Language of document : ECLI:EU:C:2021:976

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 2 décembre 2021 (1)

Affaire C410/20

Banco Santander SA

contre

J.A.C.,

M.C.P.R.

[demande de décision préjudicielle formée par l’Audiencia Provincial de A Coruña (cour provinciale de La Corogne, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2014/59/UE – Redressement et résolution des établissements de crédit – Acquisition d’actions – Procédure de résolution – Directive 2003/71/CE – Information incorrecte du prospectus d’émission des actions – Action tendant à la nullité du contrat d’acquisition d’actions – Erreur dans le consentement – Demande introduite contre le successeur universel de l’établissement de crédit »






I.      Introduction

1.        En réaction à la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008 et à la crise financière qui a suivi, l’Union européenne a eu pour objectif de parvenir à une gestion ordonnée des crises bancaires. Elle a mis en place deux instruments en parallèle : d’une part, un cadre commun de résolution pour l’ensemble de ses États membres (2) et, d’autre part, un mécanisme de résolution unique spécifique et intégré pour la zone euro, dans le cadre de l’union bancaire (3).

2.        Les objectifs poursuivis par la résolution bancaire sont communs aux deux instruments (4) et visent à :

–        assurer la continuité des fonctions critiques ;

–        éviter les effets négatifs sérieux sur la stabilité financière, notamment en prévenant la contagion, y compris aux infrastructures de marché, et en maintenant la discipline de marché ;

–        protéger les ressources de l’État par une réduction maximale du recours aux aides financières publiques exceptionnelles ;

–        protéger les déposants couverts par la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux systèmes de garantie des dépôts (5), ainsi que les investisseurs couverts par la directive 97/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 3 mars 1997, relative aux systèmes d’indemnisation des investisseurs (6), et

–        protéger les fonds et les actifs des clients.

3.        Pour parvenir à ces objectifs, plusieurs principes sont énoncés, au premier rang desquels le fait que les actionnaires de l’établissement soumis à la procédure de résolution sont les premiers à supporter les pertes (7), mais également celui selon lequel aucun créancier n’encourt des pertes plus importantes que celles qu’il aurait subies si l’établissement avait été liquidé selon une procédure normale d’insolvabilité (8).

4.        Dans l’affaire qui est soumise à la Cour, une banque a fait l’objet d’une résolution bancaire au cours de laquelle ont eu lieu plusieurs dépréciations et conversions successives d’instruments de fonds propres, suivies immédiatement par une cession d’activités à une autre banque qui a fini par absorber la première.

5.        Dans ce contexte, les règles applicables à cette résolution (pertes supportées par les actionnaires, renflouement interne ainsi que dépréciation et conversion d’instruments de fonds propres) s’opposent‑elles au droit à l’indemnisation des actionnaires ayant souscrit à une augmentation de capital offerte au public l’année précédant la résolution de la banque, en cas de prospectus défectueux, droit tiré de la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE (9) ?

6.        En outre, la réglementation applicable à la résolution s’oppose‑t‑elle aux conséquences (restitution de la contre-valeur des actions souscrites augmentée des intérêts) du constat judiciaire, réalisé à la suite d’actions judiciaires postérieures à cette résolution, de la nullité du contrat de souscription d’actions en raison du dol ou de l’erreur dont les actionnaires auraient été victimes en raison du prospectus défectueux ?

7.        Telles sont en substance les deux questions posées à la Cour et auxquelles je proposerai de répondre par l’affirmative.

8.        Je précise que, en raison de la connexité entre le règlement no 806/2014 et la directive 2014/59 ainsi que du renvoi opéré de l’un à l’autre par l’article 5 de ce règlement, l’interprétation de cette directive vaudra également pour les dispositions analogues dudit règlement.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 2003/71

9.        La directive 2003/71 est applicable ratione temporis au litige au principal (10).

10.      L’article 2, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

d)      “offre au public de valeurs mobilières” : une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces valeurs mobilières : cette définition s’applique également au placement de valeurs mobilières par des intermédiaires financiers ;

[...]

h)      “émetteur” : une personne morale qui émet ou se propose d’émettre des valeurs mobilières ;

[...] »

11.      L’article 6 de la directive 2003/71, intitulé « Responsabilité concernant le prospectus », prévoit :

« 1.      Les États membres veillent à ce que la responsabilité des informations fournies dans un prospectus incombe au moins à l’émetteur ou à ses organes d’administration, de direction ou de surveillance, à l’offreur, à la personne qui sollicite l’admission à la négociation sur un marché réglementé ou au garant, selon le cas. Le prospectus identifie clairement les personnes responsables par leur nom et fonction, ou, dans le cas des personnes morales, par leur nom et siège statutaire, et fourni[t] une déclaration de leur part certifiant que, à leur connaissance, les données du prospectus sont conformes à la réalité et ne comportent pas d’omissions de nature à en altérer la portée.

2.      Les États membres veillent à ce que leurs dispositions législatives, réglementaires et administratives en matière de responsabilité civile s’appliquent aux personnes responsables des informations fournies dans les prospectus.

[...] »

2.      La directive 2014/59

12.      Les considérants 13, 49 à 51 et 120 de la directive 2014/59 énoncent :

« (13)      L’utilisation des instruments et des pouvoirs de résolution prévus par la présente directive peut avoir des répercussions sur les droits des actionnaires et des créanciers. Ainsi, le pouvoir des autorités de transférer les actions ou tout ou partie des actifs d’un établissement à un acquéreur privé sans l’accord des actionnaires affecte les droits de propriété de ces derniers. En outre, le pouvoir de décider, parmi les engagements d’un établissement défaillant, ceux qu’il convient de transférer pour assurer la continuité de ses services et éviter des répercussions défavorables sur la stabilité financière, peut avoir une incidence sur l’égalité de traitement des créanciers. Par conséquent, une mesure de résolution ne devrait être prise que si elle est nécessaire dans l’intérêt public, et toute interférence avec les droits des actionnaires et des créanciers résultant de cette mesure devait être compatible avec la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci-après la “Charte”]. En particulier, lorsque des créanciers de même catégorie sont traités différemment dans le cadre d’une mesure de résolution, cette différence devrait être justifiée par l’intérêt public et proportionnée aux risques visés et ne devrait pas comporter de discrimination directe ou indirecte fondée sur la nationalité.

[...]

(49)      Les restrictions aux droits des actionnaires et des créanciers devraient être conformes aux principes énoncés à l’article 52 de la [C]harte. Les instruments de résolution ne devraient donc s’appliquer qu’aux établissements dont la défaillance est avérée ou prévisible et uniquement si cela est nécessaire pour atteindre l’objectif de stabilité financière dans l’intérêt général. [...] En outre, lors de l’application d’instruments de résolution et de l’exercice de pouvoirs de résolution, le principe de proportionnalité et les particularités de la forme juridique d’un établissement devraient être pris en compte.

(50)      Les atteintes aux droits de propriété ne devraient pas être disproportionnées. Les actionnaires et les créanciers affectés ne devraient pas subir de pertes plus importantes que celles qu’ils auraient subies si l’établissement avait été liquidé au moment où a été décidée la résolution. [...]

(51)      Pour protéger le droit des actionnaires et des créanciers, il convient d’imposer des obligations précises concernant l’évaluation des actifs et passifs de l’établissement soumis à une procédure de résolution et, lorsque la présente directive l’exige, l’évaluation du traitement que les actionnaires et créanciers auraient reçu si l’établissement avait été liquidé dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité. [...] S’il est constaté que les actionnaires et les créanciers ont reçu, en paiement ou en indemnisation de leurs créances, moins que ce qu’ils auraient reçu dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, ils devraient avoir droit au paiement de la différence, lorsque la présente directive l’exige. Contrairement à l’évaluation réalisée préalablement aux mesures de résolution, cette comparaison devrait pouvoir être contestée indépendamment de la décision de procéder à une résolution. Les États membres devraient être libres de définir les modalités de versement de cette différence de traitement aux actionnaires et aux créanciers. Cette différence, s’il y a une différence, devrait être versée au moyen des dispositifs financiers mis en place conformément à la présente directive.

[...]

(120)      Les directives de l’Union en matière de droit des sociétés contiennent des règles obligatoires pour la protection des actionnaires et des créanciers des établissements relevant du champ d’application de ces directives. Dans des cas nécessitant une action rapide des autorités de résolution, ces règles peuvent entraver l’action efficace et l’utilisation d’instruments et de pouvoirs de résolution par les autorités de résolution ; il convient dès lors de prévoir des dérogations appropriées dans la présente directive. [...] »

13.      L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2014/59 dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

47.      “procédure normale d’insolvabilité”, une procédure collective d’insolvabilité, fondée sur le dessaisissement partiel ou total d’un débiteur et la nomination d’un liquidateur ou d’un administrateur, qui est normalement applicable aux établissements en vertu du droit national, qu’elle vise spécifiquement ces établissements ou s’applique de manière générale à toute personne physique ou morale ;

[...]

57.      “instrument de renflouement interne”, le mécanisme permettant l’exercice par une autorité de résolution, conformément à l’article 43, des pouvoirs de dépréciation et de conversion à l’égard d’éléments de passif d’un établissement soumis à une procédure de résolution ;

58.      “instrument de cession des activités”, le mécanisme permettant le transfert par une autorité de résolution à un acquéreur autre qu’un établissement-relais, conformément à l’article 38, des actions ou autres titres de propriété émis par un établissement soumis à une procédure de résolution ou des actifs, droits ou engagements d’un établissement soumis à une procédure de résolution ;

[...]

61.      “titres de propriété”, les actions, les autres titres conférant un droit de propriété, les titres convertibles en actions ou en autres titres de propriété ou donnant le droit d’en acquérir, et les titres représentatifs de droits sur des actions ou d’autres titres de propriété ;

62.      “actionnaires”, les actionnaires ou les détenteurs d’autres titres de propriété ;

[...]

66.      “pouvoirs de dépréciation et de conversion”, les pouvoirs visés à l’article 59, paragraphe 2, et à l’article 63, paragraphe 1, [sous] e) à i) ;

[...] »

14.      L’article 34 de la directive 2014/59, intitulé « Principes généraux régissant la résolution », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, lorsque les autorités de résolution ont recours aux instruments et pouvoirs de résolution, elles prennent toute disposition appropriée afin que la mesure de résolution soit prise conformément aux principes suivants :

a)      les actionnaires de l’établissement soumis à la procédure de résolution sont les premiers à supporter les pertes ;

[...]

e)      les personnes physiques et morales sont considérées comme civilement ou pénalement responsables, conformément au droit de l’État membre, de la défaillance de l’établissement ;

f)      sauf dispositions contraires dans la présente directive, les créanciers de même catégorie sont traités sur un pied d’égalité ;

g)      aucun créancier n’encourt des pertes plus importantes que celles qu’il aurait subies si l’établissement [...] avai[t] été liquid[é] selon une procédure normale d’insolvabilité conformément aux mesures de sauvegarde prévues aux articles 73 à 75 ;

[...] »

15.      L’article 53 de la directive 2014/59, intitulé « Effet du renflouement interne », dispose, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.      Les États membres s’assurent que, lorsqu’une autorité de résolution exerce un pouvoir visé à l’article 59, paragraphe 2, et à l’article 63, paragraphe 1, [sous] e) à i), les mesures de réduction du principal ou des sommes dues, de conversion ou d’annulation prennent effet et s’imposent immédiatement à l’établissement soumis à la résolution ainsi qu’aux créanciers et actionnaires affectés.

[...]

3.      Lorsqu’une autorité de résolution réduit à zéro le principal ou les sommes dues au titre d’un élément de passif en vertu du pouvoir visé à l’article 63, paragraphe 1, [sous] e), cet élément de passif, ainsi que toute obligation ou créance en découlant qui n’est pas échue au moment où le pouvoir est exercé, est réputé acquitté à toutes fins, et ne peut être opposable dans quelque procédure ultérieure relative à l’établissement soumis à une procédure de résolution ou à toute entité lui ayant succédé dans le cadre d’une liquidation ultérieure. »

16.      L’article 59 de cette directive, intitulé « Obligation de déprécier ou de convertir les instruments de fonds propres », prévoit :

« [...]

2.      Les États membres veillent à ce que les autorités de résolution aient le pouvoir de déprécier ou de convertir les instruments de fonds propres pertinents en actions ou autres titres de propriété des établissements [...]

[...]

10.      Avant d’exercer le pouvoir de dépréciation ou de conversion des instruments de fonds propres, les autorités de résolution veillent à ce qu’une valorisation de l’actif et du passif de l’établissement [...] soit effectuée conformément à l’article 36. Cette valorisation constitue la base du calcul de la dépréciation à appliquer aux instruments de fonds propres pertinents afin d’absorber les pertes et du niveau de conversion à appliquer aux instruments de fonds propres pertinents afin de recapitaliser l’établissement [...] »

17.      L’article 60 de ladite directive, intitulé « Dispositions régissant la dépréciation ou la conversion d’instruments de fonds propres », est libellé comme suit :

« [...]

2.      Lorsque le montant principal des instruments de fonds propres pertinents est déprécié :

a)      la réduction de ce montant principal est permanente, sous réserve de toute réévaluation conformément au mécanisme de remboursement de l’article 46, paragraphe 3 ;

b)      aucune obligation vis-à-vis du détenteur de l’instrument de fonds propres pertinent ne subsiste dans le cadre dudit instrument ou en lien avec le montant de celui-ci qui a été déprécié, excepté les obligations déjà échues et les responsabilités pouvant découler d’un recours introduit contre la légalité de l’exercice du pouvoir de dépréciation ;

c)      aucune indemnisation n’est versée à aucun détenteur des instruments de fonds propres pertinents, sauf dans les cas prévus au paragraphe 3.

[...] »

18.      L’article 63, paragraphe 1, sous h), de la directive 2014/59 dispose :

« Les États membres veillent à ce que les autorités de résolution disposent de tous les pouvoirs nécessaires pour appliquer les instruments de résolution à un établissement [...] qui rempli[t] les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution. En particulier, elles possèdent les pouvoirs de résolution suivants [...] :

[...]

h)      le pouvoir de réduire, y compris jusqu’à zéro, le montant nominal des actions ou autres titres de propriété d’un établissement soumis à une procédure de résolution et de résilier ces actions ou autres titres de propriété. »

19.      L’article 75 de cette directive prévoit :

« Les États membres veillent à ce que lorsqu’il ressort de la valorisation effectuée en vertu de l’article 74 qu’un quelconque actionnaire ou créancier visé à l’article 73, ou que le système de garantie des dépôts visé à l’article 109, paragraphe 1, a subi des pertes plus importantes que celles qu’il aurait subies dans une liquidation opérée dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, il a droit au paiement de la différence de la part du dispositif de financement pour la résolution. »

3.      La décision du Conseil de résolution unique (CRU)

20.      Par la décision SRB/EES/2017/08, du 7 juin 2017, fondée sur l’article 18 du règlement no°806/2014, le CRU a adopté un dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular Español SA (ci‑après « Banco Popular »). Ce dispositif a été approuvé par la décision (UE) 2017/1246 de la Commission, du 7 juin 2017 (11).

B.      Le droit espagnol

1.      Le décret royal législatif 4/2015

21.      La directive 2003/71 a été transposée en Espagne par la réforme de la Ley 24/1988 del Mercado de Valores (loi 24/1988, relative au marché des valeurs mobilières) (12), du 28 juillet 1988, désormais remplacée par le Real Decreto Legislativo 4/2015 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Mercado de Valores (décret royal législatif 4/2015, portant approbation de la réforme de la loi sur le marché des valeurs mobilières) (13), du 23 octobre 2015.

22.      L’article 6 de la directive 2003/71 a donné lieu à l’article 38 de ce décret royal législatif, qui réglemente la responsabilité concernant le prospectus dans des termes en substance identiques.

2.      Le code civil

23.      L’article 1300 du Código Civil (code civil) dispose :

« Les contrats qui réunissent les conditions énoncées à l’article 1261 peuvent être annulés, même en l’absence de préjudice pour les parties contractantes, dès lors qu’ils sont entachés de l’un des vices qui les invalident en vertu de la loi. »

24.      L’article 1303 du code civil est libellé comme suit :

« Lorsqu’une obligation est déclarée nulle, les contractants doivent se restituer réciproquement les choses ayant fait l’objet du contrat, les fruits produits par ces choses et le prix assorti d’intérêts, sans préjudice des articles suivants. »

25.      L’article 1307 du code civil énonce :

« Lorsque le contractant tenu de restituer la chose au titre de la constatation de nullité n’est pas en mesure de le faire en raison de la perte de la chose, il doit restituer les fruits perçus et la valeur que la chose avait au moment de sa perte, ainsi que les intérêts à compter de la même date. »

3.      La loi 11/2015

26.      La Ley 11/2015 de recuperación y resolución de entidades de crédito y empresas de servicios de inversión (loi 11/2015, relative au redressement et à la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement) (14), du 18 juin 2015, transpose la directive 2014/59.

4.      La décision du Fonds de restructuration ordonnée des établissements bancaires

27.      La décision SRB/EES/2017/08 du CRU a été mise en œuvre par la décision du Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria (Fonds de restructuration ordonnée des établissements bancaires, Espagne, ci‑après le « FROB ») (15), du 7 juin 2017, dont le troisième fondement juridique indique notamment :

« Quant à la portée de la mesure de dépréciation adoptée au moyen de la présente décision, conformément à l’article 39, paragraphe 2, de la loi [11/2015], il s’agit d’une dépréciation permanente, aucune indemnisation n’étant versée aux détenteurs [des actions dépréciées] [...] Aucune obligation ne subsiste vis-à-vis du détenteur des actions dépréciées, excepté les obligations déjà échues ou la responsabilité pouvant découler d’un recours introduit contre la légalité de l’exercice du pouvoir de dépréciation. »

28.      Le dispositif de cette décision est libellé comme suit :

« Premièrement

Réduction du capital social actuel de [Banco Popular] de deux milliards quatre-vingt-dix-huit millions quatre cent vingt-neuf mille quarante-six euros (2 098 429 046 euros) à zéro euro (0 euro), par la dépréciation de la totalité des actions actuellement en circulation [...], afin de constituer une réserve libre à caractère indisponible, conformément à l’article 35, paragraphe 1, et à l’article 64, paragraphe 1, sous d), de la loi [11/2015].

Deuxièmement

Augmentation simultanée du capital avec suppression du droit préférentiel de souscription en vue de la conversion de la totalité des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 [...]

Troisièmement

Réduction du capital social à zéro euro (0 euro) par la dépréciation des actions résultant de la conversion des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 établie au point précédent, afin de constituer une réserve libre à caractère indisponible [...]

Quatrièmement

Augmentation simultanée du capital avec suppression du droit préférentiel de souscription en vue de la conversion de la totalité des instruments de fonds propres de catégorie 2 en actions nouvellement émises de Banco Popular [...]

Cinquièmement

Désignation de [Banco Popular] en tant que mandataire pour la réalisation de l’ensemble des opérations nécessaires à la conversion et à la dépréciation des instruments de fonds propres décrites aux points précédents.

Sixièmement

Transfert à l’établissement Banco Santander SA de la totalité des actions de [Banco Popular] émises à la suite de la conversion des instruments de fonds propres de catégorie 2 mentionnés dans le troisième fondement juridique de la présente décision [...] »

III. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

29.      Au mois de juin 2016, M. J.A.C. et Mme M.C.P.R. ont acquis des actions de Banco Popular lors d’une augmentation de capital ayant fait l’objet d’une offre publique de souscription.

30.      Après avoir procédé, au dernier trimestre de l’année 2016, à d’importants ajustements de valeur de ses actifs entraînant des pertes d’un montant de 3,485 milliards d’euros pour l’exercice de 2016, Banco Popular a notifié, le 3 avril 2017, à la Comisión Nacional del Mercado de Valores (commission nationale du marché des valeurs mobilières, Espagne), certaines irrégularités dans les comptes annuels de 2016, sans incidence significative sur les comptes de cette année-là, selon elle.

31.      Le 7 juin 2017, la résolution bancaire de Banco Popular a été décidée par le CRU et toutes les actions (en circulation à cette date et issues de la conversion des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1) ont été dépréciées sans aucune contrepartie. Banco Santander a acquis la totalité des nouvelles actions (issues de la conversion des instruments de fonds propres de catégorie 2) de Banco Popular et a procédé à une opération de fusion par absorption en 2018 conduisant à l’extinction de la personnalité juridique de Banco Popular.

32.      M. J.A.C. et Mme M.C.P.R., ayant perdu la totalité de leur investissement, ont assigné, au mois de mars 2018, Banco Popular en nullité du contrat d’acquisition des actions, pour erreur ayant invalidé leur consentement, en raison du prospectus incomplet ou inexact émis avant l’émission, ou pour dol en raison d’informations, sur la situation patrimoniale de la société, sciemment falsifiées ou occultées.

33.      Banco Santander, ayant pris la position de partie défenderesse dès la première instance, a interjeté appel de la décision de première instance ayant fait droit au recours en nullité pour erreur et ordonné le remboursement du prix d’achat des actions, majoré des intérêts légaux.

34.      L’Audiencia Provincial de A Coruña (cour provinciale de La Corogne, Espagne) expose que la jurisprudence espagnole reconnaît la possibilité, en cas de prospectus erroné ou incomplet lors d’une offre publique de souscription, d’agir en responsabilité ou en nullité, avec effet rétroactif, du contrat de souscription d’actions pour dol ou erreur. Elle estime que ces deux actions (en responsabilité ou en nullité) ont des effets équivalents en terme de réparation, à l’exception de l’effet rétroactif de la décision de nullité qui remonte à la date de souscription du contrat d’acquisition, antérieure à la date de résolution bancaire. Elle ajoute que l’impossibilité de restituer les actions n’est pas en soi un obstacle à une action en nullité.

35.      La juridiction de renvoi soulève une première difficulté tenant au fait de savoir si, en cas de résolution bancaire, le principe de renflouement interne par une dépréciation totale des actions et des instruments de fonds propres fait échec à la protection assurée aux actionnaires par le droit de l’Union au moyen de l’action en responsabilité fondée sur un prospectus erroné ou incomplet (ou d’une action en nullité d’effet équivalent) et de la garantie de l’intangibilité du capital social.

36.      Dans l’hypothèse où une action en nullité serait ouverte au profit des actionnaires lésés, la juridiction de renvoi s’interroge sur la portée de l’exception, portant sur les « obligations déjà échues » (16), au principe selon lequel, en cas de dépréciation des instruments de fonds propres, aucune obligation à l’égard du détenteur de ces instruments ne subsiste. Selon elle, l’effet rétroactif de la nullité du contrat d’acquisition rend le droit à restitution antérieur à la date de la résolution et place, à la date de la résolution, les actionnaires lésés comme créanciers de la banque et non comme des actionnaires.

37.      Dans ces conditions, l’Audiencia Provincial de A Coruña (cour provinciale de La Corogne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Lorsque, dans le cadre d’une procédure de résolution d’un établissement financier, la totalité des actions que le capital social comportait ont été dépréciées, l’article 34, paragraphe 1, sous a), l’article 53, paragraphes 1 et 3, et l’article 60, paragraphe 2, sous b) et [c]), de la directive [2014/59] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que les personnes ayant acquis des actions quelques mois avant l’ouverture de la procédure de résolution, à l’occasion d’une augmentation du capital avec offre publique de souscription, puissent introduire, à l’encontre de l’établissement émetteur ou de l’établissement résultant d’une fusion par absorption ultérieure, des actions en réparation ou des actions d’effet équivalent fondées sur les informations défectueuses fournies par le prospectus d’émission ?

2)      Dans une situation telle que celle décrite dans la question précédente, l’article 34, paragraphe 1, sous a), l’article 53, paragraphe 3, et l’article 60, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/59 s’opposent-ils à ce que des obligations de restitution de la contre-valeur des actions souscrites ainsi que de versement d’intérêts soient imposées judiciairement à l’établissement émetteur ou à l’entité lui ayant succédé à titre universel, à la suite de la constatation de la nullité, avec effet rétroactif (ex tunc), du contrat de souscription des actions, en vertu d’actions introduites après la résolution de l’établissement ? »

38.      M. J.A.C. et Mme M.C.P.R., Banco Santander, les gouvernements espagnol, italien et portugais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites.

IV.    Analyse

39.      Je proposerai de répondre aux deux questions posées à la Cour dans l’ordre choisi par la juridiction de renvoi. Je compléterai mon raisonnement par des observations plus générales sur le droit au recours effectif.

A.      Sur la première question

40.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 34, paragraphe 1, sous a), l’article 53, paragraphes 1 et 3, ainsi que l’article 60, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive 2014/59 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’une procédure de résolution d’un établissement financier, la totalité des actions que le capital social comportait ont été dépréciées, ils s’opposent à ce que les personnes ayant acquis des actions quelques mois avant l’ouverture de la procédure de résolution, à l’occasion d’une augmentation du capital avec offre publique de souscription, puissent introduire, à l’encontre de l’établissement émetteur ou de l’établissement résultant d’une fusion par absorption ultérieure, des actions en réparation ou des actions d’effet équivalent fondées sur les informations défectueuses fournies par le prospectus d’émission.

41.      Cette question porte sur l’articulation entre les dispositions de la directive 2014/59, relative à la résolution bancaire, et celles de la directive 2003/71, relative au prospectus. En effet, dans quelle mesure un actionnaire dont la valeur des actions a été réduite à zéro, dans le cadre d’une résolution bancaire opérée au moyen d’un renflouement interne avec dépréciation suivi d’une cession d’activités (17), peut-il obtenir une indemnisation en se fondant sur les inexactitudes du prospectus publié lors de l’offre au public de ces actions, un an avant la résolution bancaire ?

42.      Si ces deux directives visent la moralisation de la vie des affaires, que ce soit par la transparence financière accrue lors des émissions de titres offerts au public, sanctionnée de façon efficace, dissuasive et proportionnée, et par la lutte contre la criminalité en col blanc (considérants 41 et 43 de la directive 2003/71) ou par la réduction de l’aléa moral (considérant 45 de la directive 2014/59), elles n’ont pas le même champ d’application et ne tendent pas à la protection des mêmes intérêts.

43.      En effet, alors que la directive 2003/71 avait pour but indéniable de protéger les investisseurs qui acquièrent des valeurs mobilières offertes au public en leur permettant une action en responsabilité en cas de prospectus mensonger ou inexact, la directive 2014/59 a pour but d’éviter, par une réaction rapide, l’effondrement éventuel d’un système financier à la suite de la défaillance d’une banque. Ainsi, les investisseurs, devenus actionnaires, sont les premiers à contribuer aux pertes en cas de défaillance de leur banque en vertu de l’article 34, paragraphe 1, sous a), de cette directive, cette contribution pouvant se traduire, comme en l’espèce, par la perte totale de leur investissement.

44.      En l’espèce, le CRU, et subséquemment le FROB, ont choisi les instruments suivants de résolution : un renflouement interne par le biais d’une dépréciation, notamment des actions initiales qui ont été annulées (18), suivi d’une cession des activités.

45.      La Cour a déjà admis que les objectifs consistant à assurer la stabilité du système bancaire et financier ainsi qu’à éviter un risque systémique constituent des objectifs d’intérêt général poursuivi par l’Union (19).

46.      Elle a ajouté, dans une affaire où était en cause la subordination d’une aide d’État dans le secteur bancaire à une mesure de répartition des charges entre actionnaires et créanciers subordonnés, que cette mesure était une mesure exceptionnelle ne pouvant être adoptée que dans un contexte de perturbation grave de l’économie d’un État membre ainsi que dans le but d’éviter un risque systémique et d’assurer la stabilité du système financier (20).

47.      La Cour s’est également déjà prononcée sur la balance à opérer entre les deux intérêts généraux que sont la protection des investisseurs et la garantie du système financier. Elle l’a fait dans deux hypothèses où étaient en cause les garanties dues aux actionnaires en vertu de directives de droit des sociétés (21), en jugeant que, bien qu’il y ait un intérêt général clair à garantir à travers l’Union une protection forte et cohérente des investisseurs, cet intérêt ne peut pas être considéré comme primant en toutes circonstances sur l’intérêt général consistant à garantir la stabilité du système financier (22).

48.      Si les deux affaires ayant donné lieu aux arrêts cités à la note en bas de page 22 des présentes conclusions concernaient les droits des actionnaires au sens strict, la formulation retenue par la Cour de « protection forte et cohérente des investisseurs » (23) peut tout à fait s’adapter à la présente affaire puisque la protection accordée sur le fondement de la directive 2003/71, qui vise à garantir la meilleure transparence possible lors de l’investissement dans une société, joue pour des investisseurs devenant actionnaires en souscrivant à l’offre publique de souscription d’actions accompagnée d’un prospectus.

49.      Dès lors que l’intérêt des investisseurs ne prime pas en toutes circonstances sur l’intérêt tenant à la stabilité du système financier, il convient d’analyser plus précisément comment s’articulent les directives 2003/71 et 2014/59 dans l’hypothèse présentée par la juridiction de renvoi d’une résolution bancaire par renflouement interne au moyen de dépréciation, notamment, des actions initiales, suivi d’une cession d’activités.

1.      Linterprétation littérale

50.      Le texte de l’article 34, paragraphe 1, sous a), de la directive 2014/59 ne souffre pas de discussion : les actionnaires sont les premiers à supporter les pertes. Il s’agit évidemment des actionnaires au jour où la résolution est décidée. Dans l’hypothèse d’une dépréciation totale avec annulation des actions, la valeur de celles-ci est réduite à zéro et les porteurs des titres perdent leur qualité d’actionnaire.

51.      En cas de réduction à zéro du principal dû au titre d’un élément de passif (ici les actions), l’article 53, paragraphe 3, de cette directive, applicable en cas de renflouement interne, énonce que « cet élément de passif, ainsi que toute obligation ou créance en découlant qui n’est pas échue au moment où le pouvoir est exercé, est réputé acquitté à toutes fins, et ne peut être opposable dans quelque procédure ultérieure relative à l’établissement soumis à une procédure de résolution ou à toute entité lui ayant succédé dans le cadre d’une liquidation ultérieure ».

52.      À ce stade de ma réflexion, il me semble que l’action en responsabilité, en cas de prospectus incorrect ou incomplet, prévue à l’article 6 de la directive 2003/71 et dont les modalités doivent être fixées par les États membres, est directement liée à la qualité d’actionnaire de la personne souhaitant l’exercer, contrairement à la prémisse du raisonnement des requérants au principal. En effet, pour ouvrir droit à une action en responsabilité, il ne suffit pas qu’un prospectus ait été incomplet ou incorrect, encore faut-il qu’il ait conduit le potentiel acquéreur à souscrire à l’offre publique et à devenir, en conséquence, actionnaire (24).

53.      Il en découle que cette action en responsabilité entre dans la catégorie des obligations ou créances qui sont réputées acquittées à toutes fins, si elles ne sont pas échues au jour de la résolution, et ne peuvent donc être opposées dans une procédure ultérieure relative à l’établissement ayant fait l’objet de la résolution ou à l’entité lui ayant succédé. Ainsi, ladite action en responsabilité ne peut être engagée postérieurement à la date de la résolution bancaire ayant utilisé un renflouement interne, à l’encontre de l’établissement ou de l’entité lui ayant succédé.

54.      Une règle similaire est énoncée à l’article 60, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/59 en cas de dépréciation d’instruments de fonds propres (ici des actions), à savoir qu’« aucune obligation vis-à-vis du détenteur [...] ne subsiste dans le cadre [de] [l’]instrument [de fonds propres] ou en lien avec le montant de celui-ci qui a été déprécié, excepté les obligations déjà échues », qui peut faire l’objet de la même interprétation : l’action en responsabilité pour prospectus erroné ne peut plus être intentée après la décision de résolution avec dépréciation d’actions.

55.      Ce même article prévoit une autre exception, à côté de celle visant les obligations déjà échues : les responsabilités pouvant découler d’un recours introduit contre la légalité de l’exercice du pouvoir de dépréciation (25). Il est évident que les actions en responsabilité fondées sur un prospectus erroné ou inexact n’entrent pas dans cette catégorie. En tout état de cause, l’éventuelle annulation de la décision de résolution ne peut, en vertu de l’article 85, paragraphe 4, second alinéa, de la directive 2014/59, porter atteinte aux droits des tiers qui ont acquis de bonne foi les titres de l’établissement soumis à la procédure de résolution et seule une compensation des pertes engendrées par cette décision est possible (26).

56.      Enfin, l’article 60, paragraphe 2, sous c), de la directive 2014/59, applicable également en cas de dépréciation, indique clairement qu’aucune indemnisation n’est versée à aucun détenteur d’instruments de fonds propres pertinents, ce qui, de prime abord, semble condamner toute action en responsabilité à l’encontre de l’émetteur des actions dont le prospectus est critiqué.

57.      Certes, les requérants au principal, le gouvernement espagnol et la Commission font valoir que le titre X de la directive 2014/59 prévoit qu’un certain nombre de dispositions d’autres directives et règlements ne sont pas applicables en cas de procédure de résolution bancaire. Or, ne figure pas au nombre de ces dispositions l’article 6 de la directive 2003/71.

58.      Ces parties en tirent la conclusion, ou au moins l’hypothèse, que cette absence de mention explicite ne permet pas d’exclure une action en responsabilité fondée sur un prospectus erroné sans qu’il soit porté atteinte à la Charte.

59.      En effet, en vertu de l’article 52 de la Charte, une limitation des droits reconnus par celle-ci (comme le droit de propriété, l’égalité devant la loi, la protection des consommateurs ou le droit à un recours effectif) doit être prévue par la loi et respecter le principe de proportionnalité.

60.      Or, si le considérant 120 de la directive 2014/59 prévoit que les exceptions au droit des sociétés doivent être précises ou si le titre X de cette directive énonce clairement ces exceptions, force est de constater qu’elles ont toutes trait aux conséquences procédurales de la résolution dont le succès dépend de la rapidité. Ainsi, la mise en œuvre de la décision de résolution ne doit pas être entravée par des droits parfaitement justifiés en temps normal (notamment, le vote par les assemblées générales des augmentations ou réductions de capital, des fusions ou scissions, la protection des créanciers en cas de réduction du capital, l’obligation de déclencher une offre publique d’acquisition en cas d’acquisition d’un pourcentage d’actions). De la même façon, l’exception à l’obligation de publier un prospectus en vue d’une réinscription à la cote en cas de renflouement interne, prévue à l’article 53, paragraphe 2, sous d), de la directive 2014/59, s’explique par cette nécessité de rapidité de mise en œuvre de la décision de résolution.

61.      En tout état de cause, la Cour a déjà jugé que le silence du titre X de la directive 2014/59 ne permettait pas de conclure que d’autres dérogations aux directives en droit des sociétés étaient interdites (27).

62.      Ainsi l’argument littéral selon lequel il serait possible d’engager une action fondée sur un prospectus erroné en raison de l’absence de mention de l’article 6 de la directive 2003/71 dans la directive 2014/59 n’est pas suffisant pour forger une conviction en ce sens. Les arguments littéraux sont, au contraire, en faveur de l’interdiction d’une telle action par les actionnaires postérieurement à la résolution, notamment en ce que le texte de la directive 2014/59 énonce très clairement que les actionnaires doivent supporter les pertes en premier, respectant ainsi le principe énoncé à l’article 52 de la Charte selon lequel la limitation des droits reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi.

63.      Quant au respect du principe de proportionnalité exigé à l’article 52 de la Charte, j’ai précédemment évoqué, aux points 45 à 47 des présentes conclusions, la reconnaissance par la Cour d’objectifs d’intérêt général permettant, en matière de résolution bancaire, de porter atteinte au droit de propriété des actionnaires. De même, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu une large marge d’appréciation aux États en matière restructuration de banques dans le même contexte de crise financière mondiale (28) pouvant aller jusqu’à une nationalisation d’une banque sans indemnisation des actionnaires dans le but de protéger le secteur financier du Royaume-Uni (29).

64.      Contrairement à l’affirmation des requérants au principal, je ne pense pas que la protection des consommateurs assurée par l’article 38 de la Charte soit en cause en l’espèce. En outre, si elle l’était, elle ne pourrait pas recevoir un traitement différent de celui appliqué à la protection du droit de propriété des actionnaires, à savoir un effacement devant la protection de la stabilité du système financier qui permet la protection des intérêts d’un ensemble beaucoup plus vaste de consommateurs.

65.      Quant à la rupture d’égalité alléguée, elle ne peut être retenue puisque, objectivement, les actionnaires ayant acquis leurs titres sur la base d’un prospectus erroné ou inexact ne sont pas dans la même situation s’ils ont obtenu un jugement de condamnation avant la décision de résolution ou s’ils n’agissent en justice qu’après cette décision.

66.      S’agissant du droit au recours effectif protégé par l’article 47 de la Charte, j’estime qu’il est respecté, même dans l’hypothèse où un actionnaire ayant acquis des actions sur la base d’un prospectus erroné ou inexact ne pourrait obtenir d’indemnisation sur le fondement d’une action en responsabilité postérieurement à une décision de résolution bancaire.

67.      En effet, cet actionnaire dispose d’autres voies de recours.

68.      En premier lieu, l’article 25 de la directive 2003/71 énonce que les États membres, sans préjudice de leur droit d’appliquer des sanctions pénales, veillent à prévoir des sanctions administratives à l’encontre des auteurs des manquements aux dispositions de cette directive. Ainsi, l’éventuelle absence d’indemnisation est sans incidence sur les sanctions pénales ou administratives, en cas de prospectus erroné ou inexact, destinées à réduire l’aléa moral par leur portée dissuasive.

69.      En outre, d’un point de vue indemnitaire, l’article 6 de ladite directive prévoit que les États membres veillent à ce qu’une action en responsabilité, en cas de prospectus erroné ou inexact, pèse au moins sur l’émetteur ou ses organes d’administration, de direction ou de surveillance, sur l’offreur, sur la personne qui sollicite l’admission à la négociation sur un marché réglementé ou sur le garant, le cas échéant. Ainsi, le droit de l’Union laisse ouverte la possibilité d’actions en responsabilité sur ce fondement contre d’autres personnes que le seul émetteur pouvant permettre l’indemnisation des actionnaires.

70.      En second lieu, deux actions ayant un effet indemnitaire peuvent être mises en œuvre par les actionnaires dans le cadre de la résolution bancaire sur le fondement de la directive 2014/59.

71.      D’une part, ils peuvent solliciter l’annulation de la décision de résolution elle-même en application de l’article 85 de cette directive. En cas d’annulation toutefois, seule une compensation des pertes subies du fait de la décision annulée peut être accordée. De telles actions ont d’ailleurs été intentées et sont actuellement pendantes devant le Tribunal (30).

72.      D’autre part, ils peuvent solliciter, du dispositif de financement pour la résolution (31), une indemnisation, en vertu de l’article 75 de ladite directive, s’il apparaît qu’ils ont subi des pertes plus importantes que celles qu’ils auraient subies dans une liquidation opérée dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité. Dans cette hypothèse, ils ont droit au paiement de la différence.

73.      Ainsi, même si l’action en responsabilité contre l’émetteur ou son successeur n’est pas possible en cas de prospectus erroné ou inexact, les actionnaires dont les actions ont été annulées dans le cadre d’une résolution bancaire disposent d’autres voies pour obtenir une indemnisation ou une sanction. Ils ne peuvent donc se prévaloir d’une absence de recours juridictionnel effectif.

2.      Linterprétation téléologique

74.      L’interprétation téléologique des dispositions en cause plaide clairement en faveur de l’interdiction d’une telle action en responsabilité.

75.      En effet, l’objectif de la résolution bancaire est, certes, d’éviter un effondrement du système financier, mais tout en préservant les fonds publics et les dépôts, à la différence des mécanismes utilisés jusqu’à cette création, par le recours à des fonds issus de cotisations dues par les banques.

76.      Ainsi, en résulte-t-il, d’une part, que, dans un premier temps, les fonds publics ne pourront être mobilisés qu’après la contribution des actionnaires et de certains détenteurs d’instruments de fonds propres pouvant être dépréciés. Dans un second temps, est possible une contribution du dispositif de financement pour la résolution si ces actionnaires et ces détenteurs d’instruments de fonds propres ont contribué aux pertes au minimum à hauteur de 8 % du total du passif (32).

77.      Pour mémoire, le dispositif de financement pour la résolution est alimenté par les cotisations des banques de l’État membre concerné (33). Il s’agit donc d’une mutualisation entre les banques des risques de défaillance de l’une d’elles. Cette mutualisation est destinée à réduire l’aléa moral (34) qui prévalait jusqu’à la création d’un mécanisme de résolution bancaire puisque les établissements bancaires pouvaient s’attendre à une intervention massive des pouvoirs publics pour éviter une contagion de leur éventuelle défaillance sur le reste du système financier.

78.      D’autre part, toujours dans le but de réduire l’aléa moral, cette mutualisation des risques entre les banques elles-mêmes est poussée jusqu’à prévoir que le dispositif de financement pour la résolution indemnise les actionnaires ou les créanciers qui auraient été plus mal traités dans le cadre de la résolution que dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité classique (35).

79.      En effet, en vertu de l’article 75 de la directive 2014/59, tout actionnaire ou créancier qui a subi des pertes plus importantes qu’en cas de recours à une procédure d’insolvabilité normale, établies par une valorisation intervenant postérieurement à la résolution (36), a droit au paiement de la différence de la part du dispositif de financement pour la résolution.

80.      Ainsi, cette double mutualisation, adossée aux principes selon lesquels les actionnaires supportent en premier les pertes et seules les obligations échues peuvent donner lieu à paiement en cas de renflouement interne ou de dépréciation, démontre à quel point le système mis en place n’est pas compatible avec la possibilité d’une action en responsabilité fondée sur la directive 2003/71, intervenant postérieurement à la décision de résolution.

81.      Cette action en responsabilité reviendrait, en premier lieu, à faire porter sur l’émetteur ou le cessionnaire, seul, une responsabilité non prévue par la directive 2014/59, alors même que, lorsqu’une responsabilité est prévue, l’indemnisation est à la charge de l’ensemble des banques cotisant au dispositif de financement pour la résolution. De plus, le cessionnaire, s’il devait répondre financièrement des conséquences financières d’un prospectus erroné ou inexact serait plus sévèrement impacté qu’en cas d’annulation de la décision de résolution (37) ou que dans l’hypothèse où l’actionnaire aurait subi des pertes plus importantes que dans une procédure normale de liquidation (38). Cela aboutirait à faire supporter les conséquences d’un prospectus erroné ou inexact à une personne n’ayant pas contribué à son élaboration, ce qui est contraire au souci de réduire l’aléa moral (39).

82.      En second lieu, ladite action en responsabilité reviendrait à remettre en cause les équilibres trouvés dans la décision de résolution sur la base de la valorisation intervenue antérieurement à cette décision et ne tenant compte que des passifs exigibles sur le bilan et hors bilan (40). Ainsi, la valorisation ayant déterminé le recours à tel ou tel instrument de résolution et les conditions de ce recours ne serait plus suffisamment fiable pour permettre, par exemple, à un potentiel acquéreur de s’engager (41).

83.      Enfin, il est intéressant de constater, même si la Cour n’est pas saisie de l’interprétation de cet article, que, en matière de cession d’activités, instrument de résolution appliqué en l’espèce, la directive 2014/59 prévoit également un mécanisme destiné à protéger le cessionnaire de l’établissement soumis à la procédure de résolution. En effet, l’article 38, paragraphe 13, de cette directive prévoit que « les actionnaires ou créanciers de l’établissement soumis à une procédure de résolution et autres tiers dont les actifs, droits ou engagements ne sont pas transférés n’ont aucun droit, direct ou indirect, sur les actifs, droits ou engagements transférés ». Par hypothèse, des actions annulées ne sont pas transférées et leurs anciens porteurs ne peuvent avoir de droits sur les actifs transférés.

84.      Ainsi, que ce soit lors d’un renflouement interne ou d’une dépréciation totale, les possibilités d’obtenir une indemnisation sont réduites à deux hypothèses : être titulaire d’une obligation déjà échue ou avoir subi des pertes du fait de l’annulation d’une décision de résolution. Quant à l’hypothèse de cession d’activités, la directive 2014/59 ne permet pas à un actionnaire dont les actions ont été annulées de se prévaloir de droits sur les actifs transférés à l’encontre du cessionnaire.

85.      En conclusion, il apparaît que tant l’interprétation littérale que l’interprétation téléologique des dispositions en cause aboutissent à la même réponse affirmative à la première question soumise à la Cour par la juridiction de renvoi : un actionnaire ne peut intenter une action en responsabilité fondée sur l’article 6 de la directive 2003/71 postérieurement à une décision de résolution ayant décidé le renflouement interne par dépréciation totale et annulation des actions, suivi d’une cession d’activités.

86.      En conséquence, l’article 34, paragraphe 1, sous a), l’article 53, paragraphes 1 et 3, ainsi que l’article 60, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive 2014/59 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’une procédure de résolution d’un établissement financier, la totalité des actions que le capital social comportait ont été dépréciées, ils s’opposent à ce que les personnes ayant acquis des actions quelques mois avant l’ouverture de la procédure de résolution, à l’occasion d’une augmentation du capital avec offre publique de souscription, puissent, postérieurement à la décision de résolution, introduire à l’encontre de l’établissement émetteur ou de l’établissement résultant d’une fusion par absorption ultérieure, des actions en réparation ou des actions d’effet équivalent fondées sur les informations défectueuses fournies par le prospectus d’émission.

B.      Sur la seconde question

87.      Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 34, paragraphe 1, sous a), l’article 53, paragraphe 3, ainsi que l’article 60, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/59 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’une procédure de résolution d’un établissement financier, la totalité des actions que le capital social comportait ont été dépréciées, ils s’opposent à ce que des obligations de restitution de la contre-valeur des actions souscrites ainsi que de versement d’intérêts soient imposées judiciairement à l’établissement émetteur ou à l’entité lui ayant succédé à titre universel, à la suite de la constatation de la nullité, avec effet rétroactif, du contrat de souscription des actions, en vertu d’actions introduites après la résolution de l’établissement.

88.      Les requérants au principal et le gouvernement espagnol, confortés par la jurisprudence majoritaire en Espagne, exposent que la solution dégagée par la Cour dans l’arrêt du 19 décembre 2013, Hirmann (42), pourrait être étendue à la présente situation.

89.      En effet, dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit que les articles 12, 15, 16, 18, 19 et 42 de la deuxième directive 77/91 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, dans le cadre de la transposition des directives 2003/71, 2004/109/CE (43) et 2003/6/CE (44), d’une part, prévoit la responsabilité d’une société anonyme, en qualité d’émettrice, à l’égard d’un acquéreur d’actions de la même société, sur le fondement d’une violation des obligations d’information prévues par ces dernières directives, et, d’autre part, impose, en raison de cette responsabilité, l’obligation de la société concernée de rembourser à l’acquéreur le montant correspondant au prix d’acquisition des actions et de reprendre celles-ci (45).

90.      Ainsi, la Cour a validé, au regard de la marge d’appréciation laissée aux États membres par l’article 6 de la directive 2003/71, un mécanisme de responsabilité aboutissant au remboursement des actions à leur prix d’acquisition et à leur reprise par la société émettrice.

91.      Les requérants au principal et le gouvernement espagnol en déduisent que devrait être validée de la même façon une action en nullité puisque les effets (remboursement au prix d’acquisition et reprise par la société) sont identiques à ceux admis par la Cour dans l’arrêt du 19 décembre 2013, Hirmann (46).

92.      Les requérants au principal ajoutent que le code civil permet une action en nullité, alors même que la chose a été perdue du fait du co‑contractant. Selon eux, ces effets étant, en outre, rétroactifs, la qualité d’actionnaire des porteurs serait réputée n’avoir jamais existé rendant ainsi inopposables les effets de la dépréciation totale et du renflouement interne à ces personnes.

93.      Ce raisonnement ne peut être suivi pour les raisons suivantes.

94.      Premièrement, un requérant n’a qualité à agir en nullité que s’il est encore lié par le contrat au moment où il intente son action. Ainsi, comme en matière de responsabilité, l’actionnaire dont les actions ont été dépréciées et annulées ne peut plus agir en justice, car, postérieurement à la résolution, il perd sa qualité d’actionnaire. Il ne peut se prévaloir de l’effet rétroactif de la nullité, qui interviendra à l’issue de la procédure judiciaire, pour remédier à l’absence de qualité d’actionnaire au moment où celle-ci est initiée. Il ne peut en être déduit que, à la date de la résolution, son obligation est échue, de façon rétroactive, au sens de l’article 53, paragraphe 3, et de l’article 60, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/59.

95.      Deuxièmement, si la qualité d’actionnaire n’existait plus au jour de la résolution en raison de l’effet rétroactif de la nullité prononcée, c’est toute la valorisation sur laquelle est fondée la décision de résolution qui serait remise en cause puisque la composition du capital fait partie des données objectives de cette valorisation. Ainsi seraient mis en échec la procédure même de résolution ainsi que les objectifs poursuivis par la directive 2014/59. Pour mémoire, l’indemnisation des actionnaires ne fait pas partie des objectifs de ce texte : au contraire même, ils doivent être les premiers à supporter les pertes.

96.      Troisièmement, le dispositif de résolution bancaire constitue une loi spéciale par rapport à la directive 2003/71 et aux directives de droit des sociétés (47). En effet, il ne concerne que les établissements bancaires confrontés à des difficultés financières majeures et non toutes les sociétés anonymes. En outre, comme le rappelle le gouvernement italien, la directive 2014/59 a été adoptée avant la publication du prospectus litigieux : le risque de dépréciation était donc connu des acquéreurs, tout comme le risque de perte lié à ce type d’investissements. En conséquence, une jurisprudence fondée sur ces seuls textes de droit dérivé relatifs au droit des sociétés et au droit des marchés financiers n’est pas susceptible de faire échec aux objectifs poursuivis par la résolution.

97.      Quatrièmement, opérer une distinction entre les actionnaires ayant acquis leurs actions sur la base d’un prospectus erroné ou inexact qui auraient, de ce fait, droit à une indemnisation et les autres actionnaires dont les actions ont été annulées conduit à créer une différence de traitement significative entre eux sans que cela puisse être justifié par un intérêt public (48), étant rappelé que la Cour a déjà jugé que la protection des investisseurs ne pouvait primer en toutes circonstances sur l’intérêt général consistant à garantir la stabilité du système financier (49).

98.      Pour l’ensemble de ces raisons, la réponse à la seconde question préjudicielle ne peut être qu’affirmative, à savoir que les mécanismes de résolution impliquant un renflouement interne, une dépréciation totale et une cession d’activités s’opposent à une action en nullité du contrat de souscription d’actions, postérieure à la date de la décision de résolution.

99.      En conséquence, l’article 34, paragraphe 1, sous a), l’article 53, paragraphe 3, ainsi que l’article 60, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/59 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’une procédure de résolution d’un établissement financier, la totalité des actions que le capital social comportait ont été dépréciées, ils s’opposent à ce que des obligations de restitution de la contre-valeur des actions souscrites ainsi que de versement d’intérêts soient imposées judiciairement à l’établissement émetteur ou à l’entité lui ayant succédé à titre universel, à la suite de la constatation de la nullité, avec effet rétroactif, du contrat de souscription des actions, en vertu d’actions introduites après la résolution de l’établissement.

C.      Observations complémentaires

100. Si, en l’espèce, la Cour n’est saisie que des dispositions de la directive 2003/71 en matière de prospectus, il existe d’autres dispositions en matière de transparence financière pour lesquelles les États membres doivent prévoir un mécanisme de responsabilité.

101. Ainsi l’article 7 de la directive 2004/109 prévoit une obligation, à la charge des États membres, analogue à celle de l’article 6 de la directive 2003/71, de prévoir une action en responsabilité.

102. Selon moi, une action en responsabilité sur ce dernier fondement ne devrait pas être possible non plus, en cas de résolution opérée dans les mêmes conditions qu’en l’espèce.

103. Mais, de façon générale, cette affaire ne permettrait-elle pas d’aller plus loin en affirmant que la seule action indemnitaire possible, quel que soit son fondement, postérieurement à un renflouement interne passant par une dépréciation totale des titres en cause est celle prévue par l’article 75 de la directive 2014/59, hors les cas d’annulation de la décision de résolution ?

104. En effet, le principe selon lequel un créancier ne peut être plus mal traité qu’en cas de liquidation ne doit pas être interprété en ce sens qu’il permet les mêmes actions contentieuses que celles possibles en cas de liquidation dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité.

105. Le texte de l’article 75 de la directive 2014/59 est clair : il ne garantit que le paiement de la différence entre les pertes subies dans le cadre de la résolution et celles qui auraient été subies dans le cadre d’une liquidation normale.

106. Ne peut être opposée à cette interprétation celle résultant du rapport d’évaluation établi par Deloitte dans le cadre de la présente procédure de résolution indiquant que l’indemnisation en raison d’un prospectus erroné ou inexact est possible tant en liquidation qu’en résolution (50). En effet, l’interprétation des textes de droit de l’Union en cause quant à la possibilité ou non d’agir sur le fondement d’un prospectus erroné postérieurement à une décision de résolution est de la compétence exclusive de la Cour.

107. En outre, l’existence d’une voie procédurale ne permet pas de garantir que l’éventuelle décision favorable pourrait réellement être exécutée à l’encontre de l’établissement liquidé.

108. Ainsi, cette interprétation dudit article 75 permet, seule, de comparer des effets réellement comparables, à savoir les pertes subies, et non la simple existence de voies contentieuses sans vérifier leur réel effet indemnitaire.

109. En revanche, si, dans le cadre d’une liquidation normale, une décision résultant d’une action en responsabilité ou en nullité pouvait réellement être exécutée en faveur de l’actionnaire lésé, ce dernier pourrait être indemnisé de la différence avec la perte subie dans le cadre de la procédure de résolution.

110. Faire de cette mesure de sauvegarde la seule voie d’indemnisation postérieurement à la décision de résolution permettrait de s’assurer que les objectifs de la résolution bancaire sont respectés. Parmi eux, d’une part, la mutualisation des risques entre les banques serait garantie, car cette indemnisation serait à la charge de la collectivité bancaire soumise à cotisations (51) et, d’autre part, la prévisibilité de la valorisation antérieure à la décision de résolution serait assurée, permettant de prendre la décision de résolution la plus adaptée à la situation.

111. Pour mémoire, la Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’une affaire analogue d’annulation d’actions à la suite de la restructuration d’une banque par une décision gouvernementale a, certes, constaté une violation du droit au recours effectif protégé par l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (52). Néanmoins, cette violation était justifiée par le fait que les actionnaires n’avaient pas pu remettre en cause devant une juridiction l’appréciation de l’état d’insolvabilité de la banque, qui avait justifié la mesure de restructuration. En revanche, si cette appréciation avait pu être faite par une juridiction, les conditions de cet article 6, paragraphe 1, auraient été remplies (53).

112. Or, la directive 2014/59 prévoit explicitement l’existence d’un droit de recours contre toute décision d’adoption d’une mesure de résolution, ainsi que le devoir pour la juridiction saisie de fonder sa propre évaluation sur les appréciations économiques complexes des faits réalisées par l’autorité de résolution, tout en vérifiant l’exactitude matérielle, la fiabilité et la cohérence des éléments de preuve invoqués par l’autorité de résolution (54).

113. Si la Cour acceptait de suivre ce raisonnement, ne retenant, comme seule possibilité d’indemnisation initiée postérieurement à la décision de résolution, hors le cas de l’annulation de la décision de résolution, que celle prévue par l’article 75 de la directive 2014/59, elle resterait dans les limites prévues par les articles 47 et 52 de la Charte.

V.      Conclusion

114. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Audiencia Provincial de A Coruña (cour provinciale de La Corogne, Espagne) de la manière suivante :

L’article 34, paragraphe 1, sous a), l’article 53, paragraphes 1 et 3, ainsi que l’article 60, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012, doivent être interprétés en ce sens que, lorsque, dans le cadre d’une procédure de résolution d’un établissement financier, la totalité des actions que le capital social comportait ont été dépréciées, ils s’opposent, d’une part, à ce que les personnes ayant acquis des actions quelques mois avant l’ouverture de la procédure de résolution, à l’occasion d’une augmentation du capital avec offre publique de souscription, puissent, postérieurement à la décision de résolution, introduire, à l’encontre de l’établissement émetteur ou de l’établissement résultant d’une fusion par absorption ultérieure, des actions en réparation ou des actions d’effet équivalent fondées sur les informations défectueuses fournies par le prospectus d’émission et, d’autre part, à ce que des obligations de restitution de la contre-valeur des actions souscrites ainsi que de versement d’intérêts soient imposées judiciairement à l’établissement émetteur ou à l’entité lui ayant succédé à titre universel, à la suite de la constatation de la nullité, avec effet rétroactif, du contrat de souscription des actions, en vertu d’actions introduites après la résolution de l’établissement.


1      Langue originale : le français.


2      Directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).


3      Règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).


4      Voir article 31, paragraphe 2, de la directive 2014/59 et article 14, paragraphe 2, du règlement no 806/2014.


5      JO 2014, L 173, p. 149.


6      JO 1997, L 84, p. 22.


7      Voir article 34, paragraphe 1, sous a), de la directive 2014/59 et article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 806/2014.


8      Voir article 34, paragraphe 1, sous g), de la directive 2014/59 et article 15, paragraphe 1, sous g), du règlement no 806/2014.


9      JO 2003, L 345, p. 64.


10      La directive 2003/71 a été abrogée, avec effet au 21 juillet 2019, par le règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé (JO 2017, L 168, p. 12).


11      JO 2017, L 178, p. 15.


12      BOE no 181, du 29 juillet 1988, p. 23405.


13      BOE no 255, du 24 octobre 2015, p. 100356.


14      BOE no 146, du 19 juin 2015, p. 50797, ci-après la « loi 11/2015 ».


15      Telle que traduite dans la décision de renvoi. BOE no 155, du 30 juin 2017, p. 55470.


16      Voir article 60, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/59.


17      Même si les décisions du CRU et du FROB ne citent pas les articles relatifs au renflouement interne, mais seulement ceux relatifs à la cession d’activités ainsi qu’à la dépréciation et à la conversion d’instruments de fonds propres, il apparaît néanmoins que c’est un renflouement interne, défini par l’article 2, paragraphe 1, point 57, de la directive 2014/59 comme « le mécanisme permettant l’exercice par une autorité de résolution, conformément à l’article 43, des pouvoirs de dépréciation et de conversion à l’égard d’éléments de passif d’un établissement soumis à une procédure de résolution », qui a été opéré.


18      La décision de renvoi n’évoque que les actions, mais le raisonnement pourrait être étendu à l’ensemble des titres offerts au public sur la base d’un prospectus incomplet ou inexact, relevant de la directive 2003/71, et ayant fait l’objet d’une dépréciation ou d’une conversion dans le cadre d’une résolution bancaire.


19      Voir arrêt du 16 juillet 2020, Adusbef e.a. (C‑686/18, EU:C:2020:567, point 92 et jurisprudence citée).


20      Voir arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C‑526/14, EU:C:2016:570, point 88).


21      Deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l’article 58, deuxième alinéa, du traité [devenu l’article 48, second alinéa, CE, puis l’article 54, second alinéa, TFUE], en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO 1977, L 26, p. 1) ; directive 2012/30/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO 2012, L 315, p. 74), ainsi que directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés (JO 2017, L 169, p. 46).


22      Voir arrêts du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C‑526/14, EU:C:2016:570, point 91), et du 8 novembre 2016, Dowling e.a. (C‑41/15, EU:C:2016:836, point 54).


23      Arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C‑526/14, EU:C:2016:570, point 91).


24      Voir arrêt du 19 décembre 2013, Hirmann (C‑174/12, EU:C:2013:856, point 29).


25      Voir article 60, paragraphe 2, sous b), in fine, de la directive 2014/59.


26      Cet article dispose que, « [l]orsqu’il est nécessaire de protéger les intérêts des tiers de bonne foi qui ont acquis des actions, d’autres titres de propriété, des actifs, des droits ou des engagements d’un établissement soumis à une procédure de résolution en vertu de l’utilisation d’instruments de résolution ou de l’exercice de pouvoirs de résolution par une autorité de résolution, l’annulation d’une décision d’une autorité de résolution n’affecte pas les actes administratifs adoptés ou les opérations conclues ultérieurement par l’autorité de résolution concernée sur la base de sa décision annulée. Dans ce cas, les recours portant sur une décision ou une mesure préjudiciable des autorités de résolution sont limités à la compensation des pertes subies par le demandeur du fait de cette décision ou mesure ».


27      Voir arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C‑526/14, EU:C:2016:570, point 93).


28      Voir arrêt de la Cour EDH du 21 juillet 2016, Mamatas et autres c. Grèce, CE:ECHR:2016:0721JUD006306614, § 88 et jurisprudence citée.


29      Voir arrêt de la Cour EDH du 10 juillet 2012, Grainger et autres c. Royaume-Uni, CE:ECHR:2012:0710DEC003494010, § 39 et 42.


30      Voir affaires Fundación Tatiana Pérez de Guzmán el Bueno et SFL/CRU (T‑481/17) ; Del Valle Ruiz e.a./Commission et CRU (T-510/17) ; Eleveté Invest Group e.a./Commission et CRU (T-523/17) ; Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/Commission (T-570/17), ainsi que Aeris Invest/Commission et CRU (T‑628/17).


31      Voir article 101, paragraphe 1, sous e), de la directive 2014/59.


32      Voir article 44, paragraphe 5, et article 101, paragraphe 2, de la directive 2014/59.


33      Voir articles 100 et suiv. de la directive 2014/59.


34      Voir considérant 45 de la directive 2014/59.


35      Voir article 101, paragraphe 1, sous e), de la directive 2014/59.


36      Voir article 74 de la directive 2014/59.


37      Voir point 55 des présentes conclusions : seule une compensation des pertes subies du fait de la décision annulée est prévue.


38      Voir point 79 des présentes conclusions, concernant l’indemnisation par le dispositif de financement de la résolution.


39      Voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Banco de Portugal e.a. (C‑504/19, EU:C:2020:943, point 68).


40      Voir article 36, paragraphe 6, sous c), de la directive 2014/59.


41      Voir, par exemple, rapport d’évaluation 2 établi par le cabinet d’audit Deloitte, dont les annexes non confidentielles « Projet Hippocrate – Scénario de cession d’activités » en date du 6 juin 2017 évoquent, aux pages 34, 37 et 38, bien que cancellées, la grande incertitude liée aux recours potentiels relatifs aux augmentations de capital passées. Ces annexes sont accessibles sur le site Internet du CRU à l’adresse suivante : https://www.srb.europa.eu/system/files/media/document/Deloitte%20-%20Project%20Hippocrates%20Appendices.pdf.


42      C‑174/12, EU:C:2013:856.


43      Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé et modifiant la directive 2001/34/CE (JO 2004, L 390, p. 38).


44      Directive du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (JO 2003, L 96, p. 16).


45      Voir arrêt du 19 décembre 2013, Hirmann (C‑174/12, EU:C:2013:856, point 45 et dispositif).


46      C‑174/12, EU:C:2013:856.


47      Notamment, la deuxième directive 77/91, ainsi que les directives 2012/30 et 2017/1132, citées à la note en bas de page 21 des présentes conclusions.


48      Voir article 34, paragraphe 1, sous f), ainsi que considérants 13 et 47 de la directive 2014/59.


49      Voir points 47 et 48 des présentes conclusions.


50      Voir rapport d’évaluation 3 sur l’évaluation de la différence de traitement, accessible sur le site Internet du CRU à l’adresse suivante : https://www.srb.europa.eu/system/files/media/document/2018-08-06%20Annex%20I%20-%20Valuation%203%20Report%20EN.pdf (p. 68).


51      Voir points 69 et 70 des présentes conclusions.


52      Signée à Rome le 4 novembre 1950.


53      Voir arrêt de la Cour EDH du 19 novembre 2020, Project-Trade d.o.o. c. Croatie, CE:ECHR:2020:1119JUD000192014, § 67.


54      Voir article 85, paragraphe 3, et considérant 89 de la directive 2014/59.