Language of document : ECLI:EU:T:2024:98

Affaire T536/22

(publication par extraits)

Pesticide Action Network Europe (PAN Europe)

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (quatrième chambre) du 21 février 2024

« Produits phytopharmaceutiques – Substance active cyperméthrine – Règlement d’exécution (UE) 2021/2049 – Demande de réexamen interne – Article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1367/2006 – Rejet de la demande – Identification de domaines critiques de préoccupation par l’EFSA – Évaluation et gestion des risques – Principe de précaution – Pouvoir d’appréciation de la Commission »

1.      Recours en annulation – Délais – Point de départ – Date de notification de la décision – Réponse de la Commission à une demande de réexamen interne rédigée dans une autre langue que celle de la demande – Communication ultérieure au demandeur d’une copie de cette réponse dans la langue de la demande – Délai commençant à courir à la date de cette communication ultérieure

(Art. 263, 6e al., TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1367/2006 ; règlement du Conseil no 1, art. 2)

(voir point 24)

2.      Environnement – Convention d’Aarhus – Application aux institutions de l’Union – Faculté pour les organisations non gouvernementales de demander le réexamen interne d’actes administratifs dans le domaine de l’environnement – Acte administratif ayant pour objet le renouvellement de l’approbation d’une substance active – Objet du réexamen – Réévaluation de l’approbation

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1367/2006, art. 10, § 1)

(voir point 38)

3.      Recours en annulation – Moyens – Recours contre une décision de rejet d’une demande de réexamen – Moyen non présenté dans la demande de réexamen – Irrecevabilité – Arguments constituant une simple ampliation d’un moyen présenté dans la demande de réexamen – Recevabilité – Limites – Moyen ne modifiant pas l’objet de la procédure de réexamen interne

(Art. 263 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1367/2006, art. 12)

(voir points 41, 43, 46, 47)

4.      Environnement – Convention d’Aarhus – Application aux institutions de l’Union – Faculté pour les organisations non gouvernementales de demander le réexamen interne d’actes administratifs dans le domaine de l’environnement – Précision des motifs du réexamen – Nécessité d’indiquer les éléments susceptibles de susciter des doutes quant au bien-fondé de l’acte en cause

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1367/2006, art. 10, § 1)

(voir points 42, 146)

5.      Recours en annulation – Moyens – Recours contre une décision de rejet d’une demande de réexamen interne – Moyen né de cette décision de rejet et visant à en contester le bien-fondé – Recevabilité – Limites – Moyen ne modifiant pas l’objet de la procédure de réexamen interne

(Art. 263 TFUE ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1367/2006, art. 12)

(voir point 45)

6.      Santé publique – Évaluation des risques – Application du principe de précaution – Portée – Notions de risque et de danger – Détermination du niveau de risque jugé inacceptable pour la société – Compétence de l’institution de l’Union désignée par la réglementation pertinente – Obligation d’assurer un niveau élevé de protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement

(Art. 114, § 3, 168, § 1, et 191 TFUE)

(voir points 77-87, 94, 97, 314)

7.      Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Renouvellement de l’approbation d’une substance active – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Obligation pour la Commission de suivre l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) – Absence – Conditions

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1107/2009 ; règlement de la Commission no 844/2012, art. 14, § 1)

(voir points 89-93, 103, 104, 123, 127)

8.      Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Renouvellement de l’approbation d’une substance active – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Assistance scientifique demandée à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en l’absence de base légale spécifique – Admissibilité

[Règlement du Parlement européen et du Conseil no 178/2002, art. 23, c), et 29, § 1, a)]

(voir point 230)

9.      Agriculture – Rapprochement des législations – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Règlement no 1107/2009 – Renouvellement de l’approbation d’une substance active – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Critères d’appréciation – Lignes directrices adoptées par la Commission – Effet contraignant – Ancienneté des lignes directrices nécessitant une mise à jour – Absence d’incidence

(Règlement de la Commission no 844/2012, art. 13, § 1)

(voir points 391, 393, 401)

Résumé

Dans le cadre d’un recours en annulation lié au renouvellement de l’approbation de la substance active cyperméthrine, le Tribunal précise les règles de recevabilité d’un tel recours introduit par une organisation non gouvernementale sur la base du règlement no 1367/2006 (1), ainsi que l’étendue de la marge d’appréciation de la Commission européenne en tant que gestionnaire des risques au regard du principe de précaution.

La cyperméthrine est un insecticide utilisé au sein de l’Union européenne, dont l’incorporation dans des produits phytopharmaceutiques a été autorisée en 2005 (2).

Dans le cadre de la procédure de renouvellement de l’approbation de la cyperméthrine, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a identifié, dans ses conclusions scientifiques de juillet 2018, quatre domaines critiques de préoccupation (critical areas of concern) concernant cette substance active. Puis, elle a publié, en septembre 2019, une déclaration sur les mesures de réduction des risques pour la cyperméthrine.

Suite à cette évaluation des risques, la Commission a adopté, le 24 novembre 2021, le règlement d’exécution 2021/2049 (3) qui renouvelle l’approbation de la cyperméthrine, assorti d’une série de dispositions spécifiques.

Le 20 janvier 2022, la requérante, l’organisation environnementale Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), a adressé à la Commission une demande de réexamen interne (4) du règlement d’exécution 2021/2049.

Par sa décision du 23 juin 2022, la Commission a rejeté cette demande.

La requérante demande au Tribunal l’annulation de cette décision de rejet. À l’appui de son recours, elle invoque la violation du principe de précaution et de l’obligation pour l’Union d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Elle allègue, entre autres, que, dès lors que l’EFSA avait identifié certains domaines critiques de préoccupation concernant la cyperméthrine, la Commission n’aurait pas dû renouveler l’approbation de cette substance. Dans ce contexte, la Commission ne disposerait plus d’aucun pouvoir d’appréciation et ne saurait se prévaloir de son rôle de gestionnaire de risque à cet égard.

Par son arrêt, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité.

Appréciation du Tribunal

Le Tribunal apporte en premier lieu des précisions d’ordre procédural concernant la portée de la règle de concordance entre la demande de réexamen et le recours en annulation introduit contre la décision adoptée en réponse à cette demande.

À cet égard, il rappelle qu’un tel recours en annulation n’est recevable que s’il est dirigé contre la réponse à ladite demande et que les moyens invoqués au soutien de l’annulation visent spécifiquement cette réponse.

Un tel recours ne saurait être fondé sur des motifs nouveaux ou des éléments de preuve qui n’apparaissent pas dans la demande de réexamen, sous peine de priver l’exigence relative à la motivation d’une telle demande de son effet utile et de modifier l’objet de la procédure engagée par cette demande (5).

Néanmoins, d’une part, une partie requérante au titre du règlement no 1367/2006 doit pouvoir soulever, au stade du recours devant le Tribunal, des arguments qui visent à critiquer, en droit, le bien-fondé de la réponse à sa demande de réexamen, à condition que ces arguments ne modifient pas l’objet de la procédure engagée par cette demande. D’autre part, un argument qui n’a pas été soulevé au stade de la demande de réexamen ne saurait être considéré comme nouveau s’il ne constitue que l’ampliation d’une argumentation déjà développée dans le cadre de cette demande, c’est-à-dire s’il présente, avec les moyens ou les griefs initialement exposés, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse.

En second lieu, le Tribunal relève que, afin de pouvoir poursuivre efficacement les objectifs qui lui sont assignés par le règlement no 1107/2009, un large pouvoir d’appréciation doit être reconnu à la Commission. Cela vaut notamment pour les décisions en matière de gestion du risque qu’elle doit prendre en application dudit règlement (6).

La gestion du risque correspond à l’ensemble des actions entreprises par une institution qui doit faire face à un risque afin de le ramener à un niveau jugé acceptable pour la société eu égard à son obligation, en vertu du principe de précaution, d’assurer un niveau élevé de protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement (7).

Cela implique de procéder à une évaluation préalable des risques qui consiste, d’une part, à apprécier de manière scientifique lesdits risques, en se fondant sur les meilleures données scientifiques disponibles, et, d’autre part, à déterminer s’ils dépassent le niveau de risque jugé acceptable pour la société, ce qui relève du choix politique que constitue la fixation d’un niveau de protection approprié pour ladite société.

Ainsi, si, dans le cadre de la procédure de renouvellement des substances actives, la Commission doit « tenir compte », notamment, des conclusions scientifiques de l’EFSA (8), elle n’est pas liée, en tant que gestionnaire des risques, par les constats opérés par l’EFSA. Une telle prise en compte ne peut en effet s’interpréter comme une obligation pour la Commission de suivre en tous points les conclusions de l’EFSA.

Cependant, le large pouvoir d’appréciation de la Commission en tant que gestionnaire des risques demeure encadré par le nécessaire respect des dispositions du règlement no 1107/2009, en particulier son article 4 (9), lu conjointement avec l’annexe II de ce règlement, ainsi que par le principe de précaution qui sous-tend l’ensemble des dispositions de ce règlement.

Dans ces conditions, la Commission ne saurait renouveler l’approbation d’une substance active que s’il est démontré à suffisance que, nonobstant l’identification de domaines critiques de préoccupation, des mesures d’atténuation des risques permettent de conclure que les critères de l’article 4 du règlement no 1107/2009 sont respectés. Ainsi, le rôle de la Commission est précisément la détermination des risques qui sont acceptables pour la société, avec un seuil de tolérance plus élevé en ce qui concerne la protection de l’environnement qu’en ce qui concerne la santé humaine ou animale, et en prenant en considération des mesures de gestion pour mitiger des risques déterminés.

En l’occurrence, le seul fait que l’EFSA ait identifié quatre domaines critiques de préoccupation dans ses conclusions s’agissant de la cyperméthrine ne permet pas de considérer que la Commission ne disposait plus d’aucune marge d’appréciation, en tant que gestionnaire des risques, sous réserve qu’elle assure que les critères indiqués à l’article 4 du règlement no 1107/2009 étaient satisfaits. En d’autres termes, il n’est pas exclu pour la Commission de vérifier, dans le respect du principe de précaution, si le risque aurait pu devenir acceptable en imposant certaines mesures.


1      Règlement no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de l’Union européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), notamment sur la base de son article 12.


2      Ladite substance a été inscrite à l’annexe I de la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1), par la directive 2005/53/CE de la Commission, du 16 septembre 2005, modifiant la directive 91/414 en vue d’y inscrire les substances actives chlorothalonil, chlorotoluron, cyperméthrine, daminozide et thiophanate-méthyl (JO 2005, L 241, p. 51).


3      Règlement d’exécution (UE) 2021/2049 de la Commission, du 24 novembre 2021, renouvelant l’approbation de la substance active « cyperméthrine » comme substance dont la substitution est envisagée, conformément au règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et modifiant l’annexe du règlement d’exécution (UE) no 540/2011 de la Commission (JO 2021, L 420, p. 6).


4      Sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006.


5      Arrêt du 12 septembre 2019, TestBioTech e.a./Commission (C‑82/17 P, EU:C:2019:719, point 39).


6      Arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission (T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 143).


7      Arrêts du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission (T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 148 ; du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission (T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 125), et du 17 mars 2021, FMC/Commission (T‑719/17, EU:T:2021:143, point 78).


8      Selon les termes de l’article 14, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement d’exécution (UE) no 844/2012 de la Commission, du 18 septembre 2012, établissant les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de la procédure de renouvellement des substances actives, conformément au règlement no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 2012, L 252, p. 26).


9      Selon cet article, l’approbation d’une substance active ne saurait être accordée que s’il est démontré que les conditions d’approbation prévues à ses paragraphes 2 et 3 sont satisfaites, dans des conditions réalistes d’utilisation. Une présomption est instaurée selon laquelle ces conditions d’approbation sont réputées respectées s’il a été établi que tel est le cas pour au moins une utilisation représentative d’au moins un produit phytopharmaceutique contenant cette substance active.