en refusant toutes livraisons ou de rompre le boycottage en procédant à des livraisons. Il ne saurait lui être imputé une décision sur laquelle elle n'a eu aucune influence.

50.
    La défenderesse fait valoir que les notes prises par Tarco au cours de la réunion du 24 mars 1995 constituent la preuve de l'adoption d'une décision de boycottage. En participant à une réunion ayant un objet manifestement anticoncurrentiel, sans se distancier publiquement de son contenu, la requérante aurait donné à penser aux autres participants qu'elle souscrivait au résultat de la réunion et qu'elle s'y conformerait.

51.
    Dans ce contexte, même les mesures de mise en oeuvre du boycottage pourraient être imputées à la requérante, étant donné que celle-ci a approuvé le boycottage lors de la réunion du 24 mars 1995, de sorte que tous les participants ont pu être sûrs du fait qu'elle se comporterait en conséquence. Le fait qu'elle n'aurait pas été en mesure de coopérer à la mise en oeuvre du boycottage ne réduirait pas sa responsabilité.

- Appréciation du Tribunal

52.
    Il n'est pas contesté que la requérante a assisté à la réunion de Düsseldorf du 24 mars 1995 et que, lors de cette réunion, une discussion s'est tenue sur l'attribution du projet de Leipzig-Lippendorf à Powerpipe. La requérante ne conteste pas non plus qu'il y a eu un accord, au sein de l'entente, selon lequel le projet de Leipzig-Lippendorf était destiné à ABB, Henss/Isoplus et Pan-Isovit.

53.
    De plus, il ressort des notes prises par Tarco relatives à la réunion du 24 mars 1995 (annexe 143 de la communication des griefs) que le fait que Powerpipe a obtenu le projet de Leipzig-Lippendorf a donné lieu à la discussion d'une série de mesures.

Selon ces notes:

«[Powerpipe] a apparemment décroché le [projet] Leipzig-Lippendorf.

-    Aucun producteur ne devra fournir le moindre produit à L-L, IKR, Mannesmann-Seiffert, VEAG.

-    Toutes les demandes de renseignement relatives au projet doivent être communiquées à [X.].

-    Aucun de nos sous-traitants ne devra travailler pour [Powerpipe]; dans le cas contraire, il sera mis fin à toute collaboration.

-    Nous essaierons d'empêcher [Powerpipe] de se fournir en plastiques par exemple etc.

-    L'EuHP cherchera à déterminer si nous pouvons nous plaindre de l'attribution du contrat à une entreprise non qualifiée.»

54.
    Le caractère anticoncurrentiel des mesures discutées lors de cette réunion est confirmé par la déclaration de Løgstør, dans ses observations sur la communication des griefs, selon laquelle Henss a insisté sur la question des «actions collectives» à l'encontre de Powerpipe.

55.
    Il convient de rappeler que la participation d'une entreprise à une réunion dont l'objet est manifestement anticoncurrentiel, sans qu'elle se soit distanciée publiquement de son contenu, donne à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat de la réunion et qu'elle s'y conformera (voir la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus). Dans de telles circonstances, il suffit qu'une concertation illicite ait été évoquée dans la réunion à laquelle participe l'entreprise en question pour établir la participation de cette dernière à la concertation en cause.

56.
    Étant donné que des mesures anticoncurrentielles ont été évoquées lors de la réunion du 24 mars 1995, toutes les entreprises ayant participé à cette réunion sansavoir pris leurs distances publiquement doivent être considérées comme ayant participé à l'accord constitué par l'adoption de telles mesures, sans qu'il y ait besoin d'apporter la preuve selon laquelle chacun des participants à la réunion a effectivement approuvé les mesures évoquées.

57.
    Il s'ensuit que la Commission a établi, à juste titre, la participation de la requérante à un accord visant à nuire à Powerpipe, dès lors que la requérante est restée en défaut de prouver sa distanciation vis-à-vis du résultat de la réunion en question.

58.
    À cet égard, il n'est pas pertinent d'avancer que, lors de la réunion du 24 mars 1995, les entreprises en cause n'auraient pas été représentées au plus haut niveau, mais uniquement par leurs responsables des ventes. En effet, l'imputation à une entreprise d'une infraction à l'article 85 du traité ne suppose pas une action ou même une connaissance des associés ou des gérants principaux de l'entreprise concernée de cette infraction, mais l'action d'une personne qui est autorisée à agir pour le compte de l'entreprise (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 97).

59.
    Étant donné que la responsabilité de la requérante pour les mesures concertées prises à l'encontre de Powerpipe découle déjà de sa participation, sans distanciation, à la réunion du 24 mars 1995, il n'est pas non plus pertinent de déterminer encore si elle a, par la suite, assisté à d'autres réunions au sein desquelles un accord formel sur les mesures concertées à prendre à l'encontre de Powerpipe aurait été conclu.

60.
    La requérante cherche encore à contester sa participation à un accord de boycottage en prétendant que, en tant que revendeur, elle n'aurait pas, en tout état de cause, été en mesure de mettre en oeuvre un tel boycottage.

61.
    Toutefois, un boycottage peut être imputé à une entreprise sans qu'il y ait besoin que celle-ci participe effectivement ou même puisse participer à sa mise en oeuvre. En effet, la position contraire mènerait au résultat que les entreprises qui ont approuvé des mesures de boycottage, mais qui n'ont pas trouvé l'occasion d'adopter elles-mêmes une mesure pour le mettre en oeuvre, échapperaient à toute forme de responsabilité pour leur participation à l'accord.

62.
    En tout état de cause, étant donné que Powerpipe était une concurrente directe de la requérante sur le marché allemand, cette dernière avait un intérêt envers toute mesure de boycottage entreprise à l'encontre de Powerpipe par d'autres participants à l'entente.

63.
    Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, il n'est pas nécessaire que la Commission apporte la preuve de ce qu'un accord a eu des effets, dès lors qu'il apparaît que celui-ci a eu pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 496,du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 99, et Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 178; arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39/92 et T-40/92, Rec. p. II-49, point 87).

64.
    De plus, il convient de remarquer qu'une entreprise ayant participé à une infraction multiforme aux règles de la concurrence par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d'accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et qui visent à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble peut être également responsable des comportements mis en oeuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, lorsqu'il est établi que l'entreprise en question connaît les comportements infractionnels des autres participants, ou qu'elle peut raisonnablement les prévoir et qu'elle est prête à en accepter le risque (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 203).

65.
    Or, de par la présence de la requérante lors de la réunion du 24 mars 1995, celle-ci a eu connaissance des mesures envisagées pour nuire à l'activité commerciale de Powerpipe. Du fait qu'elle ne s'est pas distanciée de telles mesures, elle a donné, à tout le moins, à penser aux autres participants à ladite réunion qu'elle souscrivait au résultat de celle-ci, qu'elle s'y conformerait et qu'elle était prête à en accepter le risque.

66.
    Pour toutes ces raisons, le moyen de la requérante doit être également rejeté en ce qui concerne sa participation aux mesures concertées contre Powerpipe.

Sur la participation de la requérante à une entente à l'échelle communautaire

- Arguments des parties

67.
    La requérante reproche à la Commission de considérer à tort qu'elle a pris part à une entente générale couvrant l'ensemble du marché commun. Elle fait remarquer qu'elle n'a opéré que sur le marché allemand. Ainsi, elle n'aurait pas participé au club des directeurs, mais uniquement aux réunions du groupe de contact allemand. Au moment où elle y a participé pour la première fois, la répartition des quotas aurait déjà été fixée. Selon la requérante, tout cela démontre qu'elle n'a pas eu connaissance de l'existence d'une entente couvrant l'ensemble du marché commun.

68.
    Dans son mémoire en réplique, la requérante conteste le fait qu'il lui a été également accordé, hors du quota de 4 % pour le marché allemand, un quota européen propre. Elle n'aurait d'ailleurs rien pu en faire puisque, en ce qui concerne les conduites en cause, elle n'était qu'un revendeur sur le seul marché allemand. Le chiffre de 2 % du marché européen n'aurait résulté que de manière indirecte de la conversion du quota allemand au marché européen.

69.
    La défenderesse soutient que les activités de la requérante sur le marché allemand ne constituaient pas une infraction séparée, mais étaient intégrées dans une entente européenne. La requérante aurait su que les quotas à l'intérieur des marchés nationaux étaient décidés par le club des directeurs. Selon la défenderesse, la requérante n'aurait pas seulement disposé d'un quota de 4 % pour l'Allemagne, mais aussi d'un quota de 2 % relatif au marché européen.

70.
    Quant à l'affirmation selon laquelle la requérante ne se serait pas vu accorder un quota européen propre, la défenderesse fait observer que la requérante conteste ainsi pour la première fois, dans sa réplique, un reproche qui était déjà mentionné tant dans la communication des griefs que dans la décision. De toute façon, la requérante ne pourrait soutenir qu'un tel quota ne lui aurait pas servi alors qu'elle vendait aussi les produits concernés sur le marché danois et avait déjà montré son intérêt à obtenir des garanties allant au-delà du marché allemand, notamment la garantie qu'il n'y aurait pas de nouveaux concurrents en Suisse.

- Appréciation du Tribunal

71.
    Il n'est pas contesté que la requérante a participé à l'entente qui a fonctionné sur le marché allemand et qu'elle a participé régulièrement aux réunions du groupe de contact relatif à ce marché.

72.
    De plus, la requérante reconnaît que les réunions du groupe de contact allemand faisaient partie d'une entente globale qui était gérée dans le cadre du club des directeurs, dont les membres fixaient, pour tous les participants, les quotas sur les différents marchés nationaux et convenaient des augmentations générales de prix.

73.
    Il convient de rappeler qu'une entreprise ayant participé à une infraction unique et complexe par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d'accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et qui visent à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble peut être également responsable des comportements mis en oeuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, lorsqu'il est établi que l'entreprise en question connaît les comportements infractionnels des autres participants, ou qu'elle peut raisonnablement les prévoir et qu'elle est prête à en accepter le risque (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 203).

74.
    Or, la requérante ne conteste pas avoir assisté à la réunion du 18 août 1994 à Copenhague, lors de laquelle il est devenu manifeste qu'il existait une coopération sur les marchés danois et allemand telle qu'il deviendrait dangereux pour la survie de son entreprise de ne pas y participer. De plus, la requérante a reconnu, dans sa réponse, qu'ABB l'a informé que la «réunion européenne» avait fixé son quota et qu'il existait encore un problème relatif à un mécanisme de compensation européenne, étant donné que les livraisons de Dansk Rørindustri à la requérante devaient être imputées sur le quota de Dansk Rørindustri. Il s'ensuit que larequérante a su, au moment de sa participation, que son quota sur le marché allemand faisait partie d'une répartition du marché organisée, par les producteurs, au niveau européen.

75.
    Dans ces circonstances, la Commission était en droit de reprocher à la requérante une participation à l'entente générale qui couvrait l'ensemble du marché commun, tout en reconnaissant qu'elle a agi principalement sur le marché allemand.

76.
    Il n'est pas nécessaire, à cet égard, que le Tribunal s'exprime encore sur le fait de savoir si la requérante a disposé d'un quota pour le marché européen. En effet, même si la requérante s'était vu accorder un quota uniquement sur le marché allemand, cela n'affecterait en rien la conclusion selon laquelle elle a été consciente du fait que son quota sur le marché allemand faisait partie d'une répartition du marché à l'échelle communautaire.

77.
    Il s'ensuit que le moyen de la requérante doit être rejeté également en ce qui concerne le grief relatif à sa participation à une entente à l'échelle communautaire.

78.
    Partant, le premier moyen est rejeté dans son ensemble.

Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation des droits de la défense

Arguments des parties

79.
    La requérante soutient que la Commission a violé son droit d'être entendue en appliquant les nouvelles lignes directrices pour le calcul du montant des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «nouvelles lignes directrices» ou les «lignes directrices»), sans lui avoir donné la possibilité de s'exprimer sur la modification radicale de la pratique du calcul du montant des amendes constituée par ces lignes directrices.

80.
    Pendant la procédure administrative, la Commission n'aurait même pas indiqué qu'elle envisageait de modifier sa méthode de calcul du montant des amendes. Au contraire, dans la communication des griefs ainsi que lors de l'audition, la Commission aurait amené la requérante à penser que l'amende qui lui serait infligée serait déterminée par le chiffre d'affaires relatif au produit concerné.

81.
    La défenderesse soutient que, lorsqu'il s'agit d'imposer éventuellement une amende, le respect des droits de la défense ne suppose pas que la Commission indique déjà au cours de la procédure administrative les critères et les considérations qu'elle fera intervenir dans son calcul. Il suffirait que la Commission indique qu'elle envisage d'infliger une amende en raison de la gravité et de la durée de l'infraction.

Appréciation du Tribunal

82.
    Il convient d'observer, au préalable, qu'il n'est pas contesté que la Commission a déterminé le montant de l'amende imposée à la requérante conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes annoncée dans les lignes directrices.

83.
    Selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu'elle va examiner s'il convient d'infliger des amendes aux entreprises concernées et qu'elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d'entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l'infraction supposée et le fait d'avoir commis celle-ci «de propos délibéré ou par négligence», elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d'être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l'infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 21).

84.
    Il s'ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire des observations sur la durée, la gravité et le caractère anticoncurrentiel des faits reprochés. Par ailleurs, les entreprises bénéficient d'une garantie supplémentaire, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, dans la mesure où le Tribunal statue avec une compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l'amende, en vertu de l'article 17 du règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 235).

85.
    À cet égard, il convient de constater que la Commission a expliqué, dans la communication des griefs envoyée à la requérante, la durée de l'infraction qu'elle envisageait de retenir à son égard.

86.
    Ensuite, la Commission a exposé, dans la communication des griefs, les raisons pour lesquelles elle estimait que la présente infraction était une infraction très grave ainsi que les éléments constituant des circonstances aggravantes, à savoir la manipulation des procédures de soumissions, la mise en oeuvre agressive de l'entente afin d'assurer l'obéissance de tous les participants aux accords et d'exclure le seul concurrent important qui n'y participait pas et la poursuite de l'infraction après les vérifications .

87.
    Au même endroit, la Commission a précisé que, dans la détermination du montant de l'amende à imposer à chaque entreprise individuelle, elle tiendrait compte, notamment, du rôle joué par chacune d'elles dans les pratiques anticoncurrentielles, de toutes les différences substantielles en ce qui concerne la durée de leur participation, de leur importance dans l'industrie du chauffage urbain, de leur chiffre d'affaires dans le secteur du chauffage urbain, de leur chiffre d'affairesglobal, le cas échéant, pour tenir compte de la taille et du pouvoir économique de l'entreprise en question et afin d'assurer un effet suffisamment dissuasif, et, enfin, de toutes les circonstances atténuantes.

88.
    Puis, toujours dans la communication des griefs, la Commission a donné des observations plus précises en ce qui concerne la requérante. En effet, la Commission a observé que, en ce qui concerne la requérante, Sigma Tecnologie di rivestimento Srl (ci-après «Sigma») et KE KELIT Kunststoffwerk GmbH (ci-après «KE KELIT»), elle veillerait à ce que le montant des éventuelles amendes tienne suffisamment compte de leur situation en tant que producteurs locaux qui n'avaient adhéré aux arrangements qu'à un stade ultérieur. De plus, la Commission a fait remarquer que ces entreprises avaient dû être au courant des vérifications et qu'il convenait de tenir compte du caractère délibéré et de la poursuite de leur participation à l'infraction .

89.
    Ce faisant, la Commission a indiqué, dans sa communication des griefs, les éléments de fait et de droit sur lesquels elle allait se baser dans le calcul du montant de l'amende à infliger à la requérante, de sorte que, à cet égard, le droit d'être entendue de cette dernière a été dûment respecté.

90.
    Contrairement à ce que prétend la requérante, la Commission n'était pas obligée, dès lors qu'elle avait indiqué les éléments de fait et de droit sur lesquels elle allait se baser pour le calcul du montant des amendes, de préciser la méthode de calcul qu'elle entendait appliquer sur la base de chacun des éléments indiqués. En effet, donner des indications concernant le niveau du montant des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (arrêts de la Cour Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 21, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 19).

91.
    Par conséquent, la Commission n'était pas non plus tenue, au cours de la procédure administrative, de communiquer aux entreprises concernées son intention d'appliquer une nouvelle méthode de calcul pour le montant des amendes, même si l'application de cette méthode pouvait entraîner, dans l'un ou l'autre cas, des montants d'amendes d'un niveau supérieur à celui qui a été appliqué dans le passé.

92.
    En effet, la Commission n'est pas tenue d'indiquer, dans la communication des griefs, la possibilité d'un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne le niveau du montant des amendes, possibilité qui dépend de considérations générales de politique de concurrence sans rapport direct avec les circonstances particulières des affaires en cause (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 22). De même, la Commission n'a pas l'obligation de mettre des entreprises en garde en les prévenant de son intention d'augmenterle niveau général du montant des amendes (arrêt Solvay/Commission, précité, point 311).

93.
    Il s'ensuit que le droit d'être entendu de la requérante n'obligeait pas la Commission à lui annoncer son intention d'appliquer, à son cas, les nouvelles lignes directrices.

94.
    Enfin, il y a lieu de rejeter l'affirmation de la requérante, selon laquelle la Commission l'aurait amenée à penser que le montant de l'amende serait déterminé par le chiffre d'affaires relatif au produit concerné par l'entente.

95.
    En premier lieu, il convient d'observer que la Commission, en mentionnant, dans la communication des griefs, son intention de tenir compte, notamment, du chiffre d'affaires de chaque entreprise présente sur le marché du chauffage urbain, n'a toutefois pas annoncé aux entreprises concernées qu'elle allait calculer le montant des amendes, en toute hypothèse, sur la base du chiffre d'affaires obtenu par chacune d'elles sur le marché en question. En effet, au même endroit de la communication des griefs, la Commission a mentionné également la possibilité de prendre en considération, le cas échéant, le chiffre d'affaires global d'une entreprise.

96.
    Dans ce contexte, la requérante ne saurait tirer argument de la remarque, au même endroit de la communication des griefs, selon laquelle le chiffre d'affaires d'ABB sur le marché en cause représentait moins de 1 % de son chiffre d'affaires global et qu'une amende limitée à 10 % de son chiffre d'affaires dans le secteur concerné ne pourrait pas se justifier, eu égard au fait que sa participation à l'entente résultait d'une politique coordonnée à un niveau élevé et au fait que l'amende ne posséderait pas un effet dissuasif crédible. En effet, une telle remarque ne se rapportait qu'au cas d'ABB. À la lumière du passage précédent, contenant la série de critères dont la Commission allait se servir pour déterminer le niveau du montant des amendes, une telle remarque ne pouvait être comprise comme une indication de ce que la Commission calculerait le montant des amendes, pour les autres entreprises, sur la seule base de leur chiffre d'affaires dans le secteur concerné.

97.
    En second lieu, la requérante ne peut pas non plus tirer argument du fait que la Commission a demandé, lors de l'audition, une confirmation de sa part sur le fait que sa participation à l'entente concernait seulement les conduites «rigides» à gaines de plastique qu'elle-même ne produisait pas. Or, une telle spécification relative au produit concerné par l'entente ne peut pas être assimilée à un engagement de la part de la Commission de prendre en considération, en tant que montant de base pour le calcul des amendes, uniquement le chiffre d'affaires obtenu sur le marché en question.

98.
    Pour toutes ces raisons, le moyen tiré d'une violation des droits de la défense doit être rejeté.

Sur le troisième moyen, tiré de la violation de principes généraux et d'erreurs de fait dans la détermination du montant de l'amende

99.
    Selon la requérante, la Commission a violé, lors de la détermination du montant de l'amende, les principes de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime. En plus, elle aurait violé, dans la fixation des montants de base, le principe d'égalité de traitement. Ensuite, la requérante reproche à la Commission le défaut de prise en compte de certaines circonstances atténuantes, une définition erronée des circonstances aggravantes ainsi qu'une application erronée de la communication de la Commission du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»).

Sur la violation du principe de non-rétroactivité

- Arguments des parties

100.
    La requérante expose que la Commission, en appliquant ses nouvelles lignes directrices à la procédure pendante relative à son cas, a violé le principe de non-rétroactivité, qui est une émanation du principe de légalité.

101.
    La requérante rappelle que l'interdiction de la rétroactivité de dispositions pénales est un principe commun à l'ordre juridique de tous les États membres, ancré en tant que droit fondamental dans l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et faisant partie des principes généraux de droit dont le juge communautaire doit assurer le respect. Selon la requérante, les principes généraux du droit pénal sont applicables aux amendes prévues à l'article 15 du règlement n° 17, étant donné que celles-ci font partie du droit pénal au sens large. Ce caractère pénal des amendes découlerait de leur objectif répressif et serait apparent dans la gravité des sanctions encourues et dans le fait qu'elles ne peuvent être infligées qu'en présence d'un comportement intentionnel ou par négligence.

102.
    Le principe de non-rétroactivité devrait être appliqué dans le présent cas, même s'il ne s'agit pas d'une modification d'une loi au sens formel, mais d'une modification d'une pratique administrative. Comme l'article 15 du règlement n° 17 ne contient pas de prescriptions en ce qui concerne le calcul de la sanction dans les cas particuliers, son application ne se conformerait aux exigences de sécurité juridique et du principe de prédétermination des sanctions qu'à la condition qu'elle soit assurée par une pratique administrative certaine. Dans ce sens, la Commission aurait montré, par la publication de ses lignes directrices, qu'elle souhaite calculer le montant des amendes conformément à celles-ci. Ces dernières serviraient donc à l'interprétation des éléments constitutifs du calcul du montant de l'amende. L'adoption des lignes directrices aurait pour conséquence que le calcul du montant de l'amende a été effectué sur une base juridique différente et entraînerait, defacto, une modification des décisions qui auraient été prises uniquement en application de l'article 15 du règlement n° 17. Or, lorsqu'une pratique administrative certaine est modifiée, cette modification aurait les mêmes effets que la modification d'une loi.

103.
    La défenderesse souligne que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 fixe des limites pour les amendes à infliger et exige que l'amende soit fixée dans chaque cas particulier selon la gravité et la durée de l'infraction. Or, ces critères satisferaient déjà aux exigences de sécurité juridique et du principe de prédétermination des sanctions.

104.
    Comme l'unique base juridique pour imposer des amendes est l'article 15 du règlement n° 17, les lignes directrices ne serviraient pas elles-mêmes de base juridique ni pour les sanctions ni pour leur aggravation. Les lignes directrices ne feraient qu'indiquer les principes selon lesquels la Commission a l'intention d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui ménage l'article 15 du règlement n° 17. Les amendes infligées dans la présente affaire auraient pu être fixées en vertu de considérations identiques même sans les lignes directrices, uniquement sur la base du règlement n° 17. La pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne servirait pas en tant que telle non plus de base juridique à des sanctions et ne limiterait en aucune manière les pouvoirs de la Commission.

105.
    De plus, les nouvelles lignes directrices n'emporteraient aucune aggravation de la pratique existante en matière de sanctions, étant donné que la méthode de calcul qu'y est développée n'enlèverait pas la marge d'appréciation dont dispose la Commission pour la fixation du juste montant de l'amende dans chaque cas particulier. Par ailleurs, la requérante n'aurait pas expliqué comment l'application des lignes directrices, hors de son propre cas, amènerait par elle-même à une aggravation des sanctions pour les entreprises qui fabriquent encore d'autres produits que le produit concerné.

- Appréciation du Tribunal

106.
    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (voir, notamment, avis de la Cour 2/94, du 28 mars 1996, Rec. p. I-1759, point 33, et arrêt de la Cour du 29 mai 1997, Kremzow, C-299/95, Rec. p. I-2629, point 14). À cet effet, le juge communautaire s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme, auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (arrêt Kremzow, précité, point 14). Par ailleurs, aux termes de l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (devenu, après modification, article 6, paragraphe 2, UE), «l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la [CEDH] et telsqu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire».

107.
    Selon l'article 7, paragraphe 1, de la CEDH, «[n]ul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international» et «il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise».

108.
    Il convient d'observer que le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales, consacré par l'article 7 de la CEDH comme un droit fondamental, est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres et fait partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (arrêt de la Cour du 10 juillet 1984, Kirk, 63/83, Rec. p. 2689, point 22).

109.
    Même s'il ressort de l'article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n'ont pas un caractère pénal (arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 235), il n'en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit communautaire, et notamment celui de non-rétroactivité, dans toute procédure administrative susceptible d'aboutir à des sanctions en application des règles de la concurrence du traité (voir, par analogie, arrêt Michelin/Commission, précité, point 7).

110.
    Ce respect exige que les sanctions infligées à une entreprise pour une infraction aux règles de la concurrence correspondent à celles qui étaient fixées à l'époque où l'infraction a été commise.

111.
    À cet égard, il y a lieu de préciser que les sanctions pouvant être imposées par la Commission pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence sont définies par l'article 15 du règlement n° 17, adopté antérieurement à la date à laquelle l'infraction a été commise. Or, d'une part, il convient de rappeler que la Commission n'a pas le pouvoir de modifier le règlement n° 17 ou de s'en écarter, fût-ce par des règles de nature générale qu'elle s'impose à elle-même. D'autre part, s'il est constant que la Commission a déterminé le montant de l'amende imposée à la requérante conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes annoncée dans les lignes directrices, il y a lieu de constater que, ce faisant, elle est restée dans le cadre des sanctions définies par l'article 15 du règlement n° 17.

112.
    En effet, aux termes de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, «[l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de mille écus au moins et de un million d'écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participéà l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...] elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, [...] du traité». Il est prévu, dans la même disposition, que, «[p]our déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci».

113.
    Or, les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, seuls critères retenus à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

114.
    Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul du montant des amendes, un montant déterminé en fonction de la gravité de l'infraction. L'évaluation de la gravité de l'infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les «infractions peu graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageable est compris entre 1 000 et 1 million d'écus, les «infractions graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageable peut varier entre 1 million et 20 millions d'écus, et les «infractions très graves» pour lesquelles le montant des amendes envisageable va au-delà de 20 millions d'écus (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tirets). À l'intérieur de chacune de ces catégories, et notamment pour les catégories dites «graves» et «très graves», l'échelle des sanctions retenues permet de différencier le traitement qu'il convient d'appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).

115.
    Ensuite, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d'infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa).

116.
    À l'intérieur de chacune des trois catégories retenues ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans certains cas, le point de départ général, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature et d'adapter en conséquence le point de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (ci-après «le point de départ spécifique») (point 1 A, sixième alinéa).

117.
    Quant au facteur relatif à la durée de l'infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), pour lesquelles le montant retenu pour la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré jusqu'à 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tirets).

118.
    Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d'exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base puis se réfèrent à la communication sur la coopération.

119.
    En tant que remarque générale, il est précisé que le résultat final du calcul du montant de l'amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d'aggravation et d'atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu'il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles que le contexte économique spécifique, l'avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l'infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier, pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)].

120.
    Il s'ensuit que, suivant la méthode énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes continue d'être effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir la gravité de l'infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d'affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition.

121.
    Par conséquent, les lignes directrices ne peuvent pas être considérées comme allant au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition.

122.
    Contrairement à ce que prétend la requérante, le changement qu'entraîneraient les lignes directrices par rapport à la pratique administrative existante de la Commission ne constitue pas non plus une altération du cadre juridique déterminant les amendes pouvant être infligées et, donc, n'est pas contraire aux principes contenus dans l'article 7, paragraphe 1, de la CEDH .

123.
    En effet, d'une part, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est, uniquement, défini dans le règlement n° 17.

124.
    D'autre part, au regard de la marge d'appréciation laissée par le règlement n° 17 à la Commission, l'introduction par celle-ci d'une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes, pouvant entraîner, dans certains cas, une augmentation de ce montant, sans pour autant excéder la limite maximale fixée par le même règlement, ne peut être considérée comme une aggravation, avec effet rétroactif, des amendes, telles qu'elles sont juridiquement prévues par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, contraire aux principes de légalité et de sécurité juridique.

125.
    Il est sans pertinence, à cet égard, d'avancer que le calcul du montant des amendes suivant la méthode exposée dans les lignes directrices, notamment à partir d'un montant déterminé, en principe, en fonction de la gravité de l'infraction, peut amener la Commission à infliger des amendes d'un montant plus élevé que dans sa pratique antérieure. En effet, selon une jurisprudence bien établie, la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54; arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219/95 P, Rec. p. I-4411, point 33; voir également arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T-295/94, Rec. p. II-813, point 163). En outre, il ressort d'une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. II-1165, point 59, du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 127).

126.
    De plus, il ressort de la jurisprudence que le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109; arrêts du Tribunal Solvay/Commission, précité, point 309 et du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T-304/94, Rec. p. II-869, point 89). L'application efficace des règles communautaires de la concurrence exige, au contraire, que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau du montant des amendes aux besoins de cette politique (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109).

127.
    Enfin, il n'est pas non plus pertinent d'avancer que la Commission, en publiant les nouvelles lignes directrices, s'est engagée à se conformer à la méthode exposée dans celles-ci. En effet, le fait que la Commission a explicité, pour le futur, les critères sur lesquels elle allait s'appuyer lors de l'application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne signifie pas, pour autant, qu'il y a eu unemodification des critères dont la Commission aurait pu se servir lors de la détermination du montant des amendes.

128.
    Il y a lieu de renvoyer, à cet égard, à l'arrêt Solvay/Commission, précité, dans lequel le Tribunal a jugé qu'une entreprise ne pouvait tirer argument de ce que l'infraction constatée était antérieure au rapport sur la politique de la concurrence dans lequel la Commission avait explicité la nouvelle politique qu'elle entendait mener en matière d'amendes (arrêt Solvay/Commission, précité, point 311).

129.
    Pour toutes ces raisons, le grief tiré de la prétendue violation du principe de non-rétroactivité doit être rejeté.

Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

- Arguments des parties

130.
    La requérante soutient que le principe de protection de la confiance légitime s'oppose à l'application de nouvelles lignes directrices pouvant élever le montant maximal prévisible des amendes, selon la pratique antérieure, à une infraction terminée depuis longtemps au moment de l'adoption de ces lignes directrices. Dans un domaine où il n'existe pas de réglementation légale précise, comme ce serait le cas pour le calcul des sanctions, la pratique de la Commission revêtirait une importance particulière pour les sujets de droit. Dans un tel domaine, une pratique administrative régulière pourrait fonder une confiance légitime.

131.
    Le fait que la Commission dispose éventuellement d'un pouvoir d'appréciation dans le calcul de la sanction ne changerait en rien cette conclusion, étant donné que ce pouvoir est soumis aux limites posées par les principes généraux du droit comme le principe de protection de la confiance légitime. Malgré la marge discrétionnaire existante, l'entreprise concernée devrait pouvoir au moins évaluer approximativement les risques qu'entraîne son comportement.

132.
    Le principe de protection de la confiance légitime des entreprises aurait été reconnu par la Commission lors de l'adoption de sa communication sur la coopération, dans la mesure où elle s'y serait déclarée consciente du fait que cette communication crée des attentes légitimes sur lesquelles se fondent les entreprises souhaitant l'informer de l'existence d'une entente.

133.
    En s'écartant sans justification de sa pratique antérieure pour calculer l'amende, la Commission aurait commis un excès de pouvoir. À cet égard, il serait à remarquer que dans la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 - Carton) (JO L 243, p. 1, ci-après la «décision Carton»), la Commission a élevé le montant de base des amendes, qui aurait été auparavant de 4 % en moyenne, jusqu'à 7,5 ou 9 % du chiffre d'affaires annuel obtenu par l'entreprise sur lemarché concerné; 9 % pour les chefs de file de l'entente et 7,5 % pour les autres participants. La Commission aurait le droit d'élever le niveau des amendes par rapport à sa pratique antérieure si elle indique les motifs qui justifient cette augmentation. Or, la décision n'expliquerait pas les raisons pour lesquelles il a été estimé nécessaire, en ce qui concerne la requérante, d'augmenter le niveau de l'amende jusqu'à 22 % du chiffre d'affaires réalisé sur le marché du produit concerné. Par ce fait, la Commission aurait aussi manqué à son obligation de motivation et commis un excès de pouvoir.

134.
    La défenderesse fait observer que, en raison du pouvoir discrétionnaire que l'article 15 du règlement n° 17 lui accorde, on ne saurait se fier à ce qu'une méthode appliquée dans certaines procédures le soit de nouveau à l'avenir. De toute façon, la requérante soutiendrait à tort que les nouvelles lignes directrices entraînent par elles-mêmes une augmentation du montant des amendes par rapport à la pratique antérieure.

135.
    Par ailleurs, il n'aurait pas existé, à cet égard, une pratique uniforme de la Commission, étant donné que, souvent, d'autres facteurs que le chiffre d'affaires auraient été retenus pour calculer les amendes. La défenderesse cite, à cet égard, plusieurs décisions en matière de concurrence dont certaines ont donné lieu à l'intervention du juge communautaire.

136.
    De plus, les entreprises ne devraient pas pouvoir être sûres que, lorsqu'une amende est infligée, un montant d'un niveau déterminé ne sera pas dépassé. Aux amendes devrait être attribuée une fonction de dissuasion, dont découlerait le pouvoir de la Commission, reconnu par une jurisprudence constante, d'élever le niveau des amendes.

- Appréciation du Tribunal

137.
    Il y a lieu d'observer que, en ce qui concerne la fixation des amendes pour infraction aux règles de concurrence, la Commission exerce son pouvoir dans les limites de la marge d'appréciation qui lui est octroyée par le règlement n° 17. Or, il est de jurisprudence constante que les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires (voir arrêts de la Cour du 15 juillet 1982, Edeka, 245/81, Rec. p. 2745, point 27, et du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88, Rec. p. I-395, point 33).

138.
    Au contraire, la Commission est en droit d'élever le niveau général des amendes, dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence (voir la jurisprudence citée au point 126 ci-dessus).

139.
    Par ailleurs, il doit être observé que l'effet dissuasif des amendes constitue un des éléments dont la Commission peut tenir compte dans l'appréciation de la gravité de l'infraction, et, par conséquent, dans la détermination du niveau du montant de l'amende, étant donné que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes (voir la jurisprudence citée au point 125 ci-dessus).

140.
    Il s'ensuit que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne peuvent acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement.

141.
    Dans la mesure où la requérante s'appuie sur le niveau des amendes imposées par la Commission dans la décision Carton, il y a lieu de souligner que, au moment même de l'adoption de cette décision, l'entente qui fait objet de la décision attaquée a continué ses activités, et cela bien que la décision Carton ait infligé des amendes dont le niveau avait subi une hausse sensible par rapport à plusieurs décisions antérieures. Il s'ensuit que la Commission, afin d'assurer l'effet dissuasif des amendes, a effectivement été en droit, lors de l'adoption de la décision attaquée, d'infliger des amendes d'un niveau encore plus élevé que celui atteint par celles infligées par la décision Carton.

142.
    En ce qui concerne l'argument de la requérante, selon lequel une augmentation du niveau des amendes n'aurait été loisible que si elle avait été objectivement justifiée, il convient d'observer que la requérante fait valoir que la Commission n'a pas suffisamment motivé le montant de l'amende qui lui a été infligée. Il convient d'examiner cet argument dans le cadre du moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation.

143.
    Enfin, dans la mesure où la requérante se réfère à la confiance légitime telle qu'elle a été reconnue par la Commission dans sa communication sur la coopération, il y a lieu d'observer que, contrairement à ce qui est le cas pour la prise en compte du comportement coopératif des entreprises concernées par une procédure administrative, il n'existait pas à l'époque de l'infraction, en ce qui concerne les autres aspects du calcul du montant des amendes, de déclaration semblable de la part du législateur ou de la Commission, de laquelle les entreprises concernées auraient pu tirer une confiance légitime. Pour autant que le raisonnement de la requérante s'appuie sur la supposition que la Commission n'a pas respecté la communication sur la coopération, son argumentation se confond avec le grief tiré d'une application erronée de la communication.

144.
    Il s'ensuit que le grief doit être écarté pour autant qu'il est tiré d'une violation du principe de protection de la confiance légitime.

Sur la violation du principe d'égalité de traitement dans la fixation des montants de base

- Arguments des parties

145.
    La requérante reproche à la Commission de lui avoir fait subir une discrimination lors de la fixation, d'une manière différenciée selon la gravité de l'infraction , des points de départ spécifiques pour le calcul des amendes.

146.
    La requérante ne conteste pas la méthode selon laquelle la Commission, pour tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise, a classé les entreprises concernées en quatre catégories, la requérante ayant été classée dans la quatrième catégorie, et selon laquelle la Commission a différencié les points de départ spécifiques de la troisième et de la quatrième catégorie selon un rapport de cinq à un. Néanmoins, en fixant un point de départ spécifique de 5 millions d'écus pour chaque entreprise appartenant à la troisième catégorie, la Commission aurait dépassé, pour ces entreprises, la limite impérative de 10 % du chiffre d'affaires global des entreprises. Afin de ne pas excéder cette limite imposée par l'article 15 du règlement n° 17, la Commission aurait dû abaisser le montant retenu pour chacune des entreprises de la troisième catégorie. La Commission aurait toutefois utilisé des montants exagérés, destinés à la troisième catégorie, comme point de référence pour fixer pour les entreprises de la quatrième catégorie un point de départ spécifique ajusté en fonction de la gravité de l'infraction. De cette manière, le montant de l'amende infligée à la requérante aurait été calculé sur un point de départ qui est illégal.

147.
    Cette faute aurait entraîné une discrimination de la requérante par rapport aux entreprises de la troisième catégorie, eu égard à la disproportion entre le pourcentage du point de départ retenu pour la requérante et le pourcentage à charge d'une entreprise de la troisième catégorie, par exemple, Pan-Isovit.

148.
    La défenderesse fait remarquer qu'elle a apprécié correctement et a dûment pris en compte, dans les quatre catégories, l'importance relative des différentes entreprises sur le marché pour fixer les points de départ spécifiques. Par ailleurs, la limite de 10 % du chiffre d'affaires imposée par l'article 15 du règlement n° 17 se référerait au montant final de l'amende et non aux montants qui servent d'étapes intermédiaires lors du calcul. Il ne serait pas question d'une discrimination de la requérante par rapport aux entreprises de la troisième catégorie, étant donné que leur situation n'a pas été la même.

- Appréciation du Tribunal

149.
    Il convient d'observer que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en disposant que la Commission peut infliger des amendes d'un montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, exige que l'amende qui sera finalement imposée à une entreprise soit réduite au cas où son montant dépasse 10 % de son chiffre d'affaires, indépendamment des opérations de calcul intermédiaires destinées à prendre en compte la gravité et la durée de l'infraction.

150.
    Par conséquent, l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'interdit pas à la Commission de se référer, au cours de son calcul, à un montant intermédiaire dépassant 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, pour autant que le montant de l'amende finalement imposée à cette entreprise ne dépasse pas cette limite maximale.

151.
    Il s'ensuit, contrairement à ce que la requérante soutient, que la Commission, dans la détermination du montant de l'amende à infliger à une entreprise en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, peut fixer un point de départ supérieur à 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée.

152.
    Dès lors, le point de départ spécifique de la troisième catégorie n'étant pas illégalement élevé, la requérante ne saurait s'en prévaloir pour prétendre que son propre point de départ spécifique, pour autant qu'il ait été fixé en fonction de celui de la troisième catégorie, ce qui n'a pas été démontré, serait lui-même trop élevé.

153.
    Ensuite, il y a lieu d'observer que la Commission, afin de tenir compte de la disparité dans la taille des entreprises ayant pris part à l'infraction, a divisé les entreprises en quatre catégories selon leur importance dans le marché de la Communauté, sous réserve d'ajustements destinés à tenir compte de la nécessité d'assurer une dissuasion effective (considérant 166, deuxième à quatrième alinéas, de la décision). Il ressort des considérants 168 à 183 de la décision que les quatre catégories se sont vu imposer, dans l'ordre d'importance, pour le calcul du montant des amendes, des points de départ spécifiques de 20, 10, 5 et 1 millions d'écus.

154.
    En ce qui concerne la relation de cinq à un existant entre le point de départ spécifique utilisé pour les entreprises de la troisième catégorie (5 millions d'écus) et celui utilisé dans le cas de la requérante (1 million d'écus), il convient de relever que cette dernière reconnaît, dans sa requête, qu'une telle différenciation reflète d'une manière adéquate l'importance différente des entreprises concernées sur le marché, leurs différents poids spécifiques et, par conséquent, la différence entre les effets concrets de leur comportement infractionnel.

155.
    Dans ce contexte, la circonstance selon laquelle, pour les entreprises de la troisième catégorie, le point de départ spécifique a abouti à des montants qui devaient être réduits, pour prendre en considération la limite de 10 % du chiffre d'affaires prévue par l'article 15 du règlement n° 17, tandis que, pour les entreprises de laquatrième catégorie, une telle réduction n'a pas été nécessaire, ne saurait être considérée comme une discrimination. En effet, cette différence de traitement est la conséquence directe de la limite maximale imposée aux amendes par le règlement n° 17, dont la légalité n'a pas été mise en cause et qui ne s'applique, à l'évidence, que dans les cas où le montant de l'amende envisagé aurait dépassé 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée.

156.
    À cet égard, la requérante se réfère en vain au fait que le montant de l'amende finalement imposée à une entreprise de la troisième catégorie telle que Pan-Isovit a été réduit à 19 % du montant résultant du calcul du montant de base et de la prise en compte des circonstances aggravantes, alors qu'elle-même se serait finalement vu imposer une amende qui représente 70 % du montant résultant des mêmes opérations. En effet, cette circonstance est, là encore, le résultat du fait que les entreprises de la troisième catégorie ont bénéficié d'une réduction de leur amende étant donné qu'il a fallu appliquer, à leur cas, la limite maximale prévue par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, qui n'a pas dû s'appliquer au cas de la requérante.

157.
    Le grief tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement dans la fixation des points de départ spécifiques doit donc également être rejeté.

Sur la violation du principe d'égalité de traitement vu le défaut de prise en compte de certaines circonstances atténuantes

- Arguments des parties

158.
    La requérante soutient qu'elle a été discriminée dans la mesure où la Commission n'a pas considéré comme circonstance atténuante pour le calcul de l'amende le fait qu'elle a participé uniquement à la coopération en Allemagne. En ce qui concerne KE KELIT et Sigma, au contraire, la Commission aurait réduit l'amende de deux tiers parce que ces deux entreprises n'opéraient que sur certains marchés nationaux. Même si on considérait que la participation à l'entente de la requérante et celle de KE KELIT et de Sigma présentent des différences essentielles, il y aurait toutefois une violation du principe d'égalité de traitement au regard des autres principaux participants à l'entente dans la mesure où l'amende qui a été infligée à la requérante a fait l'objet d'une pondération identique en fonction de la gravité de l'infraction, nonobstant le fait que sa participation ne concernait pas l'ensemble du marché commun.

159.
    Par ailleurs, la requérante aurait dû bénéficier d'une réduction de l'amende pour ne pas avoir participé au boycottage de Powerpipe. Pour cette raison, KWH se serait vu octroyer une réduction de 20 %, bien que cette entreprise ait été membre du club des directeurs.

160.
    La défenderesse fait observer que la situation de la requérante n'était pas comparable à celle de KE KELIT et de Sigma, pour lesquelles l'amende a étéréduite tant en raison de leur rôle mineur dans l'entente que du fait que leur participation s'est limitée à l'Autriche et à l'Italie. Les «principaux participants» auxquels la requérante entendrait encore se comparer ne seraient pas suffisamment identifiés et ne pourraient correspondre, de toute façon, à KWH. Vu la gravité de l'entente, le point de départ d'un million d'écus fixé pour la requérante aurait constitué en effet le point de départ spécifique minimal.

161.
    En ce qui concerne le boycottage de Powerpipe, la position de la requérante ne serait pas comparable non plus à celle de KWH, étant donné que la requérante n'aurait fait preuve d'aucune désobéissance à l'égard de l'accord du 24 mars 1995.

- Appréciation du Tribunal

162.
    Il y a lieu d'observer que le traitement différent de la requérante par rapport aux autres entreprises concernées par la décision, résultant du fait qu'aucune circonstance atténuante n'a été retenue dans son cas, est entièrement justifié par la situation différente dans laquelle elle se trouvait.

163.
    En premier lieu, la requérante ne saurait s'appuyer sur le fait qu'elle a participé à l'entente uniquement sur le marché allemand pour affirmer avoir été discriminée par rapport aux entreprises classées dans la quatrième catégorie.

164.
    Au regard des situations de KE KELIT et de Sigma, il est manifeste que la requérante ne se trouvait pas dans une situation comparable. En effet, pour ces deux entreprises, le montant de l'amende a été réduit de deux tiers en raison de leur rôle mineur dans l'infraction et de leur participation à l'entente limitée à l'Autriche et à l'Italie, deux marchés relativement restreints dans le secteur du chauffage urbain (considérant 182, sixième alinéa, de la décision). Il s'ensuit que la réduction accordée à ces deux entreprises s'appuyait non seulement sur leur participation à l'entente limitée à leur marché national, mais aussi sur l'importance mineure des marchés autrichien et italien par rapport au marché allemand et sur le «rôle mineur» joué par KE KELIT et par Sigma par rapport à celui de la requérante. Quant au rôle joué dans l'entente, il convient de rappeler que, contrairement à ces dernières entreprises, la requérante a pris part à la réunion du 24 mars 1995 à Düsseldorf, lors de laquelle un boycottage de Powerpipe a été décidé.

165.
    En ce qui concerne KWH, il n'est pas contesté que celle-ci n'a été active que dans les groupes de contact pour les marchés danois, suédois et finlandais et que ces marchés représentaient ensemble un volume inférieur à celui représenté par le marché allemand, sur lequel opérait la requérante. De plus, il n'est pas contesté que le groupe de contact sur le marché allemand a mis en place le système de soumissions concertées le plus développé.

166.
    En deuxième lieu, la requérante ne saurait invoquer le fait qu'elle a participé à l'entente seulement sur le marché allemand pour contester l'application, dans la détermination du montant de l'amende qui lui a été infligée, d'une même méthode de calcul que celle appliquée aux autres participants à l'entente.

167.
    En effet, il ressort du considérant 166, quatrième alinéa, de la décision que les entreprises ont été divisées en quatre catégories selon leur importance relative sur le marché commun. Dans ce cadre, la requérante s'est vu classer dans la catégorie des entreprises dont la position sur le marché était, relativement, la moins importante et pour lesquelles le point de départ spécifique a été fixé à un million d'écus (considérant 181, premier et deuxième alinéas, de la décision). En revanche, pour toutes les entreprises actives sur plusieurs marchés nationaux, autres que celles de la quatrième catégorie, un point de départ spécifique supérieur a été retenu pour le calcul du montant des amendes.

168.
    Dans ces circonstances, la requérante ne saurait invoquer une discrimination par rapport aux entreprises actives sur plusieurs marchés nationaux et classées dans d'autres catégories.

169.
    En troisième lieu, la requérante ne peut invoquer l'application d'une quelconque réduction de l'amende en raison de sa non-participation au boycottage de Powerpipe. En effet, il a été jugé, aux points 57 et 66 ci-dessus, que la requérante a participé à l'accord visant au boycottage de Powerpipe.

170.
    À cet égard, la requérante ne saurait réclamer la même réduction accordée à ce sujet à KWH, étant donné que cette dernière a fait preuve de désobéissance à l'égard de l'accord adopté le 24 mars 1995, assumant, de telle façon, le risque de conflits et de pressions qu'une telle désobéissance entraîne. Le fait que KWH a été membre du club des directeurs ne saurait modifier cette conclusion.

171.
    Il s'ensuit que le grief doit être écarté.

Sur la prétendue erreur d'appréciation en ce qui concerne les circonstances aggravantes

- Arguments des parties

172.
    La requérante conteste la qualification par la Commission, comme circonstance aggravante conduisant à une majoration de l'amende de 20 %, du caractère délibéré de la poursuite de l'infraction. Vu le fait que la requérante n'a reçu aucun avertissement et que la Commission n'a effectué aucune vérification chez elle, il ne pourrait être question d'une poursuite délibérée de l'infraction après la découverte de celle-ci.

173.
    En ce qui concerne les autres destinataires de la décision, la Commission se serait toujours appuyée, pour considérer la poursuite de l'infraction comme unecirconstance aggravante, sur le fait que des vérifications avaient été effectuées dans leurs locaux ou, dans le cas d'ABB, sur le fait que celle-ci avait encore été individuellement avertie). La Commission aurait dû tenir compte de ce qu'elle-même n'a pas été avertie d'une telle manière.

174.
    La défenderesse soutient que la majoration du montant de l'amende a été appliquée parce que les entreprises en cause avaient poursuivi leurs activités collusoires manifestement illégales, alors qu'elles savaient que la Commission les avait découvertes, ce qui a été le cas pour la requérante.

- Appréciation du Tribunal

175.
    Il y a lieu d'observer que, afin d'apprécier la question de la poursuite délibérée de l'entente en tant que circonstance aggravante, il doit être vérifié si la requérante a continué l'infraction en sachant que celle-ci faisait l'objet d'une enquête par la Commission.

176.
    En effet, il s'avère qu'une majoration de 20 % du montant de l'amende a été imposée, tant à Tarco, Dansk Rørindustri, Henss/Isoplus et Pan-Isovit, pour «la poursuite délibérée d'une infraction aussi manifeste encore après l'enquête» (considérant 179, premier alinéa, de la décision), qu'à la requérante et aux autres entreprises de la quatrième catégorie, en raison du «caractère délibéré, en commun avec les autres participants, de la poursuite de cette infraction manifeste» (considérant 182, premier alinéa, de la décision). Dans le tableau explicatif produit par la Commission en réponse à une question posée par le Tribunal au cours de la présente procédure, il a été confirmé que la majoration de 20 % a été effectuée en raison d'une circonstance aggravante identique, à savoir la «poursuite de l'infraction après l'enquête».

177.
    Il s'ensuit que la majoration du montant de l'amende de 20 % a été appliquée lorsqu'une entreprise a poursuivi sa participation aux activités collusoires en sachant que la Commission les avait découvertes, indépendamment de la question de savoir si l'entreprise en cause a fait elle-même l'objet d'une vérification ou d'un avertissement exprès.

178.
    Or, la requérante ne conteste pas que, lors de sa présence à la réunion du 25 mars 1996 à Zurich, elle savait que l'entente avait été découverte.

179.
    Il ne saurait être soutenu, d'ailleurs, qu'elle n'en était pas consciente, étant donné qu'elle a reconnu sa participation à une série de réunions du groupe de contact allemand qui, à partir de septembre 1995, ont toutes été organisées à Zurich. Or, il ressort de la réponse complémentaire d'ABB du 13 août 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996 qu'en juillet 1995, lors de la discussion sur les implications des vérifications de la Commission, une décision a été prise d'organiser les réunions du club des directeurs ainsi que la plupart des réunions des groupesde contact à l'extérieur de l'Union européenne. Étant donné que, auparavant, les réunions du groupe de contact allemand s'étaient tenues en Allemagne, la requérante a dû être consciente des événements qui ont causé cette modification.

180.
    De plus, la requérante, en affirmant, dans sa réplique, que les entreprises ayant fait l'objet d'une vérification ont été averties dans une mesure plus importante qu'en ce qui la concerne, reconnaît, de manière implicite, que, sans avoir reçu un avertissement direct de la part de la Commission concernant le déroulement d'une enquête, elle en a été tout de même «avertie».

181.
    Dès lors, la Commission était en droit de prendre en compte, en tant que circonstance aggravante, le fait que la requérante a poursuivi sa participation à l'infraction après avoir eu connaissance de la découverte de celle-ci. Le grief doit donc être rejeté.

Sur l'application erronée de la communication sur la coopération

- Arguments des parties

182.
    Selon la requérante, la réduction de 30 % que la Commission lui a accordée en récompense de sa coopération est insuffisante au regard de la communication sur la coopération. Il aurait fallu apprécier le fait qu'elle a renseigné la Commission à titre volontaire, étant donné qu'elle n'a pas fait l'objet de vérifications qui auraient permis de découvrir des preuves à sa charge.

183.
    En effet, une coopération semblable aurait rapporté, dans la décision Carton, une réduction de deux tiers de l'amende et une simple non-contestation de l'essentiel des faits aurait rapporté une réduction d'un tiers de l'amende. Dans la décision 98/247/CECA de la Commission, du 21 janvier 1998, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA (IV/35.814 - Extra d'alliage) (JO L 100, p. 55), une coopération d'importance semblable à la sienne aurait entraîné une réduction de 40 %. Du point de vue du principe de confiance légitime, la coopération de la requérante exigerait que l'amende soit réduite de 50 %.

184.
    La défenderesse fait observer qu'une réduction pour une coopération ne se justifie que lorsque le comportement de l'entreprise a permis à la Commission d'établir plus facilement l'existence d'une infraction. Même si la communication sur la coopération prévoit, dans son point D, que l'amende peut être minorée de 10 à 50 % si, avant l'envoi d'une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des éléments de preuve qui contribuent à confirmer l'existence de l'infraction commise, il ressortirait de la décision que, en l'absence de coopération antérieure à la demande de renseignements de la Commission, le taux maximal de 50 % n'a pas été appliqué dans cette affaire. Or, la requérante n'aurait pas cherché à devancer la demande de renseignements, bien qu'elle ait été au courant des vérifications effectuées dans les autres entreprises et n'ait pu exclure que ladocumentation trouvée dans ces entreprises contiendrait des éléments compromettants pour elle.

185.
    Quant aux décisions antérieures mentionnées par la requérante, la défenderesse fait remarquer qu'elle n'a pas l'obligation d'apprécier la coopération dans une affaire donnée de la même façon que dans une affaire précédente. De plus, les cas mentionnés ne pourraient pas être comparés à la situation de la requérante.

- Appréciation du Tribunal

186.
    Il y a lieu d'observer que, selon une jurisprudence constante, une réduction du montant de l'amende au titre d'une coopération au cours de la procédure administrative n'est justifiée que si le comportement de l'entreprise incriminée a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C-297/98 P, Rec. p. I-10101, point 36; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T-13/89, Rec. p. II-1021, point 393; du 14 mai 1998, Gruber + Weber/Commission, T-310/94, Rec. p. II-1043, point 271, et BPB de Eendracht/Commission, T-311/94, Rec. p. II-1129).

187.
    Dans sa communication sur la coopération, la Commission a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l'amende ou bénéficier d'une réduction du montant de l'amende qu'elles auraient autrement dû acquitter (voir point A 3 de la communication sur la coopération).

188.
    Il n'est pas contesté que le cas de la requérante ne tombe pas dans le champ d'application du point B de ladite communication, visant le cas où une entreprise a dénoncé une entente secrète à la Commission avant que celle-ci n'ait procédé à une vérification (cas pouvant amener à une réduction d'au moins 75 % du montant de l'amende), ni dans celui du point C de cette communication, concernant une entreprise qui a dénoncé une entente secrète après que la Commission a procédé à une vérification sans que cette dernière ait pu donner une base suffisante pour justifier l'engagement de la procédure en vue de l'adoption d'une décision (cas pouvant amener à une réduction de 50 à 75 % du montant de l'amende).

189.
    En ce qui concerne le point D de la communication sur la coopération, il y a lieu de relever que, aux termes de cette disposition, «[l]orsqu'une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d'une réduction de 10 à 50 % de l'amende qui lui aurait été infligée en l'absence de coopération». Cette communication précise:

«Tel peut notamment être le cas si:

-    avant l'envoi d'une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d'autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l'existence de l'infraction commise,

-    après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu'elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations.»

190.
    Force est de constater que la requérante n'a pas démontré que la Commission, ayant reconnu qu'elle a communiqué des renseignements importants et qu'elle n'a pas contesté les allégations formulées à son encontre (considérant 183, premier alinéa, de la décision), aurait dû lui accorder une réduction supérieure à celle de 30 % dont elle a bénéficié.

191.
    Il convient d'indiquer que, dans la partie de la décision concernant les amendes infligées à chaque entreprise, la Commission a noté, en ce qui concerne la coopération offerte par ABB, qu'il a fallu attendre, pour que cette dernière coopère, l'envoi des demandes de renseignements détaillées , et que, par conséquent, cette entreprise ne saurait bénéficier d'un taux de réduction de 50 %, admissible en vertu du point D (considérant 174, troisième et quatrième alinéas de la décision). Cette précision, quoique non répétée au sujet de la requérante dans la décision, démontre que la Commission n'était pas prête à accorder une réduction du montant de l'amende de 50 % à une entreprise qui ne lui avait pas communiqué des informations avant la réception d'une demande de renseignements.

192.
    Or, il est constant que la requérante n'a communiqué des documents à la Commission qu'après avoir reçu de celle-ci une telle demande de renseignements.

193.
    Quant à la comparaison du cas d'espèce avec la pratique antérieure de la Commission, il convient d'observer que le seul fait que la Commission ait accordé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, un certain taux de réduction pour un comportement déterminé n'implique pas qu'elle est tenue d'accorder la même réduction proportionnelle lors de l'appréciation d'un comportement similaire dans le cadre d'une procédure administrative ultérieure (voir, en ce qui concerne une circonstance atténuante, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347/94, Rec. p. II-1751, point 368, et Fiskeby Board/Commission, T-319/94, Rec. p. II-1331, point 82).

194.
    Dans ces circonstances, la Commission n'a commis aucune erreur de droit ou de fait en ce qui concerne l'appréciation de la coopération de la requérante à l'enquête. Partant, le grief ne peut être accueilli.

Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation de la détermination du montant de l'amende

Arguments des parties

195.
    La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision en ce qui concerne la fixation de l'amende. Son cas présenterait certaines particularités qui ne sont pas mentionnées dans les motifs.

196.
    D'abord, la Commission n'aurait pas expliqué comment elle a répercuté sur le calcul du montant de l'amende le fait que la requérante a participé à l'infraction uniquement pour défendre sa position sur le marché contre les attaques d'une entente qui existait depuis longtemps au moment de son adhésion à celle-ci. De 1991 à 1994, la requérante se serait efforcée d'assurer sa propre production de conduites rigides, tentative qui a finalement échoué en raison de la concurrence ruineuse sur les prix des produits, débutée en 1993 sur le marché allemand. La Commission n'aurait pas pris en considération le fait que jusqu'en 1990 et à partir du milieu de 1994 la requérante a dû se fournir auprès d'un des membres de l'entente et que, de ce fait, elle-même a été lésée pendant ces périodes par des prix artificiellement augmentés.

197.
    Ensuite, la Commission n'aurait pas donné les raisons pour lesquelles la circonstance selon laquelle sa participation à l'entente se limitait au marché allemand n'a pas été prise en considération, bien que, pour KE KELIT et Sigma, la limitation de leur participation à leur marché national a été prise en compte en tant que circonstance atténuante.

198.
    Enfin, la Commission aurait violé son obligation de motivation quant à l'augmentation du niveau de l'amende par rapport à sa pratique antérieure. En effet, la décision ne contiendrait pas d'explication permettant de comprendre les particularités du présent cas qui auraient justifié une augmentation du montant de l'amende allant jusqu'à 22 % du chiffre d'affaires relatif au produit concerné. À cet égard, lorsque la Commission a infligé, dans sa décision Carton, des amendes d'un niveau plus élevé par rapport à la pratique existante à l'époque, le Tribunal aurait examiné, dans l'arrêt du 14 mai 1998, Cascades/Commission (T-308/94, Rec. p. II-925), si les motifs indiqués dans la décision Carton justifiaient cette augmentation du niveau des amendes.

199.
    La défenderesse soutient que, sur tous ces points, elle a rempli son obligation de motivation.

200.
    À l'égard de l'affirmation selon laquelle la requérante aurait été lésée elle-même par l'entente, la Commission estime que la décision, ayant déclaré ne pas reconnaître l'existence de circonstances atténuantes dans le cas de la requérante, a rendu possible, par cette motivation, une défense correcte de la requérante devant le Tribunal.

201.
    En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la décision n'a pas pris en compte le fait que l'activité de la requérante se limitait au marché allemand, la défenderesserenvoie aux arguments invoqués dans le cadre du grief tiré du défaut de prise en compte de certaines circonstances atténuantes.

202.
    Enfin, quant au niveau de l'amende, la motivation de la décision suffirait en elle-même. La décision ayant pleinement justifié le choix de ce niveau, une motivation particulière se référant au niveau des amendes choisi dans les décisions antérieures aurait été sans pertinence, notamment en ce qui concerne la décision Carton. En outre, premièrement, cette dernière décision n'aurait pas encore appliqué les lignes directrices et, deuxièmement, les faits en cause dans cette dernière décision divergeraient en plusieurs éléments de la présente affaire.

Appréciation du Tribunal

203.
    Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 63).

204.
    Pour ce qui est d'une décision infligeant des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être, notamment, déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

205.
    En l'espèce, la Commission, dans sa décision, expose d'abord ses constatations générales concernant la gravité de l'infraction en question ainsi que les éléments particuliers de l'entente sur lesquels elle s'est basée pour conclure que, dans le présent cas, il s'agit d'une infraction très grave pour laquelle l'amende normalement imposable est d'au moins 20 millions d'écus (considérants 164 et 165 de la décision). Ensuite, elle explique que ce montant doit être modulé en tenant compte de la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important à la concurrence et de la nécessité d'assurer un caractère suffisammentdissuasif à l'amende (considérant 166 de la décision). Puis, la Commission indique qu'elle a tenu compte, dans la détermination du montant de l'amende, des éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes ainsi que de la position de chaque entreprise au regard de la communication sur la coopération (considérant 167 de la décision).

206.
    En ce qui concerne l'amende à infliger à la requérante, la Commission explique ensuite, que, tant pour la requérante que pour KWH, KE KELIT et Sigma, le montant des amendes doit être modulé en fonction des effets produits par leur comportement et en fonction de leur taille par rapport à ABB (considérant 181, premier alinéa, de la décision). Selon la Commission, la gravité de l'infraction justifie que le point de départ spécifique pour le calcul du montant des amendes ne soit pas inférieur à un million d'écus (considérant 181, deuxième alinéa, de la décision). Ensuite, la Commission expose la pondération des amendes à infliger à chacune des quatre entreprises mentionnées, en fonction de la durée de l'infraction (considérant 181, troisième et quatrième alinéas, de la décision).

207.
    Puis, la Commission indique, en ce qui concerne les circonstances aggravantes et atténuantes, qu'elle a tenu compte du caractère délibéré de la poursuite de l'infraction pour majorer le montant des amendes de 20 % et que, pour la requérante, aucune circonstance atténuante ne saurait être retenue (considérant 182, premier et deuxième alinéas, de la décision). Enfin, la Commission expose qu'en vertu de la communication sur la coopération la requérante et KWH se voient accorder une minoration de 30 %, parce qu'elles lui ont communiqué des renseignements importants et qu'elles n'ont pas contesté les allégations formulées contre elles (considérant 183, premier alinéa, de la décision).

208.
    Il y a lieu de considérer que, interprétés à la lumière des éléments factuels exposés dans la décision à l'égard de chaque destinataire de celle-ci, les considérants 164 à 167 et 181 à 183 contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par la requérante (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Koninklijke KNP/Commission, C-248/98 P, Rec. p. I-9641, point 42).

209.
    Dans ces circonstances, la requérante ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir motivé son calcul du montant de l'amende par rapport aux affirmations selon lesquelles elle a été elle-même victime de l'entente en cause et n'a opéré que sur le marché allemand.

210.
    En effet, si la Commission est tenue, en vertu de l'article 190 du traité, de motiver ses décisions en mentionnant les éléments de fait dont dépend la justification de la décision et les considérations qui l'ont amenée à prendre celle-ci, cette disposition n'exige pas que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative (arrêtsMichelin/Commission, précité, points 14 et 15, et Fiskeby Board/Commission, précité, point 127).

211.
    En tout état de cause, il ressort du considérant 17 de la décision que la Commission a tenu compte du fait que la requérante a dû s'approvisionner, à partir de la fin de 1994, auprès de Dansk Rørindustri.

212.
    De même, en ce qui concerne la prétendue discrimination de la requérante par rapport à KE KELIT et à Sigma, il ressort de la motivation concernant la réduction du montant de l'amende accordée à ces deux entreprises que la Commission s'est appuyée sur l'importance mineure des marchés autrichien et italien par rapport au marché allemand ainsi que sur le rôle mineur joué par ces entreprises (considérant 182, sixième alinéa, de la décision).

213.
    Ensuite, la Commission a suffisamment motivé sa décision en ce qui concerne le niveau de l'amende infligée à la requérante.

214.
    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux considérants 164, 165 et 181 de la décision, la Commission a expliqué pour quelles raisons il s'agissait, en l'espèce, d'une infraction d'une gravité telle que l'amende normalement à infliger devait être d'au moins 20 millions d'écus et que, en ce qui concerne la requérante, le point de départ spécifique pour le calcul du montant de son amende ne devait pas être inférieur à un million d'écus.

215.
    À supposer même que, en ce qui concerne le niveau de l'amende, la décision matérialise une augmentation sensible de ce niveau par rapport aux décisions précédentes, la Commission a développé le raisonnement l'amenant à fixer à un tel niveau le montant de l'amende de la requérante d'une manière tout à fait explicite (voir arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec. p. 1491, point 31).

216.
    Il découle de ce qui précède que le moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation doit être rejeté.

217.
    Le recours doit, par conséquent, être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

218.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante est condamnée aux dépens.

Mengozzi

Tiili
Moura Ramos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 mars 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Mengozzi

Table des matières

     Faits à l'origine du litige

II - 2

     Procédure et conclusions des parties

II - 6

     Sur le fond

II - 7

             Sur le premier moyen, tiré d'erreurs de fait dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité

II - 7

                 Sur la durée de l'infraction reprochée à la requérante

II - 7

                     - Arguments des parties

II - 7

                     - Appréciation du Tribunal

II - 8

                 Sur la participation aux mesures concertées contre Powerpipe

II - 11

                     - Arguments des parties

II - 11

                     - Appréciation du Tribunal

II - 12

                 Sur la participation de la requérante à une entente à l'échelle communautaire

II - 15

                     - Arguments des parties

II - 15

                     - Appréciation du Tribunal

II - 16

             Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation des droits de la défense

II - 17

                 Arguments des parties

II - 17

                 Appréciation du Tribunal

II - 17

             Sur le troisième moyen, tiré de la violation de principes généraux et d'erreurs de fait dans la détermination du montant de l'amende

II - 20

                 Sur la violation du principe de non-rétroactivité

II - 21

                     - Arguments des parties

II - 21

                     - Appréciation du Tribunal

II - 22

                 Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

II - 27

                     - Arguments des parties

II - 27

                     - Appréciation du Tribunal

II - 28

                 Sur la violation du principe d'égalité de traitement dans la fixation des montants de base

II - 30

                     - Arguments des parties

II - 30

                     - Appréciation du Tribunal

II - 30

                 Sur la violation du principe d'égalité de traitement vu le défaut de prise en compte de certaines circonstances atténuantes

II - 32

                     - Arguments des parties

II - 32

                     - Appréciation du Tribunal

II - 33

                 Sur la prétendue erreur d'appréciation en ce qui concerne les circonstances aggravantes

II - 34

                     - Arguments des parties

II - 34

                     - Appréciation du Tribunal

II - 35

                 Sur l'application erronée de la communication sur la coopération

II - 36

                     - Arguments des parties

II - 36

                     - Appréciation du Tribunal

II - 37

             Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation de la détermination du montant de l'amende

II - 38

                 Arguments des parties

II - 38

                 Appréciation du Tribunal

II - 40

     Sur les dépens

II - 42


1: Langue de procédure: l'allemand.