Language of document : ECLI:EU:T:2017:432

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

26 juin 2017 (*)

« Référé – Droit institutionnel – Membre du Parlement européen – Privilèges et immunités –Levée de l’immunité parlementaire d’un membre du Parlement européen – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑26/17 R,

Jean-François Jalkh, demeurant à Gretz-Armainvillers (France), représenté initialement par Me J.-P. Le Moigne, puis par Me M. Ceccaldi, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mme M. Dean et M. S. Alonso de León, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant au sursis à l’exécution de la décision du Parlement du 22 novembre 2016 relative à la levée de l’immunité de M. Jalkh en vue de l’information judiciaire (n° 1422400530) ouverte devant le tribunal de grande instance de Paris (France),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        À la suite des élections européennes de mai 2016, le requérant, M. Jean-François Jalkh, a été élu membre du Parlement européen.

2        Le 22 novembre 2016, le Parlement a voté la levée de l’immunité du requérant en séance plénière en adoptant le texte suivant (ci-après la « décision attaquée ») :

« P8_TA(2016)0430

Demande de levée de l’immunité de Jean-François Jalkh

Décision du Parlement européen du 22 novembre 2016 sur la demande de levée de l’immunité de Jean-François Jalkh (2016/2107(IMM))

Le Parlement européen,

–        vu la demande de levée de l’immunité de Jean-François Jalkh, transmise en date du 14 avril 2016 par le ministre de la justice de la République française dans le cadre d’une information judiciaire (nº 1422400530) ouverte au tribunal de grande instance de Paris à l’encontre de Jean-François Jalkh, sur plainte avec constitution de partie civile de l’association “Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA)” pour provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence, et communiquée en séance plénière le 8 juin 2016,

–        ayant entendu Jean-François Jalkh, conformément à l’article 9, paragraphe 5, de son règlement,

–        vu les articles 8 et 9 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ainsi que l’article 6, paragraphe 2, de l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct du 20 septembre 1976,

–        vu les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne les 12 mai 1964, 10 juillet 1986, 15 et 21 octobre 2008, 19 mars 2010, 6 septembre 2011 et 17 janvier 2013 […],

–        vu l’article 26 de la Constitution de la République française, tel que modifié par la loi constitutionnelle nº 95-880 du 4 août 1995,

–        vu l’article 5, paragraphe 2, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 9 de son règlement,

–        vu le rapport de la commission des affaires juridiques (A8-0319/2016),

A.      considérant que le procureur de la cour d’appel de Paris a demandé la levée de l’immunité parlementaire de Jean-François Jalkh, député au Parlement européen, dans le cadre d’une action en justice concernant un délit allégué ;

B.      considérant que la levée de l’immunité de Jean-François Jalkh porte sur un délit allégué de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, délit prévu par la loi française, à savoir l’article 24, huitième alinéa, et l’article 23, premier alinéa, de la loi du 29 juillet 1881 ;

C.      considérant que le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) a déposé plainte le 12 août 2014 contre Jean-François Jalkh devant le doyen des juges d’instruction de Paris ;

D.      considérant que la plainte portait sur des déclarations faites par Jean-Marie Le Pen à l’occasion d’une interview diffusée sur le site internet www.frontnational.com, puis sur le blog www.jeanmarielepen.com le 6 juin 2014, au cours de laquelle il aurait tenu les propos suivants en réponse à l’évocation par une intervenante du nom du chanteur Patrick Bruel, qui avait indiqué qu’il ne se produirait pas dans les villes ayant élu un maire appartenant au Front national : “Ça ne m’étonne pas. Écoutez, on en fera une fournée la prochaine fois.” ; considérant que Jean-François Jalkh était le directeur des publications du site internet officiel du Front national ;

E.      considérant que l’article 9 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne dispose que les membres du Parlement européen bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur État ;

F.      considérant que l’article 26 de la Constitution française dispose qu’aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ;

G.      considérant que l’étendue de l’immunité accordée aux députés au Parlement français correspond en fait à celle accordée aux députés au Parlement européen par l’article 8 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ; considérant que la Cour de justice a soutenu que, pour être couverte par l’immunité, une opinion doit être émise par un député au Parlement européen dans l’exercice de ses fonctions, impliquant ainsi l’exigence d’un lien entre l’opinion exprimée et les fonctions parlementaires; que ce lien doit être direct et s’imposer avec évidence ;

H.      considérant que Jean-François Jalkh n’avait pas pris ses fonctions de député au Parlement européen lorsque les déclarations alléguées ont été prononcées, à savoir le 6 juin 2014, et qu’il n’a commencé à exercer son mandat que le 1er juillet 2014 ;

I.      considérant que les accusations portées ne sont pas, de toute évidence, liées à la fonction de député au Parlement européen de Jean-François Jalkh et se rapportent à des activités d’une nature purement nationale ou régionale, puisque les déclarations étaient liées aux élections municipales françaises des 23 et 30 mars 2014 et à sa position de directeur des publications du Front national chargé du contrôle éditorial de tous les sites internet de la fédération ;

J.      considérant que les actions alléguées ne concernent pas des opinions ou des votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions de député au Parlement européen au sens de l’article 8 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ;

K.      considérant que rien ne laisse soupçonner une quelconque tentative d’entraver le travail parlementaire de Jean-François Jalkh (fumus persecutionis) dans l’information judiciaire ouverte à la suite de la plainte déposée par l’association “Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA)” ;

1.      décide de lever l’immunité de Jean-François Jalkh ;

2.      charge son Président de transmettre immédiatement la présente décision et le rapport de sa commission compétente au ministre de la justice de la République française et à Jean-François Jalkh. »

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 janvier 2017, le requérant a introduit un recours tendant, en substance, à l’annulation de la décision attaquée et à la réparation du préjudice moral subi.

4        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 18 janvier 2017, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée ;

–        condamner le Parlement aux dépens et, plus particulièrement, à verser la somme de 5 000 euros au titre des dépens récupérables.

5        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 31 janvier 2017, le Parlement conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme non-fondée ;

–        réserver les dépens afférents à la présente procédure en référé ou, à titre subsidiaire, condamner le requérant à ceux-ci.

6        Par la suite, le requérant a déposé, le 10 février 2017, des observations sur les observations du Parlement du 31 janvier 2017. Le 13 mars 2017, le président du Tribunal a invité le requérant à produire l’annexe 10 B dans une version qui soit lisible et le Parlement à prendre position sur les observations du requérant du 10 février 2017.

7        Le 17 mars 2017, le Parlement a pris position, à la suite de l’invitation du président du Tribunal, sur les observations du requérant du 10 février 2017. Le 22 mars 2017, le requérant a produit l’annexe 10 B, à savoir la lettre de convocation en vue d’une comparution devant le juge d’instruction, dans une version lisible.

8        Le 6 avril 2017, le président du Tribunal a invité le requérant à indiquer s’il avait donné suite à la convocation en vue d’une comparution devant le juge d’instruction et, le cas échéant, quel en avait été le résultat et à décrire la suite éventuelle et les étapes de la procédure devant la juridiction française pouvant aboutir à la peine accessoire d’inéligibilité.

9        Il résulte notamment de la réponse du requérant du 19 avril 2017 que ce dernier s’est présenté le 22 février 2017 devant le juge d’instruction. Celui-ci lui a adressé le lendemain une lettre lui notifiant que son instruction lui paraissait terminée et que l’ordonnance de règlement pourrait être rendue.

10      Le 15 mai 2017, le président du Tribunal a invité le Parlement, notamment, à décrire l’évolution dans la pratique décisionnelle des critères retenus, en particulier lorsqu’il s’agit de déterminer si « les actes imputés aux députés européens s’inscrivent dans le cadre d’une activité politique. » Le Parlement a fourni sa réponse le 23 mai 2017.

 En droit

11      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

12      L’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

13      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

14      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

15      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

16      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

17      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union (voir, en ce sens, ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27).

18      Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

19      Par ailleurs, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».

20      Ainsi, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur cette demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir du texte même de ladite demande (voir ordonnance du 6 septembre 2016, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P‑R, non publiée, EU:C:2016:668, point 17 et jurisprudence citée).

21      En outre, compte tenu de la célérité qui caractérise, de par sa nature, la procédure de référé, il peut raisonnablement être exigé de la partie qui sollicite des mesures provisoires de présenter, sauf cas exceptionnels, dès le stade de l’introduction de sa demande, tous les éléments de preuve disponibles à l’appui de celle-ci, afin que le juge des référés puisse apprécier, sur cette base, le bien-fondé de ladite demande (voir ordonnance du 6 septembre 2016, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P‑R, non publiée, EU:C:2016:668, point 18 et jurisprudence citée).

22      Aux fins de l’examen de l’urgence, il convient de rappeler, tout d’abord, le cadre règlementaire dans lequel se situe le présent litige.

23      Conformément à la jurisprudence, l’immunité parlementaire des députés européens, telle que prévue aux articles 8 et 9 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 266, ci-après le « protocole »), comprend les deux formes de protection habituellement reconnues aux membres des parlements nationaux des États membres, à savoir l’immunité en raison des opinions et des votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires ainsi que l’inviolabilité parlementaire, comportant, en principe, une protection contre les poursuites judiciaires (voir arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 18 et jurisprudence citée).

24      L’article 8 du protocole, qui constitue une disposition spéciale applicable à toute procédure judiciaire pour laquelle le député européen bénéficie de l’immunité en raison des opinions et des votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires, vise à protéger la libre expression et l’indépendance des députés européens, de sorte qu’elle fait obstacle à toute procédure judiciaire en raison de tels opinions et votes (voir arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 26 et jurisprudence citée).

25      Il ressort également du libellé de l’article 8 du protocole que, pour être couverte par l’immunité, une opinion doit avoir été émise par un député européen « dans l’exercice de [ses] fonctions », impliquant ainsi l’exigence d’un lien entre l’opinion exprimée et les fonctions parlementaires (arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 33).

26      S’agissant de déclarations d’un député européen faisant l’objet de poursuites pénales dans son État membre d’origine, il y a lieu de constater que l’immunité prévue à l’article 8 du protocole est susceptible d’empêcher définitivement les autorités judiciaires et les juridictions nationales d’exercer leurs compétences respectives en matière de poursuites et de sanctions des infractions pénales dans le but d’assurer le respect de l’ordre public sur leur territoire et, corrélativement, de priver ainsi totalement les personnes lésées par ces déclarations de l’accès à la justice, y compris, le cas échéant, en vue d’obtenir devant les juridictions civiles la réparation du dommage subi (arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 34).

27      Compte tenu de ces conséquences, il convient d’admettre que le lien entre l’opinion exprimée et les fonctions parlementaires doit être direct et s’imposer avec évidence (arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 35).

28      En revanche, l’article 9 du protocole prévoit que, pendant la durée des sessions du Parlement, les membres de celui-ci bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays et, sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire. Le dernier alinéa de cet article prévoit également que le Parlement peut décider de lever l’immunité de l’un de ses membres.

29      La teneur de l’inviolabilité établie à l’article 9 du protocole s’analyse par renvoi aux dispositions nationales pertinentes et elle est par conséquent susceptible de varier selon l’État membre d’origine du député européen (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 44 et jurisprudence citée).

30      En outre, l’inviolabilité du député peut être levée par le Parlement, conformément à l’article 9, troisième alinéa, du protocole, alors que l’immunité prévue à l’article 8 ne le peut pas (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 45 et jurisprudence citée).

31      Ainsi, lorsqu’une demande de levée de l’immunité lui est transmise par une autorité nationale, il appartient tout d’abord au Parlement de vérifier si les faits à l’origine de la demande de levée sont susceptibles d’être couverts par l’article 8 du protocole, auquel cas une levée de l’immunité est impossible (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 46 et jurisprudence citée).

32      Si le Parlement aboutit à la conclusion que l’article 8 du protocole ne s’applique pas, il lui incombe ensuite de vérifier si le député au Parlement bénéficie de l’immunité prévue par l’article 9 du protocole pour les faits qui lui sont reprochés et, si tel est le cas, de décider s’il y a lieu ou non de lever cette immunité (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 47 et jurisprudence citée).

33      Aux seuls fins de l’examen de l’urgence dans le cadre de la présente demande de référé, il convient de constater que le litige porte sur l’application de l’article 9 du protocole, comme l’affirment par ailleurs tant le requérant que le Parlement.

34      Dans ce contexte, le requérant fait valoir, aux fins de démontrer l’urgence, que le sursis serait nécessaire afin d’éviter qu’il soit arrêté ou renvoyé en correctionnelle, ce qui engendrait un dommage irréparable pour lui. En outre, le sursis serait également nécessaire au regard de l’existence « manifeste » d’un fumus persecutionis et en raison de l’existence d’une peine accessoire d’inéligibilité que le requérant pourrait encourir. Par ailleurs, il ajoute que « le respect du droit, de l’ordre constitutionnel de l’Union, des droits fondamentaux, de l’égalité de traitement, de la confiance légitime et de la démocratie requièrent l’intervention du Tribunal ».

35      À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, qu’il résulte de la jurisprudence que les privilèges et les immunités reconnus à l’Union par le protocole ne revêtent qu’un caractère fonctionnel, en ce qu’ils visent à éviter qu’une entrave ne soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance de l’Union. Il s’ensuit que les privilèges et les immunités dont il s’agit en l’espèce sont accordés exclusivement dans l’intérêt de l’Union et qu’il en va nécessairement de même de l’immunité des membres du Parlement, celle-ci ayant pour objet d’éviter toute entrave au bon fonctionnement de l’institution dont ils sont membres, donc à l’exercice des compétences de cette institution. Par conséquent, un député européen, confronté à une décision de levée de son immunité, ne saurait utilement invoquer, en tant que préjudice grave et irréparable qui lui serait causé directement par ladite décision, que l’atteinte que cette décision porterait non seulement à son droit d’exercer librement son mandat parlementaire, mais également au bon fonctionnement du Parlement [voir, en ce sens, ordonnances du 29 mars 2012, Gollnisch/Parlement, C‑569/11 P(R), non publiée, EU:C:2012:199, points 28 et 29, et du 30 septembre 2011, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 R, non publiée, EU:T:2011:553, point 23].

36      Or, en l’espèce, le requérant n’a pas allégué, et encore moins démontré, que l’exécution de la décision attaquée, dont le sursis est sollicité, en l’exposant à des mesures de poursuite judiciaire en France, affecterait l’accomplissement de ses missions parlementaires. Il n’a, notamment, apporté aucun élément de preuve permettant d’établir que le déroulement actuel ou prévisionnel de l’enquête engagée contre lui en France risquait d’entraver concrètement lesdites missions, telles que sa participation à des sessions ou à des voyages parlementaires ou à la rédaction de rapports, et que les intérêts liés au bon fonctionnement du Parlement s’opposaient à toute entrave portée à l’exercice de son mandat (voir, en ce sens, ordonnance du 30 septembre 2011, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 R, non publiée, EU:T:2011:553, point 24).

37      Dans la mesure où le requérant invoque le risque d’être arrêté ou renvoyé en correctionnelle, il y a lieu de considérer qu’il se borne à avancer de pures affirmations non étayées, au lieu d’établir avec le degré de probabilité requis qu’une telle arrestation ou un tel renvoi, au stade de l’enquête judiciaire ouverte à son égard, lui occasionnerait en tant que député européen un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du 30 septembre 2011, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 R, non publiée, EU:T:2011:553, point 22).

38      En deuxième lieu, s’agissant de l’existence alléguée du risque d’encourir une peine accessoire d’inéligibilité, il convient de rappeler que le requérant lui-même a considéré que « les juges du fond s’abstiendront très certainement […] de prononcer [la] peine complémentaire de l’inéligibilité ». En outre, force est de constater, ainsi que le Parlement l’a relevé, que l’enquête judiciaire ouverte contre le requérant en France se trouve à un stade précoce de la procédure. Par conséquent, la crainte du requérant de se voir infliger, à la fin d’un éventuel procès pénal, « une peine accessoire d’inéligibilité » se rapporte à un événement de nature hypothétique, le requérant bénéficiant actuellement de la présomption d’innocence et rien ne permettant d’établir la probabilité de sa condamnation pénale par la juridiction compétente plutôt que son acquittement. Or, il est de jurisprudence bien établie qu’un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur une probabilité aléatoire d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du 30 septembre 2011, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 R, non publiée, EU:T:2011:553, point 21 et jurisprudence citée).

39      S’agissant, en troisième lieu, de l’argument tiré de « l’existence manifeste d’un fumus persecutionis développé en détail ci-dessus » qui, selon le requérant, devrait imposer le sursis sollicité, il convient de comprendre cette référence comme visant les développements présentés dans la partie de la demande en référé consacrée à établir le fumus boni juris sous l’intitulé « L’atteinte à la jurisprudence constante de la commission des affaires juridiques du Parlement – En matière de fumus persecutionis ».

40      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, la violation éventuelle d’une règle de droit par un acte ne saurait suffire à établir, par elle-même, la gravité et le caractère irréparable d’un éventuel préjudice causé par cette violation (voir, en ce sens, ordonnance du 30 septembre 2011, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 R, non publiée, EU:T:2011:553, point 18 et jurisprudence citée).

41      S’agissant, en l’espèce, du fumus persecutionis allégué, il relève du fond de l’affaire. Cela ressort d’ailleurs de la demande en référé elle-même, en ce que le requérant se réfère, sous la rubrique consacrée à « la légalité interne », au fumus persecutionis en tant que présomption que, à l’origine de l’action pénale, se trouve l’intention de nuire à son activité politique de député. En outre, eu égard au très large pouvoir d’appréciation dont dispose le Parlement quant à l’orientation qu’il entend donner à une décision faisant suite à une demande de levée d’immunité (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 59 et jurisprudence citée), l’affirmation du requérant de « l’existence manifeste d’un fumus persecutionis » ne revient pas à alléguer une illégalité manifeste de la décision attaquée.

42      En quatrième et dernier lieu, s’agissant de l’affirmation selon laquelle « le respect du droit, de l’ordre constitutionnel de l’Union, des droits fondamentaux, de l’égalité de traitement, de la confiance légitime et de la démocratie requièrent l’intervention du Tribunal », elle s’apparente plus à une formule de conclusion qu’à un argument visant à démontrer l’urgence. En tout état de cause et au regard de ce qui a été rappelé au point 40 ci-dessus, cette affirmation très générale, qui, par ailleurs, ne correspond pas spécifiquement aux arguments invoqués quant au fumus boni juris, ne permet pas de démontrer l’urgence, voire de dispenser le requérant de démontrer l’urgence.

43      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée, à défaut, pour le requérant, d’établir l’urgence, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le fumus boni juris, voire de procéder à la mise en balance des intérêts.

44      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 26 juin 2017.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. Jaeger


*      Langue de procédure : le français.