Language of document : ECLI:EU:F:2014:170

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

25 juin 2014 (*)

« Fonction publique – Personnel d’Europol – Convention Europol – Statut du personnel d’Europol – Décision 2009/371/JAI – Application du RAA aux agents d’Europol – Non-renouvellement d’un contrat d’agent temporaire à durée déterminée – Refus d’accorder un contrat d’agent temporaire à durée indéterminée »

Dans l’affaire F‑1/13,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE,

Debbie Ruff, ancien agent temporaire de l’Office européen de police, demeurant à La Haye (Pays-Bas), représentée par Me J.‑J. Ghosez, avocat,

partie requérante,

contre

Office européen de police (Europol), représenté initialement par MM. D. Neumann et D. El Khoury, puis par MM. J. Arnould, D. Neumann et D. El Khoury, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre),

composé de MM. S. Van Raepenbusch, président, R. Barents et K. Bradley (rapporteur), juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 mars 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 3 janvier 2013, Mme Ruff a introduit le présent recours tendant à l’annulation de la décision du 29 février 2012 par laquelle l’Office européen de police (Europol) a refusé de renouveler pour une durée indéterminée son contrat d’agent temporaire à durée déterminée venant à expiration le 31 mai 2012.

 Cadre juridique

2        Le statut du personnel d’Europol, adopté le 3 décembre 1998 par le Conseil de l’Union européenne (JO 1999, C 26, p. 23, ci-après le « statut du personnel d’Europol ») en application de l’article 30, paragraphe 3, de la convention établie sur la base de l’article K. 3 du traité sur l’Union européenne portant création d’un Office européen de police (convention Europol), disposait initialement à l’article 6 (ci-après la « première version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol ») :

« Tous les agents d’Europol sont engagés initialement pour une durée déterminée comprise entre un et quatre ans. Le premier contrat peut être renouvelé dans les conditions suivantes :

–        pour une durée maximale de deux ans, dans le cas des agents affectés à un emploi qui peut être occupé uniquement par des agents recrutés au sein des services compétents visés à l’article 2, paragraphe 4, de la convention Europol,

–        pour une période maximale de deux ans, dans le cas des agents soumis aux dispositions nationales en matière de détachement, congé spécial ou mise à disposition temporaire, affectés à un emploi qui peut aussi être occupé par des agents recrutés en dehors des services compétents visés à l’article 2, paragraphe 4, de la convention Europol,

–        pour une période maximale de quatre ans dans tous les autres cas.

Seuls les agents entrant dans les deux dernières catégories susmentionnées peuvent être engagés pour une durée indéterminée après avoir rempli de manière satisfaisante deux contrats à durée déterminée.

Le conseil d’administration devra donner son accord chaque année au cas où le directeur d’Europol se proposerait d’accorder des contrats à durée indéterminée. Le conseil d’administration peut limiter le nombre total de contrats de cette nature pouvant être accordés. »

3        Par acte du Conseil du 15 mars 2001, modifiant le statut du personnel d’Europol (JO C 112, p. 1), la première version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol a été remplacée, à partir du 16 mars 2001, par le texte suivant (ci-après la « deuxième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol ») :

« Tous les agents d’Europol sont engagés initialement pour une durée déterminée comprise entre un et quatre ans. Le premier contrat peut être renouvelé dans les conditions suivantes :

–        pour une durée maximale de six ans, en plus de celle du premier contrat, dans le cas des agents affectés à un emploi qui peut être occupé uniquement par des agents recrutés au sein des services compétents visés à l’article 2, paragraphe 4, de la convention Europol,

–        pour une durée maximale de six ans, en plus de celle du premier contrat, dans le cas des agents soumis aux dispositions nationales en matière de détachement, de congé spécial ou de mise à disposition, affectés à un emploi qui n’est pas limité aux agents recrutés au sein des services compétents visés à l’article 2, paragraphe 4, de la convention Europol,

–        pour une durée maximale de huit ans, en plus de celle du premier contrat, dans tous les autres cas.

Seuls les agents visés aux deuxième et troisième tirets peuvent être engagés pour une durée indéterminée après avoir rempli de manière satisfaisante deux contrats à durée déterminée.

Le conseil d’administration d’Europol devra donner son accord chaque année au cas où le directeur d’Europol se proposerait d’accorder des contrats à durée indéterminée. Le conseil d’administration peut limiter le nombre total de contrats de cette nature pouvant être accordés. »

4        Par la décision 2006/C 311/01 du Conseil, du 4 décembre 2006, modifiant le statut du personnel d’Europol (JO C 311, p. 1), la deuxième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol a été remplacée, à partir du 5 décembre 2006, par le texte suivant (ci-après la « troisième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol ») :

« Tous les agents d’Europol, qu’ils soient affectés à un emploi qui peut être occupé uniquement par des agents recrutés au sein des services compétents visés à l’article 2, paragraphe 4, de la convention Europol ou qu’ils soient affectés à un emploi qui n’est pas soumis à ladite restriction, sont initialement engagés pour une durée déterminée comprise entre un et cinq ans.

Le premier contrat peut être renouvelé. La durée totale des contrats à durée déterminée, en ce compris les éventuels renouvellements, ne peut excéder neuf ans.

Seul le personnel affecté à un emploi qui n’est pas réservé aux agents recrutés au sein des services compétents visés à l’article 2, paragraphe 4, de la convention Europol peut être engagé pour une durée indéterminée après avoir rempli de manière hautement satisfaisante deux contrats à durée déterminée pendant une période de service de six ans au moins.

Le conseil d’administration d’Europol donne son accord chaque année dans le cas où le directeur d’Europol se proposerait d’accorder des contrats à durée indéterminée. Le conseil d’administration peut fixer un plafond pour le nombre total de contrats de cette nature pouvant être accordés. »

5        La décision 2009/371/JAI du Conseil, du 6 avril 2009, portant création de l’Office européen de police (Europol) (JO L 121, p. 37, ci-après la « décision Europol »), a remplacé la convention Europol. Toutes les mesures prises en application de la convention Europol ont été abrogées, sauf disposition contraire de la décision Europol, à compter de la date d’application de cette décision.

6        Aux termes de l’article 39 de la décision Europol, intitulé « Personnel », le directeur d’Europol, les directeurs adjoints et le personnel engagés après la date d’application de la décision Europol sont soumis au statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») et au régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA ») ainsi qu’aux modalités d’application du statut et du RAA adoptées conjointement par les institutions de l’Union. Selon l’article 39 de la décision Europol, le personnel d’Europol se compose d’agents temporaires et/ou contractuels. Le conseil d’administration d’Europol donne son accord chaque année dans le cas où le directeur se proposerait d’accorder des contrats à durée indéterminée. Le conseil d’administration décide quels sont les postes temporaires prévus au tableau des effectifs qui ne peuvent être occupés que par du personnel recruté auprès des autorités compétentes des États membres. Le personnel recruté pour occuper ces postes est composé d’agents temporaires aux termes de l’article 2, sous a), du RAA et ne peut se voir octroyer que des contrats à durée déterminée renouvelables une fois pour une période déterminée.

7        L’article 57 de la décision Europol, concernant les dispositions transitoires en matière de personnel, dispose ainsi :

« 1. Par dérogation à l’article 39, tous les contrats d’engagement conclus par Europol, tel qu’institué par la convention Europol, qui sont en vigueur à la date d’application de la présente décision, sont honorés jusqu’à leur expiration et ne peuvent être renouvelés sur la base du statut du personnel d’Europol […] après la date d’application de la présente décision.

2. Tous les membres du personnel sous contrat au sens du paragraphe 1 se voient offrir la possibilité de conclure un contrat d’agent temporaire au titre de l’article 2, [sous] a), du RAA aux différents grades établis dans le tableau des effectifs, ou un contrat d’agent contractuel au titre de l’article 3 bis du RAA.

Après l’entrée en vigueur de la présente décision et dans un délai de deux ans à compter de sa date d’application, l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement ouvre à cette fin une procédure interne de sélection, limitée au personnel ayant un contrat avec Europol à la date d’application de la présente décision, de manière à contrôler les aptitudes, l’efficacité et l’intégrité des personnes à engager.

En fonction du type et du niveau des fonctions exercées, un lauréat se voit proposer un contrat d’agent temporaire ou un contrat d’agent contractuel pour une durée correspondant au moins à la période restant à courir en vertu du contrat conclu avant la date d’application de la présente décision.

3. Si un deuxième contrat à durée déterminée avait été conclu par Europol avant la date d’application de la présente décision, et que le membre du personnel a accepté un contrat d’agent temporaire ou d’agent contractuel dans les conditions énoncées au paragraphe 2, troisième alinéa, tout renouvellement ultérieur ne peut être conclu que pour une durée indéterminée, conformément aux dispositions de l’article 39, paragraphe 4.

4. Si un contrat à durée indéterminée avait été conclu par Europol avant la date d’application de la présente décision et que le membre du personnel a accepté un contrat d’agent temporaire ou d’agent contractuel dans les conditions énoncées au paragraphe 2, troisième alinéa, ce contrat sera conclu pour une durée indéterminée conformément à l’article 8, paragraphe 1, et à l’article 85, paragraphe 1, du RAA.

5. Le statut du personnel d’Europol et les autres instruments pertinents continuent à s’appliquer aux membres du personnel qui ne sont pas recrutés conformément au paragraphe 2 […] »

8        L’article 64 de la décision Europol est rédigé ainsi :

« 1. La présente décision prend effet le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

2. Elle s’applique à partir du 1er janvier 2010 […].

Cependant, l’article 57, paragraphe 2, deuxième alinéa, […] s’appliqu[e] à partir de la date d’entrée en vigueur de la présente décision. »

 Faits à l’origine du litige

9        La requérante est entrée au service d’Europol le 1er juin 2001 comme assistante administrative, en vertu d’un contrat d’une durée de quatre ans régi par le statut du personnel d’Europol (ci-après le « premier contrat »).

10      Le 1er juin 2005, les parties ont conclu un accord aux termes duquel la requérante « continu[ait] à [être] engag[ée] » pour une nouvelle période de quatre ans, jusqu’au 31 mai 2009 (ci-après le « deuxième contrat »). L’article 2 dudit contrat précisait que la requérante restait soumise au statut du personnel d’Europol.

11      Suite à l’entrée en vigueur de la troisième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol, le deuxième contrat a été prorogé d’un an, jusqu’au 31 mai 2010, par un avenant signé par la requérante et par Europol respectivement le 31 juillet et le 1er août 2008 (ci-après le « troisième contrat »).

12      Le 26 mai 2009, le directeur d’Europol a informé la requérante que, compte tenu des dispositions de l’article 57, paragraphe 1, de la décision Europol, il ne pouvait plus lui proposer un contrat à durée indéterminée au titre de la troisième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol, et qu’en conséquence son contrat actuel expirerait le 31 mai 2010, sans perspective de renouvellement sous le régime du statut du personnel d’Europol. Le directeur a également indiqué à la requérante que, si elle participait avec succès à une procédure de sélection interne ouverte conformément à l’article 57, paragraphe 2, de la décision Europol, elle aurait la possibilité de conclure un contrat d’agent temporaire ou un contrat d’agent contractuel soumis aux dispositions pertinentes du RAA.

13      Par lettre du 14 décembre 2009, le directeur d’Europol a invité la requérante à lui faire part de son intention ou non de participer à la procédure de sélection interne ouverte conformément à l’article 57, paragraphe 2, de la décision Europol et lui a indiqué que, en cas de réussite, elle se verrait proposer un contrat d’agent temporaire d’une durée de deux ans à compter de la fin de son contrat actuel, c’est-à-dire jusqu’au 31 mai 2012.

14      La requérante a participé à ladite procédure. Le 27 janvier 2010, le directeur d’Europol l’a informée de sa réussite à la procédure de sélection interne et lui a proposé un contrat d’agent temporaire à durée déterminée expirant le 31 mai 2012. Ledit contrat, régi par l’article 2, sous a), du RAA, d’une durée de deux ans, prenant effet le 1er juin 2010, a été signé par la requérante le 5 mai 2010 et par le directeur d’Europol le 10 mai 2010 (ci-après le « quatrième contrat » ou le « contrat d’agent temporaire »).

15      Le 29 septembre 2011, le conseil d’administration d’Europol a approuvé la proposition établissant les critères et la procédure à mettre en œuvre en vue de l’octroi de contrats à durée indéterminée.

16      Par lettre du 29 février 2012, le directeur d’Europol a indiqué à la requérante que, en vertu de l’article 57, paragraphe 3, de la décision Europol, son contrat d’agent temporaire pouvait seulement être renouvelé pour une durée indéterminée, après accord du conseil d’administration d’Europol et selon la procédure interne adoptée par le conseil d’administration. Le directeur d’Europol a ensuite informé la requérante que le panel constitué pour examiner son cas en application de cette procédure interne avait émis l’avis selon lequel il n’y avait pas d’éléments exceptionnels justifiant une dérogation au principe de la rotation du personnel. Par conséquent, le directeur d’Europol a informé la requérante de sa décision de ne pas renouveler son contrat d’agent temporaire en lui accordant un contrat à durée indéterminée (ci-après la « décision litigieuse »).

17      Le 23 mai 2012, la requérante a introduit une réclamation, en vertu de l’article 90 du statut, contre la décision litigieuse. Le directeur d’Europol, agissant en sa qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement, a rejeté la réclamation par décision du 4 octobre 2012.

 Conclusions des parties

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision litigieuse ;

–        condamner Europol à lui verser la différence entre, d’une part, le montant de la rémunération auquel elle aurait pu prétendre si elle était restée en fonction en son sein et, d’autre part, le montant de la rémunération, des honoraires, des indemnités de chômage ou de toute autre indemnité de substitution qu’elle a effectivement perçus depuis le 1er juin 2012 en remplacement de la rémunération qu’elle percevait en tant qu’agent temporaire d’Europol ;

–        condamner Europol aux dépens.

19      Europol conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du recours

20      Europol conteste la recevabilité du recours en soutenant que, bien que la requérante dirige formellement son recours contre la décision litigieuse, elle cherche en réalité à mettre en cause la légalité des contrats conclus avec Europol antérieurement à la décision litigieuse.

21      Toutefois, le Tribunal observe, d’une part, que les conclusions de la requête sont effectivement formellement dirigées contre la décision litigieuse et, d’autre part, que les griefs visant les contrats conclus antérieurement à la décision litigieuse ne sont formulés qu’au soutien des moyens d’annulation dirigés contre la décision litigieuse. Il s’ensuit que la fin de non-recevoir soulevée par Europol doit être rejetée.

22      En outre, Europol conteste la recevabilité du recours au motif qu’il ne satisferait pas aux conditions de l’article 35, paragraphe 1, sous e), du règlement de procédure. Dans un souci d’économie de procédure, il y a lieu d’examiner d’abord les moyens invoqués par la requérante au fond, sans statuer préalablement sur ce grief d’irrecevabilité soulevé par la partie défenderesse (arrêt AZ/Commission, F‑26/10, EU:F:2011:163, point 34).

 Sur le fond

 Sur les conclusions visant à l’annulation de la décision litigieuse

23      Les écrits de la requérante au soutien des conclusions en annulation de la décision litigieuse doivent être interprétés comme soulevant, en substance, cinq moyens, tirés, le premier, de la violation du RAA et de la décision Europol, le deuxième, de la violation de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO L 175, p. 43) et de la violation de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70 (ci-après l’« accord-cadre »), le troisième, de la violation du principe de confiance légitime, le quatrième, de la violation du devoir de sollicitude et, le cinquième, de la violation de l’obligation de motivation.

24      La requête contient un sixième moyen, « relatif à l’attribution à la requérante d’une indemnité de préavis en exécution de l’article 47 […] du RAA », dont les développements figurant sous l’intitulé démontrent qu’ils concernent la demande indemnitaire, laquelle sera examinée après les conclusions en annulation de la décision litigieuse.

–       Sur le premier moyen, tiré de la violation du RAA et de la décision Europol

25      En premier lieu, la requérante soutient que, en application des articles 2 et 8 du RAA, le troisième contrat aurait dû être conclu pour une durée indéterminée. Par ailleurs, selon la requérante, la situation aurait été identique si la première version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol avait été appliquée. Enfin, la requérante estime que le quatrième contrat devrait être compris comme un « renouvellement ultérieur » d’un contrat à durée déterminée au sens de l’article 8, premier alinéa, du RAA.

26      En second lieu, selon la requérante, les parties ont conclu deux, voire trois, contrats à durée déterminée entre le 1er juin 2001 et le 1er août 2010 et, en application de l’article 8 du RAA, cette succession de contrats devrait « être requalifiée [en] ‘contrat à durée indéterminée’ ». Si tel n’était pas le cas, en application de l’article 57, paragraphe 3, de la décision Europol, le quatrième contrat devrait être considéré comme un « renouvellement ultérieur » conclu pour une durée indéterminée.

27      À titre liminaire, le Tribunal constate que la première version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol n’était applicable à aucun des contrats conclus entre la requérante et Europol.

28      Ensuite, le Tribunal estime que tous les arguments développés par la requérante dans le cadre de ce moyen se fondent sur l’application aux contrats conclus avant le 1er août 2008, date de conclusion du troisième contrat, des articles 2 et 8 du RAA. En particulier, la requérante considère qu’elle a été engagée comme agent temporaire au titre de l’article 2, sous a), du RAA dès son entrée en service à Europol, le 1er juin 2001.

29      Toutefois, force est de constater que ce n’est qu’à partir de la date d’application de la décision Europol, à savoir le 1er janvier 2010, que le RAA a pu être appliqué au personnel d’Europol. Avant cette date, seul le statut du personnel d’Europol était applicable, ce qui, dans le cas de la requérante, signifie que tous les contrats d’engagement conclus avec Europol avant le quatrième contrat, conclu le 10 mai 2010, étaient régis par le statut du personnel d’Europol.

30      Par conséquent, et sans qu’il soit nécessaire que le Tribunal se prononce sur la question de savoir si les deuxième et troisième contrats sont des nouveaux contrats ou des avenants au premier contrat, il suffit de relever que l’argument de la requérante selon lequel le troisième contrat aurait dû être conclu pour une durée indéterminée sur le fondement de l’article 8, premier alinéa, du RAA ne peut qu’être écarté, le RAA n’étant pas encore applicable à la date de conclusion dudit contrat, à savoir le 1er août 2008.

31      En outre, l’argument de la requérante selon lequel le régime de l’article 6 du statut du personnel d’Europol, quelle que soit la version prise en considération, serait identique à celui de l’article 8, premier alinéa du RAA manque manifestement en droit. Il suffit de constater qu’aussi bien la première version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol que les deux versions suivantes de cet article soumettaient l’engagement d’agents à durée indéterminée à plusieurs conditions, à savoir que l’agent concerné ne soit pas affecté à un emploi réservé aux agents recrutés au sein des services nationaux compétents, que l’agent ait déjà rempli de manière satisfaisante deux contrats à durée déterminée et que le conseil d’administration d’Europol ait donné son accord au directeur d’Europol. Il en résulte que la conclusion d’un contrat à durée indéterminée avec la requérante n’était qu’une option pour Europol et non une obligation et que, contrairement à ce que prétend la requérante, sa situation juridique n’était pas identique à celle consacrée à l’article 8, premier alinéa, du RAA.

32      Enfin, il y a lieu d’observer que le quatrième contrat est le premier contrat d’engagement de la requérante régi par le RAA, de sorte que l’obligation d’octroyer un contrat à durée indéterminée consacrée par l’article 8, premier alinéa, du RAA ne saurait, sans autre développement au soutien de cette thèse, être appliquée à la requérante. Or, force est de constater que la requérante ne fournit aucune argumentation tendant à ce que les contrats conclus sous l’empire du statut du personnel d’Europol soient assimilés à des contrats relevant du RAA.

33      Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

–       Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de la clause 5 de l’accord-cadre

34      La requérante considère que la décision litigieuse a été adoptée en violation de la clause 5 de l’accord-cadre.

35      Le Tribunal rappelle que, dans les recours de fonctionnaires, les conclusions présentées devant le juge de l’Union ne peuvent contenir que des chefs de contestation reposant sur la même cause que celle sur laquelle reposent les chefs de contestation invoqués dans la réclamation, étant précisé que ces chefs de contestation peuvent être développés, devant le juge de l’Union, par la présentation de moyens et arguments ne figurant pas nécessairement dans la réclamation, mais s’y rattachant étroitement (arrêt Commission/Moschonaki, T‑476/11 P, EU:T:2013:557, point 73, et la jurisprudence citée).

36      À cet égard, il importe de souligner, d’une part, que, puisque la procédure précontentieuse a un caractère informel et que les intéressés agissent en général à ce stade sans le concours d’un avocat, l’administration ne doit pas interpréter les réclamations de façon restrictive, mais doit, au contraire, les examiner dans un esprit d’ouverture et, d’autre part, que l’article 91 du statut n’a pas pour objet de lier, de façon rigoureuse et définitive, la phase contentieuse éventuelle, dès lors que le recours contentieux ne modifie ni la cause ni l’objet de la réclamation. Toutefois, il n’en demeure pas moins que, pour que la procédure précontentieuse prévue par l’article 91, paragraphe 2, du statut puisse atteindre son objectif, il faut que l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement soit en mesure de connaître de façon suffisamment précise les critiques que les intéressés formulent à l’encontre de la décision contestée (arrêt Commission/Moschonaki, EU:T:2013:557, points 76 et 77, et la jurisprudence citée).

37      En l’espèce, force est de constater que la requérante n’a pas soulevé le moyen tiré de la violation de la clause 5 de l’accord-cadre dans sa réclamation.

38      En réponse à une demande du Tribunal concernant la recevabilité de ce moyen à la lumière de la règle de concordance, la requérante a affirmé à l’audience que, selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire qu’il y ait une identité parfaite entre un moyen développé d’abord dans la réclamation, puis dans le recours, et que le deuxième moyen présente un lien étroit avec l’argument soulevé dans la réclamation selon lequel la décision litigieuse aurait été prise « sur des bases juridiques erronées ». Toutefois, ni cet argument ni aucun autre élément de la réclamation ne font référence à l’accord-cadre ou à ses principes sous-jacents, de sorte que, même en interprétant la réclamation dans un esprit d’ouverture, rien ne pouvait amener Europol à penser que la requérante contestait une violation de la clause 5 de l’accord-cadre ou des principes prévus par ces dispositions.

39      Il y a donc lieu de constater que le deuxième moyen a été soulevé pour la première fois dans la requête et n’a aucun lien évident avec les autres moyens soulevés dans la réclamation. Il doit, dès lors, être rejeté comme étant irrecevable.

–       Sur le troisième moyen, tiré du non-respect du principe de confiance légitime

40      Selon la requérante, « [l]e principe de confiance légitime doit s’entendre comme la garantie des droits définitivement acquis par les particuliers sous l’empire d’une réglementation donnée. » L’article 6 du statut du personnel d’Europol, avant sa troisième version, aurait consacré « le droit à l’obtention d’un contrat à durée indéterminée à l’issue de la conclusion de deux contrats à durée déterminée successifs ».

41      En adoptant la troisième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol, Europol aurait trompé la confiance légitime de la requérante qui « à la date de la signature de son dernier contrat à durée déterminée […] pouvait se fonder sur la législation en vigueur pour espérer légitimement qu’à l’issue du délai contractuel la modification en contrat à durée indéterminée intervienne ».

42      À cet égard, le Tribunal rappelle que le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration a fait naître chez lui des espérances fondées, en lui fournissant des assurances précises sous la forme de renseignements précis, inconditionnels et concordants, émanant de sources autorisées et fiables (arrêt Mendes/Commission, F‑125/11, EU:F:2013:35, point 62).

43      En l’espèce, le Tribunal constate qu’il ressort des textes de l’article 6 du statut du personnel d’Europol antérieurs à la troisième version de celui-ci, que les agents d’Europol qui avaient rempli deux contrats à durée déterminée de manière satisfaisante pouvaient « être engagés pour une durée indéterminée », ce qui implique qu’ils n’avaient aucun droit à un tel contrat à durée indéterminée, même après avoir rempli deux contrats à durée déterminée de manière satisfaisante. Il s’ensuit que non seulement la requérante n’avait aucun droit à un contrat à durée indéterminée, comme elle le prétend, mais en outre qu’elle ne saurait valablement se fonder sur les textes de l’article 6 du statut du personnel d’Europol antérieurs à la troisième version de celui-ci pour soutenir qu’Europol lui avait fourni des assurances précises sous la forme de renseignements précis, inconditionnels et concordants sur la possibilité de se voir proposer un tel contrat.

44      En outre, à la date de la signature du deuxième contrat, le dernier contrat conclu sur le fondement de la deuxième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol, à savoir le 2 mai 2005, la requérante n’avait pas encore « rempli de manière satisfaisante deux contrats à durée déterminée ». En effet, elle n’avait même pas encore rempli un seul contrat, puisqu’à ce moment-là il restait environ un mois à courir sur son premier contrat. Dans ces circonstances, elle ne pouvait pas réclamer la protection d’une quelconque confiance légitime sur le fondement de la première version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol, qui de toute façon n’était pas applicable à son cas, ni sur le fondement de la deuxième version dudit article. Dans les faits, elle n’a rempli son deuxième contrat que le 31 mai 2009, à savoir deux ans et demi après l’entrée en vigueur de la modification de cette disposition.

45      Par ailleurs, et contrairement à ce que prétend la requérante, la troisième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol n’a pas eu pour effet de supprimer la possibilité pour les agents d’Europol ayant des contrats à durée déterminée d’accéder à des contrats à durée indéterminée. En effet, la troisième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol s’est limitée à changer les conditions pour accéder à de tels contrats en exigeant que l’agent ait rempli deux contrats à durée déterminée, d’une part, de manière « hautement satisfaisante », au lieu de simplement « satisfaisante », comme prévu antérieurement, et, d’autre part, pendant une période de service d’au moins six ans, alors qu’aucune période minimum de service n’était requise auparavant.

46      Il s’ensuit que le troisième moyen doit être écarté comme non fondé.

–       Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du devoir de sollicitude

47      La requérante soutient que, en adoptant la troisième version de l’article 6 du statut du personnel d’Europol « pour enlever [la] possibilité » de conclure un contrat à durée indéterminée après deux contrats à durée déterminée « sans autre mesure transitoire ou de remplacement prise dans l’intérêt des fonctionnaires concernés », Europol aurait violé son devoir de sollicitude.

48      Toutefois, il suffit de constater que toutes les modifications de l’article 6 du statut du personnel d’Europol ont été adoptées par le législateur, en l’occurrence le Conseil. Le moyen tiré de la violation du devoir de sollicitude se fondant sur la prémisse erronée selon laquelle l’auteur de la troisième version de cette disposition serait Europol ne peut dès lors qu’être rejeté comme dépourvu de tout fondement en droit.

49      Par ailleurs, l’affirmation de la requérante, selon laquelle, sous l’empire des première et deuxième versions de l’article 6 du statut du personnel d’Europol, Europol aurait été obligé de lui octroyer un contrat à durée indéterminée et que cette possibilité aurait été éliminée par la modification de ladite disposition intervenue en 2006, est manifestement erronée puisque la modification en cause n’a fait qu’ajouter des conditions à celles déjà existantes auxquelles un contrat à durée indéterminée pouvait être offert à certains agents d’Europol et a ainsi seulement réduit la possibilité de conclure de tels contrats (voir le point 45 du présent arrêt).

50      Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être écarté.

–       Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

51      La requérante considère que la motivation de la décision litigieuse et celle de la décision de rejet de la réclamation seraient en réalité des « courrier[s]-type[s] » aux motivations standard et stéréotypées, ne reprenant qu’à la marge les informations spécifiques au cas de chaque agent, en violation de l’article 25, deuxième alinéa, du statut.

52      Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver toute décision faisant grief, prévue par l’article 25, deuxième alinéa, du statut, lequel ne constitue que la reprise dans le contexte spécifique des relations entre les institutions et leurs agents de l’obligation générale édictée à l’article 296 TFUE, a pour but de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est entachée d’un vice permettant d’en contester la légalité et de permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de ladite décision (arrêt Verstreken/Conseil, F‑98/12, EU:F:2013:156, point 28, et la jurisprudence citée).

53      En l’espèce le Tribunal constate que, après avoir rappelé le cadre juridique applicable, la décision litigieuse fait état de la situation spécifique de la requérante et, en particulier, relève qu’en application de la procédure interne adoptée par le conseil d’administration d’Europol son cas a été examiné par un panel constitué de trois directeurs adjoints, que ce panel, tout en prenant en considération ses mérites, a émis un avis négatif sur la possibilité de lui accorder un contrat à durée indéterminée et qu’elle a pu formuler des commentaires sur cet avis. La décision litigieuse mentionne que le directeur d’Europol s’est fondé sur ledit avis et sur la proposition adoptée le 29 septembre 2011 par le conseil d’administration d’Europol, selon laquelle un contrat à durée indéterminée peut seulement être accordé dans des situations exceptionnelles. Quant à la décision de rejet de la réclamation, celle-ci a expressément pris en considération la situation de la requérante et lui a fourni des explications supplémentaires sur la décision de ne pas lui offrir un contrat à durée indéterminée.

54      Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la requérante a été suffisamment informée des raisons qui ont amené Europol à adopter la décision litigieuse, de sorte que le sixième moyen manque en fait et doit être écarté.

55      Tous les moyens d’annulation ayant été écartés, les conclusions en annulation de la décision litigieuse doivent dès lors être rejetées.

 Sur les conclusions indemnitaires

56      Par son second chef de conclusions, la requérante demande au Tribunal de condamner Europol à lui verser la différence entre, d’une part, le montant de la rémunération auquel elle aurait pu prétendre si elle était restée en fonction au sein d’Europol et, d’autre part, le montant de la rémunération, des honoraires, des indemnités de chômage ou de toute autre indemnité de substitution qu’elle a effectivement perçus depuis le 1er juin 2012 en remplacement de la rémunération qu’elle percevait en tant qu’agent temporaire d’Europol.

57      Cette demande de la requérante se fonde sur la prémisse que, suite à la conclusion du troisième contrat, elle était liée à Europol par un contrat à durée indéterminée.

58      Toutefois, étant donné que la requérante n’a jamais bénéficié d’un contrat à durée indéterminée, il y lieu de rejeter comme non fondé le présent chef de conclusions.

59      Il s’ensuit que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

60      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

61      Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que la requérante a succombé en son recours. En outre, dans ses conclusions, Europol a expressément demandé que la requérante soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la requérante doit supporter ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par Europol.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Ruff supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par l’Office européen de police.

Van Raepenbusch

Barents

Bradley

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 juin 2014.

Le greffier

 

      Le président

W. Hakenberg

 

      S. Van Raepenbusch


* Langue de procédure : le français.