Language of document : ECLI:EU:T:2008:577

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

16 décembre 2008 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire figurative DEITECH – Marques nationale et internationale figuratives antérieures DEI-tex – Motif relatif de refus – Usage sérieux de la marque antérieure – Article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 40/94 »

Dans l’affaire T‑86/07,

Heinrich Deichmann-Schuhe GmbH & Co. KG, établie à Essen (Allemagne), représentée initialement par MO. Rauscher, puis par Mes Rauscher et A. Schulz, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. R. Pethke, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été

Design for Woman SA, établie à Bogotá (Colombie),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’OHMI du 22 janvier 2007 (affaire R 791/2006‑2), relative à une procédure d’opposition entre Heinrich Deichmann-Schuhe GmbH & Co. KG et Design for Woman SA,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, M. F. Dehousse (rapporteur) et Mme I. Wiszniewska-Białecka, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 21 mars 2007,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 5 juillet 2007,

à la suite de l’audience du 20 mai 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 2 octobre 2003, Design for Woman SA a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié.

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est la marque figurative suivante :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement de la marque a été demandé relèvent des classes 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 18 : « Cuir et imitations du cuir, produits en ces matières non compris dans d’autres classes ; peaux d’animaux ; malles et valises ; parapluies, parasols et cannes ; fouets et sellerie » ;

–        classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie ».

4        Cette demande a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 26/2004, du 28 juin 2004.

5        Le 12 juillet 2004, la requérante, Heinrich Deichmann-Schuhe GmbH & Co. KG a formé une opposition, au titre de l’article 42 du règlement n° 40/94, à l’encontre de l’enregistrement de la marque demandée pour les produits compris dans la classe 25.

6        À l’appui de son opposition, la requérante invoquait un risque de confusion, visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, entre la marque demandée et les marques nationale et internationale figuratives, représentées comme suit :

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7        Les marques DEI-tex étaient enregistrées pour les produits « Vêtements, chaussures, chapellerie », relevant de la classe 25, et faisaient l’objet, d’une part, de l’enregistrement allemand n° 39722945, du 15 juillet 1997, et, d’autre part, de l’enregistrement international n° 684387, du 18 octobre 1997, avec effet en Autriche, au Royaume-Uni et dans les pays du Benelux.

8        Sur requête du 12 avril 2005 de la demanderesse de la marque communautaire, la requérante a été invitée, le 18 avril 2005, par l’OHMI à rapporter la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures, au sens de l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94, dans un délai expirant le 19 juin 2005.

9        Le 8 juin 2005, la requérante a produit un mémoire dans lequel elle a notamment indiqué qu’elle était l’une des principales entreprises de distribution au détail de chaussures et de produits liés sur le marché et qu’elle distribuait ses marchandises exclusivement par l’intermédiaire de ses propres magasins ou par internet. Elle a également produit un échantillonnage de six brochures publicitaires (trois brochures allemandes, datant d’octobre 2000, de novembre 2001 et d’octobre 2003, et trois brochures autrichiennes, datant de novembre 1999, d’octobre 2000 et de novembre 2003), ainsi que deux déclarations faites sous serment par les collaborateurs responsables des ventes en Allemagne et en Autriche, attestant l’utilisation de la marque DEI-tex dans ces deux États, le montant des ventes de chaussures portant la marque DEI‑tex au cours de la période allant de 2000 à 2004, ainsi que les chiffres d’affaires réalisés entre 2001 et 2005.

10      Par décision du 23 mai 2006, la division d’opposition a rejeté l’opposition. Elle a, tout d’abord, considéré que l’existence de l’enregistrement allemand n’était pas démontrée et a donc examiné l’opposition au regard du seul enregistrement international. Elle a ensuite considéré que les preuves de l’usage de la marque n’étaient pas suffisantes concernant l’Autriche et qu’aucune preuve n’avait été fournie concernant l’usage de la marque au Royaume-Uni et dans les pays du Benelux. Elle a enfin estimé que, même si la preuve d’un usage sérieux avait été fournie, l’opposition devait être rejetée compte tenu de l’absence de risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

11      Le 9 juin 2006, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 57 à 62 du règlement n° 40/94, contre la décision de la division d’opposition.

12      Par décision du 22 janvier 2007 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours.

13      Elle a, tout d’abord, estimé que la preuve de l’enregistrement allemand avait été rapportée et a annulé la décision de la division d’opposition à cet égard.

14      Elle a ensuite considéré, en substance, que les éléments de preuve fournis n’étaient pas suffisants pour démontrer l’usage sérieux des marques antérieures. D’une part, elle a relevé qu’aucune preuve de l’usage de la marque internationale au Royaume-Uni et dans les pays du Benelux n’avait été présentée. D’autre part, concernant la marque allemande et la marque internationale avec effet en Autriche, elle a considéré que le contenu des attestations, même faites sous serment ou solennellement, devait être corroboré par des factures ou d’autres pièces justificatives indépendantes et extérieures à la partie concernée et que les brochures présentées en l’espèce ne pouvaient pas être considérées comme telles. En effet, elle a estimé que ces brochures rendaient probable ou crédible la commercialisation, ou au moins l’offre à la vente sur les territoires pertinents, des produits protégés par les marques antérieures, mais qu’elles ne prouvaient pas leur distribution à une clientèle potentielle en Allemagne ou en Autriche, ni l’étendue de la distribution, ni même le nombre de ventes réalisées pour les produits protégés par les marques.

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        rejeter la demande d’enregistrement de la marque DEITECH pour l’ensemble des produits relevant de la classe 25 ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

16      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions de la requérante

17      Par son deuxième chef de conclusions, la requérante demande au Tribunal de rejeter la demande d’enregistrement de la marque communautaire DEITECH pour tous les produits relevant de la classe 25.

18      Dans la mesure où cette demande doit être comprise en ce sens que la requérante demande au Tribunal d’enjoindre à l’OHMI de refuser l’enregistrement de la marque demandée, il convient de rappeler que, conformément à l’article 63, paragraphe 6, du règlement n° 40/94, l’OHMI est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du juge communautaire. Dès lors, il n’appartient pas au Tribunal d’adresser une injonction à l’OHMI. Il incombe, en effet, à ce dernier de tirer les conséquences du dispositif et des motifs des arrêts du Tribunal [arrêts du Tribunal du 31 janvier 2001, Mitsubishi HiTec Paper Bielefeld/OHMI (Giroform), T‑331/99, Rec. p. II‑433, point 33, et du 21 avril 2005, Ampafrance/OHMI – Johnson & Johnson (monBeBé), T‑164/03, Rec. p. II‑1401, point 24].

19      Il en résulte que cette demande est irrecevable.

 Sur le fond

20      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens. Par son premier moyen, elle soutient avoir rapporté la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures, conformément à l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94. Par son second moyen, elle allègue l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 entre la marque demandée et les marques antérieures.

 Arguments des parties

21      À l’appui de son premier moyen, la requérante, après un rappel des principes applicables en la matière, soutient avoir démontré l’existence d’un usage sérieux et effectif des marques DEI-tex sur les marchés allemand et autrichien.

22      S’agissant des déclarations faites sous serment par ses collaborateurs, la requérante souligne qu’elles ont force probante, même si celle-ci est réduite.

23      Elle fait valoir que les brochures produites en l’espèce constituent des moyens de preuve qui étayent les déclarations faites sous serment.

24      Premièrement, le lieu d’usage résulterait de la répartition territoriale des points de vente de la requérante (plus de 1 000 filiales en Allemagne) et du fait que les brochures publicitaires seraient destinées à l’ensemble du marché national. En ce qui concerne l’Autriche, la requérante souligne que certaines de ses filiales figurent sur la dernière page des brochures des années 2000 et 2003 et que l’ouverture de deux nouvelles filiales à Vienne est mentionnée sur la première page de la brochure de 2003. Elle ajoute que l’usage de la langue allemande dans les brochures et la mention des prix en marks allemands ou en schillings autrichiens font en outre référence, de manière générale, à l’Allemagne ou à l’Autriche.

25      Deuxièmement, la durée de l’usage résulte, selon la requérante, des déclarations faites sous serment et des dates de publication imprimées sur les brochures, qui se situent durant la période de cinq ans pertinente. Elle rappelle sur ce point que l’usage continu n’est pas requis.

26      Troisièmement, la nature de l’usage résulterait de la reproduction des chaussures portant la marque DEI-tex sur les brochures et du fait que la marque serait également reproduite sur la brochure.

27      Quatrièmement, la requérante soutient que l’importance de l’usage peut être déduite des indications relatives aux montants des ventes et aux chiffres d’affaires contenues dans les déclarations faites sous serment. Ces données seraient étayées par la multitude de modèles de chaussures portant la marque DEI-tex figurant sur les brochures, par le nombre de points de vente supérieur à la moyenne, quinze filiales à Vienne étant notamment mentionnées, par la distribution des brochures publicitaires sur l’ensemble du territoire allemand durant au moins trois années et par la possibilité de commande en ligne.

28      Enfin, la requérante souligne qu’elle ne dispose pas d’autres moyens de preuve probants et recevables, dans la mesure où les marchandises portant sa marque sont distribuées directement aux consommateurs finals et exclusivement par son groupe, dans ses propres points de vente. Elle se présente donc comme n’étant pas un fabricant « normal » qui fournit le commerce en gros et le commerce de détail et qui établit par exemple des factures et des bons de livraison, mais comme étant à la fois le fabricant et le détaillant. En raison de cette structure d’entreprise, elle indique ne pas être en mesure de présenter des moyens de preuve tels que des factures à des détaillants portant sur de grandes quantités de chaussures portant la marque DEI-tex. La requérante soutient, en outre, que le fait d’exiger d’elle la production des tickets de caisse, qui par ailleurs ne mentionnent pas la marque des marchandises, irait bien au-delà des exigences de preuve en la matière.

29      L’OHMI soutient que la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures n’a pas été rapportée en l’espèce.

30      S’agissant plus particulièrement des déclarations solennelles, l’OHMI rappelle qu’elles constituent des éléments de preuve recevables, même si elles émanent du personnel de la partie concernée. L’OHMI a également admis, lors de l’audience, que les chiffres d’affaires évoqués auraient suffi pour indiquer le volume de l’utilisation s’ils avaient été suffisamment étayés. Toutefois, l’OHMI fait valoir que, si la déclaration solennelle concernant les articles commercialisés émane de la requérante elle-même, il faut, pour en apprécier la valeur probante, vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue. L’OHMI ajoute que les indications contenues dans la déclaration solennelle d’une partie concernée doivent être corroborées par des documents complémentaires, qui sont susceptibles de confirmer lesdites indications.

31      L’OHMI estime donc que c’est à juste titre que la chambre de recours a conclu que la déclaration solennelle n’était pas suffisante, à elle seule, pour prouver l’usage sérieux des marques antérieures. L’OHMI relève que la chambre de recours a estimé que les brochures publicitaires ne suffisaient pas pour corroborer la déclaration, dans la mesure où elles n’avaient pas été réalisées indépendamment de la partie concernée et où elles ne fournissaient pas de preuve de leur distribution effective au public et de l’étendue de celle-ci en Allemagne ou en Autriche, pas plus que du montant des ventes opérées. L’existence des brochures aurait permis uniquement de conclure qu’une vente ou, en tout cas, l’offre de tels produits était probable et crédible.

32      L’OHMI constate ainsi que la chambre de recours a, à juste titre, considéré que ces brochures n’étaient pas de nature à étayer les indications contenues dans la déclaration solennelle concernant les chiffres d’affaires ou le nombre de points de vente propres à l’entreprise et qu’elle n’a donc pas commis d’erreur de droit en l’espèce.

 Appréciation du Tribunal

33      Il résulte du neuvième considérant du règlement nº 40/94 que le législateur a considéré que la protection de la marque antérieure n’est justifiée que dans la mesure où celle-ci est effectivement utilisée. En conformité avec ce considérant, l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 prévoit que le demandeur d’une marque communautaire peut requérir la preuve que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux sur le territoire sur lequel elle est protégée au cours des cinq années qui précèdent la publication de la demande de marque ayant fait l’objet d’une opposition [arrêts du Tribunal du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison (HIWATT), T‑39/01, Rec. p. II‑5233, point 34, et du 30 avril 2008, Rykiel création et diffusion de modèles/OHMI – Cuadrado (SONIA SONIA RYKIEL), T‑131/06, non publié au Recueil, point 35].

34      En vertu de la règle 22, paragraphe 2 (devenu paragraphe 3), du règlement (CE) nº 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), la preuve de l’usage doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure.

35      Dans l’interprétation de la notion d’usage sérieux, il convient de prendre en compte le fait que la ratio legis de l’exigence selon laquelle la marque antérieure doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être opposable à une demande de marque communautaire consiste à limiter des conflits entre deux marques, pour autant qu’il n’existe pas de juste motif économique découlant d’une fonction effective de la marque sur le marché [arrêt du Tribunal du 12 mars 2003, Goulbourn/OHMI – Redcats (Silk Cocoon), T‑174/01, Rec. p. II‑789, point 38]. En revanche, ladite disposition ne vise ni à évaluer la réussite commerciale ni à contrôler la stratégie économique d’une entreprise pas plus qu’à réserver la protection des marques à leurs seules exploitations commerciales quantitativement importantes [arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, MFE Marienfelde/OHMI – Vétoquinol (HIPOVITON), T‑334/01, Rec. p. II‑2787, point 32].

36      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par l’enregistrement (voir arrêt de la Cour du 13 septembre 2007, Il Ponte Finanziaria/OHMI, C‑234/06 P, Rec. p. I‑7333, point 72, et la jurisprudence citée). À cet égard, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle qu’elle est protégée sur le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur (arrêt Silk Cocoon, point 35 supra, point 39).

37      L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (arrêt Il Ponte Finanziaria/OHMI, point 36 supra, point 72 ; arrêt HIPOVITON, point 35 supra, point 34 ; et voir, par analogie, arrêt de la Cour du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, Rec. p. I‑2439, point 43).

38      Quant à l’importance de l’usage qui a été fait de la marque antérieure, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que de la fréquence de ces actes, d’autre part [arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, Rec. p. II‑2811, point 41, et du 8 novembre 2007, Charlott/OHMI – Charlo (Charlott France Entre Luxe et Tradition), T‑169/06, non publié au Recueil, point 36].

39      La question de savoir si un usage est quantitativement suffisant pour maintenir ou créer des parts de marché pour les produits ou les services protégés par la marque dépend ainsi de plusieurs facteurs et d’une appréciation cas par cas. Les caractéristiques de ces produits ou de ces services, la fréquence ou la régularité de l’usage de la marque, le fait que la marque est utilisée pour commercialiser l’ensemble des produits ou des services identiques de l’entreprise titulaire ou simplement certains d’entre eux, ou encore les preuves relatives à l’usage de la marque que le titulaire est à même de fournir, sont au nombre des facteurs qui peuvent être pris en considération (arrêt de la Cour du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, Rec. p. I‑4237, point 71 ; voir également, par analogie, ordonnance de la Cour du 27 janvier 2004, La Mer Technology, C‑259/02, Rec. p. I‑1159, point 22).

40      Pour examiner le caractère sérieux de l’usage d’une marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (arrêt HIPOVITON, point 35 supra, point 36).

41      Par ailleurs, le Tribunal a précisé que l’usage sérieux d’une marque ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné (arrêt HIWATT, point 33 supra, point 47).

42      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier si c’est à juste titre que la chambre de recours a estimé que la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures n’avait pas été rapportée en l’espèce.

43      À titre liminaire, il convient de rappeler que la demande de marque communautaire ayant été publiée le 28 juin 2004, la période de cinq années visée à l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 s’étend du 28 juin 1999 au 27 juin 2004 (ci-après la « période pertinente »).

44      Aux fins de démontrer l’usage sérieux des marques antérieures, la requérante a produit deux déclarations, faites sous serment, émanant de ses collaborateurs responsables des ventes en Allemagne et en Autriche, attestant l’utilisation de la marque DEI-tex en Allemagne et en Autriche.

45      La requérante a également produit la copie de six brochures publicitaires (trois brochures allemandes datant d’octobre 2000, de novembre 2001 et d’octobre 2003 et trois brochures autrichiennes datant de novembre 1999, d’octobre 2000 et de novembre 2003).

46      S’agissant des déclarations solennelles, le Tribunal rappelle que la règle 22 du règlement n° 2868/95, relative aux pièces justificatives pouvant être produites aux fins de prouver l’usage de la marque, évoque notamment les déclarations écrites faites sous serment ou solennellement, visées à l’article 76, paragraphe 1, sous f), du règlement n° 40/94. En outre, ainsi que le reconnaît la jurisprudence relative à ces dispositions, des déclarations sous serment ayant un caractère probant en vertu de la législation nationale constituent, en principe, des moyens de preuve recevables dans le cadre de la procédure d’opposition [arrêts du Tribunal du 7 juin 2005, Lidl Stiftung/OHMI – REWE-Zentral (Salvita), T‑303/03, Rec. p. II‑1917, points 40 et 41, et du 14 décembre 2006, Gagliardi/OHMI – Norma Lebensmittelfilialbetrieb (MANŪ MANU MANU), T‑392/04, non publié au Recueil, point 88]. La recevabilité de ces déclarations solennelles comme éléments de preuve n’a d’ailleurs pas été contestée par l’OHMI en l’espèce.

47      Ensuite, il y a lieu de rappeler que, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut en premier lieu vérifier la vraisemblance et la véracité de l’information qui y est contenue. À cet égard, il faut tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [arrêt du Tribunal du 15 décembre 2005, BIC/OHMI (Forme d’un briquet à pierre), T‑262/04, Rec. p. II‑5959, point 78].

48      En l’espèce, les déclarations ont été établies par les collaborateurs de la requérante, responsables des ventes en Allemagne et en Autriche, pour démontrer l’usage sérieux des marques antérieures lors de la procédure devant l’OHMI. Elles mentionnent que la marque DEI-tex apparaît à la fois sur les chaussures et sur les emballages. Elles attestent également le montant des ventes réalisées en ce qui concerne les chaussures portant la marque DEI-tex pour les années allant de 2000 à 2004 (soit 1 950 000 paires de chaussures pour l’Allemagne et 170 000 paires pour l’Autriche) et les chiffres d’affaires réalisés pour chacune des années allant de 2001 à 2005.

49      Il ressort des déclarations solennelles produites qu’elles contiennent des indications sur l’usage des marques antérieures, relatives au lieu (Allemagne et Autriche), à la durée (montant des ventes réalisées pour les années allant de 2000 à 2004 et chiffres d’affaires pour les années allant de 2001 à 2005), à la nature du produit désigné (chaussures portant la marque DEI-tex) et à l’importance de l’usage (chiffres d’affaires par année concernant les chaussures en cause). Elles ne portent pas sur les autres produits (« vêtements et chapellerie ») visés par les marques antérieures et ne concernent que les « chaussures ».

50      En outre, ces déclarations, qui constituent des indices nécessitant d’être corroborés par d’autres éléments (voir, en ce sens, arrêts Salvita, point 46 supra, points 43 à 45, et Forme d’un briquet à pierre, point 47 supra, point 79), sont confortées par les brochures produites par la requérante, lesquelles contiennent également des indications sur l’usage des marques antérieures.

51      En effet, premièrement, s’agissant du lieu, les brochures sont rédigées en langue allemande, le prix des chaussures est indiqué en marks allemands et en shillings autrichiens et, s’agissant du prospectus destiné à l’Autriche, il y est fait mention des filiales de la requérante à Vienne.

52      Deuxièmement, s’agissant de la durée de l’usage, il convient de rappeler que tombent sous le coup des sanctions prévues par l’article 15, paragraphe 1, du règlement nº 40/94 les seules marques dont l’usage sérieux a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans. Partant, il suffit qu’une marque ait fait l’objet d’un usage sérieux pendant une partie de cette période pour qu’elle échappe auxdites sanctions (arrêt Charlott France Entre Luxe et Tradition, point 38 supra, point 41). En l’espèce, la période pertinente s’étend du 28 juin 1999 au 27 juin 2004 (voir point 43 ci-dessus). Or, les brochures destinées à l’Allemagne portent l’indication des mois d’octobre 2000, de novembre 2001 et d’octobre 2003 et celles destinées à l’Autriche portent l’indication des mois de novembre 1999, d’octobre 2000 et de novembre 2003. Les déclarations solennelles attestent, quant à elles, des volumes de ventes de chaussures pendant les années allant de 2000 à 2005. Dès lors, l’usage des marques antérieures pendant une partie au moins de la période pertinente a été démontré.

53      Troisièmement, s’agissant de la nature du produit, les copies des brochures publicitaires contiennent notamment des photographies de chaussures portant la marque DEI-tex.

54      Les brochures, qui ne portent pas sur les autres produits (« vêtements et chapellerie ») visés par les marques antérieures, constituent donc des pièces justificatives suffisamment concrètes et objectives, de nature à corroborer les déclarations solennelles produites en l’espèce, à tout le moins en ce qui concerne le lieu de l’usage, sa durée ainsi que la nature du produit pour lequel les marques antérieures ont été utilisées, à savoir les chaussures.

55      Quatrièmement, s’agissant de l’importance de l’usage, force est de constater que les brochures ne peuvent être considérées comme venant corroborer de façon suffisante les déclarations solennelles. En effet, la requérante ne démontre pas la distribution de ces brochures et les éléments qu’elle invoque, concernant notamment le nombre de modèles de chaussures portant la marque DEI‑tex, le nombre de points de vente ou la possibilité de commande en ligne (voir point 27 ci-dessus), ne peuvent pas être considérés comme démontrant la commercialisation des chaussures sur les marchés allemand et autrichien.

56      Toutefois, le Tribunal considère que, dans le cas d’espèce, les déclarations solennelles revêtent à cet égard une force probante suffisante.

57      En effet, tout d’abord, ces déclarations contiennent des indications précises quant aux volumes de vente de chaussures revêtues de la marque DEI-tex et quant aux chiffres d’affaires réalisés au titre de ces ventes. En outre, le contenu de ces déclarations n’a pas été contesté. Lors de l’audience, l’OHMI a indiqué accepter les informations qui y sont contenues. Dès lors, il n’y a pas lieu de remettre en cause le contenu des déclarations solennelles émanant des responsables des ventes de la requérante.

58      Ensuite, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée (point 40 ci-dessus), pour examiner le caractère sérieux de l’usage d’une marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. En outre, la question de savoir si un usage est quantitativement suffisant pour maintenir ou créer des parts de marché pour les produits ou les services protégés par la marque dépend de plusieurs facteurs et d’une appréciation cas par cas et les preuves relatives à l’usage de la marque que le titulaire est à même de fournir sont au nombre des facteurs qui peuvent être pris en considération (arrêt Sunrider/OHMI, point 39 supra, point 71 ; voir également, par analogie, ordonnance La Mer Technology, point 39 supra, point 22).

59      Or, en l’espèce, la requérante invoque l’impossibilité de produire d’autres documents probants, tels que des factures, des bons de livraison à des détaillants ou des tickets de caisse mentionnant la marque en cause. En effet, comme elle l’a invoqué dans ses écritures et précisé lors de l’audience, la requérante distribue les chaussures aux consommateurs par le biais de ses propres filiales et les documents contractuels, échangés tant avec ses fournisseurs qu’avec les consommateurs, ne comportent pas la mention de la marque des chaussures concernées. Cela rend impossible la production de factures mentionnant la marque en cause.

60      Le Tribunal considère que ces difficultés à produire d’autres éléments probants, invoquées par la requérante, sont plausibles compte tenu de son mode de distribution spécifique et doivent être prises en compte en l’espèce.

61      Dès lors, au vu de la conjonction de ces circonstances particulières, les déclarations solennelles doivent être considérées comme des preuves tant appropriées que suffisantes quant à l’importance de l’usage des marques antérieures.

62      En effet, compte tenu du mode de distribution spécifique de la requérante, une conclusion différente aboutirait à dénier toute valeur probante à ces déclarations solennelles.

63      Il s’ensuit que, compte tenu de ce contexte, la preuve de l’importance de l’usage qui a été fait des marques antérieures doit être considérée comme établie en l’espèce pour ce qui concerne les chaussures, quand bien même elle ne résulte que des déclarations solennelles produites par la requérante.

64      Dès lors, l’ensemble des éléments fournis par la requérante, qui ne portent sur aucun des autres produits (« vêtements et chapellerie ») visés par les marques antérieures, démontre que, conformément à la jurisprudence citée (point 36 ci-dessus), l’usage des marques antérieures ne revêt pas, en l’espèce, un caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par les marques. La requérante a donc démontré, à suffisance de droit, le caractère sérieux de l’usage des marques antérieures en ce qui concerne les chaussures.

65      Il s’ensuit que c’est à tort que la chambre de recours a décidé que la preuve de cet usage sérieux n’était pas rapportée pour les chaussures.

66      En conséquence, il y a lieu d’accueillir le premier moyen de la requérante et d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle retient que la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures n’a pas été établie en ce qui concerne les chaussures. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’examiner l’autre moyen de la requérante, tiré du risque de confusion, qu’il appartient à l’OHMI d’apprécier.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

68      L’OHMI ayant succombé, dans la mesure où la décision de la chambre de recours est partiellement annulée, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 22 janvier 2007 (affaire R 791/2006‑2) est partiellement annulée en ce qu’elle retient que la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures n’a pas été établie en ce qui concerne les « chaussures », relevant de la classe 25, visées par la demande de marque communautaire.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’OHMI est condamné aux dépens.

Tiili

Dehousse

Wiszniewska-Białecka

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 décembre 2008.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.