Language of document : ECLI:EU:C:2017:720

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 septembre 2017 (*)

« Pourvoi – Propriété intellectuelle – Dessins ou modèles communautaires – Règlement (CE) nº 6/2002 – Article 5 – Nouveauté – Article 6 – Caractère individuel – Article 7 – Divulgation au public – Article 63 – Compétences de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) dans le cadre de l’administration de la preuve – Charge de la preuve incombant au demandeur en nullité – Exigences liées à la reproduction du dessin ou modèle antérieur – Dessin représentant un caniveau d’évacuation de douche – Rejet de la demande en nullité par la chambre de recours »

Dans les affaires jointes C‑361/15 P et C‑405/15 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement les 11 juillet et 24 juillet 2015,

Easy Sanitary Solutions BV, établie à Oldenzaal (Pays-Bas), représentée par Me F. Eijsvogels, advocaat (C‑361/15 P),

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme S. Bonne et M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agents (C‑405/15 P),

parties requérantes,

soutenu par :

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes J. Kraehling et C. R. Brodie, en qualité d’agents, assistées de M. N. Saunders, barrister (C‑405/15 P),

partie intervenante au pourvoi,

l’autre partie à la procédure étant :

Group Nivelles NV, établie à Gingelom (Belgique), représentée par Me H. Jonkhout, advocaat,

partie demanderesse en première instance,


LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász, C. Vajda, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos (rapporteur), juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 décembre 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er février 2017,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs pourvois, Easy Sanitary Solutions BV (ci-après « ESS ») et l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 mai 2015, Group Nivelles/OHMI – Easy Sanitairy Solutions (Caniveau d’évacuation de douche) (T‑15/13, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2015:281), par lequel celui-ci a annulé la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 4 octobre 2012 (affaire R 2004/2010-3), relative à une procédure de nullité entre I-Drain BVBA et ESS (ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        Aux termes du considérant 12 du règlement (CE) nº 6/2002, du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), « [l]a protection ne devrait pas être étendue aux pièces qui ne sont pas visibles lors d’une utilisation normale d’un produit ni aux caractéristiques d’une pièce qui ne sont pas visibles lorsque celle-ci est montée, ni aux caractéristiques des pièces qui ne rempliraient pas, en tant que telles, les exigences de nouveauté et de caractère individuel. Les caractéristiques d’un dessin ou modèle qui sont exclues de la protection pour ces motifs ne devraient, par conséquent, pas être prises en considération pour apprécier si d’autres caractéristiques de ce dessin ou modèle remplissent les conditions d’obtention de la protection ».

3        Conformément au considérant 14 du règlement nº 6/2002, « l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle devrait consister à déterminer s’il existe une différence claire entre l’impression globale qu’il produit sur un utilisateur averti qui le regarde et celle produite sur lui par le patrimoine des dessins ou modèles, compte tenu de la nature du produit auquel le dessin ou modèle s’applique ou dans lequel celui-ci est incorporé et, notamment, du secteur industriel dont il relève et du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle ».

4        L’article 3, sous a), de ce règlement prévoit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)      “dessin ou modèle” : l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation ».

5        L’article 4 dudit règlement, intitulé « Conditions de protection », dispose, à son paragraphe 1 :

« La protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. »

6        Sous le titre « Nouveauté », l’article 5 du même règlement prévoit :

« 1.      Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public :

a)      dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;

b)      dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité. 

2.      Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants. »

7        L’article 6 du règlement nº 6/2002, intitulé « Caractère individuel », dispose :

« 1.      Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public :

a)      dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;

b)      dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.

2.      Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle. »

8        L’article 7 de ce règlement, intitulé « Divulgation », énonce, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de l’application des articles 5 et 6, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date visée à l’article 5, paragraphe 1, point a), et à l’article 6, paragraphe 1, point a), ou à l’article 5, paragraphe 1, point b), et à l’article 6, paragraphe 1, point b), selon le cas, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté. Toutefois, le dessin ou modèle n’est pas réputé avoir été divulgué au public s’il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret. »

9        L’article 10 dudit règlement est libellé comme suit :

« 1.      La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

2.      Pour apprécier l’étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle. »

10      Sous le titre « Droits conférés par le dessin ou modèle communautaire », l’article 19 du même règlement dispose, à son paragraphe 1 :

« Le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins. »

11      Aux termes de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 6/2002, « [u]n dessin ou modèle communautaire ne peut être déclaré nul que [...] s’il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 ».

12      L’article 36 de ce règlement, intitulé « Conditions auxquelles la demande doit satisfaire », prévoit, à ses paragraphes 2 et 6 :

« 2.      La demande doit également contenir l’indication des produits dans lesquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué.

[...]

6.      Les informations visées au paragraphe 2 [...] ne portent pas atteinte à l’étendue de la protection du dessin ou du modèle en tant que tel. »

13      L’article 52, paragraphe 1, dudit règlement dispose que, sous réserve de l’article 25, paragraphes 2 à 5, toute personne physique ou morale, ainsi qu’une autorité publique habilitée à cet effet, peut présenter à l’EUIPO une demande en nullité d’un dessin ou modèle communautaire enregistré.

14      Aux termes de l’article 53, paragraphe 1, du même règlement, qui vise l’examen de la demande en nullité, si l’EUIPO juge la demande en nullité recevable, il examine si les motifs de nullité visés à l’article 25 s’opposent au maintien du dessin ou modèle communautaire enregistré. Conformément au paragraphe 2 dudit article 53, au cours de l’examen de la demande, effectué conformément au règlement (CE) n° 2245/2002 de la Commission, du 21 octobre 2002, portant modalités d’application du règlement nº 6/2002 (JO 2002, L 341, p. 28), l’EUIPO invite les parties, aussi souvent qu’il est nécessaire, à présenter, dans le délai qu’il leur impartit, leurs observations sur les communications qui émanent des autres parties ou qu’il leur a adressées.

15      L’article 61 du règlement nº 6/2002 dispose :

« 1.      Les décisions des chambres de recours statuant sur un recours sont susceptibles d’un recours devant la Cour de justice.

2.      Le recours est ouvert pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité, du présent règlement ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir.

3.      La Cour de justice est compétente aussi bien pour annuler que pour réformer la décision attaquée.

[...]

6.      L’[EUIPO] est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour de justice. »

16      Aux termes de l’article 63, paragraphe 1, de ce règlement, « [a]u cours de la procédure, l’[EUIPO] procède à l’examen d’office des faits. Toutefois, dans une action en nullité, l’examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties ».

17      L’article 65, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que l’EUIPO peut, dans toute procédure, adopter des mesures d’instruction et, notamment, auditionner des parties et des témoins, demander des renseignements ainsi que la production de documents et de moyens de preuve, ou encore exiger une expertise.

18      L’article 28, paragraphe 1, sous b), v) et vi), du règlement n° 2245/2002 dispose :

« 1.      Une demande en nullité, introduite auprès de l’[EUIPO] en vertu de l’article 52 du règlement [n° 6/2002], contient les renseignements suivants :

[...]

b)      en ce qui concerne les motifs invoqués dans la demande :

[...]

v)      lorsque les motifs de nullité sont fondés sur le fait que le dessin ou modèle communautaire enregistré ne remplit pas les conditions énoncées aux articles 5 et 6 du règlement [n° 6/2002], l’indication et la reproduction des dessins ou modèles antérieurs susceptibles de faire obstacle à la nouveauté ou au caractère individuel du dessin ou modèle communautaire enregistré, ainsi que les documents prouvant l’existence de ces dessins ou modèles antérieurs ;

vi)      les faits, preuves et observations présentés à l’appui de la demande ».

 Les antécédents des litiges

19      Le 28 novembre 2003, ESS a présenté une demande d’enregistrement de dessin ou modèle communautaire à l’EUIPO, en vertu du règlement no 6/2002. Était visé par cette demande le dessin ou modèle dont la représentation est la suivante :

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20      Le dessin ou modèle contesté a été enregistré en tant que dessin ou modèle communautaire sous le numéro 000107834‑0025 et publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 19/2004, du 9 mars 2004. Il désigne, d’après cet enregistrement, un « siphon de douche (shower drain) ».

21      Le 31 mars 2009, l’enregistrement du dessin ou modèle contesté a été renouvelé. Ce renouvellement a fait l’objet d’une publication au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 61/2009, du 2 avril 2009.

22      Le 3 septembre 2009, I-Drain, à laquelle a succédé Group Nivelles NV, a présenté une demande en nullité du dessin ou modèle contesté, conformément à l’article 52 du règlement no 6/2002. Au soutien de cette demande, elle a invoqué le motif de nullité visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, à savoir que ce dessin ou modèle ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 dudit règlement. Ainsi qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, ces conditions tiennent, notamment, à la nouveauté, au sens de l’article 5 de ce règlement, et au caractère individuel, au sens de l’article 6 dudit règlement, du dessin ou modèle concerné, appréciés à la date de sa divulgation au public, déterminée conformément à l’article 7 du même règlement.

23      À l’appui de sa demande en nullité, I-Drain a produit, notamment, des extraits des deux catalogues de produits de l’entreprise Blücher (ci‑après les « catalogues Blücher »). Les catalogues Blücher comportaient, notamment, l’illustration suivante :

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24      Par décision du 23 septembre 2010, la division d’annulation de l’EUIPO a prononcé la nullité du dessin ou modèle contesté, faisant ainsi droit à la demande en ce sens qui lui avait été soumise par I-Drain.

25      La division d’annulation de l’EUIPO a indiqué, au point 3 de cette décision, qu’il ressortait clairement des arguments d’I‑Drain que sa demande en nullité était fondée sur la prétendue absence de nouveauté et de caractère individuel du dessin ou modèle communautaire contesté. Au point 15 de ladite décision, la division d’annulation de l’EUIPO a considéré que ce dessin ou modèle représentait une plaque, une cuve et un siphon de douche, stricto sensu, et que la seule caractéristique visible de ce dessin ou modèle était la partie supérieure de ladite plaque. Or, selon le point 19 de la décision de la division d’annulation de l’EUIPO, cette plaque serait identique à celle figurant au centre de l’illustration reproduite au point 23 du présent arrêt et le dessin ou modèle contesté serait dépourvu de nouveauté par rapport au dessin ou modèle figurant sur ce document. La division d’annulation de l’EUIPO a, en outre, au point 20 de sa décision, rejeté comme dépourvu de pertinence l’argument d’ESS selon lequel la plaque figurant au centre de l’illustration reproduite au point 23 du présent arrêt était utilisée dans un environnement différent de celui dans lequel le produit concerné par le dessin ou modèle contesté était destiné à être utilisé, au motif que l’usage du produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé n’est pas un élément de son apparence et que, par conséquent, la différence n’a pas d’impact sur la comparaison des deux dessins en conflit.

26      Le 15 octobre 2010, ESS a formé un recours, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation de l’EUIPO.

27      Par la décision litigieuse, la troisième chambre de recours de l’EUIPO a annulé la décision de la division d’annulation de l’EUIPO du 23 septembre 2010. En substance, aux points 31 à 33 de la décision litigieuse, elle a considéré, contrairement à la division d’annulation de l’EUIPO, que le dessin ou modèle communautaire contesté présentait un caractère nouveau, au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002, dans la mesure où il n’était pas identique à la plaque figurant au centre de l’illustration reproduite au point 23 du présent arrêt, mais présentait, par rapport à elle, des différences qui n’étaient ni « minimales » ni « difficiles à apprécier de manière objective » et qui, par conséquent, ne pouvaient pas être considérées comme insignifiantes. Elle a renvoyé l’affaire devant la division d’annulation de l’EUIPO « pour suite à donner à la demande d’annulation fondée sur l’article 25, paragraphe 1, sous b), lu en conjonction avec [l’article 4, paragraphe 1, et l’article 6] » du règlement no 6/2002.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 janvier 2013, Group Nivelles a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

29      Par son mémoire en réponse, déposé au greffe du Tribunal le 15 juillet 2013, ESS, en tant qu’intervenante, a conclu à l’annulation de la décision litigieuse sur un point non soulevé dans la requête.

30      À l’appui de son recours, Group Nivelles a invoqué un moyen unique, tiré d’une erreur commise par la troisième chambre de recours de l’EUIPO lors de la comparaison du dessin ou modèle contesté avec les dessins et modèles antérieurs qui avaient été invoqués à l’appui de la demande en nullité. Selon elle, cette erreur a conduit la troisième chambre de recours de l’EUIPO à la conclusion erronée selon laquelle le dessin ou modèle contesté était nouveau au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002.

31      Dans sa demande d’annulation de la décision litigieuse pour un motif autre que ceux invoqués par Group Nivelles, ESS a fait valoir que la troisième chambre de recours de l’EUIPO a violé des formes substantielles en concluant, au point 31 de cette décision, que l’illustration reproduite au point 23 du présent arrêt divulguait un siphon de douche rectangulaire très simple constitué d’une plaque de recouvrement percée d’un trou. Selon ESS, cette conclusion était en contradiction avec les affirmations des parties lors de la procédure devant l’EUIPO et n’a pas été motivée, ce qui rendait la décision litigieuse insuffisamment compréhensible.

32      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli tant le moyen unique de Group Nivelles, que le moyen incident d’ESS et, par conséquent, a annulé la décision litigieuse. En revanche, le Tribunal a rejeté la demande de réformation de cette décision, présentée par Group Nivelles.

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

33      Par son pourvoi dans l’affaire C‑361/15 P, ESS demande à la Cour :

–        d’annuler partiellement l’arrêt attaqué et

–        de condamner la partie ayant succombé aux dépens de l’instance.

34      Dans son mémoire en réponse dans l’affaire C-361/15 P, l’EUIPO demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner la partie requérante aux dépens qu’il a exposés.

35      Dans son mémoire en réponse dans l’affaire C-361/15 P, Group Nivelles demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner la partie requérante aux dépens qu’elle a exposés.

36      Par son pourvoi dans l’affaire C‑405/15 P, l’EUIPO demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué et

–        de condamner Group Nivelles et ESS aux dépens qu’il a exposés.

37      Dans son mémoire en réponse dans l’affaire C‑405/15 P, ESS demande à la Cour :

–        d’accueillir le pourvoi en ce qui concerne les deux premiers moyens de l’EUIPO et de condamner Group Nivelles aux dépens exposés par l’EUIPO et

–        de rejeter le pourvoi en ce qui concerne le troisième moyen de l’EUIPO et de condamner ce dernier aux dépens qu’elle a exposés s’agissant de ce moyen.

38      Dans son mémoire en réponse dans l’affaire C‑405/15 P, Group Nivelles demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner l’EUIPO aux dépens qu’elle a exposés.

39      Dans son mémoire en intervention dans l’affaire C‑405/15 P, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué et

–        de le condamner à supporter ses propres dépens.

40      Par décision du président de la Cour du 8 juin 2016, les affaires C‑361/15 P et C‑405/15 P ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

 Sur les pourvois

 Sur les premier et deuxième moyens de l’EUIPO, tirés d’une violation de l’article 63, paragraphe 1, et de l’article 25, paragraphe 1, sous b),du règlement nº 6/2002, lu en combinaison avec l’article 5 de ce règlement

41      Eu égard à leur connexité, il convient d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens de l’EUIPO.

 Argumentation des parties

42      L’EUIPO allègue, en premier lieu, que le Tribunal, aux points 74 et 79 de l’arrêt attaqué, a violé l’article 63, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002 et, en particulier, les principes devant gouverner la charge et l’administration de la preuve dans le cadre d’une action en nullité d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, en exigeant que l’EUIPO recherche le ou les dessins ou modèles pertinents à partir des différents extraits des catalogues joints à la demande en nullité.

43      Cet article 63, paragraphe 1, serait fondé sur une nette répartition des rôles respectifs de l’EUIPO et du demandeur en nullité dans le cadre des procédures en nullité fondées sur les articles 5 et 6 du règlement nº 6/2002, ce qui serait, d’ailleurs, confirmé par les termes de l’article 28, paragraphe 1, sous b), v) et vi), du règlement n° 2245/2002.

44      Ainsi, le demandeur en nullité serait tenu d’identifier précisément quels sont les dessins ou modèles antérieurs pertinents en présentant les reproductions de ces dessins ou modèles ainsi que la preuve de leur existence. Il devrait, par ailleurs, apporter la preuve de la divulgation de ces dessins ou modèles antérieurs, au sens de l’article 7 du règlement nº 6/2002. À cet égard, l’EUIPO ne pourrait examiner la demande en nullité que sur la base des faits, des preuves, des arguments et des observations présentés par le demandeur en nullité, sans pouvoir se substituer à celui-ci pour l’administration de la preuve ni rechercher quel dessin ou modèle antérieur pourrait être pertinent parmi tous ceux représentés dans les documents produits.

45      Or, l’EUIPO considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant, aux points 74 et 84 de l’arrêt attaqué, qu’il n’a pas identifié correctement le dessin ou modèle antérieur invoqué et que ce dessin ou modèle est constitué par « l’intégralité du dispositif d’évacuation de liquides, proposé par l’entreprise Blücher et invoqué à l’appui de la demande en nullité ».

46      Selon l’EUIPO, il ressort de la procédure relative à la demande en nullité ainsi que des observations de Group Nivelles devant le Tribunal que cette société invoquait, en tant que dessin ou modèle antérieur, non pas l’intégralité du dispositif d’évacuation de liquides, mais uniquement la plaque de recouvrement divulguée tant par l’entreprise Blücher que par d’autres entreprises. Ce ne serait qu’au stade de la requête devant le Tribunal, donc tardivement, que Group Nivelles a visé l’intégralité du dispositif d’évacuation de liquides.

47      Ainsi, en imposant à l’EUIPO, au point 79 de l’arrêt attaqué, l’obligation de comparer le dessin ou modèle contesté avec l’intégralité du dispositif d’évacuation de liquides, proposé par l’entreprise Blücher, le Tribunal aurait, de sa propre initiative, recherché, dans les catalogues produits par Group Nivelles, l’antériorité qu’il jugeait la plus pertinente, violant ainsi l’article 63, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002.

48      En second lieu, l’EUIPO allègue que le Tribunal a, aux points 77 et 78 de l’arrêt attaqué, violé les règles devant gouverner l’appréciation de la nouveauté d’un dessin ou modèle communautaire visées à l’article 5 du règlement nº 6/2002, en lui imposant l’obligation de combiner plusieurs composants du dessin ou modèle dont l’antériorité est alléguée, lorsqu’il sont divulgués de manière séparée.

49      La Cour aurait déjà jugé, dans son arrêt du 19 juin 2014, Karen Millen Fashions (C‑345/13, EU:C:2014:2013, point 26), que, s’agissant de l’examen du caractère individuel au sens de l’article 6 du règlement nº 6/2002, d’un dessin ou modèle, ce dernier peut être comparé non pas avec un assemblage d’éléments spécifiques ou de parties de dessins ou modèles antérieurs, mais avec des dessins ou modèles antérieurs individualisés et déterminés. Une telle appréciation vaudrait aussi pour l’examen de la nouveauté d’un dessin ou modèle, au sens de l’article 5 de ce règlement.

50      La circonstance que les différents composants d’un dessin ou modèle, divulgués séparément, soient destinés à être utilisés ensemble ne modifierait pas cette conclusion. En effet, l’assemblage de ces différents composants serait susceptible de donner lieu à une apparence présumée mais hypothétique ou, en tous cas, sujette à d’importantes approximations, ce qui ferait obstacle à l’examen comparatif de la nouveauté, propre à l’article 5 du règlement nº 6/2002. L’EUIPO estime que, dans la présente affaire, les différentes caractéristiques du dessin ou modèle antérieur ne peuvent être déterminées avec suffisamment de précision et que la combinaison des différents composants destinés à être utilisés ensemble exigerait un effort de construction et donnerait lieu à un amalgame hypothétique.

51      L’EUIPO ajoute que le Tribunal, aux points 68 et 76 de l’arrêt attaqué, a rejeté ces arguments au motif qu’ils sont fondés sur la prémisse selon laquelle les parties n’ont apporté aucune image combinant la plaque de recouvrement et la cuve d’évacuation, prémisse qui, selon le Tribunal, est erronée. Toutefois, l’EUIPO considère que cette affirmation du Tribunal est fondée sur une dénaturation des faits, ce qui est confirmé par une comparaison des illustrations auxquelles le Tribunal fait référence dans l’arrêt attaqué.

52      ESS se rallie aux arguments soulevés par l’EUIPO et estime que les premier et deuxième moyens sont fondés.

53      En revanche, Group Nivelles conteste l’argumentation de l’EUIPO et propose, dès lors, à la Cour de rejeter les premier et deuxième moyens comme étant non fondés.

 Appréciation de la Cour

54      Par ses premier et deuxième moyens, l’EUIPO conteste, en substance, l’appréciation du Tribunal effectuée aux points 77 à 79 et 84 de l’arrêt attaqué.

55      L’EUIPO fait valoir que le Tribunal a violé, d’une part, l’article 63, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, et, en particulier, les principes devant gouverner la charge et l’administration de la preuve dans le cadre d’une action en nullité d’un dessin ou modèle enregistré. D’autre part, il considère que le Tribunal a violé l’article 5 de ce règlement et, notamment, les règles devant gouverner l’appréciation de la nouveauté d’un dessin ou modèle communautaire, en exigeant de lui qu’il combine les différents éléments d’un ou de plusieurs dessins ou modèles, divulgués au public de manière séparée dans différents extraits des catalogues joints à la demande en nullité, afin d’obtenir l’apparence complète du dessin ou modèle antérieur.

56      S’agissant de l’administration de la preuve, il convient de rappeler que l’article 63, paragraphe 1, première phrase, du règlement nº 6/2002 prévoit que, au cours de la procédure, l’EUIPO procède à l’examen d’office des faits. Toutefois, la seconde phrase de cette disposition précise que, dans une action en nullité, l’examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties.

57      En l’espèce, il ressort du point 22 du présent arrêt que Group Nivelles a introduit une demande en nullité du dessin ou modèle contesté, conformément à l’article 52 du règlement nº 6/2002, en invoquant le motif de nullité visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), de ce règlement.

58      Or, d’une part, selon l’article 28, paragraphe 1, sous b), v), du règlement n° 2245/2002, lorsqu’une demande en nullité d’un dessin ou modèle communautaire enregistré est fondée sur le fait que ce dessin ou modèle ne remplit pas les conditions énoncées aux articles 5 et 6 du règlement n° 6/2002, la demande en nullité doit contenir l’indication et la reproduction des dessins ou modèles antérieurs susceptibles de faire obstacle à la nouveauté ou au caractère individuel du dessin ou modèle communautaire enregistré, ainsi que les documents prouvant l’existence de ces dessins ou modèles antérieurs.

59      D’autre part, dans le cadre d’une demande en nullité fondée sur l’article 25 du règlement nº 6/2002, il ressort de l’article 52, paragraphes 1 et 2, ainsi que de l’article 53, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, que c’est non pas à l’EUIPO ou au Tribunal, mais au requérant qui invoque le motif de nullité visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, qu’il incombe de fournir les éléments de nature à démontrer la réalité de ce motif (voir, par analogie, ordonnance du 17 juillet 2014, Kastenholz/OHMI, C‑435/13 P, non publiée, EU:C:2014:2124, point 55).

60      Partant, lorsque le demandeur en nullité invoque le motif de nullité prévu à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 6/2002, il lui incombe de fournir les éléments de nature à démontrer que le dessin ou modèle contesté ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 de ce règlement.

61      De surcroît, s’agissant de l’allégation relative à la violation de l’article 5 du règlement n° 6/2002, il importe d’ajouter que, en exigeant, pour qu’un dessin ou modèle soit considéré comme nouveau, qu’« aucun dessin ou modèle identique [n’ait] été divulgué au public », cette disposition implique que l’appréciation du caractère nouveau d’un dessin ou modèle doit s’effectuer par rapport à un ou à plusieurs dessins ou modèles précis, individualisés, déterminés et identifiés parmi l’ensemble des dessins ou modèles divulgués au public antérieurement (voir, par analogie, concernant l’article 6 du règlement nº 6/2002, arrêt du 19 juin 2014, Karen Millen Fashions, C‑345/13, EU:C:2014:2013, point 25).

62      À cet égard, il convient de rappeler que, selon l’article 3, sous a), de ce règlement, un dessin ou modèle est défini comme étant « l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation. » Il s’ensuit que, dans le cadre du système prévu par le règlement nº 6/2002, l’apparence constitue l’élément déterminant d’un dessin ou modèle.

63      Partant, le fait qu’une caractéristique d’un dessin ou modèle soit visible constitue une condition essentielle de cette protection. Ainsi, il est indiqué au considérant 12 du règlement nº 6/2002 que la protection des dessins ou modèles ne devrait pas être étendue aux pièces qui ne sont pas visibles lors d’une utilisation normale d’un produit, ni aux caractéristiques d’une pièce qui ne sont pas visibles lorsque celle-ci est montée et que ces caractéristiques ne devraient, par conséquent, pas être prises en considération pour apprécier si d’autres caractéristiques de ce dessin ou modèle remplissent les conditions d’obtention de la protection.

64      Il résulte des considérations qui précèdent que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 147 et 149 de ses conclusions, il est essentiel que les instances de l’EUIPO disposent d’une image du dessin ou modèle antérieur, qui doit permettre de saisir l’apparence du produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé et d’identifier de manière précise et certaine le dessin ou modèle antérieur afin de procéder, conformément aux articles 5 à 7 du règlement n° 6/2002, à l’appréciation du caractère nouveau et du caractère individuel du dessin ou modèle contesté et à la comparaison que celle-ci implique entre les dessins ou modèles en cause. En effet, examiner si le dessin ou modèle contesté est effectivement dépourvu de nouveauté ou de caractère individuel exige de disposer d’un dessin ou modèle antérieur précis et déterminé.

65      Il s’ensuit, eu égard également aux considérations apparaissant aux points 58 à 64 du présent arrêt, qu’il appartient à la partie ayant introduit la demande en nullité de fournir à l’EUIPO les indications nécessaires et, en particulier, l’identification et la reproduction précises et complètes du dessin ou modèle dont l’antériorité est alléguée, afin de démontrer que le dessin ou modèle contesté ne peut être valablement enregistré.

66      Dans les présentes affaires, il ressort, en particulier, des points 64, 65 et 79 de l’arrêt attaqué, sans qu’une dénaturation soit alléguée à cet égard dans le cadre des présents pourvois, que Group Nivelles n’a pas présenté, dans sa demande en nullité devant les instances de l’EUIPO, une reproduction complète du dessin ou modèle dont l’antériorité était alléguée.

67      Cependant, au point 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé que, dans la mesure où il ressortait clairement des catalogues Blücher que la plaque de recouvrement figurant au centre de l’illustration reproduite au point 23 du présent arrêt était destinée à être combinée avec des cuves et des siphons proposés par l’entreprise Blücher et figurant également dans ces catalogues, pour constituer un dispositif d’évacuation de liquides complet, il revenait à l’EUIPO, pour apprécier la nouveauté du dessin ou modèle contesté, de le comparer, notamment, à une évacuation de liquides constituée de la plaque de recouvrement en question, combinée avec les autres éléments d’un dispositif d’évacuation de liquides proposés par l’entreprise Blücher.

68      Ce faisant, le Tribunal a imposé à l’EUIPO, dans le cadre de la comparaison que cet office doit effectuer entre les dessins ou modèles concernés aux fins de l’appréciation du caractère nouveau du dessin ou modèle contesté, au sens de l’article 5 du règlement nº 6/2002, de combiner les différents éléments d’un ou de plusieurs dessins ou modèles antérieurs afin d’obtenir l’apparence complète de ce dessin ou modèle, alors même que le demandeur en nullité n’a pas reproduit dans son ensemble ce dernier dessin ou modèle.

69      Or, il ne saurait être exigé de l’EUIPO qu’il procède, notamment dans le cadre de l’appréciation du caractère nouveau du dessin ou modèle contesté, à la combinaison des différents éléments du dessin ou modèle antérieur, car il appartenait au demandeur en nullité de produire une représentation complète de ce dessin ou modèle antérieur. Au demeurant, toute combinaison éventuelle contiendrait, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 152 de ses conclusions, des imperfections dans la mesure où elle impliquerait nécessairement des approximations.

70      Dans ces conditions, ainsi que le soutient l’EUIPO à juste titre et contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 78 de l’arrêt attaqué, la circonstance que le dessin ou modèle contesté ne consiste qu’en une combinaison de dessins ou modèles déjà divulgués au public et à propos desquels il a déjà été indiqué qu’ils étaient destinés à être utilisés ensemble, ne saurait, en l’absence d’indication et de reproduction complètes du dessin ou modèle dont l’antériorité est alléguée, être pertinente aux fins de l’examen du caractère nouveau, au sens de l’article 5 du règlement nº 6/2002.

71      Il y a lieu, à cet égard, d’ajouter que la circonstance, relevée par le Tribunal au point 68 de l’arrêt attaqué, qu’ESS, partie intervenante devant le Tribunal, ait produit des extraits d’un catalogue de l’entreprise Blücher, différents de ceux présentés par Group Nivelles dans sa demande en nullité, qui comportaient une image d’une plaque de recouvrement telle que celle figurant au centre de l’illustration reproduite au point 23 du présent arrêt, placée sur une cuve comportant, en dessous, un siphon d’évacuation, ne saurait servir à pallier l’absence d’une indication et d’une reproduction précises du dessin ou modèle antérieur invoqué par Group Nivelles. Si une telle circonstance pouvait être prise en compte par l’EUIPO afin d’adopter des mesures d’instruction, sur la base de l’article 65, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, il n’appartenait pas, en revanche, à celui-ci de combiner les différents éléments d’un ou de plusieurs dessins ou modèles divulgués au public de manière séparée dans différents extraits des catalogues joints à la demande en nullité, afin d’obtenir l’apparence complète du dessin ou modèle antérieur invoqué. En effet, sans qu’il soit besoin d’examiner l’argument de l’EUIPO, selon lequel les points 68 et 76 de l’arrêt attaqué seraient entachés d’une dénaturation des faits, il suffit de constater que le Tribunal, dans cet arrêt, n’affirme nullement que l’image produite par ESS constitue une image complète du dessin ou modèle antérieur précis dont l’antériorité était alléguée par Group Nivelles.

72      Il résulte de ce qui précède que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 77 à 79 et 84 de l’arrêt attaqué, en exigeant de l’EUIPO qu’il procède, dans le cadre de l’appréciation du caractère nouveau du dessin ou modèle contesté, à la combinaison des différents éléments d’un ou de plusieurs dessins ou modèles antérieurs figurant dans différents extraits des catalogues Blücher joints à la demande en nullité, alors même que le demandeur en nullité n’avait pas reproduit dans son ensemble le dessin ou modèle dont il avait invoqué l’antériorité.

73      Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une erreur de droit commise par le Tribunal n’est pas de nature à invalider l’arrêt attaqué si le dispositif de celui-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit (voir arrêts du 18 juillet 2013, FIFA/Commission, C‑204/11 P, EU:C:2013:477, point 43, et du 11 mai 2017, Dyson/Commission, C‑44/16 P, EU:C:2017:357, point 55).

74      À cet égard, il y a lieu de relever que le dispositif de l’arrêt attaqué, en ce qu’il annule la décision litigieuse, est fondé. En effet, il ressort notamment du point 67 de l’arrêt attaqué que le dessin ou modèle dont l’antériorité était invoquée par Group Nivelles devant l’EUIPO était un dispositif d’évacuation de liquides complet, proposé par l’entreprise Blücher. Dans la mesure où l’EUIPO n’allègue aucune dénaturation à cet égard, son argument selon lequel Group Nivelles aurait invoqué un tel dispositif complet pour la première fois au stade de la requête devant le Tribunal ne saurait prospérer.

75      Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 70 du présent arrêt, il ressort des points 64, 65 et 79 de l’arrêt attaqué que Group Nivelles n’a pas présenté, dans sa demande en nullité devant les instances de l’EUIPO, une reproduction complète dudit dessin ou modèle.

76      La troisième chambre de recours de l’EUIPO, dans la décision litigieuse, a, malgré cela, procédé à l’examen de la nouveauté du dessin ou modèle contesté en comparant celui-ci avec la plaque de recouvrement, produite par Group Nivelles à l’appui de sa demande en nullité, figurant au centre de l’illustration reproduite au point 23 du présent arrêt. Cette plaque de recouvrement ne constituait pas le dessin ou modèle dont l’antériorité était invoquée par Group Nivelles. Il s’ensuit que, en affirmant, au point 31 de la décision litigieuse, que « [l]e dessin ou modèle antérieur (D1) est constitué d’un siphon de douche très simple et rectangulaire composé d’une plaque de couverture munie d’un trou », la troisième chambre de recours de l’EUIPO a fondé la décision litigieuse sur des motifs inexacts, ce qui suffit pour justifier la décision du Tribunal d’annuler cette décision.

77      Il résulte de ce qui précède que l’erreur de droit commise par le Tribunal, telle que constatée au point 72 du présent arrêt, ne s’avère pas de nature à invalider l’arrêt attaqué, car le dispositif de celui-ci, en ce qu’il a annulé la décision litigieuse, apparaît fondé pour d’autres motifs de droit. En conséquence, les premier et deuxième moyens de l’EUIPO doivent être rejetés comme inopérants.

 Sur le premier moyen d’ESS, tiré d’une violation, aux points 115 à 123 de l’arrêt attaqué, de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 6/2002, lu en combinaison avec l’article 5 et l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, ainsi que des articles 10 et 19 et de l’article 36, paragraphe 6, dudit règlement

 Argumentation des parties

78      Par son premier moyen, ESS fait valoir, tout d’abord, que le Tribunal a violé l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 6/2002, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, en estimant, d’une part, qu’un dessin ou modèle antérieur incorporé dans un produit différent de celui concerné par un dessin ou modèle postérieur ou appliqué à un tel produit était, en principe, pertinent aux fins de l’appréciation de la nouveauté de ce dernier dessin ou modèle, au sens de l’article 5 dudit règlement, et, d’autre part, que le libellé de ce dernier article excluait qu’un dessin ou modèle puisse être considéré comme nouveau si un dessin ou modèle identique avait, antérieurement, été divulgué au public, quel que soit le produit dans lequel ce dessin ou modèle antérieur était destiné à être incorporé ou auquel il était destiné à être appliqué.

79      ESS estime que, contrairement à ce que le Tribunal a relevé au point 119 de l’arrêt attaqué, les règles énoncées audit article 7 concernent uniquement la nouveauté et le caractère individuel des produits qui appartiennent au même secteur, ou des produits de même nature et destinés à un même usage.

80      ESS considère que ni les travaux préparatoires de la directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1998, sur la protection juridique des dessins ou modèles (JO 1998, L 289, p. 28), ni ceux du règlement n° 6/2002 ne permettent de conclure que l’hypothèse de l’utilisation d’un dessin ou modèle susceptible de pouvoir être appliqué à divers produits ayant chacun une fonction utilitaire différente ait joué un rôle dans l’élaboration de ce règlement. Ainsi, ce serait à tort que le Tribunal a affirmé, au point 122 de l’arrêt attaqué, que le « secteur concerné », au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 6/2002, n’est pas limité à celui dont relève le produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué. En effet, dans un tel cas, ledit dessin ou modèle pourrait englober tous les secteurs où il est susceptible d’être appliqué, même ceux qui n’auraient aucun lien avec le secteur dans lequel la partie qui revendique la protection au titre des dessins ou modèles souhaite l’appliquer.

81      Or, ESS fait valoir que pour qu’un secteur puisse être considéré comme « concerné », il doit exister un lien entre le dessin ou modèle et le produit ou les produits auxquels le dessin ou modèle en cause est destiné à être appliqué, lien qui est constitué par les produits indiqués dans la demande d’enregistrement de dessin ou modèle communautaire, conformément aux dispositions de l’article 36, paragraphe 2, du règlement n° 6/2002.

82      L’interprétation large que le Tribunal donne du « secteur concerné » aurait pour conséquence que la catégorie des « milieux spécialisés » auxquels se réfère l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 6/2002 englobe des personnes qui sont censées connaître non seulement le secteur dont relève le produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué, mais également d’autres secteurs dont relèvent des produits dans lesquels le dessin ou modèle est également susceptible d’être incorporé ou auxquels il est également susceptible d’être appliqué. Or, il ne serait pas réaliste de supposer que ces personnes auront un tel degré de connaissance.

83      Ensuite, ESS estime que le Tribunal a violé l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 6/2002, lu en combinaison avec l’article 5 de ce même règlement, en estimant, aux points 115 et 116 de l’arrêt attaqué, qu’un dessin ou modèle communautaire ne saurait être considéré comme nouveau, au sens de cet article 5, paragraphe 1, si un dessin ou modèle identique avait été divulgué au public avant les dates précisées dans cette disposition, quand bien même ce dessin ou modèle antérieur serait destiné à être incorporé dans un autre produit que celui ou ceux indiqués dans la demande d’enregistrement ou à être appliqué à cet autre produit, en vertu de l’article 36, paragraphe 2, du règlement nº 6/2002.

84      Enfin, ESS fait valoir que le Tribunal, aux points 115 et 116 de l’arrêt attaqué, a violé les articles 10 et 19, et l’article 36, paragraphe 6, du règlement n° 6/2002.

85      ESS estime que pour apprécier si un dessin ou modèle produit une impression visuelle globale différente, au sens de l’article 6 et de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 6/2002, il convient de partir du point de vue de « l’utilisateur averti ». Or, la connaissance de l’utilisateur averti serait limitée, ce qui influerait sur l’appréciation du caractère individuel et de l’étendue de la protection du dessin ou modèle communautaire enregistré.

86      À cet égard, ESS relève une contradiction entre l’appréciation contenue au point 115 de l’arrêt attaqué et celle faite au point 132 de cet arrêt. En effet, le Tribunal reconnaîtrait, audit point 132, que la connaissance de l’utilisateur averti serait limitée et que, si l’utilisateur averti du produit, compte tenu de l’identification du produit concerné dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel il est appliqué, n’a pas connaissance du produit antérieur dans lequel le dessin ou modèle antérieur a été incorporé ou auquel il a été appliqué, ce dessin ou modèle antérieur ne peut faire obstacle à la reconnaissance d’un caractère individuel au dessin ou modèle postérieur. Or, d’une part, le caractère individuel et l’étendue de la protection d’un dessin ou modèle seraient les deux faces d’une même médaille, et, d’autre part, même si l’utilisateur averti a connaissance du produit antérieur, cela n’impliquerait pas nécessairement que cette connaissance puisse être prise en compte dans l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle qui, aux termes de l’article 36, paragraphe 2, du règlement n° 6/2002, serait destiné à être incorporé dans un autre produit ou à être appliqué à un autre produit.

87      Group Nivelles et l’EUIPO estiment que le premier moyen d’ESS doit être rejeté comme étant non fondé.

 Appréciation de la Cour

88      Aux points 115 à 123 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en substance, jugé que la nature du produit dans lequel le dessin ou modèle antérieur est incorporé ou auquel il est appliqué n’a pas d’incidence sur l’examen du caractère nouveau du dessin ou modèle contesté, au sens de l’article 5 du règlement nº 6/2002. Au point 122 de cet arrêt, le Tribunal a relevé que le « secteur concerné », au sens de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, n’est pas limité à celui du produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué.

89      Il résulte de l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 6/2002 qu’un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public, dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.

90      Le libellé de cette disposition ne fait pas dépendre le caractère nouveau d’un dessin ou modèle des produits dans lesquels il est susceptible de s’incorporer ou auxquels il est susceptible d’être appliqué.

91      En outre, il convient de rappeler que, conformément à l’article 10, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend « à tout dessin ou modèle » qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

92      Ainsi, il y a lieu de relever que si la position d’ESS, selon laquelle la protection d’un dessin ou modèle dépend de la nature du produit dans lequel ce dessin ou modèle est incorporé ou auquel il est appliqué, devait être retenue, une telle protection serait limitée aux seuls dessins ou modèles appartenant à un secteur déterminé. Une telle position ne saurait dès lors être retenue.

93      Par ailleurs, ainsi que l’a jugé, à juste titre, le Tribunal au point 115 de l’arrêt attaqué, il ressort tant de l’article 36, paragraphe 6, que de l’article 19, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, qu’un dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif d’utiliser sur toutes sortes de produits, et non seulement sur le produit indiqué sur la demande d’enregistrement, le dessin ou modèle concerné.

94      En effet, aux termes dudit article 36, paragraphe 6, les informations visées, notamment, au paragraphe 2 de ce même article, ne portent pas atteinte à l’étendue de la protection du dessin ou modèle en tant que tel. Par conséquent, ces informations, qui consistent en l’indication des produits dans lesquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, ne sauraient limiter la protection de ce dessin ou modèle, telle qu’elle a été prévue, en particulier, à l’article 10 du règlement nº 6/2002.

95      Quant à l’article 19, paragraphe 1, de ce règlement, la référence à « un produit » dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ne permet de considérer que l’étendue de la protection du dessin ou modèle communautaire serait limitée au produit dans lequel ce dessin ou modèle est incorporé ou auquel il est appliqué.

96      Dans ces conditions, c’est à juste titre que le Tribunal a jugé, au point 116 de l’arrêt attaqué, que, eu égard à l’interprétation des articles 10 et 19 ainsi que de l’article 36 du règlement no 6/2002, un dessin ou modèle communautaire ne saurait être considéré comme nouveau, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement, si un dessin ou modèle identique a été divulgué au public avant les dates précisées dans cette disposition, quand bien même ce dessin ou modèle antérieur serait destiné à être incorporé dans un produit différent ou à être appliqué à ce dernier. En effet, le fait que la protection conférée à un dessin ou modèle n’est pas limitée aux seuls produits dans lesquels il est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué implique nécessairement que l’appréciation du caractère nouveau d’un dessin ou modèle ne doit pas non plus être limitée à ces seuls produits. Dans l’hypothèse inverse, comme l’a relevé le Tribunal au même point, l’enregistrement ultérieur d’un dessin ou modèle communautaire, qui aurait été obtenu en dépit de la divulgation antérieure d’un dessin ou modèle identique destiné à être incorporé dans un produit différent ou à être appliqué à un tel produit, permettrait au titulaire de cet enregistrement ultérieur d’interdire l’utilisation dudit dessin ou modèle même pour le produit visé par la divulgation antérieure, ce qui serait un résultat absurde.

97      Contrairement à ce qu’allègue ESS, cette interprétation n’est pas remise en cause par l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 6/2002.

98      En effet, conformément à la première phrase de cet article 7, paragraphe 1, aux fins de l’application des articles 5 et 6 du règlement nº 6/2002, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date visée à l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), et à l’article 6, paragraphe 1, sous a) et b), de ce règlement, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union.

99      Ainsi, il ressort du libellé de l’article 7, paragraphe 1, première phrase, du règlement nº 6/2002 que cette disposition fait uniquement dépendre l’existence d’une divulgation au public des modalités factuelles de cette divulgation et non pas du produit dans lequel ce dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué.

100    Ladite disposition pose, d’ailleurs, la règle selon laquelle la survenance de l’un quelconque des faits qui y sont énumérés constitue une divulgation au public d’un dessin ou modèle, cette règle connaissant une exception, lorsque, dans la pratique normale des affaires, les faits invoqués pour soutenir qu’il y a eu divulgation ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans l’Union. Les termes « milieux spécialisés du secteur concerné » n’apparaissent donc que dans le cadre d’une exception et doivent, de ce fait, être interprétés restrictivement.

101    Afin de cerner la portée de cette exception, il y a lieu de renvoyer, tout comme l’a fait le Tribunal au point 120 de l’arrêt attaqué, à l’avis du Comité économique et social sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les dessins ou modèles communautaires (JO 1994, C 388, p. 9), dont la proposition figurant au point 3.1.4 de cet avis a été reprise à l’article 7 du règlement nº 6/2002. Le point 3.1.2 dudit avis indique que la disposition relative à l’appréciation de la nouveauté d’un dessin ou modèle communautaire, ainsi conçue, paraît difficilement applicable dans de nombreux domaines et spécialement dans l’industrie textile. Ce même point ajoute qu’il est fréquent que des vendeurs de produits de contrefaçon se procurent des attestations établissant faussement que le dessin ou le modèle contesté avait déjà été créé auparavant dans un État tiers. Le point 3.1.3 de ce même avis conclut que, dans ces conditions, il conviendrait de viser la divulgation aux milieux intéressés dans l’Union avant la date de référence.

102    Il ressort ainsi des travaux préparatoires du règlement nº 6/2002 que l’exception que contient l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, concernant les cas où les faits que cette disposition énumère ne peuvent constituer une divulgation au public, vise à exclure que puissent constituer une telle divulgation des faits difficilement vérifiables qui ont prétendument eu lieu dans des États tiers, et non pas à distinguer entre les différents secteurs d’activité au sein de l’Union et à exclure que puissent constituer une divulgation au public des faits concernant un secteur d’activité qui ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés d’un autre secteur au sein de l’Union.

103    C’est ainsi à juste titre que le Tribunal a considéré, au point 122 de l’arrêt attaqué, que le « secteur concerné », au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, n’est pas limité à celui du produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué.

104    Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 123 de l’arrêt attaqué, qu’un dessin ou modèle antérieur incorporé dans un produit différent de celui concerné par un dessin ou modèle postérieur ou appliqué à ce produit est, en principe, pertinent aux fins de l’appréciation de la nouveauté, au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002, de ce dessin ou modèle postérieur. En effet, il résulte des considérations qui précèdent que, ainsi que l’a indiqué le Tribunal audit point, ce dernier article exclut qu’un dessin ou modèle puisse être considéré comme nouveau si un dessin ou modèle identique a, antérieurement, été divulgué au public, quel que soit le produit dans lequel ce dessin ou modèle antérieur est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué.

105    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le premier moyen d’ESS.

 Sur le second moyen d’ESS, tiré d’une violation de l’article 61 du règlement nº 6/2002

106    Par son second moyen, ESS estime que le Tribunal a outrepassé les limites du contrôle de légalité, violant ainsi l’article 61 du règlement nº 6/2002, lorsqu’il a affirmé, à la dernière phrase du point 137 de l’arrêt attaqué, que, « contrairement à ce que semble présumer [ESS], [le fait que les plaques de recouvrement conviennent à un usage industriel] ne signifie pas qu’[elles] ne puissent pas être utilisé[e]s également dans d’autres endroits, notamment dans une douche, où [elles] doivent normalement supporter des charges moins importantes ».

107    Or, la troisième chambre de recours de l’EUIPO ne se serait prononcée ni sur les classes de charge figurant dans les catalogues Blücher ou sur leur signification, ni sur la pertinence de ces dernières pour l’appréciation de la nouveauté ou du caractère individuel du dessin ou modèle. ESS ajoute que la dernière phrase du point 137 de l’arrêt attaqué était inutile pour parvenir à la conclusion à laquelle arrive le Tribunal, ce qui ressortirait du point 138 de cet arrêt, qui commence par les termes « [i]l n’en reste pas moins que ».

108    Il y a lieu, à cet égard, de relever que ce second moyen doit être rejeté comme étant inopérant. En effet, le point 138 de l’arrêt attaqué, qui contient la conclusion du Tribunal quant à l’erreur commise par la troisième chambre de recours de l’EUIPO, est introduit par les termes « [i]l n’en reste pas moins », ce qui montre que l’appréciation contenue au point 137 in fine de l’arrêt attaqué est superfétatoire, comme ESS l’admet par ailleurs dans ses écritures.

109    Il convient d’ailleurs de souligner que cette dernière appréciation ne saurait nullement être considérée comme étant le fondement de la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu aux points 138 et 139 de cet arrêt, selon laquelle la troisième chambre de recours de l’EUIPO a commis une erreur en qualifiant la plaque de recouvrement figurant au centre de l’illustration reproduite au point 23 du présent arrêt de « siphon de douche ».

110    Partant, il convient de rejeter le second moyen d’ESS.

 Sur le troisième moyen de l’EUIPO, tiré d’une violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 6/2002, lu en combinaison avec les articles 6 et 7 de ce règlement

 Argumentation des parties

111    Par son troisième moyen, l’EUIPO affirme, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant, aux points 131 et 132 de l’arrêt attaqué, que, dans le cadre de l’examen du caractère individuel du dessin ou modèle contesté, au sens de l’article 6 du règlement nº 6/2002, la nature des produits concernés par les dessins ou modèles comparés avait une influence sur la possibilité, pour l’utilisateur averti pertinent, de connaître le dessin ou modèle antérieur.

112    L’EUIPO considère, tout d’abord, que dès lors qu’un dessin ou modèle antérieur est divulgué, au sens de l’article 7 du règlement nº 6/2002, il doit être comparé avec le dessin ou modèle postérieur. Le fait que l’examen de la divulgation fasse intervenir les « milieux spécialisés du secteur concerné » serait sans incidence sur cette conclusion. L’EUIPO affirme que cet article 7 opère une fiction juridique par laquelle tout dessin ou modèle « divulgué au public » est présumé connu tant du public professionnel du secteur concerné par le dessin ou modèle antérieur que du public des utilisateurs avertis du type de produit concerné par le dessin ou modèle contesté. Un tel constat serait confirmé par la généralité des termes « divulgué au public », utilisés audit article 7, paragraphe 1.

113    La référence aux « milieux spécialisés du secteur concerné » ne serait pertinente que dans le cadre de la dérogation à la règle selon laquelle tout acte de mise à disposition du public constitue une divulgation valable. La divulgation du dessin ou modèle antérieur serait ainsi inopérante s’il était démontré que le professionnel du secteur concerné n’avait aucune chance raisonnable d’accès à cette divulgation. La référence aux « milieux spécialisés du secteur concerné » ne servirait qu’à souligner le caractère exceptionnel d’une divulgation à laquelle il ne serait reconnu aucun effet juridique.

114    Ensuite, l’approche proposée par le Tribunal reviendrait à exiger du demandeur en nullité la preuve de deux divulgations, une première auprès du public des « milieux spécialisés du secteur concerné » et une seconde auprès du public des utilisateurs du type de produit concerné par le dessin ou modèle contesté. Une telle exigence ajouterait une condition que ne prévoit ni la lettre ni l’esprit de l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002. En effet, l’EUIPO considère que le demandeur en nullité doit uniquement prouver la mise à disposition du public d’un dessin ou modèle et non pas que les professionnels avaient une connaissance effective de cette divulgation, ou que le public des utilisateurs avertis était familiarisé avec les produits concernés par le dessin ou modèle antérieur.

115    Enfin, l’EUIPO fait valoir que la notion de « divulgation », au sens de l’article 7 du règlement nº 6/2002, doit être interprétée de la même manière selon qu’il est fait application de l’article 5 du règlement nº 6/2002, relatif au critère de nouveauté, ou de l’article 6 de ce règlement, relatif au caractère individuel. Le fait d’exiger la preuve supplémentaire de la connaissance du dessin ou modèle antérieur par le public averti concerné par le dessin ou modèle contesté, dans le cadre de l’examen dudit article 6, pourrait avoir comme effet qu’un dessin ou modèle se voie reconnaître un caractère individuel alors même qu’il serait privé de nouveauté, ce qui serait un résultat incohérent.

116    Dans ces conditions, l’EUIPO relève que le Tribunal ne saurait, en l’espèce, donner comme instruction à la troisième chambre de recours de l’EUIPO de vérifier si les utilisateurs de « siphons de douche » sont susceptibles de connaître le caniveau d’évacuation de l’entreprise Blücher.

117    Group Nivelles conclut au rejet du troisième moyen de l’EUIPO.

118    Le Royaume-Uni, qui est intervenu dans le cadre de l’affaire C‑405/15 P au soutien de l’EUIPO, considère le troisième moyen de l’EUIPO comme fondé.

 Appréciation de la Cour

119    S’agissant de la pertinence de l’identification du produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel il est appliqué aux fins de l’examen du caractère individuel de ce dessin ou modèle, au sens de l’article 6 du règlement nº 6/2002, le Tribunal a relevé, au point 129 de l’arrêt attaqué, que l’utilisateur à prendre en considération est l’utilisateur du produit dans lequel ce dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci s’applique. Au point 131 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a retenu qu’il ne saurait être exclu que l’utilisateur averti du produit dans lequel un dessin ou modèle déterminé est incorporé ou auquel celui-ci s’applique ait également connaissance du patrimoine des dessins ou modèles relatifs à des produits différents, même si une telle connaissance ne saurait pas non plus être automatiquement présumée.

120    Au point 132 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, par conséquent, jugé que l’identification du produit dans lequel un dessin ou modèle antérieur est incorporé ou auquel celui-ci s’applique, invoqué pour contester le caractère individuel, au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002, d’un dessin ou modèle postérieur, présente une pertinence pour cette appréciation. En effet, selon le Tribunal, c’est par l’identification du produit concerné qu’il pourra être déterminé si l’utilisateur averti du produit dans lequel le dessin ou modèle postérieur est incorporé ou auquel celui-ci s’applique connaît le dessin ou modèle antérieur. Le Tribunal a indiqué, audit point, que ce n’est que si cette dernière condition est remplie que ce dessin ou modèle antérieur pourrait faire obstacle à la reconnaissance d’un caractère individuel au dessin ou modèle postérieur.

121    Le Tribunal a jugé, au point 133 de l’arrêt attaqué, que si l’identification du produit précis dans lequel le dessin ou modèle antérieur, invoqué à l’appui de la demande en nullité, était incorporé ou auquel il était appliqué n’est pas pertinente aux fins de l’appréciation de la nouveauté, au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002, du dessin ou modèle contesté, elle présente, tout de même, une pertinence pour l’appréciation du caractère individuel, au sens de l’article 6 de ce règlement, de ce dernier dessin ou modèle.

122    À cet égard, l’EUIPO ne conteste pas que la différence dans la nature du produit dans lequel les dessins ou modèles comparés sont incorporés ou auquel ceux-ci sont appliqués puisse affecter l’impression globale qu’ils produisent sur l’utilisateur averti du dessin ou modèle contesté. En particulier, l’EUIPO considère que les conditions d’utilisation des produits concernés par les dessins ou modèles comparés sont pertinentes et peuvent, le cas échéant, influencer l’impression globale laissée sur l’utilisateur averti.

123    Toutefois, l’EUIPO estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant, aux points 131 et 132 de l’arrêt attaqué, que la nature des produits dans lesquels les dessins ou modèles comparés sont incorporés ou auxquels ceux-ci s’appliquent a une influence sur la possibilité, pour l’utilisateur averti du produit dans lequel le dessin ou modèle postérieur est incorporé ou auquel celui-ci s’applique, de connaître le dessin ou modèle antérieur et que ce n’est que si cette condition de connaissance est remplie que ce dernier dessin ou modèle pourrait faire obstacle à la reconnaissance d’un caractère individuel au dessin ou modèle postérieur.

124    À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 6 du règlement n° 6/2002, un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public. La Cour a déjà jugé que la notion d’utilisateur averti, qui n’est pas définie dans ce règlement, peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 53).

125    Il est vrai que, selon la jurisprudence de la Cour, le qualificatif « averti » suggère que, sans être un concepteur ou un expert technique, l’utilisateur connaît différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d’un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement et, du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d’un degré d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise (arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 59).

126    Toutefois, la notion d’utilisateur averti ne saurait être interprétée en ce sens que ce n’est que si cet utilisateur connaît le dessin ou modèle antérieur que ce dessin ou modèle antérieur pourrait faire obstacle à la reconnaissance d’un caractère individuel au dessin ou modèle postérieur. Une telle interprétation se heurte, en effet, à l’article 7 du règlement n° 6/2002.

127    À cet égard, il convient de relever que, aux termes des articles 5 et 6 du règlement nº 6/2002, il n’y a lieu de comparer un dessin ou modèle à un autre pour constater le caractère nouveau ainsi que le caractère individuel du premier, que si le second a été divulgué au public.

128    Lorsqu’un dessin ou modèle est considéré comme ayant été divulgué au public, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, cette divulgation vaut tant pour ce qui est de l’examen du caractère nouveau, au sens de l’article 5 de ce règlement, du dessin ou modèle auquel le dessin ou modèle divulgué est comparé, que du caractère individuel de ce premier dessin et modèle, au sens de l’article 6 dudit règlement.

129    En outre, ainsi qu’il ressort des points 98 à 103 du présent arrêt, le « secteur concerné », au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, n’est pas limité à celui du produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué.

130    Or, l’appréciation du Tribunal, au point 132 de l’arrêt attaqué, revient à ce que, aux fins de l’examen du caractère individuel d’un dessin ou modèle, au sens de l’article 6, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, il soit exigé que le dessin ou modèle antérieur, dont la divulgation au public a déjà été prouvée, au sens de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, soit connu de l’utilisateur averti du dessin ou modèle contesté.

131    Toutefois, rien dans ledit article 7, paragraphe 1, ne permet de considérer qu’il soit nécessaire que l’utilisateur averti du produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est incorporé ou auquel il est appliqué connaisse le dessin ou modèle antérieur, lorsque ce dernier est incorporé dans un produit d’un secteur industriel différent de celui concerné par le dessin ou modèle contesté ou est appliqué à un tel produit.

132    Si l’appréciation du Tribunal, au point 132 de l’arrêt attaqué, devait être suivie, le demandeur en nullité du dessin ou modèle contesté devrait prouver non seulement qu’il y a eu divulgation au public du dessin ou modèle antérieur, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002, mais aussi que le public averti du dessin ou modèle dont la validité est contestée connaissait ce dessin ou modèle antérieur.

133    Cela revient, en effet, à exiger la preuve de deux divulgations, une première auprès du public des « milieux spécialisés du secteur concerné » et une seconde auprès du public des utilisateurs du type de produit concerné par le dessin ou modèle contesté. Une telle exigence, outre qu’elle serait incompatible avec l’interprétation des termes « secteur concerné » rappelée au point 129 du présent arrêt, ajouterait une condition que ne prévoit ni la lettre ni l’esprit de l’article 7, paragraphe 1, du règlement nº 6/2002 et ne serait pas conciliable avec le principe découlant de l’article 10, paragraphe 1, de ce règlement, selon lequel la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend « à tout dessin ou modèle » qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

134    Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit en exigeant, au point 132 de l’arrêt attaqué, que l’utilisateur averti du dessin ou modèle contesté connaisse le produit dans lequel le dessin ou modèle antérieur est incorporé ou auquel il s’applique.

135    Cela étant, il y a lieu de relever que ces considérations, qui apparaissent au point 132 de l’arrêt attaqué, font partie d’une analyse dont le Tribunal tire la conclusion, aux points 124 et 133 dudit arrêt, que le secteur concerné présente une pertinence aux fins de l’appréciation du caractère individuel, au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002, d’un dessin ou modèle. Or, cette conclusion n’a pas été contestée par l’EUIPO dans le cadre de son pourvoi.

136    Il s’ensuit que le troisième moyen de l’EUIPO doit être rejeté comme étant inopérant.

137    Dans ces conditions, il convient de rejeter les pourvois tant d’ESS que de l’EUIPO.

 Sur les dépens

138    L’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, prévoit que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

139    En l’espèce, s’agissant de l’affaire C‑361/15 P, Group Nivelles et l’EUIPO ayant conclu à la condamnation d’ESS et cette dernière ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Group Nivelles et par l’EUIPO.

140    S’agissant de l’affaire C-405/15 P, Group Nivelles ayant conclu à la condamnation de l’EUIPO et ce dernier ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Group Nivelles. Par ailleurs, ESS ayant conclu uniquement à la condamnation de l’EUIPO en ce qui concerne le troisième moyen et ce dernier ayant succombé, il convient de le condamner également à supporter un tiers des dépens exposés par ESS dans l’affaire C‑405/15 P, les deux autres tiers restant à la charge d’ESS.

141    L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, dispose que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

142    En l’espèce, s’agissant de l’affaire C‑405/15 P, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1)      Les pourvois dans les affaires C361/15 P et C405/15 P sont rejetés.

2)      Easy Sanitary Solutions BV est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Group Nivelles NV et par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) dans l’affaire C361/15 P.

3)      L’EUIPO est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Group Nivelles NV dans l’affaire C405/15 P.

4)      L’EUIPO est condamné à supporter un tiers des dépens exposés par Easy Sanitary Solutions BV dans l’affaire C405/15 P, les deux autres tiers restant à la charge d’Easy Sanitary Solutions BV.

5)      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens dans l’affaire C-405/15 P.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.