Language of document : ECLI:EU:T:2005:220

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

15 juin 2005 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché des graphites spéciaux – Fixation des prix – Imputabilité – Calcul du montant des amendes – Cumul de sanctions – Obligation de motivation – Droits de la défense – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Applicabilité – Gravité et durée de l’infraction – Circonstances atténuantes – Circonstances aggravantes – Capacité contributive – Coopération durant la procédure administrative – Modalités de paiement »

Dans les affaires jointes T-71/03, T-74/03, T-87/03 et T-91/03,

Tokai Carbon Co. Ltd, établie à Tokyo (Japon), représentée par Mes G. van Gerven et T. Franchoo, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

Intech EDM BV, établie à Lomm (Pays-Bas), représentée par Mes M. Karl et C. Steinle, avocats,

Intech EDM AG, établie à Losone (Suisse), représentée par Mes M. Karl et C. Steinle, avocats,

SGL Carbon AG, établie à Wiesbaden (Allemagne), représentée par Mes M. Klusmann et P. Niggemann, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. W. Mölls, P. Hellström, F. Castillo de la Torre et S. Rating, en qualité d’agents, assistés, dans les affaires T-74/03 et T-87/03, de Me H.‑J. Freund, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet des demandes d’annulation totale ou partielle de la décision C(2002) 5083 final de la Commission, du 17 décembre 2002, concernant une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-2/37.667 – Graphites spéciaux),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij et N. J. Forwood, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 septembre 2004,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine des litiges

1        Par la décision C(2002) 5083 final, du 17 décembre 2002, concernant une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-2/37.667 – Graphites spéciaux, ci-après la « Décision »), la Commission a constaté la participation de diverses entreprises à une série d’accords et de pratiques concertées, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), dans le secteur des graphites spéciaux, et ce pendant la période allant de juillet 1993 à février 1998.

2        Les termes « graphites spéciaux », au sens de la Décision, décrivent un groupe de graphites, autres que les électrodes de graphite pour la sidérurgie, destinés à diverses applications, à savoir le graphite isostatique, le graphite extrudé et le graphite moulé.

3        Le graphite isostatique possède des caractéristiques mécaniques supérieures à celles du graphite extrudé et du graphite moulé, les prix de chaque catégorie variant en fonction de ces caractéristiques mécaniques. On le retrouve, notamment, sous forme d’électrodes pour les machines d’électroérosion utilisées pour la fabrication de moules métalliques dans les secteurs de l’automobile et de l’électronique. D’autres applications du graphite isostatique sont les matrices pour la coulée continue de métaux non ferreux, tels que le cuivre et les alliages de cuivre.

4        L’écart entre le coût de production du graphite isostatique et celui du graphite extrudé ou moulé est d’au moins 20 %. En général, le graphite extrudé est le produit le meilleur marché, et il est donc choisi s’il répond aux exigences d’utilisation. S’agissant des produits extrudés, ils sont utilisés pour une vaste gamme d’applications industrielles, principalement dans l’industrie sidérurgique, l’industrie de l’aluminium, l’industrie chimique et la métallurgie.

5        Le graphite moulé n’est généralement choisi que pour des applications nécessitant des tailles plus grandes, parce que ses propriétés sont normalement inférieures à celles des qualités extrudées.

6        En général, les produits en graphite spécial sont livrés aux clients soit directement, à partir des sites de production, sous forme de produits finis usinés, soit par l’intermédiaire d’ateliers d’usinage. Ces ateliers achètent du graphite non usiné en blocs ou en barres, l’usinent, c’est-à-dire l’adaptent aux besoins du client, et revendent les produits usinés au client final.

7        La Décision concerne deux ententes distinctes, l’une ayant couvert le marché du graphite spécial isostatique et l’autre celui du graphite spécial extrudé, aucune preuve d’une infraction relative au graphite moulé n’ayant été trouvée. Ces ententes ont porté sur des produits très spécifiques, à savoir des graphites sous forme de blocs entiers et découpés, à l’exclusion des produits usinés, c’est-à-dire fabriqués « sur mesure » pour le client.

8        Les principaux producteurs de graphites spéciaux du monde occidental sont des sociétés multinationales. Les ventes de graphites spéciaux au niveau mondial représentaient en 2000 environ 900 millions d’euros, dont environ 500 millions d’euros pour le graphite isostatique et 300 millions d’euros pour le graphite extrudé. Dans l’ensemble Communauté/EEE, la valeur des ventes en 2000 était de 100 millions à 120 millions d’euros pour les produits isostatiques et de 60 millions à 70 millions d’euros pour les produits extrudés. Les produits non usinés représentaient quelque 35 millions à 50 millions d’euros sur le marché du graphite isostatique et environ 30 millions d’euros sur le marché du graphite extrudé.

9        À la date d’adoption de la Décision, les plus importants producteurs de graphite isostatique dans l’ensemble Communauté/EEE étaient la société allemande SGL Carbon AG (ci-après « SGL ») et la société française Le Carbone-Lorraine SA (ci‑après « LCL »). La société japonaise Toyo Tanso Co. Ltd (ci-après « TT ») occupait la troisième place, suivie par d’autres sociétés japonaises, à savoir Tokai Carbon Co. Ltd (ci-après « Tokai »), Ibiden Co. Ltd (ci-après « Ibiden »), Nippon Steel Chemical Co. Ltd (ci après « NSC ») et NSCC Techno Carbon Co. Ltd (ci‑après « NSCC »), ainsi que la société américaine UCAR International Inc. (ci‑après « UCAR »), devenue GrafTech International Ltd.

10      Outre ces producteurs, la société de droit néerlandais Intech EDM BV et sa filiale de droit suisse Intech EDM AG (ci-après parfois dénommées globalement « Intech ») étaient actives dans le secteur du graphite isostatique. Intech ne possédait pas d’installations de production. En vertu d’un contrat de coopération, Intech était le partenaire commercial du producteur japonais Ibiden dans plusieurs pays européens où elle avait l’exclusivité de la vente des produits de graphite synthétique d’Ibiden destinés à l’usinage par électroérosion. Intech pouvait aussi vendre ces produits à titre non exclusif sous sa propre marque dans d’autres pays d’Europe.

11      Les principaux opérateurs sur le marché mondial du graphite extrudé étaient UCAR (40 %) et SGL (30 %). Sur le marché européen, ils ont représenté les deux tiers des ventes. Les producteurs japonais ont détenu ensemble environ 10 % du marché mondial et 5 % du marché communautaire. La part des ventes de produits extrudés sous forme de blocs entiers ou découpés (produits non usinés) a été de 20 à 30 % pour UCAR et de 40 à 50 % pour SGL.

12      À partir de juin 1997, la Commission a enquêté sur le marché des électrodes de graphite, cette enquête ayant abouti à la décision du 18 juillet 2001 relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE − Affaire COMP/E-1/36.490 − Électrodes de graphite (JO 2002, L 100, p. 1). Au cours de cette enquête, UCAR a pris contact avec la Commission, en 1999, afin de lui soumettre une demande au titre de la communication concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »). Cette demande portait sur une allégation de pratiques anticoncurrentielles sur les marchés du graphite isostatique et du graphite extrudé.

13      Sur la base des documents remis par UCAR, la Commission a adressé, en mars 2000, des demandes d’information, au titre de l’article 11 du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), à SGL, à Intech, à Ibiden, à Tokai et à TT, en leur demandant des explications détaillées sur les contacts qu’elles avaient eus avec leurs concurrents. Ces entreprises ont pris contact avec la Commission pour exprimer leur intention de coopérer avec elle lors de ses vérifications.

14      Aux États-Unis, des poursuites pénales ont été engagées en mars 2000 et en février 2001 contre une filiale de LCL et une filiale de TT pour avoir participé à une entente illicite sur le marché des graphites spéciaux. Les sociétés ont plaidé coupables et ont accepté de payer des amendes. En octobre 2001, Ibiden a également plaidé coupable et payé une amende.

15      Le 17 mai 2002, la Commission a adressé une communication des griefs aux destinataires de la Décision. Dans leurs réponses, toutes les sociétés, à l’exception d’Intech EDM BV et d’Intech EDM AG, ont reconnu l’infraction. Aucune des sociétés n’a contesté la matérialité des faits.

16      Compte tenu de la similitude des méthodes employées par les membres des ententes, du fait que les deux infractions concernaient des produits voisins et de la circonstance que SGL et UCAR étaient impliquées dans les deux affaires, la Commission a estimé qu’il convenait de traiter dans le cadre d’une procédure unique les infractions portant sur les deux marchés de produits.

17      La procédure administrative a abouti à l’adoption, le 17 décembre 2002, de la Décision, par laquelle il est reproché, d’une part, aux entreprises requérantes ainsi qu’à TT, à UCAR, à LCL, à Ibiden, à NSC et à NSCC d’avoir procédé, à l’échelle mondiale, à une fixation de prix indicatifs (prix planchers) dans le secteur du graphite isostatique non usiné et, d’autre part, à la requérante SGL et à UCAR d’avoir perpétré une infraction semblable, également à l’échelle mondiale, dans le secteur du graphite extrudé non usiné.

18      S’agissant de l’infraction sur le marché du graphite isostatique, la Décision relève que les prix ont été fixés et ventilés par application, par zone géographique (Europe ou États-Unis) et par niveau de commercialisation (distributeurs/ateliers d’usinage et gros clients finals avec capacités d’usinage). L’entente aurait aussi eu pour objet d’harmoniser les conditions de transaction et d’échanger des documents d’expédition pour assurer un contrôle détaillé des ventes et la détection de tout non-respect éventuel des termes de l’entente. À certaines occasions, les échanges d’informations auraient porté sur la répartition des gros clients.

19      La Décision poursuit en exposant que les accords collusoires sur le marché du graphite isostatique ont été mis en œuvre par des réunions multilatérales régulières à quatre niveaux :

–        les réunions « de haut niveau » auxquelles participaient les cadres dirigeants des sociétés et au cours desquelles les principes fondamentaux de la coopération ont été définis ;

–        les réunions « de travail internationales » qui portaient sur la classification des blocs de graphite en différentes catégories et sur la fixation des prix planchers pour chaque catégorie ;

–        les réunions « régionales » (pour l’Europe) ;

–        les réunions « locales » (nationales) portant sur les marchés italien, allemand, français, britannique et espagnol.

20      Selon la Décision, l’entente visant à augmenter les prix du graphite isostatique, ou à en contenir la chute, a eu une incidence sur le marché formé par l’ensemble Communauté/EEE. Les prix fixés par les accords et une politique cohérente de hausses de prix auraient été appliqués durant les années 1993 à 1998. Même si les membres de l’entente ont eu du mal, à partir de 1997, à atteindre les prix fixés, la fin des pratiques concertées aurait été suivie immédiatement d’une chute brutale des prix des produits isostatiques.

21      S’agissant de l’infraction concernant le secteur du graphite extrudé, il ressort de la Décision que les deux principaux acteurs du marché européen en cause, SGL et UCAR, ont reconnu avoir participé, de 1993 jusqu’à la fin de 1996, à un certain nombre de réunions bilatérales relatives à ce marché. UCAR et SGL se seraient entendues pour augmenter les prix du graphite extrudé sur le marché formé par l’ensemble Communauté/EEE. Elles auraient régulièrement discuté des prix et de la classification des produits afin d’éviter de se faire concurrence sur les prix. Les nouveaux prix fixés auraient effectivement été annoncés aux clients, à tour de rôle, par l’une des parties.

22      Sur la base des constatations factuelles et des appréciations juridiques effectuées dans la Décision, la Commission a imposé aux entreprises incriminées des amendes dont le montant a été calculé en application de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») ainsi que dans la communication sur la coopération.

23      Aux termes de l’article 1er, premier alinéa, du dispositif de la Décision, les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, en participant, pour les périodes indiquées, à une série d’accords et de pratiques concertées affectant les marchés des graphites spéciaux isostatiques dans la Communauté et dans l’EEE :

a)      GrafTech International (UCAR), de février 1996 à mai 1997 ;

b)      SGL, de juillet 1993 à février 1998 ;

c)      LCL, de juillet 1993 à février 1998 ;

d)      Ibiden, de juillet 1993 à février 1998 ;

e)      Tokai, de juillet 1993 à février 1998 ;

f)      TT, de juillet 1993 à février 1998 ;

g)      NSC et NSCC, conjointement et solidairement responsables, de juillet 1993 à février 1998 ;

h)      Intech EDM BV et Intech EDM AG, conjointement et solidairement responsables, de février 1994 à mai 1997.

24      Selon le second alinéa de la même disposition, les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, en participant, pour les périodes indiquées, à une série d’accords et de pratiques concertées affectant les marchés des graphites spéciaux extrudés dans la Communauté et dans l’EEE :

–        SGL, de février 1993 à novembre 1996 ;

–        GrafTech International (UCAR), de février 1993 à novembre 1996.

25      L’article 3 du dispositif inflige les amendes suivantes :

a)      GrafTech International (UCAR) :

–        graphite isostatique : 0 euro,

–        graphite extrudé : 0 euro ;

b)      SGL :

–        graphite isostatique : 18 940 000 euros,

–        graphite extrudé : 8 810 000 euros ;

c)      LCL : 6 970 000 euros ;

d)      Ibiden : 3 580 000 euros ;

e)      Tokai : 6 970 000 euros ;

f)      TT : 10 790 000 euros ;

g)      NSC et NSCC, conjointement et solidairement responsables : 3 580 000 euros ;

h)      Intech EDM BV et Intech EDM AG, conjointement et solidairement responsables : 980 000 euros.

26      L’article 3 ordonne, en outre, le versement des amendes dans un délai de trois mois à compter de la notification de la Décision, sous peine d’une majoration d’intérêts moratoires de 6,75 %.

27      Par lettre datée du 20 décembre 2002, la Décision a été transmise à chacune des requérantes. Cette lettre précise que, à l’expiration du délai de paiement indiqué dans la Décision, la Commission procéderait au recouvrement du montant en question ; toutefois, dans l’hypothèse où un recours serait formé devant le Tribunal, aucune mesure d’exécution ne serait entreprise, à condition que des intérêts au taux de 4,75 % soient payés et qu’une garantie bancaire soit constituée.

28      La Décision a été notifiée aux différentes parties requérantes entre le 23 décembre 2002 et le 8 janvier 2003.

 Procédure

29      Par requêtes séparées déposées au greffe du Tribunal entre le 3 et le 10 mars 2003, Tokai, Intech EDM BV, Intech EDM AG et SGL ont introduit les présents recours. TT a également formé un recours (affaire T-72/03).

30      Les parties ayant été entendues sur ce point, le président de la deuxième chambre du Tribunal a, par ordonnance du 15 juin 2004, joint les cinq affaires aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal. Il a, en outre, accordé un traitement confidentiel concernant certains documents des dossiers.

31      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et de poser certaines questions aux parties. Les parties y ont répondu dans le délai imparti.

32      Lors de l’audience du 21 septembre 2004, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal. À cette occasion, la Commission a, notamment, pris position sur une question que le Tribunal lui avait posée à la suite d’une demande de TT visant à obtenir l’adoption d’une mesure d’organisation de la procédure tendant à clarifier le chiffre d’affaires réalisé par LCL en 1997 avec la vente de graphite isostatique sur le marché de l’EEE.

33      Par courrier du 23 février 2005, TT s’est désistée de son recours. Par ordonnance du 10 mai 2005, l’affaire T-72/03 a, par conséquent, été radiée du registre.

 Conclusions des parties

34      Tokai (T-71/03) conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 3 de la Décision en tant qu’il lui inflige une amende de 6,97 millions d’euros ou, à titre subsidiaire, réduire de façon substantielle le montant de cette amende ;

–        condamner la Commission aux dépens.

35      Intech EDM BV (T-74/03) conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la Décision dans la mesure où elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende infligée à l’article 3, sous h), de la Décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

36      Intech EDM AG (T-87/03) conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la Décision dans la mesure où elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende infligée à l’article 3, sous h), de la Décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

37      SGL (T-91/03) conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la Décision dans la mesure où elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, réduire de manière appropriée le montant de l’amende qui lui a été infligée dans la Décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

38      Dans toutes les affaires, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la partie requérante aux dépens.

 En droit

39      Le recours introduit dans l’affaire T-71/03 ne vise, en substance, qu’à obtenir une suppression ou une réduction du montant de l’amende infligée en dénonçant, notamment, la méconnaissance, par la Commission, de ses lignes directrices et de sa communication sur la coopération, sans contester la matérialité des faits constatés dans la Décision. En revanche, les trois autres recours tendent, à titre principal, à l’annulation de la Décision tout entière et sont fondés sur des moyens tirés de l’illégalité de la Décision dans son ensemble et/ou sur des moyens tirés d’erreurs commises par la Commission dans la constatation des faits infractionnels. Enfin, un seul recours (T‑91/03) conteste les modalités de paiement des amendes imposées.

40      Il convient ainsi d’examiner, tout d’abord, les conclusions ayant pour objet l’annulation de la Décision tout entière ou de certaines constatations de fait figurant dans cette dernière. Ensuite, seront examinées les conclusions visant à l’annulation de l’article 3 de la Décision ou à la réduction des amendes fixées en application des lignes directrices et de la communication sur la coopération. Enfin, seront examinés les griefs relatifs aux modalités de paiement des amendes.

A –  Sur les conclusions en annulation partielle de l’article 1er de la Décision et de certaines constatations factuelles figurant dans celle-ci

1.     Sur les moyens tirés, d’une part, d’une erreur de droit consistant à qualifier Intech d’auteur de l’infraction commise dans le secteur du graphite isostatique et, d’autre part, d’un défaut de motivation sur ce point (T-74/03 et T-87/03)

a)     Résumé de la Décision

41      Aux considérants 378 et 401 à 424 de la Décision, la Commission a estimé qu’Intech avait directement participé à l’entente sur le marché du graphite isostatique. Elle a rejeté l’argumentation par laquelle Intech faisait valoir que l’intégralité de son activité dans le secteur du graphite en Europe reposait sur un contrat de coopération conclu avec Ibiden, qu’elle était économiquement et juridiquement dépendante d’Ibiden, que son personnel n’avait participé aux réunions de l’entente qu’au nom d’Ibiden et conformément aux instructions de cette entreprise et qu’Intech EDM AG ne figurait pas parmi les membres fondateurs de l’entente et ne participait pas aux réunions « de haut niveau » ou aux réunions internationales de celle-ci.

42      La Commission a considéré, en revanche, que le comportement d’Intech et d’Ibiden au sein de l’entente devait faire l’objet d’une appréciation séparée et que ces deux entreprises conservaient l’entière responsabilité de leur participation respective à l’infraction. Intech EDM AG aurait commercialisé des graphites spéciaux dans la Communauté et aurait pris part directement aux réunions de l’entente au niveau européen. Intech EDM BV, l’ancienne société mère d’Intech EDM AG détenant 100 % du capital de cette dernière pendant la durée de l’infraction, aurait été la seule interface entre le groupe Intech et Ibiden pour les opérations liées au marché des produits spéciaux ; toutes les activités européennes d’Intech concernant ces produits se seraient déroulées sur la base du contrat de coopération entre elle et Ibiden.

b)     Arguments des parties

43      Tout en admettant qu’elles ne contestent pas les constatations de fait figurant dans la Décision, Intech EDM BV et Intech EDM AG reprochent à la Commission de les avoir considérées comme des « auteurs » de l’infraction, alors qu’elles n’étaient en réalité que des « complices » non punissables d’Ibiden.

44      Ainsi, la Commission aurait ignoré le fait qu’Intech n’était pas, au moins jusqu’au 26 septembre 1995, l’auteur responsable d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE. Jusqu’à cette date, en effet, Ibiden n’aurait pas été présente en personne aux réunions européennes de l’entente, mais y aurait envoyé, pour la représenter, M. Ankli, membre du conseil d’administration d’Intech EDM AG. Ibiden ayant utilisé Intech comme un simple instrument, cette dernière ne pourrait être considérée que comme complice de l’infraction commise par Ibiden. Or, la simple complicité sous forme d’une assistance à une entente ne serait pas punissable en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et ne pourrait donc être sanctionnée par une amende.

45      Sur la base d’une étude de droit comparé, Intech souligne que la distinction entre auteur et complice est un principe général de droit. Il en résulterait qu’il convient de distinguer entre commission de l’acte et simple complicité : l’auteur d’une infraction au sens de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 serait celui qui est maître des faits et qui commet l’acte, alors que le complice, sans détenir la maîtrise des faits, participe à l’acte d’autrui en tant qu’outil ou auxiliaire.

46      En outre, une entreprise ne pourrait être qualifiée d’auteur d’une infraction que lorsque la restriction de la concurrence profite à sa position sur le marché et lui procure un avantage économique direct. Or, tel n’aurait précisément pas été le cas en ce qui concerne Intech en l’espèce. La requérante aurait eu intérêt à une politique de baisse des prix lui permettant d’augmenter sa part de marché.

47      Intech ajoute que la Commission a elle-même reconnu, au considérant 515 de la Décision, qu’Intech obéissait, dans une large mesure, aux instructions d’Ibiden, en vue de mettre en œuvre, par sa présence aux réunions européennes et nationales en tant que distributeur d’Ibiden, les décisions de principe prises à un niveau plus élevé de l’entente.

48      Cependant, la Commission n’aurait mentionné nulle part la dépendance économique d’Intech à l’égard d’Ibiden. En méconnaissant cet aspect essentiel pour l’appréciation de la qualité de complice, la Commission aurait violé son obligation de motivation énoncée à l’article 253 CE.

49      À cet égard, Intech précise que, en tant que simple distributeur ne possédant pas d’équipements de production, elle était économiquement dépendante d’Ibiden et, de ce fait, soumise à la volonté de cette dernière. Elle serait une petite entreprise, limitée à un niveau régional et réalisant un chiffre d’affaires réduit qui ne représente qu’environ 1 % du chiffre d’affaires d’Ibiden. Elle n’aurait donc pas possédé la puissance économique nécessaire pour se soustraire aux instructions d’Ibiden. En effet, la poursuite de ses activités commerciales aurait dépendu de l’approvisionnement en graphites spéciaux par les gros producteurs internationaux. Intech n’aurait pas non plus été en mesure de remplacer Ibiden par un autre producteur afin d’assurer son approvisionnement : tous les autres fournisseurs auraient été, d’une manière ou d’une autre, liés et également organisés entre eux au sein de l’entente. Par conséquent, Intech aurait été entièrement dépendante d’Ibiden en tant que fournisseur.

50      Intech n’aurait pas non plus pu échapper à la volonté d’Ibiden en refusant simplement de participer aux réunions de l’entente et en dénonçant cette dernière à la Commission. En effet, jusqu’à ce que l’entente finisse par être démantelée, Intech aurait fait faillite depuis longtemps, ni Ibiden ni aucun autre fournisseur n’ayant plus livré de graphites spéciaux à la requérante. Pour la requérante, tout refus de suivre les instructions d’Ibiden aurait donc nécessairement signifié l’arrêt de son activité commerciale.

51      Eu égard aux rapports de force économique qui existaient entre Ibiden et la requérante, cette dernière n’aurait pas eu d’autre choix que d’appliquer − contre son propre intérêt − les prix cibles convenus par les producteurs à un niveau plus élevé de l’entente. Dans ce contexte, Intech demande que M. Ankli soit entendu en qualité de témoin afin d’établir qu’elle était bien liée par les instructions d’Ibiden. En tout état de cause, M. Ankli n’aurait pas été un collaborateur d’Intech EDM BV, mais aurait relevé d’Intech EDM AG ; son comportement ne pourrait donc être imputé à la première.

52      Enfin, contrairement aux affirmations de la Commission, la participation de certains collaborateurs d’Intech EDM AG à plusieurs réunions de l’entente aux niveaux européen et national n’exclurait pas que cette société était soumise aux instructions d’Ibiden. Quant à Intech EDM BV, cette dernière n’aurait jamais participé à aucune réunion de l’entente. En tout état de cause, la Commission aurait méconnu plusieurs documents, notamment certains procès-verbaux de réunions organisées au sein de l’entente, sur lesquels elle avait fondé son appréciation du rôle joué par les deux sociétés Intech.

53      Tout en admettant que l’article 3 et l’article 15, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 17 ne l’autorisent à sanctionner que les entreprises qui ont enfreint elles-mêmes les règles de concurrence, alors que la simple « complicité » ne tombe pas sous le coup de ces dispositions, la Commission souligne que, en l’espèce, Intech est indubitablement « auteur » d’une violation de l’article 81 CE. En effet, ce type de violation serait constitué par la participation d’une entreprise à l’entente, cette participation étant acquise dès lors qu’il existe un concours de volontés anticoncurrentielles entre cette entreprise et une ou plusieurs autres entreprises.

c)     Appréciation du Tribunal

54      Il ressort de la jurisprudence que, en interdisant aux entreprises, notamment, de conclure des accords ou de participer à des pratiques concertées susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, l’article 81, paragraphe 1, CE s’adresse à des entités économiques constituées d’un ensemble d’éléments matériels et humains pouvant concourir à la commission d’une infraction visée par cette disposition (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6/89, Rec. p. II-1623, point 235). Une entreprise au sens de l’article 81 CE peut donc comprendre plusieurs sujets de droit (arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170/83, Rec. p. 2999, point 11).

55      En l’espèce, la Commission reproche aux requérantes Intech EDM AG et Intech EDM BV, aux termes de l’article 1er, premier alinéa, sous h), de la Décision, d’avoir commis une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE « en participant » à l’entente active sur les marchés des graphites spéciaux isostatiques, et ce au même titre que les autres membres de l’entente, y compris Ibiden.

56      Il convient donc d’examiner si ce reproche précis trouve un appui dans les considérants de la Décision. Dans l’affirmative, les moyens avancés par les deux sociétés Intech doivent être rejetés, alors que, dans la négative, l’article 1er, premier alinéa, sous h), de la Décision doit être annulé, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question d’une éventuelle complicité des sociétés Intech.

57      À cet égard, il importe de relever que les deux requérantes ont expressément déclaré, dans leurs requêtes, qu’elles ne contestaient pas les constatations de fait figurant dans la Décision. Les présents moyens ne visent donc à remettre en question que l’interprétation des faits incontestés que la Commission a opérée afin d’apprécier le rôle joué par Intech EDM AG et Intech EDM BV au sein de l’entente.

58      Or, selon ces constatations (considérants 66 et 421), Intech EDM AG était une filiale à 100 % d’Intech EDM BV pendant la durée de l’infraction retenue vis-à-vis d’Intech, à savoir pendant la période allant de février 1994 à mai 1997.

59      Dans ces circonstances, la Commission s’est référée, à juste titre, à la jurisprudence (considérants 420 et 421 de la Décision) selon laquelle elle était autorisée à estimer que les sociétés Intech appartenaient, en principe, à une entité économique et constituaient donc toutes deux une seule « entreprise » au sens du droit de la concurrence (arrêts de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 50, et du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, Rec. p. II-389, point 149).

60      En effet, selon une jurisprudence bien établie de la Cour et du Tribunal (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, T-354/94, Rec. p. II-2111, point 80, confirmé par l’arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286/98 P, Rec. p. I-9925, points 27 à 29), la Commission peut, en substance, présumer qu’une filiale à 100 % applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par sa société mère, sans devoir vérifier si la société mère a effectivement exercé ce pouvoir.

61      Devant le Tribunal, aucune des deux requérantes n’a valablement établi que la filiale Intech EDM AG avait déterminé de façon autonome son comportement sur le marché au lieu d’appliquer les instructions de sa société mère, de sorte qu’elles échappaient à l’application du concept d’« entreprise ». En effet, les deux requêtes sont muettes sur ce point. Ce n’est qu’au niveau des répliques que les requérantes ont affirmé que la filiale « a agi de manière largement autonome par rapport à son ancienne société mère ». Or, cette affirmation, qui n’a d’ailleurs été étayée par aucun élément de preuve, a été présentée tardivement. Par conséquent, elle doit être écartée, en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, comme grief nouveau et donc irrecevable.

62      Il s’ensuit que, en application du concept d’« entreprise », les deux sociétés Intech pouvaient être considérées comme solidairement responsables du comportement qui leur a été reproché, les actes commis par l’une étant imputables à l’autre (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T-9/99, Rec. p. II-1487, points 54, 524 et 525). Cette conclusion n’est pas infirmée par la circonstance que le texte de la Décision s’écarte de temps en temps de la terminologie correcte et emploie erronément le terme d’« entreprise » − à titre d’exemple, la Commission parle au considérant 407 des « deux entreprises du groupe Intech » − pour qualifier l’une ou l’autre des deux sociétés Intech.

63      Il y a donc lieu d’examiner quels sont les actes que la Commission a pris en considération, en les imputant réciproquement aux deux sociétés Intech, pour établir leur participation à l’infraction retenue dans la Décision.

64      À cet égard, la Commission a constaté, sans être contredite par les requérantes, qu’Intech EDM AG avait participé à presque toutes les réunions organisées par l’entente au niveau européen (considérant 408 de la Décision) et à plusieurs réunions locales en ce qui concerne les marchés allemand, britannique, français et italien (considérants 243, 248, 254, 261 et 267 de la Décision).

65      Dans la mesure où les requérantes soutiennent qu’Intech EDM AG ne s’était pas manifestée en tant qu’« auteur » de l’infraction lors de ces réunions, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, dès lors qu’une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu’elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu’elle souscrit aux résultats des réunions et qu’elle s’y conformera, il peut être considéré comme établi qu’elle participe à l’entente résultant desdites réunions (arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 232 ; du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, Rec. p. II-907, point 98 ; du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T‑141/89, Rec. p. II-791, points 85 et 86, et HFB e.a./Commission, point 62 supra, point 137).

66      Or, Intech EDM AG ne s’est jamais distanciée publiquement du contenu anticoncurrentiel des réunions auxquelles elle participait. Elle n’a, notamment, pas publiquement manifesté une volonté claire de participer à ces réunions non pas en son nom propre, mais en qualité de simple représentant d’Ibiden. Aucun des procès-verbaux et comptes-rendus desdites réunions ne fait état d’une déclaration publique en ce sens. À défaut d’une telle déclaration, il ne suffit pas pour les requérantes de faire valoir que certains de ces documents devraient objectivement être interprétés comme indiquant qu’Intech EDM AG a agi dans le seul intérêt d’Ibiden, ce que la Commission conteste vivement.

67      En outre, c’est à juste titre que la Commission souligne l’importance de la participation d’Intech EDM AG aux réunions de l’entente tant au niveau européen qu’au niveau local. En effet, il s’agissait en l’espèce d’une entente fixant des prix indicatifs ventilés par zone géographique, à savoir l’Europe ou les États-Unis (considérant 98 de la Décision). Par conséquent, il n’était pas suffisant de fixer les prix aux plus hauts niveaux de l’entente, c’est-à-dire lors des réunions « de haut niveau » et « de travail internationales », mais il était aussi important d’assurer leur application concrète aux niveaux régionaux et locaux. Le fait pour Intech EDM AG de n’avoir jamais participé à une de ces réunions « de haut niveau » et « de travail internationales » n’est donc pas de nature à exclure sa participation à l’entente.

68      Il s’ensuit que la Commission était fondée à considérer la participation d’Intech EDM AG aux réunions aux niveaux européen et local de l’entente comme un agissement anticoncurrentiel. Elle était également autorisée à imputer cet agissement à Intech EDM BV en ce qu’il avait été effectué par sa filiale à 100 %, et ce d’autant plus que les activités du groupe Intech dans le secteur du graphite en Europe étaient exercées sur la base d’un contrat de coopération qu’Intech EDM BV avait elle-même conclu avec Ibiden (considérants 67 et 421 de la Décision).

69      Il convient d’ajouter qu’il était objectivement dans l’intérêt d’Intech d’être présente aux réunions organisées par l’entente aux niveaux européen et local. En effet, les prix fixés par l’entente étaient ventilés par niveau de commercialisation, à savoir par distributeurs/ateliers d’usinage, d’une part, et gros clients finals avec capacités d’usinage, d’autre part (considérant 98 de la Décision). Intech avait donc tout intérêt à veiller à ce que l’application de ces prix n’affecte pas sa marge bénéficiaire. Cette conclusion est confirmée par une télécopie produite par les requérantes elles-mêmes (annexes A 23 des requêtes) dont il ressort qu’Intech se réjouissait de l’augmentation des prix pour elle-même, mais n’était pas d’accord avec la hausse du prix d’achat et jugeait trop étroite la marge bénéficiaire fixée pour les distributeurs en octobre 1993.

70      Enfin, la Commission a constaté, sans être contredite par les requérantes, qu’Intech s’était engagée à facturer à ses propres clients les prix convenus par l’entente (considérant 403 de la Décision). Par ailleurs, l’intérêt d’Intech à respecter les prix cartellisés ressort de plusieurs documents mentionnés dans la Décision, par exemple, d’une télécopie du 9 janvier 1994 d’Intech à Ibiden, d’un courrier entre Intech et Ibiden de 1996 et d’une télécopie de NSCC du 27 août 1997 (considérants 285, 286 et note de bas de page 533 de la Décision).

71      Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a qualifié le groupe Intech, pris en ses composantes Intech EDM AG et Intech EDM BV, d’auteur d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE consistant en la participation à l’entente dans le secteur du graphite spécial isostatique.

72      Aucun des arguments soulevés par Intech en sens contraire ne saurait être retenu.

73      Ainsi, Intech se contredit elle-même lorsqu’elle souligne, d’une part, sa dépendance économique et sa subordination aux instructions d’Ibiden, tout en se prévalant, d’autre part, de sa résistance aux prix imposés par l’entente et du développement d’une politique des prix autonome dans le but de gagner des parts de marché (points 51 à 57 des requêtes).

74      Sur ce dernier point, il suffit de relever que le fait de ne pas respecter une entente ne change rien à l’existence même de celle-ci (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T-141/94, Rec. p. II-347, points 233, 255, 256 et 341). En l’espèce, l’infraction commise n’est donc pas éliminée par le simple fait qu’Intech parvenait à tromper les autres membres de l’entente et à utiliser cette dernière à son profit, en ne respectant pas pleinement les prix convenus (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T-308/94, Rec. p. II-925, point 230, concernant l’appréciation de circonstances atténuantes).

75      En effet, les membres d’une entente demeurent des concurrents dont chacun peut être tenté, à chaque moment, de profiter de la discipline des autres en matière de prix cartellisés pour baisser ses propres prix dans le but d’augmenter sa part de marché, tout en maintenant un niveau général de prix relativement élevé. En tout état de cause, le fait qu’Intech n’a pas entièrement appliqué les prix convenus n’implique pas que, ce faisant, elle ait appliqué des prix qu’elle aurait pu facturer en l’absence de l’entente.

76      Dans la mesure où Intech invoque sa dépendance économique à l’égard d’Ibiden et les pressions exercées sur elle par ce producteur, il convient de relever que, selon la jurisprudence, l’existence de tels éléments n’excluait pas la possibilité pour Intech de refuser de participer à la restriction à la concurrence opérée au sein de l’entente. Cette conclusion couvre aussi la situation spécifique d’Intech qui, en tant que distributeur, était membre d’une entente horizontale à laquelle son fournisseur Ibiden participait lui-même (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, KE KELIT/Commission, T-17/99, Rec. p. II-1647, points 1 et 48 à 50, et la jurisprudence citée).

77      Si Intech soutient encore que sa position économique par rapport à Ibiden était tellement faible que toute tentative de dénoncer l’entente auprès de la Commission et de se soustraire aux instructions d’Ibiden aurait nécessairement entraîné sa faillite, il y a lieu de constater qu’il s’agit là d’une affirmation abstraite qui est dépourvue de tout élément de preuve. En particulier, Intech n’expose pas pourquoi il lui aurait été impossible de s’adresser anonymement à la Commission ou d’obtenir de cette dernière que ses informations reçoivent un traitement confidentiel.

78      En tout état de cause, il ressort des chiffres présentés par les requérantes elles-mêmes que le sort du groupe Intech tout entier ne dépendait nullement des seules fournitures de graphite isostatique par Ibiden. En effet, par lettre du 30 novembre 2001 (annexes A 7 des requêtes), Intech EDM AG avait informé la Commission, en réponse à une demande de renseignements, qu’« environ 10 % du chiffre d’affaires global des sociétés Intech EDM était réalisé en Europe avec la vente de graphite isostatique » (1.5), tandis que, au niveau mondial, le chiffre d’affaires global s’élevait à 26,8 millions d’euros et celui réalisé avec le produit à 3,4 millions d’euros (1.7), ce qui donne un pourcentage d’environ 13 %. Même si les chiffres figurant dans le tableau 1 de la Décision (considérant 16) étaient pris en considération, à savoir 15,5 millions d’euros au titre du chiffre d’affaires global pour les seules sociétés Intech EDM AG et Intech EDM BV en 2001 et 2,3 millions d’euros au titre du chiffre d’affaires réalisé en 1997 par les mêmes sociétés avec le produit, le pourcentage pertinent s’élèverait à environ 15 %.

79      Dans ces circonstances, la Commission pouvait s’abstenir à bon droit de pourvoir la Décision d’une motivation spécifiquement ciblée sur la dépendance économique des requérantes du producteur japonais Ibiden, sans violer l’article 253 CE.

80      Il n’est pas non plus nécessaire de faire suite à la demande d’Intech visant à entendre un témoin afin d’établir que l’entreprise était bien liée par les instructions d’Ibiden.

81      Dans la mesure où Intech fait encore valoir que les hausses de prix opérées par l’entente étaient contraires à ses propres intérêts économiques, ces derniers ayant en réalité consisté en une politique de prix agressive et en un accroissement de ses parts de marché, il suffit de rappeler que la qualité d’auteur d’une infraction ne suppose pas que l’entreprise concernée ait réalisé des avantages économiques avec sa participation à l’entente en cause (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T-304/94, Rec. p. II-869, point 141).

82      En conséquence, les moyens soulevés par les deux sociétés Intech et dirigés contre leur qualification d’« auteurs » de l’infraction ainsi que le moyen tiré d’un défaut de motivation ne sauraient être retenus.

2.     Sur les moyens tirés de la constatation erronée du caractère mondial de l’entente dans le secteur du graphite isostatique en blocs entiers et découpés (T‑71/03)

a)     Résumé de la Décision

83      Aux considérants 22 à 25 et 29 de la Décision, la Commission a souligné que le marché du graphite isostatique était de dimension mondiale. Au cours de la période en cause (1993-1998), ce marché aurait été dominé par huit producteurs de dimension mondiale qui contrôlaient 80 % du marché mondial. Les coûts de transport et les barrières tarifaires n’auraient pas empêché les producteurs d’opérer à l’échelle mondiale, les producteurs japonais ayant même été en mesure d’obtenir plus de 20 % du marché européen vers la fin des années 80. Le caractère mondial du marché serait confirmé par la structure, l’organisation et le fonctionnement de l’entente.

b)     Arguments des parties

84      Dans le cadre des moyens tirés de ce que la Commission s’est fondée à tort sur son chiffre d’affaires mondial, Tokai soutient que le marché géographique du graphite isostatique n’a pas de caractère mondial.

85      Tokai fait valoir que, dans sa décision du 4 janvier 1991 (Affaire IV/M.0024 – Mitsubishi/UCAR), adoptée en application du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, rectificatifs au JO 1990, L 257, p. 13), la Commission a conclu que les marchés des électrodes de graphite, des électrodes de carbone, des produits spéciaux au graphite et du graphite flexible étaient des marchés de dimension communautaire. La Commission confondrait donc la taille globale du présent cartel et la dimension géographique du marché concerné.

86      Tokai reproche à la Commission, enfin, d’avoir méconnu le principe d’égalité de traitement en définissant le marché en cause comme étant celui du graphite spécial isostatique « en blocs » bien que les producteurs non européens aient vendu quasi exclusivement des blocs en Europe, alors que les producteurs européens ont vendu à la fois du graphite usiné et du graphite en blocs.

87      La Commission conteste avoir confondu la nature de l’entente et la dimension du marché. Elle rappelle que le marché des graphites spéciaux dans son ensemble est de dimension mondiale (considérants 22 à 25 de la Décision), cette définition du marché géographique ayant déjà été énoncée dans la communication des griefs (points 22 à 25). Or, Tokai n’aurait pas explicitement contesté cette conclusion dans ses réponses à cette communication. Elle ne produirait d’ailleurs aucun élément de preuve à l’appui de sa thèse.

c)     Appréciation du Tribunal

88      Il y a lieu de rappeler la déclaration expresse faite par Tokai elle-même dans sa requête (point 31) selon laquelle son recours ne vise pas à contester la matérialité des faits mentionnés dans la Décision, mais porte uniquement sur le calcul de son amende. Or, la Décision contient clairement des constatations factuelles relatives au caractère mondial de l’entente dans le secteur du graphite isostatique à laquelle Tokai avait participé (considérants 22 à 25). La portée réelle du moyen en cause consiste donc à reprocher à la Commission d’avoir méconnu, dans le cadre de la fixation du montant de l’amende infligée à Tokai, le rôle géographiquement limité que la requérante avait prétendument joué.

89      Cette conclusion n’est pas contredite par la référence de Tokai à la décision de la Commission du 4 janvier 1991 (voir point 85 ci-dessus) dans laquelle la Commission a considéré, en matière de concentration entre entreprises, que le marché des graphites spéciaux avait une dimension communautaire. À cet égard, il suffit de relever que cette décision a été adoptée dans un contexte différent de celui du cas d’espèce et qu’elle date d’une époque antérieure tant à l’enquête de la Commission dans la présente affaire qu’à la période infractionnelle retenue dans la Décision. Or, c’est précisément la détection, à partir de 1999, de l’entente à laquelle Tokai a participé qui a permis à la Commission de constater que les membres de l’entente avaient fixé les prix des graphites spéciaux à l’échelle mondiale. La référence à la décision de 1991 est donc inopérante (voir, mutatis mutandis, arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T-239/01, T-244/01 à T-246/01, T-251/01 et T-252/01, non encore publié au Recueil, ci-après l’« arrêt Électrodes de graphite », point 66).

90      Dans la mesure où Tokai reproche à la Commission d’avoir erronément défini le marché mondial comme étant celui du graphite isostatique en blocs entiers et découpés, son moyen est manifestement dénué de pertinence. En effet, ce n’est nullement la Commission qui aurait arbitrairement choisi le marché en cause, mais ce sont les membres de l’entente à laquelle Tokai a participé qui ont volontairement concentré leurs agissements anticoncurrentiels sur les produits non usinés, c’est-à-dire les graphites isostatiques en blocs entiers et découpés.

91      Il résulte de ce qui précède que les moyens dirigés par Tokai contre la constatation dans la Décision du caractère mondial du marché des graphites isostatiques en blocs entiers et découpés doivent être rejetés.

92      L’examen du premier groupe de moyens a révélé qu’aucun élément soulevé par les requérantes ne justifie l’annulation des constatations factuelles contenues dans la Décision. Par conséquent, les conclusions en annulation partielle de son article 1er doivent toutes être rejetées.

93      Il en va de même en ce qui concerne la demande en annulation de la Décision formulée par SGL qui, après avoir reproché à la Commission d’avoir commis une erreur grossière quant à la base servant au calcul des amendes, a conclu que cette violation des formes substantielles nécessiterait déjà pour ce motif l’annulation de la Décision (point 70 de la requête). Il est évident que la Décision ne saurait être annulée dans sa totalité, y compris les constatations factuelles et l’appréciation juridique concernant l’infraction commise par SGL, en raison d’une erreur entachant le seul calcul de l’amende infligée à la requérante. Une telle erreur ne pourrait manifestement affecter que l’imposition de l’amende en tant que telle. Par conséquent, il y a lieu d’écarter cette demande de SGL, les moyens soulevés par la requérante dans ce contexte devant être examinés ci-après dans le cadre des conclusions visant à l’annulation de l’article 3 de la Décision ou à la réduction du montant des amendes infligées.

94      Dès lors, l’examen subséquent des conclusions et des moyens dirigés contre la fixation du montant des amendes tiendra compte, notamment, des constatations factuelles figurant dans la Décision, à l’exception de celles concernant les chiffres concrets utilisés par la Commission pour répartir les membres de l’entente en catégories aux fins de la fixation des montants de départ.

B –  Sur les conclusions visant à la suppression des amendes ou à la réduction de leur montant

1.     Sur les moyens tirés d’une violation du principe de non-cumul des sanctions et de l’obligation pour la Commission de prendre en compte les sanctions infligées antérieurement ainsi que d’un défaut de motivation sur ce point (T-71/03 et T‑91/03)

a)     Résumé de la Décision

95      Aux considérants 545 à 550 de la Décision, la Commission a rejeté l’argumentation de SGL selon laquelle elle aurait dû tenir compte des sanctions qui lui ont été infligées pour le même comportement aux États-Unis. Selon la Commission, les amendes infligées ailleurs, notamment aux États-Unis, n’ont aucune incidence sur celles à infliger pour infraction aux règles communautaires de concurrence.

96      La Commission a également rejeté la thèse de SGL, selon laquelle les accords incriminés en l’espèce étaient étroitement liés à ceux faisant l’objet de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Électrodes de graphite, dans laquelle la Commission avait déjà infligé des amendes, de sorte que de nouvelles sanctions ne pouvaient être infligées dans la Communauté.

97      Selon la Commission, la présente procédure portait sur des accords qui se distinguaient clairement des accords dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Électrodes de graphite, ce qui justifiait que les deux accords soient considérés comme des infractions distinctes, qui pouvaient aboutir à l’infliction d’amendes distinctes. Pour la même raison, la Commission a rejeté l’argument de SGL selon lequel elle n’avait pas participé à deux ententes distinctes, à savoir en matière de graphite isostatique, d’une part, et en matière de graphite extrudé, d’autre part.

b)     Arguments des parties

98      Tokai reproche à la Commission d’avoir violé le principe ne bis in idem et outrepassé les limites de sa compétence en fixant le montant de son amende en fonction de sa part de marché mondiale et de son chiffre d’affaires mondial. Ce faisant, elle aurait, en effet, tenu compte de l’importance relative des entreprises sur des marchés autres que l’EEE et, par conséquent, de leur impact sur la concurrence dans ces marchés. Or, de tels effets en dehors de l’EEE relèveraient de la compétence d’autres autorités de concurrence, Tokai ne devant être sanctionnée que pour son impact sur la concurrence dans l’EEE.

99      Tokai ajoute qu’elle a fait l’objet d’une enquête aux États-Unis à propos des mêmes faits que ceux visés par la Décision. Sa demande d’immunité ayant été acceptée par les autorités américaines, aucune amende ne lui aurait été infligée. Il n’appartiendrait pas à la Commission de remettre en cause cette décision des autorités américaines. Toute amende de la Commission qui tiendrait compte des effets de l’entente sur le territoire des États-Unis déboucherait donc sur une double sanction pour Tokai.

100    SGL fait valoir que, par son refus de déduire des amendes fixées par la Décision le montant des amendes déjà infligées aux États-Unis, la Commission a violé la règle interdisant le cumul de sanctions pour une même infraction. Cette règle se fonderait sur les principes d’équité et de proportionnalité ancrés dans le droit constitutionnel de la Communauté ; elle aurait été confirmée par l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1), et par les articles 54 à 58 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée le 19 juin 1990 à Schengen (Luxembourg). Le principe ne bis in idem serait également consacré par l’article 4 du protocole n° 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950, tel qu’interprété, notamment, par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 29 mai 2001, Fischer c. Autriche.

101    SGL souligne que ce principe général a été reconnu dans plusieurs arrêts de la Cour et du Tribunal. Elle conteste la solution retenue dans l’arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (T‑224/00, Rec. p. II-2597), pour autant qu’il soit à interpréter en ce sens qu’il se prononce contre l’applicabilité du principe ne bis in idem en cas de première poursuite par des États tiers.

102    SGL soutient que les faits retenus dans la Décision ont déjà fait l’objet de condamnations pénales et civiles aux États-Unis. Le principe ne bis in idem interdirait à la Commission de poursuivre une nouvelle fois les mêmes faits. Elle précise qu’une transaction judiciaire a été signée, le 3 mai 1999, entre elle-même et les États-Unis qui couvre toutes les infractions au droit de la concurrence se référant à la production et à la vente de graphites pour la période litigieuse « aux États‑Unis et ailleurs » et qui prévoit une amende d’un montant de 135 millions de USD. Cette sanction porterait également sur les graphites spéciaux. Dans ce contexte, SGL propose d’entendre plusieurs témoins domiciliés aux États-Unis.

103    Selon la Décision, les accords les plus importants de l’entente restreignant la concurrence auraient été élaborés de manière uniforme sur le plan mondial lors de réunions internationales et auraient été mis en œuvre aux niveaux régional et local aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe. Les autorités américaines auraient infligé des amendes à l’ensemble de l’entente, c’est-à-dire aussi bien aux ententes décidées sur le plan international qu’à leur transposition locale en Amérique du Nord. Dans ces circonstances, la Commission, en poursuivant SGL en deuxième lieu, aurait été obligée de tenir compte des sanctions déjà infligées.

104    En effet, même si la Commission avait été en droit de sanctionner d’une nouvelle amende les comportements reprochés à SGL dans la Décision, une exigence générale d’équité l’aurait cependant obligée à prendre en compte, lors du calcul de cette nouvelle amende, les sanctions infligées par sa décision en matière d’électrodes de graphite et par les autorités américaines. La Commission aurait donc été limitée, en vertu du principe de proportionnalité, à infliger à SGL une amende d’un montant purement symbolique.

105    Cette exigence d’équité impliquerait que, en cas de procédures parallèles − tant au sein de la seule Communauté que par rapport à des États tiers −, la sanction qui a été infligée en premier soit prise en compte dans le cadre de la seconde sanction. En effet, les sanctions réprimant les infractions au droit des ententes rempliraient toujours une fonction de dissuasion dans le but de protéger la libre concurrence. Dans cette optique, il existerait une identité d’objectif et de bien juridique protégé entre le droit communautaire des ententes et le droit américain des ententes, tous deux visant à protéger une concurrence libre et ouverte.

106    Dans ce contexte, SGL se réfère à l’accord entre les Communautés européennes et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant la mise en œuvre des principes de courtoisie active dans l’application de leurs règles de concurrence (JO 1998, L 173, p. 28, ci-après l’« accord de courtoisie »). Elle fait valoir que cet accord regroupe uniformément sous la définition de « droit de la concurrence » ou de « règles de concurrence » tant les articles 81 CE et 82 CE que les paragraphes 1 à 7 du Sherman Act ainsi que les paragraphes 17 à 27 du Clayton Act. Or, la répartition des tâches entre les autorités communautaires et américaines dans le cadre de la répression d’infractions internationales au droit des ententes qui ont des effets géographiques concentrés ne pourrait être envisagée que si, d’un côté comme de l’autre, le contenu des incriminations et les objectifs des procédures sont concordants, et que l’on est en présence d’un fait identique. Si les compétences des autorités communautaires et américaines ne se recoupaient pas, il n’y aurait pas eu d’accord administratif relatif à l’intervention alternative des autorités d’enquête.

107    SGL ajoute que la Décision est contraire à l’interdiction de double sanction également au sein de l’Union européenne, étant donné que la Commission a infligé, dans des décisions distinctes, des amendes à SGL, d’abord, pour une infraction dans le domaine des électrodes de graphite et, désormais, pour des infractions dans le domaine des graphites spéciaux, à savoir les graphites isostatiques et les graphites extrudés. Cependant, la procédure relative aux électrodes de graphite et celle relative aux graphites spéciaux seraient fondées sur les mêmes faits de telle sorte que la Commission a sanctionné deux fois les mêmes faits. En effet, les accords relatifs aux électrodes de graphite et aux graphites spéciaux auraient visé le même objectif, auraient été adoptés et mis en œuvre de la même manière et auraient eu les mêmes motifs.

108    La séparation des deux procédures serait d’autant plus artificielle que, dans la Décision, la Commission a infligé une amende à deux ententes pour des produits différents, à savoir le graphite isostatique et le graphite extrudé, en considérant que, compte tenu de la similitude des méthodes employées et du fait que les deux infractions concernaient des produits voisins, il convenait d’examiner dans le cadre d’une procédure unique les accords portant sur les deux produits (considérant 346 de la Décision). Le même raisonnement devrait s’appliquer aux rapports entre les actes qui font l’objet de la présente procédure et ceux qui faisaient l’objet de la procédure relative aux électrodes de graphite.

109    Invoquant à cet égard la notion d’infraction continue, SGL souligne encore que les infractions dans le domaine des graphites spéciaux et dans celui des électrodes de graphite constituent un seul élément matériel, de sorte qu’elles n’auraient dû être sanctionnées qu’une seule fois. En effet, ces infractions auraient été dirigées contre le même bien juridique, à savoir la concurrence dans l’EEE, et auraient été commises de la même manière : le marché pour les électrodes de graphite et celui pour les graphites spéciaux seraient étroitement liés et semblables de par leur structure et les principaux opérateurs économiques qui y sont actifs ; en particulier, les accords relatifs aux électrodes de graphite et ceux relatifs aux graphites spéciaux auraient suivi le même modèle et auraient été fondés sur le plan global établi par SGL, UCAR et Tokai, ce plan visant à étendre l’entente existante pour les électrodes de graphite aux graphites spéciaux.

110    Enfin, si la Commission entend infliger des sanctions distinctes, il lui faudrait pouvoir exclure aussi bien l’application, en l’espèce, de la notion de concours idéal d’infractions que celle d’infraction continue. Or, en l’espèce, elle se serait même abstenue d’aborder l’argument de l’infraction continue. Par conséquent, la Commission n’aurait pas satisfait à l’obligation de motivation lui incombant, en vertu de l’article 253 CE, dans le cadre de la présente procédure.

111    La Commission conclut au rejet de ces moyens.

c)     Appréciation du Tribunal

112    S’agissant des moyens tirés d’un cumul illégal des sanctions infligées par la Commission, d’une part, et par les autorités américaines, d’autre part, il est de jurisprudence bien établie que, dans le cas où les faits à la base de deux condamnations trouvent leur origine dans un même ensemble d’accords, mais se distinguent néanmoins en ce qui concerne tant leur objet que leur localisation territoriale, le principe ne bis in idem n’est pas d’application (voir arrêt de la Cour du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission, 7/72, Rec. p. 1281, points 3 et 4, et arrêt Électrodes de graphite, point 133, et la jurisprudence citée).

113    Or, en l’espèce, en vertu du principe de territorialité, il n’existe pas de conflits dans l’exercice des compétences de la Commission, d’une part, et des autorités américaines, d’autre part, pour infliger des amendes aux entreprises qui violent les règles de concurrence de l’EEE et des États-Unis (voir, en ce sens, arrêt Électrodes de graphite, points 133 à 148).

114    Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner l’affirmation de SGL selon laquelle les sanctions qui lui ont été infligées aux États-Unis pour sa participation à l’entente des électrodes de graphite portaient également sur les graphites spéciaux ni d’entendre sur ce point les témoins nommés par SGL. En effet, à supposer même que cette affirmation soit correcte, la Commission n’était pas empêchée par les sanctions américaines d’infliger une amende à SGL pour sa participation à l’entente dans le secteur des graphites spéciaux.

115    Il s’ensuit que le grief tiré d’une violation du principe ne bis in idem doit également être rejeté dans la mesure où Tokai reproche à la Commission d’avoir pris en compte son chiffre d’affaires et ses parts de marché à l’échelle mondiale (voir, en ce sens, arrêt Électrodes de graphite, point 138), d’autant plus que ces données concernant le marché mondial n’ont été retenues par la Commission qu’afin de différencier l’impact relatif des entreprises incriminées au sein de l’entente (voir points 167 à 170 ci-après).

116    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’accord de courtoisie (voir point 106 106ci-dessus). Dans la mesure où SGL prétend que cet accord génère l’application du principe ne bis in idem dans les rapports entre les États-Unis et la Communauté, l’argumentation de la requérante est fondée sur une lecture erronée de l’accord en cause. En effet, il ressort clairement de l’article I, paragraphe 2, sous b), et de l’article III de cet accord que les biens juridiques protégés par les autorités communautaires, d’une part, et les autorités américaines, d’autre part, ne sont pas identiques et que l’objectif de l’accord, loin de porter sur le principe ne bis in idem, consiste uniquement à permettre aux autorités de l’une des parties contractantes de tirer profit des effets pratiques d’une procédure engagée par les autorités de l’autre.

117    Par son moyen tiré d’un cumul illégal des sanctions infligées par la Commission à l’intérieur de la seule Communauté, SGL prétend ensuite que, en lui infligeant d’abord une amende en matière d’électrodes de graphite et ensuite des amendes en matière de graphites spéciaux, la Commission a sanctionné une deuxième fois les mêmes faits. En effet, les accords relatifs aux électrodes de graphite et ceux relatifs aux graphites spéciaux auraient constitué une infraction continue fondée sur un plan global, l’entente existante pour les électrodes de graphite ayant été étendue aux graphites spéciaux. La disjonction des deux procédures serait d’autant plus artificielle que la Commission a sanctionné dans la Décision, au bout d’une même procédure, deux ententes pour des produits différents, à savoir le graphite isostatique et le graphite extrudé.

118    À cet égard, il convient de relever qu’il était loisible à la Commission d’infliger à SGL trois amendes distinctes, chaque fois dans les limites fixées par l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, à condition que la requérante ait commis trois infractions distinctes aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE.

119    Or, ainsi qu’il ressort des considérants 4 et 5 de la décision attaquée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Électrodes de graphite (voir point 12 ci-dessus), d’une part, et des considérants 4 à 12 de la Décision, d’autre part, les électrodes de graphite et les graphites spéciaux appartenaient à des marchés différents. S’agissant du graphite isostatique et du graphite extrudé, les propriétés, prix et champs d’application des deux types de produits différaient largement (considérant 5, note de bas de page 5 ainsi que considérants 10 à 12 et 19 à 21 de la Décision), ce que SGL a expressément confirmé en réponse à une demande de renseignements (annexe A 14 de la requête T-91/03).

120    En outre, les membres des trois ententes n’ont pas été les mêmes. En effet, LCL, Ibiden, TT, NSC/NSCC et Intech n’ont pas participé à l’entente sur les électrodes de graphite, alors que, inversement, VAW, SDK, Nippon, SEC et C/G − membres de cette dernière − n’étaient pas impliquées dans l’entente relative au graphite isostatique. Seules SGL et UCAR ont été membres des deux ententes dans le domaine des graphites spéciaux, les autres participants de l’entente relative au graphite isostatique ne faisant pas partie de celle sur le graphite extrudé. En définitive, SGL et UCAR étaient donc les seules entreprises parties à toutes les trois ententes.

121    Enfin, contrairement aux affirmations de SGL, l’entente sur le marché des graphites spéciaux n’a pas été une simple « extension » de celle en matière d’électrodes de graphite.

122    En effet, l’entente des électrodes de graphite comportait, outre un régime de fixation des prix, un régime très strict de répartition des marchés fondé sur le principe du « producteur domestique », en vertu duquel les producteurs « non domestiques » devaient renoncer à toute concurrence agressive sur les territoires réservés à d’autres producteurs et se retirer de ces territoires, UCAR et SGL étant responsables, la première, pour les États-Unis et pour certaines parties de l’Europe, la seconde, pour le reste de l’Europe, tandis que quatre entreprises japonaises étaient responsables pour le Japon et pour certaines parties de l’Extrême-Orient (arrêt Électrodes de graphite, points 12 et 13).

123    En revanche, l’entente sur le marché des graphites spéciaux n’était pas caractérisée par une telle répartition des marchés, et ce malgré certaines tentatives visant à répartir la clientèle qui semblent cependant avoir échoué (voir, notamment, considérants 171, 174, 178 à 180, 192, 203, 292 et 295 de la Décision). Tout au contraire, les coûts de transport et les barrières tarifaires n’ont pas empêché les producteurs d’opérer à l’échelle mondiale, ainsi qu’en témoigne le fait que les producteurs japonais, bien que ne disposant d’aucun site de production en dehors du Japon, ont été en mesure de commercialiser leurs produits en Europe et d’obtenir plus de 20 % du marché (considérant 24 de la Décision).

124    C’est donc pour des raisons objectives que la Commission a, pour le marché des électrodes de graphite et pour celui des graphites spéciaux, entamé deux procédures distinctes, constaté trois infractions distinctes et infligé trois amendes distinctes.

125    Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance que la Décision sanctionne à la fois deux ententes (graphite isostatique et graphite extrudé) au motif qu’elles portaient sur des produits voisins (considérant 347). En effet, le caractère voisin de ces ententes n’a permis à la Commission que de renoncer à l’organisation d’une double procédure. En revanche, les membres de chaque entente se sont vu imposer des amendes spécifiques, l’une en matière isostatique et l’autre en matière extrudée, le caractère voisin des produits n’ayant eu aucune incidence sur les sanctions.

126    Quant au moyen tiré d’un défaut de motivation, en ce que la Commission se serait abstenue d’aborder l’argument de l’infraction continue, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d’un acte doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et au juge communautaire d’exercer son contrôle (arrêt Électrodes de graphite, point 149, et arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, UK Coal/Commission, T-12/99 et T-63/99, Rec. p. II‑2153, point 196).

127    En l’espèce, SGL pouvait aisément déduire du comportement de la Commission que cette dernière n’entendait nullement appliquer au cas d’espèce la notion d’infraction continue. En effet, dans la Décision, elle a décrit en détail les différents graphites spéciaux, cette description ne portant pas sur les électrodes de graphite qui ont, au contraire, fait l’objet d’une décision antérieure et distincte. Cela suffisait à l’évidence pour informer SGL qu’elle était sanctionnée plusieurs fois, ce que la Commission n’aurait pas pu faire si elle avait considéré que SGL n’avait commis qu’une infraction unique. Par ailleurs, SGL était pleinement en mesure de défendre son point de vue selon lequel ses participations aux différentes ententes en cause devaient être qualifiées d’infraction continue.

128    Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés d’une violation du principe de non-cumul des sanctions et de l’obligation pour la Commission de prendre en compte les sanctions infligées antérieurement ainsi que d’un défaut de motivation sur ce point doivent tous être rejetés.

129    Par conséquent, doit également être rejeté le moyen tiré d’une prise en compte excessive de la gravité de l’infraction reprochée à SGL en ce que la Commission aurait fixé trois montants de départ séparés, à savoir en matière d’électrodes de graphite, de graphite isostatique et de graphite extrudé, bien que les procédures dans les trois affaires soient fondées sur les mêmes faits et que les infractions sanctionnées se présentent comme un seul acte au sens de l’article 15 du règlement nº 17. En effet, ainsi qu’il vient d’être exposé, la Commission était autorisée à considérer qu’il s’agissait là de trois infractions distinctes susceptibles d’être sanctionnées par trois amendes distinctes.

2.     Sur les moyens tirés d’une violation des droits de la défense (T‑91/03)

a)     Arguments des parties

130    SGL reproche à la Commission, en premier lieu, d’avoir violé son droit d’être entendue et ses droits de la défense, étant donné qu’elle a constaté, dans la communication des griefs, que LCL et la requérante devaient être considérées comme chefs de file de l’entente sur le marché des graphites isostatiques, de sorte que SGL pouvait considérer que la participation de LCL et la sienne avaient été évaluées par la Commission de telle manière que les deux entreprises avaient fourni une contribution comparable à l’entente constatée. Toutefois, dans la Décision, la Commission aurait modifié son appréciation en ce sens que SGL est désormais censée être le seul meneur et incitateur de l’infraction. L’augmentation de 50 % de l’amende infligée à SGL qui en résulte constituerait donc un grief nouveau et indépendant sur lequel la requérante n’a pas eu l’occasion d’être entendue. Par cette modification totalement imprévisible de l’appréciation des faits, la Commission aurait créé une différence importante entre LCL et SGL.

131    SGL précise que, eu égard à l’appréciation provisoire dans la communication des griefs, elle ne voyait pas de raison de s’opposer à une évaluation à l’identique de sa contribution et de celle de LCL en l’espèce. La présentation foncièrement équilibrée des contributions respectives de LCL et de SGL à l’infraction dans la communication des griefs n’aurait laissé présager aucune majoration, en l’absence de chef de file, ou tout au plus une majoration du montant de départ d’un niveau identique. En revanche, elle aurait certainement réfuté avec véhémence une appréciation, dès le stade de la communication des griefs, qui aurait désigné SGL seule comme meneur de l’entente et aurait dévoilé qu’une majoration élevée, d’un taux de 50 %, serait appliquée uniquement à l’amende envisagée pour SGL.

132    SGL reproche à la Commission, en deuxième lieu, d’avoir chargé de la présente affaire des fonctionnaires qui ne maîtrisaient pas suffisamment l’allemand et n’étaient donc pas en mesure, sur le plan linguistique, d’apprécier à suffisance ses arguments. En effet, la Commission n’aurait absolument pas tenu compte, dans la Décision, de la réponse de SGL du 25 juillet 2002 à la communication des griefs. Dans cette réponse, elle aurait clairement attiré l’attention de la Commission sur le caractère erroné des chiffres figurant dans ladite communication et présenté des chiffres effectivement pertinents et corrects. Dans la Décision, on retrouverait cependant les chiffres qui avaient figuré à l’origine dans la communication des griefs sans qu’il ait été pris position sur les chiffres corrigés transmis par la requérante.

133    En troisième lieu, pour calculer le montant de base des amendes infligées au regard des chiffres d’affaires et des parts de marché des entreprises impliquées, la Commission aurait pris en considération, dans la Décision, 1997 comme année de référence. En revanche, dans la communication des griefs, ces données auraient été fondées sur les chiffres de l’année 1998. Cette utilisation de différentes années de référence aurait privé la requérante de la possibilité de prendre position sur les chiffres qui ont finalement été retenus dans la Décision à sa charge. Or, la communication des griefs et la décision finale ne sauraient se référer à des faits différents (arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T-213/00, Rec. p. II-913, point 109). La Commission aurait dû attirer l’attention sur la modification de son approche (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T-191/98, T-212/98 à T-214/98, Rec. p. II-3275, points 162 à 168, 170 à 172 et 188).

134    La Commission conclut au rejet des griefs avancés par SGL.

135    Elle affirme que toute la correspondance échangée entre ses services et SGL était rédigée en allemand. Seule la troisième demande de renseignements aurait été envoyée en anglais. Or, SGL n’aurait nullement demandé la traduction de cette demande, mais se serait contentée d’y répondre en allemand.

136    S’agissant du rôle joué par SGL et LCL dans le cadre de l’entente en matière de graphite isostatique, la Commission souligne que l’absence de prise en compte de LCL comme autre meneur de l’entente n’a nullement influencé la décision arrêtée à l’égard de la requérante. La Commission aurait fondé les conclusions auxquelles elle est parvenue dans la Décision sur les mêmes faits que dans la communication des griefs. Elle aurait simplement constaté que le rôle de meneur, reproché à LCL dans la communication des griefs, n’avait pas été suffisamment établi (considérant 487 de la Décision).

137    Enfin, la Commission conteste avoir employé des chiffres d’affaires se rapportant à des exercices distincts, à savoir respectivement 1998 et 1997, dans la communication des griefs, d’une part, et dans la Décision, d’autre part. Dans sa communication des griefs, la Commission aurait signalé qu’elle allait examiner s’il convenait d’infliger des amendes aux destinataires. Par conséquent, les destinataires auraient pu se défendre contre une constatation de l’infraction et contre l’imposition d’amendes (arrêt HFB e.a./Commission, point 62 supra, points 313 et suivants).

b)     Appréciation du Tribunal

138    Selon une jurisprudence constante, la communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellés dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission et de faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n’adopte une décision définitive. Cette exigence est respectée dès lors que ladite décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer (voir arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 133 supra, point 109, et la jurisprudence citée).

139    S’agissant plus particulièrement du calcul des amendes, il est également de jurisprudence constante que la Commission remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d’être entendues dès lors qu’elle indique expressément, dans la communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci « de propos délibéré ou par négligence ». Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 21, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23/99, Rec. p. II-1705, point 199, et la jurisprudence citée).

140    Il s’ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire des observations sur la durée, la gravité et la prévisibilité du caractère anticoncurrentiel de l’infraction (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 235 ; arrêt HFB e.a./Commission, point 62 supra, point 312, et arrêt LR AF 1998/Commission, point 139 supra, point 200).

141    En revanche, la Commission n’est pas obligée, dès lors qu’elle a indiqué les éléments de fait et de droit sur lesquels elle fonderait son calcul du montant des amendes, de préciser la manière dont elle se servirait de chacun de ces éléments pour la détermination du niveau de l’amende. En effet, donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n’ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (voir arrêt LR AF 1998/Commission, point 139 supra, point 206, et la jurisprudence citée).

142    C’est à la lumière de la jurisprudence qui vient d’être exposée qu’il y a lieu d’examiner les moyens soulevés par SGL.

143    À cet égard, il importe de constater, tout d’abord, que SGL ne fait pas valoir que la Décision comporte des griefs relatifs à sa participation infractionnelle aux ententes incriminées qui, bien qu’ils n’aient pas figuré dans la communication des griefs, lui auraient été reprochés au titre de l’article 1er de la Décision.

144    Ensuite, la Commission a clairement indiqué, aux points 402 à 411 de la communication des griefs, qu’elle allait infliger aux entreprises concernées des amendes qui tiendraient compte, premièrement, de la gravité, de la durée, de la nature et des effets concrets de l’infraction ainsi que de l’étendue du marché géographique en cause, deuxièmement, d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes au regard de chacune des entreprises concernées et, troisièmement, de la nécessité de fixer des amendes à un niveau approprié pour garantir un effet dissuasif suffisant.

145    Ainsi, la Commission a indiqué les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner l’imposition d’une amende à SGL et exposé qu’elle déterminerait cette amende en fonction notamment de la gravité et de la durée de l’infraction.

146    Le respect des droits de la défense de SGL n’obligeait pas la Commission à indiquer de façon plus précise, dans la communication des griefs, la manière dont elle se servirait de chacun de ces éléments pour la détermination du niveau de l’amende.

147    Cette conclusion s’impose d’autant plus que SGL, lorsqu’elle a pris connaissance de la communication des griefs en mai 2002, n’était pas sans ignorer les lignes directrices, publiées par la Commission en 1998 et dont le Tribunal avait déjà jugé le 20 mars 2002 (arrêt LR AF 1998/Commission, point 139 supra, points 231 à 237) qu’elles n’allaient pas au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n17. Elle devait donc s’attendre à ce que le calcul d’éventuelles amendes tiendrait compte des éléments détaillés y figurant destinés expressément à « assurer la transparence et le caractère objectif » du calcul des amendes (voir premier alinéa des lignes directrices).

148    S’agissant des moyens présentés par SGL, il y a lieu de constater que la communication des griefs a reproché à cette requérante et à LCL d’avoir joué un rôle de meneurs ou d’incitateurs dans l’entente (point 410). Ce même reproche a été pris en considération, à l’égard de SGL, en tant que circonstance aggravante dans la Décision (points 485 à 488). Contrairement à la thèse de SGL, il ne saurait donc être question d’un grief nouveau à son égard.

149    SGL n’est pas davantage parvenue à établir que l’absence de prise en compte de LCL comme second chef de file de l’entente ait pu influencer le calcul de sa propre amende. Rien dans la Décision ne permet, en effet, la conclusion que SGL se serait vu ajouter à sa responsabilité de chef de file de l’entente une partie d’un rôle commun de chef de file que la Commission aurait initialement attribuée à LCL.

150    En tout état de cause, il est constant que SGL, dans sa réponse à la communication des griefs, n’a pas remis en question l’appréciation provisoire de la Commission selon laquelle cette entreprise et LCL seraient à qualifier de chefs de file de l’entente. Or, SGL, ayant été impliquée précédemment dans au moins une autre affaire d’ententes menée à son terme, n’était pas sans savoir que la communication des griefs avait un caractère purement provisoire dans la mesure où chaque entreprise destinataire avait la possibilité de présenter ses observations et d’influer sur l’appréciation préliminaire de la Commission, ce qui pouvait amener celle-ci à modifier cette appréciation et à renoncer, dans sa décision finale, à l’un ou à l’autre des griefs qu’elle avait initialement entendu retenir à sa charge.

151    SGL ne pouvait donc raisonnablement pas exclure que LCL contesterait sa qualification provisoire de chef de file et que la Commission se laisserait convaincre par cette contestation. À défaut d’avoir simultanément contesté son propre rôle de chef de file, la requérante devait donc s’attendre à ce que la Commission ne retienne qu’un seul chef de file de l’entente dans la Décision, à savoir SGL, et lui impose une augmentation de son montant de base à concurrence de 50 % comme elle l’avait déjà fait au considérant 356 de sa décision 2001/418/CE, du 7 juin 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 − Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24, ci-après la « décision Lysine »).

152    Quant à l’année de référence utilisée dans la Décision aux fins du calcul des amendes, c’est-à-dire la dernière année civile complète de l’infraction, SGL n’a nullement indiqué en quoi ses droits de la défense aient pu être violés par le fait que la Décision a retenu les chiffres pertinents pour 1997, tandis que la communication des griefs avait fait état des chiffres de l’année 1998. En effet, tant les chiffres relatifs à 1997 que ceux relatifs à 1998 avaient été fournis par SGL elle-même avant la rédaction de la communication des griefs. La requérante avait donc la faculté de pourvoir ces chiffres de tous les commentaires qu’elle jugeait utiles.

153    En toute hypothèse, SGL devait s’attendre à ce que l’année de référence finalement retenue puisse être différente de celle provisoirement indiquée dans la communication des griefs. En effet, la détermination de cette année dépendait de la durée exacte de l’infraction. Or, cette durée n’était définitivement constatée, à la lumière des réponses à la communication des griefs, que dans la Décision.

154    Enfin, le moyen tiré de ce que la Commission aurait confié le « dossier allemand » de SGL à des agents dont aucun ne maîtrisait la langue allemande se réduit à une pure supposition qui n’est étayée par aucun élément de preuve sérieux. En tout état de cause, s’il est vrai que la Décision ne tient pas compte des observations de la requérante sur les chiffres prétendument erronés contenus dans la communication des griefs et repris tels quels dans la Décision, cette omission n’est pour autant pas de nature à enfreindre les droits de la défense de SGL. En effet, dans l’hypothèse où il s’avérerait devant le Tribunal que la Commission, contrairement aux observations de SGL, a eu recours à des chiffres corrects, ce serait à juste titre qu’elle a négligé lesdites observations. En revanche, si SGL parvenait à établir que les chiffres étaient effectivement erronés, la Décision serait entachée d’une erreur de fond et devrait être annulée sur ce point.

155    Il résulte de ce qui précède que tous les moyens tirés d’une violation des droits de la défense doivent être rejetés.

3.     Sur les moyens tirés d’une méconnaissance des lignes directrices, de l’illégalité de ces dernières et d’un défaut de motivation sur ce point

a)     Sur le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les amendes infligées aux requérantes et sur l’applicabilité des lignes directrices (T-91/03)

156    Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, « la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises […] des amendes de mille [euros] au moins et de un million d’[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...], elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81], paragraphe 1, [...] du traité ». Il est prévu, dans la même disposition, que, « pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci ».

157    Cette disposition confère à la Commission une marge d’appréciation dans la fixation des amendes qui est, notamment, fonction de sa politique générale en matière de concurrence. C’est dans ce cadre que, pour assurer la transparence et le caractère objectif de ses décisions en matière d’amendes, la Commission a adopté, en 1998, ses lignes directrices. Il s’agit d’un instrument destiné à préciser, dans le respect du droit de rang supérieur, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation ; il en résulte une autolimitation de ce pouvoir, dans la mesure où il appartient à la Commission de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est elle-même imposées (voir arrêt Électrodes de graphite, point 157, et la jurisprudence citée).

158    En l’espèce, aux termes des considérants 430 à 560 de la Décision, la Commission a infligé des amendes à toutes les requérantes du fait de l’infraction constatée à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE. Il ressort de ces considérants que les amendes ont été imposées en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et que la Commission – quand bien même la Décision ne se réfère pas explicitement aux lignes directrices – a déterminé le montant des amendes en faisant application de la méthode définie dans les lignes directrices.

159    SGL dénonce l’illégalité de la méthode générale de calcul telle que prévue par les lignes directrices puisque les amendes infligées ne sont pas proportionnelles aux chiffres d’affaires. Par l’adoption des lignes directrices et leur application dans la pratique, la Commission aurait volontairement laissé de côté l’approche pratiquée pendant des années consistant en la fixation d’une amende proportionnelle au chiffre d’affaires. La nouvelle méthode de la Commission aurait pour conséquence d’aboutir à des résultats injustes, notamment à des sanctions élevées au détriment des petites et moyennes entreprises telles que SGL.

160    À cet égard, il suffit de constater que la méthode générale pour le calcul du montant des amendes énoncée dans les lignes directrices est fondée sur les deux critères mentionnés dans l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir la gravité de l’infraction et la durée de celle-ci, et respecte la limite maximale par rapport au chiffre d’affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition. Par conséquent, les lignes directrices ne vont pas au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition (voir arrêt Électrodes de graphite, points 189 et 190, et la jurisprudence citée).

161    Le changement qu’entraîneraient les lignes directrices par rapport à la pratique administrative antérieure de la Commission ne constitue pas une altération du cadre juridique déterminant le montant des amendes pouvant être infligées, contraire au principe général de non-rétroactivité des lois ou à celui de sécurité juridique. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige, au contraire, que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de la politique communautaire de concurrence (voir arrêt Électrodes de graphite, points 191 et 192, et la jurisprudence citée).

162    Il s’ensuit que le moyen tiré de l’inapplicabilité des lignes directrices doit être rejeté.

163    C’est donc en tenant compte, notamment, du cadre tracé par ces dernières qu’il convient d’apprécier si, comme l’allèguent les requérantes, les amendes infligées à l’article 3 de la Décision sont excessives et ont été déterminées sur la base d’une méthodologie erronée.

164    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lors de la fixation du montant de chaque amende, sans être tenue d’appliquer une formule mathématique précise, le Tribunal statue toutefois, en vertu de l’article 17 du règlement n° 17, avec une compétence de pleine juridiction au sens de l’article 229 CE sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende et peut, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée. Son appréciation du caractère proportionné de l’amende peut, indépendamment d’éventuelles erreurs manifestes d’appréciation commises par la Commission, justifier la production et la prise en considération d’éléments complémentaires d’information qui ne sont pas mentionnés dans la décision de la Commission (voir arrêt Électrodes de graphite, point 165, et la jurisprudence citée).

b)     Résumé de la Décision

165    Aux considérants 436 à 478 de la Décision, la Commission a déterminé le montant de départ de chaque amende en fonction de la gravité de l’infraction. Dans ce contexte, elle a tenu compte :

–        de la nature des deux infractions qui ont essentiellement consisté à fixer les prix et qui ont provoqué une importante distorsion de concurrence, en estimant qu’il s’agissait d’une infraction très grave aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE ;

–        de l’impact réel des infractions sur les marchés du graphite isostatique et du graphite extrudé dans l’EEE, en estimant que les membres des ententes couvraient la majeure partie du marché mondial et du marché européen en cause et que les prix étaient non seulement convenus, mais aussi mis en œuvre pendant toute la durée des infractions, de sorte qu’ils ont eu un impact réel sur le marché ;

–        de la taille du marché géographique en cause, en relevant que les deux infractions ont couvert la totalité du marché commun et, à partir de sa création, l’ensemble de l’EEE.

166    Eu égard à ces facteurs, la Commission a considéré que les entreprises concernées avaient commis des « infractions très graves ».

167    Ensuite, afin de tenir compte de la capacité économique effective de chaque entreprise de causer un préjudice grave à la concurrence, la Commission a appliqué un traitement différencié. À cette fin, elle a réparti les entreprises concernées en plusieurs catégories, en s’appuyant sur les chiffres d’affaires et les parts de marché à l’échelle mondiale. La comparaison a été effectuée sur la base des parts de marché mondiales pour les produits en cause (graphites spéciaux isostatiques et extrudés en blocs entiers et découpés) au cours de la dernière année civile des infractions, à savoir l’année 1997.

168    À cet égard, la Commission s’est référée à la colonne 4 du tableau 1 (figurant au considérant 16 de la Décision), en ce qui concerne les produits en graphite isostatique :

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Elle a rappelé que, selon les déclarations des entreprises, les blocs entiers et découpés représentaient la part suivante de leur chiffre d’affaires total pour le graphite isostatique :

SGL : [45 à 55 %], LCL : [20 à 30 %], Ibiden : [20 à 30 %], Tokai : [55 à 65 %], TT : [25 à 35 %], UCAR : [35 à 45 %], NSCC : [50 à 60 %] et Intech : [80 à 90 %] (tableau 2, considérant 16).

169    S’agissant des produits en graphite extrudé, la Commission a renvoyé à la colonne 3 du tableau 3 (figurant au considérant 17 de la Décision) :

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Elle a rappelé que, selon les déclarations des entreprises, les blocs entiers et découpés représentaient pour UCAR et pour SGL, respectivement, [20-30 %] et [40-50 %] de leur chiffre d’affaires total pour le graphite extrudé.

170    Compte tenu des données relatives au marché du graphite isostatique, SGL − considérée comme étant de loin le plus gros producteur de graphite isostatique en blocs entiers et découpés sur le marché mondial (part de marché comprise entre 30 et 40 %) − a été classée dans la première catégorie (montant de départ de 20 millions d’euros). TT a été classée dans la deuxième catégorie (part de marché comprise entre 21 et 27 %) avec un montant de départ de 14 millions d’euros. LCL et Tokai, avec des parts de marché supérieures à 10 %, ont été classées dans la troisième catégorie (montant de départ de 7,4 millions d’euros). Ibiden et NSC/NSCC, avec des parts de marché comprises entre 5 et 10 %, ont été classées dans la quatrième catégorie (montant de départ de 3,8 millions d’euros). UCAR et Intech, avec des parts de marché inférieures à 5 %, ont été classées dans la cinquième catégorie (montant de départ de 1,4 million d’euros).

171    Compte tenu des données relatives au marché du graphite extrudé, UCAR et SGL, occupant une position analogue sur le marché mondial avec des parts de marché comprises entre 25 et 35 % chacune, ont été classées dans une catégorie unique (montant de départ de 15 millions d’euros).

c)     Sur les montants de départ retenus en fonction de la gravité des infractions (T-71/03, T-74/03 et T-87/03)

 Arguments des parties

172    Tokai et Intech soulèvent plusieurs moyens et arguments dirigés, notamment, contre la méthode appliquée par la Commission pour calculer le montant de départ des membres de l’entente dans le secteur du graphite spécial isostatique, contre les chiffres utilisés et contre l’appréciation de la gravité de l’infraction commise.

173    Tokai reproche à la Commission d’avoir violé les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, de s’être fondée sur une erreur de fait et de droit manifeste et d’avoir méconnu le point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices en se fondant exclusivement sur le chiffre d’affaires mondial pour le produit en cause et la part de marché mondiale pour classer les destinataires de la Décision en plusieurs catégories et pour attribuer à chaque catégorie un « montant de départ » spécifique de l’amende. Ce serait à tort que la Commission n’a pas tenu compte des ventes et des parts de marché dans l’EEE, ces dernières données reflétant le mieux la capacité de chaque entreprise de porter atteinte à la concurrence dans l’EEE ainsi que son impact réel sur cette concurrence.

174    Tokai estime que l’arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 101 supra (points 192, 193 et 196), et l’arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Daesang et Sewon Europe/Commission (T-230/00, Rec. p.  II-2733, points 48 à 53), tous deux intervenus au regard de l’entente de la lysine (voir la décision Lysine, point 151 ci-dessus), appuient leur thèse en ce que le Tribunal s’est également fondé sur une appréciation de l’importance réelle des entreprises sur le marché affecté, à savoir celui de l’EEE. En effet, il ne saurait être exclu qu’une entreprise ayant une position importante sur un marché extracommunautaire ne dispose que d’une position faible sur le marché de l’EEE. Dans ce contexte, Tokai précise que, en tant que producteur japonais, elle a toujours été moins active sur le marché de l’EEE, car son marché naturel est l’Asie et l’Extrême-Orient. Le fait d’ignorer les ventes à l’échelle de l’EEE pénaliserait les producteurs japonais et avantagerait les producteurs européens.

175    Tokai rappelle avoir été classée dans la même catégorie que LCL, alors que ses ventes de graphite isostatique dans l’EEE ont été de l’ordre d’un sixième de celles de LCL. De plus, le montant de départ de l’amende d’Ibiden aurait été fixé à la moitié de celui de Tokai, alors que ses ventes de graphite isostatique dans l’EEE étaient, en chiffres absolus, quasi identiques. La part de marché mondiale de Tokai aurait été de 9 %, alors qu’elle était uniquement de 4 % dans l’EEE. Par conséquent, Tokai devrait, tout au plus, être placée dans la quatrième catégorie, avec un montant de départ de 3,8 millions d’euros.

176    Tokai reproche à la Commission, en tout état de cause, une violation de l’article 253 CE, la Commission n’expliquant ni pourquoi les parts de marché au niveau de l’EEE ont été négligées aux fins du calcul de l’amende, ni pourquoi ces parts de marché ne donnent pas une indication fiable sur l’incidence du comportement des entreprises sur la concurrence dans l’EEE.

177    Intech soutient, en revanche, que la Commission aurait dû tenir compte du seul chiffre d’affaires mondial total (tous produits confondus). En effet, ce chiffre d’affaires total refléterait fidèlement l’importance de l’entreprise concernée et permettrait d’éviter que lui soit infligée une amende disproportionnée.

178    La Commission conclut au rejet de tous les moyens et arguments présentés par les requérantes.

179    Elle soutient, plus particulièrement, qu’elle ne s’est pas exclusivement appuyée sur le chiffre d’affaires mondial pour fixer le montant de départ des amendes, mais qu’elle a tenu compte de nombreux critères. Cependant, le chiffre d’affaires mondial et la part de marché mondiale traduiraient l’importance relative des entreprises sur le marché en cause et, partant, leur capacité à perturber gravement la concurrence dans l’EEE.

 Appréciation du Tribunal

180    Dès lors qu’Intech reproche à la Commission de ne pas avoir déterminé les différents montants de départ en se fondant sur le chiffre d’affaires global, tous produits confondus, il convient de rappeler, d’une part, que la seule référence expresse au chiffre d’affaires contenue dans l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 concerne la limite que le montant d’une amende ne peut dépasser et, d’autre part, que cette limite s’entend comme étant relative au chiffre d’affaires global. Dans le respect de cette limite, la Commission peut, en principe, fixer l’amende à partir du chiffre d’affaires de son choix, en termes d’assiette géographique et de produits concernés, sans être obligée de retenir précisément le chiffre d’affaires global (voir arrêt Électrodes de graphite, point 195, et la jurisprudence citée).

181    Dans ce contexte, le Tribunal a déjà précisé qu’il est loisible à la Commission, en application de ses lignes directrices, de choisir, comme point de départ de son calcul pour toutes les entreprises concernées, un montant fixé en fonction de la nature même de l’infraction commise, montant qui est ensuite modulé pour chacune des entreprises concernées en fonction de plusieurs éléments (arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 133 supra, points 384, 385, 416 et 437).

182    Intech ne conteste pas que, en l’espèce, la Commission a appliqué cette méthode, telle que prévue par les lignes directrices. Par conséquent, Intech ne saurait valablement affirmer que la Commission aurait été légalement tenue de se fonder sur le seul chiffre d’affaires global. Son grief doit donc être écarté.

183    S’agissant de la thèse défendue par Tokai selon laquelle la Commission, au lieu de se livrer à une « approche mondiale », aurait dû se fonder sur les chiffres d’affaires et les parts de marché réalisés par la vente du produit en Europe, il y a lieu de rappeler que la Commission, en application de ses lignes directrices, a procédé en deux temps pour aboutir à la répartition en catégories des entreprises impliquées dans l’entente active en matière de graphite isostatique.

184    Dans une première phase, elle a déterminé, conformément au point 1 A, premier et deuxième alinéas, des lignes directrices, la gravité de l’infraction en tant que telle, cette infraction ayant consisté en l’instauration d’une entente de fixation des prix qui a été mise en œuvre sur le marché de l’EEE tout entier (considérants 437 à 457 de la Décision).

185    Dans une seconde phase, la Commission a pris en considération, en application du point 1 A, troisième, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, des éléments de nature à différencier le traitement des entreprises individuelles. À cet effet, il ressort de la Décision que la Commission a tenu compte de la capacité économique effective de chaque auteur de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs et du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, afin d’assurer que les amendes infligées aient un caractère suffisamment dissuasif (considérants 458 à 475 de la Décision).

186    C’est dans ce dernier contexte qu’elle a considéré que, eu égard au caractère mondial de l’entente, il convenait de prendre pour base de comparaison de l’importance relative de chaque entreprise sur le marché en cause les parts respectives du marché mondial du produit, étant donné que ces éléments donnaient la représentation la plus adaptée de la capacité des entreprises à nuire gravement aux autres opérateurs dans le marché européen et fournissaient une indication de leur contribution à l’efficacité de l’entente dans son ensemble ou, à l’inverse, de l’instabilité qui aurait régné dans l’entente si elles n’y avaient pas participé (considérant 471 de la Décision).

187    Ce raisonnement ne saurait être censuré du simple fait que l’entente en cause était dépourvue d’un régime strict de répartition géographique des marchés, tel qu’il avait caractérisé l’entente sur le marché des électrodes de graphite.

188    En effet, par leur adhésion au régime des prix cartellisés, les membres de la présente entente ont volontairement renoncé à l’un des plus importants paramètres de compétitivité, à savoir la conquête de parts de marché supplémentaires, notamment en Europe, au moyen d’une baisse de leurs prix. Leur engagement de ne pas vendre en dessous des prix fixés revenait donc à ne pas mettre leur potentiel de concurrence total, c’est-à-dire mondial, à la disposition du marché européen. S’ils n’avaient pas participé à l’entente de prix, ils auraient été libres de définir leur politique de prix, sans avoir aucun engagement envers des concurrents, et donc de vendre en dessous des prix cartellisés afin d’augmenter leurs parts de marché en Europe.

189    L’existence d’une relation étroite entre prix et parts de marché a été confirmée par TT. En effet, dans sa réponse à la communication des griefs (annexe A 3 de la requête T-72/03, p. 14/15 et 17), TT a expressément déclaré :

–        que sa stratégie à long terme consistait à « augmenter sa part de marché en Europe en multipliant ses ventes, ce qui ne pouvait être obtenu qu’au moyen d’une baisse de ses prix » ;

–        que SGL se plaignait que « Toyo Tanso ne respectait pas l’accord sur les prix [et] soulignait que Toyo Tanso avait augmenté sa part de marché en Amérique du Nord et en Europe » ;

–        qu’un rapport d’information sur le marché actuel en Europe affirmait que « le plus grand problème qui se pose concernant les prix est l’attitude de Toyo Tanso qui augmenterait ses parts de marché d’une manière significative en ne respectant pas l’accord sur les prix ».

190    Bien que TT se soit désistée de son recours après l’audience (voir point 33 ci-dessus), ces éléments peuvent être pris en considération par le Tribunal dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction (voir point 164 ci-dessus), d’autant plus que l’affaire T-72/03 avait été jointe avec les autres affaires (voir point 30 ci-dessus).

191    En outre, NSCC a déclaré, pour sa part, que TT pourrait obtenir d’importantes parts de marché en ne respectant pas les prix fixés (considérant 286, avant-dernier alinéa, de la Décision).

192    L’argumentation de Tokai, qui prétend avoir déjà pleinement déployé son potentiel concurrentiel mondial sur le marché européen en y obtenant une part de marché de 20 %, est, d’une part, contredite par l’existence de la relation étroite entre prix et parts de marché qui vient d’être exposée. D’autre part, cette requérante ne peut pas utilement prétendre que l’impact de son absence d’agressivité, en termes de prix, sur le marché européen aurait été le même si elle n’avait pas participé à l’entente sur les prix. À cet égard, il suffit de constater que son comportement en matière de prix cartellisés sur le marché européen correspondait fidèlement à l’objet des accords collusoires et au bon fonctionnement de l’entente, de sorte qu’il est permis d’en conclure que Tokai a empêché son potentiel concurrentiel mondial de se déployer pleinement sur le marché européen, et ce nonobstant sa part de marché de 20 % sur ce marché (voir, en ce sens, arrêt Électrodes de graphite, point 207).

193    Cette déduction n’est pas contredite par l’arrêt Électrodes de graphite, qui avait pour objet une entente ayant fixé les prix et réparti les marchés en fonction du principe du « producteur domestique » selon lequel les producteurs non originaires de l’EEE, au lieu de livrer une concurrence agressive sur le marché de l’EEE, étaient tenus de se retirer de ce marché qui n’était pas « leur marché domestique ». Il est vrai que, dans cet arrêt (point 198), le Tribunal a jugé qu’un calcul du montant de départ des « producteurs non domestiques » sur la base de leur faible chiffre d’affaires dans l’EEE pour le produit en cause aurait récompensé ces producteurs de s’être conformés à l’un des principes fondamentaux de l’entente et d’avoir accepté de ne pas entrer en concurrence sur le marché de l’EEE.

194    Toutefois, si ce raisonnement a mis en évidence le caractère particulièrement approprié d’une « approche mondiale » dans le cas d’une répartition géographique des marchés telle qu’elle avait été pratiquée dans le secteur des électrodes de graphite, il n’est nullement permis d’en conclure a contrario qu’une « approche mondiale » devrait strictement être exclue dans le cas d’une entente de prix dépourvue d’un régime de répartition des marchés.

195    S’agissant des arrêts Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 101 supra, et Daesang et Sewon Europe/Commission, point 174 supra, invoqués par Tokai, il est vrai que le Tribunal, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, a substitué le calcul des montants de départ fait dans la décision attaquée par un calcul fondé sur les chiffres d’affaires tirés du produit dans l’EEE (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, points 189, 197, 198 et 204, et arrêt Daesang et Sewon Europe/Commission, points 45, 53, 54 et 62). Il y a toutefois lieu de souligner que le calcul opéré par la Commission a été censuré, dans ces arrêts, parce qu’il était essentiellement fondé sur le chiffre d’affaires global que les entreprises concernées avaient réalisé avec l’ensemble de leurs activités, chiffre d’affaires que le Tribunal a considéré comme présentant une vue trop inexacte des choses (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 193, et arrêt Daesang et Sewon Europe/Commission, point 49).

196    Or, en l’espèce, la Décision n’est pas fondée sur de telles données considérées comme ayant un caractère inexact. En effet, la Commission a eu recours aux chiffres d’affaires mondiaux réalisés avec la vente du produit en cause. Ainsi qu’il vient d’être exposé, le choix de cette approche n’est entaché d’aucune erreur.

197    Il s’ensuit que les moyens tirés d’un choix erroné des chiffres d’affaires à retenir aux fins de la détermination des montants de départ doivent être rejetés et que la Commission n’a commis aucune erreur en se fondant sur les chiffres d’affaires mondiaux réalisés avec la vente du produit en cause. En tout état de cause, le Tribunal considère, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, que la méthode utilisée par la Commission offre, en l’espèce, une vue appropriée de la capacité des entreprises à affecter la libre concurrence.

198    Ne saurait non plus être retenu le moyen tiré d’un défaut de motivation en ce que la Commission se serait abstenue d’expliquer pourquoi les parts de marché au niveau de l’EEE ont été négligées dans le présent contexte. En effet, la Commission a exposé, au considérant 471 de la Décision, les raisons plaidant en faveur d’une « approche mondiale » et, à son considérant 473, les raisons s’opposant à l’utilisation des parts de marché dans l’EEE. Dans ces circonstances, les requérantes étaient en mesure d’avancer tous les arguments qu’elles jugeaient utiles pour défendre leur point de vue devant le Tribunal.

199    Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’adopter la mesure d’organisation de la procédure que Tokai a demandée le 14 septembre 2004, étant donné que cette demande vise à obtenir des clarifications au regard de certains chiffres d’affaires réalisés sur le marché de l’EEE, soit des données dépourvues de pertinence dans le présent contexte.

d)     Sur l’utilisation des chiffres concrets destinés à répartir les membres de l’entente en catégories et à fixer les montants de départ correspondants (T-71/03 et T-91/03)

 Arguments des parties

200    Tokai rappelle que la Commission l’a placée dans la troisième catégorie d’entreprises, ensemble avec LCL, au motif qu’elle détenait en 1997 une part de marché mondiale supérieure à 10 %. Or, cette part de marché aurait été surestimée par la Commission, étant donné que cette dernière a sous-estimé la taille totale du marché. En réalité, la part de marché mondiale de Tokai pour le graphite isostatique en blocs entiers et découpés aurait été inférieure à 10 %.

201    À cet égard, Tokai précise que, d’après la colonne 4 du tableau 1, la fourchette des ventes réalisées en 1997 par chaque entreprise est en chiffres absolus identique à celle relative à sa part de marché (pour Tokai : « 9-14 [9‑14 %] »). Selon Tokai, il ne peut en être ainsi que si la Commission a évalué que le montant total des ventes de graphite isostatique en blocs entiers et découpés s’élevait à 100 millions d’euros (ce qui égale à 100 %). Cependant, le chiffre de 100 millions d’euros sous-estimerait la taille totale du marché. En effet, ainsi qu’il ressort de la colonne 3 du tableau 1, l’ensemble des ventes de graphite isostatique réalisées en 1997 par tous les destinataires de la Décision se serait élevé à 315 millions d’euros.

202    Or, la Commission aurait elle-même déclaré, au considérant 23 de la Décision, que le marché du graphite isostatique a été dominé par huit producteurs de dimension mondiale (TT, Tokai, SGL, LCL, Ibiden, NSC/NSCC, UCAR et POCO), « qui contrôlaient 80 % du marché mondial ». Eu égard aux ventes mondiales de POCO, le montant du marché total pour les ventes de graphite isostatique en 1997 aurait approximativement été de 440 millions d’euros. En appliquant à ce montant la fourchette de 32-41 % figurant dans la colonne 4 du tableau 1, on obtiendrait une fourchette des ventes mondiales de graphite en blocs entiers et découpés comprise entre 140 millions et 180 millions d’euros. Les ventes réelles de Tokai ([9-14] millions d’euros en 1997) déboucheraient donc, en toute hypothèse, sur une part de marché inférieure à 10 %.

203    Tokai et SGL en concluent au caractère douteux, voire incorrect, des chiffres utilisés par la Commission pour procéder à la catégorisation des entreprises selon leur poids économique individuel. Selon ces requérantes, la Commission a grossièrement sous-estimé la taille du marché pertinent.

204    Par conséquent, Tokai aurait dû être placée non pas dans la troisième catégorie d’entreprises, mais dans la quatrième. L’erreur de classement et d’évaluation commise par la Commission constituerait une erreur d’appréciation manifeste.

205    Enfin, la Commission aurait enfreint l’article 253 CE, du fait que l’évaluation opérée par la Commission ne s’appuie sur aucune donnée invoquée dans la Décision et se fonde sur des contradictions. En tout état de cause, si la Commission a effectivement tenu compte de « parts de marché relatives », cela ne ressortirait pas clairement de la Décision.

206    SGL reproche à la Commission d’avoir commis une erreur grossière quant à la base servant au calcul des amendes.

207    S’agissant des graphites isostatiques, tant la communication des griefs que la Décision − notamment le tableau 1 (point 168 ci-dessus) (considérant 16 de la Décision) − seraient fondées, en ce qui concerne SGL, sur des données fournies par la requérante elle-même, à savoir sur les chiffres d’affaires de son secteur « Applications industrielles » pour la période 1993-1998 qu’elle avait présentés le 15 juin 2000 à la Commission. Ces chiffres auraient été accompagnés de commentaires indiquant que les ventes totales par SGL de produits isographites au niveau mondial devaient être nettement moins importantes que les ventes totales du secteur « Applications industrielles », et ce notamment en ce qui concerne les secteurs d’activité « semicon », « analytical » et « powder ». Sans tenir compte de cela, la Commission aurait utilisé les chiffres de vente totaux et aurait donc donné une image déformée des dimensions économiques sur le plan de la concurrence.

208    SGL souligne qu’elle avait déjà critiqué cette représentation erronée dans sa réponse à la communication des griefs du 25 juillet 2002. Elle aurait notamment dénoncé que les faits exposés par la Commission donnaient la fausse impression que la requérante était le leader du marché mondial pour l’isographite, alors qu’environ deux tiers de la capacité mondiale se trouvait au Japon. En ce qui concerne plus particulièrement la société Tokai, SGL rappelle avoir indiqué, dans cette même réponse, que Tokai avait elle-même évalué son chiffre d’affaires, au cours de la procédure, à environ le double du chiffre d’affaires retenu dans la communication des griefs.

209    En réponse à la communication des griefs, SGL aurait transmis à la Commission un tableau qui comportait ses chiffres de vente corrects en ce qui concerne l’isographite pour la période 1993-1998. Comme il ressort de ce tableau, le chiffre d’affaires mondial se serait élevé en 1997 non pas à 80,4 millions d’euros, mais seulement à 45,6 millions d’euros. En fournissant ces corrections, SGL aurait invité la Commission à clarifier les rapports de taille des entreprises en vue d’un calcul correct des amendes. Dans la Décision, la Commission n’aurait, cependant, ni pris en compte les chiffres de vente avancés par SGL ni vérifié dans leur ensemble la taille des entreprises et les parts de marché. Au lieu de cela, elle se serait fondée sur des chiffres manifestement erronés.

210    En ce qui concerne les chiffres représentant la part des blocs entiers et découpés dans le chiffre d’affaires total pour le graphite isostatique (point 168 ci-dessus), SGL les considère également comme inexacts. En effet, dans sa réponse à la communication des griefs, elle aurait attiré l’attention de la Commission sur le fait que le chiffre de 45 à 55 %, retenu à son égard, devait être réduit, étant donné qu’il couvrait également sa propre consommation (à concurrence de 10 à 11 %).

211    SGL ajoute que la fixation des montants de départ aurait pris une toute autre forme si la Commission avait considéré les chiffres des autres entreprises concernées de manière critique et si elle avait établi les chiffres corrects concernant ces autres entreprises. Dans sa réponse à la communication des griefs, SGL aurait déjà attiré l’attention sur le fait que les chiffres de vente indiqués dans cette communication et les rapports de force qui en résultent entre les entreprises concernées étaient en contradiction flagrante avec les capacités mondiales sur le marché des graphites isostatiques et qu’ils ne pouvaient donc pas être exacts.

212    SGL dénonce aussi des données erronées en ce qui concerne le marché des graphites extrudés. Elle ne comprend pas comment la Commission est parvenue aux parts de marché indiquées au tableau 3 (considérant 17 de la Décision) (point 169 ci-dessus). En effet, elle aurait déjà attiré l’attention sur ce point dans sa réponse à la communication des griefs laquelle comportait les mêmes données relatives aux parts de marché que la Décision. Ces parts de marché auraient été fondées sur des estimations des entreprises concernées, c’est-à-dire également de la requérante. Or, la Commission ne révélerait pas de quelle manière elle a déduit de ces estimations que la requérante détenait une part du marché mondial s’élevant à 30 % en 2000 et à 25-30 % en 1995. Il serait également étonnant que la requérante et UCAR aient les mêmes chiffres de vente pour 1995 et aient été classées dans une même catégorie.

213    SGL soutient, enfin, que la Décision ne satisfait en aucune manière aux obligations de motivation imposées par l’article 253 CE. En effet, les données concernant les chiffres de vente et du marché sur lesquelles la Commission s’est fondée seraient contradictoires et incompréhensibles.

214    Ainsi, les chiffres d’affaires mondiaux figurant dans la colonne 4 du tableau 1 (voir point 168 ci-dessus) correspondraient exactement aux parts de marché. Tel ne serait pourtant le cas que si le volume des parts de marché sur lesquelles ces chiffres se fondent allait jusqu’à 100 millions d’euros. Or, une telle constatation ne résulterait pas de la Décision et ne serait pas non plus réaliste. Il en irait de même pour le tableau 3 de la Décision (voir point 169 ci-dessus) qui indique, lui aussi, des chiffres d’affaires identiques aux parts de marché d’UCAR et de SGL dans le secteur des graphites extrudés. De plus, il ne serait pas compréhensible comment la Commission a déduit les chiffres figurant à la colonne 4 de ce tableau de l’ensemble des ventes inscrites à la colonne 3.

215    La Commission conclut au rejet de tous ces moyens et arguments.

216    Quant aux moyens soulevés par SGL, elle admet avoir utilisé les données relatives au marché du graphite isostatique figurant dans la lettre de la requérante du 15 juin 2000. Il s’agirait d’estimations de la requérante sur ses ventes de graphite isostatique en Europe et dans le monde. Pour 1997, le chiffre d’affaires mondial aurait été indiqué comme s’élevant à 158 millions de marks allemands (DEM), ce qui correspond aux 80,4 millions d’euros figurant dans la colonne 3 du tableau 1 de la Décision. Ce tableau comprendrait tous les produits en graphite isostatique, donc nécessairement aussi les secteurs d’activité « powder » et « semicon ». S’agissant du poste « analytical », à supposer qu’il contienne aussi du graphite non isostatique, cette constatation ne serait pas déterminante du fait que le chiffre d’affaires y relatif n’a qu’une valeur de 2 millions d’euros.

217    La Commission ajoute que SGL − invitée à fournir une estimation annuelle du poids relatif des blocs et des produits usinés dans le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise avec les produits isostatiques entre 1993 et 1998 − a répondu que, en 1997, son chiffre d’affaires global sur les produits en graphite isostatique provenait, pour 45 %, de « demi-produits » en général (c’est-à-dire de blocs entiers et découpés) et, pour 11 %, de demi-produits transformés au sein du groupe. Par conséquent, la Commission aurait calculé que le chiffre d’affaires réalisé sur le marché pertinent pour l’infraction se montait à 45 % du chiffre d’affaires global réalisé avec l’isographite, d’un montant de 80,4 millions d’euros, soit à 36,1 millions d’euros. Dans la Décision, pour des raisons de confidentialité, ce chiffre aurait été remplacé par une fourchette de 30-40 (colonne 4 du tableau 1).

218    La Commission reproche à la requérante de contester l’exactitude de ses propres chiffres d’affaires. Son exposé sur ce point demeurerait totalement dénué de preuves. D’une part, elle affirmerait que le calcul de la Commission a erronément pris en considération des produits semi-conducteurs, mais ne préciserait pas de quels produits il s’agit. D’autre part, la manière dont elle établit les prétendus chiffres d’affaires exacts resterait un mystère.

219    S’agissant du chiffre de 45,6 millions d’euros invoqué par SGL, la Commission reproche à la requérante de ne pas expliquer comment une proportion de 34,8 millions d’euros du montant qu’elle a elle-même communiqué comme chiffre d’affaires dans les produits isostatiques (80,4 - 45,6) ne correspondait finalement pas au marché des produits en cause, alors que c’était à elle qu’il incombait de communiquer des chiffres d’affaires fiables.

220    Quant à la prétendue insuffisance de motivation, la Commission estime que la Décision explique suffisamment les modalités de la détermination des parts de marché. Dans la mesure où SGL s’interroge plus particulièrement sur la concordance entre les fourchettes des chiffres d’affaires et des parts de marché dans la colonne 4 du tableau 1 ainsi que dans le tableau 3 (voir points 168 et 169 ci-dessus), la Commission souligne que la somme des chiffres d’affaires correspondait effectivement à quelque 100 millions d’euros.

221    S’agissant des moyens soulevés par Tokai, la Commission rappelle que les chiffres figurant au tableau 1 reflètent, ainsi qu’il ressort de son intitulé, l’importance « relative » des entreprises sur le marché mondial du graphite isostatique. Elle estime que la détermination des parts de marché relatives était une bonne méthode d’approximation pour évaluer l’importance relative des membres de l’entente et pour les différencier, du fait qu’il n’existait pas de données industrielles fiables susceptibles de fournir des renseignements objectifs sur le produit très spécifique, à savoir le graphite isostatique en blocs entiers et découpés, ou de déterminer exactement les parts de marché de tous les acteurs du marché.

222    Par ailleurs, même si l’on tenait compte du chiffre d’affaires estimé de POCO et du fait que le total ne représentait que 80 % du marché mondial, cela n’aurait aucune conséquence sur le classement des destinataires de la Décision. En effet, la position relative de chaque membre de l’entente par rapport aux autres membres resterait identique.

 Appréciation du Tribunal

223    Il convient de constater, à titre liminaire, que les moyens soulevés par SGL et Tokai ne concernent pas la phase d’examen lors de laquelle la Commission a procédé, conformément au point 1 A, premier et deuxième alinéas, de ses lignes directrices, à l’appréciation de la gravité des deux infractions en tant que telles, à savoir de l’instauration et de la mise en œuvre d’ententes horizontales de prix couvrant le territoire entier de l’EEE dans le secteur des graphites isostatiques et extrudés en blocs entiers et découpés (voir point 184184 ci-dessus). Il n’y a donc pas lieu, même dans le cadre de la compétence de pleine juridiction du Tribunal, de remettre en question l’appréciation de la Commission (considérants 437 à 457 de la Décision) selon laquelle ces ententes constituaient des infractions « très graves » (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 avril 2004, British Sugar/Commission, C-359/01 P, non encore publié au Recueil, point 50), en conséquence de quoi le montant de départ le plus élevé en matière de graphite isostatique a été fixé à 20 millions d’euros et les deux montants de départ applicables en matière de graphite extrudé ont été fixés chacun à 15 millions d’euros.

224    Les présents moyens ne visent que la phase d’examen lors de laquelle la Commission a, d’une part, fixé le montant de départ concret pour les deux membres de l’entente en matière de graphite extrudé et, d’autre part, procédé à la différenciation du traitement à réserver aux membres de l’entente en matière de graphite isostatique, c’est-à-dire à leur répartition en catégories et à la fixation des montants de départ individuels correspondants (voir point 185 ci-dessus).

–       Sur la méthode appliquée en vue de réunir les chiffres pertinents pour l’entente dans le secteur du graphite isostatique

225    Il importe de rappeler que la différenciation effectuée en ce qui concerne l’entente sur le marché du graphite isostatique consistait non pas à mesurer la gravité de l’infraction commise par chaque entreprise impliquée − c’est lors de la phase d’examen précédente que la gravité de l’infraction a été appréciée, et ce au regard de l’entente tout entière (voir, en ce sens, arrêt Électrodes de graphite, point 203) −, mais à déterminer, conformément au point 1 A, troisième, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, la contribution individuelle de chaque entreprise, en termes de capacité économique effective, au succès de l’entente en vue de son classement dans la catégorie appropriée.

226    En l’espèce, la Commission a évalué cette contribution individuelle en se fondant sur le chiffre d’affaires réalisé par chaque entreprise avec le produit en cause à l’échelle mondiale. Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus (points 180 à 197 ci-dessus), cette approche de principe n’est entachée d’aucune erreur.

227    S’agissant des chiffres retenus en l’espèce, la Commission a déclaré, sans être contredite sur ce point par les requérantes, qu’il n’existait pas de données industrielles susceptibles de fournir des renseignements objectifs sur le produit très spécifique en cause, les chiffres relatifs aux marchés des produits au sens étroit ne faisant pas de distinction, ni dans les bilans publiés ni même dans les bilans internes des entreprises, entre blocs entiers ou blocs découpés, ni entre graphite isostatique ou graphite extrudé. Par conséquent, a-t-elle précisé, les chiffres d’affaires pertinents ont été spécialement calculés et transmis par chaque entreprise en réponse à des demandes de renseignements. La Commission a ajouté qu’elle n’avait aucune raison de douter de l’exactitude des chiffres qui lui ont été communiqués par les entreprises.

228    La situation à laquelle la Commission devait faire face était ainsi caractérisée par un marché dépourvu de transparence en ce qui concerne les chiffres d’affaires réalisés avec le produit très spécifique en cause. En l’absence de chiffres d’affaires officiels et objectifs, la Commission n’était donc pas en mesure de déterminer les parts de marché objectives de toutes les entreprises du secteur économique en cause.

229    Dans ces conditions, la Commission s’est procurée les données chiffrées pertinentes auprès des seuls membres de l’entente, ainsi qu’il ressort clairement du nombre et de l’identité des entreprises figurant dans le tableau 1 de la Décision (considérant 16). En effet, ce tableau fait abstraction des données relatives non seulement à l’entreprise POCO, mais aussi aux autres « outsiders » détenant environ 20 % du marché mondial du graphite isostatique (considérant 23 de la Décision). La Commission a donc utilisé les chiffres d’affaires individuellement communiqués par les seuls membres de l’entente afin de classer ces derniers en catégories selon « leur importance relative » sur le marché mondial du graphite isostatique (voir l’intitulé du même tableau).

230    Il apparaît donc à l’évidence de la Décision que, en recueillant auprès des seuls membres de l’entente les données chiffrées nécessaires à leur catégorisation, la Commission a appliqué une méthode « relativiste » utilisant des valeurs qui ne tenaient compte que des membres de l’entente.

231    Si certains passages de la Décision − tels que certains termes employés aux considérants 471 et 475 ainsi que l’apparente correspondance entre chiffres d’affaires et parts de marché dans la colonne 4 du tableau 1 − peuvent, à première vue, donner la fausse impression que la Commission a voulu se référer à des parts absolues du marché mondial tout entier, ces formules erronées sont manifestement démenties par le nombre réduit et l’identité des entreprises ainsi que les valeurs relatives figurant dans ledit tableau 1.

232    Par ailleurs, les requérantes ne se sont pas méprises à cet égard, comme le démontrent les moyens dirigés contre cette méthode. Dès lors, le moyen tiré d’un défaut de motivation sur ce point ne saurait être accueilli.

233    Dans les circonstances particulières du cas d’espèce, il ne saurait non plus être reproché à la Commission, quant au fond, d’avoir choisi la méthode « relativiste » susmentionnée. Par ailleurs, aucune des requérantes n’a soutenu que la Commission aurait pu se fonder sur une méthode plus solide et objective en se procurant des chiffres officiels relatifs au marché tout entier.

234    En tout état de cause, les requérantes n’auraient aucun intérêt légitime à remettre en question le principe de la méthode choisie par la Commission. En effet, à défaut de procéder à une différenciation des requérantes par leur répartition en catégories, chacune d’elles pourrait se voir attribuer, en application du point 1 A, premier et deuxième alinéas, des lignes directrices, un montant de départ de 20 millions d’euros, soit le montant le plus bas « envisageable » pour sa participation à l’entente en cause. Aucune des requérantes ne tirerait donc un quelconque bénéfice, en termes de réduction de son montant de départ, d’une annulation de la méthode choisie par la Commission, d’autant moins que le Tribunal ne jugerait pas opportun de la substituer, en exerçant son pouvoir de pleine juridiction, par une autre méthode de différenciation au niveau du calcul des montants de départ.

235    Il s’ensuit que les moyens tirés du caractère douteux des chiffres utilisés par la Commission et de sa méconnaissance de la taille du marché mondial tout entier doivent être écartés. Par conséquent, ces moyens ne sont pas de nature à infirmer la méthode de catégorisation choisie par la Commission. Le classement de Tokai dans la troisième catégorie ne saurait donc non plus être censuré pour cette raison, d’autant plus que Tokai n’a pas remis en question ses propres chiffres d’affaires tels qu’elle les avait communiqués à la Commission.

236    Il en va de même en ce qui concerne les moyens dirigés contre la fiabilité de certains chiffres concrets que la Commission a pris en considération pour catégoriser les membres de l’entente.

237    Ainsi, dans la mesure où SGL lui reproche de ne pas avoir considéré de manière critique les chiffres communiqués par les autres entreprises, il suffit de constater que, en soulevant ce grief, la requérante procède par voie de simple supposition. Son grief n’est étayé d’aucun élément permettant d’en apprécier le bien-fondé et doit, dès lors, être écarté.

238    Si SGL reproche à la Commission encore d’avoir méconnu les chiffres attribués à Tokai, cette dernière ayant elle-même évalué son chiffre d’affaires à environ le double de celui effectivement retenu dans la communication des griefs, il y a lieu de constater que, en réponse à ce grief avancé dans la requête, la Commission a précisé, dans son mémoire en défense, que le chiffre d’affaires de Tokai dénoncé par SGL comprenait les ventes de tous les produits en graphite spécial (graphites isostatique, extrudé et moulé). Par lettre du 31 octobre 2001, Tokai aurait indiqué un chiffre d’affaires mondial réalisé avec le graphite isostatique d’environ 29,3 millions d’euros pour l’année 1997. Toutefois, il ne s’agirait pas du chiffre d’affaires réalisé avec le produit en cause, à savoir les blocs entiers et découpés. Pour cette raison, la Commission aurait utilisé, en principe, comme dans le cas de SGL, le chiffre que Tokai a communiqué le 7 décembre 2001 comme étant le chiffre d’affaires mondial pertinent pour l’infraction. Ce dernier se situerait dans la fourchette comprise entre 9 et 14 millions d’euros figurant, pour des raisons de confidentialité, dans la colonne 4 du tableau 1 de la Décision. Or, cette explication concrète et plausible n’a été contestée par SGL ni dans sa réplique ni à l’audience. Par conséquent, son grief ne saurait être accueilli.

–       Sur les chiffres retenus dans le cas de SGL aux fins de son classement dans la catégorie la plus élevée des membres de l’entente dans le secteur du graphite isostatique

239    Il y a lieu de rappeler que la Commission a considéré SGL comme étant « de loin le plus gros producteur de graphite isostatique en blocs et en blocs découpés sur le marché mondial (part de marché comprise entre 30 et 40 %) » et que cette classification a été fondée sur les chiffres que la requérante avait elle-même fournis à la Commission.

240    Ces chiffres ont été repris dans le tableau 1 de la Décision (voir point 168 ci-dessus) en tant que chiffre d’affaires mondial pour le graphite isostatique en 1997 s’élevant à 80,4 millions d’euros (colonne 3) et en tant que chiffre d’affaires mondial pour le graphite isostatique en blocs entiers et découpés s’élevant à 30-40 millions d’euros (colonne 4), étant précisé que ce dernier chiffre d’affaires a été calculé en multipliant le chiffre de 80,4 par la fourchette de [45-55 %] que SGL avait indiquée comme représentant la part des blocs entiers et découpés de son chiffre d’affaires total pour le graphite isostatique.

241    Il est constant que cette fourchette de [45-55 %] ne fait pas l’objet des contestations émises par SGL. Ces dernières portent uniquement sur l’utilisation par la Commission du chiffre de 80,4 millions d’euros. À cet égard, il est opportun de rappeler, tout d’abord, la chronologie des événements pertinents tels qu’ils ressortent du dossier.

242    Le 28 mars 2000, la Commission avait adressé à SGL une demande de renseignements tendant à obtenir, notamment, des données relatives au chiffre d’affaires mondial de l’entreprise réalisé « dans le secteur du graphite spécial » pour la période allant de 1993 à 1998 ainsi que des données semblables, toujours au regard du « secteur du graphite spécial », pour l’EEE, le marché commun et les différents États membres.

243    Dans sa lettre de réponse du 15 juin 2000, SGL a déclaré qu’elle était disposée à coopérer avec la Commission et qu’elle espérait, à ce titre, pouvoir bénéficier de l’application de la communication sur la coopération. Quant aux renseignements demandés, la lettre a expliqué (à la page 7) que le secteur de production isographite de SGL était techniquement rattaché à ses « Applications industrielles » et comprenait des demi-produits (blocs entiers et découpés) ainsi que des produits usinés.

244    En outre, un tableau était joint à l’annexe 16 (ci-après le « tableau initial ») intitulé « Chiffre d’affaires isostatique Monde/Europe (UE/EEE) 1993-98, Applications industrielles (demi-produits et produits usinés) (Mio DEM) » qui reprenait les différents secteurs d’activité, à savoir « concast », « general applications », « EDM », « semicon », « analytical » et « powder », avec les chiffres d’affaires individuels correspondants dont la somme totale s’élevait à 158 millions de DEM pour l’année 1997 et à 148,7 millions de DEM pour l’année 1998.

245    Ce tableau était assorti des commentaires suivants :

« powder » : destinée au remplissage de matières plastiques/caoutchouc et à la fabrication de diamants synthétiques,

« analytical » : exclusivement des produits usinés pour la technique d’analyse fabriqués en partie de graphite isostatique et en partie de graphite spécial extrudé,

« semicon » : les chiffres d’affaires mondiaux englobent aussi le résultat des activités exercées aux États-Unis (fabrication de demi-produits extrudés et isostatiques US et usinage US). La quote-part s’élève à environ 50-60 %. 10-15 % des chiffres d’affaires mondiaux ont été réalisés avec du feutre de graphite. Le feutre ne constitue pas un produit isostatique.

246    Une simple lecture de ces commentaires explicatifs fait ressortir à l’évidence que les sommes totales figurant dans ce tableau (158 millions de DEM, soit 80,4 millions d’euros, pour 1997 et 148,7 millions de DEM, soit 74,3 millions d’euros, pour 1998) ne pouvaient aucunement constituer des chiffres d’affaires réalisés exclusivement sur le marché du graphite isostatique. Si SGL n’a pas exactement ventilé les quotes-parts des différents produits non isostatiques, la Commission ne pouvait pas lui en faire grief à ce stade de la procédure administrative, étant donné que sa demande de renseignements du 28 mars 2000, loin d’exiger une telle ventilation spécifique au regard des produits isostatiques, s’était limitée à solliciter la communication de chiffres concernant les graphites spéciaux dans leur totalité.

247    Il s’ensuit que la Commission n’était pas autorisée à considérer ces sommes totales comme provenant exclusivement des ventes de graphite isostatique, sans avoir préalablement approfondi son enquête à cet égard. Des mesures de vérification supplémentaires auprès de SGL auraient été d’autant plus opportunes que la requérante avait manifesté sa disposition à coopérer avec la Commission. Devant le Tribunal, la Commission a d’ailleurs admis qu’il aurait été préférable de demander des éclaircissements supplémentaires à SGL en application de l’article 11 du règlement no 17.

248    Toutefois, c’est sans se prononcer sur les commentaires restrictifs susmentionnés de SGL que la Commission a considéré, dans la communication des griefs, que la somme totale de 74,3 millions d’euros (soit 148,7 millions de DEM) constituait le chiffre d’affaires mondial que SGL avait en 1998 réalisé exclusivement avec la vente de graphite isostatique.

249    Dans sa réponse du 25 juillet 2002 à la communication des griefs, SGL a rappelé tous les commentaires restrictifs qu’elle avait formulés au sujet des sommes totales figurant dans le tableau initial, en précisant que ni la « powder » ni le feutre ne constituait un produit isostatique. Elle a transmis un « tableau corrigé » dont elle a affirmé qu’il se référait exclusivement au graphite isostatique. S’agissant des chiffres relatifs aux différents secteurs d’activité pour l’année 1997, ceux (en euros) pour « concast », « EDM » et « general applications » correspondent à ceux (en DEM) repris dans le tableau initial. La position pour « powder » a été supprimée, tandis que les positions pour « semicon » et « analytical » ont été réduites respectivement de 95 millions de DEM à 23,5 millions d’euros et de 13 millions de DEM à 2,2 millions d’euros. SGL en a conclu que son chiffre d’affaires mondial réalisé en 1997 avec la vente de graphite isostatique s’élevait à 45,6 millions d’euros.

250    Dans la Décision, la Commission, sans tenir compte des nouvelles données apportées par SGL, notamment du « tableau corrigé », a retenu le montant de 80,4 millions d’euros en tant que chiffre d’affaires mondial réalisé en 1997 avec la vente de graphite isostatique.

251    Il résulte de ce qui précède que, ce faisant, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation. En effet, bien qu’elle ait expressément affirmé s’être fondée en matière de graphite isostatique sur les seuls chiffres communiqués par les entreprises elles-mêmes, la Commission a pris en considération, dans le cas de SGL, des chiffres qui, selon les déclarations explicites que la requérante lui avait communiquées en temps utile, englobaient des produits autres que le graphite isostatique.

252    Aucun des arguments avancés par la Commission en sens contraire ne saurait être retenu.

253    Premièrement, elle fait valoir que les chiffres figurant dans le « tableau corrigé » présenté par SGL à la suite de la communication des griefs restaient mystérieux et douteux du fait que SGL n’a été obligée à dire la vérité qu’en répondant à la demande de renseignements au titre de l’article 11 du règlement no 17. À cet égard, il suffit de rappeler que la Commission s’était contentée de la communication des seuls chiffres figurant dans le tableau initial sans avoir demandé, aux fins d’un éventuel contrôle, des explications détaillées ou la transmission des pièces sur la base desquelles ces chiffres avaient été calculés. Dans ces circonstances, elle ne saurait utilement reprocher à SGL d’avoir fourni, en communiquant son « tableau corrigé », des chiffres moins fiables, sur le terrain de la preuve, que ceux figurant dans son tableau initial.

254    En outre, la Commission n’a aucune raison valable de s’opposer à la manière dont SGL a précisé et corrigé − en réponse à la communication des griefs − certaines des données qu’elle lui avait communiquées par lettre du 25 juillet 2000. En effet, ce n’est qu’à la lecture de la communication des griefs que SGL pouvait raisonnablement se rendre compte de ce que la Commission s’apprêtait à utiliser les données figurant dans le tableau initial afin d’établir le chiffre d’affaires tiré du seul graphite isostatique, alors que la demande de renseignements avait visé les graphites spéciaux en général.

255    De plus, la Commission avait déjà permis à SGL de procéder à une correction dans ce même contexte : bien que la requérante ait indiqué, dans les commentaires dont le tableau initial était assorti, qu’une ventilation des quantités selon blocs entiers et découpés, d’une part, et produits usinés, d’autre part, n’était pas possible, la Commission l’a autorisée à revenir sur cette déclaration et à indiquer, par lettre du 10 décembre 2001, qu’elle estimait cette proportion à 45 % pour les demi-produits et à 55 % pour les produits usinés en 1997, et ce d’ailleurs sans que la Commission ait dénoncé le caractère douteux de ces chiffres et l’absence de preuves à cet égard.

256    Deuxièmement, dans la mesure où la Commission prétend devant le Tribunal que, contrairement aux affirmations de SGL, tant le feutre de graphite que la « powder » étaient effectivement des produits isostatiques, il y a lieu de souligner que la Décision ne comporte aucune constatation concrète en ce sens, et ce bien que SGL ait explicitement allégué le contraire dans sa lettre du 25 juillet 2002. S’agissant du secteur d’activité « semicon » de SGL, la Décision ne se prononce pas non plus sur la quote-part des produits non isostatiques telle que SGL l’avait alléguée dans la même lettre, mais se limite à la remarque générale que l’entente n’a pas porté sur les produits pour semi-conducteurs, qui étaient usinés et donc produits « sur mesure » pour le client (considérant 7).

257    Il convient d’ajouter que, devant le Tribunal, la Commission ne s’est pas efforcée d’établir, pièces à l’appui, que les allégations de SGL étaient manifestement contraires aux enseignements de la technologie industrielle. Elle s’est bornée, en substance, à contester le chiffre de 45,6 millions d’euros en dénonçant les prétendues contradictions entre les données figurant dans le tableau initial et celles figurant dans le« tableau corrigé ».

258    Le comportement de la Commission lors de la procédure tant administrative (voir points 253 à 255 ci-dessus) que contentieuse (voir point 257 ci-dessus) permet de conclure que la Commission − si elle avait invité SGL déjà dans sa demande de renseignements du 28 mars 2000 à indiquer le chiffre d’affaires réalisé avec le seul graphite isostatique et si SGL avait répondu en présentant le chiffre de 45,6 millions d’euros sans commentaires − aurait elle-même accepté ce chiffre, tout comme elle a accepté le chiffre d’affaires de 59,469 millions de DEM que SGL avait présenté (annexe 17 de sa lettre du 15 juin 2000), également sans commentaires, pour le graphite extrudé en 1995 (voir point 270 ci-après).

259    Dans ces circonstances, s’agissant de remédier à l’erreur manifeste d’appréciation dont la Décision est entachée, le Tribunal estime qu’il convient d’exercer son pouvoir de pleine juridiction en tenant compte de l’approche de principe de la Commission qui s’était contentée de la communication, par les entreprises concernées, d’estimations relatives aux chiffres d’affaires mondiaux réalisés en 1997 avec la vente de graphites isostatiques. Or, à cet égard, il convient de prendre en considération les chiffres que SGL a présentés dans son « tableau corrigé » du 25 juillet 2002, le Tribunal n’ayant aucune raison de remettre en question la fiabilité de ces chiffres. En conséquence, il y a lieu de considérer que le chiffre d’affaires pertinent de SGL en matière de graphite isostatique s’est élevé non pas à 80,4 millions d’euros, mais à 45,6 millions d’euros.

260    S’agissant de déterminer, à partir du montant de 45,6 millions d’euros, quel était le chiffre d’affaires de SGL en matière de blocs isostatiques entiers et découpés pour l’année 1997, il convient de fonder le calcul sur la quote-part de 45 % communiquée par SGL. Contrairement à la thèse défendue par SGL, il n’y a pas lieu de soustraire de ces 45 % le pourcentage du chiffre d’affaires couvrant la propre consommation de SGL à l’intérieur de son entreprise. En effet, selon une jurisprudence bien établie, il convient de tenir compte des chiffres d’affaires internes aux groupes afin de ne pas avantager, sans justification, les sociétés verticalement intégrées lors du calcul des amendes en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C-248/98 P, Rec. p. I-9641, points 61 et 62, et arrêt Europa Carton/Commission, point 81 supra, point 128).

261    Par conséquent, eu égard au fait que 45 % du chiffre d’affaires de 45,6 millions d’euros en matière de graphite isostatique ont été réalisés avec la vente de blocs entiers et découpés, le chiffre d’affaires pertinent de SGL s’est élevé à 20,5 millions d’euros.

262    Il s’ensuit que SGL ne peut pas être considérée comme ayant été de loin le plus gros producteur de graphite isostatique en blocs entiers et découpés sur le marché mondial (considérant 475 de la Décision) et que le montant de départ de 20 millions d’euros retenu pour la requérante (considérant 476 de la Décision) doit être réformé.

263    Le Tribunal estime, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, qu’il suffit de remplacer le montant de 20 millions d’euros par le montant de départ approprié de 11,3 millions d’euros, qui tient compte des ordres de grandeur réels, et de classer SGL dans une catégorie située entre TT (14 millions d’euros) et Tokai (7,4 millions d’euros). En revanche, il n’apparaît pas nécessaire de réaménager le système de catégorisation dans son ensemble.

264    D’une part, en effet, si la Commission a fidèlement traduit les chiffres d’affaires des membres de l’entente en des montants de départ et fixé ces montants pour les entreprises autres que SGL sous forme d’un pourcentage du montant de 20 millions d’euros attribué à SGL, il n’en reste pas moins que, malgré la disparition de ce « montant de référence », les proportions entre les entreprises autres que SGL demeurent inchangées en termes de chiffres d’affaires. Il s’ensuit que les montants de départ attribués à ces entreprises reflètent correctement les ordres de grandeur en cause.

265    D’autre part, il est vrai que le Tribunal ne serait pas empêché, pour rester dans la logique générale de la Commission (voir, en ce sens, arrêt Électrodes de graphite, point 233) qui a qualifié l’infraction de « très grave », d’attribuer un montant de départ de 20 millions d’euros à TT, dont il s’est avéré qu’elle était en réalité le plus gros producteur, et d’augmenter proportionnellement les montants de départ pour les autres requérantes. Toutefois, l’écart entre 20 millions et 14 millions d’euros en tant que « montant de référence » n’apparaît pas être d’une dimension telle que le choix du montant de 14 millions d’euros priverait les sanctions infligées de leur effet utile. En outre, le point 1 A, deuxième alinéa, des lignes directrices, loin d’imposer un montant de départ de 20 millions d’euros dans toutes les hypothèses d’une infraction « très grave », ne considère un tel montant que comme « envisageable ».

266    Par ailleurs, la Commission s’est elle-même contentée d’un montant de départ de 15 millions d’euros en matière de graphite extrudé en blocs entiers et découpés (considérant 478 de la Décision), et ce bien que l’infraction commise dans ce secteur ait également été qualifiée de « très grave » (considérant 457 de la Décision) et que l’importance économique dudit secteur ait été comparable à celle du secteur isostatique (considérants 15 et 23 de la Décision).

–       Sur la méthode appliquée en vue de réunir les chiffres pertinents pour l’entente dans le secteur du graphite extrudé et sur les chiffres effectivement retenus

267    Il convient de constater que certains des griefs soulevés par SGL dans ce contexte se recoupent avec ceux qui ont déjà été présentés et rejetés  en ce qui concerne l’entente sur le marché du graphite isostatique. Ainsi, SGL prétend ne pas comprendre comment la Commission a pu parvenir aux chiffres, notamment aux parts de marché, figurant dans le tableau 3 de la Décision (voir point 169 ci-dessus) et s’étonne que ce tableau puisse comporter des chiffres d’affaires identiques aux parts de marché.

268    À cet égard, il suffit de rappeler que la Commission ne disposait pas de chiffres officiels et objectifs en la matière. Par conséquent, elle était tenue de se procurer les données pertinentes auprès des seuls membres de l’entente dans le secteur du graphite extrudé, ainsi qu’il ressort clairement du nombre et de l’identité des entreprises mentionnées audit tableau 3 (voir points 227227 et 228 ci-dessus). En effet, ce tableau fait abstraction des données relatives non seulement au groupe Carbide Graphite, mais aussi aux autres « outsiders » détenant environ 25 % du marché mondial du graphite extrudé (considérant 23 de la Décision). Pour les raisons exposées ci-dessus (voir points 231 à 235 ci-dessus), la méthode « relativiste » appliquée par la Commission n’est entachée ni d’un défaut de motivation ni d’une erreur de droit ou d’appréciation.

269    SGL reproche en outre à la Commission de ne pas avoir expliqué comment elle est parvenue à considérer que sa propre part de marché s’est élevée à 25-30 % en 1995. À cet égard, il convient de rappeler à nouveau que l’attribution des montants de départ a exclusivement été opérée en fonction des chiffres d’affaires que les entreprises avaient communiqués à la Commission.

270    Or, à l’annexe 17 de sa lettre du 15 juin 2000 (voir point 243 ci-dessus), SGL avait transmis à la Commission un tableau qui mentionnait un chiffre d’affaires mondial de 59,469 millions de DEM (soit 31,7 millions d’euros) pour 1995. Contrairement à ce qui a été constaté au regard du tableau joint à l’annexe 16 (voir points 244244 et 245 ci-dessus), le chiffre de 59,469 millions de DEM n’a été assorti d’aucun commentaire restrictif. La Commission était donc fondée à s’appuyer sur ce chiffre, exprimé en euros. En outre, SGL avait précisé, dans sa lettre du 10 décembre 2001 (voir point 255 ci-dessus), qu’elle réalisait 45 % de ses ventes de graphite extrudé avec des « demi-produits ». La Commission n’a donc commis aucune erreur en considérant que le chiffre d’affaires pertinent de SGL s’élevait à environ 14 millions d’euros, ce montant ayant été remplacé dans le tableau 3 de la Décision par une fourchette de [12-17] pour des raisons de confidentialité.

271    Il est vrai que le tableau 3 diffère du tableau 1 en ce qu’il indique pour SGL et UCAR des parts de marché identiques de [25-35 %] qui semblent correspondre aux parts de marché mondiales objectives des deux entreprises, compte tenu du fait que SGL, UCAR et l’« outsider » Carbide Graphite détenaient ensemble environ 75 % de ce marché (considérant 23 de la Décision). Cependant, la question de la véracité de ces parts de marché et de leur relation avec les chiffres d’affaires de SGL et d’UCAR est dénuée de pertinence dans le présent contexte. En effet, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, les montants de départ des deux entreprises ont été fixés exclusivement en fonction de leur chiffre d’affaires, d’ailleurs sans répartition des entreprises en des catégories distinctes.

272    Dans la mesure où SGL s’étonne encore que les chiffres concernant son entreprise soient identiques à ceux retenus pour UCAR, force est de constater que la requérante s’est abstenue d’avancer un grief précis dirigé contre l’ordre de grandeur du chiffre d’affaires retenu dans le cas d’UCAR, ce chiffre ayant été remplacé dans le tableau 3 par une fourchette de [12-17] pour des raisons de confidentialité. L’allégation de SGL n’étant étayée par aucun élément de preuve, la Commission a pu la réfuter valablement en soulignant que les chiffres relatifs à SGL et à UCAR pour l’année 1995 se situaient effectivement dans le même ordre de grandeur.

273    Il s’ensuit que les moyens dirigés contre la méthode appliquée en vue de réunir les chiffres pertinents pour l’entente dans le secteur du graphite extrudé doivent être rejetés et que la Commission n’a commis aucune erreur en se fondant sur ces chiffres pour fixer le montant de départ attribué à SGL au titre de sa participation à cette entente. En tout état de cause, le Tribunal ne voit pas de raison, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, de réformer cette méthode ou ce montant.

e)     Sur le montant de base fixé pour SGL en fonction de la durée des infractions (T-91/03)

274    SGL soutient que les ententes de quotas, qualifiées d’infractions « très graves » dans les lignes directrices, s’étendent régulièrement sur plusieurs années. Ce caractère typiquement durable serait inhérent aux infractions de ce genre. Par conséquent, une entente de quotas qui, de par sa nature même, présente un caractère durable ne pourrait, s’agissant de sa durée, être traitée de la même façon qu’une infraction qui, par exemple un abus de position dominante, est déjà « très grave » en cas de commission ponctuelle. La durée d’une entente de quotas ne pourrait donc légalement être prise en compte que lorsqu’elle est nettement supérieure à la durée typique pour ce genre d’infraction. Sur ce point, SGL conteste la légalité des lignes directrices en ce qu’elles envisagent la durée d’une infraction de la même façon quelle que soit la nature de cette dernière.

275    À cet égard, il suffit de rappeler que SGL avait déjà présenté une argumentation semblable dans le litige ayant abouti à l’arrêt Électrodes de graphite. Or, pour les raisons exposées aux points 259 et 260 dudit arrêt, il y a lieu d’écarter cette argumentation : à supposer même que certains types d’ententes soient intrinsèquement conçus pour durer, il importe de faire toujours une distinction, en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, entre la durée de leur fonctionnement effectif et leur gravité telle qu’elle résulte de leur nature propre.

276    Il s’ensuit que le moyen tiré d’une méconnaissance de la durée des infractions retenues à l’égard de SGL doit être rejeté, et ce même au regard de la compétence de pleine juridiction du Tribunal.

277    Cependant, SGL s’étant vu réduire à 11,3 millions d’euros le montant de départ qui lui avait été attribué au titre de la gravité de l’infraction dans le secteur du graphite isostatique, le montant de base fixé au titre de la durée (considérants 480 et 484 de la Décision) sera corrigé et passera de 29 millions à 16,4 millions d’euros.

f)     Sur les circonstances atténuantes (T-74/03 et T-87/03)

 Résumé de la Décision

278    Aux considérants 515 et 516 de la Décision, la Commission a considéré que la participation d’Intech à l’entente dans le secteur du graphite isostatique revêtait un caractère particulier, en ce que l’entreprise obéissait, dans une large mesure, aux instructions d’Ibiden, en vue de mettre en œuvre, par sa présence aux réunions européennes et nationales en tant que distributeur d’Ibiden, les décisions de principe prises à un niveau plus élevé. La Commission a estimé que ces circonstances particulières justifiaient une réduction de 40 % du montant de base fixé pour Intech. En revanche, elle a refusé de reconnaître d’autres circonstances atténuantes.

 Arguments des parties

279    Intech estime que la Commission a erronément refusé de tenir compte de son rôle de membre passif et suiveur ainsi que de sa décision de mettre volontairement fin à l’infraction avant les autres entreprises. Ce faisant, la Commission aurait violé le point 3 de ses lignes directrices et le principe de proportionnalité.

280    Si la Commission a qualifié les membres de l’entente de « membres actifs » du fait qu’ils participaient régulièrement aux réunions concernant leurs marchés nationaux respectifs (considérant 498 de la Décision), elle aurait également dû qualifier de membres actifs tous les autres distributeurs ayant participé à des réunions concernant les marchés nationaux et leur infliger une amende correspondante. Or, la Commission se serait même abstenue d’infliger une amende à ces distributeurs autres que la requérante. Par conséquent, la motivation de la Commission serait totalement insuffisante.

281    Intech n’aurait, en aucune façon, participé à la création, à l’élaboration et à la direction de l’entente ni à ses réunions internationales. Sa participation aux réunions européennes et nationales aurait eu un caractère sensiblement plus sporadique par rapport aux membres ordinaires de l’entente. En particulier, Intech n’aurait jamais eu la moindre influence sur la fixation des prix cibles. En effet, ces prix auraient été fixés par les seuls producteurs lors de leurs rencontres internationales (considérant 102 de la Décision). Par ailleurs, Ibiden aurait, au cours de la procédure administrative, expressément déclaré à la Commission qu’Intech n’avait joué qu’un rôle passif au sein de l’entente.

282    Dans ce contexte, Intech énumère plusieurs réunions européennes et nationales auxquelles elle prétend ne pas avoir participé ou avoir joué un rôle insignifiant.

283    Intech ajoute qu’elle n’a, la plupart du temps, pas respecté les prix minimaux qui lui ont été imposés par les membres dirigeants de l’entente, mais qu’elle a tenté de mener une politique de vente volontairement orientée sur la concurrence afin de gagner des parts de marché. Ainsi, lors de la deuxième réunion européenne du 20 juin 1994, Intech aurait été accusée de baisser ses prix (considérant 199 de la Décision).

284    En outre, Intech affirme avoir violé de manière générale les accords sur les prix conclus par les producteurs, et ce dans le but de développer sa part de marché en Europe. À cet égard, la requérante se réfère à plusieurs documents figurant au dossier d’instruction, aux motifs de la Décision et à ses listes de prix pour le marché allemand dont il résulte que, entre 1993 et 1998, les prix de vente au consommateur d’Intech étaient plutôt en baisse qu’en hausse. Or, conformément aux lignes directrices, la non-application des accords sur les prix devrait être considérée comme une circonstance entraînant une diminution de l’amende.

285    Enfin, Intech rappelle avoir volontairement mis fin à l’infraction dès mai 1997, c’est-à-dire près de trois ans avant l’intervention de la Commission et plus d’un an avant les autres entreprises concernées. Se référant à deux décisions adoptées en 1981 et en 1982, elle affirme que, dans sa pratique décisionnelle, la Commission récompense par une réduction d’amende le fait pour une entreprise d’avoir cessé une infraction avant toute intervention de la Commission. Conformément au point 3 des lignes directrices, même la cessation des infractions après les premières interventions de la Commission serait encore considérée comme une circonstance atténuante. Dans ces conditions, il aurait été normal d’accorder à la requérante à plus forte raison une réduction substantielle de son amende à ce titre.

286    La Commission rétorque que l’argumentation concernant le prétendu rôle passif de la requérante est réfutée par plusieurs éléments. Ainsi, Intech aurait participé, dès le début, à huit réunions européennes sur les dix qui ont été organisées. En outre, Intech aurait participé à de nombreuses réunions nationales. Enfin, plusieurs documents prouveraient que la requérante a soutenu l’application des prix convenus au sein de l’entente. Dans ce contexte, il importerait peu qu’elle n’ait pas toujours respecté ces prix et n’ait pas eu d’influence au niveau international.

287    S’agissant de la cessation volontaire de l’infraction avant l’intervention de la Commission, celle-ci souligne que ce cas de figure n’est pas couvert par les lignes directrices. Dans une telle hypothèse, la durée plus courte de l’infraction serait suffisamment prise en compte lors du calcul du montant de base.

 Appréciation du Tribunal

288    Il convient de rappeler que les lignes directrices prévoient, en leur point 3, la diminution du montant de base pour les « circonstances atténuantes particulières » telles que, notamment, le rôle exclusivement passif ou suiviste, la non-application effective des accords collusoires, la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission.

289    Il y a lieu de constater que ce texte n’énumère pas de manière impérative les circonstances atténuantes que la Commission serait tenue de prendre en compte. Par conséquent, la Commission conserve une certaine marge pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Dalmine/Commission, T-50/00, non encore publié au Recueil, point 326).

290    S’agissant plus particulièrement de la « cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission », mentionnée au point 3 des lignes directrices, le grief soulevé par Intech ne saurait prospérer.

291    En effet, il ne peut logiquement être question d’une circonstance atténuante, au sens de ce texte, que si les entreprises en cause ont été incitées à arrêter leurs comportements anticoncurrentiels par les interventions en question. La finalité de cette disposition est d’encourager les entreprises à cesser leurs comportements anticoncurrentiels immédiatement lorsque la Commission entame une enquête à cet égard, de sorte qu’une réduction d’amende à ce titre ne saurait être appliquée dans le cas où l’infraction a déjà pris fin avant la date des premières interventions de la Commission. En effet, l’application d’une réduction dans de telles circonstances ferait double emploi avec la prise en compte de la durée des infractions pour calculer les amendes (arrêt Dalmine/Commission, point 289 supra, points 328 à 330).

292    En tout état de cause, la Commission ne saurait aucunement être obligée à accorder, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation (voir point 289 ci-dessus), une réduction d’amende pour la cessation d’une infraction manifeste, que cette cessation ait eu lieu avant ou après ses interventions.

293    En l’espèce, la fixation des prix dans le secteur du graphite isostatique ayant indubitablement été une infraction manifeste, qualifiée par la Commission à juste titre de « très grave », c’est donc à tort qu’Intech reproche à la Commission de ne pas lui avoir concédé une réduction d’amende en raison de la cessation de sa participation à cette infraction avant l’ouverture de l’enquête.

294    Même si la Commission a considéré, dans le passé, la cessation volontaire d’une infraction comme une circonstance atténuante, il lui est loisible de tenir compte, en application de ses lignes directrices, du fait que des infractions manifestes très graves sont encore, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire de concurrence, relativement fréquentes et, partant, d’estimer qu’il y a lieu d’abandonner cette pratique généreuse et de ne plus récompenser la cessation d’une telle infraction par une réduction d’amende (voir, par analogie, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 139 supra, points 108 et 109). En tout état de cause, le Tribunal ne voit pas de raison de réformer cette appréciation de la Commission, même dans l’exercice  de son pouvoir de pleine juridiction.

295    S’agissant du rôle prétendument passif ou suiviste des deux sociétés Intech et de leur prétendue non-application des prix cartellisés, les griefs soulevés se recoupent avec ceux dirigés contre leur qualification d’auteurs de l’infraction, qui ont été rejetés ci-dessus. Il suffit donc de rappeler, d’une part, que la Commission était autorisée à considérer les sociétés Intech EDM AG et Intech EDM BV comme une entreprise unique, l’une de ces sociétés pouvant être tenue pour responsable du comportement de l’autre, et, d’autre part, que la Commission a établi, à suffisance de droit, qu’Intech avait participé à de nombreuses réunions de l’entente et itérativement appliqué des prix fixés à un niveau supérieur de l’entente (voir points 58 à 82 ci-dessus).

296    Par conséquent, la Commission pouvait estimer, à bon droit, que le rôle joué par Intech n’était pas « exclusivement » passif ou suiviste et que ses non-applications sporadiques des accords anticoncurrentiels n’étaient pas « effectives » au sens des lignes directrices. Cela est particulièrement vrai pour la déclaration d’Ibiden, invoquée par Intech, selon laquelle la requérante aurait joué un rôle passif au sein de l’entente (annexe A 19 de la requête). En effet, cette déclaration n’a porté que sur la participation d’Intech à une seule réunion européenne de l’entente. Elle ne constitue donc pas une preuve suffisante d’un comportement « exclusivement » passif pendant toute la durée de la participation d’Intech à l’entente.

297    En outre, le fait pour Intech de ne pas avoir entièrement appliqué les prix convenus ne signifie pas que, ce faisant, la requérante ait procédé à une non-application « effective » des accords collusoires. En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d’utiliser l’entente à son profit (voir point 74 ci-dessus).

298    Il s’ensuit que les griefs tirés par Intech de l’absence d’une réduction supplémentaire au titre d’autres circonstances prétendument atténuantes doivent être écartés, et ce même au regard de la compétence de pleine juridiction du Tribunal.

299    Enfin, le grief pris d’un défaut de motivation ne saurait non plus être retenu. En effet, les considérants 410 et 498 de la Décision exposent clairement les raisons pour lesquelles la Commission a estimé qu’il convenait de qualifier Intech, contrairement aux autres distributeurs du secteur, de membre actif de l’entente. Ces passages de la Décision ont donc permis à Intech de présenter ses moyens et arguments pour défendre utilement son point de vue devant le Tribunal.

g)     Sur les circonstances aggravantes (T-91/03)

 Résumé de la Décision

300    Aux considérants 485 à 488 de la Décision, la Commission a estimé que SGL était le meneur et l’incitateur de l’infraction sur le marché du graphite isostatique, en ce qu’elle a pris l’initiative de créer l’entente et en a dirigé l’évolution pendant toute la durée de l’infraction. Ce comportement constituerait une circonstance aggravante justifiant une majoration de 50 % du montant de base fixé pour SGL. En revanche, après avoir constaté dans sa communication des griefs que LCL avait également joué un rôle de meneur dans l’entente, la Commission a, à la suite des contestations de LCL, abandonné son appréciation initiale et déclaré ne pas avoir suffisamment établi que LCL avait clairement joué un rôle de meneur.

 Arguments des parties

301    SGL s’oppose au supplément de 50 % qui lui a été imposé pour avoir été le meneur et l’incitateur de l’entente en matière de graphite isostatique.

302    Elle réitère son moyen tiré de ce que la Commission avait retenu, dans la communication des griefs, des faits autres que ceux retenus dans la Décision (voir points 130130 et 131 ci-dessus). En raison de la violation de son droit d’être entendue, le silence de la requérante n’équivaudrait donc pas à une reconnaissance tacite de sa qualité de chef de file de l’entente. De plus, SGL ne satisferait pas aux critères d’une telle qualité.

303    En effet, l’appréciation portée par la Commission ne serait pas étayée par les faits. SGL n’aurait pas été responsable du fonctionnement de l’entente dans une plus grande mesure que les entreprises LCL, Tokai et TT. La Commission aurait donc agi de manière erronée en ne considérant pas la requérante comme membre actif au même titre que ces trois entreprises.

304    D’une part, SGL n’aurait pas été responsable de la conception et de la mise en place de l’entente. Les accords seraient, au contraire, fondés sur des contacts déjà existants entre les producteurs européens et les producteurs japonais (considérants 106 à 113 de la Décision). Dans le cadre de cette coopération, aucune des entreprises concernées n’aurait agi comme meneur de l’entente, mais toutes y auraient participé dans la même mesure (considérant 118 de la Décision).

305    Au début de 1993, SGL ainsi que les entreprises Tokai, TT et LCL auraient exprimé le souhait commun de reprendre leur coopération internationale qui avait été interrompue depuis 1991 (considérants 120 et suivants de la Décision), aucune de ces entreprises n’ayant eu un rôle de chef de file. Ainsi, SGL, Tokai et LCL auraient participé de manière active à la planification de la première rencontre. Tokai aurait insisté pour que TT et Ibiden participent à la coopération et aurait organisé la première rencontre au niveau le plus élevé, c’est-à-dire la rencontre constitutive des entreprises participant à l’entente (considérants 122, 123 et 128 de la Décision).

306    SGL n’aurait pas non plus été spécialement responsable de l’organisation, de la présidence et de la conduite des différentes réunions de l’entente. Au contraire, les membres de l’entente se seraient répartis ces tâches qu’ils ont exercées à tour de rôle.

307    SGL conteste en outre avoir pris des mesures visant à élargir l’entente. Au début de l’entente, l’initiative d’étendre la coopération aurait été celle de Tokai, qui aurait insisté pour que, notamment, TT participe à la première rencontre ; LCL se serait activement occupée de faire entrer d’autres entreprises dans l’entente, notamment POCO (considérants 123 et 138 de la Décision). La prise de contact de SGL avec UCAR (considérant 138 de la Décision) ne serait donc pas allée plus loin que les mesures prises par les autres entreprises.

308    SGL n’aurait pas davantage joué le rôle de meneur lors de la formation des prix et de la mise en œuvre d’autres pratiques concertées. Toutes les décisions stratégiques concernant le contenu et l’approfondissement de la coopération auraient été prises conjointement par les entreprises (considérants 130, 131, 165, 199 et 202 de la Décision).

309    En ce qui concerne plus particulièrement le rôle joué par LCL, la requérante souligne que cette entreprise était notamment active dans l’élaboration de projets et de propositions ayant trait aux objectifs de l’entente. Tout comme la requérante, LCL aurait représenté la position des producteurs européens de graphite. Or, si le comportement de LCL n’a pas été considéré comme constituant une circonstance aggravante, tel devrait être également le cas pour le comportement largement identique de SGL.

310    SGL fait valoir, à titre subsidiaire, que la Commission a, en tout état de cause, pris en considération de manière disproportionnée le rôle de chef de file joué par la requérante en augmentant de 50 % l’amende qu’elle lui a infligée. Elle estime que ce supplément de 50 % est contraire à la pratique administrative habituelle de la Commission. Dans ce contexte, elle renvoie à plusieurs décisions dans lesquelles la Commission a sanctionné le rôle de chef de file par l’application d’un pourcentage moins élevé.

311    La Commission rappelle que la requérante n’avait pas contesté, au cours de la procédure administrative, avoir joué le rôle de chef de file de l’entente. Elle aurait bénéficié d’une réduction de son amende pour ne pas avoir contesté la matérialité des faits sur lesquels se fondaient les griefs de la Commission (considérant 542 de la Décision). Elle ne pourrait donc plus, devant le Tribunal, modifier son point de vue. Sinon, il conviendrait, le cas échéant, de majorer l’amende conformément au point E de la communication sur la coopération.

312    La Commission souligne que SGL a animé, organisé et stimulé l’entente de manière tellement décisive, se distinguant si clairement des autres membres de l’entente, que le supplément de 50 % est justifié. Elle aurait combiné les rôles d’instigateur, de planificateur de la politique de l’entente et d’un grand nombre de ses mesures pratiques, de coordinateur, de gardien de l’ordre et d’initiateur des mesures d’élargissement de l’entente.

313    Ainsi, la requérante aurait pris l’initiative de reprendre la coopération qui avait été interrompue en 1991. S’il est possible que LCL et Tokai l’aient soutenue dans cette tâche, leur position ne serait pas comparable à celle de la requérante. Dans ce contexte, la Commission souligne plus particulièrement le rôle d’instigateur joué par le président-directeur général de la requérante (considérants 121 à 124, 126 et 129 de la Décision), pour constater qu’aucun autre membre de l’entente n’a contribué de manière aussi décisive à la conception et à la mise en place de l’entente.

314    Pour ce qui est des mesures visant à élargir l’entente, la Commission affirme que l’invitation adressée à TT lors de la phase de création de l’entente reposait sur une initiative de la requérante, qui a seulement été soutenue par Tokai (considérant 122 de la Décision). La requérante aurait également contacté LCL, Tokai et Ibiden afin de les inciter à participer à l’entente (considérants 120 à 126 de la Décision). En outre, après avoir promis en novembre 1993 qu’elle établirait des contacts avec UCAR, les efforts de la requérante auraient été couronnés de succès à partir de février 1996 (considérants 138, 157, 162 et 214 de la Décision).

315    S’agissant du grief pris à titre subsidiaire d’une méconnaissance de sa pratique décisionnelle antérieure, la Commission rappelle qu’elle dispose d’un pouvoir d’appréciation en matière de prise en compte d’éventuelles circonstances aggravantes. Elle ne serait notamment ni tenue d’appliquer une formule mathématique ni généralement liée par sa pratique décisionnelle antérieure.

 Appréciation du Tribunal

316    Lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci. Il en résulte, notamment, que le rôle de « chef de file » joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d’une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l’amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (voir arrêt Électrodes de graphite, point 301, et la jurisprudence citée).

317    Conformément à ces principes, le point 2 des lignes directrices établit, sous le titre de circonstances aggravantes, une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base de l’amende, parmi lesquelles figure le « rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction ».

318    En l’espèce, le considérant 485 de la Décision indique qu’il ressort des faits constatés par la Commission que SGL a été le meneur et l’incitateur de l’infraction sur le marché du graphite isostatique. Cette entreprise aurait pris l’initiative de créer l’entente et en aurait dirigé l’évolution pendant toute la durée de l’infraction.

319    Afin d’apprécier les moyens dirigés contre cette constatation, il convient, tout d’abord, de rappeler la chronologie des différentes étapes de la procédure administrative et d’analyser la teneur, d’une part, de la communication des griefs et, d’autre part, des déclarations faites par SGL.

320    En réponse à des demandes de renseignements, SGL a, par lettres du 8 juin 1999 et du 15 juin 2000, souligné sa coopération volontaire avec la Commission et sollicité, à ce titre, l’application du point C de la communication sur la coopération (« Réduction importante […] de 50 à 75 % du montant de l’amende »).

321    Dans sa communication des griefs subséquente du 17 mai 2002, la Commission a explicitement indiqué qu’elle allait infliger aux entreprises des amendes en vertu de l’article 15, paragraphe 2, sous a), du règlement no 17 (point 411) et que, ce faisant, elle examinerait le rôle joué par chaque entreprise et tiendrait compte d’éventuelles circonstances aggravantes au regard de chaque entreprise (points 406 et 409). Dans ce contexte, elle a relevé (point 410) que, « [e]n l’espèce, SGL et LCL [étaient] à considérer comme des meneurs ou incitateurs de l’entente dans le secteur du graphite isostatique, qui portent la responsabilité principale ».

322    Dans sa réponse du 25 juillet 2002, SGL a rappelé avoir, dès le début, coopéré amplement avec la Commission et « avoir ainsi considérablement contribué à la constatation des infractions présentement poursuivies ». Elle a poursuivi en déclarant qu’elle se limitait, pour cette raison, à mettre en évidence quelques imprécisions et erreurs de l’exposé des faits figurant dans la communication des griefs. Les corrections apportées à cet effet ont porté sur la définition du marché en cause et sur les chiffres pris en considération par la Commission.

323    Lors de l’audition du 10 septembre 2002 devant la Commission (considérant 88 de la Décision), SGL s’est bornée à réitérer, au niveau des faits, sa critique dirigée contre l’utilisation par la Commission de certains chiffres susceptibles de dénaturer l’importance économique de la requérante.

324    Il résulte de ce qui précède que, par le comportement qu’elle a manifesté durant la procédure administrative, SGL s’est non seulement abstenue de contester la matérialité des faits infractionnels − à l’exception de ceux relatifs à la définition du marché en cause et à certains chiffres −, mais a même invoqué sa propre contribution précieuse à l’établissement de ces faits. Dans ces circonstances, SGL doit être considérée comme ayant explicitement admis, dans le cadre de la procédure administrative, la matérialité des faits, à l’exception des deux éléments susmentionnés, qui lui ont été reprochés par la Commission dans la communication des griefs. Ces faits doivent alors être qualifiés d’établis, la requérante n’étant, en principe, plus en mesure de les contester dans le cadre du présent litige (voir, en ce sens, arrêt Électrodes de graphite, point 108, et arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 101 supra, point 227).

325    Parmi ces faits comptent aussi les éléments factuels que la Commission a exposés dans la Décision, notamment aux quarante-huit considérants énumérés à la note de bas de page 552, pour étayer sa constatation selon laquelle SGL avait joué le rôle de meneur et d’incitateur de l’entente, étant rappelé que la Commission a pu arriver à cette constatation sans violer les droits de la défense de SGL (voir points 148 à 151 ci-dessus). Or, une constatation en ce sens avait déjà été effectuée dans la communication des griefs, et ce sur la base essentiellement des mêmes éléments factuels. En tout état de cause, SGL n’a pas reproché à la Commission d’avoir utilisé dans la Décision des éléments qui n’avaient pas figuré dans la communication des griefs.

326    Il s’ensuit que la constatation du rôle factuel de chef de file ainsi que les éléments de fait y relatifs doivent être qualifiés de définitivement établis dans le cadre du présent litige, de sorte que SGL ne peut plus remettre en question cette circonstance aggravante retenue à sa charge.

327    En revanche, s’agissant de l’appréciation de la gravité du rôle joué par SGL, c’est pour la première fois dans la Décision que la Commission a estimé que la circonstance aggravante en cause justifiait une majoration de 50 % du montant de base attribué à la requérante. Par conséquent, SGL ne saurait être forclose, en raison de la non-contestation de son rôle de chef de file, de dénoncer le taux excessif de la majoration opérée à ce titre. En tout état de cause, le Tribunal peut, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, contrôler le caractère adéquat du taux de majoration de 50 % en appréciant les rôles respectifs joués par les entreprises impliquées dans l’infraction.

328    À cet égard, il y a lieu de relever que les passages pertinents de la Décision révèlent, certes, le rôle de SGL en tant que chef de file de l’entente. Cependant, il en ressort également que le comportement manifesté par d’autres membres de l’entente, notamment LCL et Tokai, ne se distinguait pas si nettement de celui de SGL comme la Commission le prétend.

329    Ainsi, le souhait de reprendre en 1993 la coopération anticoncurrentielle dans le secteur du graphite isostatique a été très marqué non seulement dans le chef de SGL, mais aussi dans celui de Tokai (considérants 120, 122, 123 et 128 de la Décision). En outre, LCL a joué un rôle particulièrement actif dans l’élaboration d’une stratégie commune du côté des entreprises européennes (considérants 137, 179, 200 et 219 de la Décision). De plus, l’organisation et la gestion des différentes réunions ont été réparties de manière plus ou moins égale entre les membres de l’entente. Enfin, plusieurs propositions anticoncurrentielles de SGL, souvent soutenues par LCL, notamment en matière de répartition des clients et de restriction des quantités, sont restées sans succès, les autres membres de l’entente les ayant rejetées (considérants 143, 171, 180, 192 et 203).

330    Par conséquent, l’écart entre la gravité de l’infraction commise par SGL, d’une part, et celle des infractions commises par Tokai et LCL, d’autre part, n’apparaît pas aussi important qu’il justifierait une majoration de 50 % du montant de base fixé pour SGL. Dans ce contexte, il convient notamment de tenir compte du fait que Tokai et LCL ne se sont vu imposer aucune majoration au titre d’une circonstance aggravante − ne serait-ce qu’en vertu du point 2, dernier tiret (« autres »), des lignes directrices − pour leur comportement particulièrement actif au sein de l’entente.

331    Dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, le Tribunal estime donc qu’il convient de réduire la majoration imposée. Cette majoration passera de 50 à 35 % du montant de base de SGL. Ledit montant ayant été fixé à 16,4 millions d’euros au titre de la durée de l’infraction en matière de graphite isostatique (voir point 277 ci-dessus), le nouveau montant devant être attribué à SGL au titre des circonstances aggravantes retenues à sa charge s’élève à 22,14 millions d’euros.

h)     Sur la prétendue méconnaissance de l’absence de capacité contributive de SGL au sens du point 5 des lignes directrices (T-91/03)

332    SGL reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte de sa situation financière extrêmement difficile et du manque de solvabilité en résultant pour s’acquitter de l’amende infligée. Dans la Décision (considérants 555 et 556), la Commission parviendrait à la constatation que la requérante doit faire face à d’importantes difficultés financières et se trouve donc dans une situation financière très défavorable. Cependant, elle n’aurait pas considéré qu’il fût nécessaire d’adapter le montant de l’amende. Or, aux termes du point 5, sous b), des lignes directrices, la fixation de l’amende devrait avoir un rapport avec la situation économique, notamment avec la capacité contributive réelle, des entreprises faisant l’objet d’une amende.

333    À cet égard, il suffit de constater que SGL avait déjà avancé un moyen semblable dans le litige ayant conduit à l’arrêt Électrodes de graphite. Or, pour les raisons exposées dans ledit arrêt (points 370 à 372), ce moyen ne saurait être retenu étant donné que la Commission pouvait estimer, à bon droit, que la reconnaissance d’une obligation de prendre en compte la situation financière difficile de SGL reviendrait à procurer un avantage injustifié à l’une des entreprises les moins adaptées aux conditions du marché. Par ailleurs, le fait qu’une mesure prise par une autorité communautaire provoque la faillite ou la liquidation d’une entreprise donnée n’est pas interdit, en tant que tel, par le droit communautaire.

i)     Sur la prétendue disproportion du montant de l’amende infligée à SGL du fait qu’une dissuasion effective ne serait pas nécessaire vis-à-vis de cette requérante (T-91/03)

334    SGL fait valoir qu’il n’était pas nécessaire de pratiquer une dissuasion effective lors de la fixation de son amende. En effet, l’amende colossale que la Commission lui avait infligée le 18 juillet 2001 à l’issue de la procédure relative aux électrodes de graphite (80,2 millions d’euros) aurait durablement et pleinement dissuadé l’entreprise. À cela s’ajouteraient les sanctions élevées dont la requérante a été frappée en Amérique du Nord. Or, en vertu du point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices, la dissuasion des entreprises serait un objectif essentiel des amendes sanctionnant les ententes. Comme cet objectif était déjà atteint, il ne serait pas suffisant de réduire l’amende de la requérante de 33 % (considérants 558 et 559 de la Décision), car plus rien ne justifierait non plus les 67 % restants. Par conséquent, la Commission aurait dû se borner à infliger une amende symbolique en application du point 5, sous d), des lignes directrices.

335    À cet égard, il suffit de rappeler que les moyens tirés par SGL d’une violation du principe de non-cumul des sanctions et de l’obligation pour la Commission de prendre en compte les sanctions infligées antérieurement ont été rejetés (voir points 112 à 128 ci-dessus). C’est donc à bon droit que la Commission pouvait faire une distinction, dans le cadre des procédures et des sanctions, entre l’entente des électrodes de graphite, l’entente du graphite isostatique et l’entente du graphite extrudé. En particulier, elle n’était pas tenue de prendre en considération les sanctions imposées par les autorités américaines.

336    Il s’ensuit qu’il était loisible à la Commission d’infliger à SGL de nouvelles amendes, au titre de sa participation aux ententes en matière de graphite isostatique et de graphite extrudé, destinées à dissuader l’entreprise dans une mesure excédant le niveau d’une sanction purement symbolique. Cette conclusion n’est pas contredite par la circonstance que la Commission a estimé, dans les circonstances du cas d’espèce, qu’un montant réduit de 33 % était suffisant pour assurer l’effet dissuasif voulu (considérants 558 et 559 de la Décision).

337    Par conséquent, le moyen tiré d’une méconnaissance de l’effet de dissuasion des amendes infligées à SGL ne saurait être accueilli, même au regard  de la compétence de pleine juridiction du Tribunal.

4.     Sur les moyens tirés d’une méconnaissance de la communication sur la coopération (T-71/03 et T-91/03)

338    Tokai et SGL soutiennent que la Commission leur a accordé des réductions d’amendes insuffisantes au titre des points C et D de la communication sur la coopération.

339    Le point C de la communication sur la coopération, intitulé « Réduction importante du montant de l’amende », dispose :

« L’entreprise qui, remplissant les conditions exposées au [point] B, [sous] b) à e), dénonce l’entente secrète après que la Commission a procédé à une vérification sur décision auprès des entreprises parties à l’entente, sans que cette vérification ait pu donner une base suffisante pour justifier l’engagement de la procédure en vue de l’adoption d’une décision, bénéficie d’une réduction de 50 à 75 % du montant de l’amende. »

340    Les conditions du point B, auxquelles le point C renvoie, visent l’entreprise qui :

«       a)     dénonce l’entente secrète à la Commission avant que celle-ci ait procédé à une vérification sur décision auprès des entreprises parties à l’entente, et sans qu’elle dispose déjà d’informations suffisantes pour prouver l’existence de l’entente dénoncée ;

         b)     est la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente ;

         c)     a mis fin à sa participation à l’activité illicite au plus tard au moment où elle dénonce l’entente ;

         d)     fournit à la Commission toutes les informations utiles ainsi que tous les documents et éléments de preuve dont elle dispose au sujet de l’entente et maintient une coopération permanente et totale tout au long de l’enquête ;

         e)     n’a pas contraint une autre entreprise à participer à l’entente ni eu un rôle d’initiation ou un rôle déterminant dans l’activité illicite. »

341    Aux termes du point D, paragraphe 1, « [l]orsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération », et, aux termes de ce même point, paragraphe 2, « [t]el peut notamment être le cas si :

–        avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,

–        après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations ».

a)     Résumé de la Décision

342    Aux considérants 521 à 526 de la Décision, la Commission a reconnu qu’UCAR a été la première entreprise à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence d’une entente internationale affectant les secteurs des graphites spéciaux isostatiques et extrudés dans l’EEE et qu’elle remplissait pour les deux infractions les conditions énoncées au point B de la communication sur la coopération. La Commission a donc accordé à UCAR une réduction de 100 % de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération. S’agissant des conditions énoncées au point C de ladite communication, elle a estimé, en revanche, qu’elles n’étaient remplies par aucune des autres entreprises.

343    Quant au point D de la communication sur la coopération, la Commission a exposé, aux considérants 527 à 543 de la Décision, que Tokai, TT, SGL, LCL, Ibiden et NSC/NSCC avaient fourni des informations et des documents qui ont considérablement contribué à confirmer l’existence des infractions commises, aucune de ces entreprises ne contestant la matérialité des faits sur lesquels la Commission a fondé sa communication des griefs. En outre, il serait impossible d’établir une distinction en ce qui concerne la valeur ajoutée que ces communications ont apportée à l’enquête sur le marché du graphite isostatique, car elles ont toutes fourni des éléments de preuve d’une qualité similaire. De plus, aucune de ces communications prises séparément n’aurait été primordiale pour permettre à la Commission d’affermir le bien-fondé de ses griefs, car elles se recoupaient quant aux éléments de preuve fournis.

344    La Commission est donc parvenue à la conclusion que Tokai, TT, SGL, LCL, Ibiden et NSC/NSCC remplissaient les conditions énoncées au point D, paragraphe 2, premier et second tirets, de la communication sur la coopération et a accordé à ces entreprises une réduction de 35 % de l’amende qui leur aurait été infligée en l’absence de coopération avec la Commission.

b)     Arguments des parties

345    Selon Tokai, la Commission a appliqué de façon erronée la communication sur la coopération en refusant de lui accorder une réduction de son amende en vertu du point C de cette communication. En effet, Tokai aurait été la première entreprise à fournir des éléments de preuve déterminants concernant la période au cours de laquelle UCAR n’a pas pris part à l’infraction (1993 à 1996 et 1997 à 1998). Satisfaisant à toutes les conditions prévues par le point C de la communication sur la coopération, elle devrait bénéficier d’une réduction d’amende d’au moins 50 à 75 %.

346    Selon les constatations de la Commission elle-même, UCAR n’aurait pas pris part à l’entente de juillet 1993 à février 1996 et de mai 1997 à février 1998. UCAR n’aurait donc pas été en mesure de fournir des éléments de preuve déterminants concernant l’entente à propos des périodes pendant lesquelles elle n’y participait pas. Par conséquent, selon la pratique décisionnelle de la Commission elle-même, UCAR n’aurait pas pu bénéficier de clémence pour les périodes en cause.

347    Pour Tokai, il est parfaitement concevable que deux entreprises soient « les premières » à fournir des éléments de preuve déterminants à propos de différentes périodes de l’entente et que toutes deux remplissent les conditions prévues au point B ou C de la communication sur la coopération. Il en serait notamment ainsi lorsque l’entreprise qui, telle qu’UCAR, dénonce l’entente ne dispose d’aucune information concernant la période de l’entente au cours de laquelle elle n’y a pas participé. Par ailleurs, UCAR n’aurait fourni que des renseignements limités à propos de trois réunions européennes entre février 1996 et mai 1997, alors que la Commission en a identifié dix dans la Décision. UCAR ne se serait référée à aucune des réunions « de haut niveau » et « de travail internationales ».

348    Enfin, la coopération fournie par Tokai aurait été d’une valeur supérieure à celle des autres membres de l’entente.

349    SGL reproche à la Commission d’avoir enfreint le principe d’égalité de traitement en ne réduisant pas l’amende qu’elle lui a infligée de la même manière que pour UCAR. La réduction de 35 % qui lui a été accordée ne tiendrait compte que très partiellement de la coopération apportée par la requérante. Si la Commission avait prêté attention à toutes les contributions de la requérante, elle aurait dû accorder une réduction sensiblement plus importante, se situant au degré le plus élevé de la catégorie C de la communication sur la coopération, c’est-à-dire de 50 à 75 %.

350    SGL aurait informé la Commission des faits en cause en même temps que tel a été le cas pour les entreprises TT, Tokai, LCL, Intech et Ibiden. La Commission aurait notamment négligé que la requérante était la seule entreprise à avoir fourni des preuves établissant qu’UCAR participait dès 1993 aux infractions relatives à l’isographite. Étant donné qu’UCAR n’a pas communiqué à la Commission sa participation précoce à l’entente, l’exposé que cette entreprise a présenté dans le cadre de sa coopération avec la Commission serait incomplet de sorte qu’UCAR ne devrait pas bénéficier de réductions d’amende au titre de sa coopération. Le traitement illégal plus favorable réservé à UCAR affecterait la requérante directement dans ses droits.

351    SGL ajoute qu’elle était la seule entreprise à avoir donné des renseignements concernant la participation de la société Conradty à l’entente dans le secteur du graphite extrudé. Cependant, la Commission n’aurait pas tenu compte de ces éléments de preuve.

352    Pour la Commission, il ne peut y avoir au sein de chaque entente qu’un seul bénéficiaire du point C de la communication sur la coopération, qui a été « le premier » à avoir informé sur l’existence de l’entente.

353    En l’espèce, la Commission aurait estimé que l’entente sur le marché du graphite isostatique constituait « une seule et même infraction continue » et considéré qu’UCAR était la première entreprise à avoir produit des preuves déterminantes de l’existence de cette entente dans sa communication du 13 avril 1999. L’affirmation de Tokai, selon laquelle elle était la première à avoir fourni des preuves, se fonderait sur une simple assertion non étayée.

354    Par ailleurs, l’interprétation préconisée par Tokai pourrait facilement conduire à des abus. En effet, les membres d’une entente pourraient scinder les informations devant être transmises à la Commission, de sorte que chacun puisse respectivement fournir des renseignements sur une période déterminée.

355    Quant aux griefs soulevés par SGL, la Commission souligne qu’il n’existe aucune raison de penser qu’UCAR n’a pas fourni toutes les informations disponibles relatives aux deux ententes sur le marché du graphite isostatique et sur celui du graphite extrudé. Il serait indubitable qu’UCAR a été la première entreprise à fournir − le 13 avril 1999, soit plus d’un an avant les premiers contacts entre SGL et la Commission − des renseignements décisifs sur les deux ententes.

356    En ce qui concerne la prétendue méconnaissance des preuves avancées par SGL, la Commission souligne que cette dernière n’a fourni aucune information concrète sur la prétendue participation d’UCAR aux ententes avant 1996. Dans sa lettre du 15 juin 2000, la requérante ne citerait aucune période précise et prétendrait même qu’UCAR n’a participé aux réunions de travail européennes que « ultérieurement, au plus tôt à la fin de 1994/95 » (point 4 de l’annexe A 11 de la requête), alors que, dans sa réponse à la communication des griefs, elle prétend que cette participation aux contacts bilatéraux avec la requérante a eu lieu « dès 1993 ».

357    En résumé, la Commission rappelle qu’il était difficile, dans le cas d’espèce, de décider quelle contribution fournie par les différentes entreprises avait la plus grande valeur, étant donné que toutes – sauf celle d’UCAR – répondaient à la même demande de renseignements et apportaient des preuves d’une qualité similaire. Pour cette raison, une même réduction de 35 %, conforme à la fourchette de 10 à 50 % fixée au point D de la communication sur la coopération, aurait été accordée à toutes les entreprises susceptibles de bénéficier du point D de la communication sur la coopération. En effet, la combinaison de l’ensemble des contributions aurait été déterminante, et non pas chaque contribution prise séparément.

c)     Appréciation du Tribunal

358    Dans sa communication sur la coopération, la Commission a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter (voir point A 3 de la communication sur la coopération).

359    Tokai et SGL estimant toutes deux que la Commission leur a refusé à tort le bénéfice de la réduction visée au point C de la communication sur la coopération, il convient de vérifier si la Commission n’a pas méconnu les conditions d’application dudit point et, notamment, si les deux requérantes auraient dû être considérées comme ayant été, chacune ou l’une d’entre elles, « la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente ».

360    Dans ce contexte, il y a lieu de constater, tout d’abord, qu’il est constant entre les parties qu’UCAR a été la première entreprise à avoir fourni à la Commission des éléments destinés à prouver l’existence des deux ententes en ce qui concerne les périodes allant, respectivement, de février 1996 à mai 1997 et de février 1993 à novembre 1996 pendant lesquelles elle avait, selon les constatations de la Commission, participé aux infractions.

361    Tokai ayant affirmé que les informations fournies par UCAR n’ont pas porté sur la totalité des réunions organisées au sein de l’entente en matière de graphite isostatique, il importe d’examiner, ensuite, si la Commission pouvait considérer à bon droit qu’UCAR lui avait fourni des « éléments déterminants » pour prouver l’existence de cette entente.

362    À cet égard, il ressort du texte même du point B, sous b), que la « première » entreprise ne doit pas avoir fourni l’ensemble des éléments prouvant tous les détails de fonctionnement de l’entente, mais il lui suffit d’apporter « des » éléments déterminants. En particulier, ce texte − comme le démontre la comparaison avec celui du point B, sous a) − n’exige pas que les éléments fournis soient, à eux seuls, « suffisants » pour l’élaboration d’une communication des griefs, voire pour l’adoption d’une décision finale constatant l’existence d’une infraction. En tout état de cause, il convient de reconnaître à la Commission une certaine marge d’appréciation dans l’évaluation du point de savoir si la coopération en cause a été « déterminante » pour lui faciliter sa tâche de constater l’existence d’une infraction et d’y mettre fin (arrêt Électrodes de graphite, point 435), seul un excès manifeste de cette marge étant susceptible d’être censuré.

363    Or, en l’espèce, Tokai ne conteste pas sérieusement le caractère déterminant des éléments de preuve fournis par UCAR. Elle ne conteste pas, notamment, les constatations faites par la Commission selon lesquelles les éléments de preuve fournis par UCAR le 13 avril 1999 lui ont permis d’établir l’existence et le contenu de plusieurs réunions collusoires, ainsi que l’identité des participants, sur les marchés des graphites spéciaux isostatiques et extrudés au cours des périodes faisant l’objet de son enquête (considérant 521 de la Décision). Tokai ne s’est pas non plus opposée à la Commission lorsque celle-ci a qualifié chacune des infractions sur le marché des graphites spéciaux d’« infraction unique et continue aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, [CE] et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE » (considérant 346 de la Décision).

364    Dans ces circonstances, Tokai n’a pas établi, à suffisance de droit, que les informations qu’UCAR a été la première à avoir fourni à la Commission n’avaient manifestement pas le caractère d’« éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente ». Dès lors, la Commission pouvait valablement qualifier la seule entreprise UCAR de « première entreprise » au sens des points B et C de la communication sur la coopération.

365    Par conséquent, il est sans importance que certaines périodes de fonctionnement de cette entente − telles que celles pendant lesquelles UCAR n’a pas participé aux infractions − n’aient pas été mentionnées dans les informations d’UCAR. En tout état de cause, rien n’obligeait la Commission de traiter Tokai, à côté d’UCAR, comme seconde « première » entreprise en ce qui concerne d’éventuels éléments de preuve relatifs auxdites périodes. Elle était autorisée à s’en tenir au libellé du point B, sous b), et du point C susmentionnés qui ne visent à récompenser par une réduction d’amende respectivement très importante et importante que l’unique entreprise ayant réellement été « la première » à fournir des éléments déterminants.

366    Par conséquent, seule UCAR satisfaisant au critère du point B, sous b), de la communication sur la coopération, Tokai n’a pas droit à une réduction d’amende en vertu de son point C.

367    Il en va nécessairement de même pour SGL, d’autant plus que cette requérante, en tant que chef de file de l’entente en matière de graphite isostatique, ne remplissait pas les conditions du point B, sous e), de la communication sur la coopération, ce qui la privait, en plus, du droit au bénéfice du point C.

368    Dans la mesure où SGL affirme avoir été la première à apporter des éléments de preuve qui auraient permis à la Commission d’établir la culpabilité d’UCAR pour une période supplémentaire (1993 à 1995) et la participation de Conradty à l’entente en matière de graphite extrudé, il suffit de constater que, ainsi qu’il ressort clairement de la Décision (considérants 3, 119, 364 et article 1er de la Décision), la Commission n’a retenu aucun de ces éléments soit pour constater ou sanctionner une infraction au droit communautaire de la concurrence, soit pour aggraver, au titre d’une durée plus importante, la sanction infligée pour une telle infraction. La Commission n’était donc pas tenue de récompenser par une réduction d’amende importante la coopération invoquée par SGL dans ce contexte, étant donné que celle-ci ne lui a pas effectivement facilité sa tâche de constater l’existence d’une infraction et d’y mettre fin (voir point 362 ci-dessus).

369    En tout état de cause, aucune disposition du règlement nº 17 n’oblige la Commission − qui ne jouit pas d’une compétence exclusive en la matière − de constater et de sanctionner tout comportement anticoncurrentiel. Ainsi qu’il ressort des articles 3 et 15 dudit règlement, elle n’a que la faculté d’agir de la sorte (« peut ») lorsqu’elle estime que le dossier en question le justifie.

370    Par ailleurs, si le Tribunal entendait, dans le cadre du présent litige, juger − ne serait-ce qu’en vue d’une réduction d’amende − que la Commission, eu égard aux preuves en sa disposition, aurait dû établir l’existence d’une infraction pendant une période donnée et à l’encontre d’une entreprise déterminée, il s’arrogerait les compétences de cette autorité administrative et déciderait en dehors de la procédure prévue à cet effet, c’est-à-dire sans communication des griefs et sans avoir entendu les entreprises concernées qui ne sont pas parties au présent litige, à savoir Conradty et UCAR.

371    Dans la mesure où chacune des deux requérantes fait encore valoir que sa coopération était d’une valeur supérieure à celle des autres membres de l’entente, il est, certes, de jurisprudence que la Commission ne saurait, dans le cadre de son appréciation de la coopération fournie par les membres d’une entente, méconnaître le principe d’égalité de traitement (voir arrêt Électrodes de graphite, point 394, et la jurisprudence citée). Toutefois, il convient de reconnaître à la Commission une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité des coopérations fournies par les différents membres d’une entente, seul un excès manifeste de cette marge étant susceptible d’être censuré.

372    En l’espèce, le dossier ne faisant pas ressortir un tel excès manifeste, la Commission n’était pas tenue de considérer comme décisif le fait que l’une des entreprises se soit manifestée un peu plus rapidement que les autres ou que la coopération de l’une diffère dans une certaine mesure de celle des autres. Elle était plutôt fondée à conclure que les contributions des différentes entreprises avaient toutes été envoyées peu après la demande formelle de renseignements qu’elle leur avait adressée et avec peu de décalage, qu’elles avaient fourni des preuves de qualité semblable et que ces dernières s’étaient recoupées en grande partie (considérant 538 de la Décision). Sur la base de ces considérations, la Commission était autorisée à accorder une même réduction d’amende de 35 % à Tokai et à SGL.

373    Enfin, l’argumentation de SGL selon laquelle UCAR, pour avoir caché sa participation précoce à l’entente, devrait perdre tout droit à une réduction d’amende ne vise pas à soutenir la valeur de sa propre coopération, mais se borne à déprécier la coopération d’une autre entreprise et à dénoncer le traitement prétendument trop favorable, c’est-à-dire illégal, de cette dernière. Cette argumentation n’est donc pas susceptible de lui procurer une réduction d’amende plus importante (voir arrêt Électrodes de graphite, point 398), raison pour laquelle elle ne saurait être retenue, nul ne pouvant invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (voir arrêt Électrodes de graphite, point 316, et arrêt LR AF 1998/Commission, point 139 supra, point 367).

374    Il s’ensuit que tous les moyens tirés d’une méconnaissance de la communication sur la coopération doivent être rejetés, même au regard  de la compétence de pleine juridiction du Tribunal.

375    Il convient cependant de rappeler que le montant de base fixé pour SGL en raison de sa participation à l’entente dans le secteur du graphite isostatique s’élève après sa correction, compte tenu des circonstances aggravantes, à 22,14 millions d’euros (voir point 331 ci-dessus). Le montant résultant de l’application de la réduction de 35 % au titre de la coopération de SGL se chiffre donc à 14,391 millions d’euros.

5.     Sur le prétendu non-respect de la limite maximale des amendes

a)     Affaire T-91/03

376    SGL reproche à la Commission d’avoir artificiellement divisé un fait unique, à savoir l’entente des électrodes de graphite et des graphites spéciaux, pour pouvoir infliger des sanctions séparés. Ce faisant, elle aurait éludé le plafond de 10 % prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. Or, dans le cas de SGL, ce plafond aurait déjà été épuisé par les sanctions qui lui avaient été imposées aux États-Unis (135 millions de USD) et par la Commission (80,2 millions d’euros) pour sa participation à l’entente sur le marché des électrodes de graphite. SGL ajoute que la Commission a intentionnellement retardé ses enquêtes dans le secteur des graphites spéciaux afin de disposer − après avoir épuisé en 2001 le plafond susmentionné − d’un nouveau cadre juridique lui permettant d’infliger légalement de nouvelles amendes à la requérante.

377    À cet égard, il suffit de rappeler que les moyens tirés par SGL d’une violation du principe de non-cumul des sanctions et de l’obligation pour la Commission de prendre en compte les sanctions infligées antérieurement ont été rejetés (voir points 112 à 128 ci-dessus). C’est donc à bon droit que la Commission pouvait faire une distinction, dans le cadre des procédures et des sanctions, entre les ententes sur les marchés des électrodes de graphite, du graphite isostatique et du graphite extrudé. En particulier, elle n’était pas tenue de prendre en considération les sanctions imposées par les autorités américaines. En effet, il ressort du texte de l’article 15 du règlement nº 17 que le plafond de 10 % ne s’applique qu’aux amendes infligées pour violation des articles 81 CE et 82 CE et qu’il vise séparément chaque infraction à ces articles.

378    En tout état de cause, les trois amendes cumulées que la Commission a infligées à SGL (107,95 millions d’euros) respectent le plafond de 10 %, indépendamment du fait que l’on prenne pour base le chiffre d’affaires global de l’exercice 2000 (1 262 millions d’euros) ou celui de l’exercice 2001 (1 233 millions d’euros). Dans ces circonstances, le grief tiré d’un retard pris intentionnellement par la Commission dans ses enquêtes est inopérant. En effet, même si la Commission avait adopté sa décision finale en ce qui concerne l’entente sur le marché des graphites spéciaux en même temps que celle concernant le marché des électrodes de graphite (soit en 2001), le plafond de 10 % aurait, en tout état de cause, été respecté.

379    Il s’ensuit que le moyen tiré du non-respect à l’égard de SGL de la limite maximale des amendes doit être rejeté.

b)     Affaires T-74/03 et T-87/03

 Arguments des parties

380    Intech fait valoir que le montant de l’amende (980 000 euros) infligée de manière solidaire à Intech EDM BV et à son ancienne filiale Intech EDM AG viole le principe de proportionnalité ainsi que les lignes directrices, étant donné que ce montant dépasse la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires global d’Intech EDM AG et ne peut donc pas non plus être maintenu en ce qui concerne Intech EDM BV. En effet, durant le dernier exercice social précédant l’adoption de la Décision, c’est-à-dire en 2001, le chiffre d’affaires global d’Intech EDM AG se serait élevé à 4,2 millions d’euros et celui d’Intech EDM BV à 11,3 millions d’euros. Cela signifierait que l’amende infligée représente plus de 23 % du chiffre d’affaires global d’Intech EDM AG et près de 9 % de celui d’Intech EDM BV. Or, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, tel que précisé par le point 5, sous a), des lignes directrices, le résultat final du calcul d’une amende ne pourrait en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises.

381    Le dépassement de la limite maximale dans le cas d’Intech EDM AG ne pourrait non plus être justifié par l’argument selon lequel cette entreprise n’est pas seule responsable de cette amende, mais qu’elle est débitrice solidaire ensemble avec Intech EDM BV. En effet, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, la limite maximale de 10 % se calculerait en fonction du chiffre d’affaires de « chacune des entreprises ayant participé à l’infraction » (arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T-29/92, Rec. p. II-289, point 385). En cas de responsabilité solidaire, le calcul de cette limite devrait donc être fondé sur l’entreprise ayant le chiffre d’affaires le plus faible. Intech ajoute que l’amende ne peut pas non plus être maintenue en ce qui concerne Intech EDM BV, étant donné qu’il s’agit d’une seule et même amende dans une seule et même décision qui est uniquement adressée à deux destinataires.

382    La Commission rétorque que les règles de concurrence s’appliquent aux entreprises lesquelles peuvent être composées de plusieurs personnes morales. Tel serait le cas lorsque, comme en l’espèce, ces personnes morales constituent une entité économique. Les sociétés appartenant à une telle entité économique seraient solidairement responsables du comportement qui leur est reproché (arrêt HFB e.a./Commission, point 62 supra, points 54, 524 et 525).

383    En l’espèce, Intech EDM BV et son ancienne filiale Intech EDM AG auraient constitué une entité économique (considérants 66, 67, 412 à 415 et 421 de la Décision) : la seconde aurait été détenue à 100 % par la première, qui la contrôlait et connaissait son comportement illégal. En outre, Intech EDM AG aurait opéré sur la base de l’accord de coopération entre Intech EDM BV et Ibiden, signé par M. Ankli, ce dernier participant aussi pour Intech EDM AG aux réunions européennes de l’entente.

384    La Commission rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, une entreprise au sens de l’article 81 CE peut comprendre plusieurs sujets de droit (arrêt Hydrotherm, point 54 supra, point 11), et la responsabilité d’une société mère pour le comportement de sa filiale repose sur la notion d’entreprise en tant qu’entité économique et non pas sur une quelconque notion juridique séparée d’« imputation ». Une entreprise violerait l’article 81 lorsqu’elle participe à une entente restreignant la concurrence. La même « entreprise » pourrait, en toute logique, être sanctionnée par une amende en vertu de l’article 15, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 17. En revanche, aucune de ces dispositions ne permettrait de rendre une « entreprise » responsable de l’infraction d’une autre « entreprise » par simple « imputation ».

385    Par conséquent, il serait également logique de calculer le plafond prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 de la même façon pour une seule et même entreprise. Seul le chiffre d’affaires global cumulé de toutes les sociétés appartenant à un groupe se présentant comme une entité économique refléterait la taille et la puissance économique de cette entité et donc de l’entreprise en cause (arrêt HFB e.a./Commission, point 62 supra, points 54, 528 et 529).

386    La Commission précise qu’elle a sanctionné, en l’espèce, l’entreprise dans sa composition historique, donc telle qu’elle existait au moment de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C-279/98 P, Rec. p. I-9693, points 78 à 80). Seules les composantes historiques de l’« entreprise » ayant commis l’infraction seraient les destinataires de la Décision. Il serait donc également logique que, compte tenu de ces composantes, la Commission ait aussi calculé le plafond de la sanction visé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, comme un montant global.

 Appréciation du Tribunal

387    Il convient de rappeler, d’une part, que la Commission était autorisée à qualifier les deux sociétés Intech d’« entreprise » unique ayant commis l’infraction qui leur était reprochée (points 58 à 82 ci-dessus). D’autre part, ces sociétés, qui ont poursuivi leurs activités économiques jusqu’à la date d’adoption de la Décision, pouvaient être séparément ou solidairement sanctionnées pour leur comportement infractionnel (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, point 386 supra, points 78 et 79).

388    S’agissant de l’application du plafond de 10 % au cas d’espèce, le point 5, sous a), des lignes directrices, auxquelles la Commission est tenue de se conformer (voir point 157 ci-dessus), indique que le résultat final du calcul de l’amende conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 ne peut « en aucun cas » dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial. Par ailleurs, la Commission n’a pas fait valoir, devant le Tribunal, que le plafond de 10 % n’était pas applicable à l’amende inférieure à 1 million d’euros infligée à Intech. Ce plafond doit donc être respecté en l’espèce.

389    Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, le plafond de 10 % se rapporte à l’exercice social qui précède la date de la décision par laquelle l’amende est infligée. Il vise le chiffre d’affaires global de l’entreprise concernée, « en ce que seul ce chiffre d’affaires donne une indication de l’importance et de l’influence de cette entreprise sur le marché » (arrêt Électrodes de graphite, points 365 et 367). Ainsi, le plafond tend, notamment, à protéger les entreprises contre un niveau excessif d’amende qui pourrait détruire leur substance économique. Il est donc conséquent que le plafond se rapporte non pas à la période des infractions sanctionnées, qui peut être révolue depuis plusieurs années à la date d’imposition de l’amende, mais à une époque rapprochée de cette date.

390    Il s’ensuit que l’objectif poursuivi par l’introduction du plafond de 10 % ne peut être réalisé que si ce plafond est appliqué, dans un premier temps, à chaque destinataire séparé de la décision infligeant l’amende. Ce n’est que s’il s’avère, dans un second temps, que plusieurs destinataires constituent l’« entreprise » au sens de l’entité économique responsable de l’infraction sanctionnée, et ce encore à la date d’adoption de cette décision, que le plafond peut être calculé sur la base du chiffre d’affaires global de cette entreprise, c’est-à-dire de toutes ses composantes cumulées. En revanche, si cette unité économique a entre-temps été rompue, chaque destinataire de la décision a le droit de se voir appliquer individuellement le plafond en cause.

391    En l’espèce, il est constant que, à la date d’adoption de la Décision, Intech EDM BV n’était plus la société mère d’Intech EDM AG, et ce − ainsi qu’il ressort de la réponse d’Intech à la communication des griefs − depuis 1997. Il est vrai que les deux sociétés Intech appartiennent, depuis 1997, à une même holding suisse, cette holding se présentant comme société « grand-mère » vis-à-vis des deux sociétés Intech qui se sont vu attacher chacune à une société mère différente (considérant 66 et note de bas de page 40 de la Décision). Cependant, la Décision n’indique pas dans quelle mesure le concept d’« entreprise » peut être appliqué, en termes de détention des parts sociales et des pouvoirs d’instruction, au sein de cette holding et, notamment, au regard de la relation existant entre les deux sociétés Intech.

392    Par conséquent, le chiffre d’affaires global d’Intech EDM AG s’étant élevé en 2001 à 4,2 millions d’euros (voir la colonne 2 du tableau 1, point 168 ci-dessus), la Décision doit être annulée en ce qu’elle impose à Intech EDM AG une amende dépassant le plafond de 420 000 euros et en ce que la responsabilité conjointe et solidaire des deux sociétés Intech dépasse ce même plafond.

393    En revanche, rien ne s’oppose à ce que la Décision impose à la seule société Intech EDM BV, dont le chiffre d’affaires global s’est élevé en 2001 à 11,3 millions d’euros (voir la colonne 2 du tableau 1, point 168 ci-dessus), une amende dans les limites du plafond de 1,13 million d’euros. En effet, rien ne permettant d’admettre que cette société et son ancienne filiale constituaient une seule « entreprise » à la date d’adoption de la Décision, aucune règle du droit communautaire n’impose de calculer, dans le cas d’Intech EDM BV, le plafond de 10 % sur la base du chiffre d’affaires plus faible d’Intech EDM AG. Le moyen dirigé contre le calcul opéré dans le cas d’Intech EDM BV doit, par conséquent, être rejeté.

6.     Sur les moyens tirés d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement par la fixation du montant de certaines amendes ainsi que d’un défaut de motivation sur ce point (T‑74/03 et T‑87/03)

394    Intech reproche à la Commission, en premier lieu, d’avoir violé le principe d’égalité de traitement, d’une part, en n’infligeant d’amende qu’à Intech et non pas aux autres distributeurs également présents aux réunions de l’entente et, d’autre part, en lui infligeant une amende qui est − comparée à sa taille et à sa puissance économique − considérablement plus élevée que celles infligées aux producteurs membres de l’entente. Intech aurait en outre été discriminée par rapport à Conradty qui ne s’est vu imposer aucune amende pour sa participation à l’entente dans le secteur des graphites spéciaux extrudés.

395    Pour rejeter ces griefs, il suffit de rappeler que, ainsi qu’il a été exposé ci-dessus (voir points 58 à 82 ci-dessus), la Commission était autorisée à qualifier les sociétés Intech EDM AG et Intech EDM BV d’entreprise unique ayant commis en tant qu’auteur l’infraction qui leur est reprochée dans la Décision.

396    Quant à l’abstention de la Commission de sanctionner les autres distributeurs et le producteur Conradty, force est de souligner que les requérantes n’ont le pouvoir, dans le cadre du présent litige, d’obliger ni la Commission ni le Tribunal de constater que d’autres entreprises auraient dû être sanctionnées pour avoir commis une infraction au droit de la concurrence (voir points 369369 et 370 ci-dessus).

397    Il convient d’ajouter que, selon une jurisprudence constante, à supposer même que la situation d’un autre opérateur économique non destinataire de la Décision ait été analogue à celle d’Intech, une telle constatation ne permettrait pas d’écarter l’infraction retenue à l’encontre d’Intech, dès lors que cette infraction a été correctement établie ; Intech ne saurait donc échapper à la sanction infligée au motif que d’autres opérateurs économiques ne se sont pas vu infliger une amende, alors même que le Tribunal n’est pas saisi de la situation de ces derniers (voir, en ce sens, arrêt Électrodes de graphite, point 283).

398    S’agissant des comparaisons faites par Intech entre les montants des amendes, d’une part, et les chiffres d’affaires globaux, d’autre part, il suffit de rappeler que la Commission a appliqué la méthode spécifique choisie par les lignes directrices afin d’atteindre l’objectif de dissuasion. Cette méthode − qui ne se réfère précisément pas au seul chiffre d’affaires global, mais tient compte de l’ampleur de la participation de chaque entreprise individuelle à l’infraction commise en se fondant sur les circonstances, la nature et la gravité de cette infraction − a été considérée comme légale par le juge communautaire (voir points 160 et 161 supra).

399    Dès lors que le montant final des amendes infligées aux sociétés Intech a été calculé en application de la méthodologie établie dans les lignes directrices et dans la mesure où le plafond de 10 % prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n17 n’a pas été dépassé (voir points 392 et 393 ci-dessus), la Commission n’était pas obligée de respecter une proportion exacte entre ce montant et la taille globale des sociétés Intech ou celle des autres entreprises impliquées (voir, en ce sens, arrêt LR AF 1998/Commission, point 139 supra, point 278, et arrêt du Tribunal du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, T-5/00 et T-6/00, non encore publié au Recueil, points 431 et 432).

400    Intech estime encore que la Commission aurait dû appliquer dans le cadre de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 le système du taux journalier en matière de peines financières, qui vise à assurer que « le riche comme le pauvre subissent, dans des circonstances par ailleurs similaires, une perte économique qui les touche de la même manière ». En effet, selon ce système, le poids de la répression résultant de l’amende infligée ne dépendrait pas du montant final de la peine, mais du rapport entre cette dernière et la situation de l’auteur.

401    À cet égard, il suffit de rappeler que, en l’espèce, la Commission pouvait légitimement appliquer la méthode de calcul énoncée dans ses lignes directrices (voir points   160 et 161 ci-dessus) et dans sa communication sur la coopération. Le fait pour elle de ne pas avoir suivi l’approche préconisée par Intech n’est donc pas de nature à vicier les amendes infligées aux sociétés Intech (voir, en ce sens, mutatis mutandis, arrêt Électrodes de graphite, point 194).

402    Le moyen pris d’un défaut de motivation ne saurait non plus être retenu. En effet, la Décision expose tous les éléments pertinents ayant permis aux sociétés Intech de comprendre le calcul de leur amende en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, point 386 supra, points 38 à 47) : les considérants 437 et 458 à 460 énumèrent les critères appliqués pour le calcul de l’amende du point de vue de la gravité de l’infraction, les considérants 438 à 457 appliquent ces critères aux faits du cas d’espèce et les considérants 490 à 518 expliquent les raisons pour lesquelles Intech a obtenu une réduction d’amende de 40 % en raison de sa subordination aux instructions d’Ibiden. Enfin, le considérant 410 expose les raisons pour lesquelles la Commission s’est abstenue d’incriminer les distributeurs autres qu’Intech.

403    Il s’ensuit que les moyens tirés par Intech d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que d’un défaut de motivation doivent également être rejetés.

7.     Sur l’augmentation du montant de l’amende infligée à SGL (T-91/03)

404    À l’audience, la Commission a déclaré que, dans l’hypothèse où le montant de départ attribué à SGL serait nettement réduit par le Tribunal, la réduction d’amende de 33 % accordée à la requérante (considérants 556 à 559 de la Décision) perdrait toute justification.

405    Pour autant que cette remarque doive être interprétée comme une demande d’augmentation du montant de l’amende infligée à SGL, cette demande ne saurait être accueillie. En effet, la réduction en cause a été accordée parce que la Commission − compte tenu de la situation financière très défavorable de SGL et de l’imposition récente d’une autre amende à hauteur de 80,2 millions d’euros − n’a pas jugé nécessaire, pour assurer une dissuasion effective, de lui imposer la totalité du montant de l’amende, et ce eu égard notamment au fait que SGL n’avait pas récidivé en commettant l’infraction (considérant 558 de la Décision).

406    Dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, le Tribunal estime que ces considérations restent valables même après les corrections qui ont dû être apportées au calcul du montant de départ de SGL. En effet, l’infraction reprochée à SGL reste la même et les corrections en cause ne font que refléter le caractère plus réduit de l’impact réel du comportement infractionnel de la requérante. Par conséquent, la nécessité d’assurer une dissuasion effective ne saurait pour autant être considérée comme plus pressante du seul fait de ces corrections.

407    Il convient cependant de rappeler que le montant de base fixé pour SGL au regard de sa coopération s’étant chiffré à 14,391 millions d’euros (voir point 375 ci-dessus), le montant final de l’amende fixé au titre de sa participation à l’entente dans le secteur du graphite isostatique s’élève, après application de ladite réduction de 33 %, à 9 641 970 euros.

C –  Sur les conclusions visant à l’annulation des taux d’intérêt fixés à l’article 3, troisième alinéa, de la Décision et à la lettre du 20 décembre 2002 (T-91/03)

408    SGL demande l’annulation de l’article 3 de la Décision en contestant la légalité du taux d’intérêt de 6,75 % et en dénonçant qu’il a été fixé sans aucune référence à une base juridique et sans motivation du choix précisément de ce taux d’intérêt élevé. Elle rappelle que la Décision lui a été transmise par lettre de la Commission du 20 décembre 2002 (point 27 ci-dessus), dans laquelle la Commission l’a informée qu’elle procéderait, à l’expiration du délai de paiement, au recouvrement de sa créance en appliquant le taux d’intérêt de 6,75 %, en précisant que, dans l’hypothèse d’une saisine du Tribunal, elle renoncerait au recouvrement de la créance pour la durée de la procédure juridictionnelle, à condition que SGL donne son accord à l’application d’un taux d’intérêt de 4,75 %. SGL conteste également la légalité de ce dernier taux d’intérêt.

409    Elle estime que le droit d’appliquer des intérêts de retard vise uniquement à éviter les recours abusifs et à veiller à ce que les entreprises qui payent « en retard » ne soient pas avantagées. Si la Commission peut donc se référer aux conditions de taux effectivement appliquées dans la pratique, il ne serait pas justifié de majorer encore une fois de 3,5 points de pourcentage un tel taux du marché. En tout état de cause, la Commission devrait prendre en considération des diminutions a posteriori des taux de refinancement de la Banque centrale européenne en vertu du principe selon lequel c’est le taux le plus favorable qui s’applique.

410    Dans sa réplique, SGL soutient que la Commission propose elle-même depuis peu de rémunérer par un intérêt des versements provisoires effectués au titre de l’amende, et ce à un taux qui se monte actuellement à 2 %. Les taux fixés antérieurement à l’introduction de cette pratique de compte de dépôt de garantie auraient nécessairement été trop élevés, au moins à concurrence de ce montant, car la nouvelle pratique de la Commission n’aurait pas conduit à un relèvement de la « pratique de calcul » générale des intérêts de retard. La Commission considérerait donc elle-même qu’il n’y a pas lieu de craindre des recours manifestement non fondés d’entreprises cherchant à réaliser des économies sur les intérêts, même avec des taux d’intérêt de 2 % inférieurs à ceux qui ont été fixés. Par conséquent, les taux d’intérêt fixés en l’espèce seraient trop élevés, au moins dans cette mesure.

411    À cet égard, il convient de rappeler que SGL avait déjà soulevé des moyens semblables dans le cadre du litige ayant conduit à l’arrêt Électrodes de graphite. Il suffit donc de renvoyer aux points 475 à 477 dudit arrêt pour rejeter les moyens avancés par SGL. En effet, le pouvoir dont la Commission est investie en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 comprend la faculté de déterminer la date d’exigibilité des amendes et celle de la prise de cours des intérêts de retard, de fixer le taux de ces intérêts et d’arrêter les modalités d’exécution de sa décision. La Commission a donc le droit de fixer les intérêts de retard au taux du marché majoré de 3,5 points de pourcentage et, dans l’hypothèse de la constitution d’une garantie bancaire, au taux du marché majoré de 1,5 point de pourcentage, le Tribunal ayant toléré, dans sa jurisprudence, des intérêts de retard de 7,5, de 13,25 et de 13,75 %, en précisant que la Commission est autorisée à prendre un point de référence situé à un niveau plus élevé que le taux proposé à l’emprunteur moyen, applicable sur le marché, dans la mesure nécessaire pour décourager les comportements dilatoires.

412    Dans ces circonstances, la Commission n’a pas dépassé, en l’espèce, la marge discrétionnaire dont elle jouit dans la fixation d’un taux d’intérêt de retard. SGL, en tant qu’opérateur économique prudent et avisé, était censée connaître la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence susmentionnée. Elle ne pouvait pas s’attendre à ce que la Commission lui applique des taux d’intérêt plus cléments. Dans le présent contexte – qui n’est pas visé par les articles 242 CE et 256 CE ainsi que les articles 104 à 110 du règlement de procédure –, la Commission n’était notamment pas tenue de prendre en considération la situation financière de SGL.

413    Dans la mesure où SGL s’est référée, dans sa réplique, à une pratique de la Commission consistant à rémunérer par un intérêt créditeur de 2 % actuellement des versements provisoires effectués par les entreprises en vue de s’acquitter de leurs amendes, il s’agit là d’un grief tardif − SGL n’explique pas pourquoi il ne lui a pas été possible de le produire dans sa requête − qui doit être rejeté comme irrecevable en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

414    En tout état de cause, le taux d’intérêt appliqué par la Commission aux amendes dont il s’avère ultérieurement qu’elles ont en définitive été payées à tort poursuit un but totalement différent de celui des intérêts de retard : le premier taux d’intérêt a pour but d’empêcher un enrichissement sans cause des Communautés au détriment d’une entreprise ayant obtenu gain de cause dans son recours visant à l’annulation de son amende, alors que le second taux d’intérêt vise à empêcher les retards abusifs dans le paiement d’une amende.

415    Il résulte de tout ce qui précède que les recours introduits dans les affaires T-71/03 et T-74/03 doivent être rejetés. Dans les affaires T-87/03 et T-91/03, le montant des amendes sera réduit pour Intech EDM AG à 420 000 euros et pour SGL, en ce qui concerne sa participation à l’entente dans le secteur du graphite isostatique, à 9 641 970 euros.

 Sur les dépens

416    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En application du paragraphe 3, premier alinéa, de la même disposition, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

417    Dans les affaires T-71/03 et T-74/03, les requérantes ont succombé en leurs conclusions. Par conséquent, elles supporteront l’ensemble des dépens.

418    Dans les affaires T-87/03 et T-91/03, les requérantes ayant obtenu gain de cause sur une partie non négligeable de leurs conclusions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant qu’elles supporteront deux tiers de leurs propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission et que cette dernière supportera un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par Intech EDM AG et par SGL.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Dans l’affaire T-71/03, Tokai Carbon/Commission :

–        le recours est rejeté ;

–        la partie requérante est condamnée aux dépens.

2)      Dans l’affaire T-74/03, Intech EDM BV/Commission :

–        le recours est rejeté ;

–        la partie requérante est condamnée aux dépens.

3)      Dans l’affaire T-87/03, Intech EDM AG/Commission :

–        le montant de l’amende infligée à la partie requérante par l’article 3 de la décision COMP/E-2/37.667 est fixé à 420 000 euros ;

–        l’article 3, sous h), de la décision COMP/E-2/37.667 est modifié en ce sens que la responsabilité conjointe et solidaire d’Intech EDM AG est limitée au montant de 420 000 euros ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        la partie requérante supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par la partie requérante.



4)      Dans l’affaire T-91/03, SGL Carbon/Commission :

–        le montant de l’amende infligée à la partie requérante par l’article 3 de la décision COMP/E-2/37.667 est fixé à 9 641 970 euros pour l’infraction commise dans le secteur du graphite isostatique ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        la partie requérante supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par la partie requérante.

Pirrung

Meij

 Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juin 2005.

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

        J. Pirrung

Table des matières

Faits à l’origine des litiges

Procédure

Conclusions des parties

En droit

A –  Sur les conclusions en annulation partielle de l’article 1er de la Décision et de certaines constatations factuelles figurant dans celle-ci

1.  Sur les moyens tirés, d’une part, d’une erreur de droit consistant à qualifier Intech d’auteur de l’infraction commise dans le secteur du graphite isostatique et, d’autre part, d’un défaut de motivation sur ce point (T-74/03 et T-87/03)

a)  Résumé de la Décision

b)  Arguments des parties

c)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur les moyens tirés de la constatation erronée du caractère mondial de l’entente dans le secteur du graphite isostatique en blocs entiers et découpés (T‑71/03)

a)  Résumé de la Décision

b)  Arguments des parties

c)  Appréciation du Tribunal

B –  Sur les conclusions visant à la suppression des amendes ou à la réduction de leur montant

1.  Sur les moyens tirés d’une violation du principe de non-cumul des sanctions et de l’obligation pour la Commission de prendre en compte les sanctions infligées antérieurement ainsi que d’un défaut de motivation sur ce point (T-71/03 et T‑91/03)

a)  Résumé de la Décision

b)  Arguments des parties

c)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur les moyens tirés d’une violation des droits de la défense (T‑91/03)

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur les moyens tirés d’une méconnaissance des lignes directrices, de l’illégalité de ces dernières et d’un défaut de motivation sur ce point

a)  Sur le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les amendes infligées aux requérantes et sur l’applicabilité des lignes directrices (T-91/03)

b)  Résumé de la Décision

c)  Sur les montants de départ retenus en fonction de la gravité des infractions (T-71/03, T-74/03 et T-87/03)

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

d)  Sur l’utilisation des chiffres concrets destinés à répartir les membres de l’entente en catégories et à fixer les montants de départ correspondants (T-71/03 et T-91/03)

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Sur la méthode appliquée en vue de réunir les chiffres pertinents pour l’entente dans le secteur du graphite isostatique

–  Sur les chiffres retenus dans le cas de SGL aux fins de son classement dans la catégorie la plus élevée des membres de l’entente dans le secteur du graphite isostatique

–  Sur la méthode appliquée en vue de réunir les chiffres pertinents pour l’entente dans le secteur du graphite extrudé et sur les chiffres effectivement retenus

e)  Sur le montant de base fixé pour SGL en fonction de la durée des infractions (T-91/03)

f)  Sur les circonstances atténuantes (T-74/03 et T-87/03)

Résumé de la Décision

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

g)  Sur les circonstances aggravantes (T-91/03)

Résumé de la Décision

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

h)  Sur la prétendue méconnaissance de l’absence de capacité contributive de SGL au sens du point 5 des lignes directrices (T-91/03)

i)  Sur la prétendue disproportion du montant de l’amende infligée à SGL du fait qu’une dissuasion effective ne serait pas nécessaire vis-à-vis de cette requérante (T-91/03)

4.  Sur les moyens tirés d’une méconnaissance de la communication sur la coopération (T-71/03 et T-91/03)

a)  Résumé de la Décision

b)  Arguments des parties

c)  Appréciation du Tribunal

5.  Sur le prétendu non-respect de la limite maximale des amendes

a)  Affaire T-91/03

b)  Affaires T-74/03 et T-87/03

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

6.  Sur les moyens tirés d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement par la fixation du montant de certaines amendes ainsi que d’un défaut de motivation sur ce point (T‑74/03 et T‑87/03)

7.  Sur l’augmentation du montant de l’amende infligée à SGL (T-91/03)

C –  Sur les conclusions visant à l’annulation des taux d’intérêt fixés à l’article 3, troisième alinéa, de la Décision et à la lettre du 20 décembre 2002 (T-91/03)

Sur les dépens


* Langues de procédure : l'allemand et l'anglais.