Language of document : ECLI:EU:T:2007:186

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

20 juin 2007 (*)

« Aides d’État – Transport maritime – Décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE – Aides nouvelles – Aides existantes »

Dans l’affaire T‑246/99,

Tirrenia di Navigazione SpA, anciennement Tirrenia di Navigazione SpA et Adriatica di Navigazione SpA, établie à Naples (Italie),

Caremar SpA, établie à Naples,

Toremar SpA, établie à Livourne (Italie),

Siremar SpA, établie à Palerme (Italie),

Saremar SpA, établie à Cagliari (Italie),

représentées initialement par Mes A. Tizzano et G. Roberti, puis par Mes Roberti, A. Franchi et G. Bellitti, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. D. Triantafyllou, V. Di Bucci et Mme E. De Persio, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Navigazione Libera del Golfo SpA, établie à Naples, représentée par Mes S. Ravenna et A. Abate, avocats,

par

Aliscafi Società Navigazione Alta Velocità SpA (Aliscafi SNAV), établie à Messine (Italie), représentée par MM. B. Castaldo et C. Forte, avocats,

et par

Traghetti Pozzuoli Srl, établie à Naples,

Alilauro SpA, établie à Naples,

Linee Lauro Srl, établie à Pozzuoli (Italie),

représentées par Me E. Amato, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 6 août 1999 d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, concernant l’aide d’État accordée par la République italienne aux entreprises du Gruppo Tirrenia di Navigazione (JO 1999, C 306, p. 2),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, N. J. Forwood et S. Papasavvas, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 novembre 2006,

rend le présent

Arrêt

 Faits et procédure

1        Ayant reçu plusieurs plaintes selon lesquelles la République italienne aurait accordé une aide d’État dans le secteur des transports maritimes sans l’avoir préalablement notifiée à la Commission conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, la Commission a adressé aux autorités italiennes, par lettre du 12 mars 1999, une demande d’informations relative aux services publics assurés par Tirrenia di Navigazione. Ces autorités ont répondu à ladite demande par lettre du 11 mai 1999.

2        Par lettre du 6 août 1999 (ci-après la « lettre d’ouverture »), la Commission a notifié à la République italienne sa décision (ci-après la « décision litigieuse ») d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE (ci-après la « procédure d’enquête ») concernant une aide d’État accordée aux entreprises du Gruppo Tirrenia di Navigazione (ci-après le « groupe Tirrenia ») qui comprend les cinq sociétés requérantes, et a invité les intéressés à présenter leurs observations. Cette lettre a été reproduite intégralement en langue italienne au Journal officiel des Communautés européennes (JO 1999, C 306, p. 2), accompagnée dans chaque version linguistique d’un résumé dans la langue de ladite version.

3        Dans la lettre d’ouverture, la Commission relève, en particulier, que chacune des requérantes a signé un accord avec les autorités gouvernementales, conformément à la loi italienne n° 684, du 20 décembre 1974. Ces accords prévoient l’octroi de subventions ayant pour contrepartie des « obligations de service public » (ci-après les « OSP ») relatives à la prestation de certains services de transport maritime par les requérantes. La Commission émet des doutes, notamment, quant aux mesures prises par la République italienne pour garantir que la subvention des OSP soit limitée au minimum nécessaire pour assurer l’exécution des OSP imposées. La Commission en déduit qu’il existe des doutes sérieux sur la compatibilité avec le marché commun de ces mesures, lesquelles seraient susceptibles de constituer des aides d’État au profit des entreprises du groupe Tirrenia. Aussi, par la décision litigieuse, ouvre‑t‑elle à l’égard de ces aides présumées la procédure d’enquête. Dans ce cadre, la Commission traite les mesures en cause comme des aides nouvelles ou des modifications d’aides existantes, au sens de l’article 88, paragraphe 3, CE (ci-après les « aides nouvelles ») et non comme des aides existantes, au sens de l’article 88, paragraphe 1, CE (ci-après les « aides existantes »).

4        Dans la partie de sa lettre intitulée « Conclusions », la Commission indique qu’elle se réserve le droit de demander aux autorités italiennes de suspendre le paiement de toute aide dépassant le supplément net des coûts liés à la fourniture des services d’intérêt économique général. La Commission invite en outre les autorités italiennes à confirmer dans les dix jours ouvrables la suspension de ce paiement, puis indique que, si les aides versées en excédent ne sont pas suspendues et que le montant suspendu n’est pas justifié, elle pourra adresser aux autorités italiennes une injonction en ce sens. La Commission attire l’attention des autorités italiennes sur l’effet suspensif prévu à l’article 88, paragraphe 3, CE, ainsi que sur la lettre envoyée aux États membres le 22 février 1995 dans laquelle elle affirmait que toutes les aides accordées illégalement pouvaient être récupérées auprès du bénéficiaire.

5        Le présent recours en annulation de la décision litigieuse a été introduit par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 octobre 1999.

6        Par ordonnance du président de la première chambre élargie du Tribunal du 8 novembre 2000, Navigazione Libera del Golfo SpA, Aliscafi Società Navigazione Alta Velocità SpA (Aliscafi SNAV), Traghetti Pozzuoli Srl, Alilauro SpA, Linee Lauro Srl, Gruppo Onorato Srl et Moby SpA (anciennement Moby Lines Srl), Forship SpA (anciennement Tourship Italia SpA) et Grimaldi Holding SpA (anciennement Grandi Traghetti SpA di Navigazione) ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Le président de la première chambre élargie a également fait droit, en partie, à une demande de traitement confidentiel formée par les requérantes à l’égard des parties intervenantes.

7        Le 21 juin 2001, la Commission a adopté la décision 2001/851/CE concernant les aides d’État versées par l’Italie à la compagnie maritime Tirrenia di Navigazione (JO L 318, p. 9). Sous réserve du respect d’un certain nombre de conditions, elle a déclaré les aides en cause compatibles avec le marché commun.

8        Par ordonnance du 13 juillet 2001, le Tribunal a, les parties entendues, suspendu la procédure jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour sur la recevabilité du recours dans l’affaire connexe C‑400/99, Italie/Commission, ayant pour objet l’annulation de la décision litigieuse, conformément à l’article 47, troisième alinéa, du statut CE de la Cour (devenu article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour), en vigueur à l’époque, à l’article 77, sous a), et à l’article 78 du règlement de procédure du Tribunal.

9        Par arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission (C‑400/99, Rec. p. I‑7303), la Cour a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et a ordonné la poursuite de l’affaire au fond. Par lettre du 19 octobre 2001, le Tribunal a invité les parties à déposer leurs observations sur la suite qu’il convenait de donner à la procédure à la lumière de cet arrêt de la Cour, ce qu’elles ont fait.

10      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à partir de la nouvelle année judiciaire, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre élargie, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

11      Par ordonnance du 28 mars 2003, le Tribunal a, les parties entendues, suspendu la procédure une seconde fois, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour au fond dans l’affaire C‑400/99, Italie/Commission, conformément à l’article 47, troisième alinéa, du statut CE de la Cour, en vigueur à l’époque, à l’article 77, sous a), et à l’article 78 du règlement de procédure du Tribunal.

12      Le 16 mars 2004, la Commission a adopté la décision 2005/163/CE concernant les aides d’État versées par l’Italie aux compagnies maritimes Adriatica, Caremar, Siremar, Saremar et Toremar (Gruppo Tirrenia) (JO 2005, L 53, p. 29). Sous réserve d’un certain nombre d’exceptions spécifiques et du respect de certaines conditions, elle a déclaré les aides en cause compatibles avec le marché commun.

13      Par arrêt du 10 mai 2005, Italie/Commission (C‑400/99, Rec. p. I‑3657, ci‑après l’« arrêt du 10 mai 2005 »), la Cour a annulé la décision litigieuse « en tant qu’elle impliquait, jusqu’à la notification aux autorités italiennes de la décision de clôture de la procédure relative à l’entreprise concernée [décision 2001/851 ou décision 2005/163], la suspension du régime fiscal appliqué pour l’approvisionnement en carburant et en huile de graissage des navires du [groupe Tirrenia] ». Pour le surplus, la Cour a rejeté le recours.

14      Par lettre du 13 juin 2005, le Tribunal a invité les parties à déposer leurs observations sur la suite qu’il convenait de donner à la procédure à la lumière de cet arrêt de la Cour, ce qu’elles ont fait. Dans le cadre de leurs observations, déposées au greffe du Tribunal le 15 juillet 2005, les requérantes ont notamment indiqué que l’une d’elles, Adriatica di Navigazione SpA, avait fusionné avec Tirrenia di Navigazione en 2004, de sorte que cette dernière était « subrogée dans toutes les positions juridiques qui étaient précédemment celles d’Adriatica [di Navigazione] ». En réponse à une question du Tribunal, les requérantes ont confirmé, à l’audience, que la requérante Adriatica di Navigazione n’avait donc plus d’existence autonome à la suite de cette opération. Dans ces conditions, le Tribunal prend acte de cette fusion. Ainsi, Tirrenia di Navigazione est devenue le titulaire de l’ensemble des droits résultant, le cas échéant, de la participation d’Adriatica di Navigazione à la présente procédure en qualité de requérante.

15      Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 1er juillet 2005, Forship et Grimaldi Holding ont renoncé à leurs interventions. Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 29 septembre 2005, Gruppo Onorato et Moby ont renoncé à leur intervention commune. Le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a pris acte de ces renonciations par ordonnance du 7 novembre 2005, les autres parties entendues.

16      En application de l’article 14 du règlement de procédure et sur proposition de la deuxième chambre, le Tribunal a décidé, les parties entendues conformément à l’article 51 dudit règlement, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement restreinte.

17      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé par écrit certaines questions aux parties, qui y ont répondu dans le délai imparti.

18      Les parties principales ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 21 novembre 2006, alors que les intervenantes n’y ont pas été représentées. En particulier, les requérantes ont confirmé à l’audience, en réponse à une question écrite du Tribunal, que leur recours visait à l’annulation partielle de la décision litigieuse, dans la mesure où celle-ci se rapporte aux aides visant à compenser la mise en œuvre des OSP, et non dans la mesure où elle se rapporte au plan de restructuration du groupe Tirrenia et au traitement fiscal des huiles combustibles. Le Tribunal en a pris acte.

 Conclusions des parties

19      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision litigieuse dans la mesure où celle-ci se rapporte aux subventions visant à compenser la mise en œuvre des OSP ;

–        condamner la Commission aux dépens.

20      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable en ce qu’il concerne le contenu des OSP et des contrats qui y sont afférents ;

–        rejeter le recours comme non fondé pour le surplus ou, à titre subsidiaire, dans son ensemble ;

–        dans son mémoire en duplique, condamner la requérante aux dépens.

21      Navigazione Libera del Golfo conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

22      Aliscafi SNAV conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours sur le fond.

23      Linee Lauro conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

24      Traghetti Pozzuoli et Alilauro n’ont pas formulé de conclusions dans leurs mémoires en intervention, se bornant à renvoyer aux conclusions et moyens avancés par Linee Lauro.

 En droit

25      Les requérantes invoquent trois séries de moyens.

26      Premièrement, les requérantes remettent en cause la compétence de la Commission pour examiner le contenu du régime des OSP. Elles font valoir, en premier lieu, que la définition du contenu des OSP relève de la compétence des autorités italiennes et, en deuxième lieu, en substance, que l’article 4, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO L 364, p. 7), a privé la Commission de toute compétence pour remettre en cause la légalité des contrats prévoyant des OSP et la compensation qui y est relative. Les requérantes soulèvent, à cet égard, trois moyens tirés, respectivement, d’une violation de l’article 86, paragraphe 2, CE et de l’article 88 CE, combinés avec l’article 4, paragraphe 3, dudit règlement, d’une violation des principes généraux de protection de la confiance légitime et du respect des droits acquis, et d’un défaut de motivation.

27      Deuxièmement, les requérantes invoquent trois moyens tirés, respectivement, d’une violation de l’article 88, paragraphe 2, CE, combiné avec l’article 1er, sous b), et l’article 4, paragraphe 6, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), ainsi que du principe général de protection de la confiance légitime, d’un détournement de pouvoir en raison de l’absence d’adoption de mesures d’instruction et d’un défaut de motivation, en ce que les aides en question auraient été notifiées à la Commission et autorisées, explicitement ou implicitement, par celle-ci.

28      Troisièmement, elles invoquent quatre moyens tirés, respectivement, d’une violation de l’article 88 CE, d’une violation de l’article 1er, sous b), du règlement n° 659/1999, d’un détournement de pouvoir en raison de l’absence d’adoption de mesures d’instruction, et d’un défaut de motivation, en ce que les éléments essentiels des OSP et des compensations s’y rapportant remontent à une époque antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions du traité CE relatives au secteur du cabotage maritime.

1.     Sur la recevabilité

 Arguments des parties

29      La Commission fait valoir que, selon une jurisprudence constante, la décision d’ouvrir la procédure d’enquête ne produit pas d’effets juridiques et ne constitue donc un acte attaquable que dans la seule mesure où elle implique une qualification de l’aide comme nouvelle ou existante et, partant, un choix des règles de procédure applicables (arrêt de la Cour du 30 juin 1992, Espagne/Commission, C‑312/90, Rec. p. I‑4117, points 17, 20 et 24). Le contrôle effectué par le juge communautaire ne porterait donc pas, à ce stade, sur l’appréciation de la Commission relative à la compatibilité de l’aide avec le marché commun (arrêt Espagne/Commission, précité, point 10).

30      Selon la Commission, soutenue à cet égard par Linee Lauro, le présent recours est donc partiellement irrecevable, et en tout état de cause non fondé, pour autant qu’il vise à l’annulation de la décision litigieuse dans son ensemble, alors que celle-ci ne porte pas exclusivement sur les aides considérées comme des aides existantes par les requérantes. En effet, ces dernières ne soutiendraient pas dans leur requête que les aides contenues dans le plan de restructuration industrielle du groupe Tirrenia, ainsi que le traitement fiscal favorable des huiles combustibles, introduit en 1995, seraient des aides existantes, cela n’étant manifestement pas le cas, selon la Commission. Dans son mémoire en duplique, la Commission affirme qu’elle prend acte des précisions avancées par les requérantes dans la réplique confirmant qu’elles ne contestent la décision litigieuse que dans la mesure où celle‑ci se rapporte aux aides destinées à compenser les OSP imposées aux sociétés du groupe Tirrenia. Ainsi, selon la Commission, il y a lieu de considérer que le présent recours ne vise qu’à l’annulation partielle de la décision litigieuse.

31      Par ailleurs, la Commission, soutenue à cet égard par Navigazione Libera del Golfo et Aliscafi SNAV, fait valoir que les moyens de la première série sont irrecevables, dès lors que les requérantes reprochent à la Commission d’avoir méconnu l’autonomie des autorités italiennes quant à la définition du contenu des OSP et que ladite méconnaissance est totalement étrangère à la seule question juridique pouvant être soulevée à ce stade, en vertu de l’arrêt Espagne/Commission, point 29 supra. En tout état de cause, selon Aliscafi SNAV, l’article 86, paragraphe 3, CE serait privé de son effet utile en l’espèce si la Commission n’était pas compétente pour ouvrir la procédure d’enquête aux fins de vérifier la compatibilité des subventions concernées avec le marché commun.

32      Aliscafi SNAV relève, par ailleurs, que la République italienne n’a pas procédé à la suspension effective du versement des subventions en cause aux requérantes à la suite de l’adoption de la décision litigieuse. Elle soutient qu’un acte pourrait être attaqué au motif qu’il ordonne la suspension d’une aide uniquement dans l’hypothèse où le versement de celle-ci aurait réellement été suspendu. La Commission a également relevé cette circonstance dans ses observations sur l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra. Elle fait valoir à ce stade que, compte tenu de l’adoption des décisions 2001/851 et 2005/163, il est désormais certain que l’obligation de suspension des aides en cause n’aura jamais d’effets pratiques.

33      Aliscafi SNAV souligne également à cet égard que la décision litigieuse n’ordonne la suspension des subventions versées aux requérantes que dans la mesure où celles‑ci dépassent les paiements requis pour compenser le supplément net de coûts lié à la prestation des services relevant des OSP qui leur incombent.

34      Dans leurs observations sur l’arrêt de la Cour Italie/Commission, point 9 supra, la Commission et Aliscafi SNAV ont fait observer que, nonobstant cet arrêt, le présent recours demeurait irrecevable, en partie, pour les raisons exposées dans leurs mémoires.

35      Dans ses observations sur l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, la Commission a demandé au Tribunal de constater que le présent recours est devenu sans objet dès lors qu’elle a adopté les 21 juin 2001 et 16 mars 2004 deux décisions finales closant la procédure d’enquête, confirmant ainsi sa constatation faite dans la décision litigieuse selon laquelle les subventions en cause sont des aides nouvelles.

36      Les requérantes considèrent comme étant sans objet l’exception d’irrecevabilité partielle tirée de ce que la requête ne remet pas en cause la qualification d’aides nouvelles, des aides contenues dans le plan de restructuration industrielle du groupe Tirrenia, ainsi que du traitement fiscal favorable des huiles combustibles. En effet, elles auraient précisé dans leur requête que le présent recours ne concernait pas ces aspects de la décision litigieuse.

37      En ce qui concerne la recevabilité de la première série de moyens, les requérantes font valoir que la Commission n’était pas compétente pour remettre en cause le régime des OSP dans son ensemble, dès lors que la définition de celles-ci relève de la compétence des autorités italiennes. En effet, la Commission aurait dû limiter son examen à la seule question de savoir si ce régime donnait lieu à l’attribution de compensations excessives en faveur des requérantes.

38      Cette erreur commise par la Commission aurait eu des effets juridiques directs sur les requérantes dans la mesure où la décision litigieuse a créé une obligation pour les autorités italiennes de suspendre le paiement de toutes les aides accordées au titre du régime en question, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, in fine. La réalisation par les requérantes des liaisons maritimes soumises aux OSP ainsi que l’équilibre de leurs comptes en auraient donc été affectés. En conséquence, il y aurait lieu de déclarer ces moyens recevables.

39      Dans leurs observations sur les mémoires en intervention, les requérantes font valoir que les allégations figurant dans ceux d’Alilauro et de Traghetti Pozzuoli sont irrecevables dès lors que ces intervenantes se bornent, dans leurs propres mémoires, à renvoyer au mémoire présenté par Linee Lauro. Ainsi les exigences de l’article 116, paragraphe 4, du règlement de procédure relatives à la présentation des conclusions ainsi que des moyens et arguments avancés ne seraient pas respectées. Les requérantes soutiennent, par ailleurs, que les observations des parties intervenantes, selon lesquelles le présent recours est irrecevable dans son ensemble, sont elles-mêmes irrecevables dans la mesure où elles dépassent le cadre du litige fixé par les mémoires des parties principales. Elles relèvent à cet égard que la Commission n’a excipé de l’irrecevabilité du recours qu’en ce qui concerne le contenu des OSP et des contrats qui y sont afférents.

40      Quant à l’argumentation d’Aliscafi SNAV relative à l’absence de suspension effective de l’aide, les requérantes soutiennent que celle-ci est irrecevable parce que non soulevée par la Commission, et, en toute hypothèse, non fondée dès lors que la décision litigieuse a produit des effets juridiques du fait qu’elle a mis en cause la légalité des subventions versées aux requérantes.

41      En outre, dans leurs observations présentées à la suite de l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, les requérantes soutiennent que le présent recours conserve son objet. À l’appui de leur thèse, elles invoquent les termes dudit arrêt lui-même, et notamment ses points 15 à 17, dont il découlerait que la Cour a statué en ce sens, nonobstant l’adoption de la décision 2001/851 au cours de la procédure écrite ayant précédé cet arrêt.

42      Enfin, dans ces mêmes observations, les requérantes ont fait valoir que la Commission a ouvert à tort la procédure d’enquête en qualifiant d’aides les compensations annuelles prévues par les contrats conclus entre l’État et les compagnies du groupe Tirrenia.

 Appréciation du Tribunal

43      Avant d’examiner les motifs d’irrecevabilité soulevés par la Commission dans son mémoire en défense, ainsi que par l’intervenante Aliscafi SNAV, il y a lieu de relever que la Cour a rappelé, dans le cadre de l’affaire connexe C‑400/99, Italie/Commission, que, lorsque la Commission décide d’ouvrir la procédure d’enquête à l’égard d’une mesure en cours d’exécution qu’elle qualifie d’aide nouvelle, tandis que l’État membre concerné soutient qu’elle est une aide existante, le choix opéré par la Commission emporte des effets juridiques autonomes, en particulier en ce qui concerne la suspension de la mesure considérée, de sorte qu’un recours en annulation introduit par l’État membre concerné à l’encontre de cette décision ne saurait être considéré comme étant sans objet (arrêt Italie/Commission, point 9 supra, points 57 et 65). Elle a ainsi confirmé sa jurisprudence antérieure selon laquelle une décision d’ouverture de la procédure d’enquête, au motif qu’une aide est nouvelle et non existante, est un acte attaquable en tant qu’elle implique le choix par l’institution responsable d’une procédure de contrôle dont l’une des caractéristiques réside dans la suspension du versement de l’aide envisagée (voir, en ce sens, arrêt Espagne/Commission, point 29 supra, points 17 à 24).

44      Il convient de relever ensuite que, contrairement à ce que soutient la Commission dans ses observations sur l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, les effets juridiques autonomes produits par la décision d’ouverture de la procédure d’enquête ne sont pas susceptibles de disparaître complètement, et rétroactivement, à la suite de l’adoption d’une décision finale. En effet, la Cour a considéré dans l’affaire connexe C‑400/99, au point 18 de l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, que le recours de la République italienne conservait son objet nonobstant l’adoption par la Commission de la décision 2001/851, devenue ensuite définitive, closant partiellement la procédure ouverte par la décision litigieuse, et confirmant l’appréciation préliminaire retenue dans celle-ci selon laquelle les subventions versées à Tirrenia di Navigazione au titre de ses OSP constituaient des aides nouvelles, telles que visées à l’article 88, paragraphe 3, CE. La Cour a considéré, au point 17 de son arrêt, que le recours de la République italienne à l’encontre de la décision litigieuse visait en substance à faire juger que les mesures dont la Commission avait demandé la suspension dans cette décision n’avaient pas à être suspendues dans l’attente de la ou des décisions closant la procédure ouverte par la décision attaquée, et qu’une telle question ne relevait pas de l’objet d’une décision de clôture de la procédure tel qu’il résulte de l’article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE, ainsi que de l’article 7, paragraphes 2 à 5, et de l’article 14 du règlement n° 659/1999.

45      Pour des raisons analogues, il y a donc lieu de juger, en l’espèce, que le présent recours conserve son objet malgré l’adoption, par la Commission, des décisions 2001/851 et 2005/163.

46      À cet égard, il convient notamment de rejeter l’argumentation d’Aliscafi SNAV et de la Commission fondée sur l’absence de suspension effective du versement des aides en cause. À supposer même que les autorités italiennes n’aient pas suspendu le versement des aides en cause, la circonstance selon laquelle une décision n’est pas respectée dans les faits par son destinataire ne saurait la priver de ses effets sur le plan juridique. La Cour ayant jugé que la décision litigieuse conservait de tels effets, cette argumentation est sans pertinence en tout état de cause.

47      De plus, le fait, relevé par Aliscafi SNAV, que la suspension en cause ne couvre que le paiement de toute aide dépassant le supplément net des coûts liés à la fourniture des services d’intérêt économique général, soit une partie des subventions en cause, ne prive pas la décision litigieuse d’effets juridiques propres. En effet, la Cour a elle‑même interprété la décision litigieuse de façon analogue dans l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra (point 60), sans pour autant considérer que cette circonstance privait le recours de la République italienne de son objet (points 17 et 18 de l’arrêt).

48      Quant à l’argumentation de la Commission et de certaines des intervenantes selon laquelle les trois moyens de la première série sont irrecevables, il y a lieu de relever que, par ces moyens, les requérantes cherchent à remettre en cause la compétence de la Commission pour examiner le contenu du régime des OSP pour deux raisons liées, mais distinctes.

49      Premièrement, elles font valoir que la définition du contenu des OSP relève de la compétence des autorités italiennes et, deuxièmement, elles soutiennent, en substance, que l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 a, en tout état de cause, privé la Commission de toute compétence pour contester la légalité des conventions, adoptées sur la base du régime législatif italien, imposant aux requérantes les OSP et prévoyant la compensation qui y est relative. Selon elles, la Commission aurait donc dû limiter son examen à la seule question de savoir si ce régime donnait lieu à l’attribution de compensations excessives en faveur des requérantes.

50      Dans la mesure où les moyens de la première série concernent la compétence de la Commission pour examiner le contenu des OSP fixées par les autorités italiennes, il convient de relever que cette question est étrangère à celle de savoir si les aides en cause sont des aides nouvelles ou des aides existantes. Ainsi, étant donné qu’une décision d’ouverture de la procédure d’enquête est un acte attaquable dans la seule mesure où elle constitue un choix entre les procédures relatives respectivement aux aides nouvelles et aux aides existantes, il y a lieu de considérer que ces moyens sont irrecevables (voir, en ce sens, la jurisprudence mentionnée au point 43 ci‑dessus).

51      Il convient de rappeler également que, au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission est toujours compétente pour ouvrir une enquête si elle a des doutes sérieux quant à la question de savoir si une subvention qui est réellement une aide nouvelle constitue une aide d’État incompatible avec le marché commun. Ainsi, cette partie de l’argumentation des requérantes ne saurait en tout état de cause prospérer.

52      Il y a lieu de considérer que, dans la mesure où les requérantes invoquent l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, qui a pour objet et pour effet de libéraliser les marchés du transport maritime, des considérations différentes entrent en ligne de compte. En effet, selon cette disposition, « [l]es contrats de service public existants peuvent rester en vigueur jusqu’à leur date d’expiration ».

53      Il convient de rappeler à cet égard, que, dans son arrêt du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission (T‑298/97, T‑312/97, T‑313/97, T‑315/97, T‑600/97 à T‑607/97, T‑1/98, T‑3/98 à T‑6/98 et T‑23/98, Rec. p. II‑2319, point 143), le Tribunal a jugé, dans le contexte analogue du transport routier, qu’un régime d’aides institué dans un marché initialement fermé à la concurrence devait être considéré, lors de la libéralisation de ce marché, comme un régime d’aides existant, dans la mesure où il ne relevait pas, au moment de son institution, du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

54      Dans ces conditions, si l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 s’applique en l’espèce et si aucune autre règle de droit n’empêche son application, questions relevant du fond de l’affaire, il pourrait avoir pour effet de transformer les subventions des OSP existantes au moment de la libéralisation en des aides existantes. Dans le cadre du présent recours, il convient dès lors de considérer que l’argumentation des requérantes fondée sur cette disposition se rapporte en réalité à la question de savoir si les aides en cause sont des aides nouvelles ou des aides existantes.

55      À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de requalifier le moyen de la première série fondé sur une prétendue violation de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 en un moyen tiré de la qualification erronée des aides en cause d’aides nouvelles et, partant, de l’examiner dans le cadre de la troisième série de moyens aux termes desquels les éléments essentiels des OSP et des compensations s’y rapportant sont des aides existantes parce qu’elles ont été mises à exécution avant l’entrée en vigueur des dispositions du traité CE relatives au secteur du transport maritime et, en particulier, du sous-secteur du cabotage maritime.

56      À cet égard, le fait pour les requérantes de soulever la question de l’effet de la libéralisation du marché du cabotage maritime dans leurs observations sur les mémoires en intervention, en réponse à des arguments soulevés par l’une des intervenantes, ne viole pas l’interdiction de produire des moyens nouveaux énoncée à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. En effet, l’argumentation des requérantes tirée des effets juridiques de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, ayant été avancée dans la requête, il y a lieu de constater que cette argumentation se situe dans le prolongement d’un moyen explicitement avancé dès l’introduction du recours.

57      Pour le surplus, en revanche, à savoir dans la mesure où les requérantes remettent en cause le pouvoir de la Commission pour enquêter sur les subventions en question au motif qu’elle empiéterait ainsi sur les compétences nationales pour déterminer le contenu des OSP, les moyens de la première série sont rejetés comme irrecevables.

58      Enfin, dans la mesure où les requérantes font valoir, dans leurs observations sur l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, que la Commission a ouvert à tort la procédure d’enquête en qualifiant d’aides les compensations annuelles prévues par les contrats conclus entre l’État et les compagnies du groupe Tirrenia, force est de constater que cette argumentation n’a pas été avancée dans leur requête. Ainsi, en principe, ladite argumentation constitue un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, sauf si le Tribunal devait considérer qu’elle présente un lien étroit avec l’un des autres moyens avancés par les requérantes dans leur requête.

59      Cette argumentation ne présente pas un tel lien avec les moyens des deuxième et troisième séries. En effet, ces moyens se rapportent à la question de savoir si les aides en cause devaient être considérées comme des aides nouvelles ou existantes et non à celle, nécessairement antérieure, de savoir si elles étaient réellement des aides au sens de l’article 87 CE.

60      Cette nouvelle argumentation ne peut pas non plus être considérée comme recevable au motif qu’elle serait étroitement liée aux moyens de la première série. Il suffit de rappeler, en effet, que ces moyens ont eux-mêmes été rejetés comme irrecevables, sauf dans la mesure où l’un d’eux a pu être requalifié comme relevant en réalité de la troisième série (voir points 55 et 57 ci-dessus). Ainsi, la nouvelle argumentation, avancée après le stade de la requête, ne peut être considérée comme recevable au motif qu’elle est en lien étroit avec la première série de moyens dès lors que ces derniers sont eux-mêmes irrecevables en tant que tels.

61      En toute hypothèse, lesdits moyens reposent sur l’allégation selon laquelle la Commission a méconnu les limites de ses compétences. Or, les requérantes n’ont pas expliqué en quoi leur nouvelle argumentation, relative à la question de savoir si les compensations en cause sont des aides d’État, présente un lien avec cette allégation.

62      Compte tenu de ce qui précède, l’argumentation des requérantes relative à la question de savoir si les subventions en cause en l’espèce sont des aides d’État au sens de l’article 87 CE est constitutive d’un moyen nouveau, non soulevé dans la requête, et partant irrecevable au titre de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

63      Enfin, dans la mesure où les requérantes excipent de l’irrecevabilité des mémoires en intervention des intervenantes Traghetti Pozzuoli et Alilauro au motif que celles-ci se sont bornées à renvoyer de manière globale aux écrits de l’intervenante Linee Lauro, il y a lieu de relever d’abord que ces trois intervenantes sont représentées par le même avocat. De plus, le mémoire en intervention de Linee Lauro et les mémoires des deux autres intervenantes renvoyant à celui-ci ont été déposés au greffe du Tribunal le même jour.

64      Dans cette situation spécifique, caractérisée par une connexité étroite entre les trois interventions, notamment en ce sens que les trois intervenantes soutiennent la même partie principale dans une seule et même affaire et sont représentées par le même avocat, le Tribunal estime que le renvoi global fait dans les mémoires des intervenantes Traghetti Pozzuoli et Alilauro au mémoire introduit par Linee Lauro peut être accepté (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T‑37/91, Rec. p. II‑1901, point 47). Il y a donc lieu, dans la suite du présent arrêt, de considérer que les mémoires des intervenantes Traghetti Pozzuoli et Alilauro contiennent les moyens et conclusions exposés dans le mémoire présenté par Linee Lauro.

2.     Sur le fond

 Observations liminaires des parties

65      Les requérantes commencent par exposer le cadre juridique du régime italien de subvention étatique des services de transport maritime. Des « lignes de navigation d’intérêt national prééminent » auraient été créées par les décrets‑lois nos 2081 et 2082, du 7 décembre 1936, ainsi que par un décret ministériel du 5 janvier 1937 (ci-après le « décret ministériel »), et garanties par la Carta costituzionale italiana (Charte constitutionnelle italienne), dans le but d’assurer la continuité territoriale et le développement des territoires insulaires italiens. À la suite de l’adoption de la loi n° 684 et de la loi n° 169, du 19 mai 1975, les services en question auraient été confiés à des entreprises publiques, en l’occurrence les sociétés du groupe Finmare, dans les droits desquelles les sociétés requérantes du groupe Tirrenia ont succédé, plutôt qu’à des concessionnaires. La définition des OSP subventionnées, prévues par la loi n° 34, du 5 janvier 1953, et la loi n° 178, du 26 mars 1959, n’en aurait pas été modifiée.

66      Le contenu des OSP serait déterminé pour des périodes de cinq années par le Parlement et l’administration italiens, le rôle des sociétés prestataires des services en question étant limité à la présentation de propositions d’ordre technique. Les OSP porteraient sur la fréquence horaire de chaque ligne, les types de navires à mettre en service sur chaque ligne, la création de nouvelles lignes, les tarifs à appliquer et l’organisation sociale des prestataires. Le respect de ces obligations serait garanti par un régime élaboré de sanctions et de contrôles, et les subventions perçues par les requérantes seraient le produit de la différence entre les recettes d’exploitation et le coût du service fourni, tenant compte d’un rendement adéquat du capital investi. Par ailleurs, depuis l’adoption de la loi n° 856, du 5 décembre 1986, les coûts pris en compte à cette fin ne seraient plus ceux effectivement exposés, mais ceux calculés selon des paramètres moyens objectifs.

67      La Commission relève, à titre liminaire, que les deuxième et troisième séries de moyens portent sur la question de savoir si les aides qui font l’objet de la décision litigieuse sont des aides existantes ou des aides nouvelles. Elle fait valoir que, selon la jurisprudence, une aide est existante, au sens de l’article 88 CE, premièrement, si elle existait avant la date d’entrée en vigueur du traité CE ou, deuxièmement, si elle a été régulièrement mise à exécution conformément aux conditions prévues à l’article 88, paragraphe 3, CE. En revanche, toute mesure qui tend à instituer ou à modifier des aides serait soumise à l’obligation de notification prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE (arrêts de la Cour du 9 août 1994, Namur‑les assurances du crédit, C‑44/93, Rec. p. I‑3829, et du 17 juin 1999, Piaggio, C‑295/97, Rec. p. I‑3735, point 48). Linee Lauro relève à cet égard que même un simple refinancement d’un régime d’aides suffit pour transformer celles‑ci en aides nouvelles (arrêt de la Cour du 12 juillet 1973, Commission/Allemagne, 70/72, Rec. p. 813 ; arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T‑447/93 à T‑449/93, Rec. p. II‑1971).

68      Dans ses observations sur l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, la Commission fait valoir que les moyens et arguments avancés par les requérantes sur le fond sont très semblables à ceux qui ont été rejetés par la Cour dans ledit arrêt et invite le Tribunal à les rejeter pour les mêmes raisons.

 Sur la première série de moyens, tirés de la méconnaissance de l’autonomie des autorités italiennes quant à la définition du contenu des OSP

69      Il convient de rappeler que les moyens relevant de la première série ont été rejetés comme irrecevables sauf celui tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92. Ce moyen ayant été requalifié et considéré comme relevant de la troisième série de moyens, il ne reste aucun moyen de la première série de moyens à examiner au fond.

 Sur la deuxième série de moyens, tirés de la méconnaissance de la notification des aides en cause à la Commission et de son autorisation explicite ou implicite desdites aides

 Arguments des parties

–       Sur le moyen tiré de la violation de l’article 88, paragraphe 2, CE combiné avec l’article 1er, sous b), et l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 659/1999

70      Les requérantes font valoir que la Commission a violé l’article 88, paragraphe 2, CE en ouvrant la procédure d’enquête dans le cas d’espèce, alors que les aides d’État en question étaient des aides existantes qui auraient dû être examinées, le cas échéant, selon la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 1, CE. En effet, la Commission aurait déjà autorisé explicitement le régime d’aides prévu par la loi n° 856, dans le cadre d’une procédure d’examen ouverte le 3 mai 1989. Les mesures individuelles d’aide adoptées conformément au régime de subventions prévu par ladite loi et faisant l’objet de la décision litigieuse constitueraient donc des aides existantes.

71      Les requérantes relèvent que, à l’occasion de la procédure d’enquête ouverte le 3 mai 1989, le gouvernement italien a formellement notifié à la Commission la loi n° 856. Ce ne serait qu’après avoir analysé, entre autres éléments, les dispositions de cette loi, que la Commission a décidé de clore la procédure d’enquête, ce dont elle a informé les autorités italiennes par lettre du 6 juillet 1990, laquelle contient les passages suivants :

« Étant donné que vos autorités se sont engagées à modifier l’article 2 de la loi [n° 856] de sorte que les aides accordées ne soient plus liées à la valeur d’un navire nouvellement construit et que la loi en question est conforme aux Orientations pour l’examen des aides d’État en faveur des compagnies maritimes de la Communauté, la Commission ne peut plus formuler d’objection à l’égard de l’application de la loi [n° 856] après la modification apportée conformément au projet communiqué à la Commission.

[…]

Sur la base de ce qui précède, la Commission a décidé de clore la procédure [...] et autorise, aux conditions fixées par la présente lettre, l’application des lois [...] et [n° 856] […] »

72      II en résulterait que la Commission s’était d’ores et déjà prononcée expressément en faveur de la compatibilité de la loi n° 856 avec le marché commun bien avant qu’elle n’ait adopté la décision litigieuse. À tout le moins, cette lettre aurait créé une confiance légitime chez les requérantes quant à la régularité de toutes les dispositions de la loi n° 856 au regard du droit communautaire.

73      Les requérantes relèvent également que, dans la lettre d’ouverture, la Commission elle-même a considéré que « le programme de subventions en faveur du groupe Tirrenia a été consolidé par les articles 11, 12 et 13 de la [loi n° 856] ». La Commission aurait affirmé, par ailleurs, que ce programme a été « inclus dans les dispositions figurant dans la [loi n° 160, du 5 mai 1989] », ce qui signifie, selon les requérantes, qu’il n’a pas été modifié.

74      En outre, la Commission aurait considéré, dans une lettre du 22 septembre 1994, adressée aux autorités italiennes dans le cadre d’une autre procédure relative à la recapitalisation des sociétés Lloyd Triestino et Italia di Navigazione, que les aides accordées conformément à la loi n° 856 ne pouvaient être examinées qu’au titre de l’article 88, paragraphe 1, CE.

75      Les requérantes font valoir que la Commission n’avance aucun élément de preuve à l’appui de sa thèse, selon laquelle la lettre du 6 juillet 1990 n’aurait eu pour but que l’approbation des aides d’État à la construction navale, alors que c’est l’institution, plutôt que les requérantes, qui dispose des documents du dossier d’enquête relatifs à l’objet de la procédure close par cette lettre. En outre, les autorités des États membres n’auraient pas besoin de procéder à plusieurs notifications distinctes lorsqu’une seule loi nationale établit un régime qui permet d’autoriser des aides d’État dans plusieurs domaines différents.

76      Par ailleurs, la Commission ne saurait invoquer le fait qu’elle n’a pas exposé spécifiquement, dans la lettre du 6 juillet 1990, les raisons pour lesquelles les aides accordées aux requérantes au titre du régime des OSP, et notamment de la loi n° 856, avaient été jugées conformes au marché commun. En effet, cette absence de motivation de la conclusion à laquelle la Commission a abouti dans sa lettre serait constitutive d’une faute de l’institution, dont cette dernière ne pourrait tirer argument.

77      Les requérantes affirment que la légalité des subventions au titre du régime des OSP était tellement manifeste que la Commission n’a sans doute pas considéré nécessaire de la motiver. Elles font valoir, à cet égard, que la loi n° 856 n’autorise expressément que les aides aux compagnies de navigation. Ainsi, les aides aux chantiers navals faisant l’objet de l’enquête close par la lettre du 6 juillet 1990 n’auraient pu être autorisées que par la voie indirecte de l’autorisation des aides à ces compagnies. La référence dans cette lettre à l’article 2 de la loi n° 856, loin de signifier que cet article était la seule disposition de ladite loi qui avait été examinée, signifierait plutôt qu’il était la seule disposition de celle-ci qui soulevait des difficultés potentielles au regard du droit communautaire.

78      En tout état de cause, la Commission aurait approuvé implicitement les aides d’État qui font l’objet de la décision litigieuse.

79      Les requérantes relèvent, à cet égard, que l’article 1er, sous b), iii), du règlement n° 659/1999 qualifie d’aides existantes, notamment, « toute aide qui est réputée avoir été autorisée conformément à l’article 4, paragraphe 6, du présent règlement, ou avant le présent règlement, mais conformément à la présente procédure ». En vertu de l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 659/1999, les aides sont réputées avoir été autorisées par la Commission lorsque celle-ci ne prend pas de décision dans le délai de deux mois prévu à l’article 4, paragraphe 5, à compter du jour suivant celui de la réception d’une notification complète. Selon ce même paragraphe 5, « [l]a notification est considérée comme complète si, dans les deux mois de sa réception ou de la réception de toute information additionnelle réclamée, la Commission ne réclame pas d’autres informations ». Les requérantes rappellent que des aides existantes ne sont pas soumises à l’obligation de notification prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE.

80      Les dispositions mentionnées au point précédent seraient inspirées de l’arrêt de la Cour du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471, points 4 et 6).

81      Les requérantes relèvent, à cet égard, que les autorités italiennes ont envoyé une télécopie à la Commission le 13 mars 1990 en réponse à des demandes d’informations qu’elles avaient reçues de la direction générale (DG) « Concurrence ». Dans cette télécopie, les autorités italiennes auraient répondu aux questions relatives à certaines « subventions aux entreprises prestataires de services », en précisant que les entreprises en cause étaient les sociétés requérantes, et auraient attiré l’attention de l’institution sur la circonstance que cette dernière avait déjà connaissance de la loi n° 856, ainsi que, indirectement, de la loi n° 684. En outre, elles auraient exposé les éléments du régime italien de subventions au cabotage maritime ainsi que les raisons pour lesquelles ces subventions étaient nécessaires et ne constituaient pas, de toute façon, des aides d’État. Ces réponses auraient permis aux services de la Commission de comprendre la nature des opérations en cause, puisque la DG « Concurrence » a ensuite transmis le dossier à la DG « Transports ».

82      Presque un an après avoir reçu cette télécopie, soit le 7 mars 1991, la DG « Transports » aurait adressé aux autorités italiennes une demande d’informations supplémentaires concernant les subventions aux liaisons maritimes, sous peine de l’ouverture de la procédure d’enquête. Étaient notamment demandés le texte de la loi n° 160 ainsi que le contrat à conclure avec la société Adriatica di Navigazione et une synthèse des contrats relatifs aux autres sociétés requérantes.

83      Les requérantes font observer que, dans sa demande du 7 mars 1991, la Commission demandait aux autorités italiennes de lui fournir des documents précis. En effet, parmi les textes législatifs cités par les autorités italiennes dans la télécopie du 13 mars 1990 (lois nos 684, 169, 856 et 160), le seul dont la Commission a demandé la communication est la loi n° 160. Les requérantes relèvent que cette loi est la seule parmi celles mentionnées dans la télécopie qui a été adoptée après la loi n° 856, laquelle avait déjà été communiquée à la Commission.

84      Dans leur réponse du 25 mars 1991, les autorités italiennes auraient fourni à la Commission tous les renseignements demandés ainsi que d’autres éléments pertinents, dont notamment un exposé détaillé de la législation italienne relative au régime de subventions en question remontant à 1974. Ayant reçu ladite réponse, la Commission n’a pas ouvert la procédure d’enquête, à l’égard de ce régime, avant d’engager la procédure faisant l’objet du présent recours huit ans plus tard, en 1999, et ce malgré le fait qu’elle avait examiné d’autres aides supposées en faveur des requérantes au cours des années 90.

85      Les requérantes en déduisent que la Commission était entièrement convaincue, au moins à partir de 1991, que le régime en question était conforme au droit communautaire, tant parce que les sommes versées au titre du financement des OSP ne constituaient nullement des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE que du fait de l’application de la règle énoncée à l’article 86, paragraphe 2, CE.

86      En tout état de cause, le silence de la Commission pendant une si longue période, dépassant largement les deux mois prévus par le règlement n° 659/1999, traduirait une approbation implicite des aides individuelles faisant l’objet de la décision litigieuse et en ferait des aides existantes. Par ailleurs, ce silence aurait créé une confiance légitime chez les requérantes, laquelle aurait été violée par la décision litigieuse.

87      Selon les requérantes, l’argument de la Commission, selon lequel les aides en question n’ont pas pu être autorisées, dès lors qu’elles n’ont jamais fait l’objet d’une notification formelle avant leur mise à exécution, est trop formaliste et ne tient aucun compte du fait que la Commission les a examinées de manière exhaustive. En toute hypothèse, les requérantes considèrent, à la lumière de l’ensemble des contacts entre la Commission et les autorités italiennes décrits ci‑dessus, que celles-ci ont notifié les subventions en cause, de sorte que le délai prévu par l’arrêt Lorenz, point 80 supra, a commencé à courir en l’espèce, au plus tard en 1991.

88      Selon la Commission, le régime d’aides d’État en question n’a pas fait l’objet d’une autorisation expresse en vertu de la décision contenue dans la lettre du 6 juillet 1990. En effet, il ressortirait du contexte ainsi que d’une lecture d’ensemble de cette lettre que la procédure close par cette décision a porté exclusivement sur la compatibilité avec le marché commun d’un régime d’aides accordées à des chantiers navals au titre notamment de la loi n° 856.

89      Par ailleurs, la Commission fait valoir que le régime d’aides en cause n’a pas fait l’objet d’une autorisation implicite du fait que certains textes législatifs ont été communiqués à l’institution, sans que celle-ci ouvre la procédure d’enquête. La Commission souligne, soutenue à cet égard par Navigazione Libera del Golfo, que, dans son arrêt Lorenz, point 80 supra, qui régissait la situation à l’époque des faits, la Cour a précisé que l’État membre qui a notifié une aide peut la mettre à exécution, à l’expiration d’un délai de deux mois, seulement après en avoir avisé préalablement la Commission, ce que la République italienne n’a jamais fait en l’espèce.

90      En tout état de cause, la solution dégagée dans l’arrêt Lorenz, point 80 supra, ne pourrait s’appliquer dans le cas d’espèce, dès lors qu’elle ne concerne que les aides dûment notifiées avant leur mise à exécution, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE. Il en serait de même du règlement n° 659/1999. Même si une copie des lois énumérées par les requérantes dans la requête a été envoyée aux services de la Commission par les autorités italiennes, le régime d’aides aux requérantes avait déjà été mis à exécution à l’époque et il n’a donc pas fait l’objet d’une notification préalable et formelle au secrétariat général de la Commission, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE.

91      Quant aux allégations des requérantes fondées sur la confiance légitime, la Commission relève que l’invocation dudit principe dans le présent contexte permettrait de contourner la jurisprudence issue de l’arrêt Lorenz, point 80 supra.

–       Sur le moyen tiré d’un détournement de pouvoir

92      Les requérantes invoquent un détournement de pouvoir en raison de l’absence de mesures d’instruction, mais n’avancent aucune argumentation spécifique à l’appui de ce moyen et ne précisent pas quelles mesures auraient dû être prises.

93      La Commission ne répond pas explicitement à ce moyen dans ses écritures.

–       Sur le moyen tiré d’un défaut de motivation

94      Les requérantes font valoir que la conclusion, retenue par la Commission, selon laquelle les aides faisant l’objet de la décision litigieuse seraient des aides nouvelles, n’aurait nullement été motivée dans la lettre d’ouverture, en violation de l’article 253 CE. Compte tenu des nombreux contacts entre les autorités italiennes et la Commission au sujet du régime d’aides d’État en question, les requérantes considèrent que la Commission était tenue d’expliquer pour quelles raisons les aides aux requérantes n’étaient pas des aides existantes. Elles font observer, à cet égard, que la Commission n’a pas pris en compte les documents examinés ci-dessus, dans la décision litigieuse, nonobstant le fait que le gouvernement italien lui avait rappelé, dans sa lettre du 11 mai 1999, que la législation en question avait été dûment portée à la connaissance de la Commission au plus tard en 1991.

95      La Commission rappelle, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante, la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I‑723, point 86). En particulier, comme la Cour l’aurait affirmé dans son arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France (C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 64), la Commission n’est pas tenue de prendre position sur des éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires.

96      Dans le cas d’espèce, la Commission n’aurait pas été tenue d’exposer, dans la décision litigieuse, les raisons pour lesquelles elle considérait que les aides en question étaient des aides nouvelles, plutôt que des aides existantes, compte tenu notamment du fait que la décision litigieuse a été adoptée à l’issue d’un simple examen préliminaire que la Commission était tenue d’effectuer en l’espace de deux mois. En particulier, elle n’aurait eu aucune raison de considérer la possibilité que les aides en question avaient été autorisées par la décision notifiée aux autorités italiennes par lettre du 6 juillet 1990, dès lors que cette décision portait exclusivement sur des aides aux chantiers navals.

–       Réponses des parties à la question écrite n° 2 du Tribunal

97      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure adoptées avant l’audience (voir point 17 ci-dessus), le Tribunal a posé par écrit certaines questions aux parties, dont la question suivante :

« Le Tribunal attire l’attention des parties sur la jurisprudence bien établie selon laquelle la légalité d’un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté et les appréciations complexes portées par la Commission ne doivent être examinées qu’en fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a effectuées (voir arrêts du Tribunal du 6 octobre 1999, Salomon/Commission, T‑123/97, Rec. p. II‑2925, point 48, et du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, Rec. p. II‑2427, point 33, et la jurisprudence citée). Ensuite, le Tribunal relève qu’il ressort de l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, que la Commission s’est appuyée, dans cette affaire-là, sur le fait que les autorités italiennes n’avaient pas invoqué le caractère existant de l’aide au stade de la procédure administrative, et que la Cour, après vérification, n’a donc examiné l’argumentation de la requérante à ce sujet que dans la mesure où elle était fondée sur le règlement n° 3577/92, lequel avait été invoqué en temps utile (points 50 à 52 de l’arrêt).

Le Tribunal note que la Commission ne semble pas avoir présenté une argumentation similaire en l’espèce et demande aux deux parties de prendre position, par écrit avant l’audience, sur l’éventuelle pertinence de la jurisprudence citée au paragraphe précédent dans le cadre de la présente procédure, notamment en ce qui concerne les deuxième et troisième séries de moyens. À cet égard, les parties sont invitées à informer le Tribunal, dans le cadre de leur réponse écrite, si les différents griefs et éléments avancés par les requérantes en l’espèce ont également été avancés par la République italienne au cours de la procédure préliminaire close par la décision litigieuse. »

98      En réponse à cette question, les requérantes avancent des arguments visant à écarter l’application de la jurisprudence citée ci-dessus à la présente procédure. Premièrement, elles soulignent le fait que la décision attaquée est une décision d’ouverture d’une procédure d’enquête et que, par conséquent, avant l’adoption de cet acte, elles n’avaient pas de droit procédural à participer à la phase de l’instruction engagée par la Commission. Elles ne pouvaient donc pas non plus avoir la charge de produire des éléments. Ce n’est qu’après l’adoption de cet acte qu’elles ont pu en contester la légalité, ce qu’elles ont fait en introduisant le présent recours. La présente affaire serait donc différente de celle concernée par la jurisprudence susmentionnée, dans la mesure où cette dernière se rapporte à des décisions finales sur la compatibilité d’une aide, adoptée à l’issue d’une procédure rendue publique par la Commission grâce à une communication au Journal officiel de l’Union européenne et à laquelle les tiers ont pu participer.

99      Deuxièmement, les requérantes considèrent que la question de savoir si les aides en cause en l’espèce étaient des aides nouvelles ou existantes avait déjà fait l’objet d’un examen approfondi dans les rapports et dans la correspondance échangés entre les autorités italiennes et les services de la Commission avant l’ouverture de la procédure par la décision litigieuse. Elles font observer à cet égard que, lors de la réunion qui s’est tenue le 3 juin 1999 et dans la lettre du 11 mai 1999, mentionnée dans la décision litigieuse, elles ont réaffirmé leur position officielle en la matière, laquelle aurait été partagée par la Commission, comme en attesteraient plusieurs documents.

100    Enfin, les requérantes relèvent que la Commission ne s’est pas appuyée sur la jurisprudence en cause dans ses mémoires déposés dans le cadre de la présente procédure.

101    En substance, la Commission signale dans sa réponse que, selon elle, la jurisprudence mentionnée par le Tribunal devrait être appliquée en l’espèce. Ainsi, les autorités italiennes n’ayant pas utilement invoqué les éléments que les requérantes font valoir dans la présente affaire, l’argumentation de ces dernières fondée sur ces éléments devrait être rejetée.

 Appréciation du Tribunal

102    À titre liminaire, s’agissant de la prise en compte, dans le cadre du présent recours, de la réponse à la question écrite n° 2 du Tribunal (voir point 101 ci‑dessus), il convient de rappeler que, dans son ordonnance du 13 juin 2006, Mancini/Commission (C‑172/05 P, non publiée au Recueil, point 41), la Cour a jugé, en réponse à un moyen de pourvoi par lequel il était reproché au Tribunal d’avoir statué ultra petita en fondant son appréciation sur un moyen qui n’avait pas été soulevé par la défenderesse, que, tout en ne devant statuer que sur la demande des parties, auxquelles il appartient de délimiter le cadre du litige, le juge communautaire ne saurait être tenu par les seuls arguments invoqués par celles-ci au soutien de leurs prétentions, sauf à se voir contraint, le cas échéant, de fonder sa décision sur des considérations juridiques erronées (voir également, en ce sens, ordonnance du 27 septembre 2004, UER/M6 e.a., C‑470/02 P, non publiée au Recueil, point 69).

103    Il convient de relever en effet que, dans la mesure où l’institution défenderesse omet, dans le cadre d’un recours en annulation, de soulever une considération juridique dont l’invocation aurait établi que l’acte attaqué est licite, le juge communautaire pourrait être amené à annuler cet acte licite s’il lui était interdit de tenir compte de cette considération. Ainsi, conformément à ce qu’a jugé la Cour dans l’affaire Mancini, point 102 supra, il appartient au juge communautaire de prendre en compte une telle considération juridique et il ne statue pas ultra petita en ce faisant.

104    En toute hypothèse, l’argumentation avancée par la Commission en réponse à la question écrite n° 2 du Tribunal se situe dans le prolongement de celle qu’elle a fait valoir dans son mémoire en défense, en réponse au moyen tiré d’un prétendu défaut de motivation.

105    Il convient de rappeler, en effet, que, dans son argumentation relative audit moyen, la Commission a soutenu qu’elle n’était pas tenue d’exposer, dans la décision litigieuse, les raisons pour lesquelles elle considérait que les aides en question étaient des aides nouvelles, plutôt que des aides existantes, compte tenu notamment du fait que la décision litigieuse avait été adoptée à l’issue d’un simple examen préliminaire. En particulier, elle a relevé qu’elle n’avait aucune raison de considérer la possibilité que les aides en question aient été autorisées par la décision notifiée aux autorités italiennes par lettre du 6 juillet 1990, dès lors que cette décision portait exclusivement sur des aides aux chantiers navals.

106    Par cette argumentation, la Commission a soutenu, en substance, que l’étendue de son examen préliminaire, concernant le caractère des subventions en cause au regard de la distinction entre les aides nouvelles et existantes, était conditionnée par les circonstances dans lesquelles cet examen était effectué. Or, l’argumentation qu’elle a ensuite avancée en réponse à la question écrite n° 2 du Tribunal, selon laquelle les allégations des requérantes fondées sur les éléments qui n’ont pas été utilement invoqués par la République italienne dans le cadre de la procédure d’examen préliminaire doivent être rejetées, constitue le développement du même raisonnement.

107    Il s’ensuit que le Tribunal n’a ni offert aux requérantes la possibilité de soulever un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, ni statué ultra petita, en tenant compte de la réponse de la Commission à la question écrite n° 2 dans les circonstances de l’espèce.

108    Quant au fond, il convient de rappeler d’abord que, selon une jurisprudence bien établie, la légalité d’un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté et les appréciations complexes portées par la Commission ne doivent être examinées qu’en fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a effectuées (voir arrêts Salomon/Commission, point 97 supra, point 48, et Graphischer Maschinenbau/Commission, point 97 supra, point 33, et la jurisprudence citée).

109    Dans le cadre de l’affaire connexe, C‑400/99, la Cour a jugé, dans l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, que, dès leur réponse à la première demande de renseignements de la Commission, les autorités italiennes ont avancé que les contrats de service public conclus avec les entreprises du groupe Tirrenia étaient couverts par l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, ce qui revenait en substance, selon la Cour, à soutenir que les financements découlant de ces contrats étaient légaux et qu’ils ne constituaient donc pas des aides nouvelles, mais des aides existantes (point 51 de l’arrêt).

110    En revanche, la Cour a considéré que la simple référence, dans cette réponse, à divers échanges que les requérantes auraient eus avec la Commission entre 1991 et 1997, sans qu’aucun lien n’ait été établi entre les éléments fournis à l’occasion de ces échanges et l’éventuelle qualification d’aides existantes des mesures en cause, était insuffisante pour que le gouvernement italien ait pu reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte de ces éléments pour apprécier le caractère nouveau ou existant des mesures en cause, préalablement à l’ouverture de la procédure d’enquête (point 51 de l’arrêt). Dans la suite de son arrêt, la Cour n’a donc examiné le moyen invoqué par le gouvernement italien, tiré du caractère prétendument existant des aides en cause, que pour autant qu’il s’appuyait sur le fait que la Commission aurait négligé de tenir compte des dispositions de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, pour examiner les mesures en cause en tant qu’aides nouvelles et non comme aides existantes (point 52 de l’arrêt).

111    Il convient de constater, à cet égard, que la lettre du 11 mai 1999, invoquée par les requérantes devant le Tribunal et annexée à leurs réponses écrites aux questions de celui-ci, figure dans la réponse à la première demande de renseignements de la Commission à laquelle la Cour fait référence au point 51 de son arrêt. Ainsi, la Cour en jugeant dans le même point que la simple référence, dans cette réponse, à divers échanges intervenus entre 1991 et 1997, est insuffisante, pour que le gouvernement italien puisse reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte de ces éléments pour apprécier le caractère nouveau ou existant des mesures en cause, a rejeté les mêmes arguments, fondés d’ailleurs sur les mêmes éléments, que ceux avancés devant le Tribunal. Dans la mesure où les requérantes se réfèrent également, en l’espèce, à une réunion qui s’est tenue le 3 juin 1999, il suffit de constater qu’elles n’ont pas allégué que les autorités italiennes avaient avancé des arguments ou des éléments différents, lors de ladite réunion, de ceux présentés dans la lettre du 11 mai 1999. D’ailleurs, les requérantes n’ont produit, parmi les autres annexes à leurs réponses aux questions du Tribunal, aucun document indiquant que le gouvernement italien a présenté de tels arguments ou éléments devant la Commission, que ce soit lors de ladite réunion ou à un autre moment au cours de la procédure préliminaire ayant précédé l’adoption de la décision litigieuse.

112    Il ressort ainsi de l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, que la Cour a déjà examiné et rejeté l’argumentation et les éléments de preuve correspondants avancés par les requérantes devant le Tribunal dans le but de démontrer que la Commission était tenue de prendre position sur la question de savoir si elle avait déjà approuvé explicitement ou implicitement les aides en cause.

113    En effet, dans la mesure où les arguments et éléments avancés à cet égard dans les deux procédures s’avèrent être les mêmes, il y a lieu de prendre en compte l’interprétation des éléments en question effectuée par la Cour. Toutefois, le Tribunal doit prendre en considération les arguments avancés par les requérantes en l’espèce dans la mesure où ceux‑ci diffèrent de ceux auxquels la Cour a déjà répondu, dès lors que les requérantes dans la présente procédure n’ont pas eu l’opportunité de se faire entendre devant la Cour, l’intervention des particuliers devant cette juridiction dans un tel litige n’étant pas prévue.

114    À cet égard, les requérantes font valoir qu’il n’est pas approprié de limiter les éléments de fait et les arguments qui peuvent être pris en considération en l’espèce à ceux avancés par la République italienne au stade de la procédure d’examen préliminaire parce que les requérantes n’avaient pas de droit procédural à participer à celle-ci. Il y a lieu de relever, en réponse à cet argument, qu’une décision d’ouverture de la procédure d’enquête repose par hypothèse sur une appréciation provisoire de la situation factuelle en cause, effectuée en l’absence des observations des tiers intéressés, qui peuvent dans certains cas être déterminantes. Si les requérantes sont certes recevables à introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision d’ouverture, conformément à la jurisprudence, elles ne sauraient obtenir l’annulation de celle‑ci sur la base d’éléments qui n’ont pas été soumis à la Commission par les autorités nationales. En effet, dans la mesure où des tiers intéressés considèrent qu’il existe d’autres éléments pertinents ou d’autres interprétations possibles de ces éléments que ceux avancés par l’État membre avant l’adoption de la décision d’ouverture, c’est au stade de la procédure d’enquête que les tiers intéressés ont l’opportunité de les présenter.

115    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de juger, dans les circonstances de l’espèce, que la simple référence faite par les autorités italiennes dans la lettre du 11 mai 1999, même réitérée lors de la réunion du 3 juin 1999, à divers échanges intervenus avec la Commission entre 1991 et 1997, sans qu’aucun lien n’ait été établi entre les éléments fournis à l’occasion de ces échanges et l’éventuelle qualification d’aides existantes des mesures en cause, était insuffisante pour qu’il ait pu être reproché à la Commission, même par les requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure administrative préliminaire, de ne pas avoir tenu compte de ces éléments pour apprécier le caractère nouveau ou existant des mesures en cause, préalablement à l’ouverture de la procédure d’enquête.

116    Dans ces conditions, les moyens relevant de la deuxième série ne sauraient établir l’existence d’une illégalité entachant la décision litigieuse et il y a lieu de les rejeter dans leur ensemble, sans qu’il soit besoin de les examiner de manière plus détaillée au fond.

 Sur la troisième série de moyens, tirés de l’antériorité des éléments essentiels des OSP et des compensations s’y rapportant à l’entrée en application du traité CE dans le secteur du transport maritime

 Arguments des parties

–       Sur les griefs tirés de la prétendue antériorité des mesures nationales établissant les OSP à l’entrée en vigueur du traité CE

117    Selon les requérantes, les principaux aspects des OSP contestés par la Commission dans la lettre d’ouverture auraient été prévus essentiellement par les décrets-lois nos 2081 et 2082 ou par le décret ministériel. En particulier, le décret‑loi n° 2081 aurait institué des « lignes de navigation d’intérêt national prééminent » (spécifiées par le décret ministériel), parmi lesquelles figuraient les lignes assurées par Tirrenia di Navigazione et Adriatica di Navigazione. Ce décret‑loi aurait prévu que les surcoûts supportés par les sociétés concessionnaires au titre de l’exploitation de ces lignes seraient couverts par l’État sous la forme d’une subvention déterminée dans le cadre de contrats conclus pour une durée de 20 ans entre ces sociétés, d’une part, et le ministère des Communications et le ministère des Finances italiens, d’autre part. En outre, le décret-loi n° 2081 aurait spécifiquement désigné Tirrenia di Navigazione et Adriatica di Navigazione en tant que concessionnaires pour les lignes en question.

118    Par ailleurs, la loi n° 34 aurait fixé les OSP applicables aux autres liaisons faisant l’objet de la décision litigieuse, celles-ci s’imposant à l’époque à des sociétés opératrices autres que les requérantes. Ces liaisons auraient été confiées aux sociétés Saremar, Siremar, Caremar et Toremar entre 1974 et 1975, en raison de l’insuffisance des services fournis par les autres sociétés.

119    S’il est vrai que, en l’espèce, certaines modalités du régime des OSP ont été modifiées depuis leur institution, et notamment lors de l’adoption de la loi n° 169, ces modifications impliqueraient essentiellement un alourdissement des obligations pesant sur les sociétés bénéficiaires, accompagné d’une diminution de l’aide perçue. De même, la loi n° 856, et notamment son article 11, aurait eu pour effet de limiter les coûts pris en compte aux fins du calcul de la compensation versée par l’État. Ces modifications ne sauraient toutefois justifier que la Commission qualifie les subventions en question d’aides nouvelles. Il y aurait en toute hypothèse une continuité substantielle quant à l’objet des OSP subventionnées depuis la loi n° 34, notamment dans la mesure où les groupes d’îles concernées par les liaisons en question sont toujours restés les mêmes.

120    À cet égard, les requérantes font valoir que la Cour a considéré, dans son arrêt Namur-les assurances du crédit, point 67 supra (points 32 et 33), que l’adoption de dispositions modifiant le domaine d’activité d’une entreprise bénéficiant d’un régime de soutien public et impliquant, pour cette raison, une augmentation des ressources publiques pouvant être transférées à celle‑ci, n’entraîne pas une modification substantielle du régime existant au sens de l’article 88 CE. En effet, admettre le contraire attribuerait à la Commission une compétence trop large et nuirait à la sécurité juridique des entreprises bénéficiaires d’aides d’État. Par ailleurs, dans ses conclusions sous l’arrêt de la Cour du 23 janvier 1975, Van der Hulst (51/74, Rec. p. 79, 99), l’avocat général M. Trabucchi aurait considéré que les adaptations d’importance secondaire d’une aide existante n’en font pas une aide nouvelle. Enfin, l’arrêt du Tribunal du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission (T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II‑2309), conforterait également leur thèse.

121    Les aides faisant l’objet de la décision litigieuse étant donc des aides existantes, la Commission aurait violé l’article 88 CE, ainsi que l’article 1er, sous b), du règlement n° 659/1999 du fait de l’adoption de cette décision.

122    Selon la Commission, les aides aux requérantes ne sauraient être considérées comme des aides existantes du fait que le régime des OSP a été établi par une législation remontant à 1936 et modifiée en 1953. Selon la Commission, si les décrets-lois nos 2081 et 2082 ainsi que la loi n° 34 ont créé des lignes de navigation subventionnées qui coïncident pour certaines avec celles exploitées aujourd’hui, cela ne suffit pas pour étayer la conclusion selon laquelle le régime d’aides en cause en l’espèce est un régime d’aides existant, nonobstant les multiples modifications dudit régime intervenues depuis lors.

123    En tout état de cause, s’il est vrai que, selon l’arrêt Namur-les assurances du crédit, point 67 supra, les États membres ne sont pas tenus de notifier à la Commission les modifications purement formelles ou financières portées à un régime d’aides existant, ils doivent, néanmoins, notifier toute modification substantielle d’un tel régime. Contrairement à ce qu’affirment les requérantes, les modifications apportées au régime en cause en l’espèce par les lois nos 856 et 160 auraient été substantielles. En particulier, à supposer même qu’il soit exact que le changement du mode de calcul de la subvention compensatoire ait eu pour effet de réduire le montant global de celle-ci, affirmation à l’appui de laquelle les requérantes n’auraient avancé aucune preuve, seule la Commission est compétente pour apprécier son incidence sur la compatibilité des aides en question avec les dispositions du traité CE et cette circonstance n’aurait donc pas dispensé les autorités italiennes de lui notifier cette modification significative du régime en cause.

124    D’après la Commission, on ne saurait exclure que les modifications apportées audit régime en 1986 et en 1989 aient entraîné de nouvelles incompatibilités avec le droit communautaire. En effet, l’alourdissement des OSP, dont les requérantes font état dans leur requête, aurait plutôt entraîné une augmentation qu’une réduction de la subvention en question, celle-ci étant calculée à partir des coûts engagés pour satisfaire à ces obligations.

125    Aliscafi SNAV conteste également l’affirmation des requérantes selon laquelle les lois successives modifiant le régime des OSP en cause n’ont pas modifié ce régime de manière substantielle. Elle relève, en particulier, que la loi n° 169 a confié le service public dans les secteurs en question à des sociétés publiques constituées à cette fin pour une période de 20 ans, alors que la législation précédemment en vigueur prévoyait un système d’adjudication public permettant la participation d’entreprises privées. Quant aux conventions conclues entre les autorités italiennes et les sociétés du groupe Tirrenia en 1991, Aliscafi SNAV note que les conventions prévues par la législation italienne devaient couvrir la période de 20 ans allant de 1975/1976 à 1994/1995. Il s’ensuivrait que, dans la mesure où les conventions passées en 1991 prévoient de nouveau des durées de 20 ans dépassant largement l’échéance initiale de 1994/1995, ces aides ne sont pas couvertes par ladite législation et doivent être considérées comme des aides nouvelles exorbitantes.

126    Enfin, Navigazione Libera del Golfo relève que les subventions réellement versées aux sociétés du groupe Tirrenia par la République italienne dépassent celles qui sont prévues par la législation italienne et en déduit que cette partie des subventions ne saurait en aucun cas être considérée comme une aide existante.

–       Sur les griefs tirés de la prétendue antériorité des mesures nationales établissant les OSP à l’entrée en vigueur du règlement n° 3577/92

127    Les requérantes prétendent que, eu égard au libellé de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, les accords entre les requérantes et les autorités italiennes, qui ont été passés avant la date d’entrée en vigueur du règlement n° 3577/92, sont intangibles au motif qu’ils n’entrent pas dans le champ d’application de la réglementation communautaire.

128    Selon les requérantes, l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 soustrait les contrats de service public existants à un examen par la Commission. Cette solution serait justifiée, notamment, par la circonstance selon laquelle, si l’équilibre des rapports entre le prestataire de services publics et l’État était altéré au détriment du prestataire, la prestation des services en question conformément à l’accord en vigueur pourrait s’en trouver compromise. Ce serait donc à tort que la Commission invoque le règlement n° 3577/92, dans son mémoire en défense, à l’appui de son argumentation selon laquelle le régime des OSP aurait été remis en cause par l’entrée en vigueur de ce règlement.

129    En outre, l’interprétation restrictive de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, soutenue par la Commission, selon laquelle le régime des OSP, et notamment les compensations financières prévues, n’est pas couvert par cette disposition, ne saurait être retenue.

130    Selon les requérantes, l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 a pour but d’assurer le respect des obligations contractuelles existantes, conformément aux principes généraux de protection de la confiance légitime et du respect des droits acquis. D’après les requérantes, ce serait priver cette disposition d’effet utile que d’exclure de sa portée les clauses essentielles des contrats en cause en l’espèce, qui précisent les prestations que les parties sont tenues d’exécuter. La décision litigieuse aurait violé les principes de protection de la confiance légitime ainsi que du respect des droits acquis des requérantes, dès lors qu’elle bouleverse des rapports juridiques existants, licitement créés.

131    Dans leurs observations sur les mémoires en intervention, les requérantes relèvent, à cet égard, que l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 ne permet pas, en tout état de cause, le versement de sommes excédant les montants strictement nécessaires pour accomplir les missions d’intérêt économique général mentionnés dans les contrats de service en vigueur à la date de l’adoption dudit règlement. Cette disposition serait toutefois privée de son effet utile, si, en outre, ces contrats existants étaient couverts par la dérogation qu’elle prévoit dans la seule mesure où ils sont conformes aux exigences applicables aux contrats conclus après l’entrée en vigueur du règlement.

132    Dans ces mêmes observations, les requérantes soutiennent que l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 53 supra (point 143), dans lequel le Tribunal a affirmé qu’un régime d’aides institué dans un marché initialement fermé à la concurrence doit être considéré, lors de la libéralisation de ce marché, comme un régime d’aides existant, est applicable par analogie en l’espèce. Cet arrêt aurait ainsi énoncé un principe de portée générale.

133    Selon les requérantes, le cabotage maritime à destination des îles de la Méditerranée n’a été ouvert à la concurrence, par le règlement n° 3577/92, qu’à partir du 1er janvier 1999, contrairement à ce qu’avance Navigazione Libera del Golfo, alors que l’ouverture du secteur du transport maritime international en général date de 1993 (arrêt de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, point 69). À cet égard, les requérantes soulignent le caractère marginal de leurs services internationaux.

134    En outre, l’argumentation de Navigazione Libera del Golfo fondée sur l’article 1er, sous b), v), du règlement n° 659/1999 devrait être rejetée, dès lors que cette disposition ne pourrait s’appliquer qu’aux secteurs libéralisés après son entrée en vigueur, ce qui exclurait le cabotage maritime, de même que le transport maritime international, de son champ d’application. La jurisprudence, et notamment les arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission, point 133 supra, et Alzetta e.a./Commission, point 53 supra, serait compatible avec cette interprétation de la disposition en cause.

135    Dans leurs observations sur l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra (point 64), les requérantes relèvent que la Cour a partiellement rejeté l’argumentation de la Commission selon laquelle l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 ne peut pas autoriser des aides d’État, en constatant ce qui suit :

« [D]ans la mesure où le libellé de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 vise le maintien des contrats en cause, sans limiter la portée de cette disposition à certains aspects desdits contrats, les stipulations financières nécessaires pour assurer les [OSP] y figurant sont couvertes par ledit article 4, paragraphe 3. C’est donc à tort que la Commission soutient que celui-ci se borne à autoriser le maintien d’éventuels droits exclusifs ou spéciaux issus de tels contrats. »

136    Dans ces mêmes observations, les requérantes reconnaissent que la Cour a ensuite rejeté les moyens spécifiques d’annulation avancés par la République italienne comme étant non fondés, en observant que d’éventuelles aides dépassant ce qui est nécessaire pour assurer les OSP, objet des contrats en cause, ne sauraient entrer dans le champ d’application de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, précisément parce qu’elles ne sont pas nécessaires à l’équilibre, et donc au maintien de tels contrats et qu’elles ne sauraient, dès lors, être considérées comme des aides existantes. Elles relèvent, toutefois, que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, et à l’arrêt du 10 mai 2005, contrairement à la présente procédure, la requérante se référait uniquement aux mesures que la Commission avait invité la République italienne à suspendre dans sa décision d’ouverture, c’est-à-dire uniquement à toute aide dépassant le coût supplémentaire net lié à la fourniture des services d’intérêt économique général conformément aux OSP fixées par les autorités italiennes. Si de telles mesures ne peuvent pas être considérées comme des aides existantes sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, la Cour a jugé en revanche, d’après les requérantes, que les contrats de service public sont couverts par cette disposition dérogatoire dans la mesure où ils prévoient des subventions nécessaires à l’accomplissement des missions de service public imposées aux sociétés du groupe Tirrenia.

137    Ainsi, selon les requérantes, les subventions en cause en l’espèce auraient dû être traitées comme des aides existantes et non comme des aides nouvelles (points 58 à 66 de l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra). Les requérantes relèvent à cet égard que, par la décision litigieuse, la Commission a ouvert la procédure d’enquête non seulement pour vérifier l’existence de compensations excédentaires par rapport aux OSP, mais aussi pour vérifier la légalité dans leur ensemble des subventions accordées aux requérantes.

138    La Commission, soutenue à cet égard par Navigazione Libera del Golfo, fait valoir que l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 ne saurait être invoqué pour légitimer une aide d’État qui n’est pas compatible avec le marché commun, et ce d’autant plus que le règlement n° 3577/92 a pour base juridique l’article 80 CE et non les articles 87 CE à 89 CE qui régissent cette matière. Ainsi, cette disposition ne pourrait apporter aucune dérogation supplémentaire à l’interdiction générale des aides énoncée à l’article 87, paragraphe 1, CE. L’article 86, paragraphe 2, CE n’étant applicable que dans la mesure où une aide d’État est strictement nécessaire, il ne saurait s’appliquer aux aides en cause en l’espèce. S’il fallait interpréter l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 en ce sens qu’il autorisait une telle aide, cette disposition serait manifestement illégale.

139    Navigazione Libera del Golfo relève également que si l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 devait être interprété comme donnant lieu à un moratoire autorisant les États membres à maintenir en vigueur tous les contrats prévoyant la compensation d’OSP, cette disposition serait illégale. Selon elle, dans l’hypothèse d’une telle interprétation large de ladite disposition, celle-ci violerait le principe fondamental de la liberté d’établissement, l’article 87 CE, les orientations communautaires sur les aides d’État au transport maritime (JO 1997, C 205, p. 5) et l’obligation incombant aux États membres en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 3577/92 d’étendre les compensations versées pour rémunérer des OSP à tous les armateurs communautaires.

140    La Commission fait valoir également que l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 a pour seule finalité de protéger les concessionnaires ayant licitement conclu des contrats avec les autorités publiques des effets de la libéralisation du marché du cabotage maritime jusqu’au terme desdits contrats. Cependant, elle ne saurait être invoquée pour légitimer une aide d’État qui n’est pas compatible avec le marché commun.

141    Dans son mémoire en duplique, la Commission remet en cause le bien‑fondé, au regard de la jurisprudence antérieure (voir arrêt Piaggio, point 67 supra, point 48, et la jurisprudence citée), de l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 53 supra, dans lequel le Tribunal a affirmé qu’un régime d’aides institué dans un marché initialement fermé à la concurrence devait être considéré, lors de la libéralisation de ce marché, comme un régime d’aides existant. Selon la Commission, la jurisprudence a défini limitativement la notion d’aide existante. Elle ne conteste pas la constatation selon laquelle des subventions telles que celles qui étaient en cause dans l’affaire Alzetta e.a./Commission (point 53 supra) ne constituaient pas des aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE avant la libéralisation parce que, en l’absence de celle-ci, elles ne pouvaient affecter les échanges entre États membres ni fausser la concurrence, mais elle considère qu’elles deviennent des aides devant être notifiées lors de l’ouverture d’un tel marché. Le principe de sécurité juridique ne saurait justifier la qualification d’aides existantes des mesures mises à exécution au moment de la libéralisation d’un marché, dès lors que les États membres et les bénéficiaires des aides sont toujours informés de l’ouverture imminente d’un marché à la concurrence. En toute hypothèse, les requérantes n’ayant pas soutenu dans leur requête, ni même dans leur réplique, que les aides en cause étaient des aides existantes, parce qu’elles avaient été instituées avant la libéralisation du cabotage maritime, toute tentative de soulever un moyen fondé sur l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 53 supra, serait contraire à l’interdiction des moyens nouveaux énoncée à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

142    Navigazione Libera del Golfo soutient que l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 53 supra, n’est pas incompatible avec la thèse de la Commission selon laquelle les subventions en cause en l’espèce sont des aides nouvelles. Elle invoque à cet égard l’arrêt de la Cour du 30 avril 1986, Asjes e.a. (209/84 à 213/84, Rec. p. 1425, points 42 et 45), aux termes duquel le secteur du cabotage maritime a été ouvert à la concurrence dès l’entrée en vigueur du traité CE en 1958, sous la seule réserve que la libre prestation des services n’y a pas été appliquée, celle‑ci étant explicitement visée par les dispositions combinées de l’article 51, paragraphe 1, CE et de l’article 80, paragraphe 2, CE. Selon elle, il y a lieu de distinguer l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 53 supra, de l’arrêt Asjes e.a., précité, dans la mesure où le régime d’aides en cause dans la première de ces affaires n’était pas sélectif et ne portait donc pas atteinte à la concurrence, à la différence du régime concerné en l’espèce qui prévoit le versement d’aides aux entreprises du groupe Tirrenia à titre exclusif. Ce ne serait d’ailleurs que cette circonstance qui permettrait de concilier l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 53 supra, avec la jurisprudence antérieure de la Cour.

143    La Commission et Navigazione Libera del Golfo relèvent également que, selon les termes de l’article 1er, sous b), v), du règlement n° 659/1999, « [l]es mesures qui deviennent une aide suite à la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation ». La Commission ayant examiné les subventions en cause en l’espèce sous l’empire dudit règlement, celles-ci échapperaient à la qualification d’aides existantes en vertu de cette disposition.

144    Enfin, la Commission, soutenue à cet égard par Navigazione Libera del Golfo, souligne le fait que trois des cinq requérantes reçoivent des subventions, au titre du régime d’aides en cause en l’espèce, pour des lignes relevant du transport maritime international plutôt que du cabotage maritime. À tout le moins dans cette mesure-là, il serait manifeste que les subventions en cause affectaient les échanges entre États membres et faussaient déjà la concurrence avant la libéralisation du cabotage maritime. La Commission relève à cet égard que le Tribunal n’a annulé la décision de la Commission en cause dans l’affaire Alzetta e.a./Commission que dans la mesure où elle portait sur l’activité de transport au sein d’un État membre. De plus, il résulterait de cette circonstance que les subventions versées aux requérantes, considérées dans leur ensemble, affectaient les échanges entre États membres et faussaient la concurrence dans le marché commun.

–       Sur le moyen tiré d’un défaut de motivation

145    Ayant dénoncé un défaut de motivation dans leur requête, les requérantes relèvent, dans leurs observations sur les mémoires en intervention, que la Commission aurait dû, à tout le moins, se renseigner sur les antécédents de la législation italienne actuellement en vigueur et, en cas d’incertitude quant à ses origines, demander des précisions aux autorités italiennes. Ne s’étant pas entourée des éléments nécessaires à son analyse, la Commission aurait adopté une décision illégale.

146    En réponse au moyen tiré d’une prétendue violation de l’obligation de motivation, prévue à l’article 253 CE, la Commission considère qu’il ressort clairement de la décision litigieuse que des aides ont été accordées aux sociétés du groupe Finmare, auxquelles les requérantes ont succédé, pour la première fois en 1974/1975. Cette affirmation suffirait à expliquer pourquoi la Commission n’a pas considéré que ces aides avaient été accordées avant l’entrée en vigueur du traité CE.

–       Sur le moyen tiré d’un détournement de pouvoir

147    Les requérantes invoquent un détournement de pouvoir en raison de l’absence de mesures d’instruction, mais n’avancent aucune argumentation spécifique à l’appui de ce moyen et ne précisent pas quelles mesures auraient dû être prises.

148    La Commission ne répond pas explicitement à ce moyen dans ses écritures.

–       Réponses des parties à la question écrite n° 2 du Tribunal

149    Les arguments exposés aux points 97 à 101 ci‑dessus, avancés par les parties dans leurs réponses à la question écrite n° 2 du Tribunal, sont pertinents dans le contexte de la troisième série de moyens, sauf dans la mesure où ces derniers sont tirés de la prétendue antériorité des mesures nationales établissant les OSP à l’entrée en vigueur du règlement n° 3577/92.

 Appréciation du Tribunal

150    Il y a lieu de rappeler d’abord que l’argumentation avancée par la Commission en réponse à la question écrite n° 2 du Tribunal doit être prise en compte en l’espèce, pour les raisons exposées aux points 102 et 103 ci-dessus.

151    En toute hypothèse, cette argumentation se situe dans le prolongement de celle qu’elle a fait valoir dans son mémoire en défense, en réponse au moyen tiré d’un prétendu défaut de motivation. Ainsi, pour les raisons exposées ci-dessus aux points 105 et 106, le Tribunal n’a pas offert à la Commission la possibilité de soulever un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, et n’a pas statué ultra petita, en tenant compte de la réponse de la Commission à la question écrite n° 2 dans les circonstances de l’espèce.

152    Il convient de juger ensuite que, pour les raisons déjà exposées aux points 108 et suivants ci-dessus, la simple référence faite par les autorités italiennes dans la lettre du 11 mai 1999, même réitérée lors de la réunion du 3 juin 1999, à divers échanges qu’elle aurait eus avec la Commission de 1991 à 1997, sans qu’aucun lien n’ait été établi entre les éléments fournis à l’occasion de ces échanges et l’éventuelle qualification d’aides existantes des mesures en cause, était insuffisante pour qu’il ait pu être reproché à la Commission, même par les requérantes qui n’étaient pas parties à la procédure administrative préliminaire, de ne pas avoir tenu compte de ces éléments pour apprécier le caractère nouveau ou existant des mesures en cause, préalablement à l’ouverture de la procédure d’enquête.

153    Dans ces conditions, les moyens relevant de la troisième série, y compris ceux tirés d’un défaut de motivation et d’un détournement de pouvoir, ne sauraient établir l’existence d’une illégalité entachant la décision attaquée et il y a lieu de les rejeter dans la mesure où ils sont fondés sur la prétendue antériorité des mesures nationales établissant les OSP à l’entrée en vigueur du traité CE.

154    Toutefois, il ressort du dossier en l’espèce, ainsi que l’a constaté la Cour dans l’affaire connexe C‑400/99, que, dès leur réponse à la première demande de renseignements de la Commission, les autorités italiennes ont avancé que les contrats de service public conclus avec les entreprises du groupe Tirrenia étaient couverts par l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, ce qui revenait en substance à soutenir que les financements découlant de ces contrats étaient légaux et qu’ils constituaient donc des aides existantes et non des aides nouvelles. Il s’ensuit que les moyens de la troisième série doivent être examinés pour autant qu’ils s’appuient sur le fait que la Commission aurait négligé de tenir compte des dispositions de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, en examinant les mesures en cause en tant qu’aides nouvelles et non comme des aides existantes.

155    Il y a lieu de relever à cet égard que, dans l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra (point 64 in fine), la Cour a interprété la décision litigieuse en ce sens que la Commission y a reconnu que, dans la limite du financement du surcoût des OSP, les mécanismes de financement des contrats en cause étaient couverts par l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 (voir également point 60 de l’arrêt). Il s’ensuit que, selon cette interprétation faite de la décision litigieuse par la Cour, l’obligation de suspension et l’ouverture de la procédure d’enquête portent exclusivement sur d’éventuelles aides dépassant ce qui est nécessaire pour assurer les OSP.

156    Par ailleurs cette interprétation est confirmée par une simple lecture de la décision litigieuse elle-même, qui contient notamment le passage suivant, cité également par la Cour dans l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra (point 60) :

« L’article 4, paragraphe 3, [du règlement n° 3577/92] autorise les contrats de service public existants à la date d’entrée en vigueur dudit règlement à rester en vigueur jusqu’à leur date d’expiration. Ces ‘clauses d’ancienneté’ doivent être interprétées de façon restrictive, puisqu’elles constituent une exception à la règle générale selon laquelle les contrats OSP doivent être ouverts à tous les opérateurs concernés de l’Union européenne. En conséquence, seules les aides nécessaires pour assurer l’offre de service public peuvent relever de ces clauses. »

157    À la lumière de ce passage, il y a lieu de constater, en effet, que l’ouverture de la procédure d’enquête n’a eu que la portée limitée décrite par la Cour dans son arrêt.

158    La Cour a également interprété l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, au point 64 de l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, en ce sens qu’il vise le maintien des contrats de service public conclus avec des compagnies de navigation participant à des services réguliers à destination ou en provenance d’îles ainsi qu’entre îles, existants au 1er janvier 1993, jusqu’à leur date d’expiration, sans limiter la portée de cette disposition à certains aspects desdits contrats. La Cour relève que les contrats de ce type contiennent par nature des dispositions financières nécessaires pour assurer les OSP qui y sont prévues et que les stipulations financières nécessaires pour assurer les OSP y figurant sont également couvertes par ledit article 4, paragraphe 3.

159    Il résulte ainsi de cette partie du raisonnement de la Cour que l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 devait, en principe, conduire la Commission à retenir, pour les mesures en cause en l’espèce, la qualification d’aides existantes au stade de la procédure où il convient de choisir entre cette qualification et celle d’aides nouvelles (points 62 à 64 de l’arrêt).

160    Toutefois, la Cour a ensuite jugé que d’éventuelles aides dépassant ce qui est nécessaire pour assurer les OSP, objet des contrats en cause, ne sauraient entrer dans le champ d’application de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, précisément parce qu’elles ne sont pas nécessaires à l’équilibre, et donc au maintien, de tels contrats. Elle a conclu que ces aides ne sauraient, sur le fondement de cette disposition, être considérées comme des aides existantes (point 65 de l’arrêt) et que la Commission a donc pu à bon droit traiter ces éventuelles aides comme des aides nouvelles (point 66 de l’arrêt).

161    Il résulte de ce qui précède que la Cour a qualifié les subventions en cause dans la présente affaire d’aides existantes, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 dans la mesure où elles ne sont pas couvertes par la décision litigieuse et d’aides nouvelles dans la mesure où elles sont couvertes par celle-ci. Ainsi, elle a constaté que la décision litigieuse était fondée en ce qui concerne la qualification des aides en cause de nouvelles ou d’existantes.

162    Dans la mesure où les questions de droit soulevées en l’espèce et dans l’affaire connexe C‑400/99 sont essentiellement les mêmes, il y a lieu de tenir compte de l’interprétation des éléments en question déjà faite par la Cour dans l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra. En particulier, la Cour ayant déjà interprété l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 dans l’affaire connexe C‑400/99, il y a lieu, en principe, d’appliquer cette interprétation dans la présente procédure.

163    Il appartient néanmoins au Tribunal, juge du fait, de vérifier si la solution retenue par la Cour est transposable au cas d’espèce au regard d’éventuelles différences de fait ou de droit (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 décembre 2001, Emesa Sugar/Conseil, T‑43/98, Rec. p. II‑3519, point 73). En cas de différences, il lui appartient de trancher la question de savoir si ces différences amènent à une solution différente de celle retenue par la Cour. En effet, les requérantes dans la présente procédure n’ont pas eu la possibilité de se faire entendre devant la Cour, l’intervention des particuliers devant cette juridiction dans un tel litige n’étant pas prévue (voir point 113 ci‑dessus) et il est donc essentiel que leurs allégations soient examinées dans le cadre de la présente procédure dans la mesure où elles diffèrent de celles présentées devant la Cour.

164    Toutefois, en l’absence de telles différences et face à la persistance d’une partie à se fonder sur des moyens identiques à ceux déjà rejetés par la Cour, il convient de les rejeter (arrêt du Tribunal du 31 mai 2006, Kuwait Petroleum/Commission, T‑354/99, Rec. p. II‑1475, point 39).

165    Il appartient dès lors au Tribunal de vérifier, au vu des arguments avancés à cet égard par les requérantes, s’il existe des différences entre la présente affaire et l’affaire connexe, C‑400/99, susceptibles de justifier l’adoption par le Tribunal d’une solution différente en l’espèce.

166    Les requérantes soulignent, dans leurs observations sur les mémoires en intervention, que, dans son arrêt Alzetta e.a./Commission, point 53 supra, le Tribunal a affirmé qu’un régime d’aides institué dans un marché initialement fermé à la concurrence devait être considéré, lors de la libéralisation de ce marché, comme un régime d’aides existant. Or, il convient de relever que si l’absence de libéralisation du secteur du cabotage maritime avant l’entrée en vigueur du règlement n° 3577/92 avait déjà pour conséquence que les aides en cause en l’espèce étaient des aides existantes, comme le font valoir les requérantes, l’examen effectué par la Cour dans l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, pour établir si l’article 4, paragraphe 3, du même règlement emportait la conséquence qu’elles étaient des aides existantes plutôt que des aides nouvelles, n’aurait pas eu de sens.

167    De plus, ainsi que cela a été relevé au point 160 ci-dessus, la Cour a conclu dans ce même arrêt que ces aides devaient être considérées comme des aides nouvelles dans la mesure où elles dépassaient ce qui était nécessaire pour compenser les OSP. Or, cette conclusion serait nécessairement erronée si les aides étaient en toute hypothèse des aides existantes du fait de l’absence de libéralisation du secteur du cabotage maritime. La position prise par la Cour dans l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, est donc incompatible avec la thèse des requérantes selon laquelle les aides en cause en l’espèce étaient des aides existantes avant l’entrée en vigueur du règlement n° 3577/92 du simple fait de l’absence de libéralisation du secteur du cabotage maritime.

168    Sur le plan factuel, il n’existe aucune différence pertinente entre les deux affaires. La décision attaquée est la même dans les deux affaires et, partant, la procédure administrative ayant précédé son adoption est évidemment la même également. De plus, les deux affaires concernent toutes deux les aides visant à compenser la mise en œuvre par les requérantes d’OSP, la portée de l’affaire C‑400/99 étant simplement plus large dans la mesure où elle concernait, en outre, le régime fiscal appliqué pour l’approvisionnement en carburant et en huile de graissage des navires des requérantes et le plan de restructuration industrielle du groupe Tirrenia. Enfin, les éléments de preuve produits par les parties en rapport avec la prise en compte par la Commission des effets juridiques de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 sont en substance les mêmes (voir point 112 ci‑dessus).

169    Sur le plan juridique, la disposition invoquée par les parties et examinée dans le présent contexte, à savoir l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92, est la même dans les deux affaires. Toutefois, les requérantes invoquent explicitement, par analogie, l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 53 supra, dans lequel le Tribunal a affirmé qu’un régime d’aides institué dans un marché initialement fermé à la concurrence devait être considéré, lors de la libéralisation de ce marché, comme un régime d’aides existant. Or, la Cour n’a pas explicitement examiné, dans l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, les effets de la libéralisation du marché en cause dans l’affaire C‑400/99.

170    En revanche, il y a lieu de relever que, selon la thèse des requérantes elles-mêmes, ce serait le règlement n° 3577/92 qui aurait libéralisé le marché du cabotage maritime, celui-ci étant fermé à la concurrence auparavant. Il s’ensuit que, au moment d’interpréter l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 de la manière décrite ci-dessus, il est inconcevable que la Cour n’ait pas pris en compte les autres dispositions de ce même règlement et ses effets, notamment en ce qui concerne l’impact sur le caractère existant ou nouveau des aides de la libéralisation des marchés en cause, de même que l’absence de libéralisation avant son entrée en vigueur. En conséquence, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le bien-fondé de l’allégation des requérantes fondée sur l’arrêt Alzetta e.a./Commission, point 53 supra, force est de constater que la solution dégagée dans cet arrêt ne saurait être transposée à la présente affaire.

171    Dans leurs observations sur l’arrêt du 10 mai 2005, point 13 supra, les requérantes soutiennent également que la présente affaire peut être distinguée de l’affaire C‑400/99 dans la mesure où le gouvernement italien a demandé l’annulation de la décision attaquée uniquement pour autant qu’elle concerne les mesures dont la Commission a évoqué la suspension dans la décision attaquée, à savoir uniquement « toute aide dépassant le supplément net de coûts lié à la fourniture des services d’intérêt économique général, conformément aux OSP fixées par les autorités italiennes en fonction de l’intérêt économique général » tandis que les requérantes demandent l’annulation intégrale de la décision attaquée en ce qui concerne les aides en question dans la présente affaire.

172    Il suffit de rappeler, en réponse à cet argument, que, conformément à ce qui a été jugé ci-dessus, aux points 155 à 157, la Commission a reconnu, dans la décision litigieuse que, dans la limite du financement du surcoût des OSP, les mécanismes de financement des contrats en cause étaient couverts par l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 et que l’ouverture de la procédure d’enquête portait exclusivement sur d’éventuelles aides dépassant ce qui était nécessaire pour assurer les OSP. Il s’ensuit que la différence de portée explicite des deux recours, soulignée par la requérante, est sans conséquences pratiques et juridiques dès lors que le gouvernement italien a demandé l’annulation de la décision attaquée dans une mesure qui correspond précisément à l’objet de celle-ci.

173    Compte tenu de ce qui précède, le recours introduit par les requérantes doit être rejeté comme étant dépourvu d’objet dans la mesure où sa portée est plus large que celle du recours introduit par le gouvernement italien dans l’affaire connexe C‑400/99. Pour le surplus, l’argumentation des requérantes fondée sur l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 3577/92 ne saurait justifier l’annulation de la décision attaquée dans la présente affaire.

174    Il s’ensuit que le présent moyen doit être rejeté et que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

175    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter les dépens de Navigazione Libera del Golfo, de Linee Lauro, de Traghetti Pozzuoli et d’Alilauro, celles‑ci ayant conclu en ce sens.

176    La Commission n’a pas conclu sur les dépens dans son mémoire en défense, mais l’a fait dans son mémoire en duplique. Or, conformément à une jurisprudence bien établie, le fait que la partie qui a eu gain de cause n’a pas conclu sur les dépens dès son premier mémoire ne s’oppose pas à ce que sa demande ultérieure sur les dépens soit accueillie (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 mars 1979, NTN Toyo Bearing e.a./Conseil, 113/77, Rec. p. 1185, et conclusions de l’avocat général M. Warner sous cet arrêt, Rec. p. 1212, notamment p. 1274, ainsi que les arrêts du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T‑64/89, Rec. p. II‑367, point 79, et du 17 mars 1993, Moat/Commission, T‑13/92, Rec. p. II‑287, point 50). Dès lors, il y a lieu de faire droit en l’espèce à la demande de la Commission tendant à ce que la requérante soit condamnée aux dépens. En revanche, l’intervenante Aliscafi SNAV n’a pas conclu à ce que les requérantes soient condamnées aux dépens. Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supportera ses propres dépens. En l’espèce, Aliscafi SNAV supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les requérantes sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission et par les intervenantes Navigazione Libera del Golfo SpA, Linee Lauro Srl, Traghetti Pozzuoli Srl et Alilauro SpA.

3)      L’intervenante Aliscafi Società Navigazione Alta Velocità (Aliscafi SNAV) SpA supportera ses propres dépens.

Pirrung

Forwood

Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 juin 2007.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      J. Pirrung


Table des matières


Faits et procédure

Conclusions des parties

En droit

1.  Sur la recevabilité

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

2.  Sur le fond

Observations liminaires des parties

Sur la première série de moyens, tirés de la méconnaissance de l’autonomie des autorités italiennes quant à la définition du contenu des OSP

Sur la deuxième série de moyens, tirés de la méconnaissance de la notification des aides en cause à la Commission et de son autorisation explicite ou implicite desdites aides

Arguments des parties

–  Sur le moyen tiré de la violation de l’article 88, paragraphe 2, CE combiné avec l’article 1er, sous b), et l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 659/1999

–  Sur le moyen tiré d’un détournement de pouvoir

–  Sur le moyen tiré d’un défaut de motivation

–  Réponses des parties à la question écrite n° 2 du Tribunal

Appréciation du Tribunal

Sur la troisième série de moyens, tirés de l’antériorité des éléments essentiels des OSP et des compensations s’y rapportant à l’entrée en application du traité CE dans le secteur du transport maritime

Arguments des parties

–  Sur les griefs tirés de la prétendue antériorité des mesures nationales établissant les OSP à l’entrée en vigueur du traité CE

–  Sur les griefs tirés de la prétendue antériorité des mesures nationales établissant les OSP à l’entrée en vigueur du règlement n° 3577/92

–  Sur le moyen tiré d’un défaut de motivation

–  Sur le moyen tiré d’un détournement de pouvoir

–  Réponses des parties à la question écrite n° 2 du Tribunal

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’italien.