Language of document : ECLI:EU:C:2016:788

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 20 octobre 2016 (1)

Affaire C413/14 P

Intel Corporation Inc.

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Article 102 TFUE – Abus de position dominante – Rabais de fidélité – Qualification d’“abus” – Critère juridique applicable – Infraction unique et continue – Droits de la défense – Article 19 du règlement (CE) no 1/2003 – Entretien relatif à l’objet d’une enquête – Compétence de la Commission européenne – Mise en œuvre – Effets »







Table des matières



I – Cadre juridique

II – Antécédents du litige

III – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

IV – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

V – Appréciation des moyens du pourvoi

A – Remarques liminaires

B – Premier moyen : le critère juridique applicable aux rabais dits d’« exclusivité »

1. Principaux arguments des parties

2. Analyse

a) Examen des rabais et des paiements de la requérante effectué à titre principal par le Tribunal

i) Principes fondamentaux de la jurisprudence de la Cour relative aux rabais

ii) Les circonstances de l’espèce en tant que moyen de déterminer l’effet probable du comportement incriminé sur la concurrence

iii) Il n’existe que deux catégories de rabais selon la jurisprudence

– Caractère irréfragable d’une présomption d’illégalité en vertu de la forme

– Les rabais de fidélité ne sont pas toujours nuisibles

– Les effets des rabais de fidélité sont tributaires des circonstances

– Des pratiques similaires requièrent l’appréciation de l’ensemble des circonstances

iv) Conclusion intermédiaire

b) Examen de la capacité à restreindre la concurrence effectué à titre surabondant par le Tribunal

i) Capacité et/ou probabilité

ii) Éléments retenus par le Tribunal au soutien du constat d’un abus

iii) Autres circonstances

– Couverture du marché

– Durée

– Succès commercial du concurrent et baisse des prix

– Test AEC

c) Conclusion

C – Deuxième moyen : taux de couverture du marché aux fins du constat d’une éventuelle exploitation abusive par l’entreprise de sa position dominante

1. Principaux arguments des parties

2. Analyse

D – Troisième moyen : qualification de « rabais d’exclusivité » donnée à certains rabais

1. Principaux arguments des parties

2. Analyse

E – Quatrième moyen : droits de la défense

1. Principaux arguments des parties

2. Analyse

a) L’entretien litigieux était un entretien au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003

b) La note interne n’a pas corrigé le vice de procédure

c) Les conséquences de l’absence d’enregistrement de l’entretien litigieux

F – Cinquième moyen : compétence ratione loci

1. Principaux arguments des parties

2. Analyse

a) Remarques générales : mise en œuvre et/ou effet ?

b) Appréciation par le Tribunal de l’application des critères prétoriens pertinents

i) Mise en œuvre

ii) Effets « qualifiés »

G – Sixième moyen : le montant de l’amende

1. Principaux arguments des parties

2. Analyse

VI – Conséquences de l’appréciation

VII – Conclusion

1.        Par le présent pourvoi, Intel Corporation Inc. (ci-après « Intel » ou la « requérante ») demande à la Cour d’annuler l’arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (2), par lequel le Tribunal a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2009) 3726 final de la Commission, du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (devenu article 102 TFUE) et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C‑3/37.990 – Intel) (ci‑après la « décision contestée ») (3).

2.        Cette affaire soulève un certain nombre de questions de principe importantes. Ces questions ont trait, notamment, à l’application de la notion d’« infraction unique et continue » dans le contexte de l’application de l’article 102 TFUE, au pouvoir d’appréciation dont la Commission européenne dispose lors de l’enregistrement des entretiens qu’elle mène au cours de ses enquêtes et à la portée de sa compétence pour enquêter sur des infractions trouvant leur origine dans des pays tiers.

3.        Cette affaire offre en outre à la Cour l’occasion de préciser sa jurisprudence relative à l’abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE. Il convient plus spécifiquement de déterminer s’il est justifié d’établir une distinction entre différents systèmes de rabais, à la lumière des précédents jurisprudentiels procédant de l’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission (4). En considération de cette jurisprudence, il incombe à la Cour de définir le critère juridique qu’il convient d’appliquer à un système spécifique de rabais, que le Tribunal a qualifiés de « rabais d’exclusivité » dans l’arrêt attaqué.

4.        La Cour est appelée en particulier à déterminer si le Tribunal a considéré à bon droit que les rabais du système en cause dans la présente affaire sont par nature anticoncurrentiels. Une telle nature rendrait inutile l’appréciation de l’ensemble des circonstances de l’affaire, aux fins d’établir si le comportement en cause est effectivement susceptible de restreindre la concurrence sur un marché donné.

I –    Cadre juridique

5.        Le considérant 25 du règlement (CE) no 1/2003 (5) expose que la Commission doit, notamment, pouvoir interroger toute personne susceptible de disposer d’informations utiles et pouvoir enregistrer ses déclarations.

6.        L’article 19 du règlement no 1/2003 définit le pouvoir de la Commission de recueillir des déclarations. Aux termes du paragraphe 1 de cette disposition :

« Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte d’être interrogée aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête. »

7.        L’article 27, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 dispose :

« Les droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. Elles ont le droit d’avoir accès au dossier de la Commission sous réserve de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués. Le droit d’accès au dossier ne s’étend pas aux informations confidentielles et aux documents internes de la Commission ou des autorités de concurrence des États membres. […] »

8.        Le considérant 3 du règlement (CE) no 773/2004 (6) précise que, lorsque la Commission mène des entretiens, les personnes interrogées doivent être informées de l’objectif de l’entretien et de tout enregistrement dont il peut faire l’objet.

9.        L’article 3 du règlement no 773/2004 porte sur le pouvoir de la Commission de recueillir des déclarations et énonce ce qui suit :

« 1.      Lorsque la Commission interroge une personne avec son consentement, conformément à l’article 19 du règlement [no 1/2003], elle indique, au début de l’entretien, sur quelle base juridique celui-ci est fondé ainsi que son objectif, et elle en rappelle le caractère volontaire. Elle informe aussi la personne interrogée de son intention d’enregistrer l’entretien.

2.      L’entretien peut être réalisé par tout moyen de communication, y compris par téléphone ou par voie électronique.

3.      La Commission peut enregistrer sous toute forme les déclarations faites par les personnes interrogées. Une copie de tout enregistrement est mise à la disposition de la personne interrogée pour approbation. La Commission fixe, au besoin, un délai dans lequel la personne interrogée peut communiquer toute correction à apporter à la déclaration. »

II – Antécédents du litige

10.      Les antécédents du litige, tels qu’exposés par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

11.      Intel est une société établie aux États-Unis qui assure la conception, le développement, la fabrication et la commercialisation de microprocesseurs (ci‑après les « CPU »), de chipsets (jeux de puces) et d’autres composants semi‑conducteurs ainsi que de solutions pour plates-formes dans le cadre du traitement des données et des dispositifs de communication.

12.      Le 18 octobre 2000, Advanced Micro Devices Inc. (ci‑après « AMD ») a saisi la Commission d’une plainte formelle au titre de l’article 3 du règlement no 17 (7), qu’elle a complétée en présentant de nouveaux faits et de nouvelles allégations, dans le cadre d’une plainte complémentaire du 26 novembre 2003.

13.      Au mois de mai 2004, la Commission a lancé une série d’enquêtes portant sur certains éléments contenus dans la plainte complémentaire d’AMD.

14.      Le 17 juillet 2006, AMD a déposé auprès du Bundeskartellamt (office fédéral des ententes, Allemagne) une plainte alléguant qu’Intel avait instauré, notamment, des pratiques commerciales d’éviction avec Media-Saturn-Holding GmbH (ci-après « MSH »), distributeur européen d’appareils microélectroniques et premier distributeur européen d’ordinateurs de bureau. L’office fédéral des ententes a échangé des informations avec la Commission sur cette affaire.

15.      La Commission a tenu le 23 août 2006 une réunion avec M. D1, dirigeant de Dell Inc., un client d’Intel (8). La Commission n’a pas versé la liste indicative des thèmes de cette réunion au dossier de l’affaire ni établi de procès-verbal de cette réunion. Un membre de l’équipe chargée du dossier au sein de la Commission a rédigé quelque temps plus tard une note sur la réunion, que la Commission a qualifiée d’« interne » et dont elle a fourni une version non confidentielle à la requérante le 19 décembre 2008.

16.      La Commission a notifié le 26 juillet 2007 à la requérante une communication des griefs mettant en cause son comportement à l’égard de cinq grands équipementiers informatiques (Original Equipment Manufacturers, ci‑après les « OEM »), à savoir Dell, Hewlett-Packard Company (HP), Acer Inc., NEC Corp. et International Business Machines Corp. (IBM).

17.      Le 17 juillet 2008, la Commission a notifié à la requérante une communication des griefs complémentaire portant sur son comportement à l’égard de MSH et de Lenovo Group Ltd (ci-après « Lenovo »). Ce document comportait de nouveaux éléments de preuve sur le comportement adopté par Intel à l’égard de certains des OEM concernés, que la Commission avait obtenus après la publication de la communication des griefs adressée le 27 juillet 2007.

18.      Au terme de diverses étapes procédurales, la Commission a adopté, le 13 mai 2009, la décision contestée, où elle a considéré qu’Intel avait violé l’article 82 CE et l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), entre les mois d’octobre 2002 et de décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie visant à exclure un concurrent, à savoir AMD, du marché des CPU d’architecture x86 (ci-après les « CPU x86 »).

19.      Cette décision développait les considérations suivantes.

20.      Les produits en cause sont des CPU. L’architecture x86 est une norme conçue par Intel pour ses CPU. Elle permet le fonctionnement des systèmes d’exploitation Windows et Linux. Windows est principalement lié à l’ensemble des instructions x86. Avant l’année 2000, on comptait plusieurs fabricants de CPU x86, dont la plupart ont toutefois quitté le marché depuis lors. La Commission, dans la décision contestée, relève qu’Intel et AMD sont pratiquement les deux seules entreprises à fabriquer encore des CPU x86.

21.      De plus, la Commission a conclu dans la décision contestée que le marché des produits en cause n’était pas plus vaste que le marché des CPU x86. Cependant, elle ne s’est pas prononcée sur la question de savoir s’il existe un marché unique des CPU x86 pour tous les ordinateurs ou s’il importe de distinguer trois marchés séparés des CPU x86, à savoir celui pour les ordinateurs de bureau, celui pour les ordinateurs portables et celui pour les serveurs. Aux termes de la décision contestée, eu égard aux parts de marché d’Intel sur chacun de ces segments, la même conclusion s’impose quant à l’existence d’une position dominante.

22.      Dans la décision contestée, la Commission a défini le marché géographique comme étant de taille mondiale.

23.      S’agissant de la position dominante, Intel détenait des parts de marché d’environ 70 % ou plus au cours de la période de dix ans examinée (1997 à 2007). De surcroît, la Commission a identifié d’importantes barrières à l’entrée et à l’expansion sur le marché des CPU x86. Ces barrières résultent, en particulier, des investissements irrécupérables dans la recherche et le développement, la propriété intellectuelle et les installations de production nécessaires à la fabrication de CPU x86. En se fondant sur les parts de marché détenues par Intel et sur les barrières à l’entrée et à l’expansion sur le marché en cause, la Commission a conclu qu’Intel a occupé une position dominante sur ce marché au moins au cours de la période couverte par ladite décision, soit du mois d’octobre 2002 au mois de décembre 2007.

24.      La Commission a identifié dans la décision contestée deux types de comportement adoptés par Intel à l’égard de ses partenaires commerciaux, à savoir les rabais conditionnels et les restrictions dites « non déguisées » (naked restrictions).

25.      S’agissant du premier type de comportements, Intel a accordé à quatre OEM, à savoir Dell, Lenovo, HP et NEC, des rabais subordonnés à la condition qu’ils lui achètent la totalité ou la quasi-totalité de ses CPU x86. De même, Intel a octroyé des paiements à MSH, à la condition qu’elle vende exclusivement des ordinateurs équipés de ses CPU x86.

26.      Dans la décision contestée, la Commission qualifie de « rabais de fidélisation » les rabais conditionnels accordés par Intel. Quant aux paiements conditionnels versés par Intel à MSH, la Commission a conclu que le mécanisme économique de ces paiements est équivalent à celui des rabais conditionnels accordés aux OEM.

27.      Dans la décision contestée, la Commission fournit également une analyse économique de la capacité des rabais et des paiements consentis à MSH à évincer un concurrent qui serait aussi efficace qu’Intel (as efficient competitor test, ci‑après le « test AEC ») (9).

28.      Ces considérations ont amené la Commission à conclure que les rabais conditionnels et les paiements octroyés par Intel avaient eu pour conséquence d’assurer la fidélité des principaux OEM et de MSH. Ces pratiques ont produit des effets complémentaires en réduisant sensiblement la capacité des concurrents à se livrer une concurrence fondée sur les mérites de leurs CPU x86. Le comportement anticoncurrentiel d’Intel aurait ainsi réduit le choix offert aux consommateurs ainsi que les incitations à l’innovation.

29.      Quant au second type de comportements identifié dans la décision contestée, les « restrictions non déguisées », la Commission a estimé qu’Intel a octroyé des paiements à trois OEM, à savoir HP, Acer et Lenovo, à la condition qu’ils reportent ou annulent le lancement de produits équipés de CPU provenant d’AMD (ci-après les « CPU AMD ») et/ou imposent des restrictions à leur distribution. La Commission en a déduit que ce comportement d’Intel a porté atteinte à la concurrence en privant les clients d’un choix qui leur aurait été autrement offert. La Commission a jugé qu’un tel comportement ne relevait pas d’une concurrence normale, fondée sur les mérites.

30.      La Commission a conclu dans la décision contestée que chacun des comportements litigieux d’Intel à l’égard des OEM susmentionnés et de MSH constituait un abus au sens de l’article 102 TFUE, mais que chacun de ces abus s’inscrivait également dans une stratégie d’ensemble visant à évincer AMD, le seul concurrent important d’Intel, du marché des CPU x86. Ces différents abus feraient donc partie intégrante d’une infraction unique au sens de l’article 102 TFUE.

31.      En appliquant les lignes directrices pour le calcul du montant des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (ci-après les « lignes directrices de 2006 ») (10), la Commission a infligé à la requérante une amende de 1,06 milliard d’euros.

32.      Le dispositif de la décision contestée se lit comme suit :

« Article premier

Intel […] a commis une infraction unique et continue à l’article [102 TFUE] et à l’article 54 de l’accord EEE, entre octobre 2002 et décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie visant à évincer des concurrents du marché des CPU x86 qui a consisté en les éléments suivants :

a)      accorder des rabais à Dell entre décembre 2002 et décembre 2005 dont le niveau était conditionné au fait que Dell achetât la totalité de ses CPU x86 auprès d’Intel ;

b)      accorder des rabais à HP entre novembre 2002 et mai 2005 dont le niveau était conditionné au fait que HP achetât au moins 95 % des CPU x86 destinés à ses ordinateurs de bureau pour entreprises auprès d’Intel ;

c)      accorder des rabais à NEC entre octobre 2002 et novembre 2005 dont le niveau était conditionné au fait que NEC achetât au moins 80 % des CPU x86 destinés à ses PC clients auprès d’Intel ;

d)      accorder des rabais à Lenovo entre janvier 2007 et décembre 2007 dont le niveau était conditionné au fait que Lenovo achetât la totalité des CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables auprès d’Intel ;

e)      accorder des paiements à [MSH] entre octobre 2002 et décembre 2007 dont le niveau était conditionné au fait que [MSH] ne vendît que des ordinateurs équipés des CPU x86 d’Intel ;

f)      accorder des paiements à HP entre novembre 2002 et mai 2005 à condition que : i) HP oriente les ordinateurs de bureau de HP équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises vers les petites et moyennes entreprises et les clients du secteur gouvernemental, éducatif et médical plutôt que vers les grandes entreprises ; ii) HP interdise à ses partenaires de distribution de stocker les ordinateurs de bureau de HP équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises, de façon que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP (soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux) ; iii) HP retarde de six mois le lancement de son ordinateur de bureau équipé d’un CPU x86 d’AMD destiné aux entreprises dans la région [Europe, Moyen-Orient et Afrique (EMOA)] ;

g)      accorder des paiements à Acer entre septembre 2003 et janvier 2004 à condition qu’Acer retarde le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU x86 d’AMD ;

h)      accorder des paiements à Lenovo entre juin 2006 et décembre 2006 à condition que Lenovo retarde et annule finalement le lancement de ses ordinateurs portables équipés de CPU x86 d’AMD.

[…] »

III – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

33.      Par requête déposée le 22 juillet 2009 au greffe du Tribunal, la requérante a demandé l’annulation de la décision contestée. L’Association for Competitive Technology, Inc. (ci-après l’« ACT ») est intervenue au soutien d’Intel.

34.      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.

IV – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

35.      Par son pourvoi introduit le 26 août 2014, la requérante demande à la Cour :

–        d’annuler en tout ou partie l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler en tout ou partie la décision contestée ;

–        d’annuler ou de réduire substantiellement le montant de l’amende qui lui a été infligée ;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue conformément à l’arrêt de la Cour, et

–        de condamner la Commission aux dépens afférents au pourvoi et à la procédure de première instance.

36.      ACT a présenté un mémoire en réponse au soutien des conclusions de la requérante.

37.      La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la requérante aux dépens.

38.      Intel, ACT et la Commission ont exposé leurs positions lors de l’audience qui s’est tenue le 21 juin 2016.

V –    Appréciation des moyens du pourvoi

39.      La requérante invoque six moyens à l’appui de son pourvoi. Par son premier moyen, la requérante allègue que la qualification juridique de « rabais d’exclusivité » donnée par le Tribunal aux rabais en cause est erronée en droit. Le deuxième moyen est pris d’une erreur de droit viciant le constat d’une infraction au titre des années 2006 et 2007 ainsi que l’évaluation de la part de marché couverte par le comportement en cause. Par son troisième moyen, la requérante dénonce une erreur de droit entachant la qualification de « rabais d’exclusivité » donnée à certaines pratiques de rabais appliquées uniquement à une minorité des achats d’un client. Le quatrième moyen est pris d’une erreur de procédure tenant à une interprétation erronée des dispositions combinées de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004 à propos de l’absence d’obligation d’enregistrer un entretien. Le cinquième moyen est tiré de la violation de l’article 102 TFUE et vise à contester la compétence ratione loci de la Commission pour appliquer cette disposition aux pratiques de la requérante convenues en Chine avec Lenovo en 2006 et en 2007. Le sixième et dernier moyen concerne le montant de l’amende, dont le calcul procéderait d’une erreur de droit résultant de l’application rétroactive des lignes directrices de 2006.

40.      Avant d’examiner tour à tour chacune de ces questions, j’estime utile d’effectuer quelques observations liminaires sur la structure et l’objet de l’article 102 TFUE. Ces remarques constitueront le point de départ de l’examen subséquent des trois premiers moyens du pourvoi.

A –    Remarques liminaires

41.      Les règles de concurrence de l’Union européenne ont visé dès l’origine à établir un système de concurrence non faussée, en tant que composante du marché intérieur institué par l’Union (11). À cet égard, on ne saurait trop insister sur le fait que les règles de concurrence de l’Union sont destinées à protéger le processus concurrentiel en lui‑même, et non, par exemple, les concurrents (12). Dans le même ordre d’idées, ces règles ne protègent pas les concurrents lorsqu’ils sont évincés du marché par une intense concurrence et non par des comportements anticoncurrentiels. Il s’ensuit qu’une éviction du marché n’est pas nécessairement l’indice d’une pratique abusive, mais peut révéler au contraire l’existence d’une concurrence agressive, mais saine et licite (13). Il en est ainsi parce qu’en raison de sa nature économique, le droit de la concurrence tend en définitive à améliorer l’efficacité. La jurisprudence des juridictions de l’Union reflète elle aussi clairement, selon moi, l’importance accordée à l’efficacité.

42.      Il résulte logiquement de ce principe directeur que la position dominante n’est pas considérée en elle-même comme contraire à l’article 102 TFUE. Bien au contraire, seul est interdit et, dès lors, sanctionné en tant qu’abus de position dominante le comportement constituant la manifestation de la puissance de marché, au détriment de la concurrence et, par conséquent, des consommateurs.

43.      L’objectif d’une efficacité accrue a pour corollaire logique qu’une importance essentielle est accordée aux effets anticoncurrentiels d’une pratique donnée. Que l’on soit en présence d’une application simplifiée des règles de concurrence par le recours, par exemple, à la notion de « restriction par objet » dans le cadre de l’article 101 TFUE (14), ou du comportement d’une seule entreprise relevant du champ d’application de l’article 102 TFUE, les règles de concurrence de l’Union visent à appréhender les comportements déployant des effets anticoncurrentiels. La forme d’une pratique déterminée n’a pas, à ce jour, été jugée importante.

44.      Le Tribunal a établi dans l’arrêt attaqué une distinction entre trois systèmes de rabais : les rabais de quantité, les « rabais d’exclusivité » et les rabais fondés sur un mécanisme susceptible de revêtir un effet fidélisant. Contrairement à un système de rabais reposant exclusivement sur le volume des achats (première catégorie), qui reflète des gains d’efficience et des économies d’échelle, les systèmes de rabais d’exclusivité (deuxième catégorie), selon la terminologie utilisée par le Tribunal, sont incompatibles avec l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché intérieur. Ces rabais sont liés à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou une quantité importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante (15).

45.      En sus des deux systèmes de rabais précédemment mentionnés, le Tribunal se réfère dans l’arrêt attaqué à une catégorie résiduelle de rabais qui ne sont pas directement liés à une condition d’approvisionnement exclusif ou quasi exclusif, mais où le mécanisme de l’octroi du rabais peut aussi revêtir un effet fidélisant (troisième catégorie). Relèvent de cette catégorie les rabais tels que les rabais rétroactifs (16). Le Tribunal a considéré qu’il y avait lieu de distinguer les rabais appartenant à la troisième catégorie des « rabais d’exclusivité », au motif qu’ils ne sont pas directement subordonnés à une condition d’exclusivité. C’est pourquoi le Tribunal a admis la nécessité d’apprécier l’ensemble des circonstances pour déterminer si ces rabais sont susceptibles de restreindre la concurrence (17).

46.      En raison de leur caractère conditionnel, le Tribunal a qualifié de « rabais d’exclusivité » les rabais et les paiements offerts par la requérante. En se fondant sur la jurisprudence issue de l’arrêt Hoffmann-La Roche, le Tribunal a estimé que, pour établir si l’entreprise en cause avait abusé de sa position dominante, il suffisait que les rabais constituent des « rabais d’exclusivité » compris dans la deuxième catégorie. Une fois ce point établi, il ne serait plus nécessaire d’apprécier « l’ensemble des circonstances » aux fins de vérifier si le comportement en cause était susceptible de restreindre la concurrence. Une telle capacité anticoncurrentielle pourrait être admise sur le seul fondement de la forme du comportement. Il en est ainsi, selon le Tribunal, parce que de tels rabais tendent généralement à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès au marché aux autres producteurs et à empêcher ainsi l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (18).

47.      Conformément à ce mode de raisonnement, la prémisse selon laquelle les « rabais d’exclusivité » offerts par une entreprise en position dominante emportent toujours, et sans aucune exception, le verrouillage de la concurrence transparaît tout au long de l’arrêt attaqué. C’est sur le fondement de cette prémisse que le Tribunal a écarté la pertinence du contexte et, par voie de conséquence, la nécessité d’apprécier la capacité anticoncurrentielle du comportement sous examen.

48.      Dans cette optique, la réponse qu’il conviendra d’apporter aux premier, deuxième et troisième moyens du pourvoi est, en définitive, tributaire du point de savoir si la Cour estime cette prémisse correcte.

B –    Premier moyen : le critère juridique applicable aux rabais dits d’« exclusivité »

1.      Principaux arguments des parties

49.      Intel, soutenue par ACT, allègue à titre principal que le Tribunal a donné une qualification juridique erronée à ce qu’il a appelé « rabais d’exclusivité », soit des « rabais de fidélité au sens de la jurisprudence Hoffmann-La Roche » (19). Le Tribunal aurait conclu à tort que, contrairement à d’autres rabais et pratiques tarifaires, les rabais en cause sont, par nature, susceptibles de restreindre la concurrence et, par conséquent, anticoncurrentiels, sans qu’il soit besoin d’examiner les circonstances pertinentes entourant ces rabais, ou la probabilité qu’ils puissent restreindre la concurrence (20). Intel reproche à cet égard au Tribunal d’avoir confirmé le constat d’un abus, sans avoir examiné la probabilité d’une atteinte à la concurrence. Elle avance en outre que le Tribunal a commis en tout état de cause une erreur en retenant à titre surabondant que les rabais litigieux étaient susceptibles de restreindre la concurrence (21).

50.      La Commission conclut au rejet du premier moyen. Elle affirme, en substance, que ce moyen repose sur la prémisse erronée que les « rabais d’exclusivité » sont de simples pratiques tarifaires. Elle objecte que les « rabais d’exclusivité » sont, de par leur nature, différents d’autres pratiques tarifaires. Les rabais subordonnés à une condition d’exclusivité comporteraient des caractéristiques dispensant de vérifier dans une affaire donnée s’ils sont susceptibles de restreindre la concurrence. La Commission estime en particulier que la jurisprudence de la Cour sur les rabais n’apporte aucun soutien à la thèse de la requérante selon laquelle il n’y a pas lieu de distinguer les « rabais d’exclusivité » d’autres rabais à effet fidélisant ni, d’ailleurs, des pratiques tarifaires.

51.      Quant à l’appréciation à titre surabondant de l’ensemble des circonstances entourant les pratiques en cause, la Commission estime que la requérante n’a pas présenté d’arguments remettant en cause l’examen de leur capacité anticoncurrentielle auquel le Tribunal a procédé à titre surabondant dans l’arrêt attaqué.

2.      Analyse

52.      Pour répondre au premier moyen, il importe principalement de définir le critère juridique adéquat qu’il y a lieu d’appliquer aux rabais dits d’« exclusivité ». En d’autres termes, la question est de savoir si c’est à juste titre que le Tribunal a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’apprécier « l’ensemble des circonstances » pour vérifier si ces rabais sont susceptibles de produire un effet anticoncurrentiel. Pour simplifier, il s’agit de déterminer si le Tribunal a jugé à bon droit que, en raison de leur forme, les « rabais d’exclusivité » ne peuvent même pas être soustraits à l’incrimination par la prise en compte de leur contexte.

53.      Contrairement à ce que la Commission a suggéré dans ses écritures, je ne vois aucune raison pour laquelle la Cour ne devrait pas examiner l’intégralité du premier moyen. Celui-ci vise clairement à dénoncer les erreurs de droit qui, selon moi, vicient la qualification de « rabais d’exclusivité » donnée aux rabais et aux paiements consentis par Intel et les singularisant par rapport à d’autres rabais à effet fidélisant. Intel reproche plus particulièrement au Tribunal d’avoir estimé inutile l’appréciation de l’ensemble des circonstances avant de conclure que le comportement réprimé constituait un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE. Intel conteste également le jugement porté à titre surabondant par le Tribunal sur la « capacité » anticoncurrentielle du comportement incriminé (22). À son avis, cette appréciation ne tiendrait pas dûment compte de plusieurs éléments pertinents aux fins du constat de cette capacité. Bien qu’étroitement liée à un examen des faits, cette question ne peut échapper au contrôle de la Cour, qui est en effet habilitée, par l’article 256 TFUE, à contrôler la qualification juridique de ces faits qui a été retenue par le Tribunal et les conséquences de droit qu’il en a tirées.

54.      Aux fins de l’examen du bien-fondé du premier moyen, il convient tout d’abord de vérifier si le Tribunal a jugé à bon droit que son examen des « rabais d’exclusivité » offerts par Intel aux OEM en cause et des pratiques commerciales convenues avec MSH n’appelait pas l’appréciation de « l’ensemble des circonstances », afin de déterminer si le comportement incriminé constituait un abus de position dominante contraire à l’article 102 TFUE. À cet égard, j’exposerai les principes fondamentaux de la jurisprudence pertinente afin de démontrer qu’elle exige une appréciation de l’ensemble des circonstances. Cette conclusion me conduira logiquement à contrôler l’examen de la capacité anticoncurrentielle des rabais accordés par la requérante auquel le Tribunal a procédé à titre surabondant.

a)      Examen des rabais et des paiements de la requérante effectué à titre principal par le Tribunal

55.      Ainsi que je l’ai indiqué aux points 44 à 46 des présentes conclusions, le Tribunal a établi une distinction, fondée sur la jurisprudence de la Cour, entre trois systèmes de rabais : les rabais liés au volume des achats (première catégorie), les « rabais d’exclusivité » subordonnés à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante (deuxième catégorie) et d’autres systèmes de rabais où l’octroi d’une incitation financière n’est pas directement lié à une condition d’approvisionnement exclusif ou quasi exclusif (troisième catégorie) (23).

56.      En particulier, le Tribunal a estimé que les rabais accordés à Dell, à HP, à NEC et à Lenovo, dont la Commission a fait état, notamment à l’article 1er, sous a) à d), de la décision contestée, sont des rabais d’exclusivité relevant de la deuxième catégorie, au motif qu’ils étaient liés à la condition que ces sociétés s’approvisionnent auprès d’Intel, au moins dans un segment déterminé, soit pour la totalité de leurs besoins en CPU x86, en ce qui concernait Dell et Lenovo, soit pour une partie importante de leurs besoins, en l’occurrence 95 % pour HP et 80 % pour NEC (24). En ce qui concerne les paiements octroyés à MSH, le Tribunal a estimé que la Commission n’était pas tenue d’apprécier les circonstances de l’espèce, mais qu’elle devait seulement démontrer l’octroi, par la requérante, d’une incitation financière subordonnée à une condition d’exclusivité (25).

57.      En particulier, le Tribunal a estimé, sur le fondement d’une considération retenue par la Cour dans son arrêt Hoffmann-La Roche (26), que l’éventuelle qualification d’« abusif » donnée à un « rabais d’exclusivité » n’est pas subordonnée à un examen de la capacité anticoncurrentielle de ce rabais en fonction des circonstances de l’espèce (27).

58.      La requérante soutient que cette conclusion est juridiquement erronée. Elle reproche plus précisément au Tribunal d’avoir méconnu la pertinence des considérations que la Cour a formulées non seulement dans d’autres affaires relatives à des rabais visés par l’article 102 TFUE, mais également à propos d’autres pratiques tarifaires.

59.      Je vais exposer ci-après les raisons pour lesquelles je partage la position de la requérante.

i)      Principes fondamentaux de la jurisprudence de la Cour relative aux rabais

60.      D’une manière générale, la jurisprudence de la Cour témoigne d’une méfiance à l’égard d’une variété de systèmes de rabais offerts par les entreprises en position dominante. Cette attitude peut s’expliquer par l’idée générale qu’il incombe à ces entreprises la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par leur comportement à la concurrence dans le marché intérieur (28). Cette responsabilité particulière implique que les dispositifs liant d’une façon ou d’une autre les clients à leurs sources d’approvisionnement auprès d’une entreprise en position dominante sont considérés comme revêtant un effet fidélisant et sont ainsi présumés abusifs.

61.      Il se déduit de la série de précédents jurisprudentiels issus de l’arrêt fondateur, Hoffmann-La Roche, une présomption d’illégalité des rabais subordonnés à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante. Cette même présomption d’illégalité est applicable à d’autres rabais présentant également un caractère fidélisant, même s’ils ne reposent pas formellement sur une clause d’exclusivité. La Cour a qualifié d’« anticoncurrentiels » des rabais, qu’ils soient rétroactifs et individualisés, comme dans les affaires Michelin I (29), British Airways/Commission (30) ainsi que Tomra e.a./Commission (31), ou fondés sur des parts de marché et individualisés, comme dans l’affaire Hoffmann‑La Roche (32). Les seuls rabais ayant échappé jusqu’ici à la présomption d’illégalité sont de nature quantitative. Ces rabais sont uniquement liés au volume des achats effectués auprès d’une entreprise en position dominante (33).

62.      Les rabais et les paiements offerts par Intel peuvent être qualifiés de « rabais de fidélité » liés à des parts de marché (34). Pour pouvoir bénéficier d’une remise, le client doit s’approvisionner à raison d’un certain pourcentage de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante. Comme il a été précisé, le Tribunal, en se fondant sur l’affirmation de la Cour dans l’affaire Hoffmann-La Roche, a estimé que, lorsque le rabais est un rabais d’exclusivité relevant de la deuxième catégorie, il n’est pas nécessaire d’examiner sa capacité anticoncurrentielle en fonction des circonstances de l’espèce (35).

63.      L’affaire Hoffmann-La Roche concernait un système de rabais corrélé à une part de marché et subordonné à la condition que les clients s’approvisionnent à raison d’une certaine quantité de leurs besoins auprès de l’entreprise en position dominante. Plus précisément, les rabais étaient progressifs en fonction du pourcentage du chiffre d’affaires représenté par les achats (36). Dans cette affaire, la Cour a considéré que, sauf circonstances exceptionnelles, les rabais de fidélité ne reposent pas sur une prestation économique justifiant cette charge ou cet avantage. Au contraire, ils tendent, selon elle, « à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès du marché aux autres producteurs » (37). La Cour a donc retenu que « [a]ttendu que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur le marché, le fait de lier […] des acheteurs par une obligation ou promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article [102 TFUE], soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi de rabais » (38). Il en est de même, a poursuivi la Cour, « lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d’accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client – quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats – s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante » (39).

64.      En posant ce principe fondateur, la Cour n’a pas fait état de la nécessité d’apprécier l’ensemble des circonstances pour déterminer si un abus de position dominante avait été établi à suffisance de droit.

65.      De ce point de vue, il n’est sans doute pas surprenant que le Tribunal ait conclu, dans l’arrêt attaqué, comme il l’a fait.

66.      Il convient toutefois de relever dès à présent que le constat de l’illégalité des rabais en cause dans l’affaire Hoffmann-La Roche était fondé sur une analyse approfondie, notamment, des circonstances entourant l’octroi des rabais et de la part de marché qu’ils couvraient (40). C’est sur le fondement de cette appréciation que la Cour a jugé que les rabais de fidélité en cause dans cette affaire tendaient à empêcher les clients, par l’octroi d’un avantage financier, de s’approvisionner auprès de producteurs concurrents.

67.      Ainsi que le Tribunal l’a relevé à bon droit (41), la Cour s’est surtout employée depuis l’affaire Hoffmann-La Roche à définir les critères appropriés pour déterminer si une entreprise a abusé de sa position dominante en appliquant des systèmes de rabais non directement liés à un approvisionnement exclusif ou quasi exclusif. Il s’agit des rabais appartenant à la troisième catégorie de la typologie établie dans l’arrêt attaqué.

68.      La Cour a constamment rappelé dans cette jurisprudence ultérieure la présomption d’abus qu’elle a érigée en principe dans l’affaire Hoffmann-La Roche à l’encontre des rabais de fidélité. Toutefois, comme ACT l’a relevé à juste titre au cours de l’audience, la Cour a en réalité invariablement tenu compte de « l’ensemble des circonstances », aux fins de vérifier si le comportement litigieux représentait un abus de position dominante contraire à l’article 102 TFUE.

69.      Dans l’affaire Michelin I, relative à des rabais dépendant de la réalisation d’objectifs, la Cour a considéré qu’en présence d’un système de ristournes ne reposant sur aucun engagement d’exclusivité ni sur aucune obligation d’achat auprès de l’entreprise en position dominante d’une partie déterminée des approvisionnements, il y avait lieu d’apprécier l’ensemble des circonstances (42). Dans d’autres affaires ultérieures se rapportant à des rabais non directement subordonnés à une condition d’exclusivité, la Cour a jugé que, afin de déterminer si une entreprise avait exploité de façon abusive sa position dominante, il convenait d’apprécier les critères et les modalités de l’octroi du rabais et d’examiner si celui-ci tend, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (43).

70.      Cependant, le rappel d’une affirmation de principe posant une présomption d’abus n’est pas, comme il ressort de la jurisprudence de la Cour, équivalant à une omission de prendre en considération les circonstances d’une affaire déterminée. En fait, l’arrêt attaqué constitue l’un des très rares cas où l’affirmation émise par la Cour dans l’affaire Hoffmann-La Roche est appliquée littéralement sans examen des circonstances de l’affaire effectué préalablement au constat de l’exploitation abusive par une entreprise de sa position dominante (44). Pour justifier cette sévérité à l’égard des « rabais d’exclusivité », le Tribunal a retenu dans l’arrêt attaqué que les rabais et les paiements pratiqués par Intel étaient subordonnés à une condition d’exclusivité (d’une manière analogue, mais non identique, à celle adoptée dans l’affaire Hoffmann-La Roche, eu égard à l’absence d’obligation formelle d’exclusivité). Cette circonstance a singularisé l’affaire sous examen par rapport à celles évoquées au point précédent.

71.      Il pourrait aisément être conclu en première analyse que le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, se borne à réaffirmer la jurisprudence existante et à l’appliquer au comportement d’Intel.

72.      Une telle conclusion négligerait toutefois l’importance que revêt le contexte juridique et économique en vertu de cette même jurisprudence.

ii)    Les circonstances de l’espèce en tant que moyen de déterminer l’effet probable du comportement incriminé sur la concurrence

73.      Je vais exposer ci-après les raisons pour lesquelles un abus de position dominante n’est jamais établi in abstracto : même dans les cas de pratiques présumées illégales, la Cour a toujours examiné le contexte juridique et économique du comportement incriminé. À cet égard, l’appréciation du contexte du comportement en cause constitue le corollaire obligé de la vérification qu’un abus de position dominante a éventuellement été commis. Il n’y a rien de surprenant à cela. Pour être interdit en vertu de l’article 102 TFUE, le comportement analysé doit être à tout le moins susceptible d’évincer les concurrents du marché (45).

74.      Une analyse sommaire des précédents jurisprudentiels examinés aux points 66 à 69 des présentes conclusions indique à elle seule que la Cour ne manque pas d’apprécier le contexte juridique et économique du comportement en cause – ou, pour utiliser la formule consacrée dans les cas d’application de l’article 102 TFUE, « l’ensemble des circonstances » – aux fins de déterminer si une entreprise a fait un usage abusif de sa position dominante. Tel est le cas aussi bien pour les rabais subordonnés à une condition d’exclusivité que pour les autres types de pratiques revêtant un effet fidélisant.

75.      Il m’apparaît, en conséquence, que l’interprétation faite par le Tribunal de l’arrêt Hoffmann-La Roche, néglige un aspect important. Contrairement à la position adoptée dans l’arrêt attaqué (46), la Cour a examiné dans l’affaire Hoffmann-La Roche plusieurs éléments du contexte juridique et économique des rabais, afin d’établir que l’entreprise mise en cause avait fait une exploitation abusive de sa position dominante. Certes, dans son arrêt, la Cour n’affirme pas expressément qu’une appréciation de l’ensemble des circonstances est déterminante pour établir que le comportement incriminé est constitutif d’un abus de position dominante. Toutefois, comme évoqué au point 66 des présentes conclusions, un examen plus précis de cet arrêt montre que la Cour a examiné de façon éminemment détaillée la spécificité du marché des produits pharmaceutiques en cause, la part du marché couverte par les rabais ainsi que les conditions générales des contrats conclus par l’entreprise en position dominante avec ses clients (47). Cette analyse détaillée du contexte juridique et économique des rabais convenus, à savoir leurs conditions d’octroi, la part de marché couverte ainsi que leur durée a conduit la Cour à conclure que les rabais de fidélité sont illégaux, sauf circonstances exceptionnelles (48).

76.      Comme le Tribunal l’a reconnu dans l’arrêt attaqué (49), hormis l’arrêt Hoffmann-La Roche, la Cour a, dans sa jurisprudence relative aux systèmes de rabais (autres que ceux exclusivement fondés sur les volumes des achats), invariablement et expressément considéré qu’il était particulièrement important d’apprécier l’ensemble des circonstances afin de déterminer si le comportement incriminé constitue un abus de position dominante contraire à l’article 102 TFUE (50). Cela n’a, en soi, rien d’étonnant : en dehors de l’affaire Hoffmann-La Roche, la Cour n’a jamais été saisie, à ma connaissance, d’autres cas d’obligations d’approvisionnement exclusif analogues à celles présentement en cause. Il n’est donc pas surprenant que la nécessité d’apprécier l’ensemble des circonstances ait été confirmée une nouvelle fois dans l’arrêt Post Danmark II, rendu à titre préjudiciel après le prononcé de l’arrêt attaqué, à propos de rabais rétroactifs non liés à une condition d’exclusivité (51).

77.      Néanmoins quelles sont les implications de l’appréciation de « l’ensemble des circonstances » ?

78.      À mon sens, l’analyse du « contexte » – ou l’appréciation de « l’ensemble des circonstances », selon l’expression consacrée par la Cour dans sa jurisprudence – vise uniquement, mais fondamentalement, à établir qu’il a été démontré à suffisance de droit qu’une entreprise a fait un usage abusif de sa position dominante (52). Même l’hypothèse d’un comportement d’exclusion apparemment manifeste, comme la fixation de prix inférieurs aux coûts, ne permet pas d’ignorer le contexte de l’affaire (53), sauf à frapper d’une interdiction indifférenciée un comportement pouvant être parfaitement insusceptible de restreindre la concurrence. Une telle interdiction générale risquerait également d’appréhender et de sanctionner un comportement favorable à la concurrence.

79.      C’est la raison pour laquelle le contexte de l’affaire présente une importance essentielle.

iii) Il n’existe que deux catégories de rabais selon la jurisprudence

80.      Aux fins de l’application de l’article 102 TFUE, les rabais de fidélité constituent, à mon avis, le proche équivalent d’une restriction de concurrence par objet au sens de l’article 101 TFUE. Il en est ainsi parce que les rabais de fidélité sont présumés illégaux au même titre que les restrictions de concurrence par objet. Toutefois, comme cela a déjà été évoqué au point 61 des présentes conclusions, les rabais de fidélité doivent être compris comme englobant non seulement les rabais subordonnés à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante, mais aussi d’autres dispositifs tarifaires liés à la réalisation d’un objectif spécifique par le client.

81.      Contrairement à la position adoptée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, la jurisprudence distingue deux, et non trois, catégories de rabais. D’une part, certains rabais sont présumés légaux, comme les rabais liés au volume des achats (54). Toute instruction menée sur la légalité/l’illégalité de ces rabais exige nécessairement un examen exhaustif de leurs effets réels ou potentiels. Ce type de rabais n’est pas en cause en l’espèce.

82.      D’autre part, la Cour adopte à l’égard des rabais de fidélité (présumés illégaux), qu’ils soient ou non directement liés à une condition d’exclusivité, une démarche quelque peu analogue à la méthode applicable aux restrictions par objet au sens de l’article 101 TFUE. En effet, cet article subordonne lui aussi la démonstration qu’un certain comportement constitue une restriction par objet à l’examen préalable de son contexte juridique et économique, de façon à exclure toute autre explication plausible du comportement incriminé, dont le contexte spécifique n’est, en d’autres termes, jamais ignoré.

83.      Comme cela a déjà été évoqué précédemment, la Cour a effectivement pris en considération l’ensemble des circonstances dans l’affaire Hoffmann-La Roche. Par la suite, elle a expressément posé une exigence en ce sens dans l’affaire Michelin I à propos de rabais non directement subordonnés à une condition d’exclusivité. Elle a ultérieurement précisé cette exigence dans des précédents jurisprudentiels tels que les arrêts British Airways, Michelin II et Tomra. Le but de l’examen de l’ensemble des circonstances vise à s’assurer qu’un abus de position dominante a bien été établi à suffisance de droit et que les rabais sont donc bien susceptibles d’entraîner un effet d’éviction de la concurrence.

84.      Le Tribunal a toutefois franchi un pas supplémentaire dans l’arrêt attaqué. En suivant à la lettre l’affirmation de principe formulée par la Cour dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, sans la replacer dans son contexte spécifique, il a forgé une distinction entre une sous-catégorie de rabais de fidélité, qualifiés de « rabais d’exclusivité », et d’autres catégories de rabais produisant un effet fidélisant (55). Il a ainsi établi une « supercatégorie » de rabais n’appelant pas une appréciation de l’ensemble des circonstances aux fins du constat que le comportement incriminé constitue un abus de position dominante contraire à l’article 102 TFUE. Élément plus important encore, le Tribunal pose in abstracto la prémisse de la nature abusive de ces rabais sur le seul fondement de leur forme.

85.      Une telle démarche n’est en aucune manière évidente d’un point de vue méthodologique, pour les quatre motifs suivants.

–       Caractère irréfragable d’une présomption d’illégalité en vertu de la forme

86.      En premier lieu, s’il était admis que les « rabais d’exclusivité » constituent une catégorie de rabais autonome qu’il y a lieu de distinguer d’autres types de systèmes de rabais à effet fidélisant, la prémisse sous‑jacente à leur illégalité ne serait plus susceptible d’être réfutée (56). Il en va ainsi dès lors qu’une telle interdiction est fondée sur la forme du comportement, et non sur ses effets.

87.      En fait, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal semble retenir le postulat selon lequel un « rabais d’exclusivité » offert par une entreprise en position dominante ne peut en aucun cas produire des effets bénéfiques sur la concurrence. Il en est ainsi, selon le Tribunal, parce que la concurrence est restreinte du seul fait de l’existence d’une position dominante en tant que telle (57). Une telle conception revient à nier la possibilité, déjà admise dans l’affaire Hoffmann-La Roche (58) et réaffirmée dans l’arrêt attaqué (59), d’invoquer une justification objective, favorable à la concurrence, du recours aux rabais en cause.

88.      Contrairement à ce que la Commission a suggéré au cours de l’audience, aucun argument d’efficience ni aucune autre considération ne peuvent permettre à une entreprise de justifier l’application de « rabais d’exclusivité » lorsque leur interdiction porte sur leur forme plutôt que sur leurs effets (60), car la forme demeure la même, quels que soient les effets. Cela pose problème, puisque, comme le Tribunal l’a légitimement relevé dans l’arrêt attaqué (61) et comme la Commission l’a elle-même reconnu dans ses écritures, l’entreprise en position dominante devrait pouvoir justifier le recours à un système de rabais en prouvant que l’effet d’exclusion qu’il entraîne peut être compensé, voire surpassé, par des gains d’efficience (62).

–       Les rabais de fidélité ne sont pas toujours nuisibles

89.      En deuxième lieu, la création d’une « supercatégorie » de rabais n’est justifiée que si les pratiques de rabais subordonnées à une condition d’exclusivité sont regardées comme insusceptibles de présenter des vertus rédemptrices, quelles que soient les circonstances spécifiques de l’affaire sous examen. Toutefois, le Tribunal a paradoxalement admis lui-même que des conditions d’exclusivité peuvent produire des effets bénéfiques. Il a cependant écarté toute nécessité d’examiner ces effets, au motif qu’en raison de la position dominante de l’entreprise sur le marché, la concurrence est déjà incontestablement restreinte (63).

90.      L’expérience et l’analyse économique ne sont pas unanimes à suggérer que les rabais de fidélité sont par principe nuisibles ou anticoncurrentiels, même lorsqu’ils sont offerts par des entreprises en position dominante (64). En effet, les rabais attisent la rivalité, quintessence même de la concurrence.

91.      Il est vrai toutefois que les rabais sont réputés susciter les plus grandes réserves en termes de concurrence, lorsque les clients d’une entreprise en position dominante doivent absorber un certain pourcentage de sa production et/ou lorsque le rabais est subordonné à la condition que l’acheteur acquière auprès d’elle l’intégralité (ou une partie substantielle) de ses besoins. On pourrait y déceler un argument plaidant en faveur d’un traitement plus sévère des « rabais d’exclusivité ». Cependant, d’autres types de rabais peuvent produire un effet de distorsion similaire. Il en est ainsi même lorsque le système de rabais n’est pas expressément subordonné à une condition d’exclusivité (65).

92.      Ainsi que la jurisprudence le montre clairement, un dispositif fidélisant peut effectivement prendre différentes formes. Comme dans les affaires Hoffmann-La Roche (66) et Tomra(67), l’élément fidélisant peut consister dans la condition que le client se procure auprès de l’entreprise en position dominante la totalité ou une partie importante de ses besoins matériels. Il peut également prendre la forme d’objectifs de vente (68) ou de primes (69) de nature individuelle, qui ne sont pas nécessairement corrélés à une fraction spécifique des besoins ou des ventes.

93.      De ce point de vue, il n’existe aucune raison objective de soumettre les rabais de la deuxième catégorie à un traitement plus sévère que celui appliqué aux rabais de la troisième catégorie.

–       Les effets des rabais de fidélité sont tributaires des circonstances

94.      En troisième lieu, la doctrine économique contemporaine s’accorde à souligner que les effets de l’exclusivité sont tributaires du contexte (70). Inversement, peu de commentateurs nieront que les rabais de fidélité peuvent, en particulier, produire un effet d’éviction de la concurrence en fonction des circonstances.

95.      La sensibilisation à l’incidence du contexte peut aussi contribuer à expliquer pourquoi la Cour a souligné dans sa jurisprudence récente relative à l’article 102 TFUE, notamment dans l’affaire Tomra, l’importance que revêt l’appréciation de l’ensemble des circonstances. Certes, comme le Tribunal l’a fait observer (71), les rabais mis en cause dans le pourvoi introduit dans l’affaire Tomra étaient rétroactifs et individualisés, c’est-à-dire relevaient de la troisième catégorie de la typologie consacrée dans l’arrêt attaqué. Cependant, la Cour n’a pas explicitement établi dans l’affaire Tomra une distinction entre des rabais appartenant respectivement à la deuxième et à la troisième catégorie. Elle a simplement relevé que, lorsque les remises sont liées à la condition que le client s’approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante, il est nécessaire d’apprécier l’ensemble des circonstances pour déterminer si le comportement incriminé constitue un abus de position dominante (72).

96.      Les parties tirent des conclusions opposées de cette affirmation de la Cour : si elles soutiennent toutes les deux qu’elle règle définitivement le différend portant sur le critère juridique applicable aux « rabais d’exclusivité », elles continuent d’être en désaccord concernant la consistance de ce critère.

97.      Je suis d’avis que l’affirmation émise par la Cour dans l’arrêt Tomra n’est d’aucune utilité en l’espèce. Ainsi qu’il ressort des interprétations diamétralement opposées des parties, les termes utilisés dans l’arrêt à propos du type de rabais devant être soumis à l’appréciation de l’ensemble des circonstances sont tout simplement trop équivoques.

98.      On peut en revanche s’interroger sur le bien-fondé de la distinction établie par le Tribunal dans l’arrêt attaqué entre les affaires Tomra et Hoffmann-La Roche. À cet égard, je tiens à attirer l’attention sur deux points.

99.      D’une part, les rabais en cause dans l’affaire Hoffmann-La Roche présentaient, comme dans l’affaire Tomra, certaines caractéristiques des rabais rétroactifs individualisés. En effet, plusieurs contrats examinés dans l’affaire Hoffmann-La Roche ne prévoyaient pas seulement une clause de remise portant sur la majeure partie des besoins de l’acheteur. Ils stipulaient également des clauses de rabais prévoyant une ristourne dont le pourcentage augmentait suivant que le pourcentage des besoins estimés de l’acheteur aurait été couvert au cours de la période de référence (73). D’autre part, même en admettant qu’une distinction soit justifiée par une différence intrinsèque censée exister entre les rabais en cause dans les deux affaires, ce qui n’est pas le cas, selon moi, la Cour n’a en aucune façon fait abstraction du contexte des rabais incriminés dans l’affaire Hoffmann-La Roche. Pour quelle raison l’aurait-elle fait dans l’affaire Tomra plus de trois décennies plus tard ?

100. La différence existant entre les rabais en cause dans les affaires Tomra et Hoffmann-La Roche est tout au plus une différence de degré plutôt que de nature. Il en va de même de l’affaire Post Danmark II, confirmant récemment la pertinence du contexte et de l’ensemble des circonstances pour déterminer si le comportement incriminé constitue un abus de position dominante (74).

–       Des pratiques similaires requièrent l’appréciation de l’ensemble des circonstances

101. En quatrième et dernier lieu, la jurisprudence relative aux pratiques tarifaires et de compression des marges exige, comme la requérante le relève à juste titre, l’appréciation de l’ensemble des circonstances, aux fins de déterminer si l’entreprise en cause a exploité de façon abusive sa position dominante (75).

102. Le Tribunal a écarté la pertinence de cette jurisprudence, au motif que, à la différence d’une incitation à un approvisionnement exclusif, le niveau d’un prix ne saurait être considéré comme illicite en soi (76). Cependant, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal qualifie les rabais d’Intel d’« anticoncurrentiels » en raison du prix (77). À mon sens, la dénégation de la pertinence de cette jurisprudence pose problème, car elle procède d’une distinction injustifiée entre différents types de pratiques tarifaires. En effet, les rabais de fidélité, les pratiques de compression des marges, de même que les prix prédateurs, partagent la caractéristique commune de « pratiques d’exclusion fondées sur les prix » (78).

103. Il est, à l’évidence, de la plus haute importance que les critères juridiques appliqués à un type de comportement soient cohérents avec ceux retenus à l’égard de pratiques comparables. Des qualifications juridiques fondées et homogènes apportent non seulement une sécurité juridique accrue aux entreprises, mais facilitent également aux autorités compétentes l’application des règles de concurrence, contrairement aux qualifications arbitraires.

104. La Cour semble partager cette conception. Elle s’est référée tout récemment dans l’affaire Post Danmark II à la jurisprudence relative aux pratiques tarifaires et de compression des marges, afin de conforter ses conclusions sur un système de rabais offerts par une entreprise en position dominante (79). Il est toutefois exact que l’arrêt rendu dans cette affaire pourrait être également interprété comme appuyant la thèse selon laquelle l’examen des « rabais d’exclusivité » pourrait ne pas exiger l’appréciation de l’ensemble des circonstances (80). Il en est ainsi parce que la Cour a distingué dans cette affaire les rabais en cause de ceux subordonnés à une obligation d’exclusivité, avant de retenir qu’il convient d’apprécier l’ensemble des circonstances pour déterminer si l’entreprise en cause a exploité de façon abusive sa position dominante. En effet, les rabais rétroactifs analysés par la Cour dans cette affaire ressemblaient à ceux que le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, qualifiés de « rabais à effet fidélisant » classés dans la troisième catégorie (81).

105. Comme cela a été précédemment expliqué, une telle distinction ne correspond à aucune différence (étant donné que la différence porte sur la forme et non sur les effets). Néanmoins, point plus fondamental, une telle lecture de l’arrêt serait contraire à la démarche que la Cour, statuant en formation de grande chambre, avait adoptée dans l’arrêt Post Danmark I, jugeant qu’il convenait d’apprécier l’ensemble des circonstances lorsque sont en cause des pratiques tarifaires (82). Il est, en effet, révélateur que la Cour ait rappelé, dans un autre point de l’arrêt Post Danmark II, où elle n’a alors pas distingué les différents types de rabais, que « l’appréciation de la capacité d’un système de rabais à restreindre la concurrence doit être effectuée en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes » (83). Ce rappel visait assurément à garantir la cohérence de la jurisprudence relative aux appréciations des comportements appréhendés par l’article 102 TFUE.

iv)    Conclusion intermédiaire

106. Au vu de ce qui précède, les « rabais d’exclusivité » ne doivent pas être regardés comme constituant une catégorie de rabais autonome et unique n’appelant pas l’appréciation de l’ensemble des circonstances aux fins de la qualification du comportement incriminé d’abus de position dominante. J’estime par conséquent que le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant que les « rabais d’exclusivité » peuvent être qualifiés d’« abusifs » sans analyse de leur capacité anticoncurrentielle en fonction des circonstances de l’espèce.

107. Après ce constat, le Tribunal a entrepris, à titre surabondant, l’examen détaillé de la capacité éventuelle à restreindre la concurrence des rabais et des paiements offerts par la requérante. En d’autres termes, il a apprécié « l’ensemble des circonstances ». C’est pourquoi le constat d’une erreur de droit effectué au point précédent n’emporte pas nécessairement l’annulation de l’arrêt attaqué. Au contraire, une telle conclusion n’est permise que dans la mesure où l’examen auquel le Tribunal a procédé à titre surabondant révèlerait une erreur de droit.

108. Il est donc nécessaire d’aborder cet examen effectué à titre surabondant.

b)      Examen de la capacité à restreindre la concurrence effectué à titre surabondant par le Tribunal

109. La requérante développe en substance trois séries d’arguments à l’encontre de l’examen effectué à titre surabondant par le Tribunal. Tout d’abord, elle lui reproche d’avoir commis une erreur de droit en confirmant le constat d’un abus par la Commission sans examen de la probabilité d’effets anticoncurrentiels. Ensuite, la requérante soutient que les éléments retenus par le Tribunal étaient dénués de pertinence ou ont été appréciés d’une manière erronée. Enfin, elle allègue que le Tribunal n’a pas évalué correctement plusieurs autres éléments essentiels au constat d’un abus.

110. La Commission réfute l’existence d’un seuil de « probabilité » supérieur à atteindre (par rapport au critère de « capacité ») pour établir l’existence d’un abus de position dominante, étant donné que la capacité du comportement incriminé à avoir des effets anticoncurrentiels, est suffisante. Elle estime que les arguments de la requérante ne remettent pas en cause le constat dans l’arrêt attaqué de la capacité du comportement d’Intel à restreindre la concurrence.

111. L’argumentation de la requérante vise à remettre en question le critère juridique appliqué dans l’arrêt attaqué pour établir la capacité du comportement incriminé à restreindre la concurrence. Il convient de s’interroger, en premier lieu, sur le niveau de probabilité exigé aux fins de l’appréciation de cette capacité et, en second lieu, sur les circonstances pertinentes devant être intégrées dans l’examen de cette capacité. Je vais traiter successivement ces deux questions.

i)      Capacité et/ou probabilité

112. La requérante avance que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant le constat d’un abus sans examiner la probabilité d’une atteinte à la concurrence par le comportement litigieux.

113. Le Tribunal a exposé, dans son examen à titre surabondant, que la Commission pouvait se borner à constater que le comportement en cause était susceptible de restreindre la concurrence. Il a en outre relevé que la Commission n’était pas tenue de démontrer l’existence d’un effet réel d’éviction de la concurrence, même lorsqu’elle apprécie l’ensemble des circonstances (84).

114. À cet égard, il est certain qu’il n’est pas exigé de produire la preuve d’effets réels. S’agissant d’un type de comportement présumé illégal, il suffit en effet que le comportement incriminé soit susceptible de restreindre la concurrence. Il convient toutefois de souligner que la capacité anticoncurrentielle ne peut pas être seulement hypothétique ou théoriquement possible. Dans le cas contraire, il serait inutile d’apprécier l’ensemble des circonstances.

115. Il est vrai que la terminologie employée par la jurisprudence est quelque peu incohérente, dans la mesure où elle utilise, parfois même indifféremment (85), les termes « capacité » et « probabilité ». À mon sens, ces termes désignent une seule et même étape obligatoire lors de l’examen visant à déterminer si le recours à des rabais de fidélité est constitutif d’un abus de position dominante.

116. Néanmoins, quel est le degré d’intensité exigé de la probabilité d’une éviction de la concurrence ? Cette question est au cœur même du différend opposant la requérante et la Commission à propos de la validité du jugement porté par le Tribunal sur la capacité anticoncurrentielle : alors que la Commission estime cette appréciation bien-fondée, Intel allègue que le Tribunal n’a pas vérifié si son comportement pouvait, dans les circonstances de l’espèce, restreindre la concurrence.

117. L’appréciation de la capacité anticoncurrentielle vise à établir si, selon toute probabilité, le comportement incriminé produit un effet d’éviction de la concurrence. C’est pourquoi la probabilité implique un niveau d’intensité substantiellement supérieur à celui de la simple possibilité qu’un comportement donné puisse restreindre la concurrence (86). Inversement, l’on ne saurait se limiter au constat que la survenance d’un effet d’exclusion apparaisse plus probable que sa non-survenance (87).

118. Il ne fait aucun doute que la Cour n’a cessé d’insister dans sa jurisprudence sur la responsabilité particulière incombant aux entreprises détenant une position dominante. Cette responsabilité ne peut toutefois signifier que le seuil de déclenchement de l’interdiction frappant les pratiques abusives en vertu de l’article 102 TFUE puisse être abaissé au point d’être pratiquement vidé de sa substance. Tel serait le cas si le degré de probabilité requis pour établir que le comportement incriminé constitue un abus de position dominante se réduisait à la simple possibilité d’un effet d’éviction, comme semble le suggérer la Commission. Si un degré de probabilité aussi faible était admis, il faudrait convenir que le droit de la concurrence de l’Union sanctionne la forme des pratiques au lieu de leurs effets anticoncurrentiels.

119. Il est manifeste qu’une telle conception entraverait substantiellement la réalisation des objectifs poursuivis par le droit de la concurrence de l’Union. Le postulat d’une pratique abusive fondé sur la considération que l’existence d’un effet d’éviction de la concurrence apparaît en définitive plus probable que son absence risque d’appréhender non seulement des cas isolés de pratiques commerciales, mais également un nombre non négligeable de pratiques susceptibles, en réalité, d’être favorables à la concurrence. Le coût induit de l’erreur entachant cette conception serait indûment élevé en raison du débordement de la prohibition.

120. Pour éviter un tel débordement, l’appréciation de la capacité à restreindre la concurrence d’un comportement présumé illégal doit être comprise comme visant à vérifier si, eu égard à l’ensemble des circonstances, ce comportement ne produit pas simplement des effets ambivalents sur le marché ou uniquement des effets anticoncurrentiels collatéraux nécessaires à la mise en œuvre d’une opération favorable à la concurrence, mais que ses effets supposés restrictifs soient véritablement confirmés, à défaut de quoi une analyse complète devra être effectuée.

121. Par conséquent, la question soulevée en l’espèce consiste à savoir si l’examen de la capacité à restreindre la concurrence effectué par le Tribunal est probant dans la mesure où il permet de confirmer que la requérante a fait un usage abusif de sa position dominante, en méconnaissance de l’article 102 TFUE. En particulier, il doit être établi que, comme l’exige la jurisprudence, cette appréciation est à même de confirmer que les rabais enlèvent à l’acheteur, ou restreignent dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, barrent l’accès du marché aux concurrents, ou renforcent la position dominante par une concurrence faussée (88).

ii)    Éléments retenus par le Tribunal au soutien du constat d’un abus

122. Le Tribunal a constaté dans l’arrêt attaqué que les rabais et les paiements offerts par la requérante étaient susceptibles de restreindre la concurrence en retenant les éléments suivants : i) la requérante était un partenaire commercial incontournable des clients concernés ; ii) les faibles marges opérationnelles des OEM rendaient les rabais attrayants et renforçaient leur incitation à respecter la clause d’exclusivité ; iii) les clients de la requérante ont pris en considération ses rabais en arrêtant leur décision de s’approvisionner pour la totalité ou la quasi‑totalité de leurs besoins auprès d’elle ; iv) les deux types de pratiques de la requérante se sont complétés et renforcés mutuellement ; v) la requérante a ciblé des entreprises revêtant une importance stratégique particulière pour l’accès au marché et, enfin, vi) les rabais de la requérante s’inscrivaient dans une stratégie à long terme visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants (89).

123. Intel considère que ces éléments ne peuvent pas être invoqués pour établir à suffisance de droit que ses rabais et ses paiements étaient susceptibles de produire un effet d’éviction de la concurrence. Elle soutient plus spécifiquement que les paramètres retenus par le Tribunal se résument aux deux aspects suivants : les OEM auraient tenu compte de ses rabais, car ils étaient attrayants, et Intel aurait commis deux infractions complémentaires pour barrer l’accès d’AMD à d’importants clients.

124. En premier lieu, la requérante conteste donc la pertinence de la circonstance selon laquelle les bénéficiaires prenaient effectivement en considération les rabais et les paiements litigieux pour arrêter leurs décisions commerciales (90).

125. Je partage le point de vue de la requérante.

126. Une offre attrayante qui se manifeste sous la forme d’une incitation financière à conserver le fournisseur dont elle émane peut constituer un élément révélant un effet fidélisant pour le client individuel. Cet élément n’est toutefois d’aucun secours pour démontrer que les rabais produisent un effet d’éviction probable de la concurrence. En effet, comme la requérante le fait légitimement observer, la prise en compte de prix inférieurs par les clients lors de leurs décisions d’achat relève de l’essence même de la concurrence. En d’autres termes, la prise en considération concrète d’un prix inférieur permet la manifestation d’un effet d’éviction, mais elle n’exclut pas non plus l’éventualité opposée. Autrement dit, cet élément est tout simplement dépourvu de force probante quand il s’agit de vérifier si le comportement incriminé est susceptible, avec le degré de probabilité requis, de restreindre la concurrence.

127. En second lieu, la requérante fait valoir que l’existence d’une stratégie d’ensemble comportant deux types d’infraction (rabais et paiements, d’une part, restrictions non déguisées, d’autre part), qui ont été considérés comme se complétant et se renforçant mutuellement, ne peut démontrer une capacité anticoncurrentielle (91).

128. Si une stratégie d’éviction peut certainement constituer l’indice d’une intention subjective d’évincer les concurrents, la simple volonté d’agir ainsi ne se matérialise pas par une capacité à restreindre la concurrence. Toujours est-il que le raisonnement du Tribunal révèle un problème plus fondamental : un examen plus approfondi de l’arrêt attaqué montre que le Tribunal a placé « la charrue avant les bœufs ». Il s’est en effet fondé sur l’existence d’une stratégie d’ensemble reposant sur deux infractions complémentaires afin d’établir la capacité du comportement incriminé à restreindre la concurrence. Ce faisant, il a amorcé son raisonnement en présumant le caractère abusif de la stratégie sous examen, au lieu d’apprécier l’ensemble des circonstances aux fins de vérifier si une infraction avait été établie à suffisance de droit.

129. Après avoir apprécié au préalable ces deux griefs spécifiques, je vais aborder l’examen du grief plus général soulevé par la requérante à l’encontre de l’appréciation de sa capacité à restreindre la concurrence. Intel soutient que les éléments estimés pertinents ne suffisent pas à établir que le comportement incriminé est susceptible de produire un effet d’éviction. En particulier, le Tribunal n’aurait pas jugé pertinents d’autres facteurs présentant une importance fondamentale aux fins d’une telle appréciation.

130. Il convient de rappeler que l’appréciation de l’ensemble des circonstances vise à établir que le comportement incriminé entraîne, selon toute probabilité, un effet d’éviction de la concurrence. Dans cette optique, la question soulevée consiste à déterminer si le constat dans l’arrêt attaqué qu’Intel était un partenaire commercial incontournable et que les rabais et les paiements litigieux visaient les entreprises présentant une importance stratégique particulière pour l’accès au marché suffit légalement à démontrer la responsabilité d’Intel. La réponse à cette interrogation dépend du point de savoir si les circonstances qualifiées de « déterminantes » par Intel et considérées comme dépourvues de pertinence par le Tribunal remettent en cause la nature anticoncurrentielle présumée du comportement d’Intel.

131. Je vais aborder l’examen de cette question.

iii) Autres circonstances

132. Intel soutient que le Tribunal a fait une analyse erronée des circonstances de l’affaire en omettant de prendre en considération les éléments suivants : i) le caractère insuffisant de la couverture du marché par les rabais et les paiements contestés ; ii) la courte durée d’application des rabais litigieux ; iii) le succès commercial de son concurrent et la baisse des prix, ainsi que iv) le test AEC effectué par la Commission.

133. La Commission considère pour sa part que le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, établi à suffisance de droit que les rabais et les paiements offerts par Intel étaient susceptibles de produire un effet d’éviction de la concurrence. Les éléments non contestés suffiraient à conforter la conclusion selon laquelle les rabais et les paiements d’Intel étaient susceptibles de restreindre la concurrence.

134. Je ne partage pas le point de vue de la Commission.

135. Comme cela a été expliqué, à l’instar, en quelque sorte, de l’application simplifiée des règles de concurrence par le recours aux restrictions par objet au sens de l’article 101 TFUE, l’appréciation de l’ensemble des circonstances au titre de l’article 102 TFUE implique l’examen du contexte du comportement incriminé, afin de déterminer si ses effets anticoncurrentiels peuvent être confirmés. Si l’une de ces circonstances ainsi examinées remet en question le caractère anticoncurrentiel du comportement, une analyse plus approfondie des effets est requise.

136. Comme je vais l’expliquer ci-dessous, l’appréciation de l’ensemble des circonstances aurait dû conduire le Tribunal à conclure qu’il était nécessaire d’analyser les effets réels ou potentiels du comportement incriminé, afin de déterminer s’il constituait un abus de position dominante contraire à l’article 102 TFUE.

–       Couverture du marché

137. La requérante allègue que l’examen de l’effet probable sur la concurrence doit intégrer la part du marché couverte par les rabais en cause. Les rabais de fidélité ne seraient pas susceptibles de restreindre la concurrence lorsqu’ils portent sur une faible part du marché, car les concurrents pourraient accéder à de plus grandes parts de marché sans devoir consentir les mêmes rabais. La requérante souligne également que la part de marché liée était en l’espèce comparativement bien inférieure en moyenne à celles en cause dans les affaires Tomra et Van den Bergh Foods/Commission (92). Elle relève notamment que, dans l’affaire Tomra, la part de marché liée atteignait (en moyenne) environ 39 % (93). La Commission estime pour sa part que la couverture du marché n’est pas pertinente pour déterminer si le comportement incriminé est susceptible de verrouiller la concurrence.

138. Dans le cadre de son examen à titre surabondant de la capacité à restreindre la concurrence, le Tribunal a affirmé que la part du marché couverte par les rabais et les paiements offerts par la requérante s’est élevée en moyenne à quelque 14 % pendant la durée totale de l’infraction (si le calcul n’est pas limité à la seule part disputable de la demande) (94). Le Tribunal a qualifié cette part de « significative » (95). Aux termes de l’arrêt attaqué, les rabais et les paiements offerts par Intel peuvent être distingués des paramètres sous-jacents à l’affaire Van den Bergh Foods, car le dispositif en cause se présentait sous une autre forme que dans la présente procédure (96).

139. Pour ma part, je ne suis pas convaincu que la jurisprudence citée par la requérante soit, comme l’a affirmé le Tribunal, dénuée de pertinence. Le dispositif assurant l’exclusivité dans l’affaire Van den Bergh Foods reposait bel et bien sur la fourniture gratuite d’un congélateur. Néanmoins, il s’agit là d’une distinction qui ne correspond à aucune différence, car la fourniture du congélateur était subordonnée à son affectation exclusive au stockage des glaces de l’entreprise en position dominante. Il s’ensuivait que 40 % de l’ensemble des points de vente de glaces étaient assujettis à la clause d’exclusivité du produit(97).

140. Comme il a été expliqué, les règles de concurrence de l’Union se sont toujours focalisées sur les effets et non sur la forme des pratiques restrictives. De ce point de vue, l’importance de la part du marché liée est tout aussi pertinente, peu importe la forme du dispositif. C’est pourquoi il est généralement convenu que la probabilité d’effets négatifs sur la concurrence croît en fonction de l’importance de la part de marché liée (98).

141. Cela étant, la détermination du degré de couverture du marché susceptible d’engendrer des effets anticoncurrentiels ne s’apparente nullement à un exercice d’arithmétique. Il n’est donc pas surprenant que la Cour ait écarté l’idée d’une définition obligée d’un seuil précis de verrouillage du marché au-delà duquel les pratiques en cause peuvent être considérées comme abusives aux fins de l’application de l’article 102 TFUE. La Cour a confirmé ce point de vue dans l’affaire Tomra (99).

142. Il est vrai que des seuils peuvent poser problème en raison des particularités des différents marchés et des circonstances de chaque cas spécifique. Lorsque, par exemple, des rabais de fidélité s’adressent à des clients présentant pour les concurrents une importance particulière pour accéder à un marché ou pour accroître leur part de ce marché, même un taux de couverture modeste peut assurément entraîner un effet d’éviction de la concurrence. Le point de savoir si tel est le cas dépendra d’un certain nombre de facteurs spécifiques à cet égard.

143. Vu sous cet angle, un taux de couverture du marché de 14 % peut ou non produire un effet d’éviction de la concurrence. Ce qui est toutefois certain, c’est qu’un tel taux ne permet pas d’exclure que les rabais en cause ne produisent pas un tel effet. Il en est ainsi même s’il est admis que les rabais et les paiements en cause ciblent des clients stratégiques (100). En bref, un taux de 14 % n’est pas concluant.

144. Le caractère non concluant du taux de couverture du marché n’est pas compensé par la mention dans l’arrêt attaqué de la qualité avérée de partenaire commercial incontournable sur le marché des CPU reconnue à la requérante. Il doit être relevé que, selon le Tribunal, le fait qu’une entreprise ait une telle qualité indique à tout le moins qu’un « rabais d’exclusivité » ou un paiement de sa part est susceptible de restreindre la concurrence (101).

145. Cette conclusion n’est valide que s’il est admis que le degré de probabilité exigé n’implique rien de plus que la simple possibilité qu’un certain comportement produise un effet anticoncurrentiel. Or, comme cela a été expliqué précédemment, l’appréciation de l’ensemble des circonstances a pour objet d’établir que le comportement incriminé produit, selon toute probabilité, un effet anticoncurrentiel.

146. J’en déduis que l’appréciation du taux de couverture du marché effectuée dans l’arrêt attaqué n’est pas concluante. Il importe de souligner qu’une telle appréciation n’est pas à même d’établir à suffisance de droit que la part de marché affectée par les rabais et les paiements suffisait à entraîner un effet d’éviction de la concurrence.

–       Durée

147. La requérante estime que la durée d’une pratique de rabais est un élément clé de toute analyse de sa capacité à restreindre la concurrence. En particulier, Intel remet en cause l’appréciation de la durée effectuée dans l’arrêt attaqué sur le fondement du cumul de multiples accords de courte durée.

148. La Commission reproche de son côté à Intel de considérer que les effets potentiels d’éviction de la concurrence résultant des rabais de fidélité ne peuvent découler que d’une obligation contractuelle : la puissance de marché de l’entreprise en position dominante rendrait non nécessaires ces obligations contractuelles. En bref, la durée des accords en cause serait dénuée de pertinence.

149. À cet égard, le Tribunal a considéré en particulier que le critère pertinent est non pas la durée du délai de résiliation d’un contrat ni la durée déterminée d’un contrat individuel s’insérant dans une série de contrats successifs, mais la durée totale pendant laquelle la requérante a appliqué à ses clients des rabais et des paiements d’exclusivité(102). Cette durée s’est élevée à environ cinq ans dans le cas de MSH, à trois ans pour Dell et NEC, à plus de deux ans pour HP et à environ un an pour Lenovo. L’octroi de rabais et de paiements d’exclusivité pendant de telles périodes a été considéré comme étant généralement susceptible de restreindre la concurrence. Selon le Tribunal, il en était d’autant plus ainsi sur un marché comme celui des CPU, caractérisé par un fort dynamisme et de courts cycles de vie des produits (103).

150. Je tiens tout d’abord à faire observer que la courte durée d’une pratique tarifaire ne fait pas obstacle à ce qu’elle soit susceptible de produire des effets anticoncurrentiels. De même, la question de savoir si la durée totale de la pratique est brève ou longue n’est pas pertinente.

151. Lorsque, comme en l’occurrence, l’obligation d’exclusivité dépend en définitive du choix du client de s’approvisionner auprès de l’entreprise en position dominante à raison de la majorité de ses besoins, il ne peut pas être simplement présumé, a posteriori, que le cumul d’accords de courte durée montre que ces rabais sont susceptibles de restreindre la concurrence.

152. Il y a au moins deux raisons à cela.

153. En premier lieu, le changement de fournisseur n’emporte aucune pénalité, à la différence des hypothèses d’accords exclusifs. Il en est ainsi pour autant qu’un concurrent puisse, au moins en principe, égaler le rabais perdu. Si, en revanche, le concurrent ne peut vendre les produits en cause sans subir de perte, le client est de facto lié à l’entreprise en position dominante. De ce point de vue, le montant du rabais ne peut pas non plus être considéré comme totalement négligeable.

154. Plus spécifiquement, dans le cadre d’une analyse a posterioride la durée de la pratique en cause, comme en l’espèce, il est nécessaire d’examiner si un autre fournisseur aurait pu compenser la perte des rabais. S’il en était autrement, le choix des clients de maintenir la relation commerciale avec l’entreprise en position dominante serait automatiquement considéré comme un indice d’abus, bien que les clients puissent librement se dégager des accords qu’ils ont conclus avec l’entreprise en position dominante.

155. Il est clair qu’il ne peut être simplement présumé, à partir du choix du client de conserver sa relation avec l’entreprise en position dominante, que ce choix constitue la manifestation d’un comportement abusif. La raison en est que d’autres explications plausibles peuvent justifier ledit choix. Celles-ci comprennent, sans s’y limiter, le souci de la qualité, la sécurité des approvisionnements et les préférences des consommateurs finals.

156. En second lieu, une durée globale étendue des pratiques constitue certainement un indice de fidélisation du client individuel par le système de rabais. Néanmoins, sauf à produire d’autres éléments de preuve solides en ce sens, la décision d’un client de conserver ses rapports avec l’entreprise en position dominante ne peut permettre d’établir à suffisance de droit que les rabais offerts sont susceptibles de restreindre la concurrence. En effet, il faut garder à l’esprit que, lorsque le client dispose du choix de changer régulièrement de fournisseur, les rabais de fidélité attisent également la rivalité, même lorsque ce choix n’a pas été exercé. Ils peuvent donc également produire un effet favorable à la concurrence.

157. Par conséquent, je considère que l’appréciation de la durée que le Tribunal a effectuée dans l’arrêt attaqué – qui s’est borné à examiner la durée globale des pratiques tarifaires en cause – n’est pas concluante. Pour dire les choses plus simplement, cette appréciation n’est d’aucune utilité pour établir que ce comportement produit, selon toute probabilité, des effets anticoncurrentiels.

–       Succès commercial du concurrent et baisse des prix

158. La requérante fait grief au Tribunal d’avoir considéré le succès commercial d’AMD et les preuves de l’absence de verrouillage (baisse des prix des CPU x86) comme dépourvus de pertinence aux fins de l’appréciation de la capacité à restreindre la concurrence.

159. Le Tribunal a estimé que la croissance des parts de marché détenues par ce concurrent et la baisse des prix des CPU x86 ne pouvaient impliquer que les pratiques de la requérante aient été dénuées d’effets. Le Tribunal a relevé qu’en l’absence de ces pratiques, il était permis de considérer que l’augmentation des parts de marché du concurrent et de ses investissements en matière de recherche et de développement ainsi que la baisse du prix des CPU x86 auraient pu être plus importantes (104).

160. À mon sens, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que le succès commercial d’AMD et la baisse des prix des CPU x86 sont peu concluants aux fins d’apprécier la capacité du comportement incriminé à restreindre la concurrence. Une conclusion identique s’imposerait même si les résultats du concurrent étaient faibles. À mon sens, la prise en compte de ces éléments factuels ne peut être utile que s’ils sont intégrés à une évaluation détaillée des effets réels ou potentiels sur la concurrence. Elle n’est d’aucun secours pour déterminer si un système de rabais présumé illégal est susceptible de restreindre la concurrence.

–       Test AEC

161. La requérante soutient que, lorsque la Commission a effectué, comme en l’espèce, une analyse de fond des circonstances économiques entourant un comportement prétendument abusif, elle commet une erreur de droit si elle néglige cette analyse au seul motif qu’elle ne contribue pas à établir l’infraction.

162. La Commission soutient que le test AEC est dénué de pertinence aux fins de démontrer que le comportement incriminé est susceptible de restreindre la concurrence. Selon elle, la jurisprudence de la Cour n’irait pas dans le sens de l’argument de la requérante selon lequel le test AEC devrait faire partie intégrante d’une appréciation de l’ensemble des circonstances.

163. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté la pertinence du test AEC pour établir, au titre de l’appréciation de l’ensemble des circonstances, si le comportement incriminé était susceptible de restreindre la concurrence. Il n’a donc pas vérifié le critère appliqué par la Commission dans la décision contestée. En premier lieu, il a estimé que le test AEC était dénué de pertinence, au motif que, eu égard à la forme des « rabais d’exclusivité », la Commission n’est pas tenue de démontrer leur capacité d’éviction au cas par cas. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté la pertinence du test AEC au motif essentiel qu’il ne sert qu’à établir si le comportement incriminé ne rend pas impossible l’accès au marché. Aux termes de l’arrêt attaqué, les « rabais d’exclusivité » peuvent entraver l’accès au marché des concurrents de l’entreprise en position dominante, même si, d’un point de vue économique, cet accès n’est pas totalement impossible, mais seulement rendu plus difficile (105). En deuxième lieu, le Tribunal a relevé que, même dans le cas de rabais relevant de la troisième catégorie, la jurisprudence n’exige pas l’emploi d’un test AEC. En troisième lieu, le Tribunal a fait observer que la Cour n’a estimé le test AEC pertinent que dans des cas de pratiques tarifaires et de compression des marges, qui sont fondamentalement différents des affaires portant sur des « rabais d’exclusivité » (106).

164. Tout d’abord, ainsi que je l’ai démontré aux points 122 à 160 des présentes conclusions, il est nécessaire d’apprécier l’ensemble des circonstances afin d’établir la capacité du comportement litigieux à évincer les concurrents, même lorsque sont en cause des « rabais d’exclusivité ». En d’autres termes, la capacité de verrouillage doit être prouvée dans chaque cas particulier. Il est certain que le test AEC peut être écarté comme dépourvu de pertinence si l’on admet que la simple possibilité hypothétique ou théorique d’un effet d’éviction de la concurrence par le comportement incriminé suffit à établir l’existence d’un abus. En effet, en théorie, tout rabais offert par une entreprise en position dominante peut, dans certaines circonstances, produire des effets anticoncurrentiels.

165. Toutefois, comme un effet d’exclusion est exigé, le test AEC ne peut être ignoré. Comme le Tribunal l’a relevé, ce test sert à identifier un comportement rendant économiquement impossible pour un concurrent aussi efficace l’obtention de la part disputable de la demande d’un client. En d’autres termes, le test peut contribuer à révéler un comportement produisant, selon toute probabilité, un effet anticoncurrentiel. En revanche, lorsque le test démontre qu’un concurrent aussi efficace est en mesure de couvrir ses coûts, la probabilité d’un effet anticoncurrentiel diminue fortement. C’est pourquoi le test AEC présente une utilité particulière en vue d’appréhender un comportement ayant un effet d’éviction de la concurrence.

166. S’agissant de la deuxième et de la troisième considération, j’ai expliqué aux points 101 à 105 des présentes conclusions les raisons pour lesquelles la jurisprudence relative aux pratiques tarifaires et de compression des marges ne devrait pas être négligée. En toute hypothèse, dans l’affaire Post Danmark II, la Cour a dissipé les incertitudes qui pouvaient subsister à ce sujet en démontrant que la jurisprudence relative à d’autres types de pratiques d’exclusion fondées sur les prix ne peut tout simplement pas être ignorée dans les affaires de rabais. Comme la Cour l’a confirmé en renvoyant notamment à cette jurisprudence, le test AEC peut s’avérer également utile lorsqu’il s’agit de porter un jugement sur un système de rabais (107).

167. Il n’est toutefois pas inutile de relever également que la Cour s’est employée, dans l’affaire Post Danmark II, à nuancer sa position sur le test AEC. Elle a relevé, en particulier, que, malgré l’utilité du test AEC dans certains cas, il n’existe pas d’obligation légale d’y procéder (108). Cette affirmation concorde avec celle émise en ce sens dans l’affaire Tomra, où la Cour a considéré que la Commission n’est pas tenue de démontrer que les rabais de fidélité contraignent les concurrents de l’entreprise en position dominante à pratiquer des prix au‑dessous du prix de revient pour aspirer à leur profit la part disputable du marché. La Cour a jugé au contraire que la Commission pouvait démontrer que les rabais en cause étaient susceptibles de restreindre la concurrence en se fondant sur des indices qualitatifs de leur nature anticoncurrentielle (109).

168. Dans cette mesure, on serait certainement enclin à conclure qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de recourir à un test AEC. Selon cette logique, comme le soutient la Commission, l’appréciation de la capacité à restreindre la concurrence effectuée par le Tribunal ne serait pas entachée d’une erreur de droit pour avoir écarté le test AEC comme dénué de pertinence.

169. Un tel point de vue néglige toutefois deux aspects. À l’inverse de la situation en cause dans l’affaire Tomra, la Commission a en réalité effectué un test AEC approfondi dans la décision contestée. Plus important encore, les autres circonstances appréciées par le Tribunal ne confortent pas sans ambiguïté le constat d’un effet sur la concurrence. Dans ces conditions, il m’apparaît évident que le test AEC ne peut pas être complètement écarté comme dénué de pertinence.

170. Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en ne tenant pas compte à titre d’élément d’appréciation de l’ensemble des circonstances le test AEC effectué par la Commission dans la décision contestée.

171. Pour conclure mon analyse de l’examen à titre surabondant de la capacité à restreindre la concurrence effectué par le Tribunal, je relève ce qui suit.

172. Les circonstances retenues dans le cadre de cet examen ne peuvent confirmer l’existence d’un effet sur la concurrence. Cet examen démontre au mieux la possibilité théorique d’un effet d’éviction de la concurrence découlant du comportement incriminé, sans que cet effet ait cependant été confirmé en tant que tel. En principe, l’appréciation de toutes les circonstances doit à tout le moins prendre en considération le taux de couverture du marché par le comportement incriminé et la durée de celui-ci. Il peut être en outre nécessaire d’intégrer d’autres éléments susceptibles de varier d’un cas à l’autre. C’est précisément parce que le test AEC a été effectué par la Commission dans la décision contestée qu’il ne peut en être fait abstraction en l’espèce lors de la vérification du point de savoir si le comportement incriminé est susceptible de produire un effet d’éviction de la concurrence. L’appréciation des circonstances pertinentes devrait, dans son ensemble, permettre d’établir, avec le degré de probabilité requis, que l’entreprise en cause a exploité de façon abusive sa position dominante en violation de l’article 102 TFUE. À défaut d’une telle confirmation, en raison, par exemple, d’un faible taux de couverture du marché en cause, d’une brève durée des pratiques incriminées ou d’un résultat positif d’un test AEC, une évaluation plus approfondie des effets réels ou potentiels sur la concurrence est nécessaire aux fins de constater un abus.

c)      Conclusion

173. Je suis parvenu à la conclusion que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans la mesure où, premièrement, il a tenu les « rabais d’exclusivité » pour une catégorie de rabais autonome et unique n’appelant pas une appréciation de l’ensemble des circonstances afin d’établir l’existence d’un abus de position dominante contraire à l’article 102 TFUE et où, deuxièmement, il a omis, dans son examen à titre surabondant de la capacité anticoncurrentielle, d’établir, sur la base de l’ensemble des circonstances, que les rabais et les paiements offerts par la requérante produiraient selon toute vraisemblance un effet d’éviction de la concurrence.

174. Il s’ensuit que le premier moyen devrait prospérer.

C –    Deuxième moyen : taux de couverture du marché aux fins du constat d’une éventuelle exploitation abusive par l’entreprise de sa position dominante

1.      Principaux arguments des parties

175. Par son deuxième moyen, la requérante allègue que, sans préjudice de la réponse qui sera apportée au premier moyen, la part de marché concernée par son comportement ne lui permettait pas en tout état de cause de restreindre la concurrence au courant des années 2006 et 2007. Au cours de cette période, l’infraction ne concernait que MSH et Lenovo. Le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que le constat dans la décision contestée d’une infraction unique et continue de 2002 à 2007 permettait à la Commission de fonder l’existence d’une infraction en 2006 et en 2007 sur le taux moyen de couverture du marché pour l’ensemble de la période 2002-2007 (et non sur la part de marché couverte par le comportement pendant ces deux années) (110).

176. La Commission relève que le deuxième moyen doit s’analyser comme un complément du premier moyen en ce qu’il repose intégralement sur les mêmes prémisses. Elle considère que la couverture du marché est dépourvue de pertinence pour déterminer si les rabais d’Intel étaient susceptibles de restreindre la concurrence : la couverture du marché par les pratiques d’Intel ne se rapporte qu’à la mesure dans laquelle elles ont effectivement restreint la concurrence. Étant donné l’importance stratégique des OEM ciblées en 2006 et en 2007, la portée des pratiques d’Intel ne peut être mesurée par une simple référence à la couverture du marché. Dans ces circonstances, la Commission soutient que la couverture du marché au cours de ces deux années devrait être envisagée dans l’optique d’une infraction unique et continue liée à l’existence d’une stratégie d’ensemble visant à évincer AMD du marché mondial des CPU.

2.      Analyse

177. Je suis précédemment parvenu à la conclusion que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son examen, effectué à titre surabondant, de la capacité anticoncurrentielle en fonction de l’ensemble des circonstances. En particulier, son jugement porté sur la couverture du marché est erroné en ce qu’il n’a pas admis qu’une part de marché liée de 14 % ne permet pas d’établir à suffisance de droit que le comportement incriminé est susceptible de restreindre la concurrence. Le deuxième moyen devrait être également accueilli pour ce seul motif.

178. J’estime néanmoins que le présent moyen mérite un bref examen autonome, car le constat par le Tribunal de l’existence d’une infraction unique et continue est sous-jacent au constat d’une infraction au titre des années 2006 et 2007. En effet, le Tribunal a considéré qu’en présence d’une infraction unique et continue sous la forme d’une stratégie globale de verrouillage, une appréciation globale de la moyenne de la part du marché liée suffisait à démontrer que le comportement en cause était susceptible de produire un effet d’éviction de la concurrence (111).

179. Aussi le présent moyen vise-t-il essentiellement à définir le rôle imparti à la notion d’« infraction unique et continue » dans l’appréciation de la capacité du comportement d’une seule entreprise à restreindre la concurrence. Il s’agit plus spécifiquement de savoir si le recours à cette notion peut remédier au fait que la couverture du marché est trop faible en vue d’établir que le comportement incriminé était susceptible de restreindre la concurrence au cours d’une période déterminée.

180. Dans sa jurisprudence, la Cour a utilisé la notion d’« infraction unique et continue », en particulier dans le cadre de l’article 101 TFUE, pour appréhender, à des fins de répression, plusieurs composantes d’un comportement anticoncurrentiel sous le couvert d’une infraction unique et continue. La logique sous-jacente de cette démarche est d’assurer l’application effective des règles de concurrence dans des affaires où les infractions sont constituées d’un ensemble de pratiques anticoncurrentielles complexes susceptibles de se présenter sous plusieurs formes et même d’évoluer dans le temps (112).

181. En d’autres termes, l’objectif poursuivi consiste à empêcher que la répression aboutisse inopportunément à traiter séparément divers accords et pratiques concertées au sens de l’article 101 TFUE, qui relèvent en réalité d’une stratégie globale de restriction de concurrence. C’est pourquoi le recours à la notion d’« infraction unique et continue » allège la charge incombant généralement aux autorités répressives d’établir la nature continue des pratiques restrictives poursuivies. En particulier, lorsqu’un ensemble d’accords et de pratiques a été mis en œuvre sur une longue période, il n’est pas inhabituel que des modifications dans la portée, la forme et les participants à ces accords et/ou pratiques se produisent au cours de cette période. À défaut de recourir à la notion d’« infraction unique et continue », la Commission devrait satisfaire à un niveau de preuve plus élevé. Elle serait tenue d’identifier et d’établir l’existence de plusieurs accords et/ou pratiques concertées anticoncurrentiels distincts et d’identifier séparément les participants impliqués dans chacun des comportements incriminés. Le traitement séparé des pratiques restrictives incriminées pourrait également entraîner dans certains cas la prescription des poursuites contre d’anciens accords et/ou pratiques concertées. La répression en serait moins efficace.

182. La notion d’« infraction unique et continue » constitue donc une règle procédurale.

183. Dès lors qu’elle facilite la charge de la preuve pesant sur les autorités de concurrence, la notion en cause revêt une importance particulière en matière d’amendes. Plus précisément, l’absence de preuve s’agissant de certaines périodes déterminées de l’infraction ne fait pas nécessairement obstacle à ce que celle-ci soit tenue pour établie au titre d’une période globale plus longue. Cela exige toutefois que ce constat repose sur des indices objectifs et concordants en ce sens. Dans le cadre d’une infraction s’étendant sur plusieurs années, la démonstration de l’application d’un accord à des périodes différentes pouvant être séparées par des laps de temps plus ou moins longs demeure habituellement sans incidence sur l’existence de cet accord en tant que tel, pour autant que les différentes actions constituant les composantes de cette infraction poursuivent une seule finalité et s’inscrivent dans le cadre d’une infraction unique et continue (113). En effet, il est particulièrement important que la Commission soit en mesure d’établir l’existence d’un plan d’ensemble visant à restreindre la concurrence (114).

184. En revanche, le recours à la notion d’« infraction unique et continue » n’étend pas, et ne peut pas étendre, la portée des interdictions édictées par les traités.

185. En l’espèce, la notion d’« infraction unique et continue » a été intégrée à un contexte complètement différent (115). Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal l’a utilisée dans le but de constater l’existence d’une infraction ayant pris la forme du comportement d’une seule entreprise, dont la capacité à restreindre à lui seul la concurrence sur le marché intérieur n’avait pas été vérifiée.

186. Je tiens à exprimer mes doutes sur cette démarche.

187. Par principe, ainsi que la requérante le fait observer, le recours à la notion d’« infraction unique et continue » ne saurait convertir un comportement légal en une infraction.

188. Or, étant donné que la Commission avait effectivement conclu à l’existence d’une infraction unique et continue, le Tribunal a estimé qu’un tel constat permettait à lui seul d’effectuer une appréciation globale de la moyenne de la part du marché verrouillée au cours de la période allant de l’année 2002 à l’année 2007 (116). De ce fait, le Tribunal a estimé sans importance que la couverture du marché ait été en 2006 et en 2007 substantiellement inférieure à la moyenne de la part du marché verrouillée (14 %).

189. En d’autres termes, le Tribunal a substitué un critère procédural à un critère matériel. Il a abandonné le critère de la couverture suffisante du marché, qu’il avait paradoxalement tenu pour pertinent aux fins d’apprécier la capacité du comportement incriminé à verrouiller la concurrence, pour lui substituer celui de l’infraction unique et continue. Un tel raisonnement est tout simplement indéfendable. Soit il est admis que la couverture du marché ne présente absolument aucun intérêt et que les règles de concurrence de l’Union sanctionnent la forme plutôt que les effets des pratiques anticoncurrentielles (j’ai expliqué précédemment la raison pour laquelle une telle conception est insoutenable), soit cette couverture doit être dûment intégrée à l’appréciation de l’ensemble des circonstances.

190. En procédant comme il l’a fait, le Tribunal a omis de vérifier si le comportement en cause était susceptible de restreindre la concurrence durant toute la période concernée.

191. En tout état de cause, si le Tribunal n’avait pas omis de procéder à cette vérification, il aurait été contraint de conclure qu’une partie verrouillée du marché aussi réduite n’était pas concluante aux fins d’établir la capacité anticoncurrentielle du comportement incriminé.

192. À l’instar de ce qui a été relevé au point 143 des présentes conclusions au sujet d’une part du marché de 14 %, il ne peut être exclu qu’une partie verrouillée du marché inférieure à 5 % puisse également suffire dans certaines conditions à évincer les concurrents. Quoi qu’il en soit, un tel pourcentage ne peut être pertinent aux fins d’une appréciation de la capacité à restreindre la concurrence. Comme il a été expliqué, il n’est pas permis de présumer (sur le fondement de la forme du comportement) que certaines pratiques tombent sous le coup de l’interdiction édictée par l’article 102 TFUE, sans qu’il soit dûment tenu compte de la partie verrouillée du marché. Lorsque celle-ci ne produit pas de preuve convaincante d’un effet sur la concurrence, il y a lieu de prendre en compte les effets réels ou potentiels du comportement en cause pour déterminer si un abus a été commis.

193. Rappelons que, lorsque le taux de couverture du marché est tenu pour inapte à démontrer un effet sur la concurrence pendant un certain laps de temps, cette difficulté ne peut être surmontée par le recours à la notion d’« infraction unique et continue ». Bien au contraire, comme cette notion l’indique elle-même, pour que plusieurs manifestations d’un comportement puissent constituer un acte unique d’infraction unique et continu, chaque manifestation doit, en elle-même, constituer une infraction tout au long de la période considérée.

194. Il s’ensuit qu’il y a également lieu de faire droit au deuxième moyen.

D –    Troisième moyen : qualification de « rabais d’exclusivité » donnée à certains rabais

1.      Principaux arguments des parties

195. La requérante, soutenue par ACT, fait valoir que le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en qualifiant de « rabais d’exclusivité » les pratiques de rabais convenues par Intel avec HP et Lenovo. Bien que ces rabais aient porté sur 95 % des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises fabriqués par HP et sur 80 % des ordinateurs portables de Lenovo, ces produits représenteraient une part minoritaire de l’ensemble des achats de CPU de ces deux entreprises. Intel soutient en substance que, dès lors que l’obligation d’exclusivité portait sur les rabais liés à certains segments des approvisionnements en CPU de ces deux OEM, la qualification de « rabais d’exclusivité » attribuée aux rabais en cause est juridiquement erronée. Le Tribunal aurait estimé à tort que ces clauses produisent le même effet qu’un approvisionnement à raison de « la totalité ou d’une partie importante » de l’ensemble des besoins d’un client. Plus précisément, cette démarche priverait en réalité de toute rigueur la notion de « totalité ou de partie importante » des besoins, car il en résulterait une extension injustifiée de la portée de la notion de « rabais d’exclusivité », qui serait systématiquement prohibée dans l’interprétation de l’article 102 TFUE adoptée par le Tribunal.

196. La Commission objecte que le présent moyen doit être rejeté pour deux motifs. En premier lieu, la liberté d’approvisionnement des OEM sur certains segments ne pourrait pas neutraliser la restriction posée à leur faculté de choisir leurs sources d’approvisionnement sur un segment du marché des CPU. En second lieu, Intel aurait fait une mauvaise interprétation de la jurisprudence pertinente de la Cour selon laquelle les rivaux de l’entreprise en position dominante doivent pouvoir se livrer une concurrence par les mérites sur l’ensemble du marché.

2.      Analyse

197. Le troisième moyen, à l’instar du deuxième, est étroitement lié au premier. Il soulève en substance la question de savoir si le Tribunal a estimé à bon droit que les rabais offerts par la requérante à HP et à Lenovo pouvaient être qualifiés de « rabais d’exclusivité » (117).

198. J’ai indiqué précédemment les raisons pour lesquelles il n’existe pas de catégorie autonome de « rabais d’exclusivité ». Une présomption d’illégalité s’attache aux rabais de fidélité, notamment (mais non exclusivement) à ceux qualifiés par le Tribunal de « rabais d’exclusivité ». L’une des raisons possibles de considérer un rabais comme un rabais de fidélité est qu’il repose sur l’exigence que le client s’approvisionne pour « la totalité ou une partie importante » de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante (118). Cependant la forme des rabais en cause ne saurait à elle seule déterminer le sort devant être réservé à ces rabais. En effet, il importe d’apprécier l’ensemble des circonstances avant de pouvoir conclure que le comportement incriminé constitue un abus de position dominante. Par conséquent, si la Cour accueille, comme je le propose, le premier moyen du pourvoi de la requérante, il n’est pas nécessaire d’examiner le troisième.

199. Ce dernier conserve toutefois son importance si la Cour devait rejeter le premier moyen et estimer que les « rabais d’exclusivité » doivent être distingués d’autres types de rabais de fidélité.

200. Si la Cour parvenait à cette conclusion, l’exigence relative à « la totalité ou [à] une partie importante » jouerait un rôle primordial dans l’appréciation de ces rabais. Il en est ainsi parce que seuls les rabais subordonnés à l’achat par le client de « la totalité ou [d’]une partie importante » de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante relèveraient du concept de « rabais d’exclusivité ».

201. Sous le bénéfice de cette précision, il convient d’observer ce qui suit.

202. HP, par exemple, était tenue en vertu de la condition d’exclusivité d’acheter à la requérante 95 % de ses approvisionnements en CPU x86 destinés à ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises. Cela représente certainement « la totalité ou une partie importante » des besoins en CPU sur ce segment. Le tableau est toutefois brouillé dans la mesure où ce pourcentage de 95 % semble correspondre à quelque 28 % de l’ensemble des besoins de HP en CPU x86 (119). Comme le soutient la requérante, on ne peut guère soutenir que ce dernier pourcentage représente « la totalité ou une partie importante » de l’ensemble de ces besoins.

203. À cet égard, le Tribunal a considéré dans l’arrêt attaqué qu’il était sans importance que la condition d’approvisionnement du client auprès de l’entreprise en position dominante à raison de « la totalité ou [d’]une partie importante » de ses besoins porte sur l’ensemble ou sur un segment particulier du marché (120). À l’appui de cette démarche, le Tribunal s’est référé à l’arrêt Tomra. Selon l’affirmation émise par la Cour dans ce précédent, les concurrents devraient pouvoir se livrer une concurrence par les mérites pour l’ensemble du marché et pas seulement pour une partie de celui-ci. Cependant, cette considération ne donne aucune indication quant à la façon d’interpréter le critère portant sur la « totalité ou une partie importante ». Elle a plutôt trait à la question de savoir si le verrouillage d’une partie substantielle du marché par une entreprise en position dominante peut être néanmoins justifié si la partie disputable du marché suffit à faire place à un nombre limité de concurrents (121).

204. Cet aspect n’est pas en cause dans le cas d’espèce, mais porte sur la question de savoir si la condition concernant la « totalité ou une partie importante » peut également se rapporter à une partie spécifique du marché de produits en cause.

205. Dans la décision contestée, pour définir le marché de produits en cause, la Commission n’a établi aucune distinction entre les CPU selon qu’ils sont utilisés dans les ordinateurs destinés aux entreprises ou dans ceux destinés aux particuliers, au motif que, pour un certain type d’ordinateurs, les mêmes CPU peuvent être utilisés sur le segment entreprises/commerce et sur le segment privés/consommateurs (122). La substituabilité entre segments semble indiquer que le marché ne peut pas être scindé.

206. Sur ce point, le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, estimé sans pertinence dans le présent contexte la question de savoir si les CPU utilisés sur le segment des professionnels sont différents des CPU x86 montés sur les ordinateurs destinés aux particuliers. Selon le Tribunal, même si ces CPU étaient interchangeables, les options d’achat des OEM concernés auraient été considérablement limitées pour le segment en cause (123).

207. Cet argument est convaincant en première analyse.

208. Il néglige cependant un point important : le raisonnement suivi dans l’arrêt attaqué part du point de vue de HP (et de Lenovo), non de celui d’AMD. Dans l’optique d’AMD, il est absolument indifférent que les options d’achat de HP et de Lenovo soient ou non considérablement limitées sur un segment donné, si l’on considère qu’ils sont les clients d’Intel et non ceux de ses concurrents.

209. En effet, il doit être souligné qu’est en l’occurrence visée une pratique d’éviction mise en œuvre à l’encontre du concurrent d’Intel, AMD et non une exploitation des clients d’Intel. Ce qui importe pour AMD (et, par conséquent, pour déterminer si le comportement incriminé constitue une pratique d’éviction abusive contraire à l’article 102 TFUE, c’est le pourcentage global d’approvisionnement verrouillé par les rabais et les paiements d’Intel.

210. Comme le souligne ACT, peu importe que certains besoins soient ou non achetés pour un segment spécifique. Le point important est celui de déterminer si les OEM en cause peuvent encore acquérir un volume significatif de produits auprès des concurrents d’Intel. Tel semble être le cas en l’espèce : HP et Lenovo étaient encore en mesure d’obtenir d’AMD des quantités significatives de CPU x86. Le constat d’un abus de sa position dominante par une entreprise tenant à l’éviction d’un concurrent ne saurait dépendre d’une segmentation apparemment arbitraire du marché.

211. Vu sous cet angle, il semble difficile de soutenir que, pour HP, l’obligation d’exclusivité portant sur 95 % des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises pourrait représenter davantage qu’un taux supérieur à 28 % de l’ensemble de ses besoins. Selon la même logique, l’exclusivité liée aux ordinateurs portables de Lenovo n’est pas équipollente à une exclusivité globale. En bref, l’exigence concernant la « totalité ou une partie importante » ne peut être satisfaite dans de telles circonstances.

212. Au risque d’énoncer ce qui semble relever de l’évidence, je n’estime guère justifié le résultat auquel aboutit le raisonnement du Tribunal dans l’arrêt attaqué : même un « rabais d’exclusivité » lié à un segment du marché en cause couvrant une partie insignifiante de tous les besoins d’un client (soit, aux fins de la discussion, 3 %) pourrait être systématiquement condamné.

213. J’en conclus que la qualification attribuée par le Tribunal aux rabais offerts par la requérante à HP et à Lenovo est entachée d’une erreur de droit.

214. Le troisième moyen devrait donc être accueilli, que la Cour partage ou non ma position sur les premier et deuxième moyens.

E –    Quatrième moyen : droits de la défense

1.      Principaux arguments des parties

215. Le quatrième moyen se rapporte aux droits de la défense de la requérante, tels que consacrés par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Intel reproche au Tribunal d’avoir conclu qu’un entretien mené en 2006 avec M. D1, un cadre dirigeant de Dell, dans le cadre de l’enquête qui a conduit à l’adoption de la décision contestée (ci-après l’« entretien litigieux ») n’était pas entaché d’un vice de procédure.

216. À cet égard, la requérante allègue, premièrement, que le Tribunal a jugé à tort que l’entretien litigieux n’était pas un entretien au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003. Deuxièmement, il aurait erronément estimé que, malgré le fait que la Commission aurait dû enregistrer l’entretien litigieux en raison de son importance, il aurait été remédié à la violation corrélative du principe de bonne administration par le versement au dossier d’une version non confidentielle d’une note interne (l’aide-mémoire interne de la Commission), à laquelle Intel a eu accès. Troisièmement, le Tribunal aurait commis une erreur lorsqu’il a vérifié à titre surabondant si un vice de procédure tel que celui retenu dans l’arrêt attaqué constitue un motif d’annulation de la décision contestée dans la mesure où elle concerne le comportement de la requérante à l’égard de Dell.

217. La Commission argue à titre principal du caractère inopérant du quatrième moyen, dès lors qu’Intel ne conteste pas la qualification de « rabais d’exclusivité » donnée dans l’arrêt attaqué aux rabais accordés à Dell. Le moyen serait également irrecevable, car la question de savoir s’il pouvait être remédié à la violation du principe de bonne administration en donnant à Intel accès à la version non confidentielle de la note interne est subordonnée à l’appréciation de l’importance de l’entretien litigieux et des mérites de ladite note. Or, ces questions seraient d’ordre factuel et donc insusceptibles de contrôle dans le cadre d’un pourvoi.

218. La Commission soutient à titre subsidiaire que les arguments d’Intel ne sont pas fondés. Intel n’aurait avancé aucune allégation susceptible de remettre en cause l’appréciation portée dans l’arrêt attaqué sur la note interne. La Commission affirme également que la décision contestée était avant tout fondée sur des preuves documentaires auxquelles l’entretien litigieux n’aurait en aucun cas donné un éclairage différent.

2.      Analyse

219. Il importe d’emblée de souligner que le quatrième moyen n’est nullement inopérant, ni d’ailleurs irrecevable, comme le soutient la Commission.

220. Par ce moyen, Intel conclut spécifiquement à l’annulation à l’égard de Dell du constat d’une infraction, au motif que les relevés factuels sur lesquels il repose sont entachés d’une violation de ses droits de la défense. Il s’agit d’une question de droit sur laquelle la Cour peut et doit se prononcer. Elle n’est nullement influencée par le point de savoir si la qualification de « rabais subordonnés à une condition d’exclusivité » attribuée aux rabais offerts par Intel à Dell a été ou non contestée dans le cadre du présent pourvoi. J’ai expliqué ci-dessus que l’illégalité des rabais en cause (quelle que soit leur « étiquette ») ne peut être constatée sans examen de toutes les circonstances pertinentes. La Commission a elle-même reconnu au cours de l’audience qu’en principe, même les « rabais d’exclusivité » pouvaient être justifiés par l’entreprise en cause. Est également sans pertinence le fait que les parties conviennent que la Commission ne s’est pas appuyée sur des informations obtenues au cours de l’entretien litigieux pour mettre en cause Intel : cet élément n’a aucune incidence sur l’éventuelle valeur à décharge de l’entretien (124). Point encore plus essentiel, la question de savoir si une violation des droits de la défense a été commise est totalement indépendante de l’éventuelle incidence de cette (hypothétique) violation sur le contenu matériel de la décision contestée.

221. En un mot, il importe peu, voire pas du tout, de savoir de quelle manière les rabais d’Intel ont été qualifiés ou quelles preuves ont été utilisées pour incriminer la requérante si ses droits de la défense ont été méconnus. Le seul élément dont la Cour doit s’assurer consiste à déterminer si la requérante a démontré qu’elle aurait été mieux à même de présenter sa défense en disposant d’un procès-verbal de l’entretien litigieux. Pour traiter cette question, la Cour doit notamment vérifier également si la note interne, qui n’a été communiquée à la requérante que tardivement, au stade du recours en première instance, pourrait avoir « corrigé » tout vice de procédure antérieur résultant de la décision de la Commission de ne pas enregistrer l’entretien litigieux. C’est pourquoi la Commission n’emporte pas la conviction en soutenant que la contestation par la requérante de la valeur de la note interne est en réalité dirigée contre des constatations de fait.

222. Comme expliqué ci-dessous, il conviendrait, en réalité, de faire droit au quatrième moyen.

a)      L’entretien litigieux était un entretien au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003

223. La requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant à l’absence de violation des dispositions combinées de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004 (125). Intel fait valoir à cet égard que la distinction opérée dans l’arrêt attaqué entre les entretiens « formels » et les entretiens « informels » est erronée en droit, tout comme l’appréciation selon laquelle la Commission n’est pas tenue d’enregistrer les entretiens « informels » (126).

224. Avant d’en venir à l’examen de la distinction entre entretiens « formels » et « informels », il est utile de rappeler brièvement les étapes (procédurales) qui ont conduit à la divulgation à la requérante de la note interne relative à l’entretien litigieux.

225. Il ressort de l’arrêt attaqué que la Commission a tout d’abord nié au cours de la procédure administrative qu’un entretien avec M. D1 ait eu lieu. Elle n’en a admis la matérialité qu’après qu’Intel eut démontré l’existence d’une liste indicative des thèmes abordés à cette occasion. La Commission a également nié à ce stade avoir rédigé un procès-verbal de l’entretien. Toutefois, plusieurs mois plus tard, le conseiller-auditeur a admis l’existence d’une note interne, tout en soulignant que la requérante n’avait pas le droit d’y accéder. La Commission a néanmoins communiqué « par courtoisie » à Intel au mois de décembre 2008 une copie de la version non confidentielle de la note interne, dont avaient été occultés de nombreux passages. Sur demande du Tribunal, la version confidentielle de cette note a finalement été communiquée à la requérante au mois de janvier 2013, au cours de la procédure devant le Tribunal (127).

226. Aux fins de l’interprétation de l’article 19 du règlement no 1/2003, il convient de relever que le pouvoir de mener des entretiens constitue le corollaire logique des larges pouvoirs d’enquête reconnus à la Commission en vertu du règlement no 1/2003. La question soulevée en l’occurrence est celle de savoir s’il existe toutefois des limites à ces pouvoirs.

227. Ces limites peuvent être clairement définies sur la base du libellé des dispositions pertinentes. Tout d’abord, l’article 19 du règlement no 1/2003 prévoit que la Commission peut interroger toute personne (physique ou morale) qui accepte d’être interrogée aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête. Tandis que l’article 3 du règlement no 773/2004 consacre, en son paragraphe 1, une obligation légale d’enregistrer l’entretien, il précise, en son paragraphe 3, que la Commission peut choisir les modalités de l’enregistrement des déclarations émises par les personnes interrogées.

228. Dans ces conditions, il me paraît assez évident que, lorsque la Commission décide de mener un entretien, elle ne peut pas omettre d’en enregistrer le contenu. En revanche, elle conserve la liberté de choisir les modalités (le support utilisé) de cet enregistrement.

229. Cette appréciation n’est pas contredite en tant que telle dans l’arrêt attaqué (128).

230. Le problème réside plutôt dans la distinction que le Tribunal a établie entre les entretiens informels et les entretiens formels. Aucune distinction de ce genre n’apparaît dans le cadre prévu par le règlement no 1/2003.

231. Cette distinction est à mon sens hautement problématique. L’élaboration par la voie prétorienne d’un nouvel instrument d’enquête à la disposition de la Commission lui permettrait de contourner les règles établies par le législateur, en vue, précisément, de réglementer les pouvoirs octroyés à la Commission aux fins de mener ses enquêtes sur les infractions aux règles de concurrence.

232. Comme il ressort clairement des dispositions combinées de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004, l’une de ces règles prescrit l’enregistrement des renseignements collectés lors d’entretiens portant sur l’objet de l’enquête. Selon moi, toute réunion organisée avec une tierce personne dans le but spécifique de recueillir des renseignements de fond destinés à l’instruction d’une affaire relève nécessairement du champ d’application de l’article 19 du règlement no 1/2003.

233. En revanche, il n’en résulte pas que la Commission n’est jamais en mesure de nouer des contacts informels avec des tiers. Ainsi que cela ressort clairement du libellé même de l’article 19 du règlement no 1/2003, seuls les propos se rapportant à l’objet d’une enquête relèvent du champ d’application de cette disposition. La Commission n’est tenue d’aucune obligation d’enregistrer les propos qu’elle échange avec les tiers, lorsqu’ils ne concernent pas l’objet d’une enquête donnée (habituellement en cours).

234. Cependant, je ne vois pas comment en l’espèce l’entretien litigieux pourrait être conçu comme étant autre chose qu’un entretien au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003.

235. Cet entretien n’était pas uniquement lié à l’objet de l’enquête en cours menée par la Commission sur les pratiques d’Intel. Ainsi qu’il est indiqué dans la note interne, les sujets traités au cours de cet entretien, qui semble avoir duré cinq heures, ont touché au cœur même de l’objet de l’enquête (soit le point de savoir si les rabais consentis par Intel à Dell étaient subordonnés à une obligation d’exclusivité). Plus important encore, la personne entendue était l’un des plus importants cadres dirigeants de Dell (129).

236. Peu importe, à cet égard, que l’entretien litigieux ait eu pour objet de collecter des preuves prenant la forme d’un compte rendu contresigné ou de déclarations ou que, comme l’a soutenu la Commission, tel n’ait pas été le cas (130).

237. Admettre que seuls de tels contacts avec les tiers sont visés par l’article 19 du règlement no 1/2003 aurait pour effet d’élargir substantiellement le pouvoir discrétionnaire de la Commission de mener des entretiens sans être tenue de les enregistrer. La Commission pourrait également choisir les preuves à communiquer aux entreprises soupçonnées d’infractions aux règles de concurrence de l’Union : les agents de la Commission convoquant l’intéressé à un entretien ou assistant à celui-ci pourraient déterminer, selon leur opinion subjective, les éléments qui seraient ou non versés au dossier.

238. Telle n’est cependant pas la conception du droit d’« accès au dossier » retenue par le législateur de l’Union. Comme il ressort de l’article 27, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, la divulgation de l’ensemble des preuves constitue la règle, la rétention d’éléments de conviction spécifiques, l’exception. L’interprétation de l’article 19 suggérée par la Commission risquerait de le priver d’efficacité.

239. Au cours de l’audience, la Commission a été en peine d’expliquer quels sont ses contacts avec les tiers qu’elle est ou non tenue d’enregistrer. Il est frappant de constater qu’en essayant d’exposer son approche, la Commission a paru suggérer qu’elle pouvait décider de façon purement discrétionnaire d’avoir recours à l’article 19 du règlement no 1/2003. L’incapacité de la Commission à apporter à la Cour une réponse claire sur ce point est compréhensible : il semble très difficile de définir un critère apte à distinguer les entretiens formels des entretiens informels, à la différence du critère réglementaire consistant à déterminer si l’entretien porte sur l’objet de l’enquête.

240. Il est tout aussi important de considérer que la décision d’enregistrer un entretien serait par ailleurs soustraite à tout contrôle juridictionnel éventuel. L’absence de toute trace écrite amène à se demander comment les juridictions de l’Union pourraient vérifier si la Commission s’est conformée aux dispositions du règlement no 1/2003 et, plus généralement, si les droits des entreprises et des personnes physiques impliquées dans une enquête ont été pleinement respectés.

241. En effet, en définitive, deux raisons complémentaires au moins expliquent que l’article 3 du règlement no 773/2004 requiert l’enregistrement des entretiens. Cette exigence garantit, d’une part, aux entreprises soupçonnées d’infractions aux règles de concurrence de l’Union la possibilité d’organiser leur défense et, d’autre part, aux juridictions de l’Union la capacité de vérifier, a posteriori, si la Commission a exercé ses pouvoirs d’enquête dans le plein respect du cadre réglementaire.

242. C’est pourquoi j’ai la ferme conviction que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la Commission n’avait pas enfreint l’article 19 du règlement no 1/2003 en n’organisant pas l’entretien litigieux comme un entretien au sens de cette disposition et en omettant d’en assurer convenablement l’enregistrement.

b)      La note interne n’a pas corrigé le vice de procédure

243. Comme évoqué au point 216 des présentes conclusions, le Tribunal n’a pas constaté dans l’arrêt attaqué l’existence d’une violation de l’article 19 du règlement no 1/2003. Il a cependant considéré qu’eu égard à la teneur et à l’importance des renseignements collectés au cours de l’entretien litigieux, la Commission aurait dû procéder à son enregistrement. Il en est résulté, selon le Tribunal, une violation du principe de bonne administration. Sur ce point, le Tribunal a estimé, que dans les circonstances de l’espèce, la Commission était, à tout le moins, tenue de verser au dossier une note succincte contenant le nom des participants ainsi qu’un bref résumé des sujets abordés. La requérante aurait pu alors solliciter l’accès à ce document (131).

244. Le Tribunal a cependant estimé que la Commission avait corrigé cette irrégularité procédurale en mettant à la disposition d’Intel, au cours de la procédure administrative, une version non confidentielle de la note interne et en lui offrant la possibilité de présenter ses commentaires sur ce document. Cette note, qui était destinée à servir de résumé interne des points discutés aux agents des services de la Commission chargés de l’affaire, comportait le nom des participants ainsi qu’« un bref résumé des sujets abordés » (132).

245. La requérante soutient que cette appréciation est entachée d’une erreur de droit, non seulement parce que la Commission était tenue d’enregistrer le contenu de l’entretien litigieux, mais également parce que ladite note, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, ne comportait pas un « bref résumé des sujets abordés ».

246. Je partage ce point de vue.

247. Par principe, une note présentant la nature décrite dans l’arrêt attaqué ne saurait en aucun cas remédier à la violation d’une forme substantielle. Il est essentiel de relever que, comme le Tribunal l’a reconnu dans l’arrêt attaqué, cette note revient à un bref résumé des sujets abordés au cours de l’entretien litigieux (133). En revanche, elle n’en précise pas le contenu, comme la Commission l’admet elle-même. Il est cependant encore plus fondamental de relever que la note passe sous silence la teneur des renseignements que M. D1 a fournis pendant l’entretien sur les sujets qui y sont mentionnés.

248. J’estime qu’une telle note ne peut pas remédier à la violation des dispositions combinées de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004.

249. On ne saurait trop souligner que les informations sur un entretien versées au dossier doivent être suffisantes pour garantir le respect des droits de la défense des entreprises auxquelles est reprochée la violation des règles de concurrence de l’Union. Tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce. J’examinerai plus en avant cette question aux points 257 et suivants des présentes conclusions.

250. Il importe donc de savoir si le vice de procédure tenant à la violation des dispositions combinées de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004 peut entraîner l’illégalité de la décision contestée s’agissant des constatations concernant Dell. Contrairement à ce qu’a conclu le Tribunal (134), la requérante, soutenue par ACT, considère que tel devrait être le cas. Il est vrai que les arguments de la requérante portent sur un raisonnement que le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, a développé à titre surabondant. Il pourrait donc être objecté que ces arguments sont inopérants et qu’ils ne sauraient emporter l’annulation de l’arrêt (135). Cependant, pour autant que la Cour adhère à ma conclusion selon laquelle le Tribunal a jugé à tort que 1) l’entretien litigieux n’était pas un entretien au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003 et que 2) la note interne a remédié à toute irrégularité procédurale résultant de la décision de la Commission de ne pas enregistrer cet entretien, la Cour doit également examiner le raisonnement tenu dans l’arrêt attaqué sur les conséquences d’une éventuelle irrégularité procédurale.

c)      Les conséquences de l’absence d’enregistrement de l’entretien litigieux

251. Aux termes de l’arrêt attaqué, les faits de l’espèce peuvent être distingués des antécédents de l’affaire Solvay/Commission (136), précédent invoqué par la requérante à titre principal. Dans cette affaire, la Commission avait perdu plusieurs documents après la clôture de la procédure administrative et l’entreprise en cause n’avait pas eu accès à ces documents au cours de cette procédure. Dans ces conditions, la Cour a estimé qu’une erreur de procédure de cette nature justifiait l’annulation de la décision de la Commission. Les conditions d’une telle annulation ont été posées en ces termes : une irrégularité de procédure justifie l’annulation lorsqu’il ne peut être exclu que les documents (perdus) auraient permis à l’entreprise concernée de donner aux faits une interprétation différente de celle retenue par la Commission et susceptible d’être utile pour sa défense (137).

252. Le Tribunal a toutefois estimé que les considérations formulées par la Cour dans l’affaire Solvay ne pouvaient pas être transposées au cadre factuel sous examen, au motif que, à la différence de l’affaire Solvay, le contenu de l’entretien litigieux pouvait être reconstitué (138). C’est pourquoi, en vertu de la jurisprudence relative à l’accès au dossier (139), le Tribunal a exigé d’Intel la production d’un premier indice de l’omission par la Commission « de consigner des éléments à décharge qui contredisent la teneur des preuves documentaires directes sur lesquelles la Commission s’est appuyée dans la décision [contestée] ou, à tout le moins, leur donnent un éclairage différent ». La simple hypothèse de la pertinence des renseignements fournis au cours de l’entretien litigieux n’a pas été jugée suffisante (140).

253. En effet, selon une jurisprudence constante, lorsque l’entreprise en cause n’a pas eu accès à une partie du dossier lors de la procédure administrative, mais que cet accès lui a été néanmoins accordé au stade de la procédure juridictionnelle, le critère pertinent consiste, en principe, à déterminer si elle aurait pu utiliser de quelque manière que ce soit pour sa défense les renseignements non communiqués. Il n’est pas exigé que ceux-ci eussent conduit à l’adoption d’une décision au contenu différent (141), mais il doit être plutôt établi que l’entreprise aurait été mieux à même d’assurer sa défense en l’absence de l’irrégularité (142).

254. Cependant, cette règle ne s’applique que lorsqu’aucune preuve documentaire directe n’a été utilisée à des fins probatoires. Lorsque la Commission s’est fondée dans la décision contestée sur des preuves documentaires directes, l’entreprise en cause doit démontrer que la Commission n’a pas fait état d’éléments à décharge contredisant la teneur de ces preuves ou, à tout le moins, leur donnant un éclairage différent (143). Autrement dit, dans la mesure où la Commission s’est fondée sur des preuves documentaires directes pour incriminer l’entreprise en cause, la charge de la preuve est particulièrement difficile à satisfaire.

255. Le point de savoir si une telle démarche est justifiée d’une façon générale dépasse le cadre des présentes conclusions. Il me paraît toutefois manifestement erroné en droit d’imposer en l’espèce une telle exigence à la requérante. Il en est ainsi parce que l’entreprise en cause se trouve tout simplement dans l’impossibilité de satisfaire à la charge de la preuve qui en résulte ainsi pour elle. La bonne approche consiste à se demander, comme l’a exigé la Cour dans l’affaire Solvay, s’il peut être exclu d’emblée que les informations auxquelles l’entreprise n’a pas eu accès auraient pu être utiles à sa défense.

256. Cette question doit recevoir en l’espèce une réponse négative.

257. Dans l’affaire Solvay, il n’existait aucun moyen concevable de reconstituer à partir d’autres sources le contenu des dossiers manquants. De plus, la Commission avait reconnu elle-même que ces dossiers contenaient selon toute probabilité des renseignements pertinents pour la défense de l’entreprise (en particulier, des réponses à des demandes de renseignements) (144).

258. En l’espèce, l’entretien litigieux n’a pas fait l’objet d’un enregistrement adéquat, comme précédemment indiqué. La requérante a néanmoins obtenu au cours de la procédure administrative l’accès à la version non confidentielle de la note interne et à la pièce qualifiée de « document de suivi ». Ce document contenait les réponses écrites de Dell aux questions posées à M. D1 au cours de l’entretien litigieux. Par la suite, la requérante a eu accès à la version confidentielle de la note interne au cours de la procédure devant le Tribunal. Ces deux documents comportaient, selon le Tribunal, des indications suffisantes sur le contenu des discussions qui ont eu lieu au cours de l’entretien. Ils lui ont permis de conclure que l’entretien ne révélait aucun nouvel élément à décharge qui aurait pu être utile à la défense de la requérante (145).

259. Cependant, les renseignements portant sur le déroulement de l’entretien litigieux qui peuvent être tirés de ces documents restent purement conjecturaux, comme le démontre amplement le Tribunal dans l’arrêt attaqué (146). Ainsi que l’illustre son analyse des éléments disponibles, il est impossible de déterminer avec certitude, en l’absence de procès-verbal adéquat de l’entretien, ce qui a fait l’objet des discussions et dans quelle mesure leur teneur aurait pu constituer un élément à décharge, à charge, voire même neutre (147).

260. Le contrôle juridictionnel ne saurait reposer sur des éléments de preuve conjecturaux.

261. Il est vrai, ainsi que le souligne la Commission, que l’examen du point de savoir si une violation des droits de la défense devrait entraîner l’annulation de la décision de la Commission a pour point de départ les griefs formulés à l’encontre de l’entreprise en cause et les éléments de preuve communiqués à leur appui (148). S’il en était autrement, il serait toujours possible de soutenir que des éléments non versés au dossier auraient pu être utiles à la défense de l’entreprise en cause (149).

262. Si l’on considère les griefs retenus en l’espèce par la Commission à l’encontre d’Intel, la pertinence de l’entretien litigieux ne fait guère de doute. En effet, comme l’a relevé le Tribunal dans l’arrêt attaqué, la note interne et le document de suivi montrent qu’ont été discutés au cours de l’entretien des thèmes pertinents aux fins d’établir si Dell avait obtenu de la requérante des rabais de fidélité anticoncurrentiels (150).

263. Dans de telles situations, la charge de la preuve demeure en général à la charge de l’entreprise en cause (151). Comme le fait observer la Commission, l’entreprise doit présenter les faits et produire les éléments de preuve pour démontrer qu’elle aurait pu utiliser pour sa défense des documents auxquels l’accès lui a été refusé au cours de la procédure administrative. Toutefois, il en est ainsi lorsque les documents n’ont pas été divulgués au cours de la procédure administrative et que la Cour a pu en constater et vérifier le contenu (152). Comme l’avocat général Kokott l’a relevé dans l’affaire Solvay, la raison en est que l’entreprise concernée peut indiquer dans de telles circonstances les auteurs et la nature des documents qui ne lui ont pas été divulgués. Néanmoins, ce n’est pas la seule raison. Point plus fondamental encore, l’entreprise en cause est également en mesure dans de telles circonstances de décrire le contenu de ces documents (153).

264. La situation est différente en l’espèce. L’identité de l’auteur et la nature de la réunion ont été révélées dans la note interne. Cependant, la teneur des réponses apportées par M. D1 aux questions qui lui ont été posées par la Commission demeure obscure. Certes, comme le Tribunal l’a relevé dans l’arrêt attaqué, la note interne ainsi que le document de suivi donnent certaines indications sur les thèmes spécifiques abordés au cours de l’entretien litigieux. Toutefois, ces documents ne suffisent pas à reconstituer a posteriori les éléments probatoires produits, c’est‑à‑dire les propos effectivement échangés au cours de cet entretien.

265. Bien que dans l’arrêt attaqué le Tribunal ne traite pas explicitement ce point, il n’est possible de tirer la conclusion inverse qu’en présumant que M. D1 et Dell sont une seule et même entité et que M. D1 n’a pu que réitérer la position de Dell sur les thèmes discutés. Eu égard à sa qualité de haut dirigeant de Dell, cette présomption peut de toute évidence s’avérer correcte.

266. Elle peut toutefois être également erronée.

267. Contrairement à ce que la Commission a semblé suggérer lors de l’audience, il est tout aussi probable que M. D1 ait exprimé son opinion personnelle sur les sujets abordés au cours de l’entretien litigieux (154). Nous n’en savons absolument rien. C’est pourquoi il ne peut être exclu que l’entretien donne un éclairage différent, voire même nouveau, sur la conditionnalité des rabais offerts à Dell. Au lieu d’admettre cette possibilité, le Tribunal a imposé à la requérante l’obligation sans doute insurmontable de démontrer que l’entretien non enregistré a révélé des éléments de preuve à décharge qui auraient pu donner un éclairage différent aux preuves fournies par la Commission au soutien de ses griefs. Pour des raisons évidentes, le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, conclu que la requérante n’était pas parvenue à s’acquitter de cette obligation.

268. J’en déduis donc que le quatrième moyen devrait être également accueilli.

269. Au cas où la Cour ne partagerait pas ma position, je lui déconseillerais toutefois de rejeter ce moyen pour les raisons suivantes.

270. Supposons, pour les besoins de la discussion, que les éléments de preuve en cause puissent être a posteriorireconstitués à suffisance de droit, ainsi que le Tribunal l’a estimé dans l’arrêt attaqué. Selon le Tribunal, il incombait donc à la requérante de démontrer que les éléments de preuve en cause pouvaient jeter le doute sur les « preuves documentaires directes » qui avaient déjà été considérées comme suffisantes pour condamner Intel d’abus de position dominante lié aux rabais offerts à Dell (155). Cette démarche est fondée sur une prémisse erronée : elle suppose à tort que les preuves non divulguées au cours de la procédure administrative doivent nécessairement présenter une valeur probatoire inférieure à celle des éléments de conviction produits par la Commission à l’appui de son constat de l’abus. Plus précisément, le problème découle de l’interprétation excessivement large donnée à la notion de « preuves documentaires directes » dans l’arrêt attaqué.

271. À ma connaissance, cette notion n’a pas été expressément définie par la Cour. Néanmoins, la jurisprudence comporte des indications utiles sur sa portée.

272. La jurisprudence utilise généralement la notion de « preuve documentaire directe » aux fins de l’application de l’article 101 TFUE, dans le but de définir certains modes de preuve (par opposition, par exemple, aux preuves par indices ou de nature économique) auxquels la Commission peut recourir pour établir l’existence d’une infraction, soit, par exemple, la participation d’entreprises déterminées à une entente ou à une pratique correspondante, en violation à l’article 101 TFUE (156).

273. Contrairement aux preuves par indices (157), les preuves documentaires directes émanent généralement de l’entreprise/des entreprises soupçonnée(s) d’avoir enfreint les règles de concurrence de l’Union et l’article 101 TFUE en particulier. Ces dernières preuves se présentent habituellement sous la forme de documents révélant en eux‑mêmes l’existence d’une entente ou d’une pratique correspondante (ou la participation d’entreprises déterminées à une telle pratique). Tel serait le cas, par exemple, d’une note sur un accord entre membres d’une entente, d’un échange entre de tels membres de courriels portant sur les prix, voire même de procès-verbaux de réunions portant sur ces pratiques (158). Lorsque la Commission se fonde sur de telles preuves pour établir l’existence d’une infraction ou la participation d’entreprises à une infraction, celles-ci doivent – pour obtenir l’annulation de la décision litigieuse – démontrer que des éléments de preuve demeurés inaccessibles au cours de la procédure administrative contredisent la teneur des preuves documentaires directes produites (159).

274. Les preuves sur lesquelles la Commission s’est fondée dans la décision contestée pour établir la conditionnalité des rabais accordés à Dell peuvent être, au mieux, qualifiées de « preuves par indices » ou « par présomption » (160). En effet, il ne faut pas perdre de vue que les « rabais d’exclusivité » litigieux en l’espèce (y compris ceux accordés à Dell) ont été considérés comme étant subordonnés de fait à la condition d’exclusivité, car ils n’étaient pas fondés sur une obligation formelle d’approvisionnement exclusif (161). La conditionnalité des rabais offerts à Dell a été, au contraire, déduite (indirectement) de leur niveau (162). Une importance particulière a été accordée à la perception par Dell des risques induits d’un transfert d’une partie de ses besoins sur un concurrent d’Intel (163). Quitte à énoncer une évidence, je ne peux guère qualifier de telles preuves de « preuves documentaires directes » de la conditionnalité des rabais sous examen.

275. En l’absence de tout document écrit établissant l’existence d’une obligation d’approvisionnement exclusif, l’admissibilité d’une preuve écrite quelconque à titre de « preuve documentaire directe » d’un abus de position dominante contraire à l’article 102 TFUE porterait, selon moi, une atteinte grave aux droits de la défense de l’entreprise concernée : il ne suffirait pas qu’elle démontre qu’un élément de preuve auquel elle n’a pas eu accès au cours de la procédure administrative eût pu être utile à sa défense. Elle serait de surcroît tenue d’établir (comme le Tribunal l’a exigé dans l’arrêt attaqué) que les éléments probatoires demeurés inaccessibles contredisent la teneur des preuves produites par la Commission au soutien de son constat de l’abus.

276. Partant de cette considération, j’ai la ferme conviction que des preuves par indices du genre de celles invoquées dans la décision contestée doivent faire l’objet d’une appréciation globale (avant qu’il puisse être décidé si l’ensemble des preuves produites suffit à prouver l’existence d’un abus de position dominante). Pour obtenir l’annulation de la décision contestée, il n’incombe dans de telles circonstances à l’entreprise concernée que de démontrer qu’elle aurait pu utiliser d’une manière ou d’une autre pour sa défense les éléments de preuve dont l’accès lui a été refusé et non qu’ils contredisent la teneur des preuves directes produites par la Commission au soutien de son constat de l’infraction (164).

277. Je parviens donc à la conclusion que, même en considération de ces développements subsidiaires, il y a lieu de faire droit au quatrième moyen.

F –    Cinquième moyen : compétence ratione loci

1.      Principaux arguments des parties

278. Par son cinquième moyen, Intel, soutenue par ACT, fait grief au Tribunal d’avoir estimé que la Commission était compétente pour appliquer l’article 102 TFUE aux accords d’Intel conclus en 2006 et en 2007 avec Lenovo (ci-après les « accords Lenovo »). D’une part, l’accord conclu en 2006 aurait encouragé Lenovo, par l’octroi d’une incitation financière, à reporter (et, en définitive, à annuler) le lancement sur le marché mondial de deux modèles équipés de CPU AMD (165). D’autre part, l’accord conclu en 2007 aurait porté sur les rabais qu’Intel devait offrir si Lenovo décidait de s’approvisionner exclusivement auprès d’Intel en CPU destinés à ses ordinateurs portables (166). Les restrictions non déguisées et les rabais pratiqués à l’égard de Lenovo n’auraient pas été mis en œuvre dans l’EEE et n’y auraient pas non plus produit d’effet prévisible, immédiat ou substantiel.

279. La Commission objecte que le cinquième moyen est sans fondement : le Tribunal n’aurait pas, dans l’arrêt attaqué, commis d’erreur en estimant que la Commission était compétente pour appliquer l’article 102 TFUE aux accords Lenovo. En droit international public, la compétence pourrait être fondée sur plusieurs facteurs, pour autant qu’un lien suffisant existe entre le comportement reproché et les normes applicables du territoire concerné. Sous cet aspect, le critère de la mise en œuvre et celui des effets « qualifiés » ne seraient que deux voies possibles d’établir un tel lien. Dans la mesure où le Tribunal a appliqué ces critères, l’arrêt attaqué ne serait entaché d’aucune erreur de droit.

2.      Analyse

280. Le présent moyen n’est, en aucune manière, moins important que ceux examinés jusqu’ici. Il fournit opportunément à la Cour l’occasion de clarifier les précédents jurisprudentiels procédant de l’affaire ICI et développés ultérieurement dans l’affaire Pâte de bois (167) à propos du champ d’application territorial du droit de la concurrence de l’Union. Il permettra à la Cour d’affiner sa jurisprudence et de l’adapter au contexte actuel, caractérisé par des économies mondialisées, des marchés intégrés et des courants d’échanges perfectionnés.

281. Il importe en l’occurrence d’envisager les implications plus larges que le jugement à venir de la Cour est susceptible de comporter. En effet, une interprétation extrêmement libérale des règles définissant la compétence territoriale ne manque pas de susciter des controverses en droit international public, auquel doit se conformer l’interprétation du droit de l’Union (168). Il est donc indiqué de replacer ce moyen du pourvoi dans un contexte plus large.

282. D’une façon générale, la compétence s’exerce (au moins) sous trois formes différentes : la compétence normative, la compétence d’exécution et la compétence judiciaire (prétorienne). Intel remet en question la compétence de la Commission pour appliquer le droit de la concurrence de l’Union à un comportement unilatéral procédant d’accords réputés produire leurs effets en dehors de l’Union. La présente procédure n’a donc pas trait à l’exécution forcée en dehors du territoire de l’Union, question soulevant en droit international public un large éventail de difficultés.

283. Je tiens à relever également que le droit international public permet dans certains cas aux États d’exercer leur compétence au-delà de leur territoire. Toutefois, même s’il faut reconnaître qu’il n’est pas en lui-même contraignant (169), le respect mutuel des domaines de compétence dévolus aussi bien à l’Union qu’à l’État tiers concerné (170) ou bien la courtoisie internationale donnent à penser que la compétence extraterritoriale doit être revendiquée avec retenue. Il n’est pas surprenant que l’Union s’oppose elle-même à l’application extraterritoriale du droit d’États tiers lorsqu’elle l’estime illégale (171).

284. Cela étant précisé, l’examen de la jurisprudence de la Cour montre que l’application du droit de l’Union est subordonnée à un lien de rattachement suffisant à son territoire (172), en conformité, par conséquent, avec le principe fondamental de territorialité découlant du droit international public. Il n’est toutefois nullement inhabituel qu’un État ou une organisation internationale prennent également en compte pour l’exercice de droits de souveraineté des circonstances se produisant, ou s’étant produites, en dehors de son champ de compétence territorial (173).

285. Il se déduit de la jurisprudence existante de la Cour que l’application du droit de la concurrence de l’Union exige un lien de rattachement suffisant à son territoire, que ce soit sous la forme de l’existence d’une filiale ou de la mise en œuvre d’un comportement anticoncurrentiel sur ce territoire. Toutefois, dans les précédents juridictionnels, ce lien était beaucoup plus perceptible que dans l’affaire sous examen.

286. Le Tribunal a estimé possible en l’espèce d’appliquer deux critères différents à l’appui de la revendication de compétence : le critère de la mise en œuvre et celui des effets « qualifiés » des pratiques sur le territoire de l’EEE (174). Selon lui, l’application de ces critères conduit indifféremment à retenir la compétence de la Commission pour statuer sur les accords Lenovo (175).

287. Je vais tout d’abord exposer ci-dessous mon point de vue sur la question de la compétence dévolue aux instances de l’Union pour faire respecter ses règles de concurrence (176), avant d’exposer les raisons pour lesquelles j’estime fondé le présent moyen.

a)      Remarques générales : mise en œuvre et/ou effet ?

288. La première observation que je souhaite formuler est simple et va de soi. Pour déterminer si la Commission peut appliquer à un comportement donné les règles de concurrence de l’Union, il convient de partir du libellé des articles 101 et 102 TFUE. Loin de laisser carte blanche à la Commission pour appliquer ces règles à un comportement quels qu’en soient la localisation et l’éventuel lien de rattachement manifeste avec le territoire de l’Union, ces dispositions visent un comportement anticoncurrentiel collectif ou unilatéral à l’intérieur du marché intérieur. L’article 101 TFUE interdit les accords ou les pratiques « qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur », tandis que l’article 102 TFUE prohibe pour sa part « le fait […] d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ».

289. La règle d’habilitation permettant d’appliquer les règles de concurrence de l’Union est ainsi clairement ancrée dans ces dispositions. Si l’article 102 TFUE est quelque peu moins clair, l’article 101 TFUE est sans équivoque, car il est applicable à tout comportement produisant des effets anticoncurrentiels dans le marché intérieur.

290. En outre, à l’instar de la Commission, je n’interprète pas l’arrêt Pâte de bois comme érigeant la mise en œuvre en unique critère de compétence valide. J’estime plutôt que, lorsqu’un comportement anticoncurrentiel est mis en œuvre dans l’Union, l’applicabilité des articles 101 et 102 TFUE ne fait aucun doute. En d’autres termes, il est incontestable qu’un comportement mis en œuvre dans l’Union peut produire des effets dans le marché intérieur et qu’il ne peut donc pas être soustrait à un contrôle au titre des règles de concurrence de l’Union. Dans cette mesure, le critère de la mise en œuvre est solidement intégré au principe de territorialité, de sorte qu’il constitue, lorsqu’il y est satisfait, un élément déterminant du constat de la compétence dévolue à la Commission pour appliquer ces règles à un comportement donné (177).

291. Il est sans importance à cet égard que seule une composante du comportement en cause se produise dans l’Union (178). Dans l’affaire Pâte de bois, la Cour a eu à connaître d’une série de pratiques consistant à fixer les prix de la pâte de bois, que la Commission avait tenues pour contraires à l’article 85 du traité CE (devenu article 101 TFUE) et qui avaient été adoptées en dehors du territoire (actuel) de l’Union par des producteurs de pâte de bois étrangers. En de telles circonstances, la Cour a exposé les raisons pour lesquelles la mise en œuvre d’un accord ou d’une pratique correspondante était plus pertinente aux fins du constat de compétence, que sa conclusion ou à sa formation. L’application des interdictions édictées par les traités aux seuls accords, décisions ou pratiques concertées constitués ou adoptés à l’intérieur du territoire de l’Union fournirait aux entreprises un moyen facile de se soustraire à l’application des règles de concurrence de l’Union. Il a été satisfait dans cette affaire au critère de la mise en œuvre en raison de la commercialisation directe des produits cartellisés, les entreprises concernées ayant vendu directement leur pâte de bois aux acheteurs établis dans l’Union (179).

292. En revanche, contrairement à Intel, je ne pense pas que seules les ventes effectuées directement dans l’Union par l’entreprise en cause puissent être considérées comme satisfaisant au critère de la mise en œuvre au sens de l’arrêt Pâte de bois. La notion habituelle de « mise en œuvre » est synonyme d’exécution ou de concrétisation. Par conséquent, pour que le critère soit rempli, l’une des composantes essentielles du comportement anticoncurrentiel doit se produire dans l’Union. Ce sont principalement la nature, la forme et la portée du comportement anticoncurrentiel qui déterminent si tel est le cas. Il est nécessaire de procéder à un examen individuel du comportement illégal pour vérifier s’il est mis en œuvre dans l’Union. Par exemple, je ne suis pas convaincu que des ventes indirectes des produits en cause ne puissent jamais être qualifiées de « mise en œuvre » (180). J’estime qu’une telle qualification dépend des circonstances de chaque affaire. L’un des points à prendre en considération à cet égard est, par exemple, de savoir si l’une des entreprises ayant cartellisé un produit et l’entreprise qui l’incorpore dans un autre produit commercialisé ultérieurement dans l’Union constituent une seule et même entité économique ou, à défaut, s’il existe d’autres liens sociaux ou structurels entre les entreprises considérées.

293. Pour conclure sur ce point, j’estime que la présence d’une composante d’un comportement localisée sur le territoire de l’Union emporte mise en œuvre d’un comportement collectif ou unilatéral dans le marché intérieur, déclenchant ainsi indiscutablement l’application des articles 101 et 102 TFUE (181). Il s’agit de savoir, en d’autres termes, si le comportement illégal a été pour partie réalisé, appliqué ou concrétisé dans le marché intérieur parce que l’une de ses composantes essentielles s’y est manifestée.

294. Si toutefois la mise en œuvre devait être considérée comme le seul critère d’attribution de compétence déclenchant l’application des règles de concurrence de l’Union, celles-ci n’appréhenderaient pas différents types de comportements parfaitement susceptibles d’avoir pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur. Je pense ici à un comportement caractérisé par une abstention illégale, tel qu’un refus de vente ou un boycott. Comme mentionné aux points 288 et 289 des présentes conclusions, une telle interprétation des articles 101 et 102 TFUE serait contraire à leur libellé.

295. En fait, plusieurs avocats généraux ont déjà suggéré à la Cour d’adopter en droit de la concurrence une conception de la compétence ratione loci justifiée par les effets économiques (182). La Cour n’a ni entériné ni expressément rejeté à ce jour cette solution (183).

296. Dans ces conditions, je crois que la Cour devrait en l’espèce traiter expressément cette question et, conformément à la solution suggérée par les avocats généraux, cités au point précédent, adopter la thèse des effets aux fins de l’application des articles 101 et 102 TFUE.

297. Qu’une telle conception s’inscrive dans une notion (large) de la « territorialité » ou qu’elle implique au contraire une certaine applicabilité extraterritoriale du droit de l’Union n’est pas déterminant (184). L’essentiel est que, sous certaines conditions, le critère des « effets » est un critère d’attribution de compétence généralement admis en droit international public pour ce type de législation (185) et qu’il a été adopté par de nombreuses instances dans le monde entier (186). En effet, de nombreux auteurs considèrent que toute contestation de l’admission de ce critère est désormais dépassée (187).

298. Il convient de noter à cet égard que le comportement dans des pays tiers d’entités qui ne sont ni ressortissantes d’un État membre de l’Union et qui n’ont pas de présence physique ou légale dans l’Union est réglementé par plusieurs autres dispositions du droit de l’Union en raison des effets produits par ce comportement dans le marché intérieur. C’est le cas, par exemple, d’un certain nombre de dispositions régissant les transactions sur instruments financiers ou d’autres types de comportement économique (188).

299. Cela ne signifie toutefois pas que tout effet quelconque, aussi faible ou indirect fût-il, pourrait déclencher l’application des règles de concurrence de l’Union. Dans une économie mondialisée, un comportement se produisant n’importe où dans le monde, par exemple, en Chine, déploiera presque inéluctablement un certain effet dans l’Union. Pourtant, l’application des articles 101 et 102 TFUE ne peut reposer sur un lien ou un effet trop lointain ou purement hypothétique.

300. J’estime qu’il est particulièrement important que la compétence soit établie avec retenue à l’égard d’un comportement qui ne s’est pas manifesté, à strictement parler, sur le territoire de l’Union. En effet, pour respecter une certaine forme de courtoisie internationale et, dans le même esprit, pour garantir aux entreprises la possibilité d’exercer leur activité dans un cadre juridique prévisible, ce n’est qu’avec une grande prudence que les effets du comportement incriminé peuvent être érigés en critère d’attribution de compétence. Cela est encore plus important de nos jours. Il existe dans le monde plus de 100 autorités nationales ou supranationales revendiquant la compétence à l’égard des pratiques anticoncurrentielles.

301. Comme le Tribunal l’a jugé dans l’affaire Gencor/Commission (T‑102/96, EU:T:1999:65), l’application des règles de concurrence à un comportement spécifique quelconque ne peut être justifiée que si celui-ci produit des effets immédiats, substantiels et prévisibles dans le marché intérieur (189). Il est possible en l’espèce d’établir d’évidents parallèles avec les règles de concurrence applicables aux États-Unis. La section 1 du Sherman Act édicte une interdiction générale des pratiques commerciales restrictives sans la limiter géographiquement. C’est pourquoi le Congrès des États‑Unis d’Amérique a adopté le Foreign Trade Antitrust Improvement Act (FTAIA) (190), dans le but de clarifier (et éventuellement de restreindre) l’application extraterritoriale du Sherman Act. En particulier, le FTAIA énonce en substance que les règles antitrust des États-Unis sont inapplicables aux comportements constatés à l’étranger, à moins qu’ils ne produisent un effet direct, substantiel et raisonnablement prévisible aux États-Unis. Dans l’affaire Empagran, la Cour suprême des États-Unis, en interprétant le Sherman Act et le FTAIA, a jugé déraisonnable l’application des lois des États-Unis à un comportement constaté à l’étranger, lorsque le préjudice d’origine étrangère en résultant est indépendant de tout préjudice causé à l’économie nationale (191).

302. La Cour devrait suivre des principes similaires lorsqu’elle interprète et applique les articles 101 et 102 TFUE à un comportement d’entreprise collectif ou unilatéral localisé intégralement en dehors des frontières de l’Union. À mon sens, ces dispositions n’appréhendent un tel comportement que dans la mesure où il peut être constaté un effet anticoncurrentiel direct (ou immédiat), substantiel et prévisible dans le marché intérieur. Ce critère des effets « qualifiés » (qui implique, d’après moi, que les effets soient suffisamment importants pour justifier que la Commission se déclare compétente) n’est pas rempli lorsque, par exemple, l’effet dans l’Union est seulement hypothétique ou, en toute hypothèse, d’importance mineure. Il n’est pas davantage satisfait à ce critère lorsque la distorsion de concurrence au sein du marché intérieur ne peut être imputée à l’entreprise en cause, dès lors qu’elle ne pouvait prévoir ces effets préjudiciables.

303. Le libellé des articles 101 et 102 TFUE ne justifie pas l’application du droit de l’Union par la Commission à un comportement dénué d’effet « qualifié » sur le territoire de l’Union. La conception opposée soulèverait également des difficultés en droit international public. Un empiètement de compétence du droit de la concurrence de l’Union risquerait de porter atteinte aux intérêts souverains d’autres États et de présenter des problèmes d’exécution d’ordre juridique et pratique (192). Il multiplierait également les cas de chevauchement de compétence entre différents États ou autorités, engendrerait ainsi une grande insécurité pour les entreprises et accroîtrait les risques d’application de législations (ou de décisions judiciaires) inconciliables à un même comportement. Enfin, dernier point, mais non des moindres, cet empiètement de compétence pourrait poser problème au regard du principe de bonne administration : il est permis de s’interroger sur les mérites de l’application du droit de l’Union à un comportement dépourvu d’effet sensible sur son territoire et de se demander si une telle application constituerait un usage convenable et efficace des ressources limitées de l’Union.

304. Au vu de ce qui précède, j’estime que le Tribunal ne saurait être critiqué pour avoir, comme le soutient Intel, examiné la compétence de la Commission pour appliquer l’article 102 TFUE à l’aune des critères tirés aussi bien de la mise en œuvre que des effets « qualifiés ». Il aurait été certainement plus logique d’examiner tout d’abord si le comportement d’Intel avait été mis en œuvre dans l’Union puis, seulement en cas de réponse négative, si ce comportement avait néanmoins produit des effets « qualifiés » dans le marché intérieur.

305. Toujours est-il qu’il importe peu qu’Intel n’ait pas contesté la compétence de la Commission au cours de la procédure administrative, comme le souligne le Tribunal au point 246 de l’arrêt attaqué. Selon une jurisprudence constante de la Cour, la portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, dont le Tribunal assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par les requérants et compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par ces derniers, que ceux-ci soient antérieurs ou postérieurs à la décision entreprise, qu’ils aient été préalablement présentés dans le cadre de la procédure administrative ou, pour la première fois, dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi, dans la mesure où ils sont pertinents pour le contrôle de la légalité de la décision de la Commission (193).

306. En conclusion, j’estime que le cadre juridique appliqué par le Tribunal n’encourt pas la censure. Néanmoins, l’application de ces critères prétoriens aux abus réputés procéder des accords Lenovo dans l’arrêt attaqué me conduit à formuler les remarques critiques suivantes.

b)      Appréciation par le Tribunal de l’application des critères prétoriens pertinents

307. Je vais tout d’abord examiner l’appréciation que le Tribunal a portée sur la mise en œuvre dans l’EEE des restrictions non déguisées et des rabais d’exclusivité résultant des accords Lenovo.

i)      Mise en œuvre

308. Dans l’arrêt attaqué (194), le Tribunal a retenu que les accords Lenovo étaient destinés à être mis en œuvre par Lenovo partout dans le monde, y compris dans l’EEE. En raison de ces accords, Intel ne pouvait pas prétendre n’avoir aucune influence sur l’usage de ses CPU par Lenovo. Intel savait également que Lenovo était présente sur le marché intérieur et qu’elle y commercialisait des ordinateurs portables.

309. Je suis d’avis que ce raisonnement est juridiquement erroné. Si la Commission avait conclu à une violation de l’article 101 TFUE commise conjointement par Intel et Lenovo, le Tribunal aurait pu à bon droit examiner si leurs accords étaient destinés à être mis en œuvre dans l’EEE par l’une des parties. La décision contestée se rapporte toutefois à un comportement que la Commission a poursuivi sur la base de l’article 102 TFUE, c’est-à-dire à un comportement unilatéral d’Intel. C’est donc ce comportement unilatéral, l’abus allégué, qui doit faire l’objet d’une mise en œuvre dans l’EEE.

310. Or, le Tribunal n’évoque nulle part dans l’arrêt attaqué les mesures engagées ou accomplies par Intel sur le territoire de l’EEE afin de mettre en œuvre les conventions arrêtées dans les accords Lenovo. Cela n’a rien d’étonnant, car ces accords passés par une société établie aux États-Unis et une autre ayant son siège en Chine portaient sur des ventes de CPU fabriqués et commercialisés en dehors du territoire de l’Union, en vue de leur montage sur des ordinateurs fabriqués en Chine. Ces accords limitaient seulement les possibilités d’AMD, autre société établie aux États-Unis, de vendre des CPU sur le marché chinois.

311. Au lieu de se concentrer sur une éventuelle mise en œuvre par Intel des accords Lenovo, le Tribunal a axé son examen sur le comportement d’un client sur un marché en aval, dans le but d’établir un élément de rattachement au territoire de l’EEE. La simple abstention de Lenovo de vendre pendant une certaine période un modèle d’ordinateur déterminé sur le marché mondial, incluant éventuellement l’EEE, a représenté pour le Tribunal un exemple de mise en œuvre des abus commis par Intel.

312. Un tel raisonnement n’emporte pas la conviction. En corrélant la mise en œuvre des pratiques en cause au comportement du client de l’entreprise à laquelle est reprochée une violation de l’article 102 TFUE, la quasi-totalité des comportements, aussi éloignés que puissent être leurs liens avec le territoire de l’Union, pourraient être considérés comme relevant de la compétence de la Commission sur le fondement du critère de la mise en œuvre. Les autres éléments pris en considération par le Tribunal n’emportent pas davantage l’adhésion. En premier lieu, le seul pouvoir d’Intel d’influencer l’usage de ses CPU par Lenovo ne me paraît pas avoir la moindre incidence à cet égard. Si Lenovo avait entretenu certains liens sociaux ou structurels avec Intel, la conclusion aurait pu être différente. En second lieu, peu importe également, selon moi, qu’Intel avait connaissance de la présence de Lenovo sur le marché intérieur et qu’elle y commercialisait des ordinateurs portables. Je dois souligner une fois de plus que le comportement illégal est constitué non pas par la vente d’ordinateurs portables, mais par l’exclusion d’AMD du marché des CPU. La seule connaissance de la présence d’un client dans l’EEE ne peut être tenue pour un exemple de mise en œuvre d’abus sur un marché en amont.

313. Au vu des éléments exposés dans l’arrêt attaqué, je ne suis donc pas convaincu que l’abus présumé d’Intel puisse être considéré comme ayant été mis en œuvre dans l’EEE au sens de l’arrêt Pâte de bois. Aucun élément du comportement en cause ne pouvait, à mes yeux, être considéré comme ayant été mis en œuvre, réalisé ou concrétisé dans le marché intérieur.

314. Cela n’exclut pas toutefois que le comportement d’Intel ait pu produire des effets anticoncurrentiels dans le marché intérieur appréhendés par l’article 102 TFUE. Je vais donc examiner à présent l’appréciation par le Tribunal des effets de l’abus allégué d’Intel dans l’EEE.

ii)    Effets « qualifiés »

315. Dans l’arrêt attaqué (195), le Tribunal a tout d’abord exposé que le critère applicable consistait à déterminer si le comportement d’Intel pouvait produire des effets immédiats, substantiels et prévisibles dans le marché intérieur. Cela n’implique pas, selon lui, que l’effet sur le marché doit être réel, mais seulement qu’il soit suffisamment probable que le comportement en cause soit susceptible d’y exercer une influence sensible et non négligeable. Le Tribunal a ensuite examiné séparément les effets des deux types de comportement.

316. S’agissant des restrictions non déguisées, le Tribunal a relevé que les chiffres de ventes projetés dans l’ensemble de la région EMOA au titre du quatrième trimestre de l’année 2006 pour les deux modèles d’ordinateur portable concernés par le report du lancement étaient de 5 400 et de 4 250 unités. Le Tribunal a ajouté que l’EEE constitue une partie importante de cette région. Dès lors qu’Intel n’a produit aucune preuve à l’appui de son allégation selon laquelle il était possible que tous ces ordinateurs aient été destinés à des zones situées en dehors de l’EEE, le Tribunal a estimé que les effets dans l’EEE étaient à tout le moins potentiels. Il a par la suite admis que le nombre d’unités concernées dans la région EMOA était modeste, mais a ajouté que le comportement d’Intel faisait partie d’une infraction unique et continue (196). Il a également considéré que le comportement d’Intel visait à produire un effet immédiat dans l’EEE (où, pendant quelque temps, un modèle d’ordinateur équipé de CPU AMD n’était pas disponible) et direct (le comportement d’Intel affectait directement les ventes d’ordinateurs par Lenovo) (197).

317. Quant aux rabais d’exclusivité, le Tribunal a qualifié leurs effets d’« immédiats », au motif qu’aucun ordinateur portable de Lenovo équipé d’un CPU x86 d’un concurrent d’Intel n’était disponible où que ce soit dans le monde, y compris dans l’EEE. Le Tribunal a ajouté par la suite que l’effet anticoncurrentiel était prévisible et même envisagé par Intel. Quant au caractère substantiel de l’effet, le Tribunal a indiqué que les rabais d’exclusivité faisaient partie d’une infraction unique et continue (198).

318. Le raisonnement tenu par le Tribunal à cet égard n’est pas seulement sommaire. Il est surtout entaché d’une erreur de droit.

319. Pour les deux types de comportement, le seul argument avancé par le Tribunal à propos du caractère substantiel de l’effet dans le marché intérieur consiste à considérer qu’ils faisaient partie d’une infraction unique et continue. Cependant, comme expliqué aux points 179 et suivants des présentes conclusions, la notion d’« infraction unique et continue » n’est qu’une règle procédurale visant à alléger la charge de la preuve des autorités de la concurrence. Cette notion n’étend pas et ne peut étendre la portée des interdictions édictées par les traités.

320. Or, c’est précisément ce qu’a fait le Tribunal dans l’arrêt attaqué. Au lieu d’examiner si les rabais d’exclusivité et les restrictions non déguisées étaient, respectivement, susceptibles de produire un effet anticoncurrentiel sensible dans le marché intérieur, ce qui aurait déclenché l’application de l’article 102 TFUE, le Tribunal s’est limité à lier ces pratiques avec un comportement survenu dans l’Union en une infraction unique et continue, dont il a qualifié l’effet de « substantiel ». Par conséquent, deux types distincts d’un comportement étranger qui auraient pu, en principe, être soustraits l’un et l’autre au champ d’application de l’article 102 TFUE ont été subitement appréhendés par cette disposition, parce qu’ils ont été examinés conjointement à un autre comportement en tant que composantes d’un plan global visant à restreindre la concurrence.

321. Si le Tribunal avait convenablement appliqué le critère des effets « qualifiés » (en vérifiant si chacun des types de comportement incriminé relevait de la compétence de la Commission), son analyse aurait très bien pu aboutir à un résultat différent. À titre d’exemple, le Tribunal a lui-même relevé que le nombre d’ordinateurs concernés par les restrictions non déguisées était « modeste » et qu’il n’était pas clairement établi s’ils étaient en totalité ou en partie censés être commercialisés dans l’EEE. Je dois aussi signaler, à propos de ce dernier élément, une autre erreur de droit commise par le Tribunal : c’est à la Commission qu’il incombe d’établir que les effets d’un comportement incriminé au sein du marché intérieur peuvent présenter un caractère sensible. Il ressort en effet d’une jurisprudence constante qu’il incombe à la Commission d’établir que toutes les conditions requises pour l’application des articles 101 et 102 TFUE sont remplies dans un cas d’espèce donné (199). C’est donc à tort que le Tribunal a exigé d’Intel la réfutation de l’hypothèse, posée par la Commission, de la commercialisation dans l’EEE d’ordinateurs destinés à une région beaucoup plus vaste.

322. Les accords Lenovo produisaient assurément un effet immédiat et direct si l’on entend par ces termes que ces accords exerçaient une influence sur le comportement de Lenovo concernant l’achat de CPU et de la commercialisation subséquente d’ordinateurs portables nécessitant le montage d’un CPU x86. Toutefois, la question fondamentale en l’occurrence consiste à savoir si les effets anticoncurrentiels résultant de ces accords étaient immédiats et directs dans l’EEE. En d’autres termes, le Tribunal aurait dû vérifier si ces accords réduisaient immédiatement ou directement la capacité des rivaux d’Intel à concurrencer ses CPU X86 dans le marché intérieur. Or, le Tribunal n’a absolument pas examiné cet aspect, mais a simplement affirmé que ces accords avaient une incidence sur les choix commerciaux de Lenovo. Il s’agit là d’une propriété sans doute inhérente à tout accord commercial.

323. Le Tribunal a appliqué le même raisonnement erroné au regard de la prévisibilité des effets produits par les accords Lenovo. Il a, une fois de plus, concentré son attention sur l’effet que ces accords produisaient (ou étaient destinés à produire) sur les choix commerciaux de Lenovo. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’examine pas la prévisibilité de l’effet anticoncurrentiel que ces accords étaient (probablement) censés produire dans le marché intérieur.

324. Au vu des éléments auxquels se réfère l’arrêt attaqué, tout effet anticoncurrentiel pouvant résulter des accords Lenovo, loin d’être immédiat, substantiel et prévisible, apparaît plutôt hypothétique, spéculatif et non étayé. Cela ne signifie toutefois pas que les accords Lenovo ne produisaient pas ou ne pouvaient pas produire un effet « qualifié » de cette nature dans le marché intérieur.

325. D’une part, on peut légitimement douter que, par exemple, un comportement ayant affecté la commercialisation dans l’EEE de quelques milliers d’ordinateurs, représentant un pourcentage extrêmement limité du marché mondial des CPU, au cours d’un laps de temps particulièrement court, puisse être considéré comme produisant un effet immédiat, substantiel et prévisible quelconque dans l’EEE. D’autre part, il n’est pas possible d’exclure que les accords Lenovo aient pu avoir une incidence sensible sur la capacité durable d’AMD à développer, produire et commercialiser des CPU sur le marché mondial, en ce compris l’EEE. De son point de vue, Intel peut indifféremment obtenir l’exclusion de son seul concurrent viable sur le marché des CPU en choisissant de cibler les clients exerçant leur activité dans l’EEE ou ailleurs. L’effet désiré reste le même.

326. Malheureusement, le Tribunal n’a procédé à aucune analyse de cette nature. Aucune réponse n’a donc été apportée à la question fondamentale de savoir si les accords Lenovo avaient la capacité de produire dans l’EEE un quelconque effet anticoncurrentiel immédiat, substantiel et prévisible. Or, une telle interrogation présentait une importance déterminante aux fins de statuer sur l’application de l’article 102 TFUE à l’abus réputé résulter de ces accords.

327. Au vu de ce qui précède, je conclus que le Tribunal a fait une application juridiquement erronée aussi bien du critère de la mise en œuvre que de celui des effets « qualifiés », aux fins de rejeter les arguments d’Intel (et d’ACT) alléguant l’incompétence de la Commission pour appliquer l’article 102 TFUE aux abus censés résulter des accords Lenovo. Par conséquent, le cinquième moyen devrait être accueilli.

G –    Sixième moyen : le montant de l’amende

1.      Principaux arguments des parties

328. Le sixième moyen vise à contester le montant de l’amende déterminé en première instance. Le moyen est divisé en deux branches. En premier lieu, Intel soutient que l’amende est disproportionnée, indépendamment de toute autre réduction du montant de l’amende éventuellement opérée en considération des erreurs de droit commises par le Tribunal. En second lieu, Intel avance que c’est à tort que le Tribunal a appliqué les lignes directrices de 2006 à un comportement qui leur était antérieur. Leur application rétroactive destinée à justifier une amende plus de 50 fois supérieure à celle prévue par les dispositions applicables à l’époque à laquelle l’essentiel du comportement incriminé s’est produit serait incompatible avec les principes fondamentaux du droit de l’Union. En particulier, la requérante remet en cause la conformité de cette démarche à l’article 7 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et à l’article 49 de la Charte.

329. La Commission conclut au rejet du moyen, qu’elle estime pour partie irrecevable et pour partie inopérant, ou, subsidiairement, dénué de fondement.

2.      Analyse

330. La requérante soulève le présent moyen du pourvoi à titre autonome en vue de l’annulation de l’arrêt attaqué. Elle reproche au Tribunal d’avoir méconnu le principe de proportionnalité et d’avoir fait une application erronée (rétroactive) des lignes directrices de 2006 lors de la détermination du montant de l’amende.

331. La première branche du sixième moyen traite du caractère (dis)proportionné de l’amende infligée à la requérante dans la décision contestée et confirmée par la suite par le Tribunal. La question qui se pose est la suivante : quels sont les paramètres permettant d’identifier convenablement la proportionnalité du montant d’une amende imposée par la Commission dans le cadre de ses procédures d’instruction ?

332. Nous ne sommes en aucun cas en présence d’une question dénuée d’intérêt. Par principe, elle touche au cœur même des pouvoirs reconnus à la Commission pour instruire et sanctionner les violations des règles de concurrence de l’Union. De plus, cette question a des conséquences sur les modalités d’exercice par les juridictions de l’Union de leur compétence de pleine juridiction en matière de fixation du montant des amendes.

333. Une réponse approfondie à cette question exigerait l’examen d’une large palette de questions délicates. Je pense, en particulier, à la relation réciproque entre la force de dissuasion des amendes et le montant de ces dernières, aux paramètres pertinents pour apprécier la proportionnalité de celles-ci et aux limites que l’article 49, paragraphe 3, de la Charte peut fixer concernant des amendes infligées aux entreprises ayant commis des infractions aux règles de concurrence de l’Union.

334. Cependant, le présent pourvoi ne se prête malheureusement pas à un tel débat. Abstraction faite de remarques isolées sur le caractère disproportionné de l’amende, par rapport, en particulier, aux amendes antérieurement infligées dans des affaires de rabais au titre de l’article 102 TFUE, la requérante n’explique pas dans quelle mesure l’appréciation du Tribunal méconnaît le principe de proportionnalité (200). Intel se borne à demander au Tribunal de déterminer lui‑même la sanction, éventuelle, proportionnée aux circonstances de l’espèce.

335. À cet égard, il est notoire qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation du montant des amendes infligées à celle du Tribunal. À titre exceptionnel, lorsque la Cour estime que le niveau de la sanction est non seulement inapproprié, mais également excessif, au point d’être disproportionné, elle peut retenir une erreur de droit commise par le Tribunal, en raison du caractère inapproprié du montant de l’amende (201). Le caractère d’amende record revêtu à l’époque par la sanction pécuniaire infligée par la Commission dans la décision contestée (1,06 milliard d’euros) ne suffit pas en lui‑même à la rendre inappropriée, ou même disproportionnée, comme semble le suggérer la requérante.

336. En réalité, les arguments avancés par la requérante quant à la proportionnalité de l’amende remettent en cause certaines constatations factuelles et, en particulier, l’appréciation des éléments de preuve effectuée en première instance (202). Contrairement aux autres moyens du pourvoi, les arguments de la requérante ne font pas aisément apparaître l’erreur de droit reprochée au Tribunal. Comme je l’ai déjà souligné, il n’appartient pas à la Cour de procéder à un nouvel examen des faits ou des preuves dans le cadre d’un pourvoi. La requérante n’a étayé en l’espèce aucune de ses allégations d’erreur manifeste d’appréciation des faits. Il ne ressort pas non plus manifestement des documents du dossier qu’ait été commise la dénaturation des éléments de preuve invoquée par Intel. En effet, pour relever du contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, la dénaturation prétendue doit apparaître sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits (203).

337. C’est pourquoi je considère, à l’instar de la Commission, que les arguments présentés par la requérante pour contester la proportionnalité de l’amende doivent être déclarés irrecevables.

338. La seconde branche du sixième moyen dénonce une application rétroactive des lignes directrices de 2006 à un comportement qui leur est pour partie antérieur. Il s’agit de savoir dans quelle mesure la Commission est liée par ses lignes directrices.

339. La jurisprudence de la Cour est dépourvue d’ambiguïté sur ce point et n’est d’aucun secours pour la requérante.

340. Selon une jurisprudence constante, la Commission n’est pas privée de la possibilité d’adapter (vers le haut) le montant des amendes, dans les limites indiquées dans le règlement no 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence de l’Union. En effet, l’application efficace des règles de concurrence de l’Union exige que la Commission puisse à tout moment adapter le montant des amendes aux besoins de cette politique (204). À cet égard, le principe de non-rétroactivité ne peut avoir une incidence sur le pouvoir d’appréciation reconnu à la Commission pour fixer le montant des amendes que si un tel changement n’était pas raisonnablement prévisible à l’époque où les infractions concernées ont été commises (205).

341. Point plus fondamental encore, la Cour a jugé que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu au prononcé d’une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans l’application d’une méthode spécifique de calcul du montant des amendes. Au contraire, ces entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’augmenter le montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. Cela vaut non seulement lorsque la Commission procède à une augmentation du montant des amendes en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, mais également si cette augmentation s’opère par l’application, à des cas d’espèce, de règles de conduite ayant une portée générale telles que les lignes directrices (206).

342. Ces principes m’amènent à considérer qu’aussi longtemps que l’amende infligée reste cantonnée dans les limites fixées par l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, la requérante ne peut utilement invoquer le principe de non‑rétroactivité pour contester le montant de l’amende qui lui a été infligée en vertu des lignes directrices de 2006. Il en est ainsi notamment parce que ces lignes directrices étaient déjà en vigueur lorsque le comportement incriminé a cessé. C’est, en effet, le règlement no 1/2003 qui définit, en tant que droit applicable, les limites du pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission pour sanctionner d’une amende la violation des règles de concurrence, et non les lignes directrices de 2006 qui précisent de façon plus détaillée les modalités d’exercice de ce pouvoir d’appréciation envisagées par la Commission.

343. Au vu de ce qui précède, la seconde branche du sixième moyen devrait être rejetée comme dénuée de fondement. Par voie de conséquence, il y aurait lieu de rejeter le sixième moyen.

VI – Conséquences de l’appréciation

344. Aux termes de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle‑même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

345. Ayant conclu à l’accueil des cinq premiers moyens du pourvoi, l’arrêt attaqué devrait par conséquent être annulé.

346. Eu égard à la nature des erreurs commises par le Tribunal, au regard des premier, deuxième, troisième et cinquième moyens du pourvoi, j’estime que la présente affaire n’est pas en état d’être jugée définitivement. En effet, une décision sur le fond (quant au point de savoir si les rabais et les paiements offerts par Intel constituent un abus de position dominante contraire à l’article 102 TFUE et si les accords Lenovo produisaient un quelconque effet anticoncurrentiel immédiat, substantiel et prévisible dans l’EEE) dépend d’une appréciation de l’ensemble des circonstances de l’affaire et, le cas échéant, de l’effet réel ou potentiel du comportement d’Intel sur la concurrence dans le marché intérieur. Cette question implique à son tour une appréciation des faits que le Tribunal est mieux placé pour effectuer.

347. S’agissant, par ailleurs, du quatrième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense de la requérante, il semblerait à première vue que la Cour dispose d’éléments suffisants pour prononcer l’annulation de la décision contestée. Néanmoins, les éléments factuels disponibles et les débats devant la Cour me conduisent à suggérer le renvoi au Tribunal également sur ce point. Plus précisément, les parties devraient avoir une occasion adéquate d’exposer leur point de vue sur les conséquences à tirer du vice de procédure en cause et, plus particulièrement, sur le point de savoir si la décision contestée devrait être annulée dans son intégralité (comme dans l’affaire Solvay (207)), ou dans la seule mesure où elle concerne le comportement d’Intel à l’égard de Dell.

348. Je propose donc à la Cour de renvoyer l’affaire au Tribunal aux fins de son réexamen.

VII – Conclusion

349. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 juin 2014, Intel/Commission (T‑286/09, EU:T:2014:547), est annulé.

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal.

3)      Les dépens sont réservés.


1      Langue originale : l’anglais.


2      T‑286/09, EU:T:2014:547, ci-après l’« arrêt attaqué ».


3      Voir résumé de la décision contestée publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2009, C 227, p. 13).


4      Arrêt du 13 février 1979, 85/76, ci-après l’« arrêt Hoffmann-La Roche », EU:C:1979:36.


5      Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).


6      Règlement de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).


7      Règlement du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 1962, 13, p. 204).


8      Données confidentielles occultées. Afin de garantir son anonymat, le nom de la personne concernée sera remplacé dans la suite des présentes conclusions, comme en première instance, par la lettre initiale du nom de l’entreprise pour laquelle elle travaille suivie d’un chiffre.


9      Ce test détermine le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait dû proposer ses CPU afin d’indemniser un OEM de la perte d’un rabais que lui aurait accordé Intel.


10      JO 2006, C 210, p. 2.


11      Voir arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige (C‑52/09, ci-après l’« arrêt TeliaSonera », EU:C:2011:83, point 22 et jurisprudence citée). Comme l’a relevé la Cour, les règles de concurrence de l’Union ont pour rôle d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs, contribuant ainsi au bien-être de l’Union.


12      Comme la Cour l’a relevé, l’article 102 TFUE n’est pas destiné à assurer que des concurrents moins efficaces que l’entreprise en position dominante restent sur le marché. Voir arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark (C‑209/10, ci-après l’« arrêt Post Danmark I », EU:C:2012:172, points 21 et 22).


13      Arrêt Post Danmark I, points 21 et 22.


14      Voir, au sujet des avantages présentés par le recours à une telle application simplifiée, mes conclusions dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, point 35).


15      Points 76 et 77 de l’arrêt attaqué. Voir également arrêt Hoffmann‑La Roche, point 89).


16      Points 75 et 78 de l’arrêt attaqué.


17      Points 78 et 82 de l’arrêt attaqué.


18      Points 76 et 77 de l’arrêt attaqué.


19      Point 76 de l’arrêt attaqué.


20      Point 99 de l’arrêt attaqué.


21      Points 172 à 197 de l’arrêt attaqué.


22      Voir exposé plus détaillé aux points 110 et suiv. des présentes conclusions.


23      Points 74 à 78 de l’arrêt attaqué.


24      Point 79 de l’arrêt attaqué.


25      Point 171 de l’arrêt attaqué.


26      Arrêt Hoffman-La Roche, points 89 et 90.


27      Point 81 de l’arrêt attaqué.


28      Voir arrêt du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission (322/81, ci-après l’« arrêt Michelin I », EU:C:1983:313, point 57) ; voir également arrêts du 2 avril 2009, France Télécom/Commission (C‑202/07 P, EU:C:2009:214, point 105) ; du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission (C‑280/08 P, ci-après l’« arrêt Deutsche Telecom », EU:C:2010:603, point 176), et TeliaSonera, point 24.


29      Arrêt Michelin I, points 66 à 71, concernant des ristournes liées à des objectifs de ventes.


30      Arrêt du 15 mars 2007, British Airways/Commission C‑95/04 P, ci-après l’« arrêt British Airways », EU:C:2007:166, point 52, concernant des primes calculées sur la totalité des ventes.


31      Arrêt du 19 avril 2012, C-549/10 P, ci-après l’« arrêt Tomra », EU:C:2012:221, point 75, concernant les rabais pertinents en instance de pourvoi.


32      Arrêt Hoffmann-La Roche, points 92 à 100.


33      Voir arrêt Hoffmann-La Roche, point 90. Voir également arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission (T‑203/01, ci-après l’« arrêt Michelin II », EU:T:2003:250, point 58). Dans cette dernière affaire, le Tribunal a relativisé la présomption de légalité en l’estimant inapplicable lorsque les rabais de quantité ont un effet de fidélisation.


34      Selon une définition concevable, les rabais de fidélité sont subordonnés à la condition que le client effectue une partie importante ou croissante de ses achats auprès du « discounter ». Ces rabais sont applicables lorsque le client dépasse un objectif de ventes précis au cours d’une période déterminée. L’objectif peut être lié à la progression des achats ou à l’exclusivité d’achat (ou à un certain pourcentage de ces achats) auprès d’un fournisseur ou aux achats excédant un certain seuil établi en fonction des besoins du client. En d’autres termes, un rabais de fidélité est une remise accordée par un fournisseur à un client à titre de rétribution de sa fidélité à son égard. Voir OECD Policy Roundtables, Fidelity and Bundled Rebates and Discounts [Tables rondes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la politique de la concurrence, Remises et rabais de fidélité], DAF/COMP(2008)29, 2008, p. 97, disponible à l’adresse Internet suivante : www.oecd.org/competition/abuse/41772877.pdf.


35      Points 80 et 81 de l’arrêt attaqué.


36      Arrêt Hoffmann-La Roche, point 97.


37      Arrêt Hoffmann-La Roche, point 90.


38      Arrêt Hoffmann-La Roche, point 89.


39      Arrêt Hoffmann-La Roche, point 89.


40      Voir arrêt Hoffmann-La Roche, points 92 et suiv.


41      Voir, en particulier, points 82 et 83 de l’arrêt attaqué.


42      Voir arrêt Michelin I, point 73.


43      Voir, en particulier, arrêts British Airways, point 67, et Tomra, point 71.


44      Voir deux autres précédents isolés : arrêts du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, EU:C:1991:286, point 149), ainsi que du 27 avril 1994, Almelo (C‑393/92, EU:C:1994:171, point 44). Il importe toutefois de relever que le traitement réservé par la Cour à l’obligation d’approvisionnement exclusif en cause dans l’affaire AKZO/Commission devrait être replacé dans le contexte des multiples pratiques abusives d’AKZO. De même, l’affirmation péremptoire de la Cour dans l’affaire Almelo constituait une réponse à un renvoi préjudiciel et était manifestement cantonnée aux faits de l’espèce.


45      Voir plus en détail aux points 109 et suiv. des présentes conclusions mes développements sur le niveau de probabilité requis pour pouvoir conclure qu’un certain type de comportement est constitutif d’abus.


46      Point 81 de l’arrêt attaqué.


47      Arrêt Hoffmann-La Roche, point 82.


48      Arrêt Hoffmann-La Roche, point 90.


49      Points 82 à 84 de l’arrêt attaqué.


50      Voir arrêts Michelin I (point 73) ; British Airways (point 67), ainsi que du 19 avril 2012, Tomra e.a./Commission (C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 71). Voir également arrêt du 9 septembre 2010, Tomra Systems e.a./Commission (T‑155/06, EU:T:2010:370, point 215).


51      Arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark (C‑23/14, ci-après l’« arrêt Post Danmark II », EU:C:2015:651, point 68).


52      Voir points 168 et suiv. des présentes conclusions.


53      Voir, en ce sens, arrêt Post Danmark I, point 44.


54      Voir arrêt Hoffmann-La Roche, point 90. Voir également arrêt Michelin II, point 58.


55      Points 92 et 93 de l’arrêt attaqué. Cette sous-catégorie de rabais de fidélité a reçu le qualificatif d’« options d’exclusivité », qui opèrent par effet de levier. Voir Petit, N., « Intel, Leveraging Rebates and the Goals of Article 102 TFEU », European Competition Journal, vol. 11, no 1, 2015, p. 26 à 28.


56      Voir point 94 de l’arrêt attaqué.


57      Voir point 89 de l’arrêt attaqué.


58      Voir arrêt Hoffmann-La Roche, point 89.


59      Voir affirmation émise au point 81 de l’arrêt attaqué.


60      Voir point 89 de l’arrêt attaqué.


61      Point 81 de l’arrêt attaqué.


62      Voir arrêts British Airways, points 85 et 86 ainsi que jurisprudence citée, et Post Danmark I, points 40 et 41 ainsi que jurisprudence citée. Voir également arrêt Hoffmann-La Roche, point 90. La Cour y a relevé qu’une entreprise pouvait également justifier le recours à des rabais lorsque, dans des circonstances exceptionnelles, un accord entre entreprises relève de la dérogation prévue par l’article 101, paragraphe 3, TFUE.


63      Points 89 à 94 de l’arrêt attaqué.


64      OECD Policy Roundtables, op. cit., p. 9 et 21. Voir également communication de la Commission ‑ Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article [102 TFUE] aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes (JO 2009, C 45, p. 7), point 37, relatif aux rabais conditionnels. La Commission y relève que les entreprises peuvent offrir ces rabais pour attirer la clientèle, et ceux-ci peuvent, en tant que tels, stimuler la demande et être profitables aux consommateurs. Voir également Neven, D., « A structured assessment of rebates contingent on exclusivity », Competition Law & Policy Debate, vol. 1, no 1, 2015, p. 86.


65      OECD Policy Roundtables, op. cit., p. 9.


66      Arrêt Hoffmann-La Roche, point 89.


67      Arrêt Tomra, point 70.


68      Voir arrêt Michelin I, point 72.


69      Voir arrêt British Airways, point 75.


70      Voir, notamment, Neven, D., op. cit., p. 39. L’éviction de la concurrence dépend, notamment, des ventes non disputables, de la puissance des incitations produites par la condition d’exclusivité sur les ventes non disputables, du degré de concurrence entre les acheteurs, de l’importance des économies d’échelle et du point de savoir si les rabais s’adressent à des acheteurs qui sont en concurrence avec des sociétés s’approvisionnant auprès d’entreprises rivales.


71      Point 97 de l’arrêt attaqué.


72      Points 70 et 71 de l’arrêt Tomra, où la Cour renvoie aux points 71 et 73 de l’arrêt Michelin I.


73      Voir arrêt Hoffmann-La Roche, point 97.


74      Arrêt Post Danmark II, point 68.


75      Voir arrêts Deutsche Telekom, point 175 ; TeliaSonera, point 76, et Post Danmark I, point 26.


76      Point 99 de l’arrêt attaqué.


77      Point 93 de l’arrêt attaqué.


78      Voir DG Competition discussion paper on the application of Article [102 TFUE] to exclusionary abuses (Document de réflexion de la Direction générale de la concurrence sur l’application de l’article [102 TFUE] aux abus d’exclusion), 2005, p. 23, document disponible à l’adresse Internet suivante : http://ec.europa.eu/competition/antitrust/art82/discpaper2005.pdf. Voir également OECD Policy roundtables, op. cit., p. 26. Dans ce document également, les rabais sont considérés comme une forme de pratique tarifaire.


79      Arrêt Post Danmark II, point 55 et jurisprudence citée, relatif au test AEC.


80      Arrêt Post Danmark II, points 27 à 29.


81      Arrêt Post Danmark II, points 23 à 25.


82      Arrêt Post Danmark I, point 26.


83      Arrêt Post Danmark II, point 68.


84      Point 177 de l’arrêt attaqué. En effet, dans le cas contraire, les autorités de la concurrence ne pourraient intervenir qu’après que l’abus soupçonné ait produit un effet d’éviction de la concurrence.


85      Voir arrêt Post Danmark II, points 68 et 69 ainsi que jurisprudence citée. Voir, par ailleurs, arrêt Tomra point 68, où la Cour relève que pour établir un abus de position dominante, il suffit de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou que le comportement est de nature à ou susceptible d’avoir un tel effet.


86      Voir, récemment, arrêts Post Danmark I, point 44 et Post Danmark II, point 69.


87      Voir, toutefois, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Post Danmark (C‑23/14, EU:C:2015:343, point 82).


88      Voir arrêt Michelin I, point 73. Voir également arrêt Post Danmark II, point 29 et jurisprudence citée.


89      Points 178 à 184 de l’arrêt attaqué.


90      Point 180 de l’arrêt attaqué.


91      Point 181 de l’arrêt attaqué.


92      Voir arrêt du 23 octobre 2003, T‑65/98, ci-après l’« arrêt Van den Bergh Foods »), EU:T:2003:281.


93      Arrêt Tomra, point 34.


94      Le Tribunal relève en outre à propos de la part de marché de Dell que les rabais qui lui étaient offerts avaient verrouillé entre 14,58 et 16,34 % du marché, pourcentage qu’il a également qualifié de « significatif » (voir points 190 et 191 de l’arrêt attaqué).


95      Point 194 de l’arrêt attaqué.


96      Points 121 et 122 de l’arrêt attaqué.


97      Voir arrêt du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission (T‑65/98, EU:T:2003:281, point 98).


98      Document de réflexion de la Commission sur l’application de l’article [102 TFUE], cité à la note 78, p. 18, 19 et 41.


99      Arrêt Tomra, point 46.


100      Le Tribunal a relevé que la Commission était fondée à conclure qu’en raison de l’attention portée aux entreprises revêtant une importance stratégique particulière pour l’accès au marché, les rabais et les paiements s’adressaient aux grands OEM et à un distributeur de taille majeure (points 182 et 183 de l’arrêt attaqué). Voir également, à propos de MSH, points 1507 à 1511 de l’arrêt attaqué.


101      Point 178 de l’arrêt attaqué.


102      Points 112, 113 et 195 de l’arrêt attaqué.


103      Point 195 de l’arrêt attaqué.


104      Point 186 de l’arrêt attaqué.


105      Points 93 et 150 de l’arrêt attaqué.


106      Points 143, 144 et 152 de l’arrêt attaqué.


107      Voir arrêt Post Danmark II, points 55 à 58.


108      Voir arrêt Post Danmark II, point 57 et jurisprudence citée.


109      Voir arrêt Tomra, points 73 à 80.


110      Points 192 et 193 de l’arrêt attaqué.


111      Points 193, 1561 et 1562 de l’arrêt attaqué.


112      Voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 41 et jurisprudence citée).


113      Voir arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 72 et jurisprudence citée). Voir également arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, ci-après l’« arrêt Aalborg », EU:C:2004:6, point 260).


114      Voir, notamment, arrêt Aalborg, point 260.


115      Voir, pour une application de cette notion en matière de compétence, points 319 et suiv. des présentes conclusions.


116      Point 193 de l’arrêt attaqué.


117      Points 134 et 137 de l’arrêt attaqué.


118      Arrêts Hoffmann-La Roche, point 89, ainsi que Tomra point 70.


119      Voir en particulier points 126, 129 de l’arrêt attaqué concernant HP et 137 de l’arrêt attaqué concernant Lenovo.


120      Voir, en particulier, points 132 et 133 de l’arrêt attaqué.


121      Arrêt Tomra point 42.


122      Considérant 831 de la décision contestée. Voir également point 133 de l’arrêt attaqué.


123      Point 133 de l’arrêt attaqué.


124      Voir, sur ce point, point 611 de l’arrêt attaqué.


125      Point 612 de l’arrêt attaqué.


126      Points 614 et 615 de l’arrêt attaqué.


127      Points 601 et 606 de l’arrêt attaqué.


128      Point 617 de l’arrêt attaqué.


129      Voir point 621 de l’arrêt attaqué. Voir également, à propos des sujets abordés au cours de l’entretien litigieux, point 636 de l’arrêt attaqué.


130      Voir également point 617 de l’arrêt attaqué.


131      Point 621 de l’arrêt attaqué.


132      Point 622 de l’arrêt attaqué.


133      Points 635 et 636 de l’arrêt attaqué.


134      Point 664 de l’arrêt attaqué.


135      Voir, notamment, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, ci-après l’« arrêt Dansk Rørindustri », EU:C:2005:408, point 148 ainsi que jurisprudence citée).


136      Voir arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑109/10 P, ci-après l’« arrêt Solvay », EU:C:2011:686).


137      Arrêt Solvay, points 57 à 62.


138      Point 630 de l’arrêt attaqué.


139      Voir, en particulier, arrêt Aalborg, point 133.


140      Point 629 de l’arrêt attaqué.


141      Arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, ci-après l’« arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij », EU:C:2002:582, point 318 et jurisprudence citée). Voir également arrêt Aalborg, point 75.


142      Voir arrêt du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission (C‑194/99 P, EU:C:2003:527, point 31 et jurisprudence citée).


143      Voir arrêt Aalborg, point 133. Voir également arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission (C‑407/08 P, ci-après l’« arrêt Knauf Gips », EU:C:2010:389, points 23 et 24 ainsi que jurisprudence citée).


144      Arrêt Solvay, points 62 et 64.


145      Voir notamment points 631, 644, 658 et 660 de l’arrêt attaqué.


146      Voir, en particulier, points 646 et 658 de l’arrêt attaqué.


147      Points 632 à 660 de l’arrêt attaqué.


148      Voir arrêt Solvay, point 59.


149      Point 191 des conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:256).


150      Points 632 et suiv. de l’arrêt attaqué.


151      Voir, pour une opinion critique, mes conclusions dans l’affaire SKW Stahl-Metallurgie et SKW Stahl-Metallurgie Holding/Commission (C‑154/14 P, EU:C:2015:543, points 76 à 77).


152      Arrêts Limburgse Vinyl Maatschappij, points 318 et 324 ; Aalborg, points 74, 75 et 131, ainsi que Knauf Gips, points 23 et 24.


153      Conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:256, point 193).


154      Voir, à cet égard, points 572 à 575 de l’arrêt attaqué.


155      Voir, en particulier, points 651 à 653 de l’arrêt attaqué.


156      Voir, pour une discussion sur les preuves documentaires directes dans les affaires d’ententes, Guerrin, M., et Kyriazis, G., « Cartels : Proof and Procedural Issues », Fordham International Law Journal, volume 16, no 2, 1992, p. 266 à 341 (et plus particulièrement p. 299 à 301).


157      Voir, notamment, arrêt du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission (48/69, ci‑après l’« arrêt ICI », EU:C:1972:70, points 65 à 68), ainsi que, concernant l’utilisation à des fins probatoires de la correspondance échangée entre des tiers, arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, EU:C:1975:174, points 164 et 165).


158      Voir, notamment, arrêt Aalborg Portland, point 158, où la Cour renvoie à l’arrêt frappé de pourvoi dans cette affaire. Voir également arrêt du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission (T‑213/00, EU:T:2003:76, points 136 et suiv.).


159      Voir, notamment, arrêt Aalborg, point 133, où la Cour pose explicitement cette règle en des termes clairs.


160      Pour établir la conditionnalité des rabais en cause dans la décision contestée, la Commission avait invoqué certains documents internes d’Intel, à savoir des présentations et des courriels (considérants 238 à 242 de la décision contestée), la réponse de Dell au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003 (considérants 233 et 234 de la décision contestée) ainsi que certains documents internes de Dell, soit des présentations internes et des courriels (en particulier considérants 222 à 227, 229 et 231 de la décision contestée). Voir également points 444 à 515 de l’arrêt attaqué.


161      Voir, s’agissant de Dell, point 440 de l’arrêt attaqué.


162      Considérant 950 de la décision contestée et points 504 à 514 de l’arrêt attaqué.


163      Voir, en particulier, considérants 221 et 323 de la décision contestée.


164      Arrêt du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission (C‑194/99 P, EU:C:2003:527, point 31 et jurisprudence citée).


165      Considérant 560 de la décision contestée.


166      Considérant 561 de la décision contestée.


167      Voir arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, ci-après l’« arrêt Pâte de bois », EU:C:1988:447).


168      Voir, notamment, arrêt du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation (C‑286/90, ci-après l’« arrêt Poulsen », EU:C:1992:453, point 9).


169      Voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission (C‑308/04 P, EU:C:2006:433, point 34).


170      Voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1972, Geigy/Commission (52/69, EU:C:1972:73, point 11).


171      Je renvoie, notamment, au règlement (CE) no 2271/96 du Conseil, du 22 novembre 1996, portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant (JO 1996, L 309, p. 1), en particulier, à ses troisième et quatrième considérants.


172      Voir, notamment, arrêts Poulsen, point 28 ; du 29 juin 1994, Aldewereld (C‑60/93, EU:C:1994:271, point 14) ; du 9 novembre 2000, Ingmar (C‑381/98, EU:C:2000:605, point 25) ; du 24 juin 2008, Commune de Mesquer (C‑188/07, EU:C:2008:359, points 60 à 63) ; du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, ci‑après l’« arrêt ATAA », point 125), ainsi que du 13 mai 2014, Google Spain et Google (C‑131/12, EU:C:2014:317, points 54 et 55). Voir également arrêt du 23 avril 2015, Zuchtvieh-Export (C‑424/13, EU:C:2015:259, point 56).


173      Conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:637, points 148 et 149).


174      Points 231 à 236 et 244 de l’arrêt attaqué.


175      Points 296 et 310 de l’arrêt attaqué.


176      Je n’examinerai pas dans les présentes conclusions la compétence des juridictions de l’Union pour statuer sur les cas d’application de ses règles de compétence à l’initiative de particuliers ni la compétence du législateur de l’Union pour légiférer en matière de concurrence.


177      Voir, en ce sens, arrêt Pâte de bois, points 16 et 18.


178      Je relève que la Cour a entériné ce raisonnement dans un certain nombre d’affaires où certains justiciables privés contestaient l’applicabilité des règles pertinentes de l’Union en excipant de leur effet extraterritorial présumé (voir arrêts Poulsen ; ATAA, ainsi que du 13 mai 2014, Google Spain et Google, C‑131/12, EU:C:2014:317).


179      Arrêt Pâte de bois, points 12 à 18.


180      Mon opinion sur cette question diffère ainsi de celle adoptée par l’avocat général Wathelet dans ses conclusions dans l’affaire InnoLux/Commission (C‑231/14 P, EU:C:2015:292, point 46).


181      Voir Lowe, V., et Staker, C., « Jurisdiction », dans Evans, M. D. (éd.), International Law, 3e éd., Oxford University Press, 2010, p. 322 et 323.


182      Voir, en particulier, en faveur du fondement de la compétence sur les effets, points 693 et suiv. des conclusions de l’avocat général Mayras dans l’affaire Imperial Chemical Imperial/Commission (48/69, EU:C:1972:32) ainsi que points 19 et suiv. des conclusions de l’avocat général Darmon dans les affaires jointes Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:258). Voir, dans le même ordre d’idées, points 49 et suiv. des conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Innolux (C‑231/14 P, EU:C:2015:292).


183      Les parties ont longuement débattu de la question de savoir si la Cour, dans le récent arrêt du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission (C‑231/14 P, EU:C:2015:451), a conforté, ne fût-ce qu’implicitement, cette conception. Je crois cependant comprendre que la Cour a décidé de ne pas traiter la question de la compétence, qu’elle a estimée sans pertinence aux fins de la résolution du litige (voir points 71 à 73 de l’arrêt).


184      Cette question est en effet discutée dans la doctrine juridique : voir, notamment, International Bar Association, Report of the Task Force on Extraterritorial Jurisdiction, 2009, p. 12 et 13.


185      Voir OECD Revised recommendation of the Council Concerning Cooperation between Member countries on Anticompetitive Practices affecting International Trade (Recommandation révisée du Conseil de l’OCDE concernant la coopération entre les pays membres sur les pratiques anticoncurrentielles affectant le commerce international), 1995, disponible à l’adresse Internet suivante : www.oecd.org/daf/competition/21570317.pdf. Voir également points 19 à 31 des conclusions de l’avocat général Darmon dans les affaires jointes Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988: 258) ainsi qu’arrêt du 25 mars 1999, Gencor/Commission (T‑102/96, EU:T:1999:65, point 90).


186      Voir, notamment, International Bar Association, op. cit., p. 39 à 77.


187      Voir, notamment, Wagner-von Papp, F., « Competition Law, Extraterritoriality and Bilateral Agreements », Research handbook on International Competition Law, Ezrachi, A. (éd.), Edward Elgar Publishing, 2012, p. 41 et références citées.


188      Voir, pour un aperçu de ces dispositions et une appréciation critique, Scott, J., « The New EU “Extraterritoriality” », Common Market Law Review, vol. 51, no 5, Wolters Kluwer Law and Business, 2014, p. 1343 à 1380.


189      Point 243 de l’arrêt attaqué.


190      U.S.Code, titre 15, chapitre 1, § 6a.


191      Arrêt de la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) dans l’affaire F. Hoffman‑La Roche Ltd v. Empagram S.A., 124 S. Ct. 2359 (2004).


192      Voilà précisément la raison pour laquelle les institutions de l’Union ont conclu des accords avec les autorités de plusieurs pays tiers, dans le but d’établir des modalités de coopération dans le domaine du droit de la concurrence. Ainsi, pas moins de deux accords de cette nature ont été conclus avec le gouvernement des États-Unis. Il est intéressant de constater qu’ils traitent tous deux de la question de la compétence. Voir, pour le texte de ces accords et d’autres références, adresse Internet suivante : http://ec.europa.eu/competition/international/bilateral.


193      Voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission (C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 72).


194      Points 310 à 314.


195      Points 250 à 258 et 283 à 297.


196      Point 290 de l’arrêt attaqué.


197      Points 277 et 278 de l’arrêt attaqué.


198      Points 293 à 295 de l’arrêt attaqué.


199      Voir article 2 du règlement no 1/2003.


200      Il ne faut pas oublier à cet égard que la pratique décisionnelle de la Commission ne sert généralement pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, la Commission disposant dans le domaine de la fixation du montant des amendes d’un large pouvoir d’appréciation et celle-ci n’étant pas liée par les appréciations qu’elle a portées antérieurement. Voir, notamment, arrêt du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission (C‑510/06 P, EU:C:2009:166, point 82 et jurisprudence citée).


201      Voir, notamment, arrêts du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission (C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 205 et jurisprudence citée), ainsi que du 4 septembre 2014, YKK e.a./Commission (C‑408/12 P, EU:C:2014:2153, point 29 et jurisprudence citée). Voir également arrêts du 29 avril 2004, British Sugar/Commission (C‑359/01 P, EU:C:2004:255, point 47 et jurisprudence citée), ainsi que du 19 décembre 2013, Koninklijke Wegenbouw Stevin/Commission (C‑586/12 P, non publié, EU:C:2013:863, point 33 et jurisprudence citée).


202      Dans ce contexte, la requérante fait état d’une liste d’éléments qui n’auraient pas été convenablement évalués dans l’arrêt attaqué. En outre, la requérante critique le traitement que le Tribunal a appliqué aux preuves relatives à la dissimulation, élément retenu au soutien de la majoration de l’amende.


203      Voir, notamment, arrêts du 6 avril 2006, General Motors/Commission (C‑551/03 P, EU:C:2006:229, points 51 à 53 et jurisprudence citée), ainsi que du 8 mars 2016, Grèce/Commission (C‑431/14 P, EU:C:2016:145, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).


204      Voir arrêt récent du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission (C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 75 ainsi que jurisprudence citée).


205      Voir arrêt Dansk Rørindustri, point 224.


206      Voir arrêt Dansk Rørindustri, points 228 à 231.


207      Arrêt Solvay, points 71 et 72.