Language of document : ECLI:EU:T:2002:70

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

20 mars 2002 (1)

«Concurrence - Entente - Conduites de chauffage urbain - Article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) - Boycottage - Amende - Lignes directrices pour le calcul des amendes - Exception d'illégalité - Non-rétroactivité -

Droits de la défense - Communication sur la coopération»

Dans l'affaire T-9/99,

HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG, établie à Rosenheim (Allemagne),

HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH, Verwaltungsgesellschaft, établie à Rosenheim,

Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH, établie à Rosenheim,

Isoplus Fernwärmetechnik Gesellschaft mbH, établie à Hohenberg (Autriche),

Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, établie à Sondershausen (Allemagne),

représentées par Mes P. Krömer et F. Nusterer, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. W. Mölls et É. Gippini Fournier, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d'annulation de la décision 1999/60/CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 - Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1), ou, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l'amende infligée par cette décision aux requérantes,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. P. Mengozzi, président, Mme V. Tiili et M. R. M. Moura Ramos, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 20 octobre 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Les requérantes sont des sociétés de droits allemand et autrichien opérant dans le secteur du chauffage urbain et sont considérées, par la Commission, comme relevant du «groupe Henss/Isoplus».

2.
    Dans les systèmes de chauffage urbain, l'eau chauffée dans un site central est acheminée, par des conduites souterraines, vers les locaux à chauffer. Étant donné que la température de l'eau (ou de la vapeur) transportée est très élevée, les conduites doivent être calorifugées pour assurer une distribution économique et sans risque. Les conduites utilisées sont précalorifugées et, à cette fin, sont généralement constituées d'un tube d'acier enveloppé d'un tube de plastique, avec une couche de mousse isolante entre les deux .

3.
    Les conduites de chauffage urbain font l'objet d'un commerce important entre les États membres. Les plus grands marchés nationaux de l'Union européenne sont l'Allemagne, avec 40 % de la consommation communautaire, et le Danemark, avec 20 % . Avec 50 % de la capacité de fabrication de l'Union européenne, le Danemark est le principal centre de production de l'Union qui approvisionne tous les États membres où est utilisé le chauffage urbain.

4.
    Par une plainte datée du 18 janvier 1995, l'entreprise suédoise Powerpipe AB a signalé à la Commission que les autres fabricants et fournisseurs de conduites de chauffage urbain s'étaient réparti le marché européen dans le cadre d'une entente et qu'ils avaient pris des mesures concertées pour nuire à son activité, ou confiner cette activité au marché suédois, ou encore l'évincer purement et simplement du secteur.

5.
    Le 28 juin 1995, agissant en vertu d'une décision de la Commission du 12 juin 1995, des fonctionnaires de cette dernière et des représentants des autorités de la concurrence des États membres concernés ont procédé, simultanément et sans préavis, à des vérifications dans dix entreprises ou associations présentes dans le secteur du chauffage urbain, y inclus certains établissements appartenant aux requérantes.

6.
    Ensuite, la Commission a adressé des demandes de renseignements à la plupart des entreprises concernées par les faits litigieux, en vertu de l'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204).

7.
    Le 20 mars 1997, la Commission a adressé une communication des griefs à certaines des requérantes et aux autres entreprises concernées. Ensuite, une audition des entreprises concernées a eu lieu les 24 et 25 novembre 1997.

8.
    Le 21 octobre 1998, la Commission a adopté la décision 1999/60/CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 - Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision du 6 novembre 1998 [C(1998) 3415 final] (ci-après la «décision» ou la «décision attaquée») constatant la participation de diverses entreprises, et notamment de certaines des requérantes, à un ensemble d'accords et de pratiquesconcertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) (ci-après l'«entente»).

9.
    Selon la décision, un accord a été conclu, à la fin de l'année 1990, entre les quatre producteurs de conduites de chauffage urbain danois sur le principe d'une coopération générale sur leur marché national. Cet accord aurait réuni ABB IC Møller A/S, la filiale danoise du groupe helvético-suédois ABB Asea Brown Boveri Ltd (ci-après «ABB»), Dansk Rørindustri A/S, aussi connue sous le nom de Starpipe (ci-après «Dansk Rørindustri»), Løgstør Rør A/S (ci-après «Løgstør») et Tarco Energi A/S (ci-après «Tarco»)(ci-après, les quatre pris ensemble, les «producteurs danois»). L'une des premières mesures aurait consisté à coordonner une augmentation des prix tant pour le marché danois que pour les marchés à l'exportation. Aux fins de partager le marché danois, des quotas auraient été fixés puis appliqués et contrôlés par un «groupe de contact» réunissant les responsables des ventes des entreprises concernées. Pour chaque projet commercial (ci-après un «projet»), l'entreprise à laquelle le groupe de contact avait attribué le projet aurait informé les autres participants du prix qu'elle avait l'intention de proposer et ces derniers auraient alors fait une offre plus élevée de façon à protéger le fournisseur désigné par l'entente.

10.
    Selon la décision, deux producteurs allemands, le groupe Henss/Isoplus et Pan-Isovit GmbH, se sont joints, à partir de l'automne de 1991, aux réunions régulières des producteurs danois. Dans le cadre de ces réunions se seraient tenues des négociations en vue de la répartition du marché allemand. Celles-ci auraient abouti, en août 1993, à des accords fixant des quotas de vente pour chaque entreprise participante.

11.
    Toujours selon la décision, il a été convenu d'un accord entre tous ces producteurs, en 1994, afin de fixer des quotas pour l'ensemble du marché européen. Cette entente européenne aurait comporté une structure à deux niveaux. Le «club des directeurs» réunissant les présidents ou des directeurs généraux des entreprises participant à l'entente, aurait attribué des quotas à chaque entreprise tant sur l'ensemble du marché que sur chacun des marchés nationaux, notamment l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas et la Suède. Pour certains marchés nationaux, un «groupe de contact» aurait été institué, composé de responsables locaux des ventes, qui se seraient vu confier la tâche de gérer les accords en attribuant les projets et en coordonnant les soumissions aux appels d'offres.

12.
    En ce qui concerne le marché allemand, la décision mentionne que, à la suite d'une réunion des six principaux producteurs européens (ABB, Dansk Rørindustri, le groupe Henss/Isoplus, Løgstør, Pan-Isovit et Tarco) et de Brugg Rohrsysteme GmbH (ci-après «Brugg») le 18 août 1994, une première réunion du groupe de contact pour l'Allemagne s'est tenue le 7 octobre 1994. Les réunions de ce groupe se seraient poursuivies longtemps après les vérifications de la Commission, à la fin de juin 1995, bien que, à partir de ce moment-là, elles se soient tenues à l'extérieurde l'Union européenne, à Zurich. Les réunions à Zurich se seraient poursuivies jusqu'au 25 mars 1996, soit quelques jours après que certaines de ces entreprises ont reçu les demandes de renseignements adressées par la Commission.

13.
    Comme élément de l'entente, la décision cite, notamment, l'adoption et la mise en oeuvre de mesures concertées visant à éliminer la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe. La Commission précise que certains participants à l'entente ont recruté des «salariés clés» de Powerpipe et ont fait comprendre à cette dernière qu'elle devait se retirer du marché allemand. À la suite de l'attribution à Powerpipe d'un important projet allemand, en mars 1995, une réunion se serait tenue à Düsseldorf, à laquelle auraient participé les six producteurs susvisés et Brugg. Selon la Commission, il a été décidé, lors de cette réunion, d'instituer un boycottage collectif des clients et des fournisseurs de Powerpipe. Ce boycottage aurait ensuite été mis en oeuvre.

14.
    Dans sa décision, la Commission expose les motifs pour lesquels non seulement l'arrangement exprès de partage des marchés conclu entre les producteurs danois à la fin de 1990, mais également les arrangements conclus à compter d'octobre 1991, visés ensemble, peuvent être considérés comme formant un «accord» prohibé par l'article 85, paragraphe 1, du traité. De plus, la Commission souligne que les ententes «danoise» et «européenne» ne constituaient que l'expression d'une seule entente qui a débuté au Danemark mais qui avait, dès le départ, l'objectif, à plus long terme, d'étendre le contrôle des participants à tout le marché. Selon la Commission, l'accord continu entre producteurs a eu un effet sensible sur le commerce entre États membres.

15.
    Pour ces motifs, la décision a pour dispositif:

«Article premier

ABB Asea Brown Boveri Ltd, Brugg Rohrsysteme GmbH, Dansk Rørindustri A/S, le groupe Henss/Isoplus, KE KELIT Kunststoffwerk GmbH, Oy KWH Tech AB, Løgstør Rør A/S, Pan-Isovit GmbH, Sigma Tecnologie di rivestimento S.r.L. et Tarco Energi A/S ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en participant, de la manière et dans la mesure indiquées dans la motivation à un ensemble d'accords et de pratiques concertées qui a été mis en place, vers novembre ou décembre 1990, entre les quatre producteurs danois, qui a ensuite été étendu à d'autres marchés nationaux, auquel se sont ralliées Pan-Isovit et Henss/Isoplus, et qui a fini par constituer, fin 1994, une entente générale couvrant l'ensemble du marché commun.

La durée de l'infraction était la suivante:

    [...]

-    dans le cas [du groupe] Henss/Isoplus: plus ou moins à partir d'octobre 1991,[ et au moins jusqu'en mars ou avril 1996],

    [...]

Les principales caractéristiques de l'entente étaient:

-    la répartition entre producteurs des différents marchés nationaux, puis de l'ensemble du marché européen, grâce à un système de quotas,

-    l'attribution de marchés nationaux à certains producteurs et l'organisation du retrait des autres producteurs,

-    la fixation des prix du produit et de chaque projet,

-    l'attribution de projets à des producteurs désignés à cet effet et la manipulation des procédures de soumission, afin que les marchés en question soient attribués à ces producteurs,

-    pour protéger l'entente de la concurrence de la seule entreprise importante à ne pas en faire partie, Powerpipe AB, l'adoption et la mise en oeuvre de mesures concertées visant à entraver son activité commerciale, à nuire à la bonne marche de ses affaires ou à l'évincer purement et simplement du marché.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l'article 1er, en raison de l'infraction constatée audit article:

[...]

d) groupe Henss/Isoplus, une amende de 4 950 000 écus, à laquelle sont solidairement tenues les entreprises suivantes:

-    HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG,

-    HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH Verwaltungsgesellschaft,

-    Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH (anciennement Dipl.-Kfm Walter Henss Gmbh Rosenheim),

-    Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, Sondershausen,

-    Isoplus Fernwärmetechnik Ges. mbH - stille Gesellschaft,

-    Isoplus Fernwärmetechnik Ges. mbH, Hohenberg;

[...]

Article 5

Sont destinataires de la présente décision:

[...]

d) groupe Henss/Isoplus, représenté par:

-    HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG, Aisingerstraße 12, D-83026 Rosenheim,

-    HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH Verwaltungsgesellschaft, Aisingerstraße 12, D-83026 Rosenheim,

-    Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, Aisingerstraße 12, D-83026 Rosenheim,

-    Isoplus Fernwärmetechnik Ges. mbH, Furthoferstraße 1A, A-3192 Hohenberg,

-    Isoplus Fernwärmetechnik Ges. mbH - stille Gesellschaft, Furthoferstraße 1A, A-3192 Hohenberg,

-    Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, Gluckaufstraße 34, D-99706 Sondershausen;

[...]»

16.
    La décision a été notifiée aux requérantes par lettre du 12 novembre 1998, reçue par celles-ci le lendemain.

Procédure et conclusions des parties

17.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 janvier 1999, les requérantes ont introduit le présent recours.

18.
    Sept des neuf autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-15/99, T-16/99, T-17/99, T-21/99, T-23/99, T-28/99 et T-31/99).

19.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 10 février 1999, les requérantes ont introduit une demande de sursis à l'exécution des articles 3, sous d), et 4 de la décision attaquée ainsi qu'une demande de suspension de l'exécution forcée des mêmes dispositions (affaire T-9/99 R). Par ordonnance du 9 juillet 1999, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé (HFB e.a./Commission, Rec. p. II-2429). Le pourvoi dirigé contre l'ordonnance du président du Tribunal a été rejeté par ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999 [HFB e.a./Commission, C-335/99 P(R), Rec. p. I-8705].

20.
    La procédure écrite s'est terminée le 30 septembre 1999.

21.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d'organisation de la procédure, a demandé aux parties de répondre à des questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

22.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 20 octobre 2000.

23.
    Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    à titre subsidiaire, réduire le montant de l'amende;

-    condamner la défenderesse aux dépens.

24.
    La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner les requérantes aux dépens.

Relations entre les entreprises considérées comme relevant du groupe Henss/Isoplus

25.
    Parmi les entreprises considérées par la Commission comme relevant du groupe Henss/Isoplus et engagées dans la présente procédure, HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG (ci-après «HFB KG») est une société en commandite de droit allemand, constituée le 15 janvier 1997. Son associé commandité, responsable indéfiniment et personnellement des dettes de la société, est HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbh, Verwaltungsgesellschaft (ci-après «HFB GmbH»), une société à responsabilité limitée, également constituée le 15 janvier 1997. Les associés commanditaires de HFB KG, responsables à concurrence d'un certain montant, sont M. et Mme Henss et M. et Mme Papsdorf. M. Henss est le commanditaire majoritaire de HFB KG et détient également la majorité des parts de HFB GmbH.

26.
    La requérante Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH (ci-après «Isoplus Rosenheim»), anciennement Dipl.-Kfm. Walter Henss GmbH (ci-après «Henss Rosenheim») avant le 1er janvier 1997, est une société de droit allemand. À la suite de l'apport à HFB KG des parts sociales que M. et Mme Henss détenaient dans Isoplus Rosenheim et des parts sociales que M. et Mme Papsdorf détenaient dans la société Dipl.-Kfm. Walter Henss Fernwärmerohrleitungsbau GmbH, Berlin (ci-après «Henss Berlin»), HFB KG détenait 100 % des parts de ces deux dernières sociétés et a procédé à l'absorption de Henss Berlin par Isoplus Rosenheim le 3 décembre 1997.

27.
    Isoplus Fernwärmetechnik Ges. mbH, Hohenberg (ci-après «Isoplus Hohenberg») est une société autrichienne dont M. Henss possède, par le biais d'un mandataire, la majorité des parts sociales.

28.
    Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, Sondershausen (ci-après «Isoplus Sondershausen») est une société allemande dont toutes les parts sont détenues, nominalement, par Isoplus Hohenberg, qui les détient, dans une certaine mesure, en qualité de mandataire pour le compte de tiers.

29.
    Il y a lieu de relever que, sur le marché du chauffage urbain, Isoplus Rosenheim agit principalement en tant que société de distribution. Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen sont des sociétés de production. Quant à HFB KG et HFB GmbH, celles-ci n'agissent qu'en tant que sociétés de participation.

30.
    Dans sa décision, la Commission a considéré les entreprises Isoplus Rosenheim, Henss Berlin, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen comme un groupe de fait «Henss/Isoplus». La Commission a envoyé la communication des griefs à ces quatre entreprises, ayant constaté qu'elles étaient toutes liées à M. Henss, qui avait assisté aux réunions du club des directeurs. Selon la décision, c'est uniquement après l'envoi de la communication des griefs que la Commission a pris connaissance de l'existence d'un contrat d'apport («Einbringungsvertrag») du 15 janvier 1997 inscrit au registre du commerce, qui a révélé qu'en janvier 1997 les époux Henss et Papsdorf avaient placé leurs participations dans HFB KG.

31.
    Par le même contrat d'apport, la Commission a appris que M. Henss était également propriétaire d'une société en participation, Isoplus Fernwärmetechnik Ges. mbH - Stille Gesellschaft (ci-après «Isoplus stille Gesellschaft»), dont les actions étaient détenues par un mandataire.

32.
    En ce qui concerne Isoplus Hohenberg, la Commission a appris par ledit contrat d'apport que M. Henss détenait une participation dans cette société par l'intermédiaire de mandataires, bien que les conseils des requérantes, au cours de la procédure administrative, aient nié cette circonstance. Lors de la présente procédure, il n'est plus contesté entre les parties que M. Henss a effectivement détenu la majorité du capital d'Isoplus Hohenberg.

33.
    En ce qui concerne la participation d'Isoplus Hohenberg dans Isoplus Sondershausen, la Commission a appris par le biais du contrat d'apport qu'un tiers du capital social d'Isoplus Sondershausen, qui était détenu par Isoplus Hohenberg en tant que mandataire pour M. et Mme Papsdorf, a été cédé à HFB KG. Dans la présente procédure, les requérantes affirment qu'un autre tiers du capital social d'Isoplus Sondershausen a également été détenu par Isoplus Hohenberg en tant que mandataire. Les requérantes admettent que cette information n'a pas été communiquée à la Commission lors de la procédure administrative.

Sur les demandes de mesures d'instruction

34.
    Conformément à l'article 68 du règlement de procédure du Tribunal, les requérantes demandent que MM. Boysen, B. Hansen, N. Hansen, Hybschmann, Jespersen et Volandt soient entendus en qualité de témoins «pour prouver que les requérantes ou le groupe Henss/Isoplus n'ont pas participé à une pratique/mesure illégale ou à un autre comportement similaire au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE avant octobre 1994». À ce sujet, les requérantes se déclarent prêtes à déposer une provision garantissant la couverture des frais taxés.

35.
    De plus, les requérantes demandent au Tribunal d'ordonner à la Commission de déposer l'ensemble du dossier d'instruction concernant la présente affaire, y compris les annexes ainsi que le rapport du conseiller auditeur concernant le présent dossier.

36.
    En premier lieu, le Tribunal rappelle que, selon l'article 68, paragraphe 1, de son règlement de procédure, il peut ordonner la vérification de certains faits par témoins soit d'office, soit à la demande des parties, les parties et l'avocat général entendus. Selon le dernier alinéa de la même disposition, la demande d'une partie tendant à l'audition d'un témoin indique avec précision les faits sur lesquels il y a lieu de l'entendre et les raisons de nature à justifier son audition.

37.
    En l'espèce, il s'avère que, bien que les requérantes aient cité dans leur mémoires, notamment aux points 20, 40, 50, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 94, 96, 125 et 142 de larequête, certaines personnes pouvant intervenir comme témoins en ce qui concerne les faits exposés dans chacun des points en question, les noms des six personnes dont le témoignage a été expressément demandé devant le Tribunal ne figurent pas à ces points. Le Tribunal constate dès lors que, pour ces six personnes, les requérantes ont omis de préciser d'une quelconque manière les faits sur lesquels la vérification par témoins devait être ordonnée.

38.
    Par conséquent, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'opportunité d'entendre les six personnes mentionnées, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la demande d'audition de témoins.

39.
    En second lieu, en ce qui concerne le dépôt du dossier d'instruction, le Tribunal relève que la Commission, au cours de la procédure contentieuse, a déposé, de sa propre initiative, par lettre du 26 juillet 1997, les dossiers administratifs dans toutes les affaires en cause. Les requérantes ont été informées de ce dépôt et du fait que les dossiers pouvaient être consultés au greffe. Dans ces circonstances, il n'est plus besoin de donner suite à la demande de dépôt du dossier faite par les requérantes.

40.
    Dans la mesure où les requérantes ont demandé le dépôt du rapport du conseiller auditeur, il convient d'observer que celui-ci constitue, en tout état de cause, un document purement interne à la Commission, qui n'a pour elle que valeur d'avis, et n'a pas pour objet de formuler des griefs nouveaux ou de fournir des éléments de preuve nouveaux à l'encontre des entreprises et ne présente donc aucun aspect décisif dont le juge communautaire ait à tenir compte pour exercer son contrôle (ordonnance de la Cour du 11 décembre 1986, ICI/Commission, 212/86 R, non publiée au Recueil, points 5 à 8; arrêts du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2/89, Rec. p. II-1087, points 53 et 54, et du 10 mars 1992, Hüls/Commission, T-9/89, Rec. p. II-499, points 86 et 87). Selon une jurisprudence constante, au cours de la procédure devant le juge communautaire, des documents internes de la Commission ne sont pas portés à la connaissance des parties requérantes, sauf si les circonstances exceptionnelles de l'espèce l'exigent, sur la base d'indices sérieux qu'il leur appartient de fournir (ordonnance de la Cour du 18 juin 1986, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 1899, point 11; arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, John Deere/Commission, T-35/92, Rec. p. II-957, point 31; ordonnance du Tribunal du 10 décembre 1997, NMH Stahlwerke e.a./Commission, T-134/94, T-136/94 à T-138/94, T-141/94, T-145/94, T-147/94, T-148/94, T-151/94, T-156/94 et T-157/94, Rec. p. II-2293, point 35). Cette restriction à l'accès aux documents internes est justifiée par la nécessité d'assurer le bon fonctionnement de l'institution concernée dans le domaine de la répression des infractions aux règles de la concurrence du traité (ordonnance NMH Stahlwerke e.a./Commission, précitée, point 36). Étant donné que les requérantes n'ont pas démontré en quoi la production du rapport du conseiller auditeur pourrait avoir un intérêt en ce qui concerne le respect des droits de la défense, il convient de rejeter la demande également dans la mesure où celle-ci vise le dépôt dudit rapport.

41.
    Pour ces raisons, le Tribunal n'entend pas donner suite à la demande de mesures d'instruction présentée par les requérantes.

Sur la demande d'annulation de la décision

42.
    Les moyens invoqués par les requérantes peuvent être rassemblés selon leur objet: premièrement, les moyens relatifs au groupe Henss/Isoplus; deuxièmement, les moyens relatifs à HFB KG et à HFB GmbH; troisièmement, les moyens relatifs à Isoplus stille Gesellschaft; quatrièmement, les moyens invoqués en ce qui concerne toutes les requérantes.

I - Sur les moyens relatifs au groupe Henss/Isoplus

43.
    En ce qui concerne le groupe Henss/Isoplus, les requérantes invoquent trois moyens tirés, premièrement, de l'application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité, deuxièmement, d'une violation de formes substantielles et, troisièmement, d'une violation de l'obligation de motivation.

A - Sur le premier moyen, tiré de l'application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité lors de l'identification des requérantes comme «relevant du groupe Henss/Isoplus»

1. Arguments des parties

44.
    Les requérantes affirment que la Commission a erronément appliqué l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où elle les a considérées comme relevant du groupe Henss/Isoplus, qui est condamné, pour avoir participé à une pratique anticoncurrentielle, au paiement d'une amende à laquelle toutes les requérantes sont solidairement tenues.

45.
    Selon les requérantes, une entreprise au sens des articles 85 du traité et 86 du traité CE (devenu article 82 CE) ne peut être constituée que par des personnes physiques ou morales ou par des sociétés qui doivent être traitées comme si elles étaient dotées d'une personnalité juridique propre (les personnes dites «quasi morales»). Or, le groupe Henss/Isoplus, présumé par la Commission, ne serait pas doté d'une personnalité ou quasi-personnalité juridique propre.

46.
    Faute d'une société mère ou d'une société financière dotées de la personnalité juridique, les requérantes ne pourraient pas non plus être considérées comme un groupe au sens du droit des sociétés, ni comme un «groupe de fait», comme la Commission le présume aux considérants 15 et 157 de la décision, au sens d'entreprises juridiquement autonomes dont le comportement économique peut être déterminé par une autre entreprise.

47.
    Quant aux sociétés financières HFB GmbH et HFB KG, les requérantes précisent, d'abord, que la première exerce exclusivement ses activités en tant qu'associé commandité de la seconde. Quant à la seconde, bien qu'elle ait détenu, au moment de l'adoption de la décision, 100 % du capital social d'Isoplus Rosenheim, elle ne détiendrait qu'un tiers du capital social d'Isoplus Sondershausen. De plus, elle n'aurait jamais été associée, même par l'entremise d'un mandataire, à Isoplus Hohenberg, contrairement à ce qui est dit au considérant 159 de la décision, et n'aurait pas davantage été un associé occulte, même par l'entremise d'un mandataire, d'une société en participation dont Isoplus Hohenberg était le «propriétaire d'exploitation».

48.
    En affirmant que les entreprises considérées comme relevant du groupe Henss/Isoplus étaient toutes soumises au même contrôle uniforme, exercé par M. Henss, la Commission méconnaîtrait le fait que M. Henss, bien qu'il eût été associé majoritaire dans Henss Rosenheim (actuellement Isoplus Rosenheim) et, par l'intermédiaire de sociétés de fiducie, associé majoritaire dans Isoplus Hohenberg, n'aurait pas été associé dans Henss Berlin ni dans Isoplus Sondershausen. De plus, M. Henss ne pourrait pas être qualifié, en qualité d'associé, d'entreprise au sens de l'article 85 du traité.

49.
    En ce qui concerne Isoplus Sondershausen, un contrôle de celle-ci par Isoplus Hohenberg ne saurait être envisagé, eu égard à la qualité de mandataire de cette dernière. En effet, Isoplus Hohenberg n'aurait détenu, jusqu'au 21 octobre 1998, qu'un tiers du capital social de Isoplus Sondershausen pour son propre compte, ayant détenu un autre tiers en tant que mandataire. Ce serait pour des raisons relevant du secret d'affaires qu'Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen n'auraient pas informé la Commission de cette qualité de mandataire d'Isoplus Hohenberg. Par ailleurs, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen approvisionneraient, en partie, les mêmes marchés, ce qui ne serait généralement pas le cas dans un groupe.

50.
    Le caractère de «groupe» ne saurait non plus être déduit, comme le prétend la Commission, de la mention de «firme Henss GmbH, groupe Isoplus» inscrite dans une note de M. Henss du 21 avril 1995 (document complémentaire à la communication des griefs n° 17), étant donné qu'il s'agit d'une déclaration au nom de Henss Rosenheim dans laquelle la virgule précédant les termes «groupe Isoplus» indiquerait simplement que l'entreprise Henss Rosenheim appartenait au groupe spontané dans lequel les autres participants à l'entente avaient regroupé les requérantes en raison des contrats d'agence commerciale unissant ces dernières. L'existence d'un mandataire ou d'un porte-parole d'un tel groupe spontané ne suffirait pas à en faire un groupe au sens du droit des sociétés.

51.
    En outre, la décision ne citerait aucun élément sur la base duquel les requérantes, en l'absence d'un groupe, à tout le moins de fait, seraient mutuellement responsables pour les pratiques anticoncurrentielles commises par chacune d'elles.

52.
    La défenderesse fait observer que la notion de groupe désigne l'entité économique formée par les quatre entreprises participant à l'entente, à savoir Henss Rosenheim (devenu Isoplus Rosenheim), Henss Berlin, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen, qui auraient été soumises au même contrôle uniforme, en particulier en ce qui concerne la participation à l'entente. M. Henss aurait été directeur général de Henss Berlin et Henss Rosenheim et aurait contrôlé cette dernière ainsi que Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen au moyen de participations directes ou indirectes. De plus, lors des réunions du club des directeurs, où les entreprises du groupe ont reçu un quota unique, M. Henss aurait défini et représenté en même temps les intérêts de chacune des entreprises du groupe.

53.
    Étant donné que tous les éléments personnels, matériels et immatériels qui, d'un point de vue formel, étaient rattachés aux entreprises relevant du groupe Henss/Isoplus faisaient partie d'une entité plus importante dont les objectifs économiques auraient été déterminés de façon unitaire, il y aurait, au sens du droit de la concurrence, une seule entreprise sous forme d'un «groupe». Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que la direction de cette entité n'a pas été assurée par une société financière. Il ne serait pas non plus pertinent de savoir si la personne physique ou morale qui assure la direction exerce également une activité d'entreprise en son nom propre.

2. Appréciation du Tribunal

54.
    En interdisant aux entreprises, notamment, de conclure des accords ou de participer à des pratiques concertées susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, l'article 85, paragraphe 1, du traité vise des entités économiques consistant chacune en une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à la commission d'une infraction visée par cette disposition (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11/89, Rec. p. II-757, point 311 et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T-352/94, Rec. p. II-1989, point 87).

55.
    En l'espèce, il convient de constater que, à l'époque de l'infraction, les sociétés Henss Berlin et Henss Rosenheim (ci-après, également, les «sociétés Henss») ainsi que les sociétés Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen (ci-après, également, les «sociétés Isoplus») étaient, d'une manière ou d'une autre, sous le contrôle de M. Henss.

56.
    En effet, il est constant que M. Henss a toujours détenu 90 % des parts sociales de Henss Rosenheim, les autres ayant été détenues par son épouse, et a été le directeur général de cette société jusqu'au changement de dénomination de celle-ci en Isoplus Rosenheim, le 1er janvier 1997. À cette époque, M. Henss et son épouse ont cédé leurs parts à HFB KG, dont M. Henss reste néanmoins l'actionnairemajoritaire et qui elle-même fonctionne comme société mère d'Isoplus Rosenheim en détenant la totalité du capital social de celle-ci.

57.
    S'agissant de Henss Berlin, il est constant que, lors de sa fondation en août 1990, M. Henss en a acquis 90 % du capital social. Au moment de la cession de la totalité des parts de Henss Berlin à HFB KG, le 1er janvier 1997, celles-ci étaient aux mains de M. Papsdorf, le directeur général d'Isoplus Rosenheim, et de son épouse. Même si le moment auquel ces derniers ont repris les parts de M. Henss ne ressort pas du dossier, il est constant que M. Henss a été lui-même le directeur d'Isoplus Rosenheim, à partir de février 1994. De plus, il s'avère que, en décembre 1990, lors de la conclusion par Henss Berlin d'un contrat de représentation commerciale avec Isoplus Hohenberg, M. Henss représentait déjà Henss Berlin comme «seul directeur».

58.
    En ce qui concerne Isoplus Hohenberg, les requérantes ne contestent plus, dans leur requête, que, à tout le moins à partir d'octobre 1991, la majorité des parts sociales de celle-ci ont été détenues, par le biais d'un mandataire, par M. Henss.

59.
    En ce qui concerne Isoplus Sondershausen, il s'avère que la totalité des actions est détenue nominalement par Isoplus Hohenberg. Bien que cette dernière ne possède pour son propre compte qu'un tiers des actions, il est constant qu'un autre tiers des actions était détenu pour le compte de M. Papsdorf, directeur général d'Isoplus Rosenheim à cette époque, et de son épouse, leur participation ayant été cédée, par le contrat d'apport du 15 janvier 1997, à HFB KG.

60.
    Ensuite, il y a lieu d'observer que M. Henss a représenté, lors des réunions du club des directeurs, les sociétés Henss et Isoplus. Il découle des notes prises par certains participants aux discussions sur la répartition du marché allemand que des parts de marché étaient envisagées pour l'entité dénommée soit «Isoplus» (voir annexes 39, 40, 44, 45 et 49 de la communication des griefs), soit «Isoplus/Henss» (voir annexes 48 et 53 de la communication des griefs), soit, à la fois, «Isoplus» et «Henze» (voir annexe 37 de la communication des griefs). De plus, il est mentionné expressément, dans l'invitation envoyée par ABB, en tant que président de l'association professionnelle «European District Heating Pipe Manufacturers Association» (ci-après l'«EuHP»), pour la réunion du 11 août 1992 (annexe 38 de la communication des griefs), que M. Henss y représentait «Isoplus». Enfin, il est constant que, lors de l'attribution, par l'entente, de quotas au niveau européen, les sociétés Henss et Isoplus se sont vu attribuer un quota unique.

61.
    Dans ces circonstances, c'est à bon droit que la Commission a considéré les activités au sein de l'entente des sociétés de distribution Henss Berlin et Henss Rosenheim (devenue Isoplus Rosenheim) et des sociétés de production Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen comme étant le comportement d'une seule entité économique, sous un contrôle unique et poursuivant, de façon durable, un but économique commun.

62.
    De plus, l'existence d'une entité économique unique poursuivant des intérêts communs est confirmée par des documents internes des sociétés en question. Ainsi, le procès-verbal d'une réunion du conseil de surveillance des sociétés Isoplus du 3 février 1994 (document complémentaire à la communication des griefs n° 21) mentionne un «groupe Isoplus», dont le chiffre d'affaires est composé notamment des chiffres de «Hohenberg» et «Sondershausen» pris avec ceux de «Henss». De même, il ressort de la note de M. Henss du 21 avril 1995 qu'il acceptait de participer à un projet de rachat de Powerpipe au nom de la «firme Henss GmbH, groupe Isoplus» (document complémentaire à la communication des griefs n° 17).

63.
    Par ailleurs, la version des requérantes selon laquelle l'association des sociétés Henss avec les sociétés Isoplus s'expliquerait par le fait que les premières sont les représentants commerciaux des secondes ne saurait être acceptée. En effet, Henss Rosenheim agissait, tout au long de la période en cause, également comme représentant commercial de la filiale allemande d'ABB, à savoir ABB Isolrohr GmbH (ci-après «ABB Isolrohr»). Or, étant donné l'attribution, au niveau européen, d'un quota unique pour les sociétés Henss et Isoplus et vu le rôle joué par M. Henss, à la fois comme représentant de toutes ces sociétés au sein des réunions des directeurs et en tant que directeur ou associé dans ces sociétés, il est manifeste que les sociétés Henss et Isoplus agissaient ensemble sur le marché en tant qu'une seule entité économique.

64.
    Sur le fait que les intérêts de Henss Berlin étaient défendus par M. Henss de la même manière que ceux de Henss Rosenheim, il convient d'observer encore que, en ce qui concerne le projet de Leipzig-Lippendorf, il ressort du compte rendu d'une réunion de l'entente du 10 janvier 1995 à laquelle M. Henss était présent (annexe 70 de la communication des griefs) qu'il a été décidé d'attribuer ce projet à ABB Isolrohr, Pan-Isovit et «Henz», sans qu'il soit précisé s'il s'agissait de Henss Berlin ou de Henss Rosenheim. Or, il est constant que l'offre correspondant à ce projet a ensuite été faite par Henss Berlin et non par Henss Rosenheim, bien que M. Henss n'ait pas eu, nominalement, la qualité d'actionnaire de la première mais bien de la seconde. De plus, dans une liste de projets du 22 mars 1995, établie par ABB, les trois entreprises désignées comme favorites pour le projet de Leipzig-Lippendorf étaient ABB, Pan-Isovit et «Isoplus» (annexe 71 de la communication des griefs), ce qui confirme encore que les sociétés Henss et Isoplus étaient considérées comme appartenant à la même entité économique.

65.
    La circonstance selon laquelle Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen étaient actives sur le même marché n'exclut pas leur appartenance à un même groupe économique. Il convient de relever, par ailleurs, qu'au cours de la procédure administrative devant la Commission Isoplus Sondershausen se manifestait encore comme filiale à 100 % d'Isoplus Hohenberg.

66.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, il n'est pas nécessaire que l'entité économique retenue en tant que «groupe» soit dotée elle-même d'une personnalité juridique. En effet, la notion d'entreprise, placée dans le contexte dudroit de la concurrence, doit être comprise comme désignant une unité économique du point de vue de l'objet de l'accord en cause même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes, physiques ou morales (arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170/83, Rec. p. 2999, point 11). En l'absence d'une personne juridique qui, à sa tête, aurait pu, en tant que responsable de la coordination de l'action du groupe, se voir imputer les infractions commises par ses diverses sociétés composantes, la Commission est en droit de tenir les sociétés composantes pour solidairement responsables de l'ensemble des agissements du groupe, afin d'éviter que la séparation formelle entre ces sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, ne puisse s'opposer à la constatation de l'unité de leur comportement sur le marché aux fins de l'application des règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, point 140).

67.
    Étant donné que la Commission a considéré le groupe Henss/Isoplus comme l'entreprise ayant commis l'infraction pour laquelle les sociétés composantes du groupe ont été tenues responsables, il n'est pas pertinent de savoir, en l'espèce, si M. Henss peut être considéré personnellement comme une entreprise au sens du l'article 85, paragraphe 1, du traité.

68.
    Il découle de tout ce qui précède que le moyen doit être rejeté.

B - Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation de formes substantielles lors de l'indication du groupe Henss/Isoplus dans le dispositif de la décision

1. Arguments des parties

69.
    Les requérantes font valoir que la Commission a violé des formes substantielles, notamment prévues par le règlement n° 17, en indiquant que le «groupe Henss/Isoplus» était destinataire de la décision. À défaut de personnalité morale ou de quasi-personnalité morale, le groupe Henss/Isoplus ne posséderait pas la capacité d'ester en justice dans le cadre d'une procédure d'application de l'article 85 du traité régie par le règlement n° 17, en particulier devant le Tribunal de première instance.

70.
    À cet égard, les requérantes font valoir que la Commission indique dans l'article 1er du dispositif de la décision que le «groupe Henss/Isoplus» a enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Dans l'article 2 de la décision, la Commission préciserait ensuite que les entreprises désignées à l'article 1er doivent mettre fin immédiatement à l'infraction précitée, si elles ne l'ont pas déjà fait. De plus, à l'article 3 de la décision, il est inscrit que les amendes sont «infligées aux entreprises énumérées à l'article 1er, en raison de l'infraction constatée audit article» et précisé, sous d): «groupe Henss/Isoplus, une amende de 4 950 000 écus à laquelle sont solidairement tenues les entreprises suivantes: [...]». Enfin, à l'article 5, sous d), de la décision il est indiqué, en tant que destinataire dela décision, le «groupe Henss/Isoplus, représenté par: [...]». Du point de vue du droit de la procédure, la Commission a donc considéré le groupe Henss/Isoplus comme un destinataire de la décision et non pas les entreprises identifiées à l'article 5 de la décision, qui n'ont été désignées qu'en rapport avec leur obligation indivisible au paiement de l'amende du groupe Henss/Isoplus.

71.
    Les requérantes font observer que le présent recours ne peut valoir reconnaissance de leur part de ce que la décision serait compréhensible sur ce point, puisqu'elles ont introduit la présente action en justice. Au contraire, elles entendent, ce faisant, faire valoir chacune leurs propres droits ainsi que, à titre conservatoire, les droits de ce que la Commission considère comme étant le groupe Henss/Isoplus. Leurs demandes seraient donc présentées en leur nom propre ainsi qu'au nom du groupe Henss/Isoplus dans lequel la Commission les a réunies.

72.
    La défenderesse affirme que les destinataires de la décision sont, pour autant que cela importe en l'espèce, les entreprises clairement identifiées à l'article 5 du dispositif de la décision. Les requérantes auraient d'ailleurs compris la décision dans ce sens, celles-ci ayant introduit leur recours en leur nom propre et se désignant elles-mêmes comme destinataires de la décision.

73.
    En ce qui concerne l'utilisation des dénominations «Henss/Isoplus» ou «groupe Henss/Isoplus» dans la décision, il y aurait lieu de différencier l'identification de l'entreprise, éventuellement constituée sous forme d'un groupe, qui a commis une infraction et l'identification de la personne physique ou morale, capable de jouir de droits et d'être soumise à des devoirs, qui est formellement responsable de cette infraction. Même si la formulation «groupe Henss/Isoplus, représenté par [...]» qui figure dans l'article 5, sous d), de la décision n'est pas particulièrement heureuse, il ne pourrait en être déduit que le groupe Henss/Isoplus est, en tant que tel, débiteur de l'amende, étant donné que la disposition en cause se réfère aux mêmes sociétés identifiées par l'article 3, sous d), de la décision comme débiteurs solidaires de l'amende.

74.
    Enfin, la décision aurait été notifiée par lettre adressée séparément à chacune des cinq requérantes et non pas au «groupe Henss/Isoplus».

2. Appréciation du Tribunal

75.
    Il a été constaté, au point 66 ci-dessus, qu'en l'absence d'une personne juridique qui, à la tête du groupe Henss/Isoplus, aurait pu, en tant que responsable de la coordination de l'action du groupe, se voir imputer les infractions commises par ses diverses sociétés composantes la Commission est en droit de tenir ces dernières pour solidairement responsables de l'ensemble des agissements du groupe.

76.
    À cet égard, l'article 1er de la décision identifie le «groupe Henss/Isoplus» parmi les entreprises qui ont commis l'infraction décrite dans la même disposition. De même, l'article 2 de la décision renvoie aux «entreprises désignées à l'article 1er»pour identifier les entreprises qui doivent mettre fin à l'infraction, si elles ne l'ont pas déjà fait.

77.
    Ensuite, dans les articles 3 et 5 de la décision, la Commission a identifié les personnes morales devant répondre de l'infraction commise par le «groupe Henss/Isoplus» et qui sont, dès lors, solidairement tenues à l'amende infligée audit groupe.

78.
    Or, en l'absence de personnalité juridique du groupe Henss/Isoplus, les articles 3 et 5 de la décision ne peuvent être compris autrement que comme désignant les requérantes comme destinataires de la décision en tant que composantes du groupe Henss/Isoplus. Le fait que le groupe Henss/Isoplus soit identifié à travers ses composantes implique qu'il ne peut souffrir d'un manque de protection juridictionnelle. En effet, il est en mesure de défendre, éventuellement, ses intérêts à travers celles-ci.

79.
    En outre, le fait que les requérantes ont été les destinataires de la décision comme composantes du groupe Henss/Isoplus ne souffre aucun doute, puisque celle-ci a été notifiée séparément à chacune des requérantes et non pas au groupe Henss/Isoplus, seul désigné comme auteur de l'infraction dans l'article 1er de la décision.

80.
    Vu leur qualité de destinataires de la décision en tant que composantes du groupe Henss/Isoplus, le moyen invoqué par les requérantes en ce qui concerne la violation du règlement n° 17 doit être rejeté.

C - Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation

1. Arguments des parties

81.
    Selon les requérantes, la Commission aurait violé l'obligation de motivation imposée par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), dans la mesure où la décision ne contient aucune motivation justifiant que le «groupe Henss/Isoplus» puisse être partie dans une procédure en vertu du règlement n° 17 et, de ce fait, destinataire d'une décision en application dudit règlement. L'affirmation de la Commission, au considérant 160 de la décision, selon laquelle la communication des griefs était adressée au groupe Henss/Isoplus et selon laquelle, en l'absence d'une société financière unique, les quatre entreprises d'exploitation nommément désignées étaient les représentants du groupe aux fins de l'élection de domicile et de l'exécution, serait insuffisante au regard de sa déclaration au considérant 15 de la décision, selon laquelle le groupe Henss/Isoplus était un «groupe de facto» sans personnalité juridique propre et sans capacité d'ester en justice.

82.
    La défenderesse expose qu'il a été démontré aux considérants 157 à 160 de la décision que les entreprises rassemblées sous l'appellation «groupe Henss/Isoplus»s'étaient comportées comme un groupe de fait, de sorte que les requérantes doivent être tenues solidairement au paiement de l'amende. Comme le groupe Henss/Isoplus n'aurait pas été partie à la procédure, aucune justification n'aurait été nécessaire à cet égard.

2. Appréciation du Tribunal

83.
    Il convient d'observer que les requérantes s'appuient sur une interprétation de la décision selon laquelle celle-ci a considéré le groupe Henss/Isoplus comme la personne impliquée dans la procédure administrative. Or, cette interprétation a été rejetée comme erronée, étant donné que, dans la décision, ont été identifiées, dans les articles 3 et 5 du dispositif, les sociétés tenues solidairement à l'amende imposée pour l'infraction commise par le groupe Henss/Isoplus et, de ce fait, destinataires de la décision en tant que composantes de ce groupe (voir les points 75 à 80 ci-dessus).

84.
    En ce qui concerne l'infraction commise par le groupe Henss/Isoplus et le fait que les requérantes ont été considérées comme responsables de l'exécution de la décision, en tant que composantes du groupe Henss/Isoplus, il convient de rappeler les considérants 157 à 160 de la décision.

85.
    D'abord, la Commission a mentionné, au considérant 157 de la décision, que «[l]es entreprises Henss et Isoplus se sont comportées comme un groupe de fait». Afin d'étayer cette supposition, elle a expliqué que M. Henss était l'actionnaire majoritaire d'Isoplus Hohenberg, société qui elle-même détient la totalité du capital d'Isoplus Sondershausen, et qu'il a été actionnaire majoritaire et directeur général de Henss Rosenheim et directeur général (mais pas actionnaire) de Henss Berlin, entreprises qui agissaient en tant qu'agents commerciaux d'Isoplus en Allemagne. Au même point de sa décision, la Commission fait remarquer qu'«il est évident que, puisque M. W. Henss a assisté à toutes les réunions du club des directeurs, c'était lui qui exerçait les fonctions de gestion et de contrôle d'Isoplus et que les entreprises Henss et Isoplus ont formé ensemble un groupe de fait». Toujours selon la Commission, «il était notoire dans ce secteur que Henss était l'entreprise qui tenait les rênes du pouvoir chez Isoplus».

86.
    Au considérant 158 de la décision, la Commission expose que, étant donné que, lors de l'envoi de la communication des griefs, il n'existait pas, à sa connaissance, de société financière à laquelle adresser la communication des griefs, elle l'a adressée au groupe Henss/Isoplus, représenté par ses quatre principales entreprises dans la Communauté, à savoir Isoplus Hohenberg, Isoplus Sondershausen, Henss Rosenheim et Henss Berlin. D'après la décision, il était clairement indiqué dans la communication des griefs «que la procédure visait le groupe Henss/Isoplus et qu'en l'absence d'une [société financière] unique les quatre sociétés d'exploitation nommément désignées étaient les représentants du groupe aux fins d'élection de domicile et d'exécution» (point 160, quatrième alinéa).

87.
    Enfin, la Commission évoque que, ayant pris connaissance, par le biais d'un contrat d'apport du 15 janvier 1997, de ce que des sociétés financières ont été créées, HFB GmbH et HFB KG, auxquelles ont été cédées les participations détenues dans Isoplus Rosenheim et Isoplus Hohenberg et de ce que, de plus, une société de participation a été créée, Isoplus stille Gesellschaft, elle a adressée la présente décision non seulement à Isoplus Hohenberg, à Isoplus Sondershausen et à Isoplus Rosenheim, mais également à HFB GmbH et à HFB KG ainsi qu'à Isoplus stille Gesellschaft (considérant 160 de sa décision).

88.
    Il découle de ce qui précède que la Commission a exposé les raisons pour lesquelles elle a considéré les entreprises Henss et Isoplus comme constituant un groupe de fait. De plus, elle a expliqué que, en l'absence de société financière traduisant l'existence dudit groupe, celui-ci devait être appréhendé à travers ses sociétés composantes aux fins de l'élection de domicile et du paiement de l'amende.

89.
    Dès lors, il convient de rejeter le présent moyen.

II - Sur les moyens relatifs à HFB GmbH et à HFB KG

90.
    En ce qui concerne HFB GmbH et HFB KG, les requérantes soulèvent trois moyens, tirés, premièrement, de l'application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité, deuxièmement, d'une violation des droits de la défense et, troisièmement, d'une violation de l'obligation de motivation.

A - Arguments des parties

91.
    Les requérantes font valoir que la Commission a condamné à tort HFB GmbH et HFB KG au paiement solidaire et indivisible de l'amende, avec les autres requérantes, dans le cadre du groupe Henss/Isoplus.

92.
    Les requérantes font observer que, selon la décision, l'infraction a cessé au plus tard en mars ou avril 1996. Étant donné que HFB GmbH et HFB KG n'ont été fondées que le 15 janvier 1997 et n'existent juridiquement qu'à partir de leur inscription au registre du commerce, à savoir, respectivement, les 10 et 27 février 1997, elles n'auraient pas pu y prendre part. À défaut d'existence juridique avant 1997, elles ne pourraient non plus être tenues pour responsables d'éventuels comportements anticoncurrentiels d'autres entreprises du groupe Henss/Isoplus. En effet, en vertu de la présomption d'innocence, les entreprises ne pourraient se voir infliger une amende dans le cadre d'une procédure d'application de l'article 85 du traité, régie par le règlement n° 17, qu'en cas de participation coupable ou, à tout le moins, par négligence.

93.
    Ce ne serait que lorsqu'une entreprise est transformée ou absorbée par une autre entreprise que cette dernière pourrait, en tant que successeur aux droits de celle-ci à titre universel, être tenue pour responsable de l'infraction commise par l'ancienneentreprise, à condition que l'identité économique de l'entreprise n'ait pas changé. À cet égard, les requérantes rappellent que HFB KG a acquis ses participations dans Isoplus Rosenheim et Isoplus Sondershausen auprès de personnes physiques, à savoir M. et Mme Henss, pour Isoplus Rosenheim, et M. et Mme Papsdorf, pour Isoplus Sondershausen. Or, une entreprise ne pourrait être tenue pour responsable en tant que successeur aux droits de personnes physiques, détentrices de parts de la société qui a commis l'infraction et qui, en tant que simples porteurs de parts, n'auraient pas constitué, elles-mêmes, des entreprises au sens des articles 85 et 86 du traité.

94.
    Contrairement à ce que fait la Commission, il ne saurait être invoqué l'existence de nombreux avatars du groupe Henss/Isoplus sous la direction de M. Henss. Le motif pour lequel HFB GmbH et, de ce fait, HFB KG ont été créées aurait été de faciliter une éventuelle vente de diverses participations dans des entreprises de chauffage urbain dans leur ensemble. En effet, certaines augmentations du capital social et diverses mesures d'apport auraient été exclusivement motivées par des raisons de bilan. Ces modifications de capital et ces mesures auraient eu lieu après la fin de l'infraction et même, pour certaines, après l'adoption de la décision.

95.
    La défenderesse fait observer que HFB GmbH et HFB KG peuvent être tenues pour coresponsables des infractions commises par le groupe Henss/Isoplus, indépendamment du fait que ces entreprises n'avaient pas elles-mêmes enfreint les règles de la concurrence et n'avaient pas repris tous les droits et obligations d'entreprises ayant commis les infractions.

96.
    En effet, une personne morale pourrait être rendue responsable d'infractions commises par une société dont elle a pris le contrôle même si les infractions ont été commises avant cette prise de contrôle (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T-308/94, Rec. p. II-925). Comme la Commission pouvait rendre HFB GmbH et HFB KG coresponsables des infractions en cause, elle aurait pu les inclure aussi parmi les entreprises tenues au paiement de l'amende (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Metsä-Serla e.a./Commission, T-339/94 à T-342/94, Rec. p. II-1727).

97.
    En imputant la responsabilité des infractions commises à HFB GmbH et à HFB KG, la Commission n'aurait nullement porté atteinte à la présomption d'innocence. En l'espèce, les restructurations à travers lesquelles HFB GmbH et HFB KG ont acquis certaines des participations de M. Henss et, ainsi, le contrôle direct sur Isoplus Rosenheim auraient constitué des changements ayant eu lieu au sein d'une seule entreprise et contrôlés par la direction unitaire de celle-ci.

98.
    À cet égard, il importerait peu que les associés en tant que tels n'aient pas été des entreprises. Selon la Commission, des entreprises pourraient être constituées de diverses composantes dont certaines exercent des fonctions d'exploitation et d'autres des fonctions de direction. En l'espèce, cette dernière fonction aurait étéet continuerait d'être assumée par M. Henss, qui en avait néanmoins délégué une partie à HFB KG, qu'il contrôle lui-même.

99.
    Dans ce contexte, la Commission expose qu'elle pouvait tenir M. Henss pour personnellement responsable des infractions commises par Isoplus Rosenheim, car, pendant la période où les infractions ont été commises, la politique de cette société n'aurait pu être définie indépendamment de lui, d'autant plus que d'autres sociétés membres du groupe Henss/Isoplus ont aussi participé à l'infraction. Étant donné que M. Henss contrôle HFB GmbH grâce à la participation qu'il détient dans son capital et continue d'y exercer la fonction de directeur général, cette dernière société ainsi que HFB KG devraient admettre qu'il leur est imputé le fait que M. Henss avait connaissance des infractions commises par la société cédée. En outre, la valeur des parts acquises aurait pu être modifiée par l'infraction.

100.
    Enfin, il conviendrait de tenir compte, d'une part, de l'intérêt légitime de la Commission à pouvoir se servir, dans le cadre d'une éventuelle exécution forcée, du patrimoine du groupe, indépendamment des restructurations telles qu'intervenues en l'espèce et, d'autre part, des difficultés que la Commission peut rencontrer en cas d'exécution forcée contre des particuliers. Une restructuration comme celle de la constitution de HFB GmbH et de HFB KG, où M. Henss occupait à la fois la place du vendeur et celle de l'acheteur, ne devrait pas aboutir à ce que la Commission perde la possibilité d'intervenir à l'encontre du nouveau détenteur des participations en question.

B - Appréciation du Tribunal

101.
    Il y a lieu de rappeler que la Commission a réuni les sociétés Henss et Isoplus au sein d'un groupe de fait qui a été considéré comme étant l'entreprise ayant participé à l'infraction. En raison de l'absence d'une société mère représentant le groupe Henss/Isoplus ou d'une société responsable de la coordination de l'action du groupe, la Commission a imputé la responsabilité de l'infraction aux sociétés composantes du groupe à la date de l'adoption de la décision, dont HFB GmbH et HFB KG.

102.
    Or, il convient de constater que, HFB GmbH et HFB KG n'existant pas encore au moment où l'infraction a été réalisée, la responsabilité de l'infraction ne peut donc pas leur être imputée sur la base d'un quelconque rôle d'impulsion et de coordination exercé, en ce qui concerne les activités incriminées, à l'égard des autres sociétés appartenant au groupe Henss/Isoplus (voir, à cet égard, arrêt Shell/Commission, précité, point 312).

103.
    De même, la responsabilité de l'infraction ne peut être imputée à HFB GmbH et à HFB KG au seul titre de leur appartenance au groupe Henss/Isoplus au moment de l'adoption de la décision. En effet, il incombe, en principe, à la personne physique ou morale qui dirigeait l'entreprise concernée au moment où l'infractiona été commise de répondre de celle-ci, même si, au jour de l'adoption de la décision constatant l'infraction, l'exploitation de l'entreprise a été placée sous la responsabilité d'une autre personne (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C-279/98 P, Rec. p. I-9693, point 78, et SCA Holding/Commission, C-297/98 P, Rec. p. I-10101, point 27). Dans le cas d'espèce, à supposer que HFB GmbH et HFB KG fonctionnent en tant que sociétés financières responsables en tout ou en partie du groupe Henss/Isoplus, cette situation étant postérieure à l'infraction, ces deux sociétés ne peuvent se voir imputer le comportement infractionnel du groupe Henss/Isoplus antérieur à l'acquisition de tout ou partie de ce dernier.

104.
    Il n'en irait autrement que si la ou les personnes morales responsables de l'exploitation de l'entreprise ont cessé d'exister juridiquement après la commission de l'infraction (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 145). Or, il est constant que les sociétés concernées au moment où l'infraction a été commise existent toujours.

105.
    Il ressort du dossier que la Commission tient HFB GmbH et HFB KG pour solidairement responsables de l'infraction commise par le groupe Henss/Isoplus, notamment en raison du fait qu'elles ont obtenu de M. Henss le contrôle exercé par ce dernier sur les entreprises du groupe, en particulier le contrôle direct sur Isoplus Rosenheim. À cet égard, il suffit d'observer que, dans la mesure où la Commission, dans la décision, n'a pas tenu M. Henss pour personnellement responsable de l'infraction commise par le groupe Henss/Isoplus, HFB GmbH et HFB KG ne peuvent se voir imputer, au titre d'une succession économique, une responsabilité qui n'a, délibérément, pas été constatée antérieurement.

106.
    Il est vrai que, dans certaines circonstances, une infraction aux règles de la concurrence peut être imputée au successeur économique d'une personne morale qui en est l'auteur, même lorsque cette dernière n'a pas cessé d'exister à la date d'adoption de la décision constatant ladite infraction, afin que l'effet utile de ces règles ne soit pas compromis du fait des changements apportés, notamment, à la forme juridique des entreprises concernées (voir arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, NMH Stahlwerke/Commission, T-134/94, Rec. p. II-239, point 127). Toutefois, à la différence de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt NMH Stahlwerke/Commission, précité, en l'espèce, les personnes physiques et morales impliquées dans l'infraction ont pleinement continué leurs activités commerciales, tandis que les sociétés HFB GmbH et HFB KG n'existaient pas encore au moment de l'infraction.

107.
    De plus, il n'est pas possible, sur la base des informations qui ont été fournies au Tribunal au cours de la procédure écrite et, ultérieurement, lors de l'audience, de conclure à l'existence de manoeuvres mises en oeuvre dans le but spécifique d'échapper à des sanctions infligées pour violation des règles de la concurrence (voir arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 146).

108.
    Il y a lieu, en conséquence, de constater que la Commission a commis une erreur de droit en tenant HFB KG et HFB GmbH solidairement responsables de l'amende infligée pour la participation à l'infraction du groupe Henss/Isoplus. Dès lors, il n'y a plus lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens relatifs à HFB GmbH et à HFB KG, tirés d'une violation des droits de la défense et de l'obligation de motivation.

109.
    Les articles 3, sous d), et 5, sous d), de la décision doivent donc être annulés dans la mesure où ils concernent HFB KG et HFB GmbH.

III - Sur les moyens relatifs à Isoplus stille Gesellschaft

A - Arguments des parties

110.
    Les requérantes et, en particulier, Isoplus Hohenberg reprochent à la Commission d'avoir également adressé la décision à Isoplus stille Gesellschaft, en qualité d'entreprise du groupe Henss/Isoplus. Conformément au droit autrichien, Isoplus stille Gesellschaft, en tant que société en participation, n'aurait pas été une personne morale ni une société commerciale, mais simplement une société interne qui, en tant que telle, n'est pas susceptible d'être titulaire de droits et d'obligations, seul le propriétaire de l'exploitation pouvant en être titulaire. De plus, en septembre 1997, la société Isoplus stille Gesellschaft aurait été dissoute sans liquidation, ses actifs ayant été apportés à la société fondatrice, Isoplus Hohenberg, sous la forme d'une augmentation du capital.

111.
    Dans ce cadre, Isoplus Hohenberg soulève, d'abord, un moyen tiré de la violation de l'article 85 du traité, dans la mesure où la décision est adressée à une société en participation qui, à défaut de personnalité morale ou quasi-morale, n'est pas une entreprise au sens des articles 85 et 86 du traité et ne pourrait, dès lors, être le destinataire d'une décision de la Commission dans le cadre d'une procédure d'application de l'article 85 du traité.

112.
    Isoplus Hohenberg invoque également une violation des formes substantielles dans la mesure où la Commission, dans sa décision, a infligé une amende à une entreprise qui, en tant que société en participation, n'aurait pas eu la capacité de se défendre en justice au sens du droit autrichien et n'aurait donc pas pu introduire un recours devant le Tribunal. De plus, une telle décision ne pourrait pas non plus être adressée à une entreprise qui, indépendamment de sa qualification juridique, n'existait plus au moment de l'adoption de la décision du fait de sa dissolution.

113.
    Par ailleurs, Isoplus Hohenberg fait observer qu'aucune communication des griefs n'a été envoyée à Isoplus stille Gesellschaft. Elle précise à cet égard que, lors de l'audition des 24 et 25 novembre 1997, il n'a pas été possible d'examiner la question de savoir si, en vertu du droit autrichien, une société en participation possède une personnalité morale ou quasi morale et se voit, de ce fait, accorder lacapacité d'ester en justice, ni la circonstance de la dissolution de la société en participation, étant donné que, malgré une demande en ce sens de son conseil, le conseiller auditeur n'a pas procédé à une audition séparée sur ces points. Dans sa réponse du 30 mars 1998 à la demande de renseignements du 24 février 1998 (ci-après la «lettre du 30 mars 1998»), la requérante aurait, par conséquent, passé sous silence le problème de cette société en participation. Ce ne serait que par lettre à la Commission du 22 octobre 1998 que ce problème a été posé.

114.
    Enfin, la Commission aurait violé son obligation de motivation, étant donné que la décision ne contiendrait pas les explications démontrant comment une société en participation de droit autrichien peut être destinataire d'une décision de la Commission dans le cadre d'une procédure d'application de l'article 85 du traité.

115.
    La défenderesse fait observer que la société Isoplus stille Gesellschaft, comme Isoplus Hohenberg l'indique elle-même, avait déjà cessé d'exister au moment de la décision. La décision serait donc inopérante à l'égard de cette société. Néanmoins, aucun moyen dirigé contre la décision ne pourrait être tiré de cette circonstance. De plus, il serait possible de faire le même constat si la société en participation avait encore existé au moment de l'adoption de la décision. Comme Isoplus Hohenberg le reconnaît elle-même, ladite société ne posséderait pas de personnalité juridique, de sorte que la décision n'aurait pu produire à son égard aucun effet juridique ni, par conséquent, l'affecter négativement.

B - Appréciation du Tribunal

116.
    Il convient d'observer que, eu égard au fait que la société Isoplus stille Gesellschaft était dissoute au moment de l'adoption de la décision, cette dernière n'a pas pu produire d'effets juridiques vis-à-vis de cette société. Par conséquent, la décision n'a pas produit d'effets juridiques dans la mesure où elle s'est adressée à Isoplus stille Gesellschaft.

117.
    Étant donné qu'Isoplus Hohenberg, qui a toujours été le titulaire de tous les droits et obligations pouvant exister pour Isoplus stille Gesellschaft, est elle-même destinataire de la décision, l'inclusion d'Isoplus stille Gesellschaft parmi les destinataires de la décision n'a pas non plus pu faire ressortir un quelconque effet juridique à l'égard d'Isoplus Hohenberg autre que celui résultant du fait que la décision a été adressée à cette dernière et qu'elle a été tenue pour solidairement responsable de l'amende infligée au groupe Henss/Isoplus.

118.
    La décision étant inopérante dans la mesure où elle s'adresse et se réfère à Isoplus stille Gesellschaft, le recours, pour autant qu'il concerne cette dernière, est dépourvu d'objet et il n'y a donc pas lieu de statuer à cet égard.

IV - Sur les moyens invoqués concernant toutes les requérantes

119.
    En ce qui concerne l'ensemble des requérantes, cinq moyens sont invoqués. Le premier moyen est tiré d'erreurs de fait et de droit dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le deuxième moyen est tiré de la violation des droits de la défense. Le troisième moyen est tiré de l'illégalité des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «nouvelles lignes directrices» ou les «lignes directrices»). Le quatrième moyen est tiré de la violation des règles relatives aux amendes en matière de concurrence, des principes généraux et d'erreurs d'appréciation dans la détermination du montant de l'amende. Le cinquième moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation.

A - Sur le premier moyen, tiré d'erreurs de fait et de droit dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité

1. Sur la participation à l'infraction avant octobre 1994

120.
    Les requérantes font valoir que la Commission a retenu à tort une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité durant la période allant d'octobre 1991 à octobre 1994. À cet égard, les requérantes attaquent, dans un premier temps, les constatations matérielles et l'appréciation des preuves afférentes à celles-ci ainsi que, en second lieu, l'appréciation juridique de la Commission.

a) Sur les constatations de fait et l'appréciation des preuves

Arguments des parties

121.
    Les requérantes font observer que les constatations de fait ne permettent pas de conclure, comme l'énonce la décision dans son considérant 41, qu'en octobre 1991 Henss/Isoplus et Pan-Isovit se sont jointes à la coopération organisée entre les producteurs danois.

122.
    En premier lieu, il ne pourrait être déduit de la participation de M. Henss à différentes réunions du club des directeurs, ayant un objet anticoncurrentiel, que les requérantes ou le groupe Henss/Isoplus ont participé à une entente d'octobre 1991 à octobre 1994.

123.
    À cet égard, les requérantes précisent que, parmi les réunions du club des directeurs mentionnées au considérant 42 de la décision, M. Henss n'a pas pu être présent à celles du 9 ou 10 octobre 1991, du 1er avril 1992, du 11 novembre 1992, et du 8 ou 9 septembre 1993. En effet, durant les périodes du 9 au 12 octobre 1991 et du 30 mars au 1er avril 1992, M. Henss aurait séjourné pour des raisons professionnelles à Budapest. La veille du 11 novembre 1992, M. Henss aurait quitté Bruxelles afin d'assister, le lendemain, à des entretiens avec ses avocats au siège de Henss Rosenheim et ensuite avec un client potentiel. Du 8 au 10 septembre 1993,M. Henss aurait eu des rendez-vous à Francfort, à Prague et à Opatovice (République tchèque). La Commission ne pourrait prétendre qu'au cours de la procédure administrative les requérantes n'ont jamais contesté la participation de M. Henss auxdites réunions. En effet, un relevé de tous les déplacements entrepris par M. Henss de 1991 à 1996 aurait déjà été fourni à la Commission dans la réponse du 22 avril 1996 des sociétés Henss à la demande de renseignements du 13 mars 1996 (ci-après la «réponse des sociétés Henss»). Dans les observations sur la communication des griefs de Henss Rosenheim et de Henss Berlin du 30 juin 1997, la réalité de la réunion du 10 octobre 1991 aurait été contestée en tant que telle.

124.
    Quant à la participation de M. Henss à d'autres réunions avec ABB Isolrohr ou d'autres entreprises d'ABB que celles susmentionnées, il conviendrait de préciser que Henss Rosenheim a été liée à ABB Isolrohr par un contrat de représentation commerciale, qui obligeait M. Henss, en tant que directeur de Henss Rosenheim, à participer à diverses réunions afin de fournir à ABB Isolrohr des renseignements sur le marché.

125.
    En deuxième lieu, en ce qui concerne les prix sur le marché allemand, les requérantes font remarquer que, à la fin de 1991, Henss Rosenheim s'est opposée, par l'intervention de son avocat et par l'introduction d'une plainte devant une juridiction arbitrale, à l'augmentation de prix de 6 % qu'ABB Isolrohr avait annoncée pour les livraisons de ses produits à partir du 1er janvier 1992. Malgré la conclusion d'un compromis d'arbitrage, en mai 1992, la fixation des prix d'agence ou de vente par ABB Isolrohr aurait donné lieu à la fin de 1993 à de nouveaux débats, qui n'étaient pas terminés au début de 1994. Il en résulterait qu'en 1993 et 1994 il n'aurait certainement pas existé d'entente quant aux prix sur le marché allemand et, en tout état de cause, pas d'entente à laquelle les requérantes ou le groupe Henss/Isoplus auraient pris part. Par ailleurs, il ne serait pas exact d'affirmer, comme le fait la Commission, que les différends au sujet de la hausse des prix d'agence avaient pris naissance avant la conclusion de l'accord sur les prix du 1er janvier 1992 et que des considérations analogues s'appliqueraient aux différends de 1993 et 1994. En effet, il conviendrait de souligner que, conformément aux contrats d'agence commerciale, ABB Isolrohr devait annoncer ses augmentations de prix sur lesquelles les agents commerciaux devaient donner leur avis.

126.
    En ce qui concerne l'observation de la Commission, au considérant 45 de la décision, selon laquelle un barème de prix sur le marché allemand pour l'année 1992 a été élaboré par un employé d'ABB IC Møller sur la base d'informations fournies par M. Henss et d'un barème de prix appelé «K3» et provenant d'ABB, il conviendrait de préciser que Henss Rosenheim, en tant que représentant commercial, était contractuellement tenue de fournir des informations continues sur la situation générale des prix. Les barèmes «K» n'auraient été que des catalogues destinés aux représentants commerciaux d'ABB Isolrohr et n'auraient donc rien à voir avec le barème au niveau européen intitulé «Europa-Preis-Liste» de 1994 et1995, mentionné dans la décision. La transmission d'informations en vue de l'établissement de barèmes de prix ne serait pas contestable du point de vue du droit de la concurrence au regard de la situation juridique de l'agent commercial telle qu'elle résulte notamment de la communication de la Commission du 24 décembre 1962 relative aux contrats de représentation exclusive conclus avec des représentants de commerce (JO 1962, 139, p. 2921).

127.
    Dans leur réplique, les requérantes exposent que la Commission n'a pas démontré l'existence d'un accord de répartition du marché basé sur un audit réalisé en août 1993. L'annexe 53 de la communication des griefs, sur laquelle se base la Commission au considérant 50 de sa décision, constituée par une lettre du 19 août 1993, adressée à ABB et à l'EuHP contenant un tableau récapitulant les parts de marché des entreprises concernées détenues en 1992 et celles prévues pour 1994, ne pourrait être considérée comme une preuve d'un tel accord. En effet, d'une part, cette lettre ne contiendrait aucun élément indiquant qu'il s'agissait du résultat d'un audit. D'autre part, à supposer même qu'un audit soit intervenu, il ne résulterait aucunement de cette annexe que les requérantes ou le groupe Henss/Isoplus ou même d'autres entreprises, à l'exception d'ABB IC Møller et de l'EuHP, auraient collaboré à celui-ci ou à l'établissement de ce document. Même d'autres documents, joints à la communication des griefs, comme les annexes 44 et 45, ne contiendraient aucun élément contredisant le point de vue défendu par les requérantes, étant donné que ces documents ne contiennent que des annotations manuscrites sur des parts de marché, ce qui ne constituerait pas une preuve.

128.
    Par ailleurs, la chute des prix en dehors du marché danois, entre 1990 et 1994, plaiderait contre l'hypothèse d'une entente sur le marché allemand. À cet égard, il ne pourrait être affirmé que la baisse des prix permet, tout au plus, de douter de la réussite de l'entente. En effet, à partir du moment où il est considéré que l'entente européenne a effectivement été réalisée, une hausse modérée des prix aurait dû se faire sentir sur le marché allemand et sur d'autres marchés.

129.
    En troisième lieu, les requérantes rappellent que d'autres entreprises impliquées dans la présente procédure, notamment Løgstør, Tarco et Pan-Isovit, ont déclaré, dans leurs observations sur la communication des griefs, en contestant l'existence d'une entente continue à compter de l'automne de 1990, que les requérantes ou le groupe Henss/Isoplus n'avaient pas participé à la première entente entre les producteurs danois, mais uniquement à la seconde, au niveau européen, à partir d'octobre 1994. Eu égard au fait que Løgstør et Tarco, au cours de la présente procédure, ont, sous beaucoup d'autres aspects, reproché aux requérantes des comportements anticoncurrentiels, lesdites déclarations revêtiraient une valeur probante déterminante. Quant à Oy KWH Tech AB (ci-après «KWH»), entreprise finlandaise ayant participé, selon la Commission, à l'entente, elle aurait également déclaré, dans ses observations sur la communication des griefs, qu'elle ignorait tout d'une éventuelle collaboration des sociétés Henss et Pan-Isovit avec les entreprises danoises depuis le début des années 90.

130.
    De plus, en ce qui concerne la prétendue participation à l'entente avant 1994, les entreprises du groupe Henss/Isoplus auraient joué, en octobre 1991, de par leur position sur le marché, un rôle économique subalterne, de sorte que leur intégration dans l'entente danoise n'aurait présenté aucun intérêt. À cet égard, les requérantes observent que Henss Rosenheim et Henss Berlin, ayant conclu également des contrats de représentation commerciale avec Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen, négociaient bien plus de ventes de produits d'ABB Isolrohr que des sociétés Isoplus. En effet, Isoplus Hohenberg serait apparue pour la première fois sur le marché, surtout le marché autrichien, en 1990, tandis qu'Isoplus Sondershausen, ayant été racheté par Isoplus Hohenberg en 1991, ne serait apparue sur le marché allemand en tant que producteur de conduites précalorifugées qu'en 1992. Quant à l'affirmation de la Commission, dans son mémoire en défense, selon laquelle le chiffre d'affaires des entreprises Isoplus était supérieur à celui d'ABB Isolrohr, il conviendrait de préciser que le chiffre d'affaires cité pour Isoplus concernait le marché européen, alors que celui retenu pour ABB Isolrohr concernait le seul marché allemand.

131.
    La participation des entreprises considérées comme relevant du groupe Henss/Isoplus à une entente, avant 1994, serait, de plus, exclue eu égard à leur comportement en ce qui concerne le marché danois. En effet, en 1992, Isoplus Hohenberg aurait incidemment eu connaissance de l'existence d'une entente entre les producteurs danois qui permettait à ceux-ci d'appliquer des prix élevés sur le marché danois et de mettre Isoplus Hohenberg sous pression en ce qui concerne les prix sur les marchés autrichien et allemand. Pour cette raison, Isoplus Hohenberg aurait fondé, au Danemark, Isoplus Fjernvarmeteknik A/S, par l'intermédiaire de laquelle elle aurait offert des prix inférieurs à ceux habituellement pratiqués au Danemark. Cette entrée agressive sur le marché danois, liée à l'apparition sur ce marché de Pan-Isovit, pratiquant également des prix peu élevés, aurait provoqué, en 1993, la déliquescence de l'entente entre producteurs danois.

132.
    Comme cela est confirmé par la Commission, au considérant 48 de sa décision, en mars 1993, ABB IC Møller aurait approché Isoplus Hohenberg, par l'intermédiaire d'agents, en lui proposant une coopération ou une prise de participation dans Isoplus Hohenberg ou encore la reprise de cette dernière. Par l'intermédiaire de M. Henss, ABB Isolrohr aurait également organisé un entretien avec la direction d'Isoplus Hohenberg, le 15 avril 1993, au cours duquel elle aurait enjoint à Isoplus Hohenberg de se retirer du marché danois et aurait annoncé que, si elle refusait, ABB IC Møller et Løgstør feraient en sorte que les autres producteurs danois fondent également un établissement en Autriche menant une politique de prix agressive. À la suite du refus d'Isoplus Hohenberg, au cours de cet entretien, de se retirer du marché danois, Tarco et Dansk Rørindustri auraient effectivement fait leur apparition sur le marché autrichien, même si cela se faisait par le biais d'intermédiaires. Cela aurait eu pour conséquence de déclencher en 1994, sur le marché autrichien, une guerre des prix, ce qui aurait mis Isoplus Hohenberg dans une situation financière très difficile.

133.
    À cet égard, ni le comportement agressif d'Isoplus Fjernvarmeteknik et les réactions d'ABB IC Møller à ces événements ne sauraient être qualifiés de simple lutte de pouvoir au sein de l'entente. En effet, dans une entente illégale en matière de prix et de quotas, il serait exclu qu'un membre de l'entente perturbe le marché en dehors du quota ou du territoire qui lui a été attribué et qu'il propose des produits à des prix prédatoires.

134.
    En quatrième lieu, les requérantes ajoutent encore que, jusqu'à l'été de 1995, les sociétés Henss et Isoplus n'ont pas été admises au sein de l'EuHP, qui aurait été utilisée à des fins de concurrence déloyale contre lesdites sociétés. Cela démontrerait également que les sociétés Henss et Isoplus n'ont pas participé à des infractions à l'article 85 du traité avant octobre 1994. En effet, il aurait été aberrant d'un point de vue économique de refuser à un participant de l'entente l'admission dans une association comme l'EuHP à laquelle étaient affiliés les autres membres de l'entente, étant donné que, dans le cadre de cette association, il était procédé à l'échange des informations auxquelles tous les membres de l'entente auraient pu avoir accès. Il n'y aurait pas eu non plus de sens d'utiliser l'EuHP contre des membres de l'entente ou de refuser à ces derniers la possibilité de se prévaloir du respect des normes qualitatives promues par celle-ci. L'affiliation à l'EuHP au cours de l'été de 1995 n'aurait pu avoir lieu que parce que, en octobre 1994, sous la pression de la situation du marché et d'ABB, les sociétés Isoplus ont adhéré à l'entente européenne. Quant au rôle de M. Henss, les requérantes précisent que ses interventions auprès de l'EuHP en faveur d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen, dans certains cas également après des réunions officielles de l'EuHP, s'expliquent par la circonstance que Henss Rosenheim s'occupait également de la commercialisation des produits des sociétés Isoplus.

135.
    En dernier lieu, la Commission se serait contentée d'indications globales relatives aux faits et n'aurait aucunement procédé, à de rares exceptions près, à une appréciation des preuves, violant ainsi le principe de la présomption d'innocence tel qu'établi dans l'article 6, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH).

136.
    La défenderesse fait observer qu'elle a constaté clairement que, à partir d'octobre 1991, le groupe Henss/Isoplus s'est associé à la coopération entre producteurs danois, en ce qui concerne le marché allemand. Étant donné que cette conclusion se base sur les éléments présentés aux considérants 41 et suivants de la décision, y inclus ceux qui ont été décrits par les requérantes comme des éléments à décharge, la Commission n'aurait pas porté atteinte à la présomption d'innocence.

Appréciation du Tribunal

137.
    Selon une jurisprudence bien établie, dès lors qu'une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objetanticoncurrentiel et qu'elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat des réunions et qu'elle s'y conformera, il peut être considéré comme établi qu'elle participe à l'entente résultant desdites réunions (voir arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 232, du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, Rec. p. II-907, point 98, du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791, points 85 et 86).

138.
    Il convient de constater que M. Henss a assisté, avant octobre 1994, à une série de réunions avec les producteurs danois et Pan-Isovit. Ainsi, la présence de M. Henss n'a pas été contestée, en ce qui concerne les réunions, mentionnées au considérant 42 de la décision, du 10 décembre 1991, du 6 mars 1992, du 30 juin 1992, du 11 août 1992, du 20 avril 1993, du 30 juin 1993 et du 18 ou 19 août 1993.

139.
    En ce qui concerne les réunions auxquelles, d'après les requérantes, M. Henss n'a pas participé, il convient d'observer que, en tout état de cause, le tableau des déplacements de celui-ci en dehors de l'Allemagne, annexé par les requérantes à leur réponse du 22 avril 1996 à la demande de renseignements, et sur lequel celles-ci s'appuient pour démontrer l'absence de M. Henss à certaines réunions, est entaché de plusieurs inexactitudes. Ainsi, le tableau mentionne, pour le 10 novembre 1992, un voyage à Bruxelles dans le but d'une «résiliation de contrat» avec «ABB, Herr Bruun ??». Néanmoins, eu égard aux invitations adressées à M. Henss pour une réunion organisée le 10 novembre 1992 à Bruxelles, après une réunion de l'EuHP (annexes 42 et 43 de la communication des griefs), il est fortement probable qu'il ne s'agissait, en réalité, pas d'une réunion bilatérale avec ABB, mais d'une réunion avec les autres participants à l'entente, en présence du coordinateur de l'entente, M. Brun Hansen, comme cela est confirmé par les notes manuscrites prises lors de cette réunion (annexe 44 de la communication des griefs) ainsi que par la réponse d'ABB du 4 juin 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996 (ci-après la «réponse d'ABB»). De même, pour certaines réunions, le tableau susmentionné présente des informations démentant la présence de M. Henss alors que celle-ci n'est plus contestée dans la requête, comme cela est le cas pour la réunion à Copenhague du 30 juin 1993, date pour laquelle le tableau mentionne un voyage à Budapest, et pour la réunion du 18 ou 19 août 1993 à Zurich, dates pour lesquelles le tableau cite un voyage à but «privé». En outre, comme il a été indiqué par la Commission, le tableau ne mentionne pas, en ce qui concerne la période pour laquelle la participation à l'entente n'est plus contestée, certains renseignements relatifs à des réunions dont l'objet aurait pu révéler l'existence d'une entente.

140.
    Dans ce contexte, il convient d'examiner, en ce qui concerne la période d'octobre 1991 à octobre 1994, les preuves assemblées et les conclusions que la Commission en a tirées, aux considérants 38 et suivants de la décision.

141.
    En premier lieu, il convient d'examiner si la Commission a correctement estimé, aux considérants 34 et 44 de sa décision, que Henss/Isoplus était partie à l'accordconvenu, en automne 1991, entre les producteurs danois relatif à une augmentation des prix pour 1992 en dehors du Danemark.

142.
    À cet égard, il y a lieu d'observer que l'existence d'un accord sur l'augmentation des prix bruts en Allemagne pour 1992 a été reconnue tant par ABB, dans sa réponse, que par Løgstør, dans ses observations sur la communication des griefs, même si la première déclare qu'un tel accord a été conclu lors de la réunion du 9 ou 10 octobre 1991 à Francfort, tandis que la seconde situe sa conclusion lors de la réunion du 10 décembre 1991 à Hambourg. Il s'avère, de plus, que les éléments cruciaux de l'accord, évoqués par ABB dans sa réponse susvisée et mentionnés au considérant 44 de la décision, se retrouvent dans les brèves notes manuscrites relatives à la réunion du 10 décembre 1991, prises par Løgstør (annexe 36 de la communication des griefs), qui font mention, notamment, de «Liste de prix minimaux pour les clients», de «Prix départ usine + 7 %», de «Réunion(s) mensuelle(s)» et de «Liste 13.1.92». Or, sur la base de l'ensemble des éléments susmentionnés, la Commission a été en droit d'estimer que, au plus tard vers le 10 décembre 1991 un accord a été conclu, au moins, sur l'augmentation des prix bruts en Allemagne.

143.
    En ce qui concerne la participation du groupe Henss/Isoplus à cet accord, il y a lieu d'observer que Løgstør, dans ses observations sur la communication des griefs, affirme que la réunion du 9 ou 10 octobre 1991 a été la première réunion à laquelle participaient également les «producteurs allemands» tandis que ABB, dans sa réponse, mentionne la présence de M. Henss lors des réunions du 9 ou 10 octobre et du 10 décembre 1991. À la lumière de ces déclarations, la participation de M. Henss lors des réunions du 9 ou 10 octobre et du 10 décembre 1991 est suffisamment établie. Il doit être observé, à cet égard, que ces déclarations concordantes sur sa présence lors de cette première réunion ne sauraient être démenties par le tableau de ses déplacements susmentionné, vu la faible crédibilité de celui-ci et le fait que, en tout état de cause, la mention d'un séjour de M. Henss à Budapest, du 9 au 12 octobre 1991, n'exclut pas le fait que celui-ci aurait encore participé à une réunion, le 9 octobre 1991, avant son départ pour Budapest.

144.
    Eu égard au contenu des discussions du 9 ou 10 octobre 1991 et du 10 décembre 1991, attesté par les déclarations d'ABB et de Løgstør et par les notes prises par Løgstør, figurant en annexe 36 de la communication des griefs, il y a lieu d'estimer que la Commission a correctement déduit de la présence de M. Henss lors desdites réunions la participation de celui-ci et, par conséquent, du groupe Henss/Isoplus à l'accord sur l'augmentation des prix bruts en Allemagne.

145.
    En deuxième lieu, il doit être considéré que la Commission a dûment établi que le groupe Henss/Isoplus a participé, au cours des années 1992 et 1993, à des échanges d'informations sur les parts de marché qui ont abouti, à la fin de 1993, à un accord sur la répartition du marché allemand.

146.
    D'abord, il ressort d'une note rédigée par Dansk Rørindustri lors d'une réunion en 1992 (annexe 37 de la communication des griefs) et de la réponse de cette dernière du 23 mai 1996 à la demande de renseignements que des informations ont été échangées sur les parts du marché existantes en 1992 et celles attendues pour l'année suivante des producteurs danois, de Pan-Isovit et de Henss/Isoplus. Quant à la réunion du 10 novembre 1992, lors de laquelle, selon les notes prises par Tarco (annexe 44 de la communication des griefs), des chiffres sur les parts de marché ont été échangés, la présence de M. Henss est attestée par les lettres d'invitation à la réunion (annexes 42 et 43 de la communication des griefs) et confirmée par Tarco, dans sa réponse du 31 mai 1996 à la demande de renseignements. De même, il ressort de cette réponse de Tarco que des chiffres représentant les parts de marché des entreprises sur les divers marchés nationaux, y inclus les parts de marché de «Isoplus», figurant en annexe 49 de la communication des griefs, ont été échangés le 19 avril 1993, donc la veille de la réunion du 20 avril 1993, pour laquelle la présence de M. Henss n'est pas contestée.

147.
    Puis, en ce qui concerne la répartition du marché allemand, il convient d'observer qu'ABB a reconnu que, à la suite d'un audit établissant les recettes de chaque producteur en 1992, les producteurs sont parvenus, le 18 août 1993, à un accord sur la répartition du marché allemand conformément aux parts obtenues en 1992, sur la préparation d'un nouveau barème uniforme et sur l'élaboration ultérieure d'un système de sanctions (réponse d'ABB du 4 juin 1996). D'après ABB, une négociation sur l'attribution des parts de marché s'est poursuivie lors des réunions tenues, le 8 ou 9 septembre 1993, à Copenhague et, par la suite, à Francfort (réponse d'ABB du 4 juin 1996).

148.
    Or, force est de constater que, en ce qui concerne l'audit établissant les recettes de 1992, l'exposé d'ABB correspond aux conclusions qui doivent être tirées d'une note d'ABB IC Møller du 19 août 1993 (annexe 53 de la communication des griefs), présentant un tableau qui mentionne, pour les producteurs danois ainsi que pour Pan-Isovit et «Isoplus/Henss», le chiffre d'affaires et la part de marché pour 1992 ainsi qu'un chiffre représentant la part de marché prévue pour 1994. Selon ABB, les données sur les chiffres d'affaires et les parts de marchés des entreprises concernées auraient été fournies par un cabinet d'audit suisse (réponse d'ABB du 4 juin 1996). Or, l'existence d'un audit des ventes effectué par un cabinet d'audit suisse est confirmée par Løgstør, dans ses observations sur la communication des griefs. En effet, bien que cette dernière prétende qu'elle aurait seulement demandé un audit des ventes de son distributeur en Allemagne afin de fournir des données fiables concernant la taille totale du marché allemand, il est difficilement envisageable qu'une entreprise collabore avec une société d'audit à laquelle elle procure ses chiffres de ventes dans le seul but de pouvoir, ensuite, déterminer sa propre part de marché par rapport au marché global alors que les autres entreprises ayant accepté le même audit entendent que leur soient communiquées l'ensemble des informations relatives aux parts de marché.

149.
    Contrairement à ce qu'affirment les requérantes, l'établissement d'un tableau détaillé comme celui figurant dans la note d'ABB IC Møller démontre suffisamment que le groupe Henss/Isoplus a collaboré à l'échange entre les entreprises présentes sur le marché allemand des informations relatives à leurs parts de marché existantes et prévisibles. En effet, l'affirmation des requérantes selon laquelle ABB aurait été au courant des ventes des sociétés Henss en raison du contrat de représentation commerciale qui les unissait ne peut invalider la constatation selon laquelle ABB a disposé du chiffre d'affaires précis de «Henss/Isoplus», dont l'exactitude n'a pas été mise en cause, couvrant donc également les activités des sociétés Isoplus et dépassant, par conséquent, les seules activités des sociétés Henss en tant que représentants commerciaux d'ABB.

150.
    Étant donné que la collaboration du groupe Henss/Isoplus à la rédaction du tableau repris dans la note d'ABB IC Møller a été établie, il n'est pas besoin d'examiner la pertinence de l'argument avancé par les requérantes selon lequel il n'est pas démontré que ce tableau se rapporte aux résultats d'un audit.

151.
    En troisième lieu, quant à la conclusion d'un accord de principe sur la répartition du marché allemand, la thèse d'ABB, figurant dans sa réponse, selon laquelle les entreprises s'étaient accordées, en août 1993, sur le partage du marché allemand, même si les parts de marché exactes de chaque participant faisaient encore l'objet d'une négociation qui se poursuivait d'une réunion à l'autre, est confirmée non seulement par les indications des parts de marché pour 1994 figurant dans la note d'ABB IC Møller, susvisée, mais également par une note du 18 août 1993 provenant de Pan-Isovit (annexe 52 de la communication des griefs) et par le document établi par ABB (annexe 7 aux observations de Løgstør sur la communication des griefs), qui démontrent, dans leur ensemble, que, en août et en septembre 1993, une négociation se poursuivait sur une attribution des parts de marché en Allemagne.

152.
    D'une part, l'existence d'une telle négociation est confirmée par la note du 18 août 1993 susvisée, établie par Pan-Isovit pour sa société mère et relative à une visite effectuée chez Løgstør, le 3 août 1993, dont il ressort que Pan-Isovit a été informée de ce que Løgstør était «en principe intéressée par des accords sur les prix mais uniquement si [sa] part de marché [...] [était] adéquate» et du fait que «[Løgstør] s'efforç[ait], en accord avec ABB, de mettre Tarco sous contrôle au Danemark et en Allemagne».

153.
    D'autre part, il est confirmé par le document figurant en annexe 7 des observations de Løgstør sur la communication des griefs que, en ce qui concerne la répartition du marché, il ne restait à discuter, en septembre 1993, que du montant des quotas individuels. À cet égard, il convient d'observer que le document en question, décrivant un système de partage du marché allemand basé sur l'audit concernant les recettes, sur des paiements à effectuer en cas de dépassement des quotas attribués et sur un barème de prix commun, constitue, selon les observations deLøgstør à la communication de griefs, une proposition que celle-ci a reçue d'ABB, en septembre 1993, et qui était soutenue par Pan-Isovit et le groupe Henss/Isoplus. En ce qui concerne les parts de marché, il y a lieu d'observer que les pourcentages cités dans cette proposition correspondent aux chiffres mentionnés dans la note d'ABB IC Møller susvisée («26» pour Pan-Isovit, «25» pour ABB Isolrohr, «12» pour Løgstør, «4» pour Dansk Rørindustri), sauf pour Tarco et Henss/Isoplus, auxquelles sont attribués, dans ce dernier document, respectivement, «17» et «16», tandis que la proposition d'ABB mentionne «17,7 %» et «15,3 %». Or, en ce qui concerne l'augmentation de la part de Tarco, il convient de noter qu'il est déclaré par ABB, dans sa réponse, que les chiffres pour 1994 figurant dans la note d'ABB IC Møller «reflètent l'accord conclu lors de la réunion du 18 août [1993] en vertu duquel ces parts de marché seraient maintenues pour 1994, avec de légers ajustements à la suite des discussions lors de cette réunion» et que, lors de la réunion du 8 ou du 9 septembre 1993, «l'objet de la réunion semble avoir été la poursuite de la négociation des allocations de parts de marché à la suite du rapport du [cabinet d'audit suisse]: Tarco a apparemment insisté pour se voir attribuer 18 % du marché allemand». Eu égard à la concordance entre les déclarations d'ABB, d'une part, et l'augmentation de la part de Tarco proposée par ABB, Pan-Isovit et Henss/Isoplus en septembre 1993 par rapport à la part mentionnée en août 1993 dans la note d'ABB IC Møller, d'autre part, il y a lieu de conclure que, au terme des réunions tenues aux mois d'août et de septembre 1993, il existait, au moins entre certaines entreprises, un accord visant à se répartir le marché allemand, même si la discussion sur les quotas se poursuivait encore.

154.
    En effet, la succession de réunions lors desquelles les entreprises se sont rencontrées pour discuter de la répartition des parts de marché n'aurait pas été possible s'il n'y avait pas eu, à l'époque, une volonté commune, parmi les participants à ces réunions, de restreindre les ventes sur le marché allemand par la voie d'une attribution de parts de marché à chaque opérateur.

155.
    Dans ces circonstances, la Commission a correctement déduit de la continuation de réunions sur l'attribution des parts de marché, en août et en septembre 1993, l'existence d'un accord entre les participants à ces réunions portant, au moins, sur le principe d'une répartition du marché allemand.

156.
    Il y a lieu d'observer qu'une telle conclusion n'est pas incompatible avec la déclaration d'ABB IC Møller, citée par les requérantes, selon laquelle celle-ci «est convaincue qu'aucun accord relatif aux parts de marché en Allemagne n'a été conclu entre les fournisseurs desservant le marché allemand avant 1994/1995» (réponse d'ABB du 4 juin 1996). En effet, cette déclaration doit être lue avec les autres passages du même document concernant la discussion sur la répartition du marché allemand. Ce document énonce que, lors de la réunion du 30 juin 1993, il a été convenu de demander à un cabinet d'audit de vérifier les ventes de 1992 sur la base desquelles un accord final sur les parts de marché serait conclu, vérification dont le coût serait réparti entre les sociétés en fonction de leurs parts de marché telles qu'elles seraient déterminées par le cabinet d'audit. Toujours selon cedocument, il a été convenu, le 18 août 1993, que la répartition des parts de marché figurant dans le rapport du cabinet d'audit serait maintenue dans ses grandes lignes pour 1994, point sur lequel Tarco a marqué son désaccord. Ce document précise également que les chiffres pour 1994 reflétaient l'accord conclu lors de la réunion du 18 août 1993 en vertu duquel ces parts de marché seraient maintenues pour 1994, avec de légers ajustements à la suite des discussions lors de cette réunion. Ce document énonce qu'une négociation s'est poursuivie sur la distribution des parts de marché, notamment lors de la réunion du 8 ou 9 septembre 1993 et, ensuite, qu'il semble qu'une autre réunion se soit tenue à Francfort dans la soirée de la même journée mais qu'il ne ressort pas clairement des entretiens menés par ABB IC Møller qu'un accord sur les quotas ait été conclu lors de cette réunion. Cependant, selon ce document, l'intention était, à ce moment-là, de signer un accord écrit avec tous les fournisseurs du marché allemand dès qu'un accord sur les parts de marché aurait été trouvé, de manière à faciliter la mise à exécution de la répartition. Toutefois, le document précise qu'aucun accord écrit n'a, en fait, été signé et que, en tout état de cause, le consensus qui s'était dégagé en septembre n'a été que de courte durée.

157.
    Il en découle que, bien que les participants à la négociation ne soient pas parvenus à un accord sur les parts de marché à attribuer à chacun d'eux, il a toutefois existé, à un certain moment, un «consensus» sur le principe de la répartition du marché allemand.

158.
    En ce qui concerne la participation du groupe Henss/Isoplus à cet accord, il convient d'observer que la présence de M. Henss n'est pas contestée pour les réunions du 30 juin 1993 à Copenhague et du 18 ou 19 août 1993 à Zurich. De plus, la déclaration d'ABB selon laquelle une réunion aurait eu lieu avec M. Henss à Francfort, le 8 ou 9 septembre 1993 (réponse du 4 juin 1996) n'est pas incompatible avec l'affirmation des requérantes selon laquelle M. Henss aurait eu un rendez-vous le 8 septembre 1993, à Francfort, et le 9 septembre 1993, à Prague. Or, eu égard à la présence de M. Henss aux réunions mentionnées et au fait que les négociations sur la répartition du marché allemand comprenaient une part de marché pour Henss/Isoplus, comme cela ressort de la note d'ABB IC Møller, il doit être considéré comme établi que le groupe Henss/Isoplus a participé aux négociations qui ont abouti, vers septembre 1993, à un consensus sur le principe de la répartition du marché allemand.

159.
    En quatrième lieu, c'est à juste titre que la Commission a constaté la participation du groupe Henss/Isoplus à un accord sur un barème de prix pour le marché allemand, à la suite de la réunion qui s'est tenue le 3 mai 1994.

160.
    En effet, il y a lieu de noter que les requérantes ne contestent pas le fait d'avoir été représentées lors de la réunion du 3 mai 1994. À cet égard, la déclaration d'ABB, selon laquelle il existait un barème de prix qui, à la suite de cette réunion, devait être utilisé pour toutes les livraisons aux fournisseurs allemands (réponsed'ABB du 4 juin 1996), est confirmée par la lettre du 10 juin 1994 par laquelle M. Henss et les directeurs d'ABB, de Dansk Rørindustri, de Løgstør, de Pan-Isovit et de Tarco ont été invités par le coordinateur de l'entente à une réunion devant se tenir le 18 août 1994 (annexe 56 de la communication des griefs) et qui énonce:

«La réunion sur la situation du marché en RFA est maintenant fixée à la date suivante:

Jeudi 18 août 1994 à 11 heures [...]

Étant donné que la liste du 9 mai 1994 est incomplète en ce qui concerne certains postes et que, de ce fait, les comparaisons d'offres ont entraîné des confrontations et des différences d'interprétation importantes, je me permets de compléter les postes manquants par la liste ci-jointe.»

161.
    Or, il ressort de cette lettre qu'il existait une liste de prix devant être appliqués lors des soumissions d'offres et dont la mise en oeuvre avait déjà débuté, quoique de manière problématique. L'existence d'une telle liste est confirmée par Tarco, qui mentionne une liste de prix communiquée par le coordinateur de l'entente aux directeurs «probablement en mai 1994» (réponse de Tarco du 31 mai 1996 à la demande de renseignements). Selon ABB, des mesures visant à «améliorer» le niveau de prix en Allemagne ont été discutées, ensuite, lors de la réunion du 18 août 1994 à Copenhague (réponse d'ABB du 4 juin 1996), pour laquelle les requérantes ne contestent pas avoir été représentées. Or, dans ces circonstances la Commission a pu déduire la participation des requérantes au système du barème de prix de par leur présence aux réunions des 3 mai et 18 août 1994.

162.
    En cinquième lieu, en ce qui concerne la participation ultérieure des requérantes à l'entente, il convient d'observer qu'elles n'ont pas contesté la présence de M. Henss telle qu'elle a été enregistrée tant pour la réunion du 7 octobre 1994 à Hambourg (réponse de Tarco du 31 mai 1996 à la demande de renseignements) que pour la réunion du 16 novembre 1994 (réponse d'ABB du 4 juin 1996). Or, d'après les déclarations d'ABB (réponse du 4 juin 1996) et de Tarco (réponse du 31 mai 1996), la réunion du 7 octobre 1994 était la première d'une série de réunions, considérée comme réunissant le groupe de contact allemand et dans le cadre desquelles a eu lieu une négociation sur les prix et sur la répartition du marché allemand. Quant à la seconde réunion, il ressort des déclarations d'ABB (réponse du 4 juin 1996) et de Pan-Isovit (réponse du 17 juin 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996) qu'elle correspondait à une réunion du club des directeurs lors de laquelle une répartition des parts de marché au niveau européen a été décidée entre les entreprises concernées.

163.
    Eu égard à l'affirmation des requérantes, dans leurs mémoires, selon laquelle elles ont, en octobre 1994, déclaré «qu'elles adhéraient, en principe, à partir d'octobre 1994, à cette entente illégale au niveau européen», il doit être considéré comme établi que, de par leur présence lors des réunions du groupe de contact allemandà partir d'octobre 1994, elles souscrivaient à la coopération entre producteurs qui faisait l'objet de ces réunions.

164.
    Aucun des autres arguments avancés par les requérantes n'est de nature à mettre en cause ces conclusions, tirées de la présence de M. Henss aux réunions à objet anticoncurrentiel.

165.
    Premièrement, le fait que d'autres entreprises participant à l'infraction n'aient pas reconnu la participation des requérantes dans l'entente avant 1994 ou aient ignoré celle-ci n'est pas pertinent. En effet, il ressort de ce qui précède que tant le caractère anticoncurrentiel des réunions susmentionnées que la présence de M. Henss aux réunions déterminantes découlent d'un ensemble de preuves, notamment de plusieurs documents trouvés chez les entreprises concernées et de témoignages de certaines d'entre elles. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que Løgstør et Tarco ont expressément reconnu la présence des requérantes aux réunions incriminées du 9 ou 10 octobre 1991 et du 10 novembre 1992. De plus, le simple fait que d'autres entreprises contestent l'existence d'une entente sur le marché allemand, avant 1994, ne suffit pas à donner un éclairage différent aux preuves établissant la participation des requérantes à cette entente.

166.
    Eu égard aux preuves concernant la participation des requérantes à l'entente dès octobre 1991, leur participation à l'entente pour la période allant jusqu'à l'automne de 1993 ne saurait être contestée sur la base du fait que l'entente a été suspendue pendant quelques mois, à partir d'octobre 1993. Étant donné qu'une telle «suspension» de l'entente a été reconnue par la Commission, au considérant 153 de sa décision, en écartant cette période du calcul de la durée de la participation à l'infraction des requérantes, il ne saurait être reproché à la Commission, en ce qui concerne la période en question, d'avoir commis une erreur dans l'appréciation des preuves relatives à ladite participation.

167.
    Deuxièmement, l'argument selon lequel aucun accord sur les prix n'a été suivi d'une augmentation effective des prix sur le marché n'est pas non plus pertinent. En effet, aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue, dès lors qu'il apparaît que celui-ci a eu pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 496, Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 99, et du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 178; arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39/92 et T-40/92, Rec. II-49, point 87). Par ailleurs, le fait qu'une entreprise participant avec d'autres à des réunions au cours desquelles sont prises des décisions en matière de prix ne respecte pas les prix convenus n'est pas de nature à infirmer l'objet anticoncurrentiel de ces réunions et, dès lors, la participation de l'entreprise intéressée aux ententes, mais tendrait tout au plus à démontrer qu'elle n'a pas mis en oeuvre les accords enquestion (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T-148/89, Rec. p. II-1063, point 79).

168.
    Troisièmement, le rôle joué par Henss Rosenheim en tant que représentant commercial d'ABB Isolrohr sur le marché allemand n'est pas non plus de nature à infirmer les conclusions de la Commission relatives aux activités susmentionnées du groupe Henss/Isoplus.

169.
    Sur ce point, il convient de relever que l'affirmation des requérantes, selon laquelle tant les échanges d'informations sur les prix que la présence de M. Henss aux réunions incriminées auraient été dus à l'obligation de ce dernier, en tant que directeur de Henss Rosenheim, de fournir à ABB Isolrohr des renseignements sur le marché, n'est pas crédible dans la mesure où il ressort du dossier que, à supposer que M. Henss ait dû fournir ces informations, ABB Isolrohr a été elle-même directement représentée lors de plusieurs des réunions incriminées. Le fait que M. Henss ait été le représentant commercial d'ABB Isolrohr n'exclut, d'ailleurs, pas un intérêt distinct de sa part en ce qui concerne l'ensemble des sociétés Henss/Isoplus qu'il représentait lors de telles réunions.

170.
    À cet égard, les requérantes ne sauraient non plus invoquer les différends existants entre Henss Rosenheim et ABB Isolrohr, à la fin de 1991 et à la fin de 1993, en ce qui concerne le niveau de prix sur le marché allemand pour contester leur adhésion à un accord sur une augmentation des prix.

171.
    D'une part, il convient de préciser que le différend sur les prix d'agence (prix facturés par ABB Isolrohr à Henss Rosenheim) pour 1992 a commencé avec l'annonce d'ABB Isolrohr de l'augmentation de ses prix, le 11 septembre 1991, donc avant la réunion du 9 ou 10 octobre 1991 dans le cadre de laquelle la discussion sur une augmentation des prix s'est déroulée entre les producteurs danois et les sociétés allemandes. Même s'il est vrai qu'ABB reconnaît, dans sa réponse, qu'ABB Isolrohr a essayé, en août 1991, de convaincre Henss Rosenheim d'accepter de la suivre, en feignant qu'une augmentation de prix avait été fixée avec Løgstør et Tarco, il est également vrai que, dans la même réponse, ABB affirme qu'un tel accord a effectivement été conclu entre les producteurs danois, Pan-Isovit et Henss, lors de la réunion du 10 octobre 1991. En ce qui concerne le conflit ultérieur sur les prix d'agence, il convient d'observer que Henss Rosenheim a exprimé sa demande d'une baisse des prix d'agence par lettres du 22 septembre 1993 et du 7 octobre 1993, donc peu après qu'un consensus s'est établi en ce qui concerne la répartition du marché allemand mais au moment où, d'après le considérant 52 de la décision, ce dernier accord s'avérerait impossible à mettre en oeuvre et où les prix sur le marché continuaient à baisser.

172.
    D'autre part, il ressort du dossier que les différends entre Henss Rosenheim et ABB Isolrohr concernaient uniquement les prix d'agence. Selon le contrat conclu entre ABB Isolrohr et Henss Rosenheim, annexé à la requête, la commission du représentant commercial était constituée de la différence entre le prix d'agence etle prix de vente à l'acheteur final, qui était déterminé par le représentant commercial. Il s'ensuit que l'intérêt de Henss Rosenheim de s'opposer à une augmentation du prix d'agence à payer à ABB Isolrohr en ce qui concerne la seule région couverte par son contrat de représentation commerciale n'était aucunement incompatible avec son intérêt d'obtenir, sur tout le marché allemand, une augmentation des prix de vente. Cela est d'ailleurs confirmé par des remarques faites par ABB Isolrohr dans sa réponse à la lettre de Henss Rosenheim du 7 octobre 1993, selon lesquelles Henss Rosenheim prêtait à ses activités dans les nouveaux Länder allemands et à l'étranger une attention telle qu'elle eût conduit à une diminution de ses efforts dans la région couverte contractuellement (lettre du 29 octobre 1993, annexée à la requête).

173.
    Quatrièmement, étant donné que la participation du groupe Henss/Isoplus est suffisamment établie sur la base de la présence de M. Henss lors d'une série de réunions ayant pour objet des accords anticoncurrentiels, l'allégation des requérantes selon laquelle le groupe Henss/Isoplus n'aurait pas été un partenaire économiquement intéressant pour les autres participants à l'entente est dépourvue de toute pertinence. Par ailleurs, comme cela est soutenu par la Commission, un tel constat ne peut être tiré de l'examen de la position sur le marché des sociétés Henss et Isoplus.

174.
    Cinquièmement, la participation à l'entente des requérantes ne saurait être contestée en raison de l'entrée sur le marché danois d'Isoplus Hohenberg ni en raison des pressions exercées sur cette dernière par les producteurs danois sur le marché autrichien.

175.
    En effet, l'existence d'un accord ayant pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché donné n'est pas exclue par le fait qu'un des membres de l'entente se livre, sur un marché voisin, à un comportement compétitif susceptible de nuire aux intérêts commerciaux des autres membres et d'ébranler les accords anticoncurrentiels existant sur ce dernier marché. De plus, une entente sur les prix ne cesse pas d'exister par le seul fait que l'une ou l'autre des entreprises concernées essaie de renforcer sa position sur le marché en vendant à des prix plus bas que ceux concertés et que certaines autres réagissent par rapport à ceux-ci, notamment lorsque les entreprises envisagent des négociations devant conduire à une répartition du marché, pour autant que ces entreprises ne perdent pas leur volonté commune de se comporter sur le marché de la manière déterminée au sein de l'entente.

176.
    En outre, en ce qui concerne l'entrée sur le marché danois d'Isoplus Hohenberg, il convient d'observer que les activités des requérantes à travers leur filiale au Danemark n'ont pas été la seule cause de la perte d'efficacité temporaire de l'entente sur le marché danois, à la fin de 1993. En effet, il ressort des déclarations d'ABB et de Løgstør que les tensions qui, à cette époque, ont conduit à cette perte d'efficacité étaient dues également au comportement agressif de Løgstør, quidemandait une part de marché supérieure (observations de Løgstør sur la communication des griefs; réponse d'ABB du 4 juin 1996). Cela est confirmé par les remarques faites lors de la réunion du 3 février 1994 du conseil de surveillance des sociétés Henss/Isoplus (document complémentaire à la communication des griefs n° 21), lors de laquelle a été évoqué le fait que Løgstør avait débauché un client important d'ABB grâce à des prix très bas afin de convaincre ce dernier de renoncer à des parts de marché en sa faveur.

177.
    Il ressort clairement de ce document que la stratégie du groupe Henss/Isoplus sur le marché danois était de s'accorder avec les producteurs danois plutôt que de sauvegarder la libre concurrence sur ce marché. Dans ces circonstances, la Commission a considéré, à juste titre, que l'entrée du groupe Henss/Isoplus sur le marché danois n'a constitué qu'une tentative pour acquérir plus de poids dans les négociations concernant la répartition du marché allemand (considérant 48 de la décision).

178.
    Quant aux pressions dont aurait souffert Isoplus Hohenberg, il convient d'observer qu'une entreprise qui participe avec d'autres à des activités anticoncurrentielles ayant pour objet la fixation de prix et de quotas ne peut se prévaloir du fait qu'elle y participerait sous la contrainte des autres participants. En effet, elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l'objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l'article 3 du règlement n° 17 plutôt que de participer auxdites réunions (arrêt du 10 mars 1992, Hüls/Commission, précité, points 123 et 128; arrêt Tréfileurope/Commission, précité, point 58). Par ailleurs, il n'y a aucune indication tendant à faire croire que M. Henss, lors de sa représentation des intérêts des sociétés Henss et Isoplus, aurait été convoqué aux réunions incriminées sous la pression d'une autre entreprise ni que le groupe Henss/Isoplus aurait été obligé d'accepter les résultats desdites réunions. Le fait que M. Henss se trouvât sous la contrainte d'ABB n'est pas confirmé par une note du directeur d'ABB IC Møller du 4 juin 1992, annexée par ABB à sa réponse, selon laquelle il était important pour ABB de «pouvoir diriger/contrôler Henss», étant donné qu'il ressort de la même note que l'objet de celle-ci était la suite à donner à un appel téléphonique de la part de M. Henss dans lequel celui-ci exprimait sa propre volonté d'une coopération meilleure avec ABB Isolrohr.

179.
    Sixièmement, la participation du groupe Henss/Isoplus à l'entente avant 1994 n'est pas contredite par le fait que l'EuHP, à cette époque, refusait d'accepter les sociétés Henss/Isoplus en tant que membres. En effet, il est constant que les activités de l'EuHP ne se sont pas confondues avec le fonctionnement de l'entente, étant donné que les entreprises concernées conservaient une distinction entre les réunions officielles dans le cadre de l'EuHP et les réunions de l'entente et que certains membres de l'entente n'ont jamais été membres de l'EuHP. Ainsi, les requérantes ne contestent pas que le groupe Henss/Isoplus participait à l'entente après octobre 1994, bien qu'aucune des sociétés dudit groupe n'ait été admise à l'EuHP avant l'été de 1995.

180.
    Enfin, il doit être noté que les requérantes n'ont pas indiqué d'autres éléments à décharge que la Commission aurait omis d'apprécier lors de son enquête. Étant donné que la Commission a tiré ses conclusions à la suite d'une appréciation pertinente des preuves et sur la base de l'ensemble de preuves composé, d'une part, par plusieurs documents trouvés chez les entreprises concernées et, d'autre part, par les témoignages de certaines de ces entreprises, il ne saurait être soutenu que la Commission, dans la présente procédure, aurait porté atteinte au principe de la présomption d'innocence.

181.
    Il s'ensuit que la Commission était en droit de reprocher au groupe Henss/Isoplus la participation à une entente à partir d'octobre 1991 jusqu'à octobre 1994.

b) Sur l'appréciation juridique

182.
    En ce qui concerne l'appréciation juridique de la Commission sur les faits constatés avant octobre 1994, les requérantes avancent, en substance, six griefs. Premièrement, les requérantes dénoncent la qualification de l'infraction d'«ensemble d'accords et de pratiques concertées». Deuxièmement, les requérantes contestent la qualification d'accord des comportements constatés. Troisièmement, les requérantes contestent la notion de pratiques concertées dont la Commission s'est servie. Quatrièmement, les requérantes font valoir que la Commission a erronément apprécié les conséquences juridiques d'une participation à une réunion ayant un objet anticoncurrentiel. Cinquièmement, les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur quant à la charge de la preuve concernant la participation à une entente globale. Sixièmement, les requérantes reprochent à la Commission d'avoir omis d'apprécier la responsabilité individuelle des sociétés considérées comme relevant du groupe Henss/Isoplus.

i) Sur la qualification de l'infraction d'«ensemble d'accords et de pratiques concertées»

Arguments des parties

183.
    Les requérantes contestent l'affirmation de la Commission faite aux considérants 131 et 132 de sa décision, selon laquelle, dans le cas d'une entente complexe et durable, fondée sur une série de pratiques concertées et d'accords qui s'inscrivent dans un comportement adopté par les entreprises en cause en vue d'un objectif commun, à savoir empêcher ou fausser la concurrence, elle serait en droit de conclure à l'existence d'une infraction unique et continue. En effet, la Commission soutiendrait à tort qu'il n'est pas nécessaire, dans un tel cas, qu'elle qualifie l'infraction, en la faisant entrer dans une seule des deux catégories, soit d'accord, soit de pratique concertée.

184.
    Les requérantes rappellent qu'il n'est pas nécessaire, ni dans le cas d'un accord au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, ni dans celui d'un «gentlemen'sagreement» ayant pour objet de restreindre le jeu de la concurrence, de démontrer l'existence d'une restriction effective de la concurrence. En revanche, en ce qui concerne les pratiques concertées, en l'absence d'une coordination volontaire de comportements ayant pour objet de restreindre la concurrence, il appartiendrait à la Commission de prouver que les pratiques concertées ont effectivement eu pour effet de restreindre la concurrence. Eu égard à la distinction entre les notions d'accord et de pratiques concertées, il ne serait pas possible, pour la Commission, de ne retenir qu'une infraction unique à l'article 85, paragraphe 1, du traité lorsque les violations de ladite disposition revêtent différentes formes. En effet, le respect du principe de la présomption d'innocence exigerait que soient précisés, dans une décision prise en application du règlement n° 17, tous les éléments matériels d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

185.
    La défenderesse fait observer que, en l'espèce, les accords et les pratiques concertées mis en oeuvre pendant la période en question auraient fait partie d'un système de réunions périodiques en vue de réguler le marché par la fixation de prix et de quotas. Ce comportement s'étant manifesté pour partie dans des accords, pour partie dans des pratiques concertées, la Commission aurait été fondée à constater, à l'article 1er de la décision, l'existence d'un accord et d'une pratique concertée. De cette façon, elle n'aurait ni méconnu les notions d'accord et de pratique concertée ni violé des principes généraux de droit.

Appréciation du Tribunal

186.
    Il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d'une infraction complexe, qui a impliqué plusieurs producteurs, pendant plusieurs années, poursuivant un objectif de régulation en commun du marché, il ne saurait être exigé de la Commission qu'elle qualifie précisément l'infraction, pour chaque entreprise et à chaque instant donné, d'accord ou de pratique concertée, dès lors que, en toute hypothèse, l'une et l'autre de ces formes d'infraction sont visées à l'article 85 du traité. La Commission est ainsi en droit de qualifier une telle infraction unique d'«accord et de pratique concertée» ou, encore, d'accord «et/ou» de pratique concertée, dans la mesure où cette infraction comporte des éléments devant être qualifiés d'accord et des éléments devant être qualifiés de pratique concertée (arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, point 264). En effet, il serait artificiel de subdiviser un comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes (arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, point 263).

187.
    Dans une telle situation, la double qualification doit être comprise non comme exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces éléments de fait présente les éléments constitutifs d'un accord et d'une pratique concertée, mais bien comme désignant un tout complexe comportant des éléments de fait dont certains ont été qualifiés d'accord et d'autres de pratique concertée au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, lequel ne prévoit pas de qualification spécifique pour ce type d'infraction complexe (arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, point 264).

188.
    Si l'article 85, paragraphe 1, du traité distingue la notion de pratique concertée de celle d'accord entre entreprises ou de décision d'association d'entreprises, c'est dans le dessein d'appréhender, sous les interdictions de cette disposition, différentes formes de coordination et de collusion entre entreprises (arrêt ICI/Commission, précité, point 64). Il n'en découle pas pour autant qu'une série de conduites ayant le même objet anticoncurrentiel et dont chacune, prise isolément, relève de la notion d'accord, de pratique concertée ou de décision d'association d'entreprises ne puissent pas constituer des manifestations différentes d'une seule infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Dès lors, une série de comportements de plusieurs entreprises peut constituer l'expression d'une infraction unique et complexe relevant pour partie de la notion d'accord et pour partie de celle de pratique concertée (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, points 112 à 114).

189.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission était en droit d'affirmer que, dans un tel cas, il n'est pas nécessaire de qualifier l'infraction en la faisant entrer dans une seule des deux catégories, à savoir les accords ou les pratiques concertées.

190.
    En effet, la comparaison entre les notions d'accord et de pratique concertée, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, fait apparaître que, du point de vue subjectif, elles appréhendent des formes de collusion qui partagent la même nature et ne se distinguent que par leur intensité et par les formes dans lesquelles elles se manifestent. Il s'ensuit que, si ces notions comportent des éléments constitutifs partiellement différents, elles ne sont pas réciproquement incompatibles. Partant, la Commission n'est pas tenue de qualifier chacun des comportements constatés d'accord ou de pratique concertée, mais peut qualifier certains de ces comportements, à titre principal, d'accords et d'autres, à titre subsidiaire, de pratiques concertées (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, points 131 et 132).

191.
    Une telle interprétation n'aboutit pas à des conséquences inacceptables en matière de preuve. D'une part, la Commission reste tenue d'établir que chaque comportement constaté relève de l'interdiction édictée à l'article 85, paragraphe 1, du traité au titre d'accord, de pratique concertée ou de décision d'association d'entreprises. D'autre part, les entreprises auxquelles il est fait grief d'avoir participé à l'infraction ont la possibilité de contester, pour chacun de ces comportements, la qualification ou les qualifications retenues par la Commission en faisant valoir que celle-ci n'a pas apporté la preuve des éléments constitutifs des différentes formes d'infractions alléguées (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, points 134 à 136).

192.
    Il s'ensuit que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en qualifiant l'infraction en cause, dans l'article 1er du dispositif de la décision, d'«ensembled'accords et de pratiques concertées», sans la faire entrer dans une seule de ces deux catégories.

ii) Sur la qualification d'accord des comportements constatés

Arguments des parties

193.
    Les requérantes font valoir, quant à la notion d'accord au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, qu'il ressort de la sanction de nullité de plein droit prévue à l'article 85, paragraphe 2, du traité qu'un tel accord doit comprendre un engagement juridique. Dès lors, ce qui est dénommé gentlemen's agreement ne s'apparenterait pas à la notion d'accord. Tant que les entreprises ne sont pas d'accord entre elles, leur comportement ne pourrait être qualifié que de tentative d'accord, ce qui, en droit communautaire de la concurrence, ne serait pas passible d'amende.

194.
    Selon les requérantes, il n'y a pas eu d'accord pendant la période en question, étant donné que ce n'est qu'à l'automne de 1994 qu'un accord a été conclu en matière de prix et de quotas.

195.
    En ce qui concerne le régime de quotas qui, d'après la Commission, aurait été adopté en août ou en septembre 1993, la Commission aurait même mentionné, au considérant 51 de sa décision, au sujet des objectifs convenus pour le marché allemand pour 1994, qu'un consensus général «sembl[ait]» s'être dégagé, ce qui indiquerait qu'un tel consensus n'a pas existé. Selon les constatations au même considérant de la décision, Tarco aurait émis des réserves à l'égard des quotas. Au considérant 52 de la décision, la Commission préciserait, en outre, qu'un tel accord n'a effectivement jamais vu le jour. Indépendamment du fait que les requérantes n'ont jamais conclu un tel accord ou qu'elles n'y ont jamais collaboré, les faits évoqués par la Commission pourraient tout au plus être qualifiés de tentative d'accord.

196.
    La Commission soutiendrait à tort, au considérant 137 de sa décision, que les arrangements «inachevés, vagues et souvent fragmentaires» conclus en dehors du Danemark avant 1994 auraient constitué, en tout cas, des violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité. En effet, des accords inachevés seraient des accords qui n'existaient pas encore, une volonté commune n'étant pas née entre les entreprises concernées. Par conséquent, de tels arrangements fragmentaires, inachevés, ne constitueraient que des tentatives d'accords qui ne sont pas punissables d'amende.

197.
    En tout état de cause, non seulement Henss Rosenheim et, de ce fait, le groupe Henss/Isoplus ne se seraient pas conformés aux résultats des réunions mentionnées dans la décision, mais ils se seraient même ouvertement désolidarisés de ces résultats. L'intervention de l'avocat de l'entreprise et l'introduction d'une plainte devant une juridiction arbitrale par Henss Rosenheim contre ABB Isolrohr nepourraient être interprétées différemment que comme le fait de se distancier ouvertement des résultats de ces réunions au sens de la jurisprudence.

198.
    La défenderesse fait observer qu'il suffit, pour admettre l'existence d'un accord, selon la jurisprudence, que les entreprises concernées aient exprimé leur volonté commune d'adopter un comportement déterminé sur le marché. Il ne serait nullement nécessaire que les parties aient créé un lien juridique. Dans ce contexte, l'augmentation des prix décidée en octobre ou en décembre 1991, le régime de quotas adopté en août ou en septembre 1993 ainsi que le barème adopté en mai et en août 1994 auraient le caractère d'accord.

Appréciation du Tribunal

199.
    Il est de jurisprudence constante que, pour qu'il y ait accord, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 112, et du 29 octobre 1980, Van Landewyck/Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 86; arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1/89, Rec. p. II-867, point 120).

200.
    Tel est le cas lorsque, entre plusieurs entreprises, existe un gentlemen's agreement représentant la fidèle expression d'une telle volonté commune et portant sur une restriction de la concurrence (arrêts ACF Chemiefarma/Commission, précité, point 112, et Tréfileurope/Commission, précité, point 96). Dans ces circonstances, il est sans pertinence d'examiner si les entreprises se sont considérées tenues - juridiquement, factuellement ou moralement - d'adopter le comportement convenu entre elles (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347/94, Rec. p. II-1751, point 65).

201.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, il ne saurait être déduit une conclusion inverse de la sanction de nullité prévue par l'article 85, paragraphe 2, du traité, qui est conçue pour les cas où une obligation juridique est effectivement en cause. En effet, le fait que cette sanction ne peut s'appliquer, par nature, qu'aux accords qui ont un caractère obligatoire, ne signifie pas que les accords dépourvus d'un tel caractère doivent échapper à l'interdiction énoncée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

202.
    En l'espèce, la Commission a estimé, au considérant 137 de la décision, que, pour ce qui est des arrangements en dehors du marché danois avant 1994, un accord exprès a été conclu, au moins, en ce qui concerne l'augmentation des prix en Allemagne à compter du 1er janvier 1992, sur la fixation des prix et le partage des projets en Italie et sur le régime de quotas en termes de parts de marché en août 1993. En ce qui concerne la participation des requérantes à l'entente avant octobre 1994, il est constant que la Commission a retenu comme accord, premièrement,l'augmentation des prix sur le marché allemand pour 1992, décidée en octobre et en décembre 1991, deuxièmement, le régime de quotas adopté en août ou en septembre 1993 et, troisièmement, le barème des prix adopté en mai et en août 1994.

203.
    À cet égard, il convient de renvoyer aux points 137 à 181 ci-dessus, où il a été constaté que la Commission, sur la base de l'ensemble des preuves qu'elle a rassemblées, a pu considérer que le groupe Henss/Isoplus était partie à l'accord conclu, au plus tard, le 10 décembre 1991 sur l'augmentation des prix bruts en Allemagne, à un accord sur la répartition du marché allemand convenu, au plus tard, en septembre 1993, et à un accord sur un barème des prix, adopté lors des réunions de mai et d'août 1994.

204.
    Sur cette question, l'opposition de Henss Rosenheim aux augmentations des prix d'agence imposées par ABB Isolrohr ne peut être considérée comme une distanciation vis-à-vis des autres participants à l'entente, étant donné qu'une telle opposition concernait uniquement les prix d'agence utilisés dans le cadre de la représentation commerciale de Henss Rosenheim et non pas les prix de vente fixés par les entreprises concernées pour le marché allemand.

205.
    En ce qui concerne l'accord sur la répartition du marché allemand, convenu en août 1993, il ne saurait être soutenu que la Commission a constaté l'absence d'une volonté commune, en indiquant, au considérant 51 de la décision, qu'un consensus «sembl[ait]» s'être dégagé sur le régime de quotas. À cet endroit, le verbe «sembler» ne peut être compris autrement que comme exprimant la conviction de la Commission qu'il pouvait être déduit des circonstances de l'espèce qu'un consensus général s'était établi sur un régime de quotas à ce moment. De même, le fait que Tarco ait exprimé des réserves quant à sa part de marché n'a pas pu empêcher la Commission de constater qu'un accord de principe était né. En effet, il ressort de la réponse d'ABB que, lors des négociations, en avril et en mai 1993, afin d'obtenir un accord sur les prix, Tarco «a refusé de participer à tout accord portant sur les prix sans accord parallèle sur les quotas de parts de marché», en raison du fait que «Tarco n'obtenait pas de commandes lorsqu'elle n'exerçait pas une concurrence par les prix agressive». Ainsi qu'il a été relevé au point 153 ci-dessus, la position de Tarco s'est traduite dans une demande d'un quota plus élevé que celui de 17 % prévu sur la base de l'audit, ce qui a conduit, dans une proposition ultérieure, à l'attribution d'une part de marché supérieure. Or, il ne saurait être déduit d'une telle position de Tarco que celle-ci se serait opposée au principe d'une répartition du marché allemand.

206.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, les faits évoqués par la Commission ne sauraient être qualifiés de simple tentative d'accord. En effet, il ressort de la succession de réunions au cours desquelles se sont tenues des discussions sur la répartition des parts de marché que, au moins à un certain moment, les entreprises en cause ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée. Tout comme cela a été noté,aux points 151 à 157 ci-dessus, il doit être constaté que, même s'il n'a pas existé un accord portant sur tous les éléments qui faisaient l'objet des négociations, une volonté commune de restreindre la concurrence sur le marché allemand par la voie de parts de marché fixées pour chaque opérateur a régi les négociations, durant une certaine période en 1993.

207.
    Dans ce contexte, l'affirmation de la Commission, au considérant 137 de la décision, selon laquelle «il se peut que les arrangements aient été inachevés, vagues et souvent fragmentaires» ne saurait être lue dans le sens que, en ce qui concerne les faits qualifiés d'accord par la Commission, il n'aurait pas encore existé, entre les entreprises concernées, une volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée. En effet, l'affirmation de la Commission, tout en indiquant que les arrangements n'ont pas toujours été conclus pour la totalité des éléments qui faisaient l'objet des négociations ni pour tous les détails envisageables et qu'ils avaient un caractère sporadique et non continu, n'exclut nullement que les entreprises concernées soient arrivées à un accord sur un ou plusieurs éléments ayant pour objet de restreindre la concurrence sur le marché en cause.

208.
    Il s'ensuit que le grief soulevé par les requérantes doit être rejeté.

iii) Sur la notion de pratiques concertées

Arguments des parties

209.
    Les requérantes exposent que, en ce qui concerne les pratiques concertées, en l'absence d'une coordination volontaire de comportements ayant pour objet de restreindre la concurrence, il appartiendrait à la Commission de prouver que les pratiques concertées ont effectivement eu pour effet de restreindre la concurrence. Dans le cas d'espèce, la Commission elle-même aurait, toutefois, reconnu que, en ce qui concerne la période antérieure à octobre 1994, en dehors du marché danois, les prix n'avaient pas cessé de baisser depuis octobre 1990, surtout sur le marché allemand.

210.
    La défenderesse fait valoir qu'elle s'est fondée sur la définition des pratiques concertées donnée par la jurisprudence. Dans ce contexte, elle aurait établi, au considérant 138 de la décision, qu'en l'espèce l'échange d'informations commerciales normalement considérées comme sensibles avait constitué des pratiques concertées. Le fait que les prix avaient baissé en Allemagne à l'époque en question ne contredirait pas, sur le plan juridique, l'existence de pratiques concertées; il pourrait tout au plus faire douter de la réussite de l'entente. En outre, la Commission aurait apporté des preuves portant directement sur des contacts à caractère collusoire entre les parties.

Appréciation du Tribunal

211.
    Selon une jurisprudence constante, la notion de pratique concertée vise une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 26, et du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, précité, points 158).

212.
    Il résulte de cette jurisprudence que les critères de coordination et de coopération doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun. Si cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs de nature soit à influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l'importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 173 et 174, du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, précité, points 159 et 160, et Rhône-Poulenc/Commission, précité, point 121).

213.
    De plus, il résulte des termes mêmes de l'article 85, paragraphe 1, du traité qu'une pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments (voir arrêts Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 118, et Hüls/Commission, précité, point 161).

214.
    Dans ce contexte, il convient d'apprécier les observations de la Commission, au considérant 138, deuxième alinéa, de la décision, selon lesquelles «même si la notion d''accord' n'englobe pas les étapes du processus de négociation qui a conduit à la conclusion d'un accord général, le comportement en cause tombe encore sous le coup de l'interdiction posée par l'article 85 en tant que pratique concertée». Il y a lieu d'observer que, à ce sujet, la Commission désigne la structure des réunions régulières comme «un lieu d'échange d'informations commerciales normalement considérées comme sensibles [...] [structure] qui a dû impliquer un certain degré d'entente et de réciprocité et une certaine forme d'accord conditionnel ou partiel quant au comportement à adopter» et souligne que «les participants ne pouvaient pas, de toute façon, ne tenir aucun compte, quece fût directement ou indirectement, des informations obtenues au cours de ces réunions périodiques».

215.
    À cet égard, il convient de constater que, pour la période antérieure à octobre 1994, plusieurs documents attestent que, en 1992 et en 1993, le groupe Henss/Isoplus a participé, à diverses reprises, à un échange d'informations sur les parts de marché. Cela est le cas, ainsi que cela a été constaté, aux points 146, 148 et 149 ci-dessus, pour les documents en annexes 37, 44, 49 et 53 de la communication des griefs.

216.
    Or, il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu'il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 121, et du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, précité, point 162). Il en est d'autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d'une longue période, comme c'était le cas en l'espèce (voir arrêts Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 121, et du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, précité, point 162).

217.
    De plus, il ressort de la jurisprudence qu'une pratique concertée relève de l'article 85, paragraphe 1, du traité, même en l'absence d'effets anticoncurrentiels sur le marché. D'abord, il découle du texte même de ladite disposition que, comme dans le cas des accords entre entreprises et des décisions d'associations d'entreprises, les pratiques concertées sont interdites, indépendamment de tout effet, lorsqu'elles ont un objet anticoncurrentiel. Ensuite, si la notion même de pratique concertée présuppose un comportement des entreprises participantes sur le marché, elle n'implique pas nécessairement que ce comportement produise l'effet concret de restreindre, d'empêcher ou de fausser la concurrence (voir arrêts Commission/Anic Partecipazioni, précité, points 122 à 124, et du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, précité, points 163 à 165).

218.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission, dans la mesure où elle a, en ce qui concerne la période antérieure à octobre 1994, reproché au groupe Henss/Isoplus sa participation à un «ensemble d'accords et de pratiques concertées», n'a pas commis d'erreur de droit en qualifiant un échange d'informations commerciales, de façon subsidiaire, de pratique concertée.

219.
    Sur ce point, le grief soulevé par les requérantes doit donc également être rejeté.

iv) Sur les conséquences juridiques de la participation à une réunion ayant un objet anticoncurrentiel

Arguments des parties

220.
    Selon les requérantes, la jurisprudence selon laquelle une entreprise qui ne se plie pas aux résultats des réunions ayant un objet anticoncurrentiel peut être tenue pour responsable d'une infraction aux règles de la concurrence dans la mesure où elle ne s'est pas distanciée publiquement du contenu desdites réunions devrait être interprétée de manière restrictive, eu égard aux arrêts du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission (T-65/89, Rec. p. II-389), et de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission (C-310/93 P, Rec. p. I-865), qui ont exposé que la Commission avait eu, à bon droit, une réticence à dévoiler certaines lettres de clients de l'entreprise en position dominante qui figuraient au dossier.

221.
    Lorsqu'il s'agit d'ententes auxquelles participent des entreprises se trouvant en position dominante sur le marché ou, à tout le moins, en position économique prépondérante, le fait pour d'autres entreprises économiquement plus faibles de ne pas se distancier publiquement du résultat anticoncurrentiel d'une réunion ne signifierait en aucune manière que ces entreprises devraient, malgré tout, être tenues pour responsables du résultat de ladite réunion du point de vue du droit de la concurrence. En effet, pour des entreprises de moindre importance, il serait souvent plus facile de ne rien dire pendant les réunions auxquelles elles ont été convoquées par le chef de file du marché sur la base de sa domination économique, pour ensuite s'abstenir d'agir conformément à ce qui a été décidé.

222.
    La défenderesse soutient que l'appréciation juridique d'une entente n'est pas affectée par le fait qu'une entreprise participe à celle-ci volontairement ou sous la contrainte, car cette entreprise disposerait toujours de la possibilité de la dénoncer. De plus, les arrêts susvisés reposeraient sur l'idée selon laquelle la Commission doit, dans la mesure du possible, éviter de susciter elle-même des infractions aux règles de la concurrence et ne modifieraient pas la jurisprudence selon laquelle une entreprise qui ne se plie pas aux résultats de réunions ayant un objet anticoncurrentiel peut en être tenue pour responsable dans la mesure où elle ne s'est pas distanciée publiquement du contenu desdites réunions .

Appréciation du Tribunal

223.
    Ainsi qu'il a été rappelé au point 137 ci-dessus, dès lors qu'une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu'elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat des réunions et qu'elle s'y conformera, il peut être considéré comme établi qu'elle participe à l'entente résultant desdites réunions.

224.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, il n'est pas pertinent, à cet égard, de savoir si l'entreprise en question se réunit avec des entreprises possédant une position dominante ou, à tout le moins, économiquement prépondérante sur le marché.

225.
    D'une part, il convient de préciser que la jurisprudence citée par les requérantes concerne l'obligation de la Commission, dans le cadre d'une procédure administrative menée en application du droit de la concurrence, de respecter la confidentialité de certains documents contenus dans le dossier administratif. Dans ce contexte, il a été jugé que la Commission a pu légitimement refuser de rendre accessible à des entreprises, auxquelles il était reproché d'avoir abusé de leur position dominante, certaines correspondances avec des entreprises tierces en se fondant sur leur caractère confidentiel, étant donné qu'une entreprise destinataire d'une communication des griefs, qui se trouve en position dominante sur le marché est, de ce fait, susceptible d'adopter des mesures de rétorsion à l'encontre d'une entreprise concurrente, d'un fournisseur ou d'un client, qui a collaboré à l'instruction menée par la Commission (arrêt du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, point 33, confirmé sur pourvoi par arrêt du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, points 26 et 27). Étant donné que cette jurisprudence se situe dans un contexte tout différent relatif à l'obligation de la Commission de donner accès au dossier, elle ne fournit pas d'indications pertinentes concernant la question de l'imputation des résultats de réunions à caractère anticoncurrentiel aux entreprises ayant participé à de telles réunions.

226.
    D'autre part, il y a lieu de rappeler qu'une entreprise qui participe à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel, même sous la contrainte d'autres participants ayant un pouvoir économique supérieur, dispose toujours de la possibilité d'introduire une plainte auprès de la Commission afin de dénoncer les activités anticoncurrentielles en cause plutôt que de poursuivre sa participation auxdites réunions (voir point 178 ci-dessus).

227.
    Il s'ensuit que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit dans la mesure où elle s'est appuyée, en l'espèce, sur l'interprétation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, selon laquelle une entreprise participant à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel, sans se distancier publiquement du contenu de celles-ci, peut être considérée comme ayant participé à l'entente résultant desdites réunions.

v) Sur la charge de la preuve concernant la participation à une entente globale

Arguments des parties

228.
    Les requérantes contestent l'affirmation de la Commission, faite au considérant 134 de sa décision, selon laquelle «il n'est pas nécessaire, pour établir la matérialitéd'un accord, que chaque participant présumé ait pris part à tous les aspects et à toutes les manifestations de l'entente, y ait consentis de manière expresse ou même ait eu connaissance de leur existence, pendant toute la durée de son adhésion au système commun». Cette conception juridique ne serait pas prévue par la jurisprudence et serait, surtout, contraire à l'article 6, paragraphe 2, de la CEDH et au principe de culpabilité en tant que principe général de droit. Enfin, une telle conception aboutirait à un renversement de la charge de la preuve.

229.
    À cet égard, les requérantes font noter qu'une entreprise peut être tenue pour responsable d'une entente globale même s'il est établi qu'elle n'a participé directement qu'à un ou plusieurs des éléments constitutifs de cette entente dès lors qu'elle savait, ou devait nécessairement savoir, d'une part, que la collusion à laquelle elle participait s'inscrivait dans un plan global et, d'autre part, que ce plan global recouvrait l'ensemble des éléments constitutifs de l'entente (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Gruber + Weber/Commission, T-310/94, Rec. p. II-1043, point 140). Même si cette jurisprudence porte essentiellement sur les accords au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et ne peut, dès lors, être transposée facilement aux pratiques concertées au sens de la même disposition, elle indiquerait cependant que la décision de la Commission doit contenir des constatations précises sur la nature de l'accord et sur ce que l'entreprise concernée savait ou devait nécessairement savoir. Il ne pourrait surtout pas être imputé à une entreprise une participation à une entente globale ni pour une période antérieure à celle durant laquelle l'entreprise en question a pris part à l'infraction, ni pour un marché sur lequel elle n'a jamais exercé ses activités.

230.
    La défenderesse fait observer que le considérant 134 de la décision porte sur le caractère unique de l'entente et non sur la portée de l'incrimination concernant chacune des entreprises. Il ressortirait clairement de la décision que la Commission a établi une distinction entre la question relative à l'infraction unique et continue et celle de savoir dans quelle mesure chaque entreprise est tenue pour responsable de l'infraction.

Appréciation du Tribunal

231.
    Selon la jurisprudence, une entreprise peut être tenue pour responsable d'une entente globale même s'il est établi qu'elle n'a participé directement qu'à un ou plusieurs des éléments constitutifs de cette entente dès lors qu'elle savait, ou devait nécessairement savoir, d'une part, que la collusion à laquelle elle participait s'inscrivait dans un plan global et, d'autre part, que ce plan global recouvrait l'ensemble des éléments constitutifs de l'entente (voir arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T-295/94, Rec. p. II-813, point 121, et Gruber + Weber/Commission, précité, point 140). De même, une entreprise ayant participé à une infraction unique et complexe par des comportements qui lui étaient propres et qui visaient à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble peut être également responsable des comportements mis en oeuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de saparticipation à ladite infraction, lorsqu'il est établi que l'entreprise en question connaissait les comportements infractionnels des autres participants, ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque. Une telle conclusion ne contredit pas le principe selon lequel la responsabilité pour de telles infractions a un caractère personnel et n'aboutit pas à négliger l'analyse individuelle des preuves à charge, au mépris des règles applicables en matière de preuve, ou à violer les droits de la défense des entreprises impliquées (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 203).

232.
    D'après les requérantes, il ressort du considérant 134, sixième alinéa, de la décision que la Commission n'a pas respecté les principes découlant de cette jurisprudence.

233.
    Il convient de constater, toutefois, que cet argument est fondé sur une lecture erronée du considérant 134 de la décision.

234.
    En effet, le passage visé fait partie des considérations exposées sous le titre «Accords et pratiques concertées», dans lesquelles la Commission a, d'abord, exposé son interprétation des notions d'accord et de pratiques concertées (considérants 129 et 130 de la décision) et, ensuite, expliqué les raisons pour lesquelles elle s'estimait en droit de conclure à l'existence d'une infraction unique et continue, sans qu'il ait été besoin de qualifier l'infraction en la faisant entrer dans une seule des deux catégories, accord ou pratique concertée (considérants 131 à 133 de la décision). Par la suite, la Commission a observé, au considérant 134 de la décision, qu'il se peut qu'il n'ait pas existé un consensus sur tous les éléments de l'entente, que les aspects de l'entente ne soient pas tous réglés dans le cadre d'un accord formel et que les participants soient impliqués dans l'entente à différents degrés, mais qu'aucun de ces éléments n'empêche un tel arrangement de constituer un accord ou une pratique concertée au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité lorsque les parties s'entendent en vue d'un objectif unique, commun et permanent. Après le dernier passage visé, il est encore noté que de nouveaux membres peuvent se rallier à l'entente et d'anciens membres la quitter, le cas échéant, sans que l'entente doive être considérée, à chaque modification de sa composition, comme un nouvel accord.

235.
    Il s'ensuit que le passage visé par les requérantes ne peut être compris autrement que comme la clarification des conditions sous lesquelles une entente peut être considérée, d'après la Commission, comme une infraction unique et continue, sans que la Commission s'exprime, toutefois, sur la question de l'imputation de la responsabilité pour une telle infraction aux entreprises ayant participé à celle-ci.

236.
    Cette interprétation de la décision est confirmée, par ailleurs, par le considérant 148, sous b), de la décision, où il est mentionné expressément que «[l]a Commission ne prétend nullement que chacun des destinataires de la présente décision ait participé à tous les volets des arrangements anticoncurrentiels décrits ni qu'il l'ait fait pendant toute la durée de l'infraction» et que «[l]e rôle de chaqueparticipant et son degré d'implication sont exposés en détail dans la présente décision».

237.
    Quant à la participation du groupe Henss/Isoplus à l'infraction retenue par la Commission, il convient d'observer, en outre, que les requérantes n'ont pas précisé, dans le cadre de ce grief, dans quelle mesure la Commission leur aurait imputé une participation à une entente globale soit pour une période antérieure à celle durant laquelle elles ont pris part à l'infraction, soit pour un marché sur lequel elles n'ont jamais exercé leurs activités. Il doit être rappelé, à cet égard, qu'il a été constaté précédemment, d'une part, que la Commission, dans la décision, a correctement reproché au groupe Henss/Isoplus une participation à l'infraction à partir d'octobre 1991 et que, d'autre part, une telle participation n'a été retenue, pour la période antérieure à octobre 1994, que pour son adhésion à l'entente existant entre les producteurs danois en ce qui concerne le marché allemand.

238.
    Par conséquent, le grief avancé par les requérantes doit être rejeté.

vi) Sur la responsabilité individuelle des sociétés considérées comme relevant du groupe Henss/Isoplus

Arguments des parties

239.
    Les requérantes contestent l'affirmation de la Commission selon laquelle celle-ci ne devrait pas prouver l'implication de chacune des entreprises réunies dans le groupe Henss/Isoplus en ce qui concerne leur comportement sur le marché avant octobre 1994. Dans la mesure où, à cet égard, les requérantes doivent être considérées comme juridiquement indépendantes les unes des autres, étant donné qu'un groupe Henss/Isoplus n'a pas existé, la décision ne contiendrait aucune constatation relative à la question de savoir pour quelle raison chaque requérante est tenue pour responsable de la participation à l'entente illégale. De plus, la Commission n'aurait pas été claire, en employant dans sa décision la dénomination «Henss», ne permettant pas de savoir si, par ce terme, elle désignait soit M. Henss personnellement, soit le groupe Henss/Isoplus, soit une société Henss telle que Henss Rosenheim et Henss Berlin.

240.
    En ce qui concerne Isoplus Hohenberg, les requérantes font observer qu'il s'agit d'une société de droit autrichien, que l'Autriche n'est membre de la Communauté européenne que depuis le 1er janvier 1995 et que les règles de la concurrence issues de l'article 53 de l'accord EEE ne sont applicables que depuis le 1er juillet 1994. Même en cas de prise en compte de la problématique du principe de territorialité en droit de la concurrence, il y aurait lieu de relever que la décision ne contient aucune constatation de fait en ce qui concerne la responsabilité d'Isoplus Hohenberg, sous l'angle de l'article 85 du traité ou de l'article 53 de l'accord EEE, pour une pratique anticoncurrentielle antérieure à octobre 1994.

241.
    La défenderesse expose que les quatre sociétés d'exploitation s'étaient présentées comme une seule entité représentée par M. Henss. Leur participation aurait répondu à un intérêt manifeste, car elles étaient présentes sur le marché allemand sur lequel les prix étaient restés peu élevés. Pour ces raisons, il conviendrait également de rejeter le moyen selon lequel la Commission n'aurait pas suffisamment prouvé la participation à l'entente d'Isoplus Hohenberg, celle-ci ayant son siège en Autriche.

Appréciation du Tribunal

242.
    Il convient de rappeler, ainsi que cela a été constaté aux points 54 à 66 ci-dessus, que c'est à bon droit que la Commission a établi que les sociétés Henss et Isoplus ont participé à l'entente en tant qu'entité économique unique, dénommée, dans la décision, le «groupe Henss/Isoplus» ou «Henss/Isoplus». Par conséquent, il n'était pas toujours pertinent de spécifier, dans la décision, si la mention «Henss» se réfère à une société Henss ou au groupe Henss/Isoplus. De même, dans la mesure où la décision se réfère à M. Henss, c'est également en sa qualité de représentant de l'ensemble des sociétés Henss et Isoplus qu'il contrôlait et représentait au sein de l'entente.

243.
    En ce qui concerne la période antérieure à 1994, il convient d'observer que, même si M. Henss a, éventuellement, agi, lors des réunions du club des directeurs, pour les sociétés Henss Rosenheim et Henss Berlin dans le cadre de leurs contrats de représentation commerciale sur le marché allemand, il n'en reste pas moins qu'il défendait, en même temps, les intérêts propres de ces deux sociétés et ceux des sociétés Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen. En effet, comme cela a été constaté au point 60 ci-dessus, il ressort des notes prises par d'autres participants que toutes les sociétés Henss et Isoplus étaient réunies, lors des discussions sur la répartition du marché allemand, dans une seule entité dénommée «Isoplus» ou «Isoplus/Henss».

244.
    Par conséquent, la Commission a établi à suffisance de droit que chacune des sociétés Henss et Isoplus était une composante du groupe Henss/Isoplus et, à ce titre, devait être tenue pour responsable de l'infraction commise par ce groupe.

245.
    Il y a lieu d'observer, quant à Isoplus Hohenberg, que celle-ci est, déjà avant 1994, une composante du groupe Henss/Isoplus. Étant donné que la Commission a imputé, à ce titre, à Isoplus Hohenberg l'infraction commise par le groupe Henss/Isoplus, consistant en une entente couvrant, en ce qui concerne ce groupe, le marché allemand, il ne saurait être retenu que la Commission lui aurait imputé des activités tombant, en raison de leur situation géographique, en dehors du champ d'application territorial de l'article 85 du traité.

246.
    Il s'ensuit que le présent grief doit également être rejeté.

2. Sur la participation aux actions concertées visant Powerpipe

Arguments des parties

247.
    Les requérantes contestent les constatations de fait ainsi que l'argumentation juridique conduisant, en violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, à la conclusion selon laquelle elles auraient participé à une pratique concertée visant à écarter Powerpipe du marché ou à un boycottage à l'encontre de cette dernière.

248.
    À cet égard, les requérantes n'auraient pas eu connaissance, même dans le contexte du contrat de représentation commerciale de Henss Rosenheim avec ABB Isolrohr, du plan stratégique d'ABB visant à éliminer Powerpipe du marché, ni du débauchage des salariés de cette dernière commencé et mis en oeuvre dès 1993 par ABB, en partie en accord avec Løgstør. De plus, les requérantes n'auraient jamais exercé leurs activités sur le marché suédois sur lequel Powerpipe est présent.

249.
    S'agissant de leur comportement vis-à-vis de Powerpipe, les requérantes font observer que, au début de 1994, des propositions ont été faites par Powerpipe concernant une collaboration entre celle-ci et les entreprises Henss/Isoplus dirigée contre l'entente des producteurs danois. M. Henss aurait cependant décliné ces propositions. Ces contacts montreraient d'ailleurs que les requérantes n'avaient participé, en tous cas jusqu'en 1994, à aucune pratique illégale contre Powerpipe, faute de quoi, de tels contacts n'auraient pas été possibles.

250.
    En ce qui concerne le projet de Neubrandenburg pour lequel, selon le considérant 95 de la décision, il aurait été demandé à Powerpipe de renoncer à ce marché au profit d'Henss Berlin, les requérantes précisent que la procédure de soumission relative à ce projet a eu lieu au début d'octobre 1994, c'est-à-dire à un moment où les requérantes subissaient une forte pression de la part d'ABB afin qu'elles adhèrent à l'entente européenne, mais où elles n'avaient pas encore donné leur réponse définitive. La soumission de Henss Berlin pour le projet de Neubrandenburg n'aurait eu, au départ, rien à voir avec la participation des requérantes à l'entente européenne, cette participation n'étant devenue effective que le 1er janvier 1995, après la fixation des quotas le 16 novembre 1994.

251.
    Dans ce contexte, il y aurait lieu d'observer que l'entretien téléphonique de M. Henss avec Powerpipe à propos du projet de Neubrandenburg faisait suite, pour l'essentiel, à l'offre de collaboration refusée auparavant par les requérantes, afin de permettre encore la réalisation de cette collaboration par le biais d'une éventuelle attribution du projet de Neubrandenburg à Henss Berlin. Mis à part cet entretien et un autre entretien téléphonique, au cours duquel un collaborateur d'Isoplus Hohenberg pourrait avoir fait allusion au fait que les discussions relatives à la collaboration pouvaient être reprises en cas d'adjudication de ce projet à Henss Berlin, les requérantes ne seraient pas entrées en contact avec Powerpipe et elles n'auraient pas davantage demandé à d'autres producteurs comme Løgstør ou ABB d'exercer une quelconque pression sur Powerpipe. Étant donné que, àcette époque, l'entente européenne n'était pas encore définitivement élaborée, les requérantes n'auraient pas été en mesure d'exercer une quelconque pression dans le cadre d'une telle entente.

252.
    Les requérantes affirment encore que leur présentation des faits n'est pas en contradiction avec le contenu de la télécopie de M. Henss adressée à Powerpipe le 25 octobre 1994, figurant à l'annexe 133 de la communication des griefs. S'agissant des annexes 126 à 132 de la communication des griefs, les requérantes font remarquer qu'il s'agit de notes, datées de décembre 1994, relatives à des entretiens qui sont censés avoir eu lieu en octobre 1994 et qu'il n'existe pas de transposition textuelle de ces entretiens. À cet égard, les requérantes auraient déjà observé, au cours de la procédure administrative, que divers documents communiqués par Powerpipe ne pouvaient pas être authentiques ni exacts.

253.
    En ce qui concerne le projet de Leipzig-Lippendorf, les requérantes ne contestent pas que, dans le cadre de l'entente européenne, un consortium a été créé en vue de ce projet, composé d'ABB Isolrohr, de Pan-Isovit et de Henss Berlin (avec des produits d'Isoplus Sondershausen) afin d'obtenir le marché pour ce projet. Cependant, les requérantes font observer qu'il n'y a eu, de la part de Henss Berlin et d'Isoplus Sondershausen, absolument aucun comportement illégal ni aucune pratique concertée dans le cadre de la mise en oeuvre de la procédure de soumission relative à ce projet.

254.
    À cet égard, les requérantes expliquent que la raison pour laquelle l'auteur de l'appel d'offre en question, VEAG, a été invité à effectuer une visite d'usine auprès d'Isoplus Sondershausen aurait été le fait que, après qu'il s'est avéré que Powerpipe avait fait la meilleure offre, il fallait encore, avant l'attribution définitive du marché, procéder à des vérifications approfondies afin de s'assurer que Powerpipe était bien en mesure d'exécuter ce marché, notamment d'un point de vue qualitatif, ces vérifications devant en même temps être effectuées auprès des entreprises à l'origine de la seconde meilleure offre. L'exactitude de cette présentation des faits résulterait également de la réponse du 29 septembre 1995 de VEAG à la demande de renseignements du 18 août 1995, qui mentionne que VEAG a également effectué une visite d'usine auprès de Powerpipe. Il ressortirait également de ladite réponse que le marché global Leipzig-Lippendorf a été confié à un entrepreneur général mais que le contrat d'attribution de ce marché prévoyait que, en ce qui concerne la fourniture et la mise en place des conduites précalorifugées, l'entrepreneur général devait passer un contrat de sous-traitance. Étant donné que l'entrepreneur général s'est vu attribuer le marché par VEAG à la fin de mars 1995, le contrat conclu avec Powerpipe et, de ce fait, l'attribution du marché à cette société devraient avoir eu lieu un peu plus tard.

255.
    En ce qui concerne la réunion du 24 mars 1995, lors de laquelle, selon la Commission, a été évoqué un boycottage de Powerpipe, les preuves apportées à cet égard seraient contestables en ce qui concerne la date de la réunion ou, en toutcas, les mesures de boycottage qui y ont prétendument été décidées, étant donné que cette date résulte de la liste des réunions du groupe de contact allemand figurant à l'annexe 2 de la réponse de Brugg du 9 août 1996 à la demande de renseignements du 9 juillet 1996 (ci-après la «réponse de Brugg»), alors qu'il ressort des observations de Brugg sur la communication des griefs que celle-ci n'a pas participé à des réunions qui avaient pour objet le projet de Leipzig-Lippendorf ou l'adoption de mesures générales contre Powerpipe. De plus, il ressortirait de ladite liste que, s'agissant du groupe Henss/Isoplus, il a été noté pour la date du 24 mars 1995 la présence de MM. Papsdorf et Putz et non celle de M. Henss.

256.
    Selon les requérantes, M. Henss n'a pas demandé à ABB ou à Løgstør de mettre en oeuvre une quelconque mesure de boycottage à l'encontre de Powerpipe. Dans la mesure où un boycottage a effectivement été décidé entre ABB et Løgstør, M. Henss n'aurait pas participé, en tant que représentant des entreprises Isoplus, à cet accord ni aux discussions correspondantes. D'un point de vue économique, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen n'auraient d'ailleurs pas été en mesure d'exercer une pression quelconque sur leurs fournisseurs. En effet, les fournisseurs d'Isoplus Hohenberg auraient été, pour l'essentiel, établis en Autriche et ne seraient même pas entrés en ligne de compte en tant que fournisseurs de Powerpipe. Quant à Isoplus Sondershausen, sa puissance économique n'aurait pas suffi non plus.

257.
    De plus, l'intention de boycottage prêtée au groupe Henss/Isoplus serait difficilement conciliable avec le fait que, au moment où divers problèmes dans l'exécution du projet de Leipzig-Lippendorf ont surgi, les sociétés Isoplus ont répondu à la demande de la firme Mannesmann Seiffert pour la livraison de conduites dans le cadre de la procédure prévue pour la réparation des carences vis-à-vis du maître d'oeuvre VEAG. Cela aurait précisément eu pour conséquence que Mannesmann Seiffert ou VEAG auraient renoncé à réclamer des indemnités à Powerpipe.

258.
    Toujours dans le contexte du projet de Leipzig-Lippendorf, les requérantes font remarquer, comme elles l'avaient déjà soutenu au cours de la procédure administrative, que divers documents communiqués par Powerpipe ne pouvaient pas être authentiques ni exacts.

259.
    Les requérantes concluent qu'elles ne peuvent pas être tenues pour responsables de pratiques concertées visant à écarter Powerpipe du marché ou à boycotter cette dernière. Dans la mesure où, à cet égard, des griefs sont soulevés à l'encontre du groupe Henss/Isoplus quant au projet de Neubrandenburg, il conviendrait de préciser que leur comportement ne pouvait être qualifié que de tentative de pratique anticoncurrentielle qui n'est pas punissable par l'article 85, paragraphe 1, du traité. En tout état de cause, sous l'angle du droit de la concurrence, cette mesure n'aurait pas eu pour effet de restreindre le jeu de la concurrence, étant donné que Powerpipe avait, de toute façon, remporté le marché. S'agissant du projet de Leipzig-Lippendorf, il conviendrait de préciser que la décision necontient, à cet égard, aucune constatation concernant un accord ou un gentlemen's agreement portant sur des mesures de boycottage pas plus qu'une indication des entreprises effectivement impliquées. Étant donné que l'entente constituée à l'automne de 1994 n'engloberait pas des mesures de boycottage ou des comportements illégaux vis-à-vis de Powerpipe, il ne pourrait pas être reproché aux requérantes un comportement illégal en rapport avec Powerpipe. Enfin, les requérantes ne pourraient pas être tenues pour responsables d'agissements sur les marché suédois et danois dont elles n'avaient et ne devaient pas avoir connaissance.

260.
    La défenderesse fait observer que la présentation des faits dans la décision correspond aux documents probants qui démontrent la participation de Henss/Isoplus à un accord de boycottage vis-à-vis de Powerpipe. Les requérantes ne sauraient affirmer qu'il ne s'agissait que d'une tentative de restreindre la concurrence. En effet, les mesures contre Powerpipe auraient fait partie du plan de partage des marchés, visant à protéger la réalisation de ce plan vis-à-vis d'une entreprise extérieure à l'entente européenne.

Appréciation du Tribunal

261.
    Il convient de préciser, à titre liminaire, que, en ce qui concerne les actions concertées visant à éliminer Powerpipe du marché, la Commission, dans la décision, ne reproche pas au groupe Henss/Isoplus d'avoir participé au plan stratégique d'ABB visant à éliminer, de façon générale, Powerpipe ou au recrutement de salariés clés de cette dernière.

262.
    Étant donné que les activités imputées aux requérantes sont les actions entreprises pour écarter Powerpipe du marché allemand, les requérantes ne sauraient non plus invoquer le fait qu'elles n'ont pas été actives sur les marchés danois et suédois.

263.
    En ce qui concerne les actions entreprises pour écarter Powerpipe du marché allemand, il convient d'observer que la Commission a constaté à bon droit la participation du groupe Henss/Isoplus à ces actions en se basant, premièrement, sur les événements relatifs au projet de Neubrandenburg, en octobre 1994.

264.
    Il convient de constater que l'affirmation de Powerpipe, selon laquelle il a été convenu entre les entreprises réunies dans l'entente que le projet de Neubrandenburg devait aller à Henss/Isoplus, attestée par les notes internes de Powerpipe figurant aux annexes 126 et 127 de la communication des griefs, est corroborée par la déclaration de Løgstør selon laquelle son directeur a contacté Powerpipe, lui a «confirmé qu'il existait une certaine entente entre les opérateurs dans le secteur» et lui a «suggéré de tenter de trouver une solution amiable avec Henss» (observations de Løgstør sur la communication des griefs). De plus, même si le projet de Neubrandenburg n'avait pas été préalablement attribué au groupe Henss/Isoplus, les démarches entreprises par Løgstør démontrent que, en octobre1994, les entreprises réunies dans l'entente ont accepté l'idée que ce marché devait revenir au groupe Henss/Isoplus.

265.
    À cet égard, les requérantes ne sauraient soutenir que, à l'époque, elles n'avaient pas encore adhéré à l'entente des producteurs danois. En effet, il doit être rappelé que la Commission a établi à bon droit que le groupe Henss/Isoplus a participé, dès octobre 1991, à une entente sur le marché allemand, qu'il avait pris part à un accord sur un barème des prix lors des réunions de mai et d'août 1994 et qu'il avait participé à la première réunion du groupe de contact allemand, le 7 octobre 1994. En outre, les requérantes reconnaissent dans leur requête avoir déclaré, en octobre 1994, «qu'elles adhéraient, en principe, à partir d'octobre 1994, à cette entente illégale au niveau européen» (voir points 137 à 181 ci-dessus).

266.
    À la lumière de ces constatations, il convient de rejeter l'allégation des requérantes, selon laquelle les entretiens avec Powerpipe, à l'époque de la soumission relative au projet de Neubrandenburg, auraient concerné l'établissement d'une coopération dirigée contre l'entente des producteurs danois. Par ailleurs, les explications des requérantes ne parviennent pas à justifier le contenu de la télécopie du 25 octobre 1994, envoyée par M. Henss à Powerpipe (annexe 133 de la communication des griefs), dans laquelle il fait savoir au directeur de ce dernier: «étant donné que vous ne vous êtes pas manifesté avant 16h00, je dois vous informer que l'entretien avec les personnes souhaitées n'aura pas lieu et que les participants ont tous déclaré ne pas être prêts à collaborer». En effet, cette correspondance ne trouve son sens que lue avec les notes de Powerpipe, en particulier la note présentée en annexe 128 de la communication des griefs, selon laquelle Henss aurait donné un ultimatum à Powerpipe pour renoncer au projet de Neubrandenburg, ce qui aurait été la condition préalable afin de la mettre en contact avec ABB et Løgstør. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, la valeur probante des notes de Powerpipe concernant ses entretiens téléphoniques avec le groupe Henss/Isoplus ne peut être mise en question pour la seule raison que celles-ci n'ont été rédigées qu'en décembre 1994, d'autant plus que leur contenu se voit confirmé par la déclaration de Løgstør selon laquelle Henss exerçait de fortes pressions sur Løgstør pour convaincre Powerpipe de se retirer du projet de Neubrandenburg (observations de Løgstør sur la communication des griefs).

267.
    En ce qui concerne, deuxièmement, le comportement des requérantes lors de l'attribution du projet de Leipzig-Lippendorf, il convient d'observer que les conclusions de la Commission se basent sur les résultats de la réunion du 24 mars 1995 tenue à Düsseldorf.

268.
    À cet égard, il convient de constater, d'abord, que les requérantes ne contestent pas qu'il y a eu un accord, au sein de l'entente, selon lequel le projet de Leipzig-Lippendorf était destiné à ABB, Henss/Isoplus et Pan-Isovit.

269.
    Ensuite, il ressort des notes prises par Tarco relatives à la réunion du 24 mars 1995 (annexe 143 de la communication des griefs) que le fait que Powerpipe a obtenule projet de Leipzig-Lippendorf a donné lieu à la discussion d'une série de mesures. Selon ces notes:

«[Powerpipe] a apparemment décroché le [projet de] Leipzig-Lippendorf.

- Aucun producteur ne devra fournir le moindre produit à L-L, IKR, Mannesmann-Seiffert, VEAG.

- Toutes les demandes de renseignement relatives au projet doivent être communiquées à [X].

- Aucun de nos sous-traitants ne devra travailler pour [Powerpipe]; dans le cas contraire, il sera mis fin à toute collaboration.

- Nous essaierons d'empêcher [Powerpipe] de se fournir en plastiques par exemple etc.

- L'EuHP cherchera à déterminer si nous pouvons nous plaindre de l'attribution du contrat à une entreprise non qualifiée.»

270.
    Le caractère anticoncurrentiel des mesures discutées lors de cette réunion est encore confirmé par la déclaration de Løgstør dans ses observations sur la communication des griefs, selon laquelle Henss a insisté sur la question des actions collectives à l'encontre de Powerpipe.

271.
    Quant à la participation du groupe Henss/Isoplus à la réunion du 24 mars 1995, il convient d'indiquer que la présence de MM. Putz et Papsdorf est attestée par le tableau figurant en annexe 2 de la réponse de Brugg. Eu égard aux notes prises par Tarco relatives à cette réunion et au fait que, pour cette réunion, Brugg a explicitement reconnu sa propre présence, c'est en vain que les requérantes, sans formellement contester leur présence lors de ladite réunion, cherchent à mettre en doute la valeur probante dudit tableau en rappelant que Brugg a, au cours de la procédure administrative, contesté avoir participé à des mesures visant Powerpipe ou à des réunions ayant pour objet le projet de Leipzig-Lippendorf.

272.
    Il convient de rappeler que la participation d'une entreprise à une réunion dont l'objet est manifestement anticoncurrentiel, sans qu'elle se soit distanciée publiquement de son contenu, donne à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat de la réunion et qu'elle s'y conformera (voir la jurisprudence citée au point 137 ci-dessus). Dans de telles circonstances, il suffit qu'une concertation illicite ait été évoquée dans la réunion à laquelle participe l'entreprise en question pour établir la participation de cette dernière à la concertation en cause.

273.
    Étant donné que des mesures anticoncurrentielles ont été évoquées lors de la réunion du 24 mars 1995, toutes les entreprises ayant participé à cette réunion sans avoir pris leurs distances publiquement doivent être considérées comme ayant participé à l'accord, ou à la pratique concertée, constitué par de telles mesures.

274.
    Il s'ensuit que la Commission a établi, à juste titre, la participation du groupe Henss/Isoplus à un accord visant à nuire à Powerpipe, dès lors que les requérantes sont restées en défaut de prouver leur distanciation vis-à-vis du résultat de la réunion en question.

275.
    À cet égard, il n'est pas pertinent d'avancer que, lors de la réunion du 24 mars 1995, les entreprises en cause n'auraient pas été représentées au plus haut niveau mais uniquement par leurs directeurs des ventes. En effet, l'application de l'article 15, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17, autorisant la Commission à infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes lorsque «de propos délibéré ou par négligence» elles ont commis des infractions, ne suppose pas une action ou même une connaissance des associés ou des gérants principaux de l'entreprise concernée de cette infraction, mais l'action d'une personne qui est autorisée à agir pour le compte de l'entreprise (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 97).

276.
    Étant donné que la responsabilité des requérantes pour les mesures concertées à l'encontre de Powerpipe découle déjà de la participation de représentants du groupe Henss/Isoplus à la réunion du 24 mars 1995 qui ne se sont pas publiquement distanciés des mesures adoptées, il n'est pas non plus pertinent de savoir si le groupe Henss/Isoplus cherchait, à l'époque, lors des contacts entretenus avec VEAG, à convaincre cette dernière de se séparer de Powerpipe, ni de savoir si c'étaient les requérantes qui avaient demandé à ABB ou à Løgstør de mettre en oeuvre un boycottage, ni de déterminer si le projet de Leipzig-Lippendorf avait déjà été attribué à Powerpipe au moment de la réunion du 24 mars 1995 ou de la visite de VEAG à l'usine d'Isoplus Sondershausen, ce qui est contesté par les requérantes. En tout état de cause, même s'il est possible que le contrat entre VEAG et Powerpipe n'ait été signé qu'après la date de ladite réunion, il ressort de la lettre de VEAG à l'entrepreneur général du projet du 21 mars 1995 (annexe 142 de la communication des griefs) ainsi que de la réponse de VEAG du 29 septembre 1995 que la décision de l'organe d'adjudication en faveur de Powerpipe a été prise le 21 mars 1995, c'est-à-dire avant la réunion incriminée et avant que VEAG n'ait effectué sa visite à l'usine d'Isoplus Sondershausen.

277.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, le comportement du groupe Henss/Isoplus à la suite de la réunion du 24 mars 1995 ne peut être qualifié de distanciation vis-à-vis des résultats de ladite réunion. À la lumière du fait que ce groupe faisait partie du consortium auquel l'entente avait attribué le projet de Leipzig-Lippendorf et avait donc un tel intérêt dans la cause qu'il ne peut être présumé qu'il s'est limité à une attitude passive, il convient d'observer que, selon la réponse de VEAG susvisée, des représentants d'Isoplus ont, à la fin de mars,lors de la visite à Isoplus Sondershausen, essayé de faire naître des doutes sur les capacités techniques et financières de Powerpipe. D'après les requérantes, M. Henss assistait personnellement à cette visite. De plus, il ressort des notes manuscrites sur une télécopie (document complémentaire à la communication des griefs n° 8), dans laquelle un fournisseur demandait des livraisons pour la mise en oeuvre du projet de Leipzig-Lippendorf, que cette demande, destinée à Pan-Isovit, a fait l'objet de discussions entre le directeur de cette dernière, M. Henss et le directeur d'ABB Isolrohr. Ces notes indiquent:

«Messieurs Feldmann

    Dr. HENSS

Votre réaction à ce fax? :)

    lehmann

    Pan-Isovit

En parler également à Henss s.v.p.

En ai parlé à M. Henss

Sera soumis à discussion 4[?].5.95

M. Feldmann non joignable

[illisible] 2.5.95».

278.
    Il doit être noté que cet échange a eu lieu entre les trois entreprises ayant été désignées «favorites» pour le projet en question. Or, selon la déclaration de Løgstør, une réunion du club des directeurs a eu lieu le 5 mai 1995, lors de laquelle ABB et Isoplus ont insisté pour qu'une action concertée soit entreprise contre Powerpipe, dans le but de lui rendre tout approvisionnement difficile (observations de Løgstør sur la communication des griefs). Ces divers éléments conduisent à la conclusion que M. Henss, au lieu de se distancier de mesures pouvant nuire à Powerpipe, restait lui-même impliqué dans la discussion de telles mesures.

279.
    Cette conclusion n'est pas mise en cause par l'argument des requérantes selon lequel elles n'auraient, en tout état de cause, pas été en mesure de mettre en oeuvre un boycottage de Powerpipe, étant donné la situation géographique d'Isoplus Hohenberg et l'incapacité à exercer une pression sur les fournisseurs tant d'Isoplus Hohenberg que d'Isoplus Sondershausen.

280.
    Toutefois, un boycottage peut être imputé à une entreprise sans qu'il y ait besoin que celle-ci participe effectivement ou même puisse participer à sa mise en oeuvre. En effet, la position contraire mènerait au résultat que les entreprises qui ont approuvé des mesures de boycottage mais qui n'ont pas trouvé l'occasion d'adopter elles-mêmes une mesure pour le mettre en oeuvre échapperaient à toute forme de responsabilité pour leur participation à l'accord.

281.
    À cet égard, il convient d'observer qu'une entreprise ayant participé à une infraction unique et complexe par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d'accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et qui visent à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble, peut être également responsable des comportements mis en oeuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, lorsqu'il est établi que l'entreprise en question connaît les comportements infractionnels des autres participants, ou qu'elle peut raisonnablement les prévoir et qu'elle est prête à en accepter le risque (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 203).

282.
    Or, de par la représentation du groupe Henss/Isoplus lors de la réunion du 24 mars 1995, celui-ci a eu connaissance des mesures envisagées pour nuire à l'activité commerciale de Powerpipe. Du fait qu'il ne s'est pas distancié de telles mesures, il a donné à penser aux autres participants à ladite réunion qu'il souscrivait au résultat de celle-ci, qu'il s'y conformerait et qu'il était prêt à en accepter le risque.

283.
    Enfin, les requérantes ne sauraient invoquer le fait que les mesures discutées au sein de l'entente n'auraient de toute façon pas eu pour effet de restreindre le jeu de la concurrence, étant donné que Powerpipe avait remporté les marchés en question, pour soutenir que ces mesures ne pouvaient être qualifiées, tout au plus, que comme des tentatives d'accord ou de pratique concertée au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

284.
    À cet égard, il convient de rappeler qu'il n'est pas nécessaire que la Commission apporte la preuve de ce qu'un accord a eu des effets dès lors qu'il apparaît que celui-ci a eu pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêts Consten et Grundig/Commission, précité, p. 496, Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 99, et du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, précité, point 178; arrêt CB et Europay/Commission, précité, point 87). De même, si la notion même de pratique concertée présuppose un comportement des entreprises participantes sur le marché, elle n'implique pas nécessairement que ce comportement produise l'effet concret de restreindre, d'empêcher ou de fausser la concurrence (voir arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, précité, points 122 à 124, et Hüls/Commission, précité, points 163 à 165). Or, il ressort de ce qui précède que de tels accords ou pratiques concertées existaient au sein de l'entente, notammenten ce qui concerne l'attribution des projets de Neubrandenburg et de Leipzig-Lippendorf.

285.
    De plus, il convient de préciser que les mesures anticoncurrentielles décidées par les entreprises membres de l'entente à l'encontre de Powerpipe doivent être considérées en relation avec l'accord existant, à l'époque, sur le marché européen, visant à contraindre les autres entreprises sur le marché de se conformer elles aussi à cette entente. Indépendamment du fait que les mesures qui ont été décidées lors de la réunion du 24 mars 1995 peuvent être considérées, elles-mêmes, comme un accord ou une pratique concertée, entre les participants à cette réunion, la Commission était en droit d'estimer, au considérant 143 de sa décision, que les mesures visant à nuire à Powerpipe ou à l'éliminer du marché constituaient un aspect de l'entente sur les marchés européen et allemand à laquelle le groupe Henss/Isoplus a participé.

286.
    Pour toutes ces raisons, le moyen des requérantes doit être également rejeté en ce qui concerne la participation du groupe Henss/Isoplus aux actions concertées visant Powerpipe.

B - Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

1. Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne la participation à l'infraction d'octobre 1993 à mars 1994

Arguments des parties

287.
    Les requérantes reprochent à la Commission de retenir, dans l'article 1er de la décision, une infraction à l'article 85 du traité également durant la période allant d'octobre 1993 à mars 1994, en contradiction avec son intention déclarée dans la communication des griefs de prendre en considération la suspension des accords durant cette période.

288.
    À cet égard, les requérantes rappellent que l'article 4 du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 127, p. 2268), établit que la Commission ne retient contre les entreprises et associations d'entreprises que les griefs au sujet desquels ces dernières ont eu l'occasion de présenter leur point de vue. Dès lors, lorsque la Commission informe les entreprises concernées, dans la communication des griefs, qu'elle a l'intention de conclure, en relation avec la durée de l'infraction, que les accords anticoncurrentiels ont été suspendus durant une certaine période, elle ne peut pas, sans une communication des griefs complémentaire, conclure ensuite dans la décision qu'un comportement anticoncurrentiel a été néanmoins retenu durant la période en question.

289.
    En l'espèce, la Commission aurait exprimé, dans sa communication des griefs, son «intention de conclure que la durée de la participation des diverses entreprises à l'infraction a été la suivante: [...] Isoplus: à compter d'octobre 1991 et, sous réserve de la période de suspension précitée, au moins jusqu'en mars ou avril 1996». Dans le même document, la Commission aurait indiqué que les arrangements contraires au droit de la concurrence pouvaient «être considérés comme ayant été suspendus pendant une période de six mois, entre octobre 1993 et mars 1994». Or, la décision mentionnerait dans son article 1er, une durée de l'infraction, en ce qui concerne Henss/Isoplus, allant d'octobre 1991 jusqu'à mars ou avril 1996, sans faire mention du statut particulier de la période allant d'octobre 1993 à mars 1994.

290.
    Ce serait à tort que la Commission affirmerait qu'elle a maintenu son exposé de la communication des griefs selon lequel la suspension des activités pendant une période de six mois n'enlevait pas à l'infraction son caractère continu. En effet, dans le résumé de la communication des griefs, la Commission n'aurait pas expressément fait connaître son intention de constater une infraction à l'article 85 du traité également durant cette période. Les réflexions au sujet de la période infractionnelle qui précédaient le résumé des griefs seraient sans pertinence à cet égard.

291.
    Les requérantes admettent que la Commission précise, au considérant 153 de la décision, que les accords ont peut-être été suspendus d'octobre 1993 à mars 1994 environ. Néanmoins, les conclusions contenues dans l'article 1er de la décision auraient une signification déterminante par rapport à la motivation exprimée au considérant 153 de la décision, étant donné que les motifs de la décision ne peuvent pas modifier le dispositif qui figure aux articles 1er à 5 de la décision. Bien que le dispositif d'une décision de la Commission doive être interprété à la lumière de l'exposé des motifs, ce serait le dispositif qui ferait foi en cas de contradiction entre les deux. L'exposé des motifs ne pourrait jamais servir à corriger le dispositif d'une décision de la Commission.

292.
    Dans la mesure où la Commission affirme avoir pris en considération le caractère particulier de cette période de six mois lors du calcul de l'amende, les requérantes indiquent que le considérant 178 de la décision ne contient aucune indication à ce propos. Les différences dans la prise en compte de la durée de l'infraction au considérant 178 de la décision trouveraient, en réalité, leur origine dans le fait que, contrairement au groupe Henss/Isoplus, les entreprises Tarco, Dansk Rørindustri et Pan-Isovit se sont vu reprocher une infraction à partir de novembre ou décembre 1990.

293.
    La défenderesse fait observer qu'est exprimée dans la décision la même idée que celle exprimée dans la communication des griefs selon laquelle il s'agit d'une infraction continue qui a été temporairement suspendue. Tant la communication des griefs que la décision constateraient que la suspension des arrangements durant la période allant d'octobre 1993 à mars 1994 n'avait en rien modifié le caractère continu de l'infraction. En outre, la Commission aurait pris en considération lecaractère particulier de cette période de six mois lors de la pondération de la durée de l'infraction aux fins du calcul de l'amende.

Appréciation du Tribunal

294.
    Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être observé en toutes circonstances, notamment dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, même s'il s'agit d'une procédure administrative, exige que les entreprises et les associations d'entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 11; arrêt Shell/Commission, précité, point 39).

295.
    Selon la jurisprudence, la communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n'est, en effet, qu'à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et associations d'entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n'adopte une décision définitive (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307, point 42; arrêt Mo och Domsjö/Commission, précité, point 63).

296.
    Comme la durée de l'infraction figure parmi les éléments à prendre en considération lors de la fixation du montant de l'amende conformément à l'article 15, paragraphe 2, dernier alinéa, du règlement n° 17, la Commission doit indiquer, lorsqu'elle envisage d'infliger des amendes, en tant qu'élément essentiel, la durée retenue par elle sur la base des informations dont elle dispose au moment de l'élaboration de la communication des griefs. La Commission peut étendre la période ainsi indiquée si des informations supplémentaires recueillies au cours de la procédure administrative le justifient, pourvu que les entreprises aient eu l'occasion de s'expliquer à cet égard (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 15).

297.
    En l'espèce, il y a lieu de préciser, d'abord, si et dans quelle mesure la Commission a, dans sa décision, reproché au groupe Henss/Isoplus d'avoir participé à l'infraction durant la période allant d'octobre 1993 à mars 1994.

298.
    À cet égard, il convient d'observer que l'article 1er, deuxième alinéa, deuxième tiret, de la décision reproche à Henss/Isoplus une infraction «plus ou moins à partir d'octobre 1991, jusqu'[en mars ou avril 1996]».

299.
    Il doit être également noté que la décision mentionne, au considérant 152, premier alinéa: «Pendant les six mois qui se sont écoulés entre octobre 1993 et mars 1994, on peut considérer que les arrangements ont été suspendus, même si (au dire d'ABB) les réunions bilatérales et trilatérales se sont poursuivies.» De plus, il est mentionné, au considérant 153 de la décision, que la Commission «estime devoir conclure que la durée de la participation des diverses entreprises à l'infraction a été la suivante: [...] c) Isoplus: à compter d'octobre 1991 et, sous réserve de la période de suspension précitée, maintien au moins jusqu'en mars ou avril 1996».

300.
    Il ressort donc clairement des considérants de la décision que la Commission, en reprochant au groupe Henss/Isoplus la participation à une entente pour toute la période allant d'octobre 1991 à mars ou avril 1996, a toutefois pris en considération le fait que cette entente a été suspendue pendant lesdits six mois. Selon une jurisprudence bien établie, le dispositif de la décision doit être compris à la lumière de l'exposé de ses motifs (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 122 à 124). En outre, l'article 1er, premier alinéa, du dispositif de la décision reproche au groupe Henss/Isoplus sa participation à l'infraction en cause «de la manière et dans la mesure indiquées dans la motivation».

301.
    Par ailleurs, la prise en compte par la Commission d'une période de suspension de l'entente est confirmée lors de l'appréciation de la durée de l'infraction reprochée aux requérantes dans le cadre du calcul du montant de l'amende. En effet, il s'avère que le groupe Henss/Isoplus s'est vu majorer le point de départ de son amende, en fonction de la durée de l'infraction, de x 1,25, pour avoir participé d'octobre 1991 jusqu'à mars ou avril 1996, tandis qu'une majoration de x 1,4 est applicable à ABB, Løgstør, Dansk Rørindustri et Tarco, en raison de leur participation à l'entente dès novembre ou décembre 1990 jusqu'à la même date. Même si la décision ne donne aucune explication spécifique sur ce point en ce qui concerne l'amende infligée à Henss/Isoplus, il ressort des considérants 170, 175 et 178 de la décision, lus ensemble, que, si la période de la suspension n'avait pas été prise en compte, une majoration supérieure aurait été imposée tant à Henss/Isoplus qu'à ces autres entreprises. En effet, il ressort des considérants 175 et 178 de la décision que la durée retenue pour Løgstør, Dansk Rørindustri et Tarco a été déterminée par rapport à celle retenue pour ABB. Or, en ce qui concerne la durée retenue pour ABB, il est précisé, au considérant 170 de la décision, que la suspension des arrangements entre 1993 et le début de 1994 fait partie des facteurs dont la Commission a tenu compte pour fixer la majoration pour la durée à 1,4 pour une infraction qui a duré plus de cinq ans.

302.
    Dans ces circonstances, il s'avère que la Commission a tenu compte, dans sa décision, d'une suspension des activités de l'entente entre octobre 1993 et mars 1994, sans qu'il y ait besoin d'apprécier le bien-fondé de la qualification, aux considérants 140 et 141 de la décision, selon laquelle cette entente a, toutefois, constitué une infraction continue.

303.
    Dès lors, il convient de constater que la durée de la participation retenue par la décision, c'est-à-dire toute la période allant d'octobre 1991 à mars ou avril 1996, sous réserve de la période de suspension de six mois, correspond à celle reprochée aux requérantes dans la communication des griefs, à l'égard de laquelle les requérantes ont pu exprimer leur point de vue.

304.
    En effet, la communication des griefs mentionne sous le titre «durée de l'infraction» que, «[p]endant les six mois qui se sont écoulés entre octobre 1993 et mars 1994, on peut considérer que les arrangements ont été suspendus, même si, au dire d'ABB, les réunions bilatérales et trilatérales se sont poursuivies». De plus, la Commission a énoncé sous le même titre de la communication des griefs son «intention de conclure que la durée de la participation des diverses entreprises à l'infraction a été la suivante: [...] Isoplus: à compter d'octobre 1991 et, sous réserve de la période de suspension précitée, au moins jusqu'en mars ou avril 1996».

305.
    De même, la Commission a exposé, dans la communication des griefs, son opinion selon laquelle la suspension des activités de l'entente n'empêche pas de conclure à l'existence une infraction continue. Il s'ensuit que, à l'égard de cette qualification, les requérantes ont également été en mesure de faire connaître leur point de vue.

306.
    Par conséquent, le grief invoqué par les requérantes doit être rejeté en ce qui concerne la violation du droit d'être entendu quant à leur participation à l'infraction pendant la période allant d'octobre 1993 à mars 1994.

2. Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne l'application des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes

Arguments des parties

307.
    Les requérantes reprochent à la Commission d'avoir violé leur droit d'être entendu dans la mesure où elles n'ont pas pu présenter leur point de vue sur la question de l'application des lignes directrices.

308.
    Dans sa communication des griefs du 19 mars 1997, la Commission aurait fait, en relation avec son intention d'infliger des amendes, une série de déclarations correspondant à sa pratique administrative et à la jurisprudence. Les requérantes n'auraient pas eu l'occasion d'exprimer leur point de vue sur la méthode de calcul contenue dans les nouvelles lignes directrices, qui n'ont été publiées que le 14 janvier 1998, bien que celles-ci s'écartent de manière illégale du calcul des amendes tel qu'il est défini par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Dans leur lettre du 30 mars 1998, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen auraient, cependant, déclaré, en rapport avec la notion de non-rétroactivité, que les lignes directrices ne pouvaient pas être appliquées au cas d'espèce.

309.
    La défenderesse fait observer qu'il suffit, lorsqu'il s'agit d'infliger éventuellement une amende, que la Commission indique lors de la procédure administrative qu'elle envisage d'infliger une amende en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, ce qu'elle a fait dans sa communication des griefs. En effet, le respect des droits de la défense ne supposerait pas qu'elle indique déjà au cours de la procédure administrative les critères et les considérations qu'elle fera intervenir dans son calcul.

Appréciation du Tribunal

310.
    Il convient d'observer, au préalable, qu'il n'est pas contesté que la Commission a déterminé l'amende imposée aux requérantes conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes annoncée dans les lignes directrices.

311.
    Selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu'elle va examiner s'il convient d'infliger des amendes aux entreprises concernées et qu'elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d'entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l'infraction supposée et le fait d'avoir commis celle-ci «de propos délibéré ou par négligence», elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises à être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l'infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 21).

312.
    Il s'ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire des observations sur la durée, la gravité et la prévisibilité du caractère anticoncurrentiel de l'infraction. Par ailleurs, les entreprises bénéficient d'une garantie supplémentaire, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, dans la mesure où le Tribunal statue avec une compétence de pleine juridiction et peut notamment supprimer ou réduire l'amende, en vertu de l'article 17 du règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 235).

313.
    À cet égard, il convient de constater que la Commission a expliqué, dans la communication des griefs envoyée aux requérantes, la durée de l'infraction qu'elle envisageait de retenir à leur égard.

314.
    Ensuite, la Commission a exposé, dans la communication des griefs, les raisons pour lesquelles elle estimait que la présente infraction était une infraction très grave ainsi que les éléments constituant des circonstances aggravantes, à savoir la manipulation des procédures de soumissions, la mise en oeuvre agressive de l'entente afin d'assurer l'obéissance de tous les participants aux accords et d'exclure le seul concurrent important qui n'y participait pas et la poursuite de l'infraction après les vérifications.

315.
    Dans le même texte, la Commission a précisé que, dans la détermination du montant de l'amende à imposer à chaque entreprise individuelle, elle tiendrait compte, notamment, du rôle joué par chacune d'elles dans les pratiques anticoncurrentielles, de toutes les différences substantielles en ce qui concerne la durée de leur participation, de leur importance dans l'industrie du chauffage urbain, de leur chiffre d'affaires dans le secteur du chauffage urbain, de leur chiffre d'affaires global, le cas échéant, pour tenir compte de la taille et du pouvoir économique de l'entreprise en question et afin d'assurer un effet suffisamment dissuasif, et, enfin, de toutes les circonstances atténuantes.

316.
    Puis, toujours dans la communication des griefs, la Commission a fait remarquer, en ce qui concerne les requérantes, qu'elle allait prendre en considération le rôle actif joué par Henss/Isoplus pour s'assurer que les autres producteurs obéissaient aux accords de l'entente .

317.
    Ce faisant, la Commission a indiqué, dans sa communication des griefs, les éléments de fait et de droit sur lesquels elle allait se baser dans le calcul du montant de l'amende à infliger au groupe Henss/Isoplus, de sorte que, à cet égard, le droit des requérantes à être entendues a été dûment respecté.

318.
    Il convient d'observer que la Commission n'était pas obligée, dès lors qu'elle avait indiqué les éléments de fait et de droit sur lesquels elle baserait son calcul du montant des amendes, de préciser la manière dont elle se servirait de chacun de ces éléments pour la détermination du niveau de l'amende. En effet, donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (arrêts de la Cour Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 21, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 19).

319.
    Par conséquent, la Commission n'était pas non plus tenue, au cours de la procédure administrative, de communiquer aux entreprises concernées son intention d'appliquer une nouvelle méthode de calcul pour les amendes.

320.
    En particulier, la Commission n'était pas tenue d'indiquer, dans la communication des griefs, la possibilité d'un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne le niveau du montant des amendes, possibilité qui dépend de considérations générales de politique de concurrence sans rapport direct avec les circonstances particulières des affaires en cause (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 22). En effet, la Commission n'a pas l'obligation de mettre des entreprises en garde en les prévenant de son intention d'augmenter le niveau général du montant des amendes (arrêt Solvay/Commission, précité, point 311).

321.
    Il s'ensuit que le droit d'être entendu des requérantes n'obligeait pas la Commission à leur annoncer son intention d'appliquer, à leur cas, les nouvelles lignes directrices.

322.
    Pour toutes ces raisons, le grief relatif à la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne l'application des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes doit être rejeté.

3. Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne la traduction de certains documents

Arguments des parties

323.
    Les requérantes estiment que leur droit d'être entendu a été violé dans la mesure où la Commission n'a pas mis à leur disposition tous les documents en langue allemande. Ainsi, elles n'auraient pas reçu la traduction de certains documents annexés à la communication des griefs, à la communication complémentaire et aux réponses d'autres entreprises à la suite des demandes de renseignements de la Commission.

324.
    Selon les requérantes, les réflexions de la Cour dans son arrêt du 24 novembre 1998, Bickel et Franz (C-274/96, Rec. p. I-7637), concernant le droit des citoyens de l'Union d'obtenir que le déroulement d'une procédure pénale se fasse dans la langue maternelle de l'intéressé devraient s'appliquer à une procédure devant la Commission effectuée en vertu du règlement n° 17, qui doit être qualifiée de procédure pénale au sens des articles 5 et 6 de la CEDH. La procédure devant la Commission serait soumise au principe général d'égalité des armes, qui impose que soient notifiées dans la langue officielle du lieu du siège social de l'entreprise concernée ou dans toute autre langue de procédure choisie par cette dernière non seulement la communication des griefs et la décision, mais également toutes les annexes s'y rapportant. En toute hypothèse, il faudrait qu'il existe une obligation de traduction des documents annexés aux courriers d'autres entreprises et du plaignant, étant donné que la Commission elle-même est tenue de faire traduire ces pièces dans les diverses langues officielles de la Communauté.

325.
    La défenderesse fait observer que les pièces de procédure au sens du règlement n° 17, à savoir la communication des griefs et la décision, ont été envoyées aux intéressés en langue allemande, conformément à l'article 3 du règlement n° 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 385). Les pièces n'émanant pas de la Commission, qui doivent servir à l'information et à la défense des requérantes, devraient en revanche leur être transmises en version originale. Il n'y aurait donc pas de base juridique sur laquelle les requérantes pourraient affirmer que la Commission devait traduire ces documents dans les diverses langues officielles de la Communauté.

Appréciation du Tribunal

326.
    Il convient de préciser que les requérantes soutiennent qu'elles auraient dû recevoir non seulement une traduction des documents figurant en annexe à la communication des griefs, mais également les annexes aux réponses d'autres entreprises aux demandes de renseignements de la Commission.

327.
    Tout d'abord, il ressort d'une jurisprudence constante que les annexes à la communication des griefs qui n'émanent pas de la Commission ne sont pas des «textes» au sens de l'article 3 du règlement n° 1, mais doivent être considérées comme des pièces à conviction sur lesquelles la Commission s'appuie et, partant, doivent être portées à la connaissance du destinataire de la décision telles qu'elles sont, de façon que celui-ci puisse connaître l'interprétation que la Commission en a faite et sur laquelle elle a basé tant sa communication des griefs que sa décision (arrêts du Tribunal Tréfilunion/Commission, précité, point 21, et du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, T-338/94, Rec. p. II-1617, point 53). Il en découle que la Commission, en communiquant ces annexes dans leur langue d'origine, n'a commis aucune violation du droit d'être entendu des entreprises concernées.

328.
    Ensuite, il y a lieu de relever que le corps de la communication des griefs qui a été adressée aux requérantes en langue allemande contient des extraits pertinents des annexes qui y étaient jointes. Cette présentation leur a donc permis de savoir avec précision sur quels faits et quel raisonnement juridique la Commission s'était fondée. Les requérantes ont par conséquent été en mesure de défendre utilement leurs droits (voir également arrêt Tréfilunion/Commission, précité, point 21).

329.
    Enfin, il convient d'observer que les mêmes considérations s'appliquent aux documents annexés par d'autres entreprises à leurs réponses aux demandes de renseignements de la Commission. D'une part, aucune disposition du droit communautaire n'oblige la Commission à fournir une traduction de tels documents, qui n'émanent pas d'elle. D'autre part, étant donné que ces documents doivent servir à l'information et à la défense des entreprises intéressées, ils doivent également être portés à leur connaissance tels qu'ils sont, de sorte que les entreprises concernées puissent apprécier elles-mêmes l'interprétation que la Commission en a faite et sur laquelle elle a basé sa décision.

330.
    Il doit être observé qu'une telle situation ne viole pas le principe d'égalité des armes, étant donné que, ainsi qu'il est affirmé par la Commission, l'original des documents constitue, tant pour la Commission que pour les entreprises concernées, la seule preuve pertinente.

331.
    Il est vain pour les requérantes de chercher à déduire une autre interprétation de l'arrêt Bickel et Franz, précité, que celle qui précède. En effet, la Cour s'est prononcée, dans cet arrêt, en faveur de l'application non discriminatoire d'un régime linguistique conférant le droit à ce qu'une procédure pénale se déroule dansla langue maternelle des personnes concernées. Néanmoins, la question de savoir si, pour des motifs relatifs aux droits de la défense, les preuves écrites devraient être traduites dans la langue de procédure n'y est pas abordée.

332.
    Pour ces raisons, le grief tiré d'une violation du droit d'être entendu en ce qui concerne l'absence de traduction des documents doit être rejeté.

4. Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne les délais pour présenter des observations

Arguments des parties

333.
    Les requérantes exposent que leurs droits de la défense ont été lésés dans la mesure où la Commission ne leur a pas accordé des délais adéquats pour présenter leur point de vue sur la totalité du dossier.

334.
    À cet égard, elles font observer que, postérieurement à la communication des griefs, la Commission a, par lettre du 22 mai 1997, envoyé de nombreux autres documents avec des annexes qui n'étaient pas en allemand, alors que le délai imparti aux destinataires de la communication des griefs pour présenter leur point de vue expirait le 30 juin 1997. La Commission n'aurait pas répondu à une demande des requérantes de prolongation de ce délai, de sorte que les observations sur ladite communication ont été déposées dans le délai imparti. Ensuite, les requérantes auraient reçu, par lettre de la Commission du 19 septembre 1997, les réponses à la communication des griefs d'autres entreprises concernées et des annexes, contenant des documents qui n'étaient pas traduits en allemand, au sujet desquelles la Commission leur demandait de présenter leurs observations avant le 10 octobre 1997. Les requérantes auraient encore reçu les lettres de la Commission des 24 septembre et 9 octobre 1997, contenant des documents qui n'étaient pas non plus traduits. Les requérantes auraient présenté leurs observations les 12 et 17 novembre 1997, tout en ayant contesté cette manière d'agir de la Commission. Malgré les contestations des requérantes lors de l'audition des 24 et 25 novembre 1997, le conseiller auditeur aurait admis l'ensemble des moyens de preuves ainsi communiqués. De plus, les dernières observations écrites des autres entreprises n'auraient pas été portées à la connaissance des requérantes.

335.
    Les requérantes font remarquer que, si la conception de la Commission est admise, selon laquelle les annexes de la communication des griefs et les compléments de cette dernière ne doivent pas être notifiés dans la langue du lieu du siège social de l'entreprise, les nombreux documents en langue étrangère devraient, en ce qui concerne les requérantes, d'abord être traduits vers l'allemand, ce qui prendrait un certain temps.

336.
    En ce qui concerne l'affirmation de la Commission selon laquelle les requérantes ont toutefois été en mesure de déposer des observations également à propos des documents envoyés ultérieurement, les requérantes font observer qu'afin depréserver leurs droits elles ont été tenues de déposer, dans le bref délai fixé, de courtes observations qui n'ont pas pu être élaborées avec le soin et la minutie voulus. Chaque fois, néanmoins, elles auraient expressément critiqué l'insuffisance de la durée des délais.

337.
    Enfin, lors de l'audition, l'agent de la Commission aurait présenté au conseil d'Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen le contrat d'apport du 15 janvier 1997, dont ce dernier ignorait tout à l'époque, en lui demandant diverses explications à cet égard. Les requérantes auraient protesté contre le fait que ce moyen de preuve était admis par le conseiller auditeur, alors qu'elles n'avaient disposé d'aucun délai pour présenter leur point de vue à son sujet.

338.
    La défenderesse affirme que les délais accordés étaient suffisants. Ainsi, il y aurait lieu de relever que le courrier du 22 mai 1997 n'avait été accompagné que d'un nombre très réduit de pièces et qu'il avait été parfaitement possible de prendre position à leur sujet avant l'expiration du délai fixé. Cela vaudrait également pour les observations relatives aux pièces non utilisées par la Commission, que les entreprises auraient échangées entre elles. Dans la mesure où d'autres entreprises ont formulé des observations sur les documents transmis par la Commission, celle-ci n'aurait pas été tenue de donner accès à ces observations aux requérantes étant donné que la décision ne s'appuyait pas sur elles.

339.
    En espèce, les requérantes reconnaîtraient avoir remis leurs observations dans les délais. Les requérantes auraient disposé de suffisamment de temps pour répondre à la communication des griefs et pour examiner les lettres de la Commission des 19 et 24 septembre et du 9 octobre 1997 ainsi que les documents auxquels celles-ci font référence. Au cours de la procédure administrative, qui ne se serait achevée qu'avec l'audition, les requérantes n'auraient plus insisté pour présenter par écrit d'autres explications. L'audition aurait d'ailleurs été reportée des 21 et 22 octobre 1997 aux 24 et 25 novembre 1997, si bien qu'il y aurait eu suffisamment de temps disponible pour déposer une réponse écrite.

340.
    En ce qui concerne le contrat d'apport du 15 janvier 1997, les requérantes ne sauraient alléguer qu'elles n'ont pas pu s'exprimer sur ce document de manière appropriée. En effet, la décision ne s'appuierait sur celui-ci que dans la mesure où il contribue à démontrer que les requérantes forment un groupe, dirigé par M. Henss. Les sociétés d'exploitation de l'époque auraient été expressément interrogées sur ce dernier point lors de la procédure écrite et se seraient exprimées à ce propos, en contestant l'existence d'un quelconque groupe et, notamment, la possession par M. Henss d'une quelconque participation dans Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen. La question de savoir si M. Henss contrôlait ces sociétés et, en particulier, si le contrat d'apport abordait cet aspect aurait pu facilement recevoir une réponse dans le cadre de l'audition.

341.
    De plus, les passages dans lesquels les requérantes ont abordé le contrat d'apport dans leurs lettres des 8 et 9 décembre 1997 auraient uniquement reproché à la Commission la divulgation dudit document lors de l'audition, sans aborder le problème du contrôle exercé par M. Henss. Par conséquent, même si la procédure en question n'avait pas été suffisante pour la formulation en bonne et due forme d'observations sur ce dernier point, les droits de la défense auraient malgré tout été sauvegardés.

Appréciation du Tribunal

342.
    Il convient de préciser que les requérantes soutiennent avoir été privées de délais suffisants pour présenter leur point de vue, en premier lieu, en ce qui concerne les documents envoyés avant l'expiration du délai imparti pour la présentation d'observations sur la communication des griefs, en deuxième lieu, en ce qui concerne les documents envoyés par la suite, pour lesquels la Commission a demandé des observations avant le 10 octobre 1997, et, en troisième lieu, en ce qui concerne le contrat d'apport produit lors de l'audition, sans attribution d'un délai préalable pour préparer leur point de vue.

343.
    En premier lieu, en ce qui concerne les documents envoyés le 22 mai 1997 sous couvert d'une lettre de la Commission, force est de constater qu'il s'agit de pièces qui, d'après cette lettre, pouvaient avoir une certaine pertinence par rapport aux faits discutés dans la communication des griefs du 20 mars 1997. Étant donné que la Commission avait imparti un délai de quatorze semaines, c'est-à-dire jusqu'au 1er juillet 1997, pour la présentation d'observations sur la communication des griefs, les requérantes disposaient encore, lors de la réception du courrier du 22 mai 1997, de plus d'un mois pour rédiger leur point de vue sur les documents additionnels en question.

344.
    À cet égard, il convient d'observer que l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 99/63, qui vise à garantir aux destinataires de la communication des griefs un délai suffisant pour l'exercice utile de leurs droits de la défense, dispose que la Commission, en fixant ce délai, d'une durée minimale de deux semaines, doit prendre en considération le temps nécessaire à l'établissement des observations ainsi que l'urgence de l'affaire. Or, le délai accordé doit être apprécié concrètement en fonction de la difficulté du cas d'espèce. Ainsi, le juge communautaire a constaté, dans certaines affaires, pourtant volumineuses, qu'un délai de deux mois était suffisant pour la présentation d'observations sur la communication des griefs (arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, points 272 et 273, et arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 94 à 99).

345.
    Il s'avère qu'un délai de plus d'un mois a donc dû suffire pour présenter des observations sur les documents envoyés le 22 mai 1997, étant donné qu'il s'agissait d'un nombre réduit de documents (annexes X1 à X9), dont la pertinence était, de plus, expliquée dans la lettre d'accompagnement. En ce qui concerne la plainte dePowerpipe qui était jointe également, avec ses annexes, au courrier du 22 mai 1997, il convient d'observer, de même, que les passages les plus incriminants étaient cités dans la communication des griefs.

346.
    En deuxième lieu, en ce qui concerne les documents envoyés par la suite, il convient d'observer que les requérantes ont disposé d'un délai raisonnable jusqu'aux dates de l'audition. En effet, la Commission, dans la lettre du 19 septembre 1997 accompagnant son envoi des réponses d'autres entreprises à la communication des griefs, a indiqué que, au cas où les entreprises souhaitaient présenter des observations sur ces réponses, de telles observations devaient être présentées avant le 10 octobre 1997, et que, en tout état de cause, elles auraient l'occasion de s'exprimer lors de l'audition. En revanche, lorsque la Commission a envoyé, par lettre du 24 septembre 1997, des documents trouvés chez Dansk Rørindustri, afin de permettre l'accès complet au dossier, elle n'a pas mentionné la possibilité de présenter des observations, ni, par conséquent, offert un délai à cet égard. De même, dans la lettre du 9 octobre 1997, accompagnant l'envoi d'une série de documents complémentaires à la communication des griefs (nos 1 à 28) et des réponses de Løgstør, Powerpipe et DSD à des demandes de renseignements de la Commission, il n'était pas non plus question de la possibilité de présenter des observations.

347.
    Étant donné que, en tout état de cause, les requérantes ont eu l'occasion de présenter leurs observations sur les documents envoyés par la Commission, les 19 et 24 septembre et le 9 octobre 1997, au plus tard, les 24 et 25 novembre 1997, dates auxquelles a eu lieu l'audition, il convient de constater que les requérantes ont disposé d'un délai allant de cinq semaines à deux mois pour présenter leur point de vue sur ces documents. Il y a lieu d'estimer que, dans les circonstances de l'espèce, un tel délai a été suffisant pour l'exercice utile des droits de la défense.

348.
    En ce qui concerne les pièces envoyées le 9 octobre 1997, il doit être observé, d'une part, que la pertinence de toutes ces pièces par rapport à la communication des griefs était clairement indiquée dans les tableaux accompagnant l'envoi et, d'autre part, que la plupart des documents complémentaires à la communication des griefs en cause avaient fait l'objet, ainsi qu'il est explicité dans la lettre d'accompagnement, de l'échange de documents entre les entreprises.

349.
    De plus, les requérantes ne sauraient invoquer la circonstance selon laquelle, au moment de la réception des documents envoyés les 19 et 24 septembre et le 9 octobre 1997, elles ne savaient pas encore qu'elles auraient le temps, jusqu'aux 24 et 25 novembre 1997, pour préparer leurs observations. En effet, même si les requérantes ont préparé leurs observations vis-à-vis de tels documents en supposant qu'elles disposaient de délais plus courts, elles ont finalement disposé d'un délai suffisant pour remanier et approfondir leurs observations, ce qu'Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen ont d'ailleurs fait, en complétant leurs observations du 14 octobre 1997 par les observations supplémentaires le 12 novembre 1997.

350.
    En troisième lieu, il convient d'observer que les requérantes ne sauraient prétendre qu'elles n'ont pas été en mesure de faire connaître utilement leur point de vue sur le contrat d'apport du 15 janvier 1997, produit par la Commission lors de l'audition.

351.
    En effet, il ressort du procès-verbal de l'audition ainsi que des considérants 159 et 160 de la décision que la Commission a invoqué ce contrat d'apport, lors de l'audition des sociétés Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen, afin de démontrer l'existence des participations que M. Henss avait dans Isoplus Hohenberg et Isoplus stille Gesellschaft et d'établir l'existence d'une société mère, HFB KG, détenant des participations, à la suite de la cession des parts détenues par les époux Henss et Papsdorf, dans les sociétés Isoplus Rosenheim, Isoplus Sondershausen, Isoplus Hohenberg et Isoplus stille Gesellschaft.

352.
    Or, même si les requérantes n'ont pas eu l'occasion de préparer leurs observations vis-à-vis du contrat d'apport avant sa production, par la Commission, lors de l'audition, il s'avère que, en l'espèce, elles avaient déjà eu l'occasion, lors de la procédure administrative, de présenter leur point de vue sur les conclusions que la Commission pouvait tirer des informations contenues dans cet acte. En effet, la Commission avait indiqué, dans sa communication des griefs, au moment où elle n'avait pas encore découvert le contrat d'apport, d'une part, en ce qui concerne Isoplus Hohenberg, que celle-ci apparaissait être contrôlée par M. Henss mais que ce dernier n'était pas mentionné comme associé dans le registre local du commerce et, d'autre part, qu'il n'existait pas de société financière pouvant être considérée comme représentant le groupe Isoplus. Dès lors, les requérantes ont pu déduire de la communication des griefs, d'une part, que la création de la société HFB KG ainsi que l'apport des parts à celle-ci devait intéresser la Commission, étant donné qu'il s'agissait de confirmations de sa thèse relative à l'appartenance des sociétés Henss et Isoplus à un groupe unique, et, d'autre part, que la Commission n'en avait pas encore connaissance. Néanmoins, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen ont continué, dans leurs observations du 30 juin 1997 sur la communication des griefs, de fournir à la Commission, sur ce point, des informations inexactes, notamment en ce qui concerne les participations détenues par M. Henss dans Isoplus Hohenberg.

353.
    En tout état de cause, les requérantes ont fait connaître, après l'audition, par lettres des 8 et 9 décembre 1997 et du 13 février 1998, leurs observations sur ce document ainsi que sur les circonstances dans lesquelles celui-ci leur a été présenté. Il s'ensuit que la Commission n'a pas empêché les requérantes de manifester utilement leur point de vue sur le document en question.

354.
    Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ont disposé du temps nécessaire pour présenter leur point de vue sur les faits, griefs et circonstances allégués par la Commission.

355.
    Par conséquent, le grief ne peut être accueilli en ce qui concerne les délais pour présenter des observations.

5. Sur la violation de secrets professionnels et d'affaires

Arguments des parties

356.
    Les requérantes soutiennent que la Commission et le conseiller auditeur n'ont pas garanti le respect du secret professionnel et d'affaires au sens de l'article 20 du règlement n° 17, dont relèvent notamment les détails relatifs aux liens entre les sociétés ainsi que les raisons économiques et juridiques présidant à la création de tels liens.

357.
    Lors de l'audition, le conseiller auditeur n'aurait pas accordé aux requérantes la possibilité d'exposer confidentiellement les relations juridiques existant entre Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen, d'une part, et Isoplus Rosenheim (à l'époque, les sociétés Henss Rosenheim et Henss Berlin), d'autre part. En revanche, le contrat d'apport du 15 janvier 1997 aurait été présenté en présence de toutes les entreprises destinataires de la décision et de la plaignante. À défaut de confidentialité, le conseil d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen et surtout M. Henss, en qualité de directeur d'Isoplus Rosenheim, auraient dû s'abstenir de révéler l'un ou l'autre détail à ce propos. L'absence de confidentialité aurait d'ailleurs été contestée par les conseils d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen et par celui d'Isoplus Rosenheim, dans leurs lettres des 8 et 9 décembre 1997.

358.
    Quant au contrat d'apport du 15 janvier 1997, les requérantes soulignent qu'il s'agit d'un acte parvenu de manière illégale, et à la suite d'une erreur, au registre du commerce du Amtsgericht Charlottenburg et qu'il a été, depuis lors, retiré du minutier dudit registre. Il contiendrait des détails de participations qui tombent sous le coup de l'article 20 du règlement n° 17. Dans cet acte, il aurait été question de relations de fiducie («Treuhandverhältnisse») qui, principalement pour des raisons liées à la concurrence, ne devaient pas être rendues publiques et qui devraient toujours être traitées de manière confidentielle en tant que secret d'affaires, étant donné que le propriétaire ou l'associé réel ne doit pas se faire connaître. Les requérantes considèrent avoir démontré, dans leur requête, les circonstances précises qui justifient l'existence d'un intérêt légitime à ce que ces relations de fiducie soient gardées secrètes.

359.
    De plus, le secret ou la confidentialité qui devraient être assurés durant la procédure en matière de concurrence devant la Commission, y compris lors de l'audition, n'auraient pas été garantis dans le cas d'espèce, étant donné que des extraits de l'audition auraient été publiés dans les journaux danois en 1998. Certaines parties confidentielles de la présente procédure auraient déjà paru dans la presse au printemps de 1996, ce qui, à l'époque, aurait suscité des protestations de la part des requérantes, dans la réponse des sociétés Henss et dans celle du 24 avril 1996 de la société Isoplus Hohenberg à la demande de renseignements du 13 mars 1996 (ci-après la «réponse d'Isoplus Hohenberg»).

360.
    La défenderesse expose ne pas avoir enfreint, lors de la discussion sur le contrat d'apport du 15 janvier 1997, l'article 20 du règlement n° 17, étant donné que ledit contrat d'apport était déposé au registre du commerce et, par conséquent, accessible à chacun. De plus, lors de l'audition, M. Henss aurait confirmé cette appréciation et ajouté que seules relevaient du secret d'affaires les stratégies mises en oeuvre à l'aide de la structure du groupe.

361.
    Par ailleurs, les requérantes n'auraient pas démontré en quoi les informations contenues dans le contrat d'apport auraient eu le caractère de secrets d'affaires. À cet égard, la Commission souligne que l'intérêt à la non-divulgation des informations dont la transmission à des tiers peut léser les intérêts de celui qui les a fournies n'est protégé que dans la mesure où il s'agit d'un intérêt légitime.

362.
    Même si la Commission avait violé un secret d'affaires dans le cadre de l'audition, cela ne rendrait pas la décision illégale en soi. Cette prétendue violation, à savoir le fait que d'autres entreprises auraient eu connaissance de la structure réelle des participations au sein du groupe Henss/Isoplus, n'aurait eu aucune incidence sur le contenu de la décision. La défenderesse tient encore à indiquer que ses services n'ont rien laissé transparaître à l'extérieur du contenu des auditions.

Appréciation du Tribunal

363.
    Il convient d'observer que l'article 214 du traité (devenu article 287 CE) fait obligation aux fonctionnaires et agents des institutions de ne pas divulguer les informations en leur possession qui sont couvertes par le secret professionnel. L'article 20 du règlement n° 17, qui met cette disposition en oeuvre dans le domaine des règles applicables aux entreprises, dispose spécialement, dans son paragraphe 2, que, «sans préjudice des dispositions des articles 19 et 21, la Commission et les autorités compétentes des États membres ainsi que leurs fonctionnaires et autres agents sont tenus de ne pas divulguer les informations qu'ils ont recueillies en application du présent règlement et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel».

364.
    Les dispositions des articles 19 et 21 du règlement n° 17 dont l'application est ainsi réservée sont celles qui traitent respectivement des obligations de la Commission dans le domaine des auditions et dans celui de la publication des décisions. Il en résulte que l'obligation de secret professionnel énoncée par l'article 20, paragraphe 2, est atténuée à l'égard des tiers auxquels l'article 19, paragraphe 2, donne le droit d'être entendu, c'est-à-dire, notamment, à l'égard du tiers plaignant. La Commission peut communiquer à celui-ci certaines informations couvertes par le secret professionnel, pour autant que cette communication soit nécessaire au bon déroulement de l'instruction. Toutefois, cette faculté ne vaut pas pour toute espèce de documents qui, par leur nature, sont couverts par le secret professionnel. L'article 21, qui prévoit la publication de certaines décisions, impose à la Commission l'obligation de tenir compte de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués. Ces dispositions, bien qu'ayanttrait à des hypothèses particulières, doivent être considérées comme l'expression d'un principe général qui s'applique pendant le déroulement de la procédure administrative (arrêt de la Cour du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, points 27 et 28).

365.
    En ce qui concerne le déroulement de l'audition, l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 99/63 dispose que l'audition n'est pas publique, que les personnes sont entendues séparément ou en présence d'autres personnes convoquées et que, dans ce dernier cas, il est tenu compte de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués.

366.
    Force est de constater que les requérantes n'arrivent pas à démontrer dans quelle mesure la Commission, lors de l'audition d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen, en présence de l'entreprise plaignante ainsi que d'autres entreprises destinataires de la communication des griefs, aurait divulgué des secrets d'affaires.

367.
    En ce qui concerne le contrat d'apport du 15 janvier 1997, il doit être noté, en premier lieu, que les requérantes se bornent à alléguer que cet acte a été inscrit sur le registre du commerce à la suite d'une erreur, sans préciser à qui est imputable cette dernière, et que son inscription était illégale, sans fournir à cet égard le moindre commencement de preuve. Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir utilisé un tel élément de preuve. En second lieu, quant à la nature publique des informations contenues dans ce contrat, il convient d'observer que, lors de l'audition, M. Henss, présent en sa qualité de directeur d'Isoplus Rosenheim, a confirmé le caractère public dudit acte, en précisant que seule relevait du secret d'affaires la motivation des opérations décrites dans ce document, qui était liée à la stratégie des entreprises concernées . Ni le directeur des entreprises Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen, ni leur conseil n'ont contesté, à cette occasion, ce point de vue.

368.
    En second lieu, en ce qui concerne l'absence d'une audition confidentielle des sociétés Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen, il suffit d'observer que les requérantes n'apportent pas le moindre indice relatif à des données couvertes par le secret d'affaires qui auraient été communiquées par la Commission à des tiers lors de cette audition. À cet égard, il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir diffusé des informations que les requérantes lui avaient communiquées à titre confidentiel. En effet, il ressort du procès-verbal de l'audition que la Commission n'a révélé, dans ses questions à Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen sur leurs liens avec les sociétés Henss, aucune information autre que la position desdites sociétés qui venait d'être rappelée par leur conseil, dans son exposé introductif lors de l'audition, ainsi que, lors de la suite de l'audition, des informations tirées de registres publics.

369.
    En troisième lieu, quant à la divulgation dans la presse d'informations confidentielles utilisées lors de la procédure administrative, il convient de releverque les requérantes n'ont pas apporté de précisions sur les informations confidentielles qui auraient été révélées dans les articles de presse indiqués, au cours de la procédure administrative.

370.
    De plus, à supposer même que les services de la Commission soient responsables de fuites relatées par la presse, ce qui n'est cependant ni admis par la Commission ni établi par la requérante, cette circonstance serait, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision, dès lors qu'il n'a pas été établi que la décision n'aurait pas été, en fait, adoptée ou qu'elle aurait eu un contenu différent si les manifestations litigieuses n'avaient pas eu lieu (arrêt United Brands/Commission, précité, point 286). En l'espèce, les requérantes n'ont apporté aucun indice venant soutenir une telle conclusion.

371.
    Il s'ensuit que le grief relatif à la violation de secrets professionnels et d'affaires doit être rejeté.

6. Sur la violation des dispositions relatives à l'audition de témoins

Arguments des parties

372.
    Les requérantes reprochent à la Commission d'avoir violé l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 99/63 et l'article 19 du règlement n° 17 dans la mesure où elle n'a pas procédé à l'audition des témoins demandés.

373.
    Les requérantes rappellent que, selon l'article 3 du règlement n° 99/63, les entreprises concernées peuvent proposer que la Commission entende des personnes qui sont susceptibles de confirmer les faits invoqués. Dans le cadre de leurs observations sur la communication des griefs, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen auraient, par lettre du 30 juin 1997, proposé à la Commission d'entendre certaines personnes, dont notamment M. Henss . Isoplus Rosenheim, pour sa part, aurait, par lettre du même jour, également proposé que certaines personnes soient entendues comme témoins. Par lettre du 16 septembre 1997, la Commission leur aurait toutefois répondu que, dans l'application de l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 99/63, il appartenait aux entreprises elles-mêmes de s'assurer de la présence des personnes concernées à l'audition et de les appeler comme témoins, soutenant qu'elle n'était pas un tribunal, qu'elle n'avait pas le pouvoir de contraindre des témoins à participer à une audition et qu'elle ne pouvait pas non plus faire prêter serment . À cet égard, Isoplus Hohenberg ou Isoplus Sondershausen auraient encore précisé, par lettre du 30 septembre 1997, que les témoins désignés n'étaient pas liés à leurs sociétés mais à des entreprises concurrentes et que, dès lors, il n'avait pas été possible de contraindre ces témoins à comparaître. Tous les témoins dont l'audition avait été demandée par Isoplus Rosenheim n'auraient pas non plus été liés aux entreprises des requérantes mais à Powerpipe et aux autres entreprises concurrentes. Cependant, ni les services chargés de la concurrence au sein de la Commission ni le conseiller auditeur n'auraient convoqué en tant que témoins les personnes dont l'audition avait étédemandée. En l'absence de convocation, lesdites personnes, à défaut de comparution, n'auraient pas pu être entendues comme témoins par la Commission pour établir les faits pour lesquels les requérantes avaient demandé leur témoignage.

374.
    Quant à M. Henss, bien qu'il eût été présent lors de l'audition, en qualité de directeur d'Isoplus Rosenheim, il n'aurait pas été entendu officiellement, étant donné qu'il n'a pas été interpellé par le conseiller auditeur. Les requérantes admettent qu'une audition formelle de M. Henss aurait été, en partie, rendue superflue par les observations faites, lors de l'audition, par le conseil d'Isoplus Rosenheim. Néanmoins, à défaut d'une audition confidentielle, M. Henss, en qualité de directeur d'Isoplus Rosenheim, aurait dû s'abstenir de révéler l'un ou l'autre détail.

375.
    Les requérantes font observer que, si les témoins avaient été convoqués par la Commission et s'ils avaient ensuite été interrogés ou entendus, leurs déclarations auraient abouti à ce que la Commission arrive à la conclusion qu'Isoplus Rosenheim, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen ou le groupe Henss/Isoplus n'avaient pas participé à une infraction à l'article 85 du traité avant la fin de 1994 ni pris part à des mesures de boycottage contre Powerpipe. Un témoignage aurait également été demandé pour confirmer le fait que le barème de prix européen de 1994 n'avait pas été établi par M. Henss ou Henss Rosenheim.

376.
    Selon les requérantes, l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 99/63 est lié au principe général du droit d'être entendu ainsi qu'à celui exprimé à l'article 6 de la CEDH, et, notamment, en son paragraphe 3, sous d), concernant le droit de convoquer et d'interroger les témoins à décharge et le droit de poser des questions à des témoins à charge. Si, dans une procédure menée conformément au règlement n° 17, des entreprises concernées demandent que des personnes soient convoquées et entendues au sens de l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 99/63, la Commission serait, en principe, tenue de convoquer et d'entendre ces personnes, même si elle n'a pas la possibilité de leur infliger des sanctions en cas de non-comparution. Seulement dans certains cas, motivés, la Commission pourrait rejeter de telles demandes par la voie d'une décision individuelle.

377.
    Même s'il est exact que la Commission n'est pas un «tribunal» au sens de l'article 6 de la CEDH, cela ne signifierait pas que les autres garanties contenues dans cet article ne s'appliquent pas à la procédure devant elle. En effet, une procédure menée par la Commission dans le double but de faire cesser une violation aux règles de la concurrence et d'infliger une amende posséderait un caractère pénal au sens de l'article 6 de la CEDH. Dès lors, la Commission serait tenue de respecter cet article dans son entièreté et, de ce fait, également son paragraphe 3, sous d).

378.
    La défenderesse expose que le règlement n° 99/63 ne l'autorise pas à entendre des «témoins» au sens juridique du terme. L'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 99/63 ne se référerait pas à des témoins, mais fonderait simplement le droit des intéressés en ce qui concerne l'utilisation de certains moyens de preuve. La Commission n'aurait aucun pouvoir et, à plus forte raison, aucune obligation de convoquer les éventuels témoins à décharge que l'entreprise n'est pas elle-même en mesure d'inciter à déposer. En outre, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n'aurait pas refusé d'entendre les personnes proposées.

379.
    En ce qui concerne l'article 6 de la CEDH, il y aurait lieu de relever que la Commission n'est pas un «tribunal» au sens de ladite disposition. La Commission exercerait sa mission de surveillance, que lui confèrent les règles communautaires de la concurrence sous le contrôle du Tribunal et de la Cour. En tout état de cause, le fait que les règles de procédure pertinentes, notamment celles issues du règlement n° 17, ne prévoient pas le pouvoir d'obliger les témoins à décharge à comparaître ne serait pas contraire à la notion d'égalité des armes qui est exprimée dans l'article 6, paragraphe 3, sous d), de la CEDH. En effet, la procédure devant la Commission ne comporterait pas non plus de témoin «à charge» étant donné que les preuves essentielles sur lesquelles la Commission peut fonder ses griefs sont des documents et des renseignements qu'elle peut demander aux autorités compétentes des États membres ainsi qu'aux entreprises et aux associations d'entreprises en vertu de l'article 11 du règlement n° 17.

380.
    De plus, le Tribunal, dans le cadre du contrôle qu'il exerce sur l'accomplissement par la Commission de sa mission, aurait la possibilité d'obliger les témoins à comparaître, notamment les témoins à décharge. En fait, il y aurait, devant le Tribunal, une inégalité des armes en faveur des entreprises concernées étant donné que les entreprises peuvent invoquer les dépositions de témoins pour réfuter les reproches formulés par la Commission dans sa décision, tandis que la Commission ne peut pas invoquer des témoignages à l'appui de reproches qui ne sont pas déjà prouvés par des éléments figurant dans la décision et la communication des griefs.

Appréciation du Tribunal

381.
    Il convient d'observer que l'article 19, paragraphe 2, du règlement n° 17 dispose que, si des personnes physiques ou morales justifiant d'un intérêt suffisant demandent à être entendues, il doit être fait droit à leur demande. Selon l'article 5 du règlement n° 99/63, la Commission leur donne l'occasion de faire connaître leur point de vue par écrit dans le délai qu'elle fixe. De même, l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 99/63 impose à la Commission l'obligation de donner aux personnes qui l'ont demandé dans leurs observations écrites l'occasion de développer verbalement leur point de vue si celles-ci ont justifié d'un intérêt suffisant à cet effet ou si la Commission se propose de leur infliger une amende ou une astreinte. D'après le paragraphe 2 du même article, la Commission peut également donner à toute personne l'occasion d'exprimer oralement son point de vue.

382.
    Aux termes de l'article 19, paragraphe 2, du règlement n° 17 et des articles 5 et 7 du règlement n° 99/63, la Commission n'est obligée d'entendre des personnes physiques ou morales justifiant d'un intérêt suffisant que dans la mesure où ces personnes demandent effectivement à être entendues (arrêt de la Cour du 9 juillet 1987, Ancides/Commission, 43/85, Rec. p. 3131, point 8). Or, en l'espèce, les personnes proposées comme témoins par les requérantes n'ont, à aucun moment, présenté elles-mêmes leur souhait d'être entendues.

383.
    Ensuite, il convient d'observer que l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 99/63 prévoit que les entreprises et associations d'entreprises faisant l'objet d'une procédure menée en application du règlement n° 17 «peuvent également proposer que la Commission entende des personnes qui sont susceptibles de confirmer les faits invoqués». Dans un tel cas, il ressort de l'article 7 du règlement n° 99/63 que la Commission dispose d'une marge d'appréciation raisonnable pour décider de l'intérêt que peut présenter une audition des personnes dont le témoignage peut présenter une importance pour l'instruction du dossier (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19, point 18). En effet, la garantie des droits de la défense n'exige pas que la Commission procède à l'audition de témoins indiqués par les intéressés, lorsqu'elle estime que l'instruction de l'affaire a été suffisante (arrêt de la Cour du 16 mai 1984, Eisen und Metall Aktiengesellschaft/Commission, 9/83, Rec. p. 2071, point 32).

384.
    En l'espèce, les requérantes n'ont apporté aucun élément qui permettrait de penser que la Commission, en n'entendant pas les personnes indiquées, aurait indûment restreint l'instruction de l'affaire et, de cette manière, limité la possibilité, pour les requérantes, de faire expliquer les divers aspects des problèmes soulevés par les griefs de la Commission (voir arrêt VBVB et VBBB/Commission, précité, point 18).

385.
    En effet, les requérantes n'ont pas précisé, dans leur requête, dans quelle mesure les dépositions des témoins indiqués auraient pu établir que le groupe Henss/Isoplus ou les requérantes n'avaient pas participé à une entente au niveau européen depuis le 10 octobre 1991, mais seulement à partir de la fin de 1994. À cet égard, même si le témoignage demandé avait confirmé que ni M. Henss ni Isoplus Hohenberg ou Isoplus Sondershausen n'ont pas obtenu de l'EuHP des informations internes à cette dernière avant leur admission au sein de celle-ci, cela n'aurait pas permis de réfuter les griefs reprochés par la Commission aux requérantes. Il en va de même sur la question de savoir si M. Henss ou Henss Rosenheim ont participé à l'élaboration du barème de prix utilisé au sein de l'entente européenne. De plus, à la lumière des éléments de preuve énoncés au points 264 à 277 ci-dessus, la Commission était en droit d'estimer qu'il n'était pas nécessaire d'entendre le témoignage demandé sur le fait que Powerpipe aurait proposé à Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen de participer à une entente illégale.

386.
    Pour autant que la proposition de témoins concerne M. Henss, il y a lieu d'ajouter que celui-ci était présent lors de l'audition, en tant que directeur d'Isoplus Rosenheim, mais que ni le conseil de celle-ci ni le conseil d'Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen ne lui ont demandé de déposer. En effet, il ressort du procès-verbal de l'audition que M. Henss n'est intervenu que lors de l'audition d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen, à la suite d'une question posée par le conseiller auditeur sur le contrat d'apport.

387.
    De plus, il ressort du même procès-verbal que, lors de l'audition, les requérantes n'ont pas demandé que M. Bech, lié à Løgstør, dont le témoignage avait également été demandé, soit entendu, malgré le fait que celui-ci assistait également à l'audition.

388.
    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission, dans la mesure où elle n'a pas donné suite aux propositions de témoignage, a correctement appliqué l'article 19 du règlement n° 17 ainsi que les dispositions du règlement n° 99/63.

389.
    Enfin, les requérantes s'appuient sur l'article 6, paragraphe 3, sous d), de la CEDH, selon lequel «[t]out accusé a droit notamment à [...] interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge».

390.
    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Commission n'est pas un tribunal au sens de l'article 6 de la CEDH (arrêts Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 81, Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 7, et Shell/Commission, précité, point 39). Par ailleurs, l'article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 dispose explicitement que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n'ont pas un caractère pénal (arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 235).

391.
    Toutefois, même si la Commission ne constitue pas un tribunal au sens de l'article 6 de la CEDH et même si les amendes imposées par la Commission n'ont pas un caractère pénal, il n'en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux de droit communautaire au cours de la procédure administrative (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 8, et Shell/Commission, précité, point 39).

392.
    À cet égard, le fait que les dispositions du droit communautaire de la concurrence ne prévoient pas l'obligation pesant sur la Commission de convoquer les témoins à décharge dont le témoignage est demandé n'est pas contraire auxdits principes. En effet, il convient d'observer que la Commission, bien qu'elle puisse entendre des personnes physiques ou morales lorsqu'elle l'estime nécessaire, ne dispose pas non plus du droit de convoquer des témoins à charge sans avoir obtenu leur accord.

393.
    Pour toutes ces raisons, le grief relatif au défaut d'entendre des témoins doit être rejeté.

7. Sur la violation des dispositions relatives au mandat des conseillers auditeurs

Arguments des parties

394.
    Les requérantes reprochent à la Commission d'avoir violé la décision 94/810/CECA, CE de la Commission, du 12 décembre 1994, relative au mandat des conseillers auditeurs dans le cadre des procédures de concurrence devant la Commission (JO L 330, p. 67), dans la mesure où, dans la présente procédure, le conseiller auditeur a établi un rapport bien qu'il n'eût pas été présent au cours de la majeure partie de l'audition.

395.
    À cet égard, les requérantes exposent que le conseiller auditeur qui avait préparé et dirigé l'audition, M. Gilchrist, a pris sa retraite le 31 décembre 1997. Or, M. Daout, qui devait reprendre la charge de conseiller auditeur à partir du 1er janvier 1998, aurait été présent au cours de l'audition du 24 novembre 1997, mais n'aurait pas pris part à l'audition du 25 novembre 1997. Il en résulterait que M. Daout n'a que partiellement assisté à l'audition d'Isoplus Rosenheim et de Henss Berlin, qui s'est déroulée dans la soirée du 24 novembre 1997 et s'est poursuivie le 25 novembre 1997. Il n'aurait pas du tout pris part à l'audition d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen, qui se serait déroulée exclusivement le 25 novembre 1997. Ensuite, le projet de procès-verbal relatif à la procédure d'audition aurait été envoyé par lettre du conseiller auditeur M. Daout du 3 avril 1998 . À la suite de l'approbation dudit procès-verbal, le conseiller auditeur aurait rédigé le rapport sur le déroulement de l'audition conformément à l'article 8 de la décision 94/810.

396.
    Les requérantes font remarquer que cette façon de procéder a violé leurs droits de la défense. Or, si le nouveau conseiller auditeur a fait un rapport, conformément à l'article 8 de la décision 94/810, après l'approbation du procès-verbal, il l'a fait sans avoir assisté à la majeure partie de l'audition, et, plus particulièrement, à celle concernant Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen. Dans ce dernier cas, le conseiller auditeur n'aurait pas pu se faire une idée personnelle du groupe Henss/Isoplus et de toutes les requérantes et n'aurait pas non plus été, notamment, en mesure de poser des questions. À défaut d'un rapport objectif du conseiller auditeur conformément à l'article 8 de la décision 94/810, le processus décisionnel de la Commission ayant abouti à la décision attaquée n'aurait pas pu s'appuyer sur une base objective.

397.
    Au cas où le conseiller auditeur à la retraite aurait rédigé le rapport en question, comme le prétend la Commission, les requérantes invoquent également, à titre subsidiaire, une violation des formes substantielles définies par la décision 94/810 et le règlement n° 99/63, étant donné que le rapport a été rédigé avantl'approbation du procès-verbal relatif à l'audition et sans que le conseiller auditeur ait eu connaissance et ait examiné les autres observations directes d'Isoplus Hohenberg, Isoplus Sondershausen et Isoplus Rosenheim. Dans cette hypothèse, il n'y aurait pas non plus eu un rapport complet et correct, ce qui aurait empêché le processus décisionnel de revêtir un caractère objectif.

398.
    Nonobstant le fait que le rapport du conseiller auditeur sur l'audition ou sur les étapes de la procédure suivie en vertu du règlement n° 17 ne doit pas être transmis aux entreprises concernées afin qu'elles puissent l'étudier ou présenter leurs observations, ce rapport du conseiller auditeur indépendant n'en revêtirait pas moins une importance décisive dans les procédures de constatation d'infractions en matière de concurrence, comme cela serait d'ailleurs admis par la Commission qui reconnaît que ce rapport, sans la lier, aurait néanmoins une valeur d'avis.

399.
    La défenderesse fait observer que c'est M. Gilchrist qui a rédigé le rapport prévu par l'article 8 de la décision 94/810. Le fait que, en son temps, le conseiller auditeur n'a pas disposé de la version approuvée du procès-verbal de l'audition serait sans intérêt, étant donné que ce procès-verbal sert à informer les personnes qui ne sont pas présentes à l'audition, à savoir les membres du comité consultatif et de la Commission. Comme le conseiller auditeur, du fait de sa fonction, était tenu d'assister à l'intégralité de l'audition, ledit procès-verbal n'aurait pas été destiné à son information. Selon la Commission, le rapport du conseiller auditeur refléterait l'état des discussions au moment de l'audition. Enfin, ce rapport n'aurait qu'une valeur d'avis, auquel la Commission ne serait pas tenue de se ranger.

400.
    À cet égard, la Commission souligne encore que l'audition est normalement précédée de la présentation d'observations écrites à propos des griefs énoncés et constitue donc une étape avancée des débats . L'audition prenant fin dès que la séance est levée, le procès-verbal se bornerait à transcrire le contenu de la séance. La possibilité accordée aux parties de vérifier l'exactitude du procès-verbal ne constituerait donc nullement un prolongement de l'audition.

401.
    Quant au rapport du conseiller auditeur, il ne serait nullement exclu que la Commission tienne compte d'observations postérieures à l'audition . En effet, l'article 8 de la décision 94/810 prévoirait expressément que le conseiller auditeur peut suggérer un complément d'informations si les éléments apportés ultérieurement rendent nécessaire une nouvelle audition. Or, en l'espèce, tel n'aurait pas été le cas.

402.
    En ce qui concerne l'absence temporaire de M. Daout lors de l'audition, celle-ci n'aurait pas eu d'influence sur la validité de la décision, étant donné que ce dernier n'occupait pas encore, à ce moment-là, le poste de conseiller auditeur.

Appréciation du Tribunal

403.
    Il convient d'observer que l'article 2, paragraphe 1, de la décision 94/810 confère au conseiller auditeur la mission d'assurer le bon déroulement de l'audition et de contribuer par là au caractère objectif tant de l'audition que de la décision ultérieure éventuelle. Dans ce contexte, le conseiller auditeur veille, notamment, à ce que tous les éléments de fait pertinents, qu'ils soient favorables ou défavorables aux intéressés, soient dûment pris en considération dans l'élaboration des projets de décision de la Commission en matière de concurrence.

404.
    Conformément à l'article 8 de la décision 94/810, le conseiller auditeur fait rapport au directeur général de la concurrence sur le déroulement de l'audition et sur les conclusions qu'il en tire et il formule ses observations sur la poursuite de la procédure, qui peuvent porter, notamment, sur la nécessité d'un complément d'informations, sur l'abandon de certains griefs ou sur la communication de griefs supplémentaires.

405.
    De plus, il ressort tant de l'article 9, paragraphe 4, du règlement n° 99/63 que de l'article 7, paragraphe 4, de la décision 94/810 que les déclarations essentielles de chaque personne entendue sont consignées dans un procès-verbal qui est lu et approuvé par cette dernière. Selon cette dernière disposition, il incombe au conseiller auditeur d'y veiller.

406.
    En l'espèce, il s'avère que le rapport prévu par l'article 8 de la décision 94/810 a été rédigé par M. Gilchrist, qui l'a remis à la Commission le 26 novembre 1997. Par conséquent, le grief des requérantes doit être compris en ce sens qu'elles dénoncent le fait que le conseiller auditeur a rédigé ce rapport avant l'approbation du procès-verbal relatif à l'audition et sans avoir eu connaissance des observations des requérantes à cet égard.

407.
    Tout d'abord, il convient de relever que ni le règlement n° 99/63 ni la décision 94/810 ne s'opposent à ce que le conseiller auditeur soumette le rapport prévu par l'article 8 de la décision 94/810 avant que le procès-verbal de l'audition ne soit approuvé, conformément à l'article 9, paragraphe 4, du règlement n° 99/63 et à l'article 7, paragraphe 4, de la décision 94/810, par chacune des personnes entendues. Il convient de rappeler, à cet égard, que le rapport du conseiller auditeur constitue un document purement interne à la Commission, qui n'a pas pour objet de compléter ou de corriger l'argumentation des entreprises et qui ne présente donc aucun aspect décisif dont le juge communautaire ait à tenir compte pour exercer son contrôle (voir le point 40 ci-dessus).

408.
    Ensuite, il importe de remarquer que l'article 9, paragraphe 4, du règlement n° 99/63 vise à garantir aux personnes entendues la conformité du procès-verbal au regard de leurs déclarations essentielles (arrêt ICI/Commission, précité, point 29, et arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Bayer/Commission, 51/69, Rec. p. 745, point17). Le procès-verbal est donc soumis à l'approbation des parties afin de leur permettre de vérifier les déclarations faites lors de l'audition et non pas dans le but d'apporter de nouveaux éléments dont le conseiller auditeur serait obligé de tenir compte.

409.
    Or, les requérantes ne démontrent pas dans quelle mesure le caractère provisoire du procès-verbal dont disposait le conseiller auditeur au moment de la rédaction de son rapport l'aurait empêché de faire rapport au directeur général de la concurrence dans les conditions nécessaires pour contribuer au caractère objectif de la procédure.

410.
    En effet, il ressort de la jurisprudence que le caractère provisoire du procès-verbal de l'audition soumis au comité consultatif et à la Commission ne peut constituer un vice de la procédure administrative, susceptible d'entacher d'illégalité la décision qui en constitue l'aboutissement que si le texte en question a été rédigé de manière à induire en erreur ses destinataires sur un point essentiel (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, Buchler/Commission, 44/69, Rec. p. 733, point 17). En tout état de cause, étant donné que la Commission a eu en sa possession, outre le procès-verbal provisoire, les remarques et observations faites par les entreprises sur ce procès-verbal, il y a lieu de considérer que les membres de la Commission ont été informés de toutes les données pertinentes avant de prendre la décision (voir arrêt Petrofina/Commission, précité, point 44). Il ne saurait donc être soutenu que les différentes instances concourant à l'élaboration de la décision finale n'auraient pas été informées correctement de l'argumentation formulée par les entreprises, en réponse aux griefs que leur a communiqués la Commission, ainsi qu'aux éléments de preuve présentés par celle-ci pour étayer ces griefs (voir arrêt Petrofina/Commission, précité, point 53, et arrêt du 10 mars 1992, Hüls/Commission, précité, point 86).

411.
    La Cour a d'ailleurs jugé qu'une irrégularité lors de la rédaction du procès-verbal ne pourrait avoir d'effet sur la légalité de la décision qu'en cas de reproduction inexacte de déclarations faites lors de l'audition (arrêts ICI/Commission, précité, point 31, et Bayer/Commission, précité, point 17). Or, en l'espèce les requérantes n'ont pas indiqué en quoi le procès-verbal n'aurait pas retracé l'audition de manière loyale et exacte (voir arrêt Petrofina/Commission, précité, point 45). En revanche, il n'est pas contesté que les corrections au projet de procès-verbal proposées par les requérantes, notamment en ce qui concerne la présence de M. Daout lors de l'audition, ont été reprises dans la version définitive dudit procès-verbal.

412.
    Il ressort de tout ce qui précède que le fait que, dans la présente affaire, le conseiller auditeur a rédigé son rapport avant l'approbation du procès-verbal relatif à l'audition n'a pas affecté la régularité de la décision qui en a découlé.

413.
    Dès lors, le grief tiré de la violation des dispositions relatives au mandat des conseillers auditeurs doit être rejeté.

414.
    Il s'ensuit que le moyen tiré d'une violation des droits de la défense doit être rejeté dans son ensemble.

C - Sur le troisième moyen, tiré de l'illégalité des lignes directrices

1. Observations générales sur l'exception d'illégalité

415.
    Les requérantes soulèvent une exception d'illégalité, conformément à l'article 184 du traité CE (devenu article 241 CE) à l'égard des lignes directrices. Elles font observer qu'il ressort de l'exposé des motifs de la décision que les lignes directrices constituent la base juridique de la décision. L'application des lignes directrices dans la présente affaire serait également démontrée par les communiqués de presse de la Commission. Or, une exception d'illégalité pourrait être invoquée, au-delà du texte de l'article 184 du traité qui ne mentionne expressément que les règlements, à l'encontre de tous les actes des institutions qui, s'ils n'ont pas la forme d'un règlement, produisent cependant des effets analogues, ce qui serait le cas, en l'espèce, des lignes directrices.

416.
    À cet égard, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, l'article 184 du traité est l'expression d'un principe général assurant à toute partie le droit de contester, en vue d'obtenir l'annulation d'une décision qui la concerne directement et individuellement, la validité des actes institutionnels antérieurs, qui, même s'ils n'ont pas la forme d'un règlement, constituent la base juridique de la décision litigieuse, si cette partie ne disposait pas du droit d'introduire, en vertu de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d'en demander l'annulation (arrêt de la Cour du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, Rec. p. 777, points 39 et 40).

417.
    Étant donné que l'article 184 du traité n'a pas pour but de permettre à une partie de contester l'applicabilité de quelque acte de caractère général que ce soit à la faveur d'un recours quelconque, l'acte général dont l'illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l'espèce qui fait l'objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l'acte général en question (arrêts de la Cour du 31 mars 1965, Macchiorlati Dalmas e Figli/Haute Autorité, 21/64, Rec. p. 227, 245, et du 13 juillet 1966, Italie/Conseil et Commission, 32/65, Rec. p. 563, 594; arrêt du Tribunal du 26 octobre 1993, Reinarz/Commission, T-6/92 et T-52/92, Rec. p. II-1047, point 57).

418.
    En ce qui concerne les lignes directrices, il convient de relever que la Commission a annoncé, dans les premiers alinéas de celles-ci, ce qui suit: «[L]es principes posés par les présentes lignes directrices devraient permettre d'assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l'égard des entreprises qu'à l'égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation desamendes dans la limite de 10 % du chiffre d'affaires [...] des entreprises [et...] la nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l'amende obéira dorénavant au schéma suivant[...]». Il s'ensuit que, bien que les lignes directrices ne constituent pas le fondement juridique de la décision attaquée, cette dernière étant basée sur les articles 3 et 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, elles déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s'est imposée aux fins de la détermination du montant des amendes infligées par la décision et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises.

419.
    De plus, il n'est pas contesté que la Commission a déterminé le montant de l'amende infligée aux requérantes conformément à la méthode générale qu'elle s'est imposée dans les lignes directrices.

420.
    Par conséquent, il existe, en l'espèce, un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l'acte général constitué par les lignes directrices. Étant donné que les requérantes n'étaient pas en mesure de demander l'annulation des lignes directrices, en tant qu'acte général, celles-ci peuvent faire l'objet d'une exception d'illégalité.

421.
    Il convient donc d'examiner l'exception d'illégalité des lignes directrices qui s'appuie, premièrement, sur l'incompétence de la Commission, deuxièmement, sur la violation du principe d'égalité de traitement, troisièmement, sur la violation des droits de la défense et, quatrièmement, sur la violation du principe de non-rétroactivité.

2. Sur la prétendue illégalité des lignes directrices due à l'incompétence de la Commission

Arguments des parties

422.
    Les requérantes font observer que la Commission, en adoptant les lignes directrices, a dépassé les limites du pouvoir discrétionnaire qui lui est octroyé par le traité et le règlement n° 17. D'après l'article 87 du traité CE (devenu, après modification, article 83 CE), seul le Conseil aurait le pouvoir d'adopter des règlements ou des directives en vue de l'application des principes figurant aux articles 85 et 86 du traité. Bien que le règlement n° 17, dans son article 24, autorise la Commission à adopter des dispositions d'application, cette dernière n'aurait pas été habilitée à arrêter des dispositions concernant la détermination des amendes infligées sur la base de l'article 15 dudit règlement.

423.
    Les requérantes reconnaissent que la Commission, dans les domaines où le droit primaire lui a attribué le pouvoir d'adopter des décisions individuelles ainsi qu'un pouvoir d'appréciation à l'occasion de l'adoption de ces dernières, est en droit de structurer l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire et de publier des communications afin de préparer ses décisions individuelles ultérieures. En adoptant les lignes directrices, la Commission aurait cependant dépassé les limites inhérentes à unetelle communication. En effet, dans ses lignes directrices, la Commission ne se serait pas contentée de présenter la situation juridique existante et d'exposer, au préalable, la façon dont elle exercera son pouvoir discrétionnaire mais aurait entendu, au contraire, compléter le droit communautaire existant, en créant des obligations spécifiques. Dans les lignes directrices, la Commission n'aurait pas pris en considération, pour la détermination de l'amende, le chiffre d'affaires des entreprises concernées, c'est-à-dire leur puissance économique, alors qu'il résulte de l'interprétation donnée à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 dans la jurisprudence ainsi que dans la pratique administrative de la Commission antérieure à l'adoption des lignes directrices que la gravité de l'acte et la durée de l'infraction devraient être évaluées en tenant compte également dudit chiffre d'affaires.

424.
    À cet égard, les requérantes exposent que les lignes directrices, à leur point 1, définissent un montant comme point de départ du calcul du montant de l'amende qui, dans un premier temps, doit être déterminé sans tenir compte du chiffre d'affaires des entreprises concernées, sur la base de montants forfaitaires qui dépendent du classement de l'infraction dans les catégories «infractions peu graves», «infractions graves» et «infractions très graves». Des montants y seraient ajoutés en fonction de la durée de l'infraction, et ce également sans tenir compte du chiffre d'affaires de l'entreprise impliquée. Ce ne serait que par la suite qu'il conviendrait, conformément au point 4 des lignes directrices, de vérifier que le montant ainsi calculé ne dépasse pas le plafond de 10 % du chiffre d'affaires en vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Cette manière de procéder aboutirait, en définitive, à ce que des circonstances impérieuses du cas d'espèce relatives à la nature et à la durée de l'infraction propres à chaque entreprise ne puissent plus être prises en considération au cas où le point de départ calculé selon ce schéma abstrait atteindrait déjà ou dépasserait la limite de 10 % du chiffre d'affaires.

425.
    Ainsi, il conviendrait d'indiquer que, en l'espèce, de par l'application des lignes directrices, certaines circonstances n'ont pas pu entrer en ligne de compte, étant donné que les requérantes se sont vu infliger l'amende maximale de 10 % de leur chiffre d'affaires.

426.
    En outre, l'introduction, dans les lignes directrices, de nouvelles circonstances aggravantes telle que la nécessité de majorer la sanction afin de dépasser le montant des bénéfices illicites réalisés grâce à l'infraction ne serait pas non plus couverte par le droit communautaire, ni par le règlement n° 17, ni par les principes généraux de droit.

427.
    La défenderesse rejette l'argument selon lequel elle aurait dépassé son pouvoir d'appréciation en déterminant des points de départ et des montants additionnels pour le calcul des amendes sans tenir compte du chiffre d'affaires des entreprises concernées.

428.
    La Commission fait observer d'abord qu'il n'est nullement énoncé dans la jurisprudence ou dans sa pratique administrative que le chiffre d'affaires global doit toujours être pris en compte, dans le calcul du montant des amendes, en tant qu'indicateur de la puissance économique d'une entreprise. En ce qui concerne la durée de l'infraction, celle-ci ne pourrait être reliée directement et telle quelle au chiffre d'affaires de l'entreprise. En ce qui concerne la gravité de l'infraction, il devrait être tenu compte des circonstances du cas particulier, du contexte de l'infraction ainsi que de la nécessité d'assurer un effet dissuasif à l'action de la Commission. Dans ce cadre, les facteurs de calcul tels que le chiffre d'affaires des entreprises concernées n'auraient aucun caractère obligatoire, mais pourraient être pris en considération. Il ne pourrait pas non plus être prétendu que le calcul des amendes sur la base de données relatives au chiffre d'affaires corresponde à une pratique administrative de la Commission, étant donné que, souvent, d'autres facteurs que le chiffre d'affaires auraient été retenus pour calculer les amendes. La défenderesse cite, à cet égard, plusieurs décisions en matière de concurrence dont certaines ont donné lieu à l'intervention du juge communautaire.

429.
    En outre, les lignes directrices permettraient parfaitement de tenir compte de la puissance économique de l'entreprise. Comme la Commission, dans les lignes directrices, souligne que le montant de l'amende doit être dissuasif, elle serait habilitée à modifier le montant de base dans ce sens. Ensuite, dans les lignes directrices, elle rappellerait que, en vertu de l'article 15 du règlement n° 17, le résultat final du calcul du montant de l'amende ne peut pas dépasser 10 % du chiffre d'affaires global de l'entreprise concernée. Enfin, conformément à la jurisprudence qui prévoit qu'il peut également être tenu compte du chiffre d'affaires provenant du produit concerné pour apprécier l'ampleur de l'infraction, les lignes directrices énonceraient le principe selon lequel il est permis de tenir compte de cet aspect, afin de prévoir la possibilité de prendre en considération le poids spécifique et donc l'impact réel du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence.

430.
    Dans la mesure où les requérantes s'opposent à la possibilité, dans le cas de circonstances aggravantes, de majorer la sanction afin de dépasser le montant des gains illicites réalisés grâce à l'infraction, la Commission affirme qu'elle n'a pas usé de cette possibilité en l'espèce. Néanmoins, ce critère relèverait bel et bien du pouvoir d'appréciation de la Commission.

Appréciation du Tribunal

431.
    Il convient de rappeler que, aux termes de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, «[l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et de un million d'unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...] elles commettent une infraction aux dispositions de l'article85, paragraphe 1, [...] du traité». Il est prévu, dans la même disposition, que, «[p]our déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci».

432.
    Or, il y a lieu de constater que la Commission, en annonçant, dans ses lignes directrices, la méthode qu'elle envisage d'appliquer dans le calcul du montant des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, n'a aucunement dépassé le pouvoir discrétionnaire qui lui a été attribué par le législateur.

433.
    Les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, seuls critères retenus à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

434.
    Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ un montant déterminé en fonction de la gravité de l'infraction (ci-après le «point de départ général»). L'évaluation de la gravité de l'infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les «infractions peu graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageable est compris entre 1 000 et 1 million d'écus, les «infractions graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageable peut varier entre 1 million et 20 millions d'écus, et les «infractions très graves» pour lesquelles le montant des amendes envisageable va au-delà de 20 millions d'écus (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tirets). À l'intérieur de chacune de ces catégories, et notamment pour les catégories dites «graves» et «très graves», l'échelle des sanctions retenues permet de différencier le traitement qu'il convient d'appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa).

435.
    Les lignes directrices mentionnent qu'il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).

436.
    Ensuite, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d'infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa).

437.
    À l'intérieur de chacune des trois catégories retenues ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans certains cas, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature (point 1 A, sixième alinéa).

438.
    Quant au facteur relatif à la durée de l'infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), pour lesquelles le montant retenu pour la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré jusqu'à 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tirets).

439.
    Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d'exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base puis se réfèrent à la communication de la Commission du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 207, p. 4) (ci-après la «communication sur la coopération»).

440.
    En tant que remarque générale, il est précisé que le résultat final du calcul du montant de l'amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d'aggravation et d'atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu'il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles que le contexte économique spécifique, l'avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l'infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier, pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)].

441.
    Il s'ensuit que, suivant la méthode énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes continue d'être effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir la gravité de l'infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d'affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition.

442.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n'est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction en question, d'effectuer son calcul à partir de montants basés sur le chiffre d'affaires des entreprises concernées, ni d'assurer, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquelles son calcul aboutit pourles entreprises concernées traduisent toute différenciation entre celles-ci quant à leur chiffre d'affaires global ou leur chiffre d'affaires sur le marché du produit en cause.

443.
    À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence bien établie selon laquelle la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54; arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219/95 P, Rec. p. I-4411, point 33; voir également arrêt Buchmann/Commission, précité, point 163).

444.
    Parmi les éléments d'appréciation de la gravité d'une infraction, peuvent, selon le cas, figurer le volume et la valeur des produits faisant l'objet de l'infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l'entreprise et, partant, l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Il s'ensuit, d'une part, qu'il est loisible, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. Il en résulte, d'autre part, qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation et que la fixation du montant des amendes ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, points 120 et 121; arrêts du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77/92, Rec. p. II-549, point 94, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327/94, Rec. p. II-1373, point 176).

445.
    En effet, il ressort de la jurisprudence que la Commission est en droit de calculer le montant d'une amende en fonction de la gravité de l'infraction et sans tenir compte des divers chiffres d'affaires des entreprises concernées. Ainsi, le juge communautaire a constaté la licéité d'une méthode de calcul selon laquelle la Commission détermine d'abord le montant global des amendes à imposer, pour répartir ensuite ce total entre les entreprises concernées, selon leurs activités dans le secteur concerné (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 48 à 53) ou selon leur niveau de participation, leur rôle dans l'entente et leur importance respective sur le marché, calculée sur la base de la part de marché moyenne au cours d'une période de référence.

446.
    Il s'ensuit que la Commission, en exposant, dans ses lignes directrices, une méthode de calcul du montant des amendes qui ne se base pas sur le chiffre d'affaires desentreprises concernées ne s'est pas écartée de l'interprétation donnée par la jurisprudence à l'article 15 du règlement n° 17.

447.
    Il convient d'observer, à cet égard, que, bien que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d'affaires global ou du chiffre d'affaires sur le marché du produit en cause des entreprises concernées, elles ne s'opposent pas à ce que de tels chiffres d'affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l'amende afin de respecter les principes généraux de droit communautaire et lorsque les circonstances l'exigent.

448.
    Il s'avère, en effet, que, dans l'application des lignes directrices, le chiffre d'affaires des entreprises concernées peut entrer en ligne de compte lors de la prise en considération de la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs et de la nécessité d'assurer à l'amende un caractère suffisamment dissuasif ou lors de la prise en considération du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d'infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (voir point 436 ci-dessus). Le chiffre d'affaires des entreprises concernées peut également entrer en ligne de compte lors de la détermination du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature (voir point 437 ci-dessus). De même, le chiffre d'affaires des entreprises peut donner une indication de l'avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l'infraction ou d'autres caractéristiques propres à ceux-ci qu'il convient, selon les circonstances, de prendre en considération (voir point 440 ci-dessus).

449.
    De plus, les lignes directrices disposent que le principe d'égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l'exigent, à l'application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différenciation obéisse à un calcul arithmétique (point 1 A, septième alinéa).

450.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, les lignes directrices ne vont pas au-delà de ce que prévoit le règlement n° 17. Les requérantes prétendent que les lignes directrices permettent à la Commission d'imposer, en fonction de la gravité de l'infraction, un point de départ pour le calcul du montant de l'amende tellement élevé que , eu égard au fait que, selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, le montant de l'amende ne peut en aucun cas dépasser le plafond de 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, il n'y a plus, dans certains cas, de possibilité pour d'autres facteurs, tels que la durée de l'infraction ou les circonstances atténuantes ou aggravantes, d'avoir encore un effet sur le niveau de l'amende.

451.
    À cet égard, il convient de rappeler que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en disposant que la Commission peut infliger des amendes d'un montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, exige, en effet, que l'amende qui sera finalement imposée à une entreprise soit réduite au cas où son montant dépasse 10 % de son chiffre d'affaires, indépendamment des opérations de calcul intermédiaires destinées à prendre en compte la durée et la gravité de l'infraction.

452.
    Par conséquent, l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'interdit pas à la Commission de se référer, au cours de son calcul, à un montant intermédiaire dépassant 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, pour autant que le montant de l'amende finalement imposée à cette entreprise ne dépasse pas cette limite maximale.

453.
    Dans un tel cas, il ne saurait être reproché à la Commission le fait que certains facteurs pris en considération lors de son calcul ne se répercutent pas sur le montant final de l'amende, étant donné que cela est la conséquence de l'interdiction prévue par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 de ne pas dépasser 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée.

454.
    Enfin, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la Commission n'a pas non plus outrepassé la marge d'appréciation octroyée par le règlement n° 17 dans la mesure où elle a prévu, dans ses lignes directrices, la possibilité de prendre en considération, en tant que circonstance aggravante, la nécessité de majorer la sanction afin de dépasser le montant des gains illicites réalisés grâce à l'infraction, lorsqu'une telle estimation est objectivement possible (point 2, cinquième tiret).

455.
    En effet, le profit que les entreprises ont pu tirer de leurs pratiques fait partie des éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité de l'infraction (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 129; arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 127).

456.
    Or, l'effet dissuasif des amendes serait amoindri si les entreprises ayant commis une infraction au droit de la concurrence pouvaient espérer que leur comportement soit puni d'une amende d'un montant inférieur au profit susceptible d'être tiré dudit comportement. Dans la mesure où la Commission est en mesure d'estimer le montant de ce profit illicite, elle dispose donc de la possibilité de fixer le montant des amendes à un tel niveau que celui-ci dépasse un tel profit.

457.
    Selon la jurisprudence, il est, d'ailleurs, loisible à la Commission d'élever le niveau du montant des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif lorsque des infractions d'un type déterminé sont encore relativement fréquentes, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire en matière deconcurrence, en raison du profit que certaines des entreprises intéressées peuvent en tirer (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 108, Solvay/Commission, précité, point 309, et Deutsche Bahn/Commission, précité, point 127).

458.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission, dans l'élaboration de ses lignes directrices, n'a aucunement dépassé les limites du pouvoir discrétionnaire attribué par le règlement n° 17.

459.
    Dès lors, la branche de l'exception d'illégalité fondée sur l'incompétence de la Commission ne peut être accueillie.

3. Sur la prétendue illégalité des lignes directrices due à la violation du principe d'égalité de traitement

Arguments des parties

460.
    Les requérantes font observer que, même si les lignes directrices devaient être considérées comme un exercice légal du pouvoir discrétionnaire de la Commission, elles ont méconnu le principe d'égalité de traitement. Le montant de l'amende à déterminer, exprimé en pourcentage du chiffre d'affaires, devrait être le même pour les différentes entreprises ayant participé à l'infraction, étant donné que les montants effectivement fixés pour chacune des entreprises varieront en fonction de l'importance du chiffre d'affaires de celles-ci, correspondant à leur puissance économique. Cependant, les lignes directrices, en partant d'un montant de base fixé indépendamment du chiffre d'affaires et, de ce fait, de la puissance économique de l'entreprise concernée, aboutiraient à désavantager les entreprises au chiffre d'affaires peu ou moyennement élevé par rapport aux entreprises économiquement fortes.

461.
    Les requérantes affirment que leurs critiques visent bien les lignes directrices et non pas la décision. En effet, l'approche méthodique des lignes directrices aboutirait, en définitive, à ce que, en cas d'infraction de moindre gravité et de durée réduite, des entreprises de petite ou de moyenne importance puissent se voir infliger une amende maximale de 10 % de leur chiffre d'affaires global, tandis que de grandes entreprises devraient supporter des amendes qui ne dépasseraient pas 6 ou 7 % de leur chiffre d'affaires global, alors même qu'elles ont commis des infractions graves et sur une longue durée. L'approche méthodique aboutirait également à ce que des circonstances atténuantes ou aggravantes ne puissent plus être prises en considération dans les cas où le montant de base dépasse déjà le plafond de 10 % du chiffre d'affaires.

462.
    La défenderesse expose que, en réalité, les requérantes critiquent la décision et non les lignes directrices. En effet, la Commission ne comprendrait pas comment les conséquences exposées par les requérantes pourraient découler directement des lignes directrices, alors que celles-ci ont pour objet la méthode de calcul dumontant des amendes et non leur niveau général, ni même leur montant dans un cas particulier.

463.
    En tout état de cause, les lignes directrices permettraient à la Commission de prendre dûment en considération l'ensemble des éléments pertinents, dans le cadre du large pouvoir d'appréciation dont elle jouit pour calculer le montant des amendes. La Commission réitère, à cet égard, qu'elle n'est nullement tenue d'accorder au chiffre d'affaires des entreprises concernées l'importance que les requérantes voudraient lui voir accorder.

Appréciation du Tribunal

464.
    Il convient de comprendre le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement en ce sens que les lignes directrices conduiraient à une discrimination dans la mesure où les entreprises aux chiffres d'affaires peu ou moyennement élevé peuvent se voir imposer des amendes d'un montant qui, en pourcentage de leur chiffre d'affaires, est supérieur à celui des amendes infligées aux entreprises ayant un chiffre d'affaires plus élevé .

465.
    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, «[p]our déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci».

466.
    De plus, il doit être rappelé que, selon la jurisprudence, bien qu'il soit loisible à la Commission, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise que de la part de ce chiffre qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction, il ne convient d'attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation (voir la jurisprudence citée au point 445). Ensuite, il est de jurisprudence constante que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments, sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir la jurisprudence citée au point 443 ci-dessus).

467.
    Il s'ensuit que la Commission n'est pas tenue de calculer le montant des amendes, dans tous les cas, sur la base du chiffre d'affaires des entreprises concernées. Par conséquent, elle n'est pas non plus tenue, lorsqu'elle inflige des amendes à des entreprises ayant participé à la même infraction, d'imposer une amende dont le montant correspond, pour toutes ces entreprises, au même pourcentage de leurs chiffres d'affaires.

468.
    L'exception d'illégalité soulevée par les requérantes doit donc être rejetée pour autant que celle-ci est fondée sur l'illégalité des lignes directrices en raison de la violation du principe d'égalité de traitement.

469.
    Dans la mesure où les requérantes reprochent à la Commission d'avoir imposé, dans le cas d'espèce, une amende d'un montant discriminatoire par rapport à celui imposé aux autres participants à la même infraction, il y a lieu d'observer qu'il ne s'agit pas d'un argument susceptible d'affecter la légalité des lignes directrices. Il convient donc d'examiner cet argument lors de l'appréciation du moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement dans la détermination du montant de l'amende.

4. Sur la prétendue illégalité des lignes directrices due à la violation des droits de la défense

Arguments des parties

470.
    Les requérantes font observer que, même si les lignes directrices devaient être considérées comme exercice légal du pouvoir discrétionnaire de la Commission, elles ont méconnu les droits fondamentaux de la défense.

471.
    Selon les requérantes, le fait que les lignes directrices retiennent comme circonstance aggravante pour la détermination de l'amende le «refus de toute coopération» ou les «tentatives d'obstruction pendant le déroulement de l'enquête» constitue une violation des droits de la défense. Les droits de la défense dans une procédure aboutissant à une décision infligeant des amendes en vertu du règlement n° 17 constitueraient un droit fondamental ou un principe général du droit communautaire qui seraient gravement lésés par la qualification du «refus de coopération» de circonstance aggravante. À cet égard, les requérantes se réfèrent au fait que la Commission a introduit auprès des barreaux d'avocats compétents des plaintes à l'encontre de leurs conseils pour avoir protégé leurs clients et avoir respecté le secret professionnel auquel les avocats sont tenus. Le même raisonnement s'appliquerait dans le cas où il est considéré, comme le fait la Commission, que les «tentatives d'obstruction pendant le déroulement de l'enquête» englobent également la contestation des faits et la non-révélation de relations fiduciaires confidentielles.

472.
    À cet égard, les requérantes soulignent que, dans les systèmes juridiques des États membres, alors que ceux-ci reconnaissent incontestablement en tant que principe général de droit le fait que des aveux ou une coopération peuvent constituer des circonstances atténuantes, le fait de nier de façon persistante ou d'exercer des droits de la défense - auquel correspond le défaut de coopération - n'aboutirait jamais à une aggravation de la peine ou à une majoration de l'amende.

473.
    La défenderesse estime que les notions de «refus de toute coopération» et de «tentatives d'obstruction» peuvent, en tant que circonstances aggravantes, faire l'objet d'une interprétation et peuvent et doivent donc être appliquées en accord avec les droits de la défense. La question de savoir si elle a respecté ces droits devrait être examinée au cas par cas.

Appréciation du Tribunal

474.
    Il convient de relever que les lignes directrices envisagent une augmentation du montant de base «pour les circonstances aggravantes telles que, par exemple, [...] [le] refus de toute coopération, voire [des] tentatives d'obstruction pendant le déroulement de l'enquête» (point 2, deuxième tiret).

475.
    À cet égard, il y a lieu d'observer que, étant donné que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'énumère pas de manière limitative les critères dont la Commission peut tenir compte pour fixer le montant de l'amende, le comportement de l'entreprise au cours de la procédure administrative peut faire partie des éléments dont il y a lieu de tenir compte lors de cette fixation (arrêts de la Cour du 11 janvier 1990, Sandoz prodotti farmaceutici/Commission, C-277/87, Rec. p. I-45, publication sommaire, et du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C-298/98 P, Rec. p. I-10157, point 56).

476.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, la seule circonstance qu'un refus de coopération avec la Commission pourrait avoir pour effet que le niveau du montant de l'amende à infliger soit supérieur au niveau qui serait infligé en cas de coopération ne saurait être considérée, en tant que telle, comme un obstacle à l'exercice des droits de la défense.

477.
    À cet égard, il a été jugé que le seul fait que la Commission indique à une entreprise concernée par une enquête en matière de droit de la concurrence, durant la procédure administrative, qu'une réduction du montant de l'amende à intervenir serait possible en cas de reconnaissance de l'essentiel ou de la totalité des allégations de fait de la Commission, sans préciser l'ampleur de cette réduction, ne saurait constituer une pression exercée sur cette entreprise, et que la Commission, ce faisant, ne méconnaît pas le principe général du droit communautaire qu'est le respect des droits de la défense (arrêt Mayr-Melnhof/Commission, précité, points 313 et 314).

478.
    Il convient d'observer que, y compris en application des lignes directrices, une entreprise qui, contestant la position de la Commission, n'apporte d'autre collaboration que celle à laquelle elle est tenue en vertu du règlement n° 17 ne se verra pas, pour ce motif, infliger une amende majorée. Si la Commission estime avoir démontré l'existence d'une infraction et l'imputabilité de ladite infraction à l'entreprise, cette dernière sera sanctionnée en fonction des critères pouvant légitimement être pris en considération et sous le contrôle du Tribunal ou de la Cour (arrêt Finnboard/Commission, précité, point 58). Conformément aux lignes directrices, ce n'est que dans le cas d'un refus de toute coopération, voire de tentatives d'obstruction pendant le déroulement de l'enquête, que la Commission envisage une majoration de l'amende. Or, le seul exercice des droits de la défense ne saurait constituer un refus de toute coopération au sens du point 2, deuxième tiret, des lignes directrices.

479.
    En outre, il ne saurait être reproché à la Commission de s'être dotée de lignes directrices destinées à la guider dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, en matière de fixation du montant des amendes, et ainsi de mieux garantir l'égalité de traitement entre les entreprises concernées (arrêt Finnboard/Commission, précité, point 57).

480.
    Dans la mesure où les requérantes reprochent à la Commission d'avoir méconnu les droits de la défense lors de l'application, à leur endroit, des notions de «refus de toute coopération» et de «tentatives d'obstruction», il suffit d'observer qu'il ne s'agit pas d'un argument susceptible d'affecter la légalité des lignes directrices. Il convient donc d'examiner cet argument lors de l'appréciation du moyen tiré de la violation des droits fondamentaux de la défense dans l'appréciation des circonstances aggravantes.

481.
    La branche de l'exception d'illégalité soulevée par les requérantes doit donc être rejetée en ce qui concerne la prétendue illégalité des lignes directrices en raison de la violation des droits de la défense.

5. Sur la prétendue illégalité des lignes directrices due à la violation du principe de non-rétroactivité

Arguments des parties

482.
    Les requérantes exposent que les lignes directrices, en s'appliquant à des faits antérieurs à leur publication, le 14 janvier 1998, violent le principe général de la non-rétroactivité des dispositions pénales. Ce principe général de droit devrait en même temps être considéré sous l'angle du principe de protection de la confiance légitime. L'interdiction de la rétroactivité des dispositions pénales résulterait également de l'article 7 de la CEDH et du principe de légalité qui y est défini. À cet égard, les requérantes observent que les amendes infligées conformément au règlement n° 17 doivent être considérées comme pénales au sens de l'article 6 de la CEDH.

483.
    Dans ce contexte, les requérantes font observer que les lignes directrices constituent, combinées à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la base juridique de la décision. Ensuite, les requérantes admettent que la Commission est, en principe, en droit d'élever le niveau général des amendes par rapport à sa pratique décisionnelle antérieure, si elle l'estime nécessaire, afin de renforcer l'effet dissuasif de celles-ci. Dans le cas des lignes directrices, néanmoins, il ne s'agirait pas d'une augmentation générale du niveau des amendes, mais d'un calcul fondamentalement différent de l'amende qui prend en considération des circonstances et des éléments qui ne peuvent pas se déduire exclusivement de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ni de principes généraux de droit qui, à cet égard, seraient reconnus par le juge communautaire.

484.
    Les requérantes ajoutent que, si l'exception d'illégalité concernant les lignes directrices devait être rejetée au motif que ces dernières ne constituent pas un règlement au sens large tel que défini par l'article 184 du traité, elles invoquent la violation du principe général de droit relatif à la non-rétroactivité en tant que cause de nullité matérielle de la décision.

485.
    La défenderesse soutient que les lignes directrices n'ont pas modifié la base juridique permettant d'infliger des amendes, à savoir l'article 15 du règlement n° 17. Les lignes directrices ne constitueraient pas, en elles-mêmes, une base juridique, ni pour des sanctions, ni pour leur renforcement. Selon la Commission, les amendes infligées dans la présente affaire auraient pu être fixées de la même manière, aux mêmes montants et en vertu des mêmes considérations en l'absence des lignes directrices, uniquement sur la base du règlement n° 17.

486.
    La Commission considère que, contrairement à l'avis des requérantes, les lignes directrices n'introduisent aucun critère étranger à l'article 15 du règlement n° 17. L'argument selon lequel l'application des lignes directrices représente un écart par rapport à la jurisprudence ou à la pratique administrative antérieure ne serait pas pertinent.

Appréciation du Tribunal

487.
    Selon l'article 7, paragraphe 1, de la CEDH, «[n]ul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international» et «il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise».

488.
    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (voir, notamment, avis de la Cour 2/94, du 28 mars 1996, Rec. p. I-1759, point 33, et arrêt de la Cour du 29 mai 1997, Kremzow, C-299/95, Rec. p. I-2629, point 14). À cet effet, le juge communautaire s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme, auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (arrêt Kremzow, précité, point 14). Par ailleurs, aux termes de l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (devenu, après modification, article 6, paragraphe 2, UE), «l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire».

489.
    Il convient d'observer que le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales, consacré par l'article 7 de la CEDH comme un droit fondamental, est un principecommun à tous les ordres juridiques des États membres et fait partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (arrêt de la Cour du 10 juillet 1984, Kirk, 63/83, Rec. p. 2689, point 22).

490.
    Même s'il ressort de l'article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n'ont pas un caractère pénal (arrêt Tetra Pak/Commission, précité, point 235), il n'en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit communautaire, et notamment celui de non-rétroactivité, dans toute procédure administrative susceptible d'aboutir à des sanctions en application des règles de la concurrence du traité (voir, par analogie, arrêt Michelin/Commission, précité, point 7).

491.
    Or, ainsi que cela a été jugé aux points 432 à 441 ci-dessus, la Commission, en annonçant dans ses lignes directrices la méthode qu'elle envisage d'appliquer dans le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, n'a pas dépassé la marge discrétionnaire qui lui a été laissée par le législateur. Il s'ensuit que l'adoption des lignes directrices ne peut être considérée comme établissant des règles juridiques nouvelles susceptibles d'être appréhendées par le principe de non-rétroactivité.

492.
    En effet, dans l'exercice de la marge d'appréciation laissée par le règlement n° 17 à la Commission, l'introduction par celle-ci d'une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes, pouvant entraîner, dans certains cas, une augmentation de ce montant, sans pour autant excéder le plafond fixé par le même règlement, ne peut être considérée comme une altération, avec effet rétroactif, du cadre juridique définissant les amendes pouvant être infligées contraire aux principes de légalité et de sécurité juridique.

493.
    Il est sans pertinence, à cet égard, d'avancer que le calcul du montant des amendes suivant la méthode exposée dans les lignes directrices, notamment à partir d'un montant déterminé, en principe, en fonction de la gravité de l'infraction, peut amener la Commission à infliger des amendes d'un montant plus élevé que dans sa pratique antérieure. En effet, selon une jurisprudence constante, la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59, du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 53, et Deutsche Bahn/Commission, précité, point 127).

494.
    De plus, il ressort de la jurisprudence que le fait que la Commission ait appliqué dans le passé des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées au règlement n° 17, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence (arrêts Musique diffusion françaisee.a./Commission, précité, point 109, Solvay/Commission, précité, point 309, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T-304/94, Rec. p. II-869, point 89). L'application efficace des règles communautaires de la concurrence exige, au contraire, que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau du montant des amendes aux besoins de cette politique (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109).

495.
    Dès lors, la branche de l'exception d'illégalité fondée sur une violation du principe de non-rétroactivité doit également être rejetée.

496.
    Par conséquent, l'ensemble de l'exception d'illégalité soulevée à l'encontre des lignes directrices doit être rejeté.

D -Sur le quatrième moyen, tiré d'erreurs de droit et d'appréciation dans la détermination du montant de l'amende

1. Sur la violation du principe d'égalité de traitement

Arguments des parties

497.
    Les requérantes reprochent à la Commission d'avoir violé le principe d'égalité de traitement, d'abord, dans la mesure où seul le groupe Henss/Isoplus s'est vu infliger une amende qui, selon les indications de la Commission, atteint le plafond de 10 % du chiffre d'affaires de l'exercice social précédent, tandis que toutes les autres entreprises concernées se sont vu infliger des amendes inférieures en termes de pourcentage du dernier chiffre d'affaires annuel connu, même ABB et Løgstør, à qui la Commission a attribué un rôle de meneur.

498.
    Ensuite, quant à Pan-Isovit et Tarco, les requérantes font observer que, bien que celles-ci aient détenu chacune, durant la période de l'entente européenne, une part de marché égale ou légèrement supérieure à celle du groupe Henss/Isoplus, qu'elles aient nié l'existence d'une entente européenne avant 1994 et leur participation à cette dernière, que Tarco ait uniquement reconnu avoir participé à l'entente danoise de 1990 à 1993, ces deux entreprises se sont néanmoins vu infliger une amende d'un montant sensiblement inférieur à celle du groupe Henss/Isoplus, malgré le fait qu'elles ont réalisé en 1995 un chiffre d'affaires légèrement supérieur.

499.
    De plus, il y aurait une violation du principe d'égalité de traitement dans le fait que, pour les entreprises Henss/Isoplus, c'est leur chiffre d'affaires global qui a servi de base de calcul pour l'amende tandis que, dans le cas de Pan-Isovit et de Tarco, les chiffres d'affaires des sociétés financières n'ont pas été pris en considération, la base de calcul du montant de leur amende étant, dès lors, inférieure à celle des requérantes. Néanmoins, il résulterait de la présente procédure et des documents y afférents que tant la société mère de Pan-Isovit durant la période de référence, à savoir le groupe industriel suisse WMH - WalterMeier Holding AG, que la société financière de Tarco, à savoir le groupe industriel danois Tarco A/S, ont eu connaissance, en tant qu'entreprise de contrôle, de l'existence des accords illégaux litigieux et y étaient impliquées.

500.
    Enfin, les requérantes font observer que, bien que Pan-Isovit eût été rachetée par Løgstør, la Commission ne s'est pas tournée contre ce dernier successeur en droit, alors que cela aurait été le cas en ce qui concerne HFB KG et HFB GmbH, qui n'avaient pourtant acquis d'existence sur le plan juridique qu'en 1997.

501.
    La défenderesse fait remarquer qu'elle n'est pas tenue d'opérer toutes les étapes du calcul du montant de l'amende en tenant compte du chiffre d'affaires global en tant qu'indicateur de la puissance économique des entreprises. Étant donné que le chiffre d'affaires global, du moins considéré isolément, ne constitue pas un critère approprié aux fins du calcul du montant des amendes, l'existence d'une inégalité de traitement ne pourrait être déduite d'une simple comparaison des pourcentages des amendes par rapport au chiffre d'affaires global de chaque entreprise. Le point de départ refléterait équitablement pour chaque entreprise la gravité de l'infraction, à savoir, d'une part, les répercussions de l'entente prise globalement sur la concurrence et, d'autre part, les spécificités de chaque participant. La Commission aurait dûment tenu compte de tous les facteurs pertinents et les aurait appliqués de manière uniforme à toutes les entreprises.

502.
    Les requérantes n'auraient d'ailleurs pas critiqué les considérations relatives à l'amende imposée à ABB ou à Løgstør. Quant à Tarco et Pan-Isovit, en ce qui concerne la période antérieure à 1994, celles-ci n'auraient pas contesté les faits reprochés par la Commission, mais uniquement leur appréciation juridique, ce qui n'empêcherait pas une éventuelle diminution pour coopération. Il ne pourrait être question d'une discrimination par rapport à Pan-Isovit, cette entreprise ayant pu être récompensée par une réduction de l'amende, parce qu'elle n'a pas tenté, comme les sociétés du groupe Henss/Isoplus l'ont fait, de tromper la Commission sur un point important. De plus, même si l'amende infligée à l'une ou l'autre entreprise avait été fixée à un niveau trop bas, les requérantes ne pourraient s'en prévaloir.

503.
    Par ailleurs, le fait que d'autres participants à l'entente soient contrôlés par des sociétés financières ou que leur associé majoritaire ait changé ne devrait pas entraîner une réduction de l'amende. La Commission précise que la circonstance selon laquelle les sociétés du groupe Henss/Isoplus qui exercent des fonctions de sociétés financières ont été intégrées dans le cercle des débiteurs de l'amende n'a pas entraîné une majoration de celle-ci. Les requérantes n'auraient pas non plus prouvé leur allégation selon laquelle des sociétés financières qui contrôlaient d'autres participants à l'entente auraient elles-mêmes participé à cette entente.

504.
    Le fait que la Commission n'a pas rendu Løgstør débiteur solidaire de l'amende infligée à Pan-Isovit alors que Løgstør a acquis cette entreprise après l'enquête ne signifierait pas que HFB KG est victime d'une discrimination, étant donné quel'achat par HFB KG de parts dans les sociétés Henss/Isoplus n'était que la traduction de la restructuration du groupe qui a toujours incarné les intérêts de M. Henss et de ses partenaires.

Appréciation du Tribunal

505.
    Il convient de rappeler que le principe d'égalité de traitement n'est violé, selon une jurisprudence constante, que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du 28 juin 1990, Hoche, C-174/89, Rec. p. I-2681, point 25; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T-311/94, Rec. p. II-1129, point 309).

506.
    En l'espèce, les requérantes affirment que la Commission a violé le principe d'égalité de traitement en leur imposant une amende d'un montant discriminatoire, en premier lieu, par rapport aux montants, en pourcentage du chiffre d'affaires, des amendes imposées à ABB, Løgstør, Pan-Isovit et Tarco, en deuxième lieu, par rapport aux montants des amendes imposées à Pan-Isovit et à Tarco en ce qui concerne la prise en compte des parts de marché et de la coopération au cours de la procédure administrative ainsi qu'en ce qui concerne le chiffre d'affaires utilisé lors du calcul, et, en troisième lieu, par rapport à Pan-Isovit, pour autant qu'aucune amende n'a été imposée au successeur en droit de cette dernière.

507.
    À cet égard, il y a lieu d'observer que la Commission a estimé qu'il s'agissait, en l'espèce, d'une infraction très grave, pour laquelle l'amende normalement infligée est de 20 millions d'écus (considérant 165 de la décision).

508.
    Il convient d'observer, ensuite, que la Commission, afin de tenir compte de la disparité dans la taille des entreprises ayant pris part à l'infraction, a divisé les entreprises en quatre catégories selon leur importance dans le marché de la Communauté, sous réserve d'ajustements destinés à tenir compte de la nécessité d'assurer une dissuasion effective (considérant 166, deuxième à quatrième alinéa, de la décision). Il ressort des considérants 168 à 183 de la décision que les quatre catégories se sont vu attribuer, par ordre d'importance, pour le calcul du montant des amendes, des points de départ de 20, 10, 5 et 1 millions d'écus.

509.
    En ce qui concerne la détermination des points de départ pour chacune des catégories, la Commission a expliqué, à la suite d'une question posée par le Tribunal, que ces montants reflètent l'importance de chaque entreprise dans le secteur des conduites précalorifugées compte tenu de sa taille et de son poids par rapport à ABB et dans le contexte de l'entente. À cette fin, la Commission a tenu compte non seulement de leur chiffre d'affaires sur le marché concerné, mais également de l'importance relative que les membres de l'entente attribuaient à chacun d'eux, comme cela ressort des quotas convenus au sein de l'entente, figuranten annexe 60 de la communication des griefs, et des résultats obtenus et envisagés en 1995, figurant en annexes 169 à 171 de la communication des griefs.

510.
    De plus, la Commission a tenu compte, pour chacune des entreprises, de la durée de leur participation à l'infraction, des éventuelles circonstances aggravantes et atténuantes les concernant et de leur coopération au cours de la procédure administrative en application de la communication sur la coopération.

511.
    Dans ce contexte, il ne saurait être reproché à la Commission, en premier lieu, le fait que les requérantes se sont vu imposer une amende finale d'un montant supérieur, en pourcentage de leur chiffre d'affaires global, à celui de l'amende imposée à ABB, Løgstør, Pan-Isovit ou Tarco. En effet, il convient de rappeler, ainsi qu'il est observé aux points 442 à 446 ci-dessus, que la Commission n'est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes à imposer pour une infraction dans laquelle plusieurs entreprises sont impliquées, d'infliger à celles-ci des amendes dont le montant représente, pour chacune, un même pourcentage de leur chiffre d'affaires.

512.
    Par ailleurs, le Tribunal a déjà jugé que la Commission, dans la mesure où elle s'était appuyée, en l'espèce, lors de la détermination du montant des amendes, sur le chiffre d'affaires d'une entreprise sur le marché concerné, n'était pas obligée de prendre en compte, pour apprécier la gravité de l'infraction, la relation existant entre le chiffre d'affaires global d'une entreprise et le chiffre d'affaires qui provient des produits faisant l'objet de l'infraction (arrêt du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, précité, point 184). Dès lors, la Commission n'est pas, a fortiori, obligée de déterminer le montant des amendes en fonction du chiffre d'affaires global des entreprises concernées dans une situation comme celle de la présente espèce, où elle a choisi de tenir compte d'un ensemble de facteurs pertinents pour apprécier la gravité et la durée de l'infraction et, notamment, pour déterminer les points de départ du calcul du montant des amendes.

513.
    Il convient d'observer, en deuxième lieu, qu'une même conclusion s'impose en ce qui concerne l'argument selon lequel le montant de l'amende imposée aux requérantes serait discriminatoire par rapport à celui de celle imposée à Pan-Isovit et à Tarco quant à la prise en compte des parts de marché. En effet, eu égard au quota attribué aux requérantes et aux résultats envisagés, tels qu'ils ressortent des annexes 60 et 169 à 171 de la communication des griefs, la Commission était en droit d'attribuer, lors de la détermination des points de départ du calcul du montant des amendes, une importance aux requérantes sur le marché qui n'est pas inférieure à celle de Pan-Isovit et Tarco.

514.
    Pour autant que les requérantes s'appuient sur la circonstance selon laquelle le montant de leur amende serait discriminatoire par rapport au montant de celles imposées à Pan-Isovit et à Tarco, eu égard au degré de coopération de ces dernières, il convient d'observer que la réduction de 30 % du montant de l'amende accordée à Tarco ainsi que la réduction de 20 % accordée à Pan-Isovit se justifientà la lumière de l'application faite par la Commission, en ce qui concerne le comportement de ces deux entreprises au cours de la procédure administrative, du point D de la communication sur la coopération. De plus, la Commission ne leur reproche pas, contrairement à ce qui est le cas pour les requérantes, de l'avoir trompée sur un aspect important de l'affaire.

515.
    Par ailleurs, il y a lieu de remarquer, à cet égard, que, selon la jurisprudence, même à supposer que la Commission ait commis une illégalité en réduisant les amendes infligées à certaines entreprises, le respect du principe d'égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui (arrêts du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, précité, point 160, et Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 334).

516.
    Pour autant que les requérantes affirment que la Commission s'est basée sur leur chiffre d'affaires global, sans avoir procédé de la même manière dans les cas de Pan-Isovit et de Tarco, il convient de préciser que la Commission, dans son calcul du montant de l'amende imposée au groupe Henss/Isoplus, n'a pas tenu compte du chiffre d'affaires global de l'ensemble des sociétés réunies par elle dans ce groupe. Il s'avère, à ce sujet, que la Commission s'est basée sur un chiffre d'affaires d'environ 49 500 000 écus lors de l'application, conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, du plafond de 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, étant donné qu'il ressort du considérant 180 de la décision que cette opération a donné un montant final de l'amende de 4 950 000 écus. Or, il est constant que, ce faisant, la Commission s'est servie d'un chiffre d'affaires constitué par l'addition des chiffres d'affaires pour 1997 d'Isoplus Rosenheim, d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen, convertis en écus, après déduction du chiffre d'affaires réalisé entre elles. Étant donné que la Commission, par conséquent, ne s'est pas basée sur un montant comprenant le chiffre d'affaires d'une société agissant comme société financière par rapport à ces trois sociétés, les requérantes ne sauraient affirmer avoir reçu, dans cette mesure, un traitement discriminatoire par rapport à Pan-Isovit ou Tarco.

517.
    En troisième lieu, dans la mesure où les requérantes font encore valoir que la Commission ne s'est pas tournée contre Løgstør comme successeur en droit de Pan-Isovit, contrairement à ce qu'elle a fait pour HFB KG et HFB GmbH, il suffit de rappeler que, pour les raisons évoquées aux points 101 à 107 ci-dessus, la Commission a commis une erreur de droit en tenant HFB KG et HFB GmbH pour responsables de l'amende infligée pour la participation du groupe Henss/Isoplus à l'infraction. Étant donné qu'il convient, dès lors, d'annuler la décision dans la mesure où elle concerne ces deux sociétés, il n'est plus besoin d'examiner le moyen tiré d'une violation, sur cette base, du principe d'égalité de traitement.

518.
    Il s'ensuit que le grief doit être rejeté.

2. Sur la violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en ce qui concerne la responsabilité solidaire des cinq requérantes

Arguments des parties

519.
    Les requérantes font observer que la Commission leur a infligé à tort une amende à titre solidaire. À cet égard, elles rappellent, d'abord, que s'il n'est pas reconnu au groupe Henss/Isoplus la qualité de groupe, quasi-groupe ou «groupe de facto», il conviendrait d'infliger une amende à chaque requérante prise individuellement. Les requérantes précisent que leur situation ne peut se comparer avec l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, précité, dans laquelle les sociétés requérantes étaient tenues pour responsables du comportement anticoncurrentiel de l'association d'entreprises Finnboard de telle manière qu'une violation intentionnelle de l'article 85 du traité a pu être constatée dans le chef de chacune d'elles.

520.
    Ensuite, les requérantes affirment qu'il découle de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 que, lorsque plusieurs entreprises sont tenues pour responsables, la condamnation au paiement indivisible de l'amende doit être limitée, pour chacune des entreprises coresponsables, au plafond de 10 % de son chiffre d'affaires durant le dernier exercice social. En l'espèce, les requérantes auraient été condamnées au paiement solidaire d'une somme qui dépasse, pour chacune des requérantes, le plafond de 10 % de son chiffre d'affaires. Dès lors, si l'une d'entre elles devenait insolvable, cela signifierait nécessairement que les autres entreprises devraient payer une amende supérieure à 10 % de leur chiffre d'affaires, ce qui serait contraire à l'esprit et à la lettre de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. À cet égard, les requérantes font remarquer que dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, le montant de l'obligation solidaire a été déterminé de manière individuelle avec un montant différent pour chaque entreprise, de sorte que le plafond maximal de l'amende a été respecté pour chacune d'entre elles.

521.
    La défenderesse fait observer que les quatre sociétés Henss et Isoplus ont dû être traitées comme une seule entreprise aux fins de l'article 15 du règlement n° 17 étant donné qu'elles ont participé, pendant la période de l'infraction, sous une direction unique, à celle-ci, sans qu'il soit possible de distinguer le degré de participation de chacune. Ce serait donc à juste titre que la Commission a appliqué le plafond fixé dans l'article 15 du règlement n° 17 aux chiffres d'affaires cumulés des trois sociétés d'exploitation restantes au moment de l'adoption de la décision, et leur a infligé une amende à titre solidaire. En ce qui concerne HFB KG et HFB GmbH, la Commission estime que leur responsabilité découle de celle des sociétés d'exploitation, de sorte qu'elles pouvaient, en tant que parties de la même entreprise, figurer parmi les débiteurs solidaires.

Appréciation du Tribunal

522.
    Il convient d'observer que les requérantes reprochent à la Commission de les avoir tenues pour solidairement responsables de l'infraction commise par le groupe Henss/Isoplus.

523.
    Dès lors qu'il a été jugé que la décision contient, en tout état de cause, une erreur de droit dans la mesure où les sociétés HFB KG et HFB GmbH ont été tenues pour solidairement responsables de l'amende infligée au groupe Henss/Isoplus (voir points 101 à 108 ci-dessus), il n'est plus besoin d'examiner le présent moyen pour autant qu'il concerne ces deux sociétés.

524.
    En ce qui concerne Isoplus Rosenheim, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen, il convient de rappeler, comme cela a été confirmé aux points 54 à 68 ci-dessus, que les activités au sein de l'entente des sociétés Henss Berlin et Henss Rosenheim, devenues Isoplus Rosenheim, et des sociétés Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen doivent être considérées comme le comportement d'une seule entité économique, sous un contrôle unique et poursuivant, de façon durable, un but économique commun à ses différentes composantes.

525.
    Étant donné que Isoplus Rosenheim, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen doivent, en ce qui concerne leurs activités dans l'entente, être considérées comme une unité économique unique, le comportement incriminé leur est imputable solidairement (arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto chemioterapico et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 41).

526.
    Il doit être estimé que la responsabilité solidaire de ces sociétés se justifie, en l'espèce, d'autant plus qu'il n'existait, au moment de l'infraction, aucune personne juridique qui, à la tête de l'ensemble des sociétés appartenant au groupe Henss/Isoplus, aurait pu, en tant que responsable de l'action du groupe, se voir imputer la responsabilité de l'infraction. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le Tribunal a jugé que, dans une situation dans laquelle, en raison de la composition familiale du groupe et de la dispersion de son actionnariat, il est impossible ou excessivement difficile d'identifier la personne juridique qui, à sa tête, aurait pu, en tant que responsable de la coordination de l'action du groupe, se voir imputer les infractions commises par ses diverses sociétés composantes, la Commission est en droit de tenir les filiales pour solidairement responsables de l'ensemble des agissements du groupe, afin d'éviter que la séparation formelle entre ces sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, ne puisse s'opposer à la constatation de l'unité de leur comportement sur le marché aux fins de l'application des règles de la concurrence. Or, il est évident que cette analyse, portant sur une situation où il était impossible ou excessivement difficile d'identifier la personne juridique qui, à la tête d'un groupe, aurait pu se voir imputer les infractions réalisées par les diverses sociétés composantes, s'applique, à plus forte raison, à la situation dans laquelle une telle personne juridique fait défaut.

527.
    En outre, il ressort de la jurisprudence que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 doit être interprété en ce sens qu'une entreprise peut être déclarée solidairement responsable avec une autre entreprise du paiement d'une amende infligée à celle qui a commis une infraction de propos délibéré ou par négligence, à condition que la Commission démontre, dans le même acte, que cette infraction aurait pu être également constatée dans le chef de l'entreprise devant répondre solidairement de l'amende (arrêts Metsä-Serla e.a./Commission, précité, points 42 à 45, et Finnboard/Commission, précité, points 27 à 28 et 34 à 38). Dans l'affaire ayant donné lieu aux arrêts Metsä-Serla e.a./Commission et Finnboard/Commission, précités, il s'agissait d'une association d'entreprises, Finnboard, à laquelle avait été infligée une amende dont étaient solidairement responsables les sociétés membres de l'association. À cet égard, le juge communautaire a estimé que la Commission était en droit de retenir la responsabilité solidaire de chacune des requérantes avec Finnboard, en considérant que les liens économiques et juridiques existant entre les entreprises concernées étaient tels que Finnboard n'avait agi qu'en tant qu'organe auxiliaire de chacune d'elles et qu'elle était tenue de suivre les directives émises par celles-ci sans pouvoir adopter sur le marché un comportement indépendant de chacune d'elles, de sorte que Finnboard constituait en réalité une unité économique avec chacune de ses sociétés membres (arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, précité, points 58 à 59). Or, il s'agit, dans le cas d'espèce, d'une situation dans laquelle les sociétés Isoplus Rosenheim, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen agissaient en tant qu'organes auxiliaires du groupe de fait Henss/Isoplus et étaient tenues de suivre les directives émises par leur direction unique sans pouvoir adopter sur le marché un comportement indépendant. Il va de soi que, dans de telles circonstances, chacune de ces sociétés peut être tenue pour solidairement responsable de l'infraction constatée dans le chef du groupe Henss/Isoplus qui, lui-même, constitue l'entreprise ayant commis l'infraction au sens de l'article 85 du traité.

528.
    Contrairement à ce qu'affirment les requérantes, la circonstance selon laquelle plusieurs sociétés sont tenues pour solidairement responsables d'une amende n'implique pas, en ce qui concerne l'application du plafond de 10 % du chiffre d'affaires prévu par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, que le montant de l'amende soit limité, pour les sociétés coresponsables, à 10 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune de ces sociétés durant le dernier exercice social. En effet, le plafond de 10 % du chiffre d'affaires, au sens de cette disposition, doit être calculé sur la base du chiffre d'affaires cumulé de toutes les sociétés constituant l'entité économique agissant en tant qu'«entreprise» au sens de l'article 85 du traité.

529.
    À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence relative aux infractions commises par les associations d'entreprises pour lesquelles le plafond de 10 % du chiffre d'affaires prévu par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 doit être calculé, le cas échéant, par rapport au chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble des entreprises membres des associations d'entreprises, à tout le moins lorsque, en vertu de ses règles internes, l'association peut engager ses membres (arrêts duTribunal CB et Europay/Commission, précité, point 136, et du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T-29/92, p. II-289, point 385). Selon le Tribunal, une telle interprétation se justifie par le fait que, en fixant le montant des amendes, il peut être tenu compte, notamment, de l'influence qu'une association d'entreprises a pu exercer sur le marché, qui ne dépend pas de son propre «chiffre d'affaires» qui ne révèle ni sa taille ni sa puissance économique, mais bien du chiffre d'affaires de ses membres, qui constitue une indication de sa taille et de sa puissance économique (arrêts CB et Europay/Commission, précité, point 137, et SPO e.a./Commission, précité, point 385). De même, dans le cas d'une «entreprise» constituée par un groupe de sociétés agissant comme une entité économique unique, seul le chiffre d'affaires cumulé des sociétés composantes peut constituer une indication de la taille et de la puissance économique de l'entreprise en question.

530.
    Ainsi, le Tribunal a approuvé une décision de la Commission dans la mesure où cette dernière avait imposé une amende, en raison d'une infraction pour laquelle deux sociétés soeurs étaient tenues pour solidairement responsables, en tenant compte précisément de leur chiffre d'affaires cumulé.

531.
    À cet égard, c'est à tort que les requérantes demandent que leur soit appliquée la solution retenue dans l'arrêt Metsä-Serla e.a./Commission, précité, selon laquelle chaque requérante était tenue pour solidairement responsable, à concurrence d'un certain montant, de l'amende infligée à l'association d'entreprises. En effet, cette solution s'explique par le fait qu'il s'agissait d'une situation dans laquelle l'association Finnboard formait une entité économique avec chacune de ses sociétés membres, prise individuellement. En l'espèce, en revanche, il ne s'agit que d'une unique entité économique à laquelle appartiennent les sociétés Isoplus Rosenheim, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen.

532.
    Pour ces raisons, il convient de rejeter le grief en ce qui concerne la responsabilité solidaire d'Isoplus Rosenheim, d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen.

3. Sur l'appréciation erronée du chiffre d'affaires des entreprises concernées

Arguments des parties

533.
    Les requérantes exposent que la Commission, dans la modulation de l'amende afin de ne pas dépasser le plafond de 10 % du chiffre d'affaires déterminé dans l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, ne pourrait partir d'un chiffre d'affaires global pour le groupe Henss/Isoplus, pour l'année 1997, de 49 500 000 écus. D'après les requérantes, le montant maximal doit être de 49 055 000 écus, correspondant au chiffre d'affaires global, tel que corrigé par la déduction des ventes internes entre les sociétés Isoplus Hohenberg, Isoplus Sondershausen et Isoplus Rosenheim. Il en résulterait que la Commission n'était en droit d'infliger une amende que d'un montant de 4 905 000 écus.

534.
    À cet égard, les requérantes précisent qu'elles optent pour le cours de conversion tel qu'il a été défini de manière définitive par la Banque centrale européenne en mai 1998 en ce qui concerne l'écu et l'euro à partir du 1er janvier 1999.

535.
    Par ailleurs, selon les requérantes les requérantes, la Commission ne saurait motiver le montant de l'amende de 4 950 000 écus par le fait que, dans le calcul du chiffre d'affaires global du groupe Henss/Isoplus, il convenait également de tenir compte du montant des ventes de conduites en acier. En effet, conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, le chiffre d'affaires réalisé sur un autre produit destiné à un marché différent de celui sur lequel a été réalisée l'infraction ne pourrait intervenir, dans le cas d'espèce, dans la détermination du chiffre d'affaires global du groupe Henss/Isoplus.

536.
    La défenderesse fait observer que l'argument des requérantes selon lequel l'amende est trop élevée de 45 000 écus est dénué de fondement. D'une part, les requérantes n'appliqueraient pas le taux de conversion qui convient, c'est-à-dire le cours de conversion moyen entre la monnaie nationale et l'écu pour l'année de référence 1997. D'autre part, les requérantes auraient dû tenir compte, pour Isoplus Rosenheim, non seulement du chiffre d'affaires afférent aux conduites en plastique, mais également du chiffre d'affaires global visé à l'article 15 du règlement n° 17, sans distinction par catégorie de produits.

Appréciation du Tribunal

537.
    Il convient de rappeler que, lors de la réduction du montant de l'amende imposée au groupe Henss/Isoplus en vertu de l'application du plafond prévu par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission s'est basée sur un chiffre d'affaires d'environ 49 500 000 écus.

538.
    La Commission a expliqué dans son mémoire en défense que, ce faisant, elle s'est basée sur l'ensemble des chiffres d'affaires réalisés par les sociétés Isoplus Rosenheim, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen en 1997, après déduction de leurs ventes internes, tels que communiqués par ces sociétés lors de la procédure administrative. Au même endroit, la Commission a expliqué que ces chiffres, étant exprimés en monnaies nationales, ont été convertis en écus par application du cours de conversion moyen entre la monnaie nationale et l'écu pour l'année de référence 1997.

539.
    Il doit être constaté que le montant retenu, dans la décision, comme chiffre d'affaires global de l'ensemble de ces trois sociétés correspond, en effet, au chiffre résultant, suivant la méthode exposée par la Commission, des chiffres communiqués par les requérantes.

540.
    À cet égard, les requérantes ne sauraient reprocher à la Commission, en ce qui concerne Isoplus Rosenheim, de s'être basée sur le chiffre d'affaires global de celle-ci, sans se limiter aux ventes de conduites précalorifugées destinées au marché du chauffage urbain.

541.
    En effet, il ressort d'une jurisprudence constante que le chiffre d'affaires visé à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 relatif à la limite supérieure de l'amende susceptible d'être infligée se réfère au chiffre d'affaires global de l'entreprise, qui donne seul une indication approximative de l'importance et de l'influence de celle-ci sur le marché (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 119; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T-13/89, Rec. p. II-1021, point 376, et du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43/92, Rec. p. II-441, point 160). Dans le respect de la limite fixée par cette dernière disposition, la Commission peut fixer le montant de l'amende à partir du chiffre d'affaires de son choix, en termes d'assise géographique et de produits concernés.

542.
    Ensuite, en ce qui concerne la conversion en écus des chiffres exprimés en monnaies nationales, il convient d'observer que la Commission était en droit d'appliquer le cours de conversion moyen entre la monnaie nationale et l'écu pour l'année de référence 1997.

543.
    Ainsi que le Tribunal l'a jugé, la Commission, en calculant le montant de l'amende à partir du chiffre d'affaires d'une année de référence donnée, exprimé en monnaie nationale, est fondée à convertir ce chiffre d'affaires en écus sur la base du taux de change moyen de cette année de référence, et non sur la base du taux de change à la date de l'adoption de la décision (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Enso Española/Commission, T-348/94, Rec. p. II-1875, points 336 à 341).

544.
    Pour ces raisons, le grief tiré d'une appréciation erronée du chiffre d'affaires doit être rejeté.

4. Sur la violation des droits de la défense dans l'appréciation des circonstances aggravantes

Arguments des parties

545.
    Les requérantes font valoir, en ce qui concerne les circonstances aggravantes mentionnées au considérant 179 de la décision, que la Commission a violé le droit fondamental de se défendre dans la mesure où elle a retenu à la charge du groupe Henss/Isoplus «ses tentatives répétées pour tromper la Commission sur la véritable nature des relations entre les entreprises du groupe», constituant «une obstruction délibérée afin d'empêcher la Commission de mener son enquête».

546.
    À cet égard, les requérantes font observer que, dans le cadre d'une procédure susceptible d'aboutir à des amendes, dans laquelle la question de l'existence d'un groupe, d'un quasi-groupe ou d'un groupe de facto se pose, il relève du droit dese défendre de contester certaines relations entre personnes physiques ou morales sous l'angle du droit des sociétés et de ne pas révéler certaines relations fiduciaires. En effet, l'essence même de la fiducie impliquerait que l'identité du commettant ne soit révélée qu'à certaines autorités, comme les autorités financières et la banque centrale, à l'exclusion des tierces parties à un litige et d'autres autorités et juridictions, la cause de la création de relations de fiducie étant précisément, dans la plupart des cas, le désir de conserver le secret vis-à-vis des tiers. Dès lors, les requérantes auraient dû imposer à leurs conseils le respect de l'obligation du secret professionnel à laquelle ces derniers sont tenus par les règles régissant la profession d'avocat. Le fait de considérer cette attitude comme une circonstance aggravante lors du calcul du montant de l'amende violerait donc le droit fondamental de se défendre.

547.
    Contrairement à l'opinion exprimée par la Commission, il existerait bien un intérêt légitime selon lequel les relations de fiducie et, de ce fait, l'identité de l'associé majoritaire doivent être gardées secrètes, notamment en ce qui concerne Isoplus Hohenberg, mais, en partie, également en ce qui concerne Isoplus Sondershausen. Pour les raisons qui ont déjà été exposées par M. Henss à la Commission, au cours d'un entretien confidentiel, le 3 mars 1998, et confirmées dans une lettre du 4 mars 1998, le comportement des requérantes n'aurait constitué que l'exercice des droits de la défense.

548.
    En ce qui concerne l'affirmation de la Commission d'après laquelle, si l'obstruction délibérée avait réussi, «[elle] aurait fort bien pu permettre à l'entreprise d'échapper à la sanction appropriée ou rendre son exécution plus difficile», les requérantes précisent, d'abord, que, même en cas de révélation des relations fiduciaires, différentes questions de droit auraient également dû être résolues au cours d'une procédure administrative concernant la qualité du groupe Henss/Isoplus en tant que groupe, quasi-groupe ou groupe de facto et, partant, en tant qu'entreprise au sens de l'article 85 du traité. À cet égard, il serait incontestable que le fait d'adopter une position juridique différente de celle de la Commission relève du droit de se défendre.

549.
    Ensuite, la Commission affirmerait à tort que, si la thèse des requérantes avait été admise, cela aurait permis d'obtenir une réduction importante de l'amende. En effet, dans l'hypothèse retenue par la Commission, selon laquelle le groupe Henss/Isoplus constitue un groupe ou un groupe de facto, les ventes internes réalisées entre les membres du groupe auraient été écartées lors du calcul du chiffre d'affaires en tant que base de détermination du montant de l'amende. À cet égard, les requérantes rappellent que le chiffre d'affaires consolidé de Henss/Isoplus pour l'année de référence 1997 devrait s'élever à 49 055 000 écus. En revanche, si on accepte que le groupe Henss/Isoplus n'a pas existé en tant que tel, il faudrait tenir compte du chiffre d'affaires de chacune des entreprises concernées en considérant les ventes réalisées entre les requérantes, notamment les ventes effectuées par Isoplus Rosenheim en tant qu'entreprise de distribution ou agent commercial. Dans cette dernière hypothèse, la base pour le calcul dumontant des amendes n'aurait été, en définitive, pas très différente. En effet, dans ce dernier cas, il aurait dû être ajouté aux chiffres d'affaires d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen les provisions et montants de garantie retenus par Isoplus Rosenheim, en qualité d'agent commercial, ce qui aurait abouti à un montant du chiffre d'affaires global d'environ 46 000 000 écus.

550.
    Enfin, si l'existence d'un groupe n'est pas admise, mais s'il est estimé, contrairement à l'avis des requérantes, que les relations juridiques entre Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen, d'une part, et Isoplus Rosenheim, d'autre part, n'ont pas constitué de pures relations d'agence commerciale, le chiffre d'affaires d'Isoplus Rosenheim aurait dû être ajouté au chiffre d'affaires global servant de base de calcul pour l'amende. Dans ce cas, les chiffres d'affaires cumulés d'Isoplus Rosenheim, d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen, non consolidés et purgés des chiffres d'affaires internes, se seraient élevés à 68 000 000 écus.

551.
    Ces considérations démontreraient que le fait de garder secrètes les relations de fiducie ainsi que la circonstance selon laquelle les requérantes contestent la qualification de groupe, quasi-groupe ou groupe de facto des sociétés Henss et Isoplus ne constituent en rien des manoeuvres dolosives visant à obtenir une réduction de l'amende.

552.
    La défenderesse expose, d'abord, qu'elle a été trompée à dessein, tant par l'avocat des sociétés Henss que par celui des sociétés Isoplus, sur le point important de savoir si M. Henss contrôlait également les sociétés Isoplus. Selon la Commission, les manoeuvres dolosives des requérantes n'ont eu aucun rapport avec l'exercice des droits de la défense. Par ailleurs, l'obligation de répondre à une demande de renseignements, imposée par le règlement n° 17, ne porterait pas atteinte aux droits de la défense. Cela serait d'autant plus vrai que les manoeuvres dolosives ne visaient pas tant l'existence de l'infraction que la base de calcul du montant de l'amende.

553.
    Quant à la confidentialité des relations de fiducie, la Commission estime qu'il ne ressort pas des circonstances évoquées par les requérantes qu'il existait un intérêt légitime à ne pas révéler les informations demandées par elle. En tout état de cause, la Commission serait tenue, conformément à l'article 20 du règlement n° 17, de respecter des intérêts au secret légitimes, en particulier le secret d'affaires.

554.
    En ce qui concerne la question de savoir si le fait de tromper la Commission devait permettre d'obtenir une réduction importante de l'amende, la Commission expose que, même en prenant en compte certaines ventes réalisées entre les requérantes, le montant de l'amende aurait été inférieur à celui réellement infligé.

Appréciation du Tribunal

555.
    Il convient d'observer que la Commission a retenu, à l'encontre du groupe Henss/Isoplus, «ses tentatives répétées pour tromper la Commission sur la véritable nature des relations entre les entreprises du groupe» en tant que circonstance aggravante qui, avec la poursuite délibérée de l'entente après l'enquête et le rôle de premier plan dans la mise en oeuvre de l'entente, a entraîné une augmentation de 30 % du montant de l'amende infligée aux composantes de ce groupe (considérant 179, troisième alinéa, de la décision).

556.
    À cet égard, force est de constater que certaines des informations communiquées par les requérantes, en ce qui concerne la situation des actionnaires des sociétés réunies, par la Commission, dans le groupe Henss/Isoplus et en ce qui concerne les liens de propriété entre ces sociétés, se sont révélées inexactes.

557.
    En premier lieu, il convient d'observer que, à la suite de la demande de renseignements du 13 mars 1996, dans laquelle la Commission priait la société Isoplus Hohenberg de spécifier tous les éléments relatifs aux réunions tenues avec les sociétés concurrentes et, notamment, en ce qui concerne les participants à ces réunions, leurs nom, entreprise et fonction, celle-ci a précisé, en ce qui concerne la présence, à de telles réunions, de M. Henss, que ce dernier n'y représentait les sociétés Isoplus que sur la base d'un mandat de leur part (réponse complémentaire d'Isoplus Hohenberg du 10 octobre 1996, ci-après la «réponse complémentaire d'Isoplus Hohenberg»). Ensuite, dans leurs observations sur la communication des griefs du 30 juin 1997, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen ont explicitement contesté le fait que les sociétés Henss et Isoplus formaient un groupe unique ou des sociétés liées sous la direction ou le contrôle de M. Henss et ont affirmé qu'il n'existait, dans le dossier, aucune preuve démontrant que M. Henss ait contrôlé, même par le biais d'un mandataire, Isoplus Hohenberg ou les sociétés liées à cette dernière. Or, ainsi que les requérantes l'ont reconnu devant le Tribunal, il s'avère que M. Henss était le propriétaire de la majorité des parts sociales d'Isoplus Hohenberg, au moins à partir d'octobre 1991, et jusqu'à la cession de ses parts à HFB KG, par le contrat d'apport du 15 janvier 1997. Il s'ensuit qu'il détenait donc, à cette époque, une participation indirecte dans Isoplus Sondershausen et qu'il participait aux réunions de l'entente, dès lors, également comme propriétaire d'Isoplus Hohenberg et, indirectement, d'Isoplus Sondershausen.

558.
    En second lieu, Isoplus Hohenberg a soutenu, dans sa réponse complémentaire, qu'elle détenait 100 % du capital d'Isoplus Sondershausen, ce qui était confirmé par les observations d'Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen sur la communication des griefs. Or, cette information s'est avérée incorrecte étant donné que, d'une part, la Commission a appris, par le biais du contrat d'apport, qu'un tiers du capital social d'Isoplus Sondershausen était détenu par Isoplus Hohenberg en tant que mandataire pour M. et Mme Papsdorf, qui l'ont cédé par le contrat d'apport à HFB KG, et que, d'autre part, les requérantes affirment, dans leursmémoires devant le Tribunal, qu'un autre tiers dudit capital social a également été détenu par Isoplus Hohenberg en tant que mandataire.

559.
    Contrairement à ce que prétendent les requérantes, leur comportement au cours de la procédure administrative ne saurait être considéré comme un simple exercice du droit de contester la qualification de «groupe» attribuée par la Commission aux sociétés Henss et Isoplus.

560.
    D'abord, il convient d'observer que les requérantes, lors de la procédure administrative, ne se sont pas limitées à contester l'appréciation des faits ainsi que la position juridique de la Commission, mais ont fourni à celle-ci, dans leurs réponses aux demandes de renseignements ainsi que dans leurs observations sur la communication des griefs, des renseignements incomplets et, partiellement, inexacts.

561.
    Il y a lieu d'observer que le règlement n° 17 impose à l'entreprise qui fait l'objet d'une mesure d'investigation une obligation de collaboration active, qui implique qu'elle tienne à la disposition de la Commission tous les éléments d'information relatifs à l'objet de l'enquête (arrêt de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec. p. 3283, point 27; arrêt du Tribunal du 8 mars 1995, Société Générale/Commission, T-34/93, Rec. p. II-545, point 72). Même si les entreprises sont libres de répondre ou de ne pas répondre à des questions qui leur sont posées au titre de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17, il ressort de la sanction prévue à l'article 15, paragraphe 1, sous b), première partie de la phrase, du règlement n° 17 que les entreprises, ayant accepté de répondre, sont tenues de fournir des renseignements exacts.

562.
    Ensuite, les requérantes ne sauraient invoquer le caractère confidentiel des relations fiduciaires au sein de l'actionnariat des sociétés Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen, étant donné que, conformément à l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission est tenue de ne pas divulguer les informations qu'elle a recueillies en application de ce règlement et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel. De même, il est énoncé dans l'article 20, paragraphe 1, du règlement n° 17 que les informations recueillies en application des articles 11, 12, 13 et 14 ne peuvent être utilisées que dans le but pour lequel elles ont été demandées. Eu regard à l'obligation imposée à la Commission de sauvegarder la confidentialité des informations couvertes par le secret professionnel, la confidentialité de l'identité des commettants dans le cadre de relations de fiducie n'était donc pas à même de justifier le comportement des requérantes. Par ailleurs, il n'est pas exclu que la réalité du contrôle exercé par M. Henss sur les sociétés Isoplus et les liens entre ces dernières auraient pu être communiqués à la Commission sans qu'il eût été besoin de révéler l'identité de personnes tierces agissant en tant que commettants dans le cadre de relations de fiducie.

563.
    Étant donné que les sociétés Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen ont dû savoir que les renseignements cachés à la Commission étaient nécessaires afin d'apprécier la réalité des relations existant entre les sociétés réunies par celle-ci, dès sa demande de renseignements du 13 mars 1996, dans un groupe unique («le groupe Henss»), c'est à bon droit que la Commission a qualifié le comportement des requérantes de «tentatives répétées pour tromper la Commission sur la véritable nature des relations entre les entreprises du groupe» constituant une «obstruction délibérée afin d'empêcher la Commission de mener son enquête». Le caractère délibéré de ce comportement est confirmé par le fait que l'avocat chargé de la défense d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen avait connaissance du caractère inexact des renseignements fournis lors de la procédure administrative, eu égard au rôle de mandataire qu'il avait joué lui-même, comme cela est reconnu par les requérantes, dans les relations de fiducie.

564.
    Quant à la qualification de ce que l'obstruction délibérée «si elle avait réussi, aurait fort bien pu permettre à l'entreprise d'échapper à la sanction appropriée ou rendre son exécution plus difficile», il suffit d'observer que le contrôle exercé par M. Henss sur les sociétés Henss et Isoplus constitue un facteur conduisant, dans les circonstances de l'espèce, à la conclusion selon laquelle les activités desdites sociétés doivent être considérées comme l'action d'un groupe de fait «Henss/Isoplus», pour lequel les sociétés Isoplus Rosenheim, Isoplus Hohenberg et Isoplus Sondershausen peuvent être tenues pour solidairement responsables. Par conséquent, et sans qu'il y ait besoin de vérifier si telle ou telle hypothèse aurait conduit à un montant de l'amende supérieur, il ne saurait être exclu que la Commission n'aurait pas pu arriver au montant de l'amende effectivement imposée s'il n'était pas démontré que M. Henss contrôlait Isoplus Hohenberg et, par conséquent, partiellement, Isoplus Sondershausen, ce que les requérantes avaient précisément nié pendant la procédure administrative.

565.
    Il s'ensuit que le grief tiré d'une violation des droits de la défense dans l'appréciation des circonstances aggravantes doit être rejeté.

5. Sur la circonstance aggravante fondée sur le rôle joué dans l'entente par les requérantes

Arguments des parties

566.
    Les requérantes contestent le fait que la Commission retient en tant que circonstance aggravante à la charge de Henss/Isoplus le «rôle de premier plan joué par cette entreprise dans la mise en oeuvre de l'entente». Dans ce contexte, elles contestent les affirmations de la Commission contenues aux considérants 75, 121 et 144 de la décision.

567.
    À cet égard, les requérantes rappellent que les activités de Henss Rosenheim, ou de M. Henss, en rapport avec ABB, doivent, surtout durant la période allant d'octobre 1991 à octobre 1994, être considérées sous l'angle de leur qualité dereprésentant commercial d'ABB Isolrohr, avec les obligations contractuelles que cela implique.

568.
    En ce qui concerne le reproche selon lequel Henss aurait été «l'un de ceux qui ont cherché, avec le plus d'empressement, à faire respecter les dispositions en matière de partage du marché et de soumissions concertées», les requérantes expliquent qu'elles réussissaient parfois, pour certains projets, à remporter le marché au lieu d'une entreprise favorite. Lorsque ce fut le cas, par exemple, face à Tarco, cette dernière aurait adressé de vifs reproches aux requérantes et, principalement, à M. Henss. Dès lors, il serait normal que, en revanche, lorsque Tarco enlevait des marchés pour lesquels les requérantes étaient favorites, elle aurait reçu à son tour des reproches de ces dernières. Dans ce contexte, la Commission reconnaîtrait qu'il résulte des tableaux comparatifs de décembre 1995 relatifs aux parts de marché des participants à l'entente que Tarco et Løgstør avaient obtenu une part de marché nettement plus importante que celle qui avait été fixée au sein de l'entente, au détriment d'ABB, du groupe Henss/Isoplus et de KWH. Cela démontrerait que le groupe Henss/Isoplus ou les requérantes n'ont certainement pas joué un rôle de premier plan.

569.
    En ce qui concerne les mesures prises à l'encontre de Powerpipe, les requérantes n'auraient pas non plus joué un rôle de premier plan dans la mise en oeuvre de l'entente. Elles n'auraient pas participé à la stratégie à long terme élaborée par ABB, dès 1992, pour contrôler le marché et visant à l'élimination de Powerpipe, à laquelle Løgstør a participé en collaborant au débauchage du personnel de cette société. Les requérantes n'auraient jamais été présentes sur le marché suédois et ne seraient apparues sur le marché danois, pour la première fois, qu'au début de l'année 1993, tandis que Powerpipe n'a pas étendu ses activités à l'Allemagne avant 1994. Par rapport au projet de Leipzig-Lippendorf, ni Isoplus Rosenheim ni M. Henss n'auraient jamais exigé des mesures de boycottage envers Powerpipe.

570.
    De plus, les requérantes n'auraient jamais participé à des sanctions en cas de non-respect des accords adoptés au sein de l'entente européenne. En effet, il résulterait de l'annexe 7 des observations de Løgstør sur la communication des griefs ainsi que du plan présenté par ABB à cet égard que l'idée des sanctions au sein de l'entente européenne n'a pas émané des requérantes ni de M. Henss.

571.
    S'agissant des barèmes de prix communs appelés «EU List», «Euro Price List» ou encore «Europa-Preisliste», même si, après la finalisation de l'entente européenne, ces barèmes ont été utilisés également par les requérantes, ils n'auraient pas été conçus par celles-ci ni par M. Henss. À ce sujet, les déclarations de Løgstør ne seraient pas fiables.

572.
    Par ailleurs, la Commission soulignerait dans sa décision qu'ABB était le chef et la principale instigatrice de l'entente et que Løgstør a joué un rôle actif dans la planification et la mise en oeuvre de la stratégie de l'entente, cette dernière etABB ayant participé activement au boycottage de Powerpipe en exerçant des pressions sur leurs fournisseurs afin qu'ils ne livrent pas cette dernière.

573.
    Le rang européen du groupe Henss/Isoplus selon les parts du marché considéré et le fait que ce groupe n'a été admis au sein de l'EuHP qu'en août 1995 plaideraient également contre l'idée d'un rôle de premier plan joué par ce groupe. Quant à la position de Henss/Isoplus sur le marché, les chiffres présentés aux considérants 10 à 15 de la décision révéleraient que, durant la période en question, le groupe Henss/Isoplus était, tout au plus, le cinquième groupe le plus important, en termes de parts de marché, après ABB, Løgstør, Tarco et Pan-Isovit, et cela à condition de considérer les requérantes comme une unité économique.

574.
    La défenderesse fait observer que le rôle de meneur du groupe Henss/Isoplus ressort, notamment, de ses activités visant à mettre en oeuvre le partage des projets convenu, mais aussi à établir les barèmes de prix collusoires et un système de sanctions ainsi qu'à mener des actions à l'encontre de Powerpipe. D'après la Commission, les arguments invoqués par les requérantes sur ce point répètent, pour l'essentiel, des moyens déjà avancés.

575.
    La Commission conteste l'idée qu'un agent commercial ne puisse pas jouer un rôle de meneur dans une entente entre producteurs. Le rôle de meneur incomberait à l'ensemble du groupe Henss/Isoplus qui a tout de même obtenu 10 % du marché européen dans le cadre des accords de répartition des marchés au sein de l'entente européenne, part la plus élevée après celles d'ABB et de Løgstør. Il conviendrait également de tenir compte, à cet égard, des accords sur les quotas pour le marché allemand. En tout état de cause, elle n'aurait pas déduit le rôle de meneur du groupe Henss/Isoplus de sa position sur le marché, mais de son comportement dans le cadre de l'entente. Enfin, la Commission n'aurait pas conclu au rôle de premier plan joué par le groupe Henss/Isoplus en raison de ce qui s'est passé lors du boycottage relatif au projet de Leipzig-Lippendorf, ce rôle étant, toutefois, apparu dans le cadre d'autres mesures prises à l'encontre de Powerpipe, décrites aux considérants 94 à 97 et 106 de la décision. Les considérants 121 et 179 de la décision porteraient sur la mise en oeuvre de l'entente, notamment sur les mesures prises à l'encontre de Powerpipe.

Appréciation du Tribunal

576.
    Il convient de rappeler que, selon le considérant 179 de la décision, le rôle de premier plan joué par le groupe Henss/Isoplus dans la mise en oeuvre de l'entente fait partie des circonstances aggravantes sur la base desquelles le montant de l'amende infligée au groupe Henss/Isoplus a été majoré de 30 %.

577.
    À cet égard, il ressort du dossier que, indépendamment de la part de marché détenue par le groupe Henss/Isoplus, celui-ci a veillé activement au respect des accords conclus au sein de l'entente, comme cela est démontré par les annexes 86, 87, 88, 89, 92 et 93 de la communication des griefs, décrites au considérant 75 dela décision, et confirmé par les déclarations de Tarco (réponses du 26 avril 1996 et du 31 mai 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996) et de Løgstør (observations sur la communication des griefs). Quant à l'allégation selon laquelle Tarco aurait, à l'époque, agi de la même manière que le groupe Henss/Isoplus lorsque celui-ci a obtenu un projet destiné à Tarco, il suffit de constater que les requérantes n'en apportent aucune preuve.

578.
    De plus, même si le groupe Henss/Isoplus n'a pas conçu les barèmes de prix, son rôle d'initiateur, avec ABB, en ce qui concerne la conclusion d'accords sur les prix pour le marché allemand est confirmé non seulement par Løgstør, dans ses observations sur la communication des griefs, mais également par Tarco (réponse du 26 avril 1996) et corroboré par la télécopie du vice-président exécutif d'ABB du 28 juin 1994 (annexe X 8 de la communication des griefs), évoquant les démarches de ce dernier auprès du coordinateur de l'entente et de M. Henss pour que ceux-ci suivent les instructions du directeur d'ABB IC Møller. En outre, selon Brugg, c'est M. Henss qui l'a invitée à participer à l'entente (réponse de Brugg). Quant aux mesures prises à l'encontre de Powerpipe, il a déjà été constaté, aux points 261 à 286 ci-dessus, que la Commission a correctement établi le rôle actif joué par le groupe Henss/Isoplus, à partir du moment où Powerpipe a commencé ses activités sur le marché allemand, notamment lors de la soumission des projets de Neubrandenburg et de Leipzig-Lippendorf.

579.
    Ainsi qu'il a été noté, aux points 168 à 172 et 179 ci-dessus, ni la fonction de représentant commercial exercée par Henss Rosenheim, ni le fait qu'aucune des sociétés du groupe Henss/Isoplus ne faisait partie de l'EuHP avant l'été de l'année 1995 ne sont de nature à jeter une lumière différente sur le rôle du groupe Henss/Isoplus au sein de l'entente tel qu'il ressort de l'ensemble des constatations de la Commission.

580.
    Enfin, la circonstance selon laquelle tant ABB que Løgstør auraient été les instigateurs de l'entente n'est pas de nature à invalider les conclusions de la Commission, étant donné qu'ABB s'est vu infliger, en tout état de cause, une augmentation du montant de son amende de 50 % en raison de son rôle joué dans l'entente et qu'une augmentation de 30 % a également été effectuée sur le montant de l'amende de Løgstør, alors que celle-ci ne s'est pas vu reprocher une tentative d'obstruction de l'enquête de la Commission.

581.
    Le Tribunal estime que, dans ces circonstances, c'est à bon droit que la Commission a retenu le rôle de premier plan joué par le groupe Henss/Isoplus dans la mise en oeuvre de l'entente en tant que circonstance aggravante.

582.
    Il convient donc de rejeter cette branche du quatrième moyen.

6. Sur le défaut de prise en compte de circonstances atténuantes

Arguments des parties

583.
    Les requérantes invoquent des circonstances qui auraient dû être prises en compte par la Commission ou qui, en tout état de cause, devraient être prises en considération par le Tribunal, afin de réduire l'amende, même si les moyens concernant également ces circonstances à d'autres endroits de la requête devaient être rejetés.

584.
    En premier lieu, il conviendrait de tenir compte, dans l'appréciation des effets de l'entente, du fait que, de 1990 à 1994, les prix des conduites précalorifugées n'ont cessé de baisser sur les marchés européens à l'exception de celui du Danemark. Ce bas niveau des prix aurait entraîné, pour plusieurs entreprises, des pertes importantes. L'augmentation des prix intervenue après le début de l'entente européenne n'aurait pas été dramatique de sorte que, du point de vue des clients utilisant les produits en cause, il n'y aurait pas eu de réels dommages provoqués par l'entente. De plus, les requérantes auraient exercé leurs activités sur des marchés sur lesquels, avant 1994, aucune augmentation des prix ne serait intervenue. Même lors de l'année 1995 et au début de l'année 1996, les clients des producteurs et des distributeurs de conduites précalorifugées auraient toujours obtenu des prix sérieux, équitables et, en aucun cas, exagérés.

585.
    En deuxième lieu, il conviendrait de prendre en considération le fait que l'apparition des requérantes sur le marché danois, au début de l'année 1993, a provoqué, avec d'autres circonstances, la dissolution de l'entente danoise ainsi que la suspension partielle des accords anticoncurrentiels, de l'année 1993 jusqu'au début de l'année 1994.

586.
    En troisième lieu, les requérantes rappellent que, à l'époque, Henss Rosenheim (actuellement Isoplus Rosenheim) exerçait ses activités en tant que représentant commercial d'ABB Isolrohr. Durant la période allant d'octobre 1991 à octobre 1994, le comportement de Henss Rosenheim devrait donc être imputé, à tout le moins en partie, au groupe ABB. À cet égard, les requérantes précisent que le groupe ABB s'est également vu infliger une amende et que, afin de respecter le principe d'interdiction d'une double sanction, cet élément devrait être pris en considération comme entraînant une réduction de l'amende d'Isoplus Rosenheim et, de ce fait, du groupe Henss/Isoplus. En effet, certaines ventes de Henss Rosenheim seraient intervenues dans le calcul du chiffre d'affaires tant du groupe Henss/Isoplus que d'ABB. Dans le cadre de la détermination du montant de l'amende, ce serait, de toute façon, le commettant qui devrait être sanctionné et non le représentant commercial. Quant à la période après octobre 1994, les requérantes soulignent que leur participation à l'entente européenne a été provoquée par la chute massive des prix, surtout occasionnée par ABB IC Møller et par la pression exercée par ABB et Løgstør.

587.
    En quatrième lieu, dans la mesure où, éventuellement, les requérantes devaient être tenues pour responsables des mesures prises à l'encontre de Powerpipe, ces dernières auraient joué un rôle tout à fait secondaire. Les requérantes rappellent que, en ce qui concerne le projet de Neubrandenburg, le comportement de M. Henss ou de Henss Rosenheim n'a pas dépassé le cadre d'une tentative, étant donné que les mesures en question ont échoué et que Powerpipe a obtenu le projet en question.

588.
    En cinquième lieu, les requérantes exposent qu'elles se sont vu infliger une amende dont le montant est susceptible de les rendre insolvables. Or, il conviendrait, en principe, de prendre en considération la question de savoir si la fixation du montant d'une amende est susceptible de rendre l'entreprise concernée insolvable. Sinon, le fait d'imposer une amende risquerait d'éliminer l'entreprise en question du marché concerné et pourrait aboutir à une situation d'oligopole ou de position dominante sur ledit marché. En effet, étant donné que Pan-Isovit et Tarco ont été rachetées par Løgstør et que KWH s'est également décidée à abandonner, à plus ou moins court terme, le marché des conduites précalorifugées, l'élimination des requérantes engendrerait une situation d'oligopole sur le marché des conduites précalorifugées qui serait aux mains des deux «chefs de file» de la présente entente, à savoir ABB et Løgstør.

589.
    À cet égard, les requérantes font encore observer qu'elles ont déjà fait remarquer, dans leurs lettres des 27 et 30 mars 1998 à la Commission de même qu'à l'audition devant cette dernière, que la fixation d'une amende d'un montant important risquait de provoquer l'insolvabilité d'Isoplus Rosenheim, d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen, ce qui aurait comme conséquence la perte d'emplois ainsi que l'élimination du marché de deux entreprises de production et d'une importante entreprise de distribution. L'insolvabilité desdites requérantes produirait les mêmes conséquences en ce qui concerne HFB GmbH et HFB KG. Leur situation difficile du point de vue des liquidités aurait incité les requérantes à introduire, le 10 février 1999, une demande en référé devant le Tribunal, dans laquelle elles ont exposé leur risque d'insolvabilité. À cet égard, les requérantes s'appuient sur les travaux d'une société d'expertise comptable, du 4 février 1999 (ci-après l'«expertise»), déposés devant le Tribunal au cours de la procédure de référé. En se référant à l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, les requérantes demandent l'admission en tant que moyens de preuve supplémentaires de l'expertise et de ses annexes, jointes au mémoire en réplique, étant donné qu'il s'agit de moyens de preuve qui n'existaient pas encore lors de l'introduction du présent recours, le 18 janvier 1999.

590.
    À toutes ces considérations, les requérantes ajoutent que la Commission ne saurait prétendre avoir pris en considération, dans la fixation du montant de l'amende, l'une ou l'autre circonstance en tant que circonstance atténuante. En effet, en tout état de cause, l'application illégale des lignes directrices aurait rendu une telle prise en considération impossible, étant donné que le montant de l'amende infligée auxrequérantes constitue le montant maximal au sens de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

591.
    La défenderesse fait observer, premièrement, qu'elle a dûment tenu compte de l'évolution des prix sur le marché considéré entre 1990 et 1996. Deuxièmement, sur l'argument selon lequel le groupe Henss/Isoplus aurait provoqué la dissolution de l'entente danoise ou aurait rejoint l'entente en raison des pressions exercées par ABB et Løgstør, la Commission renvoie à ses réflexions développées par ailleurs . Troisièmement, la Commission estime que les relations commerciales entre ABB Isolrohr et Henss Rosenheim ne signifient pas qu'ABB Isolrohr et Henss/Isoplus auraient constitué une unité économique. Quatrièmement, la Commission répète que les mesures prises à l'encontre de Powerpipe ne peuvent pas être examinées isolément par rapport à l'entente. Cinquièmement, la Commission affirme que l'existence d'une situation financière difficile d'une entreprise ne peut pas être admise comme circonstance atténuante aux fins du calcul du montant de l'amende. En outre, l'ordonnance HFB e.a./Commission, précitée, démontrerait que les documents présentés à cette occasion, y compris l'expertise, ne suffisent pas à établir la difficulté de la situation financière des requérantes . Selon la Commission, les preuves censées décrire cette situation au moment de l'adoption de la décision seraient dépourvues de pertinence et déposées tardivement. Sixièmement, les lignes directrices ne permettraient pas de calculer le montant exact d'une amende et, en toute hypothèse, la limite de 10 % du chiffre d'affaires se rapporterait au résultat final du calcul du montant de l'amende .

Appréciation du Tribunal

592.
    Il convient d'observer que la Commission, dans la détermination du montant de l'amende à infliger au groupe Henss/Isoplus, n'a retenu, à la suite de son appréciation de la gravité et de la durée de l'infraction ainsi que des circonstances aggravantes, aucune circonstance atténuante à son égard.

593.
    En ce qui concerne l'évolution des prix sur le marché considéré lors de la période en question, il convient d'observer que la Commission n'était pas obligée d'en tenir compte en tant que circonstance atténuante conduisant à une réduction du montant de l'amende. D'une part, il ressort du considérant 166, septième alinéa, de la décision que, en l'espèce, le montant des amendes a été fixé en gardant à l'esprit le fait que les accords sur le marché allemand entre la fin de 1991 et 1993 ont eu un effet pratique limité. D'autre part, pour la période allant de la fin de 1991 jusqu'à 1993, la baisse des prix en dehors du Danemark ainsi que le niveau inférieur des prix sur le marché allemand par rapport au marché danois ne sauraient conduire à une réduction du montant de l'amende infligée aux requérantes étant donné que le niveau élevé des prix sur le marché danois a été le résultat d'une collusion entre les producteurs danois dont les requérantes avaient parfaitement connaissance. Le niveau des prix peut d'autant moins constituer une circonstance atténuante que la Commission a constaté des augmentations de prix considérables sur le marché allemand, à partir de la fin de l'année 1994.

594.
    Ensuite, il y a lieu d'observer qu'il a déjà été constaté, aux points 176 et 177 ci-dessus, que les requérantes ne sauraient invoquer leur rôle dans la déliquescence de l'entente danoise, en 1993, étant donné que celle-ci n'a pas été due uniquement à l'entrée sur ce marché du groupe Henss/Isoplus. Il en va de même pour la représentation commerciale d'ABB IC Møller, étant donné que la participation à l'entente du groupe Henss/Isoplus outrepassait largement ses activités comme distributeur pour ABB. En tout état de cause, une entreprise qui participe avec d'autres à des activités ayant un objet anticoncurrentiel ne peut se prévaloir du fait qu'elle y participerait sous la contrainte des autres participants, étant donné qu'elle aurait pu dénoncer les pressions dont elle faisait l'objet (voir point 178 ci-dessus).

595.
    De même, l'argument des requérantes selon lequel leur contribution aux mesures prises à l'encontre de Powerpipe ne constituait pas plus qu'une simple tentative de collusion a été réfuté (voir points 283 à 285 ci-dessus).

596.
    Enfin, il y a lieu d'observer, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'allégation selon laquelle le montant de l'amende imposée aux requérantes est susceptible de les rendre insolvables ou le caractère tardif de la production de preuves relatives à cette question, que, selon une jurisprudence constante, la Commission n'est pas obligée, lors de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte de la situation financière déficitaire d'une entreprise intéressée, étant donné que la reconnaissance d'une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (arrêt IAZ e.a./Commission, précité, points 54 et 55; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board/Commission, T-319/94, Rec. p. II-1331, points 75 et 76; arrêt Enso Española/Commission, précité, point 316).

597.
    Faute de circonstances qui auraient dû être prises en considération en tant que circonstances atténuantes, les requérantes ne sauraient prétendre que, en l'espèce, l'application des lignes directrices aurait empêché que la prise en compte de circonstances atténuantes conduise à une réduction du montant de l'amende, d'autant plus que les lignes directrices prévoient la diminution de l'amende pour tenir compte des circonstances atténuantes (deuxième alinéa et point 3 des lignes directrices).

598.
    Pour toutes ces raisons, le présent grief des requérantes doit être rejeté.

7. Sur l'application erronée de la communication sur la coopération

Arguments des parties

599.
    Les requérantes soutiennent qu'elles ont droit, contrairement à ce qui est affirmé au considérant 180 de la décision, à une réduction de l'amende conformément au point D de la communication sur la coopération.

600.
    À cet égard, les requérantes, dans la réponse complémentaire d'Isoplus Hohenberg et dans la réponse du même jour, également complémentaire, des sociétés Henss, auraient fait des aveux complets ou reconnu l'entièreté des faits concernant leur propre comportement anticoncurrentiel durant la période allant de la fin d'octobre 1994 au début de 1996. D'ailleurs, divers documents importants auraient été mis à la disposition de la Commission concernant, notamment, le fait qu'un comportement anticoncurrentiel a eu lieu après les vérifications, à la fin de juin 1995. De plus, les requérantes auraient fourni à la Commission des informations et des documents importants, dont la Commission ne disposait pas encore, relatifs à l'entente danoise durant la période allant de 1989 jusqu'à sa dissolution en 1993. La Commission aurait reconnu, tant lors de l'audition que dans la décision, que ces informations et documents avaient contribué à confirmer la réalité de l'infraction.

601.
    S'agissant de l'affirmation de la Commission, au considérant 180 de la décision, selon laquelle, dans un premier temps, les requérantes auraient, dans leurs réponses à la demande de renseignements, nié avoir eu connaissance de l'infraction et y avoir participé, les requérantes précisent que, dans leurs réponses datées d'avril 1996, elles ont déclaré qu'elles étaient prêtes, en principe, à coopérer, mais elles ont également exposé les lourdes conséquences, tant pénales que civiles, que les réponses aux questions posées aux entreprises entraîneraient en droit national. À cet égard, les entreprises auraient également invoqué le droit de se défendre dans le sens où, dans le cadre des demandes de renseignements, il ne pouvait pas être exigé d'elles qu'elles s'accusassent elles-mêmes de comportements anticoncurrentiels. À cette époque, les requérantes auraient craint que, dans certaines circonstances, la révélation du contenu de leurs réponses aux demandes de renseignements à des tiers n'aboutisse à les exclure des procédures de soumissions publiques. De plus, au début d'avril 1996, ABB IC Møller aurait encore fait comprendre à Henss Rosenheim que cette dernière devait s'attendre à des agressions économiques sur le marché allemand, et ce également à l'encontre des produits Isoplus, si elle révélait à la Commission l'entente au niveau européen. Dans leurs observations à la suite de la réunion des requérantes avec la Commission, en septembre 1996, elles auraient exposé les raisons qui justifiaient la révélation tardive d'une violation des règles de la concurrence pour la période allant d'automne 1994 jusqu'au début de l'année 1996.

602.
    En tout état de cause, Isoplus Rosenheim et Isoplus Hohenberg auraient déjà reconnu, dans leurs réponses, que, au début de 1995, il y avait eu des discussions entre soumissionnaires, producteurs et distributeurs de conduites précalorifugées portant sur des tentatives d'accords anticoncurrentiels pour le marché autrichien. Par ailleurs, la Commission affirmerait à tort que les requérantes l'auraient sciemment trompée en ce qui concerne les liens qui les reliaient entre elles et que cette tromperie aurait pu avoir pour effet que le montant de l'amende aurait éventuellement été inférieur à ce qu'il aurait dû être.

603.
    Dans ces circonstances, les requérantes auraient dû se voir accorder une réduction de l'amende en application du point D de la communication sur la coopération.Ainsi qu'il résulte de l'énumération exemplative du point D 2, la coopération d'une entreprise avec la Commission prévue audit point consisterait, pour l'essentiel, en des aveux matériels ou en la mise à la disposition d'autrui d'informations qui facilitent la procédure. Il ne devrait donc pas s'agir de faits entièrement nouveaux, mais simplement de documents qui facilitent pour la Commission l'administration de la preuve de la réalité d'une infraction et qui, de ce fait, contribuent à la confirmer. Dans ce contexte, la Commission aurait accordé à Pan-Isovit une réduction correspondant à 20 % pour ses aveux partiels.

604.
    Même si le Tribunal ne devait pas partager cette opinion sur l'application de la communication sur la coopération, le comportement des requérantes devrait, en tout état de cause, être retenu comme circonstance atténuante lors du calcul du montant de l'amende. En effet, même avant la publication de la communication sur la coopération, le juge communautaire aurait énoncé qu'une réduction de l'amende est justifiée lorsque le comportement de l'entreprise permet à la Commission de constater plus facilement l'infraction et, le cas échéant, d'y mettre fin. Dans ses lignes directrices, au point 3, la Commission reconnaîtrait également que des aveux matériels ou une coopération devraient être retenus comme une circonstance atténuante en prévoyant expressément la «collaboration effective de l'entreprise à la procédure, en dehors du champ d'application de la [communication sur la coopération]».

605.
    La défenderesse fait observer, en ce qui concerne les aveux des requérantes, que la plupart des réponses à ses demandes de renseignements ont été reçues au mois de juin 1996, de sorte que, à cette date, la Commission disposait déjà des informations les plus importantes sur l'entente. Les sociétés Henss et Isoplus n'auraient fourni certains éléments d'information qu'au mois d'octobre, lorsqu'elles auraient su que l'existence de l'entente ne pouvait plus être contestée pour la période commençant à partir de 1994. Cette raison aurait déjà suffi pour justifier l'octroi d'une réduction plus faible qu'aux autres entreprises, même si des éléments de preuve importants avaient été fournis.

606.
    La Commission reconnaît qu'à partir d'octobre 1996 le groupe Henss/Isoplus a donné des informations complétant les éléments de preuve dont elle disposait, ce qui, dans des circonstances normales, aurait pu donner lieu à une certaine réduction de l'amende. Néanmoins, ce groupe aurait trompé sciemment la Commission, ce qui a sensiblement compliqué l'instruction des faits. En effet, si la Commission n'avait pas trouvé par hasard le contrat d'apport du 15 janvier 1997, le montant de l'amende aurait été inférieur à ce qu'il aurait dû être. De plus, ces manoeuvres dolosives n'auraient eu aucun rapport avec l'exercice de droits de la défense.

Appréciation du Tribunal

607.
    Il y a lieu d'observer au préalable que la Commission, dans sa communication sur la coopération, a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l'amende ou bénéficier d'une réduction du montant de l'amende qu'elles auraient autrement dû acquitter (point A 3 de la communication sur la coopération).

608.
    Comme cela est mentionné au point E 3 de la communication sur la coopération, celle-ci a créé des attentes légitimes sur lesquelles se fondent les entreprises souhaitant informer la Commission de l'existence d'une entente. Eu égard à la confiance légitime que les entreprises souhaitant coopérer avec la Commission ont pu tirer de cette communication, la Commission était donc obligée de s'y conformer lors de l'appréciation, dans le cadre de la détermination du montant de l'amende imposée aux requérantes, de leur coopération.

609.
    Par ailleurs, les lignes directrices, dans la mesure où elles prévoient la prise en compte de la collaboration effective d'une entreprise à la procédure comme circonstance atténuante, se réfèrent aux cas qui tombent «en dehors du champ d'application de la [communication sur la coopération]» (point 3, sixième tiret, des lignes directrices). Or, il ne saurait être contesté que la présente affaire entre dans le champ d'application de la communication sur la coopération qui prévoit, dans son point A 1, premier alinéa, le cas des ententes secrètes pour fixer des prix, des quotas de production ou de vente, se partager les marchés ou interdire les importations ou les exportations.

610.
    Il s'ensuit que les requérantes ne sauraient reprocher à la Commission de ne pas avoir pris en compte leur degré de coopération en tant que circonstance atténuante, en dehors du cadre juridique de la communication sur la coopération.

611.
    Ensuite, en ce qui concerne l'application de la communication sur la coopération au cas des requérantes, il est constant que celui-ci ne tombe pas dans le champ d'application du point B de cette communication, visant le cas où une entreprise a dénoncé une entente secrète à la Commission avant que celle-ci n'ait procédé à une vérification (cas pouvant amener à une réduction d'au moins 75 % du montant de l'amende), ni dans celui du point C de ladite communication, concernant une entreprise qui a dénoncé une entente secrète après que la Commission a procédé à une vérification sans que cette dernière ait pu donner une base suffisante pour justifier l'engagement de la procédure en vue de l'adoption d'une décision (cas pouvant amener à une réduction de 50 à 75 % du montant de l'amende).

612.
    En ce qui concerne le point D de la communication sur la coopération, il y a lieu de relever que, aux termes de cette disposition, «[l]orsqu'une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d'une réduction de 10 à 50 % de l'amende qui lui aurait été infligée en l'absence de coopération». Cette communication précise:

«Tel peut notamment être le cas si:

-    avant l'envoi d'une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d'autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l'existence de l'infraction commise,

-    après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu'elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations.»

613.
    Dans ce contexte, il convient d'observer, d'abord, que, ni la réponse des sociétés Henss ni celle d'Isoplus Hohenberg, confirmée par lettre du 11 juin 1996, ne peuvent être considérées comme établissant une coopération avec la Commission, étant donné que ces sociétés s'y sont limitées à évoquer des tentatives de collusion, à partir de 1994, qui n'auraient pas abouti à une entente.

614.
    Il doit être remarqué, à cet égard, en ce qui concerne l'explication avancée par les requérantes, selon laquelle la reconnaissance de comportements anticoncurrentiels aurait pu déranger leurs relations commerciales, qu'une telle conséquence est inhérente à la découverte d'un comportement anticoncurrentiel et valait, d'ailleurs, également pour leurs entreprises concurrentes qui avaient, pourtant, dès le début, reconnu certaines activités anticoncurrentielles.

615.
    Ensuite, il convient d'observer que, dans la mesure où Henss Rosenheim, Henss Berlin et Isoplus Hohenberg ont, dans leurs réponses complémentaires, reconnu l'existence d'activités anticoncurrentielles, cela concernait, en dehors de l'existence de l'entente danoise à laquelle elles n'auraient pas participé, leur participation à l'entente européenne, à partir de la fin de 1994 et jusqu'à la fin de 1995 ou au début de 1996. En ce qui concerne les sociétés Henss, il y a lieu de préciser que, même si elles ont, dans leur réponse complémentaire, reconnu avoir été impliquées dans l'entente européenne, elles ont ensuite, dans leurs observations sur la communication des griefs, pris une position selon laquelle leur implication dans cette entente ne pouvait, en tout état de cause, leur être imputée comme une infraction à l'article 85 du traité, eu égard à leur seule qualité d'agent commercial. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, cette dernière position, basée sur la qualité d'agents commerciaux des sociétés Henss, n'a pas été limitée, dans les observations sur la communication des griefs, à la période avant octobre 1994.

616.
    Il est vrai que Henss Rosenheim et Henss Berlin, par leur réponse complémentaire, ont fourni certains documents pertinents, notamment sur le début de l'entente danoise, en 1990, et ont informé la Commission d'activités s'étant déroulées à partir de 1989 ainsi que de la poursuite de l'entente, à la fin 1995 ou au début de 1996, après les vérifications. La plupart desdits documents ont été joints aussi à la réponse complémentaire d'Isoplus Hohenberg, dans laquelle celle-ci a également évoqué la poursuite de l'entente après les vérifications. Toutefois, il y a lieu de relever que la Commission disposait, à cette époque, en ce qui concerne le début de l'entente danoise en 1989 ou 1990, de preuves écrites communiquées par Tarco, jointes à sa réponse du 26 avril 1996, ainsi que de certaines informations fournies par ABB, dans sa réponse. De même, en ce qui concerne la poursuite de l'entente après l'enquête, Løgstør lui avait fourni des informations dans sa réponse du 25 avril 1996 à la demande de renseignements du 13 mars 1996, suivie par ABB, dans sa réponse et, plus en détail, dans sa réponse complémentaire du 13 août 1996.

617.
    Dès lors, il y a lieu de constater que les requérantes ont fourni à la Commission, avant l'envoi de la communication des griefs, des éléments de preuve qui ont contribué à confirmer l'existence de l'infraction en cause, en corroborant les éléments de preuve reçus par la Commission de la part d'autres entreprises impliquées dans la procédure administrative. De plus, elles ont partiellement reconnu les faits sur lesquels la Commission fondait ses accusations.

618.
    Néanmoins, force est de constater que, lors de la même procédure administrative, les requérantes ont, en ce qui concerne les relations de propriété entre les sociétés Henss et les sociétés Isoplus, fourni des renseignements incomplets et, partiellement, inexacts et, ce faisant, délibérément caché des informations dont elles savaient qu'elles étaient nécessaires à la Commission afin d'apprécier la réalité des relations existant entre les sociétés réunies par celle-ci dans le groupe Henss/Isoplus. Il convient de souligner, à cet égard, que les liens réels existant entre les sociétés appartenant audit groupe n'ont pu être établis qu'après la découverte, par les autorités de la concurrence allemandes, de l'existence du contrat d'apport du 15 janvier 1997, enregistré en Allemagne sur un registre public.

619.
    Dans de telles circonstances, la Commission a correctement considéré qu'aucune réduction ne devait être accordée au groupe Henss/Isoplus en vertu du point D de la communication sur la coopération.

620.
    En effet, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une réduction du montant de l'amende au titre d'une coopération au cours de la procédure administrative n'est justifiée que si le comportement de l'entreprise incriminée a permis à la Commission de constater une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (arrêts du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, précité, point 36, du 10 mars 1992, ICI/Commission, précité, point 393, Gruber + Weber/Commission, précité, point 271, BPB de Eendracht/Commission, précité, point 325).

621.
    De plus, la notion de coopération employée au point D de la communication sur la coopération doit être lue à la lumière des dispositions précédentes selon lesquelles il est de l'intérêt de la Communauté de faire bénéficier d'un traitement favorable les entreprises qui coopèrent avec la Commission dans les conditions précisées dans cette communication, étant donné que le bénéfice que tirent les consommateurs et les citoyens de l'assurance de voir les ententes révélées et interdites est plus important que l'intérêt qu'il peut y avoir à sanctionner pécuniairement des entreprises qui, en coopérant avec la Commission, lui permettent de découvrir et de sanctionner une entente ou qui l'aident dans cette tâche (point A 4 de la communication sur la coopération).

622.
    Or, dans une situation comme celle de l'espèce, où les requérantes ont, d'une part, apporté une contribution à l'enquête de la Commission qui n'a pas été déterminante afin de permettre à celle-ci de découvrir et de sanctionner les aspects de l'infraction qui en faisaient l'objet et, d'autre part, délibérément entravé la même enquête, en fournissant des informations inexactes, la contribution de l'entreprise ne saurait être considérée comme une coopération au sens du point D de la communication sur la coopération, entraînant une réduction du montant l'amende.

623.
    Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré d'une application erronée de la communication sur la coopération ne saurait être accueilli.

E - Sur le cinquième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation

Arguments des parties

624.
    Les requérantes soutiennent que la Commission a violé l'obligation de motivation contenue dans l'article 190 du traité, d'abord, dans la mesure où la décision n'explique pas en quoi les requérantes avaient, déjà avant octobre 1994, participé à des ententes anticoncurrentielles au sens de l'article 85 du traité. Il ne suffirait pas que la décision indique que cela est prouvé par des documents sans que ces derniers soient, même approximativement, désignés, d'autant plus que la Commission avait rejeté, de façon sommaire, différents arguments et circonstances à la décharge des requérantes. De plus, la décision ne contiendrait aucune motivation juridique en ce qui concerne la responsabilité d'Isoplus Hohenberg pour une pratique anticoncurrentielle antérieure à octobre 1994.

625.
    Ensuite, la Commission aurait omis de donner une motivation relative au calcul du chiffre d'affaires global du groupe Henss/Isoplus lors de la détermination du montant maximal de l'amende. La Commission se contenterait d'indiquer, au considérant 179 de la décision, qu'elle se réfère au chiffre d'affaires global de l'exercice précédant l'adoption de la décision et que le montant d'une amende ne peut pas dépasser 10 % de ce chiffre d'affaires, portant l'amende à infliger au groupe Henss/Isoplus à 4 950 000 écus. Par conséquent, cela donnerait un chiffred'affaires global du groupe Henss/Isoplus de 49 500 000 écus. Or, il serait impossible de vérifier comment la Commission est parvenue à ce montant, notamment sur la base de quels chiffres de vente et en retranchant quel montant du chiffre de ventes internes. Même en respectant le secret d'affaires, la Commission aurait pu, à tout le moins, préciser les principes du calcul du chiffre d'affaires global. La décision n'évoquerait rien non plus concernant l'affirmation de la Commission, selon laquelle, pour le calcul du chiffre d'affaires du groupe Henss/Isoplus, elle n'aurait tenu compte que des chiffres d'affaires d'Isoplus Rosenheim, d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen. Ne résulterait pas non plus de la décision le taux de conversion qui a été appliqué dans le cadre du calcul des chiffres d'affaires consolidés de ces requérantes.

626.
    La défenderesse expose que la participation des requérantes aux infractions antérieures à 1994 ressort des considérants 41 à 61 ainsi que 135 à 142 de la décision.

627.
    En ce qui concerne les chiffres d'affaires retenus pour le calcul du montant de l'amende, la Commission conteste ne pas avoir indiqué dans la décision que seuls les chiffres d'affaires d'Isoplus Rosenheim, d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen ont été pris en compte pour le calcul du montant de l'amende. En effet, la décision indiquerait clairement, aux considérants 167 et 179, que le montant de l'amende a été limité à 10 % du chiffre d'affaires global, celui-ci devant dès lors être ainsi d'un montant de dix fois 4 950 000 écus. Ensuite, il ressortirait des considérants 157 à 160 de la décision que la Commission ne s'est pas intéressée, sur ce sujet, à d'autres sociétés que celles désignées dans ces passages. Étant donné que la Commission n'a pas demandé le montant du chiffre d'affaires de HFB GmbH ni de HFB KG et que les requérantes n'ont pas non plus fourni de tels chiffres, le montant indiqué au considérant 179 de la décision n'aurait pu se référer qu'aux chiffres d'affaires d'Isoplus Rosenheim, d'Isoplus Hohenberg et d'Isoplus Sondershausen. Il ressortirait, d'ailleurs, de la requête que les requérantes l'ont compris.

Appréciation du Tribunal

628.
    Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l'article 190 du traité doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsique de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 63).

629.
    Il convient d'observer, d'abord, que la Commission a clairement expliqué, dans la décision, les motifs pour lesquels elle a estimé que le groupe Henss/Isoplus a enfreint l'article 85 du traité en participant à un ensemble d'accords et de pratiques concertées à partir, plus ou moins, d'octobre 1991 jusqu'en mars ou avril 1996.

630.
    En ce qui concerne la participation des requérantes à l'infraction avant octobre 1994, il suffit d'observer que les éléments pertinents portant sur l'adhésion des sociétés appartenant au groupe Henss/Isoplus à l'entente qui s'est étendue du marché danois au marché allemand figurent aux considérants 41 à 52 et 135 à 138 de la décision, exposant, pour la période en question, la participation du groupe Henss/Isoplus aux réunions du club des directeurs et les conclusions que la Commission en a tirées.

631.
    Quant au rôle joué par Isoplus Hohenberg, la Commission a énoncé, au considérant 157 de la décision, les raisons pour lesquelles elle estimait que les entreprises Henss et Isoplus se sont comportées comme un groupe de fait, dans lequel les sociétés Henss agissaient comme les agents commerciaux des sociétés Isoplus en Allemagne. Il n'y a donc aucun doute sur le fait que l'exposé sur l'implication du groupe Henss/Isoplus dans l'extension de l'entente au marché allemand, avant octobre 1994, s'applique également à Isoplus Hohenberg.

632.
    Ensuite, en ce qui concerne le calcul du montant de l'amende, il convient de rappeler que la portée de l'obligation de motivation doit être, notamment, déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

633.
    En l'espèce, la Commission, dans sa décision, expose d'abord ses constatations générales concernant la gravité de l'infraction (considérants 164 à 166). En ce qui concerne l'amende à infliger aux requérantes, la Commission explique, ensuite, que, pour le groupe Henss/Isoplus ainsi que pour Tarco, Dansk Rørindustri et Pan-Isovit, le point de départ du calcul du montant de l'amende doit être fixé à 5 millions d'écus étant donné leur poids sur le marché et l'effet de leur comportement sur la concurrence (considérant 178, premier alinéa, de la décision). Puis, la Commission expose les éléments relatifs à la pondération de l'amende à infliger au groupe Henss/Isoplus en fonction de la durée de l'infraction (considérant 178, deuxième et troisième alinéas, de la décision). Puis, la Commission indique, à l'égard du groupe Henss/Isoplus, qu'elle a tenu compte de certaines circonstancesaggravantes et qu'aucune circonstance atténuante ne peut être retenue (considérant 179, premier à cinquième alinéa, de la décision). De plus, la Commission précise que, étant donné que le montant final de l'amende qu'il conviendrait d'infliger dépasserait le plafond de 10 % du chiffre d'affaires total réalisé au cours de l'exercice précédant l'adoption de la décision, le montant de l'amende sera fixé de manière à ne pas dépasser le plafond admissible, soit 4 950 000 écus dans le cas de Henss/Isoplus (considérant 179, septième et huitième alinéas, de la décision). Enfin, la Commission expose les raisons pour lesquelles le groupe Henss/Isoplus ne saurait se voir accorder une réduction du montant de l'amende en vertu de la communication sur la coopération (considérant 180, quatrième alinéa, de la décision).

634.
    Il y a lieu de considérer que, interprétés à la lumière des affirmations factuelles exposées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les considérants 178 à 180 contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par le groupe Henss/Isoplus (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C-248/98 P, Rec. p. I-9641, point 42).

635.
    Les requérantes ne sauraient tirer argument de la circonstance selon laquelle la Commission a précisé, lors de la procédure contentieuse, les opérations de calcul du montant de l'amende, et notamment le fait que les chiffres de ventes internes ont été supprimés lors du calcul d'un chiffre d'affaires global pour les sociétés réunies dans le groupe Henss/Isoplus ainsi que le taux ayant été appliqué à la conversion en écu des chiffres exprimés en monnaies nationales.

636.
    En effet, selon une jurisprudence constante, la présentation par la Commission en cours d'instance des données chiffrées relatives au calcul du montant des amendes n'est pas de nature à remettre en cause la conclusion selon laquelle la décision contient une motivation suffisante et pertinente des facteurs devant être pris en considération, dans la mesure où elle ne constitue que la traduction chiffrée de critères énoncés dans la décision lorsque ceux-ci sont eux-mêmes susceptibles d'être quantifiés (arrêt KNP BT/Commission, précité, point 44).

637.
    En outre, il convient d'observer qu'il résulte du considérant 179 de la décision que la Commission a retenu un montant de 49 500 000 écus comme chiffre d'affaires sur la base duquel elle a déterminé le plafond de l'amende prévu par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Eu égard aux informations communiquées à ce sujet au cours de la procédure administrative par les requérantes, celles-ci auraient pu comprendre le calcul effectué par la Commission.

638.
    Il s'ensuit que le moyen tiré d'un défaut de motivation doit être écarté.

V - Conclusions

639.
    Il résulte de tout ce qui précède que les articles 3, sous d), et 5, sous d), de la décision doivent être annulés dans la mesure où ils concernent HFB GmbH et HFB KG. Pour le surplus, le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

640.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que les requérantes supporteront leurs propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé, ainsi que 80 % des dépens exposés par la Commission, y compris ceux afférents à la procédure en référé, et que la Commission supportera 20 % de ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    Les articles 3, sous d), et 5, sous d), de la décision 1999/60/CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/35.691/E-4 - Conduites précalorifugées), sont annulés à l'égard de HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbh & Co. KG et HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH, Verwaltungsgesellschaft.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    Les requérantes supporteront solidairement leurs propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé, et 80 % des dépens exposés par la Commission, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

4)    La Commission supportera 20 % de ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

Mengozzi

Tiili
Moura Ramos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 mars 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Mengozzi

Table des matières

     Faits à l'origine du litige

II - 2

     Procédure et conclusions des parties

II - 7

     Relations entre les entreprises considérées comme relevant du groupe Henss/Isoplus

II - 8

     Sur les demandes de mesures d'instruction

II - 10

     Sur la demande d'annulation de la décision

II - 11

             I - Sur les moyens relatifs au groupe Henss/Isoplus

II - 12

                 A - Sur le premier moyen, tiré de l'application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité lors de l'identification des requérantes comme «relevant du groupe Henss/Isoplus»

II - 12

                     1. Arguments des parties

II - 12

                     2. Appréciation du Tribunal

II - 14

                 B - Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation de formes substantielles lors de l'indication du groupe Henss/Isoplus dans le dispositif de la décision

II - 17

                     1. Arguments des parties

II - 17

                     2. Appréciation du Tribunal

II - 18

                 C - Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation

II - 19

                     1. Arguments des parties

II - 19

                     2. Appréciation du Tribunal

II - 20

             II - Sur les moyens relatifs à HFB GmbH et à HFB KG

II - 21

                 A - Arguments des parties

II - 21

                 B - Appréciation du Tribunal

II - 23

             III - Sur les moyens relatifs à Isoplus stille Gesellschaft

II - 25

                     A - Arguments des parties

II - 25

                     B - Appréciation du Tribunal

II - 26

             IV - Sur les moyens invoqués concernant toutes les requérantes

II - 26

                 A - Sur le premier moyen, tiré d'erreurs de fait et de droit dans l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité

II - 27

                     1. Sur la participation à l'infraction avant octobre 1994

II - 27

                     a) Sur les constatations de fait et l'appréciation des preuves

II - 27

                     Arguments des parties

II - 27

                     Appréciation du Tribunal

II - 31

                     b) Sur l'appréciation juridique

II - 43

                     i) Sur la qualification de l'infraction d'«ensemble d'accords et de pratiques concertées»

II - 43

                     Arguments des parties

II - 43

                     Appréciation du Tribunal

II - 44

                     ii) Sur la qualification d'accord des comportements constatés

II - 46

                     Arguments des parties

II - 46

                     Appréciation du Tribunal

II - 47

                     iii) Sur la notion de pratiques concertées

II - 49

                     Arguments des parties

II - 49

                     Appréciation du Tribunal

II - 50

                     iv) Sur les conséquences juridiques de la participation à une réunion ayant un objet anticoncurrentiel

II - 52

                     Arguments des parties

II - 52

                     Appréciation du Tribunal

II - 52

                     v) Sur la charge de la preuve concernant la participation à une entente globale

II - 53

                     Arguments des parties

II - 53

                     Appréciation du Tribunal

II - 54

                     vi) Sur la responsabilité individuelle des sociétés considérées comme relevant du groupe Henss/Isoplus

II - 56

                     Arguments des parties

II - 56

                     Appréciation du Tribunal

II - 57

                     2. Sur la participation aux actions concertées visant Powerpipe

II - 58

                     Arguments des parties

II - 58

                     Appréciation du Tribunal

II - 61

                 B - Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

II - 67

                     1. Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne la participation à l'infraction d'octobre 1993 à mars 1994

II - 67

                     Arguments des parties

II - 67

                     Appréciation du Tribunal

II - 69

                     2. Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne l'application des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes

II - 71

                     Arguments des parties

II - 71

                     Appréciation du Tribunal

II - 72

                     3. Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne la traduction de certains documents

II - 74

                     Arguments des parties

II - 74

                     Appréciation du Tribunal

II - 75

                     4. Sur la violation du droit d'être entendu en ce qui concerne les délais pour présenter des observations

II - 76

                     Arguments des parties

II - 76

                     Appréciation du Tribunal

II - 78

                     5. Sur la violation de secrets professionnels et d'affaires

II - 81

                     Arguments des parties

II - 81

                     Appréciation du Tribunal

II - 82

                     6. Sur la violation des dispositions relatives à l'audition de témoins

II - 84

                     Arguments des parties

II - 84

                     Appréciation du Tribunal

II - 86

                     7. Sur la violation des dispositions relatives au mandat des conseillers auditeurs

II - 89

                     Arguments des parties

II - 89

                     Appréciation du Tribunal

II - 91

                 C - Sur le troisième moyen, tiré de l'illégalité des lignes directrices

II - 93

                     1. Observations générales sur l'exception d'illégalité

II - 93

                     2. Sur la prétendue illégalité des lignes directrices due à l'incompétence de la Commission

II - 94

                     Arguments des parties

II - 94

                     Appréciation du Tribunal

II - 96

                     3. Sur la prétendue illégalité des lignes directrices due à la violation du principe d'égalité de traitement

II - 102

                     Arguments des parties

II - 102

                     Appréciation du Tribunal

II - 103

                     4. Sur la prétendue illégalité des lignes directrices due à la violation des droits de la défense

II - 104

                     Arguments des parties

II - 104

                     Appréciation du Tribunal

II - 105

                     5. Sur la prétendue illégalité des lignes directrices due à la violation du principe de non-rétroactivité

II - 106

                     Arguments des parties

II - 106

                     Appréciation du Tribunal

II - 107

                 D -Sur le quatrième moyen, tiré d'erreurs de droit et d'appréciation dans la détermination du montant de l'amende

II - 109

                     1. Sur la violation du principe d'égalité de traitement

II - 109

                     Arguments des parties

II - 109

                     Appréciation du Tribunal

II - 111

                     2. Sur la violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en ce qui concerne la responsabilité solidaire des cinq requérantes

II - 114

                     Arguments des parties

II - 114

                     Appréciation du Tribunal

II - 115

                     3. Sur l'appréciation erronée du chiffre d'affaires des entreprises concernées

II - 117

                     Arguments des parties

II - 117

                     Appréciation du Tribunal

II - 118

                     4. Sur la violation des droits de la défense dans l'appréciation des circonstances aggravantes

II - 119

                     Arguments des parties

II - 119

                     Appréciation du Tribunal

II - 122

                     5. Sur la circonstance aggravante fondée sur le rôle joué dans l'entente par les requérantes

II - 124

                     Arguments des parties

II - 124

                     Appréciation du Tribunal

II - 126

                     6. Sur le défaut de prise en compte de circonstances atténuantes

II - 128

                     Arguments des parties

II - 128

                     Appréciation du Tribunal

II - 130

                     7. Sur l'application erronée de la communication sur la coopération

II - 131

                     Arguments des parties

II - 131

                     Appréciation du Tribunal

II - 134

                 E - Sur le cinquième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation

II - 137

                     Arguments des parties

II - 137

                     Appréciation du Tribunal

II - 138

             V - Conclusions

II - 141

     Sur les dépens

II - 141


1: Langue de procédure: l'allemand.