Language of document : ECLI:EU:T:2023:346

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

21 juin 2023 (*) (1)

« Dumping – Extension du droit antidumping définitif institué sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de Chine aux importations de certaines feuilles d’aluminium expédiées de Thaïlande – Enquête anticontournement – Contournement – Article 13 du règlement (UE) 2016/1036 – Éléments de preuve suffisants – Erreur manifeste d’appréciation – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑748/21,

Hangzhou Dingsheng Industrial Group Co., Ltd, établie à Hangzhou (Chine),

Dingheng New Materials Co., Ltd, établie à Rayong (Thaïlande),

Thai Ding Li New Materials Co., Ltd, établie à Rayong,

représentées par Mes G. Coppo et G. Pregno, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme P. Němečková, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, S. Gervasoni et Mme I. Reine (rapporteure), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Hangzhou Dingsheng Industrial Group Co., Ltd, Dingheng New Materials Co., Ltd et Thai Ding Li New Materials Co., Ltd, demandent l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2021/1474 de la Commission, du 14 septembre 2021, portant extension du droit antidumping définitif institué par le règlement d’exécution (UE) 2015/2384 et le règlement d’exécution (UE) 2017/271 sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de la République populaire de Chine aux importations de certaines feuilles d’aluminium expédiées de Thaïlande, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ce pays (JO 2021, L 325, p. 6, ci-après le « règlement attaqué »).

 Antécédents du litige

2        Les requérantes appartiennent toutes au groupe Dingsheng, une multinationale chinoise active dans le secteur de la fabrication de produits en aluminium également présente en Thaïlande.

3        Le 24 septembre 2009, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 925/2009, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de l’Arménie, du Brésil et de la République populaire de Chine (JO 2009, L 262, p. 1).

4        Les produits visés par les mesures antidumping étaient les feuilles et les bandes minces en aluminium, d’une épaisseur non inférieure à 0,008 mm et non supérieure à 0,018 mm, sans support, simplement laminées, présentées en rouleaux d’une largeur ne dépassant pas 650 mm, d’un poids supérieur à dix kilogrammes, relevant du code NC ex 7607 11 19 de la nomenclature combinée (code TARIC 7607111910) et originaires de l’Arménie, du Brésil et de la République populaire de Chine.

5        Par le règlement d’exécution (UE) 2015/2384 de la Commission, du 17 décembre 2015, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de la République populaire de Chine et clôturant la procédure concernant les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires du Brésil à la suite d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures en vertu de l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1225/2009 du Conseil (JO 2015, L 332, p. 63), les mesures antidumping ont été prolongées.

6        Le 31 mai 2016, la Commission européenne a adopté le règlement d’exécution (UE) 2016/865, portant ouverture d’une enquête sur un éventuel contournement des mesures antidumping instituées par le règlement d’exécution 2015/2384 sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de la République populaire de Chine par des importations de certaines feuilles d’aluminium légèrement modifiées originaires de ce même pays, et soumettant ces importations à enregistrement (JO 2016, L 144, p. 35).

7        Par le règlement d’exécution (UE) 2017/271 de la Commission, du 16 février 2017, portant extension du droit antidumping définitif institué par le règlement no 925/2009 du Conseil sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de la République populaire de Chine aux importations de certaines feuilles d’aluminium légèrement modifiées (JO 2017, L 40, p. 51), les mesures antidumping ont été étendues aux produits suivants :

–        « feuilles d’aluminium d’une épaisseur non inférieure à 0,007 mm et inférieure à 0,008 mm, quelle que soit la largeur des rouleaux, recuites ou non, relevant actuellement du code NC ex 7607 11 19 (code TARIC 7607111930) » ;

–        « feuilles d’aluminium d’une épaisseur non inférieure à 0,008 mm, ni supérieure à 0,018 mm, présentées dans des rouleaux d’une largeur dépassant 650 mm, recuites ou non, relevant actuellement du code NC ex 7607 11 19 (code TARIC 7607111940) » ;

–        « feuilles d’aluminium d’une épaisseur supérieure à 0,018 mm et inférieure à 0,021 mm, quelle que soit la largeur des rouleaux, recuites ou non, relevant actuellement du code NC ex 7607 11 19 (code TARIC 7607111950) » ;

–        « feuilles d’aluminium d’une épaisseur non inférieure à 0,021 mm ni supérieure à 0,045 mm, constituées d’au moins deux couches, quelle que soit la largeur des rouleaux, recuites ou non, relevant actuellement du code NC ex 7607 11 90 (code TARIC 7607119045 et 7607119080) ».

8        À la suite d’une plainte déposée par un utilisateur anonyme (ci-après la « plainte »), le 18 décembre 2020, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2020/2162, ouvrant une enquête concernant un éventuel contournement des mesures antidumping instituées par le règlement d’exécution 2015/2384 et le règlement d’exécution 2017/271 sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de la République populaire de Chine par des importations de certaines feuilles d’aluminium expédiées de Thaïlande, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ce pays, et soumettant ces importations à enregistrement (JO 2020, L 431, p. 48, ci-après le « règlement d’ouverture »), au visa, notamment, du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21, ci-après le « règlement de base »), en particulier, de son article 13, paragraphe 3, et de son article 14, paragraphe 5.

9        Le 14 septembre 2021, la Commission a adopté le règlement attaqué.

10      Au considérant 30 du règlement attaqué, il était indiqué que la période d’enquête s’étalait du 1er janvier 2016 au 30 juin 2020, alors que la période de référence était comprise entre le 1er juillet 2019 et le 30 juin 2020.

11      Il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement attaqué que les produits visés par l’extension du droit antidumping définitif sont ceux cités aux points 4 et 7 ci-dessus, expédiés de Thaïlande (ci-après les « produits concernés »).

12      En vertu du paragraphe 2 de l’article 1er du règlement attaqué, les produits concernés étaient « exempté[s] du droit antidumping […] s’il [s étaient] importé[s] pour d’autres utilisations que celle de papier d’aluminium à usage domestique ».

 Conclusions des parties

13      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué dans la mesure où il les concerne ;

–        condamner la Commission aux dépens.

14      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

15      À l’appui du recours, les requérantes invoquent deux moyens, tirés, le premier, de la violation du règlement de base lors de l’ouverture de l’enquête anticontournement et, le second, de la violation de l’obligation de motivation.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation du règlement de base par l’ouverture de l’enquête anticontournement

 Observations liminaires

16      Par le premier moyen, les requérantes soutiennent, notamment, que la Commission était tenue de vérifier le contenu de la plainte et, le cas échéant, de la compléter afin qu’elle revête un caractère suffisant permettant l’ouverture de l’enquête anticontournement. Selon elles, les informations fournies dans la plainte n’étant pas suffisantes pour ladite ouverture, la Commission aurait dû compléter cette plainte, à tout le moins avant cette ouverture.

17      Au considérant 15 du règlement attaqué, la Commission prétend avoir vérifié et complété la plainte. Cependant, elle ne fournit pas la preuve d’une telle vérification. De plus, le texte du règlement d’ouverture n’en fait pas non plus état. Les requérantes ajoutent que la Commission n’a jamais fourni les statistiques issues du tarif intégré de l’Union européenne (TARIC) qu’elles ont demandées de manière expresse et motivée dans leurs observations du 3 février 2021 sur l’ouverture de l’enquête anticontournement. Dès lors, l’ouverture de cette enquête ne serait fondée que sur les renseignements figurant dans la plainte.

18      La Commission répond qu’elle est tenue d’ouvrir une enquête anticontournement lorsqu’une plainte comporte des éléments de preuve suffisants concernant les facteurs visés à l’article 13, paragraphe 1, et, le cas échéant, paragraphe 2, du règlement de base. Elle précise que le plaignant est uniquement tenu de fournir des informations pouvant être raisonnablement à sa disposition et qu’elle doit, dans la mesure du possible, examiner l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis et apprécier dûment et avec diligence leur caractère suffisant. Toutefois, elle estime n’avoir aucune obligation de recueillir des renseignements complémentaires de sa propre initiative avant l’ouverture de l’enquête anticontournement. Elle explique que, en tout état de cause, la plainte contenait des éléments de preuve suffisants, notamment en ce qui concerne la condition relative à la modification de la configuration des échanges, visée à l’article 13, paragraphe 1, dudit règlement. Selon elle, l’augmentation substantielle des importations du produit concerné depuis la Thaïlande vers l’Union européenne, démontrée dans la plainte, a été confirmée par les vérifications qu’elle a effectuées.

19      S’agissant de la demande d’accès aux statistiques TARIC, introduite par les requérantes, la Commission soutient que le document d’information générale du 24 juin 2021 présentait les données et les valeurs agrégées d’importation issues du TARIC. Or, les requérantes n’auraient pas demandé d’autres informations statistiques. En outre, la Commission affirme avoir effectué des vérifications croisées avec des statistiques issues du TARIC, dans un simple but déclaratoire et avec pour objectif de confirmer la plainte au lieu de la compléter.

20      En l’espèce, il ressort de la jurisprudence que la Commission n’est pas obligée de se limiter aux renseignements fournis dans la plainte, si bien qu’elle peut recueillir des renseignements de sa propre initiative afin de satisfaire au critère énoncé à l’article 13, paragraphe 3, du règlement de base concernant le caractère suffisant des éléments de preuve nécessaires pour ouvrir une enquête (arrêt du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, T‑199/04 RENV, non publié, EU:T:2016:740, point 96).

21      En outre, il convient de rappeler que les dispositions du règlement de base doivent être interprétées, dans la mesure du possible, à la lumière des dispositions correspondantes de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT) (JO 1994, L 336, p. 103, ci-après l’« accord antidumping »), figurant à l’annexe I A de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (JO 1994, L 336, p. 3). Si les interprétations de l’accord antidumping adoptées par l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (ci-après l’« OMC ») ne sont pas susceptibles de lier le Tribunal dans son appréciation de la validité du règlement attaqué, rien ne s’oppose à ce que le Tribunal y fasse référence, dès lors qu’il s’agit de procéder à l’interprétation des dispositions du règlement de base (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, T‑199/04 RENV, non publié, EU:T:2016:740, point 89 et jurisprudence citée ; arrêt du 11 juillet 2017, Viraj Profiles/Conseil, T‑67/14, non publié, EU:T:2017:481, points 88 et 89).

22      Dans le cadre de l’OMC, le rapport du groupe spécial intitulé « Guatemala – Enquête antidumping concernant le ciment Portland en provenance du Mexique » et adopté le 19 juin 1998 (WT/DS60/R, paragraphe 7.53) a précisé que des enquêtes pouvaient être ouvertes dans les cas où des « éléments de preuve suffisants » ne pouvaient pas « raisonnablement être à la disposition » du plaignant. Ainsi, rien n’empêche une autorité chargée de l’enquête de rechercher elle-même des éléments de preuve et des renseignements qui permettraient de combler d’éventuelles lacunes dans les éléments de preuve fournis dans la plainte, sans qu’une telle démarche de la part de l’autorité soit requise. Toutefois, si une telle autorité décide de s’abstenir de réaliser de telles démarches, les termes « qui peuvent raisonnablement être à la disposition du plaignant » ne permettent pas à cette autorité d’ouvrir une enquête sur la base d’éléments de preuve et de renseignements qui, tout en constituant tout ce qui « peut raisonnablement être à la disposition » du plaignant, ne sont pas, en toute objectivité, suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête.

23      À cet égard, il ressort du considérant 7 du règlement d’ouverture que la Commission s’est exclusivement appuyée sur des « éléments de preuve contenus dans la [plainte] » sans, d’une part, que ce règlement fasse état de preuves relatives à des vérifications ayant eu lieu avant l’ouverture de l’enquête anticontournement et, d’autre part, que le dossier contienne de telles preuves.

24      Dès lors, il y a lieu de considérer que, afin d’ouvrir l’enquête anticontournement, la Commission s’est uniquement fondée sur les informations et les éléments de preuve figurant dans la plainte. Par conséquent, il convient d’examiner si les éléments de preuve et les renseignements figurant dans la seule plainte étaient suffisants pour justifier une telle ouverture. De plus, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le grief des requérantes tiré de l’absence de communication des statistiques issues du TARIC qu’elles ont demandées dans leurs observations du 3 février 2021. En effet, lesdites observations sont postérieures à cette ouverture et donc insusceptibles d’avoir une incidence sur l’analyse des éléments de preuve dont disposait la Commission au moment de ladite ouverture.

25      Les requérantes soutiennent que le règlement attaqué est illégal, dans la mesure où la Commission a ouvert l’enquête anticontournement alors que la plainte, sur laquelle celle-ci s’est exclusivement fondée à cet égard, ne répondait pas au niveau de preuve exigé par l’article 5, paragraphe 2, et l’article 13, paragraphe 3, du règlement de base. En outre, la Commission aurait méconnu l’article 5, paragraphe 3, et l’article 13, paragraphe 3, dudit règlement, dans la mesure où elle n’aurait pas dûment examiné l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans la plainte afin de les compléter par des renseignements supplémentaires réunis de sa propre initiative.

26      Selon les requérantes, aux fins de l’ouverture de l’enquête anticontournement, la plainte devait contenir des éléments de preuve suffisants, ce qui ne saurait être limité à un seuil quantitatif, mais devrait être compris dans un sens de quantité et de qualité desdits éléments. De plus, la plainte aurait dû être examinée sous l’angle de son exactitude et de son adéquation.

27      À cet égard, il convient de rappeler que, selon l’article 13, paragraphe 3, du règlement de base, il incombe à la Commission d’ouvrir une enquête sur la base d’éléments de preuve suffisants qui laissent apparaître à première vue des pratiques de contournement. Selon la jurisprudence, cette disposition établit le principe selon lequel la charge de la preuve d’un contournement incombe aux institutions de l’Union (voir arrêts du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co., C‑21/13, EU:C:2014:2154, points 31 et 35 ; du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries, C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, point 58, et du 19 septembre 2019, Trace Sport, C‑251/18, EU:C:2019:766, point 49).

28      Conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, l’existence d’un contournement des mesures antidumping est établie lorsque quatre conditions sont réunies. Premièrement, il doit y avoir une modification de la configuration des échanges entre un pays tiers et l’Union, ou entre des sociétés du pays soumis aux mesures et l’Union. Deuxièmement, cette modification doit découler de pratiques, d’opérations ou d’ouvraisons pour lesquelles il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification économique autre que l’imposition du droit. Troisièmement, il doit exister des éléments démontrant que l’industrie de l’Union subit un préjudice ou que les effets correctifs du droit antidumping sont compromis en termes de prix ou de quantités de produits similaires. Quatrièmement, il doit exister des éléments de preuve de l’existence d’un dumping en liaison avec les valeurs normales précédemment établies pour les produits similaires (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries, C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, point 57).

29      En outre, l’article 13, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement de base dispose que « [l]es dispositions de procédure correspondantes du présent règlement concernant l’ouverture et la conduite des enquêtes s’appliquent dans le cadre du présent article ». Il s’ensuit que l’article 5 dudit règlement, intitulé « Ouverture de la procédure » trouve application en l’espèce.

30      Ainsi, conformément à l’article 5, paragraphe 3, du règlement de base, la Commission examine, dans la mesure du possible, l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans la plainte afin de déterminer s’il existe des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête. Par ailleurs, certaines contraintes d’ordre procédural s’imposant à la Commission au titre dudit règlement peuvent s’opposer à ce que cette dernière procède à des vérifications et analyses exhaustives des renseignements fournis dans la plainte. Ainsi, la Commission ne dispose, en vertu de l’article 5, paragraphe 9, de ce règlement, que de 45 jours à compter du dépôt de la plainte pour décider de l’ouverture de l’enquête. Ce délai peut se révéler insuffisant pour procéder à des vérifications et analyses complètes de tous les renseignements figurant dans la plainte. Un tel devoir de vérification et d’analyse risquerait également de rendre la plainte publique avant même la publication de l’avis d’ouverture, ce qui méconnaîtrait l’article 5, paragraphe 5, du même règlement (arrêts du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, T‑199/04 RENV, non publié, EU:T:2016:740, points 96 et 97, et du 11 juillet 2017, Viraj Profiles/Conseil, T‑67/14, non publié, EU:T:2017:481, point 86).

31      À cet égard, il y a lieu de souligner que la quantité et la qualité des éléments de preuve nécessaires pour satisfaire au critère du caractère suffisant des éléments de preuve aux fins de l’ouverture d’une enquête sont différentes de celles qui sont nécessaires aux fins d’une détermination finale de l’existence d’un contournement. Par conséquent, des éléments de preuve qui seraient insuffisants, du point de vue de la quantité ou de la qualité, pour justifier une détermination finale de l’existence d’un contournement, peuvent néanmoins être suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2017, Viraj Profiles/Conseil, T‑67/14, non publié, EU:T:2017:481, point 98). Ainsi, l’article 5, paragraphe 3, du règlement de base n’oblige pas la Commission à s’engager dans une analyse de l’ensemble des informations disponibles, qui serait propre à une enquête selon l’article 6 du règlement de base (arrêt du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, T‑199/04 RENV, non publié, EU:T:2016:740, point 106). En effet, il n’est pas exigé que les renseignements fournis dans la plainte constituent une preuve irréfutable de l’existence des faits allégués. Par ailleurs, le caractère suffisant desdits renseignements dépend des circonstances de chaque affaire et doit, par conséquent, être apprécié au cas par cas. De plus, il n’est pas exigé que la plainte contienne une analyse des renseignements (arrêt du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, T‑199/04 RENV, non publié, EU:T:2016:740, points 94 et 95).

32      De plus, si, certes, l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans la plainte sont pertinentes pour la détermination par les institutions de l’existence d’éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête, il y a lieu de constater que le critère juridique au titre de l’article 13, paragraphe 3, du règlement de base n’est pas en tant que tel le caractère exact et adéquat des éléments de preuve, mais bien leur caractère suffisant (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2017, Viraj Profiles/Conseil, T‑67/14, non publié, EU:T:2017:481, point 99).

33      De surcroît, la plainte peut se limiter aux renseignements qui peuvent être raisonnablement à la disposition du plaignant (arrêt du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, T‑199/04 RENV, non publié, EU:T:2016:740, point 92).

34      Par ailleurs, il n’est pas exclu que, lors de l’imposition de droits antidumping, les institutions de l’Union puissent se fonder sur un risque de contournement dans la mesure où un tel risque est avéré et n’est pas uniquement hypothétique (voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2022, Guangxi Xin Fu Yuan/Commission, T‑144/20, non publié, EU:T:2022:346, point 149 et jurisprudence citée).

35      Selon une jurisprudence constante, dans le domaine de la politique commerciale commune, et tout particulièrement en matière de mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu’elles doivent examiner. Quant au contrôle juridictionnel d’une telle appréciation, il doit ainsi être limité à la vérification du respect des règles de droit et de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (arrêt du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co., C‑21/13, EU:C:2014:2154, point 29 ; voir, également, arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/City Cycle Industries, C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, point 56 et jurisprudence citée). Toutefois, il appartient au juge de l’Union de s’assurer que les institutions ont tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et qu’elles ont évalué les éléments du dossier avec toute la diligence requise [voir arrêt du 18 septembre 2012, Since Hardware (Guangzhou)/Conseil, T‑156/11, EU:T:2012:431, point 184 et jurisprudence citée].

36      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les griefs des requérantes invoqués dans le cadre du premier moyen.

37      Premièrement, les requérantes font valoir que la plainte était fondéе sur des statistiques d’exportation inexactes. Deuxièmement, ces statistiques auraient été dépassées. Troisièmement, la plainte n’aurait pas comporté d’éléments de preuve suffisants pour démontrer la prétendue modification de la configuration du commerce. Quatrièmement, la plainte n’aurait pas non plus comporté d’éléments de preuve concernant la neutralisation des effets correctifs des droits d’origine. Cinquièmement, selon les requérantes, la plainte ne contenait pas d’éléments suffisants quant à l’existence de dumping.

38      Il y a lieu d’observer d’emblée que les deux premiers griefs ne concernent pas les conditions visées à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base et viennent au soutien, en particulier, du troisième grief, avec lequel il conviendra de les examiner.

 Sur l’absence d’éléments de preuve suffisants relatifs à la modification de la configuration du commerce

39      Les requérantes font valoir que la plainte ne comportait pas d’éléments de preuve suffisants pour démontrer la prétendue modification de la configuration du commerce, conformément à l’article 13 du règlement de base. Selon elles, en premier lieu, les statistiques d’exportation sur lesquelles la plainte était fondée étaient manifestement inexactes et dépassées.

40      À cet égard, d’une part, les requérantes relèvent que la plainte était fondée sur des statistiques d’exportation inexactes et non représentatives en ce que celles-ci concernaient une grande variété de produits qui n’étaient pas limités aux produits concernés. Selon elles, tandis que l’enquête anticontournement portait sur des feuilles d’aluminium à usage domestique, lesdites statistiques incluaient des produits variés, notamment l’ensemble des feuilles d’aluminium, dont les feuilles d’aluminium destinées à la transformation. Une telle approche ne serait pas permise par le règlement de base. Dans ce contexte, les requérantes estiment que le plaignant aurait dû ajuster les données issues de ces statistiques, ce qu’il n’aurait pas fait.

41      D’autre part, les requérantes soutiennent que la plainte était fondée sur des statistiques d’exportation dépassées et donc dépourvues de fiabilité. En particulier, ces statistiques porteraient sur la période comprise entre janvier 2015 et décembre 2019, soit une période s’achevant près d’un an avant le dépôt de la plainte du 9 novembre 2020. Le plaignant aurait pu aisément obtenir des informations plus récentes. Les requérantes contestent également l’affirmation de la Commission, figurant au considérant 15 du règlement attaqué, selon laquelle elles n’ont pas soutenu que l’utilisation de données plus récentes aurait débouché sur une conclusion différente en ce qui concerne les pratiques de contournement alléguées. Or, il appartiendrait à la Commission de s’assurer qu’elle dispose de preuves suffisantes afin d’ouvrir une enquête anticontournement.

42      En second lieu, selon les requérantes, à supposer même que les statistiques d’exportation eussent été exactes, les importations vers l’Union en provenance tant de Chine que de la Thaïlande seraient croissantes. Il aurait été impossible d’en déduire que les exportations de la République populaire de Chine vers l’Union auraient été remplacées par les exportations depuis la Thaïlande vers l’Union, d’autant plus que la plainte n’émettait que des suppositions à cet égard. Les requérantes ajoutent qu’un contournement ne saurait pourtant reposer sur un simple risque de contournement. Dans la réplique, elles précisent que, dans leurs infrastructures thaïlandaises, elles transformaient des bobines de feuilles d’aluminium en feuilles d’aluminium. Il n’y aurait donc aucun « assemblage » de pièces distinctes pour créer un nouveau produit individuel.

43      La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

44      Il convient de rappeler que la définition du « contournement » est formulée à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base en des termes très généraux qui laissent une large marge d’appréciation aux institutions de l’Union, aucune précision n’étant donnée quant à la nature et aux modalités de la « modification de la configuration du commerce entre les pays tiers et l’Union » (arrêts du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co., C‑21/13, EU:C:2014:2154, point 48, et du 8 juin 2022, Guangxi Xin Fu Yuan/Commission, T‑144/20, non publié, EU:T:2022:346, point 145).

45      En l’espèce, en premier lieu, il ressort de la plainte que, en 2017, ce qui correspond à l’année d’adoption du règlement d’exécution 2017/271, par lequel le droit antidumping définitif a été étendu à l’ensemble des produits concernés, les exportations vers l’Union depuis la Thaïlande ont atteint une quantité globale de 375 t, par opposition aux 25 t exportées depuis ce pays tiers en 2016. De surcroît, en 2018, le volume desdites exportations a grimpé à 3417 t pour atteindre un niveau global de 7240 t en 2019.

46      Les requérantes ne contestent pas la réalité de ces données. En revanche, elles soutiennent que celles-ci se rapportent aux codes NC 7607 11 19 et NC 7607 11 90 de la nomenclature combinée, qui concerneraient une grande variété de produits non limités aux produits concernés.

47      Certes, les codes NC 7607 11 19 et NC 7607 11 90 de la nomenclature combinée comprennent, outre les produits concernés, d’autres produits tels que les feuilles d’aluminium destinées à la transformation.

48      Cependant, les requérantes admettent, sans toutefois fournir plus de précisions, que le code NC 7607 11 19 de la nomenclature combinée couvrait les types de produits les plus représentatifs. De plus, compte tenu de l’augmentation considérable, en l’espace de trois années, du volume d’importations des feuilles d’aluminium, y compris celles qui étaient destinées à un usage domestique et à la transformation, ce volume étant 289 fois plus élevés depuis l’extension du droit antidumping définitif en 2017, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant qu’il existait des éléments de preuve suffisants relatifs à la modification de la configuration du commerce, ou à tout le moins d’un risque de contournement relatif aux produits concernés.

49      En effet, d’une part, compte tenu de l’augmentation des importations de feuilles d’aluminium depuis la Thaïlande, il était vraisemblable que la proportion des produits concernés dans ladite augmentation était tout aussi importante. Or, les requérantes n’ont pas soutenu que lesdites importations portaient quasi exclusivement sur des produits différents des produits concernés, tels que les feuilles d’aluminium destinées à la transformation. D’autre part, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 34 ci-dessus, l’imposition d’un droit antidumping peut être fondée sur un risque de contournement dans la mesure où un tel risque est avéré et n’est pas uniquement hypothétique. À la lumière de la jurisprudence citée au point 31 ci-dessus, ces principes s’appliquent à fortiori dans l’hypothèse de l’ouverture d’une enquête anticontournement. Compte tenu de ce qui précède, la Commission pouvait considérer que, à tout le moins, un tel risque était présent au moment de l’ouverture de ladite enquête.

50      En deuxième lieu, la plainte contient des statistiques relatives aux importations en Thaïlande de la matière première depuis la Chine, à savoir des bobines de feuilles d’aluminium et des rouleaux jumbo, qui seraient utilisés pour la production des produits concernés en Thaïlande et qui contribueraient à l’exportation des produits concernés vers l’Union. D’une part, il en ressort que, entre 2016, ce qui correspond à l’année d’adoption du règlement d’exécution 2016/865, par lequel l’enquête anticontournement a été ouverte à l’égard des produits concernés faisant l’objet d’enregistrement, et 2019, les importations de feuilles d’aluminium, relevant du code SH 7607 11 du système harmonisé, ont connu une augmentation annuelle comprise entre près de 9 % et 32 %. D’autre part, entre 2015 et 2018, les importations de plaques, feuilles et bandes en alliages d’aluminium, relevant du code SH 7606 12 du système harmonisé, depuis la Chine vers la Thaïlande ont augmenté entre 13 % et 18 %, pour ensuite diminuer de 22 % en 2019.

51      Ces statistiques viennent étayer l’augmentation considérable des exportations des produits concernés depuis la Thaïlande vers l’Union. En effet, la Commission pouvait s’appuyer sur ces données pour considérer que les importations depuis la Chine vers la Thaïlande étaient susceptibles de soutenir la production des produits concernés au sein de ce dernier pays, afin qu’ils soient exportés vers l’Union en contournement du droit antidumping imposé aux exportations des produits concernés depuis la Chine. Or, même si les codes SH 7606 12 et SH 7607 11 du système harmonisé incluent, certes, des produits plus vastes que les seuls produits concernés, par analogie aux motifs exposés au point 48 ci-dessus, cela ne saurait conduire à l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission aux fins de l’ouverture de l’enquête anticontournement. Une telle erreur est d’autant moins démontrée que, conformément à la jurisprudence citée au point 31 ci-dessus, il n’est pas exigé que les renseignements fournis dans la plainte constituent une preuve irréfutable de l’existence des faits allégués.

52      Au demeurant, force est de constater que, dans la requête, les requérantes ne contestent pas les constatations de la Commission relatives aux opérations d’assemblage et, par conséquent, la réalité des importations en Thaïlande de matière première depuis la Chine.

53      En effet, ce n’est qu’au stade de la réplique que les requérantes ont soulevé des contestations quant à l’existence d’opérations d’assemblage.

54      Or, aux termes de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

55      En outre, selon la jurisprudence, l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure est applicable également aux griefs ou aux arguments qui ne constituent pas l’amplification de moyens ou de griefs présentés dans la requête (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, AQ/eu-LISA, T‑164/19, non publié, EU:T:2021:456, point 59 et jurisprudence citée).

56      Enfin, il convient de relever que les constatations de la Commission relatives aux opérations d’assemblage figurent au considérant 9 du règlement d’ouverture et aux considérants 42, 79 à 82 du règlement attaqué, dont il était également fait état dans la plainte.

57      Par conséquent, les requérantes étaient pleinement en mesure de contester ces constatations dans la requête.

58      Partant, les arguments des requérantes relatifs à l’existence d’opérations d’assemblage, invoqués dans la réplique, qui ne constituent pas l’amplification du présent grief présenté dans la requête, sont irrecevables en application de l’article 84 du règlement de procédure.

59      En tout état de cause, les requérantes se limitent dans la réplique à indiquer que, dans leurs infrastructures thaïlandaises, elles transformaient des bobines de feuilles d’aluminium en feuilles d’aluminium. Il n’y aurait donc aucun « assemblage » de pièces distinctes pour créer un nouveau produit individuel. Toutefois, elles n’étayent aucunement leurs allégations.

60      Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas valablement remis en cause les faits relatifs à l’assemblage des produits concernés et, par voie de conséquence, aux importations de matière première en Thaïlande depuis la Chine.

61      En troisième lieu, il convient de rappeler que l’exigence relative à la substitution des importations originaires du pays soumis au droit antidumping par celles en provenance du pays de contournement, en tant que condition nécessaire à l’existence d’un contournement, ne figure pas à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base (arrêt du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co., C‑21/13, EU:C:2014:2154, point 47).

62      Par conséquent, les requérantes ne sauraient valablement tirer argument de ce qu’il n’était pas démontré que les exportations de la République populaire de Chine vers l’Union avaient été remplacées par des exportations depuis la Thaïlande vers l’Union.

63      En quatrième lieu, s’agissant des statistiques prétendument dépassées figurant dans la plainte, tout d’abord, à la lumière des considérations exposées au point 24 ci-dessus, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel elle a recueilli des données plus détaillées concernant la période comprise entre le 1er juillet 2019 et le 30 juin 2020 dans la mesure où elle ne l’a pas démontré.

64      Toutefois, il ressort des données figurant dans la plainte que la Commission s’est fondée sur un faisceau d’indices concordants pour conclure à l’existence d’un contournement et que la modification de la configuration des échanges entre la Thaïlande et l’Union a coïncidé avec l’ouverture de l’enquête anticontournement en 2016 et l’extension du droit antidumping aux produits concernés en provenance de Chine en 2017. Cette coïncidence dans le temps constitue un indice important permettant d’établir un lien logique et raisonnable entre l’augmentation considérable des importations vers l’Union en provenance de la Thaïlande et l’enquête anticontournement précédente (voir arrêt du 8 juin 2022, Guangxi Xin Fu Yuan/Commission, T‑144/20, non publié, EU:T:2022:346, point 159 et jurisprudence citée).

65      En outre, il ressort de la plainte que, au moment de l’ouverture de l’enquête anticontournement, les informations dont disposait la Commission semblaient indiquer que d’importantes opérations d’assemblage du produit concerné avaient lieu en Thaïlande (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co., C‑21/13, EU:C:2014:2154, point 53).

66      Dès lors, la Commission pouvait se fonder sur les seules informations figurant dans la plainte aux fins de l’ouverture de l’enquête anticontournement.

67      Dans ces conditions, même si, ainsi qu’il est conclu au point 63 ci-dessus, la Commission n’a pas démontré avoir recueilli des données plus détaillées concernant la période entre le 1er juillet 2019 et le 30 juin 2020, conformément aux principes cités au point 22 ci-dessus, elle n’y était pas tenue dans la mesure où la plainte contenait des éléments de preuve suffisants, sans qu’il soit nécessaire de recueillir de telles données plus détaillées.

68      Par ailleurs, il convient d’observer que, dans le cadre d’une contestation de l’appréciation de la Commission, une partie requérante ne peut se borner à proposer son interprétation des différents facteurs économiques, mais doit préciser les raisons pour lesquelles la Commission aurait dû aboutir, sur la base de ces facteurs, à une conclusion différente quant à l’existence d’un contournement (voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 2017, Viraj Profiles/Conseil, T‑67/14, non publié, EU:T:2017:481, point 54). Il en va d’autant plus ainsi au stade de l’ouverture d’une enquête qui peut être justifiée dès l’existence d’un risque de contournement conformément à l’article 5, paragraphe 3, du règlement de base.

69      Or, en l’espèce, d’une part, les requérantes n’ont pas remis en cause les constatations factuelles ou les données chiffrées figurant dans la plainte, et sur lesquelles la Commission s’est appuyée. D’autre part, elles se sont bornées à indiquer que les statistiques d’exportation étaient dépassées. Elles n’ont toutefois pas apporté le moindre élément de preuve de ce que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en utilisant des statistiques couvrant la période allant de 2015 à 2019. Elles n’ont pas non plus fourni de statistiques plus récentes afin d’étayer leurs allégations, alors qu’elles soutiennent que celles-ci pouvaient être aisément obtenues par le plaignant.

70      De surcroît, les données plus récentes, figurant dans les tableaux 1 et 2 du document d’information générale du 24 juin 2021, reproduits aux considérants 44 et 48 du règlement attaqué, démontrent que, au cours de la période de référence, du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020, tant les exportations de rouleaux jumbo de la Thaïlande vers l’Union que les exportations de matières premières de la Chine vers la Thaïlande ont connu une augmentation. Dès lors, en tout état de cause, les requérantes n’auraient pas pu trouver d’appui dans ces statistiques plus récentes.

71      À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le présent grief.

 Sur l’absence d’éléments de preuve relatifs à la neutralisation des effets correctifs des droits d’origine

72      Les requérantes font valoir que la plainte ne comportait pas de preuves suffisantes concernant la neutralisation des effets correctifs des droits d’origine. Selon elles, afin de déterminer la marge de sous-cotation des prix indicatifs, la plainte était fondée sur les coûts moyens de production de l’industrie de l’Union durant la période de référence du règlement d’exécution 2015/2384, à savoir la période comprise entre octobre 2013 et septembre 2014, auxquels un bénéfice cible de 6% aurait été ajouté. Cependant, le plaignant n’aurait pas ajusté les coûts de production et donc le prix non préjudiciable, afin de refléter la fluctuation du prix de l’aluminium qui serait le principal coût relatif à la fabrication de feuilles d’aluminium à usage domestique.

73      La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

74      Il convient de constater que, pour établir l’existence d’un contournement, l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base se réfère au maintien des effets correctifs du droit antidumping en termes de prix et/ou de quantités de produits similaires. Il découle de ce critère qu’il suffit que de tels effets correctifs soient établis, de manière alternative, soit en termes de prix de produits similaires, soit en termes de quantités de tels produits.

75      En l’espèce, il ressort de la plainte que les allégations relatives à la neutralisation des effets correctifs des droits d’origine sont fondées, non seulement sur un raisonnement sur les prix de produits similaires, mais aussi sur des facteurs relatifs aux quantités importées de tels produits dans l’Union depuis la Thaïlande.

76      Dans la réplique, les requérantes admettent qu’elles n’ont pas soulevé d’argument particulier sur la neutralisation des effets correctifs des mesures antidumping par rapport aux quantités de produits similaires. Elles justifient néanmoins cette omission par le fait qu’il s’agit du corollaire logique de leurs arguments relatifs aux statistiques inexactes et dépassées fournies dans la plainte.

77      À cet égard, d’une part, à la lumière des considérations exposées aux points 54 et 55 ci-dessus, cet argument doit être rejeté comme tardif dans la mesure où il ressort de la plainte et du considérant 10 du règlement d’ouverture que l’enquête anticontournement a été ouverte, notamment, en raison des effets correctifs des mesures antidumping existantes neutralisés également en termes de quantités. Dès lors, les requérantes étaient en mesure d’invoquer des arguments à cet égard au stade de la requête.

78      D’autre part, en vertu de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Il ressort de la jurisprudence que la requête doit expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé. Ainsi, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels le recours se fonde doivent ressortit, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. S’il est vrai que le corps de celle-ci peut être étayé et complété dans la réplique, cela ne saurait pallier l’absence d’éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu de la disposition rappelée ci-dessus, doivent figurer dans la requête. La requête doit expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure. En effet, afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, l’exposé sommaire des moyens de la partie requérante doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la juridiction compétente de statuer sur le recours. Ainsi, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier les moyens qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours (voir, en ce sens, arrêts du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, EU:T:1998:103, point 333, et du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, T‑199/04 RENV, non publié, EU:T:2016:740, point 110).

79      Par conséquent, les requérantes ne sauraient se prévaloir d’une corrélation logique qui ne ressort pas clairement de la requête.

80      Partant, les arguments des requérantes relatifs à la neutralisation des effets correctifs des mesures antidumping par rapport aux quantités, invoqués pour la première fois dans la réplique, alors qu’ils auraient pu l’être dans la requête et qui ne constituent pas l’amplification du présent grief présenté dans la requête, doivent être rejetés comme irrecevables.

81      Il s’ensuit que, le présent grief ne s’appuie que sur un raisonnement relatif aux prix de produits similaires, alors que, conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, la Commission était en droit de se référer uniquement à la neutralisation des effets correctifs en termes de quantités de produits similaires, sans être tenue de se référer également aux prix de tels produits.

82      Dès lors, le présent grief, étant formulé uniquement en termes de prix de produits similaires, doit être rejeté comme inopérant.

 Sur l’absence d’éléments de preuve relatifs à l’existence d’un dumping

83      Les requérantes soutiennent, tout d’abord, que, aux fins de la détermination de la valeur normale, la plainte n’a pas tenu compte de la circonstance selon laquelle, à l’époque à laquelle le règlement d’exécution 2015/2384 a été adopté, la définition du produit concerné par les mesures était plus étroite que celle des produits concernés. Elles en déduisent que la comparaison effectuée dans la plainte entre la valeur normale, fondée sur ledit règlement d’exécution, et le prix à l’exportation n’est pas pertinente et que le plaignant n’a pas apporté de corrections en appliquant les ajustements appropriés. Ensuite, dans la plainte, le prix à l’exportation aurait été calculé sur la base de statistiques d’exportation concernant une grande variété de produits. Enfin, la Commission n’aurait pas non plus complété la plainte avant l’ouverture de l’enquête antidumping.

84      La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

85      À la lumière de la conclusion figurant au point 24 ci-dessus, il convient d’analyser le présent grief en tenant compte des éléments de preuve et des renseignements figurant dans la seule plainte.

86      Cela étant, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus, conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, l’existence d’un contournement des mesures antidumping est établie, notamment, lorsqu’il existe des éléments de preuve d’un dumping en liaison avec la valeur normale précédemment établie pour les produits similaires.

87      S’agissant de la détermination de la valeur normale, il ressort de la plainte que la démonstration de l’existence d’un dumping reposait sur les données utilisées dans le cadre du règlement d’exécution 2015/2384 au titre de l’expiration des mesures.

88      Il en résulte que la plainte a pris en compte la valeur normale précédemment établie.

89      À cet égard, d’une part, il convient de relever que, selon la jurisprudence, le règlement de base n’impose pas, lorsque le produit concerné contient plusieurs types de produits, comme c’est le cas en l’espèce, que la plainte fournisse des renseignements sur l’ensemble de ces types de produits. Il découle plutôt de l’article 13, paragraphes 1 et 3, dudit règlement que les éléments de preuve relatifs à un dumping du produit dans son ensemble doivent être suffisants pour que la Commission puisse conclure qu’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture de l’enquête. Ainsi, des éléments de preuve relatifs à un dumping d’une sous-catégorie insignifiante du produit importé ne seraient pas suffisants dans ce contexte (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, T‑199/04 RENV, non publié, EU:T:2016:740, point 100).

90      Or, les requérantes n’ont pas soutenu que le produit visé dans le règlement d’exécution 2015/2384, à savoir les feuilles et les bandes minces en aluminium, d’une épaisseur non inférieure à 0,008 mm et non supérieure à 0,018 mm, sans support, simplement laminées, présentées en rouleaux d’une largeur ne dépassant pas 650 mm, d’un poids supérieur à 10 kilogrammes, constitue une sous-catégorie insignifiante des produits concernés.

91      D’autre part, il convient également de vérifier si, conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, dans la plainte, la valeur normale établie portait sur des produits similaires, à savoir les produits concernés, au produit visé dans le règlement d’exécution 2015/2384.

92      Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de base, « [l]es droits antidumping institués en vertu du présent règlement peuvent être étendus aux importations en provenance de pays tiers de produits similaires, légèrement modifiés ou non, ainsi qu’aux importations de produits similaires légèrement modifiés en provenance du pays soumis aux mesures ou de parties de ces produits, lorsque les mesures en vigueur sont contournées ».

93      À la lumière de l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de base, les produits énumérés au point 7 ci-dessus, auxquels le droit antidumping initial a été étendu par le règlement d’exécution 2017/271, doivent être considérés comme étant similaires au produit visé dans le règlement d’exécution 2015/2384.

94      Il convient également de rappeler que la détermination du produit similaire relève de l’exercice du large pouvoir d’appréciation reconnu aux institutions et fait donc l’objet d’un contrôle restreint (voir arrêt du 11 juillet 2013, Hangzhou Duralamp Electronics/Conseil, T‑459/07, non publié, EU:T:2013:369, point 71 et jurisprudence citée).

95      Il s’ensuit que la prise en compte, dans la plainte, de la valeur normale précédemment établie pour le seul produit visé dans le règlement d’exécution 2015/2384, est conforme à l’article 13 du règlement de base.

96      Dès lors, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, s’appuyer sur les données figurant dans la plainte relatives à la valeur normale précédemment établie dans le règlement d’exécution 2015/2384.

97      S’agissant de la détermination du prix à l’exportation, il ressort de la plainte que ce prix a été déterminé en référence aux produits relevant du code NC 7607 11 19 de la nomenclature combinée.

98      Certes, ainsi que le soutiennent les requérantes, les produits relevant du code NC 7607 11 19 de la nomenclature combinée recouvrent une grande variété de produits qui ne sont pas limités aux produits concernés.

99      Toutefois, les requérantes reconnaissent elles-mêmes que le code NC 7607 11 19 de la nomenclature combinée couvrait les types de produits les plus représentatifs.

100    En tout état de cause, ainsi qu’il a été rappelé aux points 30 et 89 ci-dessus, conformément à l’article 5, paragraphe 3, du règlement de base, applicable en l’espère en vertu de l’article 13, paragraphe 3, troisième alinéa, dudit règlement, la Commission doit déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants, appréciés dans leur ensemble, justifiant l’ouverture d’une enquête. Or, compte tenu des considérations exposées dans le cadre du présent moyen, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, conclure que la plainte contenait des éléments de preuve suffisants et se fonder sur un faisceau d’indices concordants pour décider d’ouvrir l’enquête antidumping (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co., C‑21/13, EU:C:2014:2154, point 52). À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus, le critère juridique qu’il convient d’appliquer conformément à l’article 13, paragraphe 3, du règlement de base n’est pas en tant que tel le caractère exact et adéquat des éléments de preuve, mais bien leur caractère suffisant.

101    En outre, d’une part, selon la jurisprudence citée au point 44 ci-dessus, la définition du terme « contournement » est formulée à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base en des termes très généraux qui laissent une large marge d’appréciation aux institutions de l’Union. Ce principe doit s’appliquer à plus forte raison dans le cadre de l’ouverture d’une enquête anticontournement prévue à l’article 5, paragraphe 3, dudit règlement.

102    D’autre part, ainsi qu’il a été exposé aux points 31, 34 et 49 ci-dessus, la Commission pouvait se fonder sur un risque de contournement sans qu’il soit exigé que les renseignements fournis dans la plainte constituent une preuve irréfutable de l’existence des faits allégués. En effet, une enquête antidumping est un processus au cours duquel l’administration acquiert graduellement la certitude de l’existence de tous les éléments nécessaires à l’adoption d’une mesure au fur et à mesure que progresse l’enquête [voir, en ce sens, dans le cadre de l’OMC, le rapport du groupe spécial intitulé « Mexique – Droits antidumping sur les tubes et tuyaux en acier en provenance du Guatemala », adopté le 8 juin 2007 (WT/DS331/R, paragraphe 7.22)].

103    Par conséquent, le présent grief doit être rejeté et, partant, le présent moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

104    Le présent moyen est divisé en deux branches : la première concerne le calcul du prix non préjudiciable et, la seconde, les ajustements du prix London Metal Exchange (Marché des métaux de Londres, ci-après le « LME »).

 Observations liminaires

105    Selon la jurisprudence, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution qui en est l’auteure, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt du 10 septembre 2015, Fliesen-Zentrum Deutschland, C‑687/13, EU:C:2015:573, point 75).

106    Cette exigence doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 10 septembre 2015, Fliesen-Zentrum Deutschland, C‑687/13, EU:C:2015:573, point 76).

107    Il convient en outre de souligner que les institutions ne sont pas tenues de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elles par les intéressés, mais qu’il suffit d’exposer les faits et considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêt du 15 mars 2018, Caviro Distillerie e.a./Commission, T‑211/16, EU:T:2018:148, point 104 et jurisprudence citée).

108    Il convient d’ajouter que la motivation du règlement attaqué doit être appréciée en tenant compte, notamment, des informations qui ont été communiquées à la partie requérante et des observations qu’elle a soumises durant la procédure administrative (arrêt du 20 mai 2015, Yuanping Changyuan Chemicals/Conseil, T‑310/12, non publié, EU:T:2015:295, point 173).

109    Néanmoins, lorsque, dans une affaire de dumping, les intéressés insistent durant la procédure administrative pour obtenir des réponses ou des éclaircissements concernant des modalités essentielles des calculs effectués par les institutions, il y a lieu de considérer que ces dernières doivent d’autant plus motiver leur décision de manière telle que les intéressés soient en mesure de comprendre les calculs ainsi effectués (arrêt du 11 juillet 2017, Viraj Profiles/Conseil, T‑67/14, non publié, EU:T:2017:481, point 127).

110    Par ailleurs, la motivation d’un acte doit figurer dans le corps même de celui-ci et ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles en cas d’insuffisance de motivation, résulter des explications écrites ou orales données ultérieurement, alors qu’il fait déjà l’objet d’un recours devant le juge de l’Union (voir arrêt du 11 juillet 2017, Viraj Profiles/Conseil, T‑67/14, non publié, EU:T:2017:481, point 128 et jurisprudence citée).

111    Lorsque les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale que, parmi ces garanties, figurent, notamment, l’obligation pour l’institution compétente de motiver sa décision de façon suffisante (arrêts du 20 mai 2015, Yuanping Changyuan Chemicals/Conseil, T‑310/12, non publié, EU:T:2015:295, point 175, et du 15 décembre 2016, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, T‑199/04 RENV, non publié, EU:T:2016:740, point 98).

112    C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les deux branches du présent moyen.

 Sur la première branche, concernant le calcul du prix non préjudiciable

113    Les requérantes font valoir que, dans le règlement attaqué, la Commission n’a pas expliqué comment le prix non préjudiciable a été effectivement calculé. Selon elles, ces informations auraient pourtant dû leur être fournies dans le cadre de la procédure anticontournement.

114    Tout d’abord, les requérantes font observer que le prix non préjudiciable n’a été indiqué ni dans le règlement d’exécution 2015/2384 ni dans le règlement d’exécution 2017/721.

115    En outre, les requérantes affirment que la Commission a présenté le prix non préjudiciable sous forme de fourchettes. Elles ajoutent que, en utilisant la méthode de calcul de ce prix appliquée dans la plainte, elles n’obtiennent pas les mêmes résultats que la Commission, ceux-ci montrant même un écart considérable dans un contexte de produits très sensibles aux prix. Dans ce contexte, elles précisent qu’elles ne contestent pas l’exactitude desdites fourchettes, mais déplorent l’impossibilité de les vérifier.

116    Ensuite, les requérantes soutiennent qu’elles ignorent si le prix non préjudiciable calculé par la Commission concerne les produits qu’elles avaient exportés au cours de la période de référence de l’enquête anticontournement ou bien tous les types de produits exportés au cours de l’enquête précédente d’anticontournement.

117    Enfin, les requérantes rappellent que, dans leurs observations sur le document d’information générale du 24 juin 2021, elles ont expressément demandé à la Commission de leur communiquer des détails complémentaires quant à la détermination du prix non préjudiciable. Or, le considérant 88 du règlement attaqué ne fournirait pas d’éléments suffisants à cet égard.

118    La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

119    En l’espèce, il ressort du considérant 85 du règlement attaqué que la Commission a pris en considération « le prix moyen non préjudiciable, tel qu’établi dans le précédent réexamen au titre de l’expiration des mesures ».

120    Au considérant 88 du règlement attaqué, il est indiqué que « [l]e niveau de prix non préjudiciable a été communiqué au groupe Dingheng dans la communication spécifique du 24 juin 2021, sous la forme de fourchettes », qu’« [i]l pouvait aussi être facilement déduit des informations fournies dans la communication spécifique que le bénéfice cible utilisé était de 6 % », que « [l]es informations fournies ont donc été jugées suffisantes pour vérifier l’exactitude et l’adéquation des calculs de la Commission » et qu’« [i]l convient en outre de noter que la seule société à avoir coopéré à l’enquête de réexamen fait également partie du groupe Dingheng, et que le groupe a donc reçu davantage d’informations à ce moment ».

121    En premier lieu, tout d’abord, en application de la jurisprudence citée aux points 108 et 110 ci-dessus, aux fins de son obligation de motivation, la Commission ne saurait s’appuyer sur des informations qui ne figurent pas dans le règlement attaqué ou qui n’ont pas été communiquées aux requérantes durant la procédure administrative de l’enquête anticontournement ayant conduit à l’adoption du règlement attaqué. Par conséquent, des informations prétendument communiquées dans le cadre de procédures antérieures et distinctes ne sauraient être prises en considération.

122    En outre, le prix non préjudiciable établi dans le cadre du règlement d’exécution 2015/2384 ne ressort clairement ni de cet acte ni des informations fournies aux requérantes lors de la procédure administrative.

123    Ensuite, durant la procédure administrative, la Commission n’a pas expliqué la méthode qu’elle avait appliquée afin de calculer le prix non préjudiciable déterminé aux fins de l’enquête anticontournement, et fourni sous la forme de fourchettes. Ces explications ne figurent pas non plus dans le règlement attaqué.

124    Ainsi, dans leurs observations sur le document d’information générale du 24 juin 2021, les requérantes ont expressément demandé à la Commission de leur communiquer des détails complémentaires quant à la détermination du prix non préjudiciable. Toutefois, au considérant 88 du règlement attaqué, la Commission s’est limitée à indiquer que le bénéfice cible utilisé était de 6 %.

125    Conformément à la jurisprudence citée au point 109 ci-dessus, compte tenu de la demande d’informations supplémentaires formulée par les requérantes durant la procédure administrative, la Commission devait d’autant plus motiver sa décision de manière telle que celles-ci soient en mesure de comprendre les calculs effectués. Or, les informations fournies par la Commission ne satisfont pas à cette exigence.

126    De plus, dans la plainte, le prix non préjudiciable était déterminé sur la base de données fournies dans le règlement d’exécution 2015/2384. Or, les fourchettes fournies par la Commission dans le cadre de la procédure anticontournement présentent un écart considérable par rapport au prix non préjudiciable calculé dans la plainte. À la lumière de la demande d’informations des requérantes lors de la procédure administrative, la Commission aurait dû clarifier davantage son approche. Or, dans ce contexte, la Commission se borne à soutenir qu’elle n’est pas tenue d’expliquer la différence entre les calculs issus de la plainte et ses propres calculs et qu’un tel écart relève d’une contestation de fond.

127    Enfin, s’agissant de l’obligation de confidentialité de la Commission, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un défaut de motivation ne saurait être justifié par l’obligation de respecter les secrets d’affaires qui ne saurait être interprétée à ce point extensivement qu’elle vide l’exigence de motivation de son contenu essentiel (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 48 ; voir également, par analogie, arrêt du 1er juin 2017, Changmao Biochemical Engineering/Conseil, T‑442/12, EU:T:2017:372, point 142).

128    De plus, la Commission n’explique pas en quoi la divulgation du prix non préjudiciable aurait compromis son obligation de confidentialité. Il en est d’autant plus ainsi qu’elle soutient que le niveau de ce prix était identique à celui qui avait été établi lors du précédent réexamen au titre de l’expiration des mesures. De surcroît, dans la plainte, ledit prix a été déterminé à partir du coût de production unitaire figurant dans le tableau 8 du règlement d’exécution 2015/2384 et d’un bénéfice cible. Or, ces informations ne sont pas confidentielles. Dès lors, les arguments de la Commission à cet égard doivent être rejetés.

129    À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a fourni une motivation insuffisante en ce qui concerne le calcul du prix non préjudiciable.

130    Toutefois, en second lieu, il y a lieu de constater que les considérants 85 et 88 du règlement attaqué font partie de l’analyse relative à la neutralisation des effets correctifs du droit antidumping. Ainsi qu’il a été indiqué au point 74 ci-dessus, il suffit que la neutralisation des effets correctifs du droit soit établie, de manière alternative, soit en termes de prix de produits similaires, soit en termes de quantités de tels produits.

131    Or, la violation de l’obligation de motivation constatée au point 129 ci-dessus ne se rapporte qu’aux effets correctifs du droit antidumping en termes de prix de produits similaires.

132    À cet égard, il convient d’observer que, au considérant 84 du règlement attaqué, lu conjointement avec son considérant 86, la Commission a expliqué que, en raison de l’augmentation considérable des importations de rouleaux jumbo en provenance de la Thaïlande au cours de la période de référence, la condition relative aux effets correctifs du droit antidumping en termes de quantités de produits similaires était remplie.

133    Dès lors que l’établissement des effets correctifs du droit antidumping en termes de quantité de produits similaires suffit afin d’établir la neutralisation desdits effets correctifs et fait l’objet d’une motivation suffisante dans le règlement attaqué, la violation de l’obligation de motivation constatée au point 129 ci-dessus ne saurait conduire à l’annulation dudit règlement.

134    Par conséquent, la présente branche doit être rejetée comme inopérante.

 Sur la seconde branche, concernant les ajustements du prix LME

135    Les requérantes font valoir que le défaut de motivation concernant les ajustements du prix LME a une incidence sur la vérification de l’exactitude des calculs de la Commission portant à la fois sur le prix non préjudiciable et sur la marge de dumping.

136    À cet égard, tout d’abord, les requérantes observent que, dans le règlement attaqué, la Commission s’est limitée à indiquer que les données utilisées avaient été fournies par une société spécialisée dans l’informatique financière sans leur donner accès à cette base de données payante. Elles déplorent également le fait que, sans aucune justification, la Commission a utilisé cette base de données comme unique source s’agissant de la « tendance » LME.

137    Ensuite, les requérantes font valoir qu’elles ignorent si l’ajustement auquel a procédé la Commission reflète seulement le prix LME lui-même ou inclut également la « prime sur le métal », à savoir la majoration payée par les producteurs de l’Union aux fondeurs ou aux négociants d’aluminium.

138    Enfin, les calculs effectués par les requérantes, fondés sur d’autres sources fiables et accessibles au public, n’auraient pas abouti à des résultats conciliables avec les informations fournies par la Commission. Or, le prix LME constituerait un seul et unique indice communiqué aux différents distributeurs par le LME lui-même et, dès lors, l’ajustement correspondant ne devrait pas varier en fonction de la source.

139    La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

140    À cet égard, il convient de constater que, au considérant 90 du règlement attaqué, il est exposé que les « valeurs normales établies lors du dernier réexamen au titre de l’expiration des mesures (pour le produit similaire initial) et de la dernière enquête anticontournement (pour le produit légèrement modifié) [ont été] dûment ajustés en fonction des fluctuations du [LME] ».

141    Ainsi qu’il ressort du considérant 91 du règlement attaqué, le groupe Dingheng a soutenu que « l’ajustement en fonction du LME était erroné ». Selon ledit groupe « l’ajustement à la hausse aurait dû être un ajustement à la baisse, le prix LME ayant suivi une tendance à la baisse entre l’enquête de réexamen et la période de référence. »

142    La Commission a répondu, au considérant 92 du règlement attaqué, que « les calculs ont été fondés sur les valeurs normales précédemment établies pour les produits similaires, lesquelles incluent les valeurs LME utilisées au moment de ces enquêtes ». Elle y a ajouté que « [l]’utilisation des valeurs établies lors des précédentes enquêtes et la comparaison de ces valeurs avec les données LME provenant de la même source de données que celle initialement utilisée […] pour la période de référence, autrement dit, l’application de la même méthode que lors des précédentes enquêtes, ont montré que l’ajustement à la hausse effectué par la Commission était exact ».

143    Il en ressort que le règlement attaqué fournit des informations suffisantes quant à la méthode suivie par la Commission aux fins de l’ajustement du prix LME.

144    Par ailleurs, la Commission ayant justifié l’utilisation de la base de données en cause, notamment par son utilisation initiale (voir considérant 92 du règlement attaqué), elle n’était pas tenue, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, d’indiquer expressément dans le règlement attaqué les raisons pour lesquelles elle avait décidé de ne pas recourir à d’autres sources d’information.

145    En outre, en affirmant que le prix LME constituait un seul et unique indice communiqué aux différents distributeurs par le LME lui-même et que, dès lors, l’ajustement correspondant ne devait pas varier en fonction de la source, les requérantes font valoir, en substance, que l’absence d’accès à la base de données utilisée par la Commission ne devrait avoir aucune incidence sur la compréhension des calculs effectués par cette dernière. Partant, leurs arguments s’apparentent à des contestations au fond liées à un prétendu ajustement du prix LME erroné, y compris les calculs des requérantes prétendument inconciliables avec ceux de la Commission. Or, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts du 11 septembre 2014, Gold East Paper et Gold Huasheng Paper/Conseil, T‑444/11, EU:T:2014:773, point 343, et du 30 avril 2015, VTZ e.a./Conseil, T‑432/12, non publié, EU:T:2015:248, point 201).

146    Au demeurant, il ressort des observations des requérantes sur le document d’information générale du 24 juin 2021 qu’elles n’ont pas demandé l’accès aux informations relatives à l’ajustement du prix LME utilisées par la Commission, mais se sont limitées à contester les calculs de cette dernière. Or, le fait que les requérantes ont pu contester lesdits ajustements et calculs démontre qu’elles étaient en mesure de les comprendre et de connaître suffisamment les détails qui les sous-tendent.

147    Enfin, dès lors que la « prime sur le métal » ne figure nullement dans le règlement attaqué, les requérantes ne sauraient se prévaloir d’une possible ambiguïté à cet égard quant à son inclusion éventuelle dans l’ajustement du prix LME. De plus, ainsi que l’indique la Commission, le règlement d’exécution 2017/271 ne s’y réfère pas, alors que le règlement d’exécution 2015/2384 aborde cette notion uniquement au sujet du préjudice.

148    À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la présente branche et, partant, le présent moyen dans son ensemble.

149    Compte tenu de tout ce qui précède, le recours est rejeté.

 Sur les dépens

150    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

151    Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Hangzhou Dingsheng Industrial Group Co., Ltd, Dingheng New Materials Co., Ltd et Thai Ding Li New Materials Co., Ltd sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

da Silva Passos

Gervasoni

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 juin 2023.

Signatures


*Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.