Language of document : ECLI:EU:T:2023:847

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

20 décembre 2023 (*)

« Concurrence – Ententes – Secteur des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en euros – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Manipulation des taux de référence interbancaires de l’Euribor – Échange d’informations confidentielles – Restriction de concurrence par objet – Infraction unique et continue – Procédure “hybride” échelonnée dans le temps – Présomption d’innocence – Impartialité – Amendes – Montant de base – Valeur des ventes – Article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) no 1/2003 – Obligation de motivation – Décision modificative complétant la motivation – Égalité de traitement – Compétence de pleine juridiction »

Dans l’affaire T‑113/17,

Crédit agricole SA, établie à Montrouge (France),

Crédit agricole Corporate and Investment Bank, établie à Montrouge,

représentées par Mes J.-P. Tran Thiet, M. Powell et J. Jourdan, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. M. Farley et T. Baumé, en qualité d’agents, assistés de Me N. Coutrelis, avocate,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de MM. S. Papasavvas, président, A. Kornezov, E. Buttigieg (rapporteur), Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. G. Hesse, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        les décisions du 8 juin 2019 et du 30 mars 2021 de suspendre la procédure en application de l’article 69, sous d), du règlement de procédure du Tribunal,

–        le mémoire en adaptation déposé par les requérantes au greffe du Tribunal le 8 septembre 2021 et les observations de la Commission sur ce mémoire déposées au greffe du Tribunal le 19 novembre 2021,

à la suite de l’audience du 17 mars 2022,

vu l’arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission (C‑883/19 P, EU:C:2023:11), et les observations des parties qui y sont afférentes,

rend le présent

Arrêt (1)

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Crédit agricole SA et Crédit agricole Corporate and Investment Bank (ci-après « CACIB ») (ci-après, prises ensemble, « Crédit agricole »), demandent, d’une part, l’annulation partielle de la décision C(2016) 8530 final de la Commission, du 7 décembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE [affaire AT.39914 – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, à titre subsidiaire, la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée dans cette décision. Par ailleurs, elles demandent l’annulation de la décision C(2021) 4610 final de la Commission, du 28 juin 2021, modifiant la décision attaquée (ci-après la « décision modificative ») ou, à défaut, le jugement selon lequel cette dernière décision ne pouvait remédier à la motivation défaillante de la décision attaquée. 

I.      Antécédents du litige

[omissis]

C.      Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

21      Par arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), le Tribunal a annulé l’article 2, sous b), de la décision attaquée, par lequel la Commission avait infligé une amende à HSBC, au motif qu’elle n’avait pas motivé à suffisance de droit les raisons pour lesquelles le facteur de réduction uniforme appliqué aux recettes en numéraire des entreprises concernées aux fins du calcul des amendes qui leur avaient été imposées (ci-après le « facteur de réduction »), avait été fixé à 98,849 % plutôt qu’à un niveau éventuellement supérieur, et a rejeté le recours pour le surplus.

22      Par lettre du 24 février 2021, la Commission a informé les requérantes et JP Morgan de son intention de modifier la décision attaquée compte tenu de l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675). Par la même lettre, ainsi que par lettre du 16 avril 2021, la Commission a fourni des informations et des explications supplémentaires à tous les destinataires de la décision attaquée sur les raisons l’ayant conduite à fixer le niveau du facteur de réduction à 98,849 %. Les requérantes ont présenté leurs observations sur celles-ci le 7 mai 2021.

23      Le 28 juin 2021, la Commission a adopté la décision modificative. Elle a considéré que, dans la mesure où le facteur de réduction dans la décision attaquée était identique pour tous ses destinataires, il était probable que le raisonnement figurant dans l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), concernant l’insuffisance de motivation de la détermination de ce facteur de réduction, soit considéré par le Tribunal comme étant transposable aux amendes infligées aux requérantes et à l’autre destinataire de celle-ci, et qu’il était dès lors dans l’intérêt du principe de bonne administration de corriger les erreurs identifiées par le Tribunal dans cet arrêt et de modifier la décision attaquée à l’égard des requérantes et de l’autre destinataire de celle-ci en complétant la motivation relative à la détermination du facteur de réduction.

24      Par arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission (C‑883/19 P, EU:C:2023:11), d’une part, la Cour a annulé l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), en tant que le Tribunal avait rejeté la demande principale visant à l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée et la demande subsidiaire visant à l’annulation de l’article 1er, sous b), de celle-ci. D’autre part, en statuant sur le recours introduit par HSBC dans l’affaire T‑105/17, pour autant que celui-ci visait à l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, de l’article 1er, sous b), de celle-ci, la Cour a rejeté ce dernier.

II.    Conclusions des parties

25      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler l’article 1er, sous a), ainsi que l’article 2, sous a), de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, réduire significativement, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le montant de l’amende qui leur a été infligée par l’article 2, sous a), de la décision attaquée ;

–        à titre additionnel, annuler les décisions du conseiller-auditeur du 2 octobre 2014, des 4, 27 mars et 29 juillet 2015 ainsi que du 16 septembre 2016 et, par voie de conséquence, annuler l’article 1er, sous a), et l’article 2, sous a), de la décision attaquée ;

–        annuler la décision modificative ou, à défaut, juger que celle-ci ne pouvait pas remédier à la motivation défaillante de la décision attaquée, et annuler l’article 2, sous a), de la décision attaquée, telle que modifiée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

[omissis]

III. En droit

[omissis]

A.      Sur la demande d’annulation de l’article 1er, sous a), de la décision attaquée ainsi que de l’article 2, sous a), de ladite décision, en ce que cette dernière demande est fondée sur la violation des droits de la défense en raison du refus d’accès au dossier

[omissis]

1.      Sur le déroulement de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée (premier et deuxième moyens de la requête et troisième branche du neuvième moyen de celle-ci) 

[omissis]

b)      Sur le premier moyen de la requête, tiré de la violation du droit d’accès au juge, du principe de bonne administration, des droits de la défense et du principe du contradictoire

[omissis]

2)      Sur le refus de répondre aux questions posées par les requérantes lors de l’audition

52      Dans le cadre du deuxième grief du premier moyen, les requérantes soutiennent que la Commission a violé leurs droits de la défense et le principe du contradictoire en refusant de répondre à certaines questions qu’elles lui avaient adressées lors de l’audition.

[omissis]

57      Enfin, il convient également de rappeler que l’audition conduite par le conseiller-auditeur, laquelle fait partie des garanties au titre du droit d’être entendu dans le cadre de la procédure administrative mise en œuvre par la Commission en application de l’article 101 TFUE, vise à donner la possibilité, notamment aux destinataires de la communication des griefs, de développer leur point de vue sur les constatations préliminaires de la Commission, ainsi qu’il ressort, en substance, de l’article 12 du règlement no 773/2004 et de l’article 10, paragraphe 4, de la décision no 2011/695/UE du président de la Commission européenne, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO 2011, L 275, p. 29). Certes, aux termes de l’article 14, paragraphe 7, du règlement no 773/2004 et de l’article 12, paragraphe 3, de la décision no 2011/695, le conseiller-auditeur peut autoriser, notamment les parties auxquelles une communication des griefs a été adressée, à poser des questions lors de l’audition. Toutefois, il s’agit d’une faculté, l’objectif principal de l’audition étant de donner l’occasion, notamment aux destinataires de la communication des griefs, de développer leur argumentation, ainsi que l’a relevé, en l’espèce, le conseiller-auditeur au cours de l’audition de Crédit agricole.

58      Par ailleurs, il importe de relever que les questions en cause, adressées par les requérantes à la Commission, portaient, ainsi qu’elles le relèvent, sur les prétendues contradictions dans les modalités de calcul de la sanction envisagée.

59      À cet égard, c’est à juste titre que la Commission se réfère à la circonstance selon laquelle le principe  du contradictoire et le respect des droits de la défense ne lui imposent pas de fournir, au stade de la procédure administrative, des précisions sur la manière dont elle entend mettre en œuvre les critères se rapportant à la gravité et à la durée de l’infraction pour la détermination du montant des amendes.

60      Il s’ensuit que, alors qu’il est loisible au destinataire de la communication des griefs d’avancer, notamment lors de l’audition, tous les arguments qu’il considère pertinents afin d’attirer l’attention de la Commission sur l’existence de certaines contradictions dans les réponses des autres parties aux demandes de renseignements, lesquelles seraient susceptibles d’influencer la décision que celle-ci sera amenée à prendre le concernant, ou de suggérer à la Commission de poursuivre son enquête afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à son égard, la garantie du respect des droits de la défense n’impose pas à la Commission de répondre, au stade de l’audition, à de tels arguments ou interrogations des parties.

[omissis]

d)      Sur la violation des droits de la défense en raison des refus d’accès au dossier (quatrième branche du deuxième moyen et troisième branche du neuvième moyen de la requête)

[omissis]

2)      Sur la demande d’accès aux documents relatifs à la valeur des ventes

171    Il convient de relever que, à la suite de la demande de Crédit agricole visant à obtenir l’accès aux données relatives à la valeur des ventes qui ont été soumises à la Commission par les autres parties et à celles portant sur les méthodes utilisées par celles-ci en vue de les produire, le conseiller-auditeur a, dans sa décision du 2 octobre 2014, mis en place un système d’accès mixte en accordant aux requérantes un accès direct à certaines données et à leurs conseillers externes la possibilité de consulter les versions confidentielles des documents concernés selon la procédure de salle d’information (« data room ») (considérant 101 de la décision attaquée). Une autre salle d’information a été mise en place après l’adoption par la Commission de la décision rectificative à l’égard de Société générale, tenant compte des données financières corrigées soumises par celle-ci (considérant 106 de la décision attaquée). En outre, l’accès direct plus étendu à certaines données concernées par les demandes des requérantes leur a été accordé par le conseiller-auditeur dans ses décisions du 4 mars 2015 et dans son intervention du 25 mars 2015, telle qu’inscrite dans sa décision du 27 mars 2015.

172    Dans le cadre de la quatrième branche du deuxième moyen et de la troisième branche du neuvième moyen, les requérantes allèguent que, en leur imposant des modalités d’accès contraignantes par l’intermédiaire de la salle d’information aux documents en cause et en refusant l’accès direct à l’ensemble de ces informations, lesquelles ne pouvaient plus être qualifiées de sensibles, la Commission a violé leurs droits de la défense.

173    Tout d’abord, il y a lieu de rejeter le grief dans le cadre duquel les requérantes contestent la procédure d’accès au dossier par l’intermédiaire de la salle d’information.

174    À cet égard, il convient de rappeler que, en application du principe de protection du secret d’affaires, qui constitue un principe général du droit de l’Union et qui est, notamment, concrétisé à l’article 339 TFUE, la Commission est tenue de ne pas révéler aux concurrents d’un opérateur privé des informations confidentielles fournies par celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 109 et jurisprudence citée). S’agissant du droit d’accès au dossier d’enquête en matière de concurrence, il ressort de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 773/2004 que celui-ci ne s’étend pas aux secrets d’affaires et aux autres informations confidentielles. Toutefois, dans certaines circonstances, la nécessité de préserver les droits de la défense des parties doit être conciliée avec l’obligation pour la Commission de protéger les informations confidentielles figurant dans le dossier d’une enquête en matière de concurrence, provenant des autres parties, ainsi qu’il ressort, en substance, de l’article 27, paragraphe 2, troisième phrase, du règlement no 1/2003 et de l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 773/2004 (voir également, en ce sens, point 24 de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission).

175    Il s’ensuit que, dans les circonstances telles que celles de l’espèce, la procédure de salle d’information constituait un outil approprié afin de concilier les intérêts légitimes que la Commission était tenue de protéger, à savoir, d’une part, les intérêts de confidentialité dont pouvaient se prévaloir les banques ayant fourni des informations auxquelles l’accès avait été demandé par les requérantes et, d’autre part, les droits de la défense de ces dernières, ainsi que l’a relevé, en substance, le conseiller-auditeur dans ses décisions du 2 octobre 2014 et du 16 septembre 2016.

176    Les requérantes contestent toutefois que les informations en cause devaient encore être couvertes par la confidentialité eu égard à leur ancienneté et à leur caractère limité ne permettant pas d’identifier les éventuelles informations confidentielles, telles que l’identité des clients. Elles estiment donc que ces informations auraient pu être divulguées directement à Crédit agricole, ce qui, contrairement à l’accès accordé aux seuls conseillers externes en salle d’information, aurait garanti l’exercice effectif des droits de la défense.

177    À cet égard, premièrement, il ressort de la jurisprudence sur laquelle s’appuient à cet égard les requérantes que des informations qui ont été secrètes ou confidentielles, mais qui datent de cinq ans ou plus, doivent, du fait de l’écoulement du temps, être considérées, en principe, comme étant historiques et comme ayant perdu, de ce fait, leur caractère secret ou confidentiel, à moins que, exceptionnellement, la partie qui se prévaut de ce caractère ne démontre que, en dépit de leur ancienneté, ces informations constituent encore des éléments essentiels de sa position commerciale ou de celles de tiers concernés (arrêt du 14 mars 2017, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P, EU:C:2017:205, point 64).

178    Dans sa décision du 16 septembre 2016, le conseiller-auditeur a pris en compte un argument similaire de Crédit agricole avancé au cours de la procédure administrative. Il a considéré, en substance, que, en raison de leur nature, les données en cause n’avaient pas perdu leur caractère confidentiel en dépit de leur ancienneté. En effet, selon le conseiller-auditeur, la complexité, la spécificité et le volume de ces données étaient tels que celles-ci ne s’apparentaient pas à de simples chiffres d’affaires des banques concernées. Compte tenu de cette nature des données en cause, le conseiller-auditeur a pu à bon droit retenir que le seul écoulement du temps n’était pas en soi de nature à diminuer de manière suffisante le risque de porter sérieusement atteinte aux intérêts légitimes de ces banques si ces informations étaient divulguées directement aux spécialistes au sein de Crédit agricole.

179    En outre, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant elle par la possibilité pour lesdites entreprises de faire valoir leurs observations sur la durée, la gravité et le caractère anticoncurrentiel des faits reprochés, mais ne requièrent pas en revanche que cette possibilité couvre la manière dont la Commission entend se servir des critères impératifs de la gravité et de la durée de l’infraction en vue d’une telle détermination (voir arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 428 et 439 et jurisprudence citée). Cet élément doit être pris en compte lors de la mise en balance des intérêts des autres parties à la confidentialité de certaines données qu’elles avaient soumises en vue de la détermination du montant de l’amende les concernant, telles qu’en l’espèce des données permettant de calculer la valeur des ventes, avec les droits de la défense des autres parties, ainsi que l’a relevé, en substance, le conseiller-auditeur dans ses décisions du 4 mars 2015 et du 16 septembre 2016.

180    Les requérantes n’avancent aucun argument visant à démontrer que l’exercice effectif de leurs droits de la défense devait, en l’espèce, prévaloir sur les intérêts légitimes de confidentialité dont pourraient se prévaloir les autres banques concernant les informations en cause. Elles n’ont ainsi pas démontré que les conclusions du conseiller-auditeur dans ses décisions du 2 octobre 2014, des 4 et 27 mars 2015 et du 16 septembre 2016, rappelées aux points 171, 178 et 179 ci-dessus, étaient erronées.

[omissis]

2.      Sur l’existence d’un comportement infractionnel imputable aux requérantes (troisième, quatrième et huitième moyens de la requête)

[omissis]

b)      Sur le troisième moyen de la requête, portant sur la participation de Crédit agricole aux comportements relatifs aux manipulations de l’Euribor

[omissis]

2)      Sur la contestation de la participation de Crédit agricole aux pratiques de manipulation du taux Euribor

[omissis]

213    À cet égard, il importe de relever qu’il ressort des échanges entre les traders mis en avant dans la décision attaquée, tels que résumés aux points 203 à 210 ci-dessus, que la Commission disposait d’éléments permettant de retenir la participation des traders de Crédit agricole aux échanges relatifs à la manipulation du taux Euribor.

214    En effet, premièrement, lors de la discussion du 1er mars 2007, le trader de Crédit agricole a pris l’initiative de demander au trader de Barclays une soumission de sa banque au panel Euribor dans le sens de son intérêt (« j’ai intérêt à ce qu’il monte haut »), ce que ce dernier a accepté de faire (« d’accord je vais leur dire »).

215    Deuxièmement, lors des discussions des 16 octobre, 13 novembre et 5 décembre 2006 et des 16 et 19 mars 2007, le trader de Barclays a demandé au trader de Crédit agricole de solliciter auprès de la trésorerie de sa banque une soumission dans un sens déterminé, ce que ce dernier a accepté de faire ou a même rapporté avoir fait en précisant le niveau de contribution suggéré ou visé par la trésorerie [voir échanges du 16 octobre 2006 à 7 h 33 (« je leur dis de tenter le 3.36 ») et à 7 h 46 (« ils vont contribuer 3.36 »), du 13 novembre 2006 (« ok pas de prob[lème,] j[’]en ai pas, je le fais », puis « je leur ai dit de mettre trente-sept »), du 16 mars 2007 à 14 h 06 (« Je lui ai dit nous on a intérêt à plus bas. Elle a dit ok je note ») et du 19 mars 2007 à 14 h 24 (« Ouais je leur ai dit machin, ils voulaient mettre 91, […] [i]ls m’ont dit “bon humm on va voir ce qu’on peut faire” »)].

216    Troisièmement, il ressort sans ambiguïté de l’échange du 16 novembre 2006 que les traders de Barclays et de Crédit agricole se sont communiqué leurs préférences quant au niveau du fixing Euribor-3M de ce jour et à leurs positions de trading associées. Une telle communication s’est faite dans l’objectif de vérifier si leurs intérêts convergeaient en vue de poursuivre, le cas échéant, leur concertation visant à influencer les soumissions Euribor de leurs banques respectives dans le sens de ces intérêts. Cela est confirmé par le fait que le trader de Barclays a exprimé son regret quant au fait que ses intérêts et celui du trader de Crédit agricole concernant le niveau du fixing étaient opposés. Il a néanmoins indiqué au trader de Crédit agricole qu’il allait « vérifi[er] » après l’avoir interrogé sur le niveau du taux Euribor qui lui convenait.

217    Quatrièmement, lors de la conversation téléphonique du 14 février 2007, le trader de Barclays a informé le trader de Crédit agricole des éléments essentiels de la manipulation envisagée le 19 mars 2007. En outre, il ressort de l’échange du 16 mars 2007 que le trader de Crédit agricole était disposé à bénéficier de cette manipulation en confirmant que son intérêt en ce qui concernait la fixation de l’Euribor-3M de ce jour coïncidait avec l’intérêt qu’y portait le trader de Barclays (« on a tous intérêt à ce que ce soit bas », « nous on a intérêt grave aussi ») et en confirmant à ce dernier, lors de l’échange du 19 mars 2007, avoir aussi gagné une certaine somme d’argent grâce à cette fixation (« j[’]ai gagn[é] 156 000 euros gr[â]ce [à] [ç]a »).

218    Cinquièmement, après les échéances des soumissions, les traders se sont remerciés pour leurs implications réciproques dans les pratiques en cause et se sont félicités pour la réussite de leurs plans (voir, notamment, échange du 19 mars 2007) en suivant ainsi le résultat ou les effets escomptés de leurs actions concertées.

219    La participation des traders de Crédit agricole aux comportements visant à la manipulation du taux Euribor n’est pas remise en cause par les arguments des requérantes.

220    Premièrement, les requérantes soutiennent qu’il n’est pas démontré que le trader de Crédit agricole ait effectivement contacté sa trésorerie pour donner suite à la promesse faite à son interlocuteur et qu’il ait pu mentir à celui-ci en rapportant l’avoir fait. La participation de Crédit agricole aux comportements visant la manipulation des taux de référence ne serait pas établie, en l’absence de preuve de l’implication effective, dans lesdits comportements, de leur département de trésorerie.

221    À cet égard, il importe de relever, tout d’abord, que, ainsi que le soutient, en substance, la Commission, les comportements anticoncurrentiels reprochés à Crédit agricole ne consistent pas en la manipulation de l’Euribor en tant que telle, mais en des échanges d’informations entre les traders reflétant leur intention d’influencer les soumissions de leurs banques au panel Euribor dans le sens de leurs propres intérêts. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 113, sous a) à f), du considérant 358, sous a) à f), et du considérant 392, sous a) à f), de la décision attaquée, résumés au point 15 ci-dessus, ces échanges concernaient les préférences pour un niveau du taux de l’Euribor, parfois accompagnés de la communication des positions de trading détenues, la possibilité d’aligner les positions de trading et les soumissions à l’Euribor, une promesse de la part du trader impliqué de contacter une personne responsable des soumissions Euribor au sein de sa banque en vue de lui demander une soumission dans une certaine direction ou à un niveau spécifique et un compte rendu de la réponse de cette dernière.

222    Or, les échanges entre les traders révèlent clairement la communication des préférences de taux, des positions de trading associées et d’une offre ou d’une intention des traders de Crédit agricole d’influer sur la soumission de leur banque.

223    À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que la participation d’une entreprise à une réunion anticoncurrentielle crée une présomption du caractère illicite de cette participation, présomption que cette entreprise doit renverser par la preuve d’une distanciation publique, laquelle doit être perçue comme telle par les autres participants à l’entente (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 81 et 82 et jurisprudence citée, et du 3 mai 2012, Comap/Commission, C‑290/11 P, non publié, EU:C:2012:271, points 74 à 76 et jurisprudence citée). La raison qui sous-tend ce principe de droit est que, ayant participé à ladite réunion sans se distancier publiquement de son contenu, l’entreprise a donné à penser aux autres participants qu’elle souscrivait à son résultat et qu’elle s’y conformerait (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 82, et du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 48).

224    En l’espèce, il ressort des échanges retenus par la Commission, tels que résumés aux points 214 et 218 ci-dessus, que le trader de Crédit agricole a, à une occasion, été à l’origine de la demande d’une soumission au panel Euribor selon son intérêt et en vue d’une manipulation de ce taux et que, à d’autres occasions, loin de se distancier publiquement des demandes du trader de Barclays, il a donné à penser à celui-ci que sa banque soumettrait ou avait effectivement soumis une contribution au panel Euribor selon ce qui avait été convenu et l’a conforté dans l’idée qu’il avait parlé à ses responsables des soumissions, en lui rendant même compte des contenus précis de ces conversations.

225    Plus particulièrement, le fait que, lors de la conversation du 14 février 2007, le trader de Crédit agricole s’est montré sceptique quant à la réussite du plan de manipulation du 19 mars 2007 ne constitue pas une démonstration d’une distanciation claire du comportement dont le plan lui avait été expliqué par le trader de Barclays.

226    Les considérants 125, 135 et 634 de la décision attaquée, sur lesquels s’appuient les requérantes, ne remettent pas en cause ce qui précède. En effet, auxdits considérants, la Commission a retenu, en substance, que les arrangements entre les traders avaient été complétés et mis en œuvre par des communications entre eux et les responsables des soumissions au sein des départements de trésorerie de leurs banques et, « de temps à autre », par une cotation effectivement soumise par ces derniers des taux Euribor communiqués, coordonnés ou convenus. C’est ainsi à juste titre que la Commission soutient que les arguments des requérantes relatifs à l’absence d’implication de la trésorerie de Crédit agricole dans les pratiques visant à influencer le taux Euribor sont, tout au plus, susceptibles de démontrer une absence de mise en œuvre du comportement anticoncurrentiel par la trésorerie de la banque, plutôt qu’une absence de participation des traders audit comportement (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 1991, Atochem/Commission, T‑3/89, EU:T:1991:58, point 100).

227    Il en est de même s’agissant de l’argument portant sur le fait que les cotations effectivement soumises par Crédit agricole aux dates pertinentes auraient été cohérentes avec ses autres contributions et avec le marché et qu’elles iraient même à l’encontre de l’intérêt de l’entente. En effet, au regard de la portée de la décision attaquée et des comportements reprochés à Crédit agricole, qui portent sur les « arrangements » entre les traders en vue d’influencer les taux de référence selon leurs intérêts, mais non sur une manipulation effective desdits taux avec l’implication des trésoreries, ces arguments sont inopérants aux fins de contester la participation de Crédit agricole auxdits comportements retenus par la Commission à son égard.

228    Dans ce contexte, il convient de relever que, en tout état de cause, plusieurs éléments de preuve retenus par la Commission permettent de démontrer que les traders de Crédit agricole ont tenté d’influencer le niveau de contribution de la trésorerie de leur banque ou à tout le moins se sont vantés de l’avoir fait. En effet, lors des échanges des 16 octobre, 13 novembre et 5 décembre 2006 et des 16 et 19 mars 2007, le trader de Crédit agricole a rapporté au trader de Barclays la réponse qu’il avait obtenue après avoir sollicité sa trésorerie (voir point 215 ci-dessus). En outre, il ressort des échanges des 27 octobre (considérant 191 de la décision attaquée) et 5 décembre 2006 (considérant 224 de la décision attaquée) ainsi que du 19 mars 2007 (considérant 319 de la décision attaquée) que les traders considéraient que leurs actions concertées visant à manipuler le fixing avaient été couronnées de succès et qu’ils s’en félicitaient. Ces échanges, lus à la lumière de l’échange du 16 mars 2007 entre le trader de Crédit agricole et la responsable des soumissions de cette banque (considérant 305 de la décision attaquée), lequel démontre que les traders entretenaient des contacts avec le desk de trésorerie, lors desquels ils discutaient du niveau des fixings futurs des taux et des intérêts que pourraient avoir des traders quant à un niveau spécifique des taux, sont de nature à démontrer que les traders de Crédit agricole ont donné suite aux discussions avec le trader de Barclays quant au niveau souhaité du taux Euribor en établissant des contacts avec les responsables des soumissions de leur banque et ont ainsi mis en œuvre des échanges collusoires.

229    Deuxièmement, il convient également de rejeter l’argument des requérantes par lequel elles font valoir, en s’appuyant sur un rapport d’expertise, dont la crédibilité est contestée par la Commission, que, eu égard aux positions de trading qu’ils détenaient, les traders de Crédit agricole n’avaient aucun intérêt concret à participer aux manipulations en cause, notamment à celle du 19 mars 2007. En substance, les requérantes soutiennent que la participation aux pratiques visant à influencer le niveau des taux de référence « n’avait [pas] de sens », à moins que les traders n’aient disposé de l’information en temps utile pour pouvoir en profiter et qu’ils aient accumulé d’« énormes positions de trading ».

230    Toutefois, et indépendamment de la question de savoir si les données sur lesquelles s’appuient les requérantes sont fiables, s’agissant de restrictions de concurrence par objet, ce qui est, selon la décision attaquée, le cas des échanges relatifs aux manipulations des taux de référence, il n’est pas nécessaire d’examiner si une entreprise avait un intérêt commercial à y participer dès lors qu’une participation de cette entreprise à des comportements susceptibles de restreindre la concurrence est démontrée (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, points 44 à 46 et jurisprudence citée).

231    Les circonstances mises en avant par les requérantes, à les supposer établies, sont tout au plus susceptibles de démontrer que, ne disposant pas d’une position de trading importante, notamment à la date du 19 mars 2007, le trader de Crédit agricole n’a pas tiré de bénéfices importants du plan auquel il a participé et, ainsi, que les échanges entre les traders n’ont pas été suivis d’effets anticoncurrentiels sur le marché. Cette question est toutefois dépourvue de pertinence s’agissant des comportements restrictifs de concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, points 123 et 124). Ainsi, un tel argument pourrait, le cas échéant, s’avérer pertinent si les requérantes démontraient que la Commission a commis une erreur en retenant que les comportements en cause étaient restrictifs de concurrence par objet, ce qu’il convient d’examiner dans le cadre du quatrième moyen.

232    Pour autant que, en soulevant un tel argument, les requérantes visent à présenter une preuve contraire afin de renverser la présomption selon laquelle, en participant à la concertation avec le trader de Barclays et en étant actif sur le marché, le trader de Crédit agricole a nécessairement tenu compte des informations échangées avec son concurrent pour déterminer son comportement sur ce marché, en l’occurrence sa stratégie de trading, en se fondant sur la manipulation à venir (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 121, et du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, EU:C:1999:358, point 162), in fine il convient de relever que la seule allégation selon laquelle le trader ne détenait pas une position importante à la date d’une manipulation envisagée ou que sa banque détenait une position contraire au sens de l’entente ne constitue pas une telle preuve contraire suffisante, en ce que ces éléments n’excluent pas en soi de présumer que la concertation a permis au trader d’éliminer les incertitudes quant à son comportement sur le marché, de sorte que le jeu normal de la concurrence a pu en être empêché, restreint ou faussé (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 décembre 2013, Solvay Solexis/Commission, C‑449/11 P, non publié, EU:C:2013:802, point 39).

233    Troisièmement, le fait qu’une entreprise n’ait pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle ait joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé n’est pas pertinent pour établir l’existence d’une infraction de sa part. Ces éléments, relatifs au nombre et à l’intensité des comportements anticoncurrentiels, ne doivent être pris en considération que lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction ou des circonstances atténuantes et, le cas échéant, de la détermination de l’amende (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 86 et jurisprudence citée, et du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, points 197 et 199 et jurisprudence citée). Ainsi, les arguments avancés par les requérantes visant à démontrer le rôle mineur, du point de vue qualitatif et quantitatif, que Crédit agricole aurait joué dans les manipulations en cause, eu égard au fait qu’elles étaient imaginées, organisées et mises en œuvre par un trader de la banque A et un trader de la banque D, doivent être rejetés comme inopérants dans le cadre de l’examen de la participation de celle-ci aux comportements en cause.

234    De même, quatrièmement, le fait que Crédit agricole soit un acteur mineur sur le marché des EIRD, à le supposer établi, ne permet pas de remettre en cause sa participation aux comportements en cause, dès lors qu’elle est active sur ledit marché. En effet, ainsi que le fait valoir, en substance, la Commission, les échanges d’informations confidentielles concernant les manipulations envisagées des taux de référence ont permis aux participants à ces échanges, indépendamment de la position de leur banque sur le marché, d’adapter leur stratégie de trading en composant leurs portefeuilles spécifiquement de manière à tirer avantage de leur connaissance des manipulations à venir et de maximiser leurs profits ou de minimiser leurs pertes.

235    Eu égard à ce qui précède, sous réserve de l’examen du quatrième moyen (voir points 230 et 231 ci-dessus), il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme non fondé.

[omissis]

3.      Sur la qualification d’infraction unique et continue retenue par la Commission (cinquième, sixième et septième moyens de la requête)

[omissis]

b)      Sur le sixième moyen de la requête, contestant la connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un « plan d’ensemble » et sa volonté d’y participer

[omissis]

1)      Sur la connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un « plan d’ensemble »

[omissis]

i)      Sur la connaissance par Crédit agricole des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises consistant en des tentatives de manipulation de l’Euribor

[omissis]

402    Il convient de relever, à l’instar de la Commission, que cette dernière dispose de preuves directes démontrant la connaissance par Crédit agricole de ce qu’elle participait à une infraction unique avec d’autres banques en ce que ses traders savaient ou pouvaient raisonnablement prévoir que les échanges visés au point 401 ci-dessus s’inscrivaient dans un « plan d’ensemble » dépassant le cadre des échanges bilatéraux.

403    En effet, premièrement, c’est à juste titre que la Commission se réfère, au considérant 467 de la décision attaquée, à la conversation du 16 octobre 2006 comme étant révélatrice de cette connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un « plan d’ensemble » et de la participation d’autres banques à ce plan.

404    Lors de cette conversation, le trader de Barclays a demandé à celui de Crédit agricole de solliciter de sa trésorerie une soumission Euribor‑1M élevée. Avant d’accéder à cette demande, le trader de Crédit agricole a demandé quel avantage il pourrait en tirer, ce à quoi le trader de Barclays a répondu qu’il pourrait lui demander le « fixing » selon ses propres positions de trading (« ce que tu veux, le droit de me demand[e]r des fixings o[ù] tu veux quand t[u] en as besoin »). Plus tard, le trader de Crédit agricole a demandé à celui de Barclays comment celui-ci s’en était sorti malgré le niveau bas de l’Euribor. En réponse, le trader de Barclays l’a remercié pour sa coopération en ce qui concernait la soumission de sa banque en déclarant que, grâce aux soumissions élevées de certaines banques (« potes »), il avait pu contrebalancer les soumissions faibles des autres banques (« si certains potes n[’]avaient pas été l[à]… j[’]ai au moins [quatre] banq[u]es contre moi sur ce truc »).

405    La lecture de ces conversations montre, d’une part, que le trader de Crédit agricole était conscient que la soumission élevée qu’il avait promis de demander à sa trésorerie faisait partie d’un « plan d’ensemble » visant à manipuler le niveau de l’Euribor‑1M de ce jour en le portant vers le haut par les soumissions coordonnées de plusieurs banques. Il a ainsi contribué, par son comportement, à la réalisation de ce plan. D’autre part, en lui indiquant qu’il pouvait lui demander à d’autres moments des « fixings » selon ses propres intérêts, le trader de Barclays a fait comprendre à celui de Crédit agricole qu’il ne s’agissait pas d’une tentative de manipulation du taux Euribor isolée, mais plutôt d’une pratique qui pourrait être répétée.

406    De même, deuxièmement, c’est également à juste titre que la Commission se réfère, au considérant 461 de la décision attaquée, à la conversation du 14 février 2007 comme étant également révélatrice de la connaissance par Crédit agricole tant de l’existence d’un « plan d’ensemble » que de la participation des autres banques.

407    En effet, d’une part, il ressort de cette discussion que le trader de Barclays a dévoilé à celui de Crédit agricole les éléments constitutifs de la manipulation envisagée pour la date IMM du 19 mars 2007, en lui demandant de la tenir secrète, à savoir une manipulation du spread entre deux produits dérivés, les « futures » indexés sur l’Euribor-3M et des swaps fondés sur l’EONIA le 19 mars 2007 [« la base va être serrée », « spread à quatre » (c’est-à-dire que le spread entre l’EONIA et l’Euribor-3M allait se resserrer à quatre points de base)]. Il lui a également fait part des autres éléments du plan de nature à contribuer à sa réussite, en lui indiquant qu’il convenait de procéder à une augmentation progressive des positions « acheteuses » sur les « futures » indexés sur l’Euribor-3M, tout en faisant baisser le marché au comptant par une action concertée (« tu payes de l’EONIA et t[u] achètes du future… sur l’IMM[ ; l]e jour de [l’]IMM tu pousses le cash à la baisse… »), c’est-à-dire de créer des positions « vendeuses » sur l’EONIA et des positions « acheteuses » sur l’Euribor en vue du fixing du 19 mars 2007 et de baisser le marché au comptant le jour du fixing). D’autre part, le trader de Barclays a informé celui de Crédit agricole que Deutsche Bank participait à ce « plan d’ensemble » (« la tréso[rerie] de Deutsche, elle est dans le coup ») et lui a indiqué qu’il serait avantageux d’impliquer quatre ou cinq banques dans le plan (« si on arrive à mettre quatre-cinq tréso[rerie]s dans le coup, tu vois ? »).

408    Il en ressort que le trader de Crédit agricole a été mis en courant de la participation de Deutsche Bank dans le plan ainsi décrit. En outre, même si l’identité des autres banques n’a pas été dévoilée au trader de Crédit agricole, ce dernier avait connaissance du fait que le trader de Barclays envisageait d’impliquer un certain nombre de banques dans ce plan.

409    En conséquence, c’est à bon droit que la Commission a conclu que Crédit agricole avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres participants à l’entente dans la poursuite de l’objectif d’altérer les flux de trésorerie par les actions concertées visant à manipuler le taux Euribor le 16 octobre 2006 et le 19 mars 2007.

410    En outre, même si la Commission ne disposait pas de preuves directes établissant que les traders de Crédit agricole avaient connaissance de la participation d’autres banques à d’autres tentatives de manipulation du taux Euribor qui avaient été retenues à son égard, elle pouvait retenir que ces traders pouvaient raisonnablement prévoir une telle participation, au sens de la jurisprudence citée au point 354 ci-dessus, eu égard au fait que Crédit agricole était mise au courant de la participation des autres banques à ce type de comportement dès le 16 octobre 2006. Crédit agricole aurait donc pu raisonnablement prévoir que chaque autre tentative de manipulation ne se ferait que par une action concertée de plusieurs banques. C’est donc à tort que les requérantes font valoir que la connaissance par les traders de la participation des autres banques aux tentatives de manipulation des taux devait être limitée aux seules manipulations du 16 octobre 2006 et du 19 mars 2007 ou à une certaine période de la participation de Crédit agricole à l’infraction unique retenue par la Commission.

411    Dans ce contexte, il est sans pertinence que Crédit agricole n’ait pas été au courant de l’intensité et de la régularité quotidienne des contacts, notamment entre les traders de Barclays et de Deutsche Bank, ni du caractère plus ou moins intense des contacts que le trader de Barclays entretenait avec les autres banques impliquées.

412    Il est également sans pertinence que le trader de Crédit agricole se soit montré sceptique à l’égard de la faisabilité du plan de manipulation du 19 mars 2007. En effet, le fait qu’il ne croyait pas à la réussite du plan, ce qui n’est toutefois pas univoque dans sa prise de position, car il indique « en tout cas ça vaut le coup de l’essayer », ne démontre aucunement qu’il n’était pas au courant de la participation de Deutsche Bank et, le cas échéant, des autres banques à la mise en œuvre de ce plan.

ii)    Sur la connaissance par Crédit agricole des autres comportements relevant de l’infraction unique envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises

413    S’agissant de la question de savoir si la Commission était en droit d’imputer à Crédit agricole, au titre de sa participation à l’infraction unique, l’ensemble des comportements des autres banques concernées, il convient de relever que, à la différence de ce qui est le cas de la connaissance par Crédit agricole de l’existence d’un plan d’ensemble ayant pour but la manipulation, aux différentes dates, du taux Euribor par les actions concertées de plusieurs banques (voir points 402 à 408 ci-dessus), la Commission n’a avancé, dans la décision attaquée, aucune preuve directe permettant d’établir que Crédit agricole avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance du fait que les échanges que ses traders avaient avec le trader de Barclays portant sur les informations relatives aux stratégies ou les intentions en matière de fixation des prix allaient au-delà des échanges bilatéraux et faisaient partie d’un « plan d’ensemble » auquel participaient d’autres banques.

414    De même, les preuves indirectes prises ensemble en tant que faisceau d’indices ne permettent pas d’établir à suffisance de droit que Crédit agricole avait ou aurait dû avoir connaissance d’un tel plan d’ensemble, ou qu’elle pouvait raisonnablement prévoir son existence, de nature à justifier que lui soit imputé l’ensemble des comportements des autres banques relevant dudit objectif unique, qu’elle y ait directement participé ou non.

415    À cet égard, la décision attaquée contient uniquement, à ses considérants 457 à 465, des motifs se référant à la nature même de l’entente et au fonctionnement du marché des EIRD, motifs qui concernent l’ensemble des banques participant à l’entente et qui ont été rappelés au point 396 ci-dessus. Ces motifs, pris individuellement ou dans leur ensemble, ne permettent pas d’imputer à Crédit agricole les comportements des autres banques auxquels elle n’a pas, selon la décision attaquée, directement participé, autres que ceux envisagés aux points 409 et 410 ci-dessus, sans méconnaître la jurisprudence citée au point 360 ci-dessus.

416    En effet, c’est à juste titre que les requérantes soutiennent que la Commission n’établit aucun lien entre, d’une part, le contexte spécifique dans lequel opèrent les traders, rappelé au considérant 458 de la décision attaquée, à savoir le fait qu’ils sont enregistrés et contrôlés, que les contacts sont exclusivement bilatéraux, qu’ils utilisent un langage codé et qu’ils se contactent mutuellement et de façon régulière, toujours pour le même type d’opérations, et, d’autre part, la connaissance qu’avait ou aurait dû avoir Crédit agricole des comportements des autres banques portant sur les stratégies et les intentions en matière de fixation des prix auxquels elle n’a pas participé.

417    À cet égard, la Commission soutient que le considérant 458 de la décision attaquée devait être lu avec les considérants 459 à 464 de celle-ci. Toutefois, il convient de relever, tout d’abord, que les motifs avancés aux considérants 459 à 462 de la décision attaquée pourraient soutenir, tout au plus, que les traders auraient dû avoir connaissance de l’implication des autres banques dans les comportements ayant pour but de manipuler les taux Euribor, mais non dans ceux consistant en des échanges sur les stratégies ou les intentions en matière de fixation des prix.

418    En premier lieu, le constat, figurant au considérant 459 de la décision attaquée, selon lequel, à travers leurs contacts bilatéraux, les traders savaient que les traders d’autres banques étaient disposés à participer au même type de comportements collusoires concernant les composantes de fixation des prix et d’autres conditions de négociation des EIRD n’est vrai à l’égard de Crédit agricole qu’en ce qui concerne les échanges relatifs aux manipulations de l’Euribor (voir points 403 à 408 ci-dessus). En revanche, dans aucune des conversations bilatérales portant sur les stratégies de fixation des prix, le trader de Barclays n’a révélé à celui de Crédit agricole que les autres traders participaient à de tels échanges ou que les mêmes informations auraient été échangées avec les autres traders.

419    En second lieu, la référence, figurant au considérant 460 de la décision attaquée, à la « connaissance générale répandue » parmi les acteurs du marché du fait que le processus de détermination des taux de référence était déclaratoire et, par conséquent, que les soumissions pouvaient être décalées par les banques membres du panel en fonction de leur intérêt au moment de la soumission, à la supposer établie, n’est pertinente qu’en ce qui concerne les pratiques visant la manipulation desdits taux de référence. Il en est de même, à supposer qu’elle soit pertinente pour établir la connaissance de l’implication des autres banques dans les pratiques collusoires, de la circonstance relevée aux considérants 461 et 462 de la décision attaquée, selon laquelle les traders ne pouvaient pas ignorer que, si davantage des banques modifiaient leurs soumissions le même jour et pour la même maturité d’Euribor, l’impact potentiel sur le taux d’intérêt de référence augmenterait en proportion du nombre de banques impliquées, de sorte que le degré de succès des pratiques collusoires dépendait, pour une large part, de l’implication de davantage de banques. En revanche, aucun lien ne peut être établi entre le processus de détermination du niveau de l’Euribor par le biais des soumissions des membres du panel, visé par ces affirmations, et les comportements visés au considérant 358, sous g), de la décision attaquée et portant sur les échanges relatifs aux intentions et aux stratégies en matière de fixation des prix, tels que les « runs » ou les « mids ».

420    Ensuite, les faits, relevés au considérant 463 de la décision attaquée, selon lesquels, premièrement, les traders des banques concernées étaient actifs dans le secteur des EIRD depuis plusieurs années, deuxièmement, les contacts bilatéraux ont été entretenus avec les traders des banques qui étaient parmi les acteurs les plus importants du marché et, troisièmement, les traders ne manifestaient pas de surprise lorsqu’ils étaient approchés en vue d’une concertation sont dépourvus de pertinence pour établir la connaissance des comportements auxquels Crédit agricole n’a pas directement participé. Par ailleurs, ainsi que le soutiennent les requérantes, la connaissance de la « puissance du réseau qui était derrière le trader qui tenait avec eux des discussions anticoncurrentielles », à laquelle il est également fait référence au considérant 463 de la décision attaquée, procède d’une simple spéculation qui n’est soutenue par aucun élément de preuve d’une telle connaissance par Crédit agricole de l’existence et de la puissance d’un tel réseau et qui ne peut être déduite de l’échange du 14 février 2007 entre le trader de Crédit agricole et celui de Barclays, invoqué par la Commission au soutien de cette considération. En effet, il ressort, certes, de cet échange que le trader de Crédit agricole a été mis au courant de l’implication de Deutsche Bank dans les tentatives de manipulation des taux et de l’intention du trader de Barclays d’y impliquer davantage de banques (voir points 406 à 408 ci-dessus). Toutefois, il ne saurait en être déduit qu’il avait ainsi acquis la connaissance de l’implication des autres banques dans des comportements autres que ceux visant la manipulation des taux et, encore moins, de l’existence d’un réseau de contacts destiné à échanger des informations sensibles sur les stratégies ou les intentions en matière de fixation des prix.

421    Enfin, la circonstance mise en exergue par la Commission au considérant 465 de la décision attaquée, selon laquelle les enregistrements des traders facilitent la détection, par la banque, du comportement illicite de ses employés, relève tout au plus de la question de savoir si les comportements auxquels participaient les traders de cette dernière peuvent lui être imputés, question qui a été écartée dans le cadre de l’examen du huitième moyen (voir point 350 ci-dessus). Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 413 ci-dessus, aucun élément de preuve provenant, le cas échéant, des enregistrements des échanges bilatéraux entre le trader de Barclays et les traders de Crédit agricole portant sur les informations relatives aux stratégies ou les intentions en matière de fixation des prix ne permet de retenir que ces échanges allaient au-delà des échanges bilatéraux et faisaient partie d’un « plan d’ensemble » auquel participaient d’autres banques.

422    La Commission semble encore soutenir que, étant donné que l’ensemble des comportements en cause poursuivait le même objectif (question faisant l’objet du cinquième moyen), le fait d’avoir établi que Crédit agricole avait ou aurait dû avoir connaissance de l’implication des autres banques dans des comportements visant les tentatives de manipulation du taux Euribor suffisait pour retenir la même conclusion en ce qui concernait la connaissance par Crédit agricole de la participation des autres banques aux autres comportements.

423    Toutefois, il résulte de la jurisprudence que le constat de l’existence d’une infraction unique est distinct de la question de savoir si la responsabilité de cette infraction dans sa globalité est imputable à une entreprise (arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 174). En outre, la seule identité d’objet entre un accord auquel a participé une entreprise et une entente globale ne suffit pas pour imputer à cette entreprise la participation à l’entente globale. En effet, il y a lieu de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne s’applique pas, à moins qu’il y ait une concordance de volontés entre les parties concernées. L’entreprise concernée doit ainsi connaître la portée générale et les caractéristiques essentielles de l’entente globale (voir arrêt du 10 octobre 2014, Soliver/Commission, T‑68/09, EU:T:2014:867, points 62 et 64 et jurisprudence citée).

424    Il s’ensuit que, en l’espèce, il n’est pas possible d’imputer à Crédit agricole la responsabilité de l’ensemble des comportements infractionnels faisant partie de l’infraction unique, y compris les échanges portant sur les stratégies et les intentions en matière de fixation des prix auxquels elle n’a pas directement participé, uniquement du fait, d’une part, qu’elle a eu connaissance des comportements des autres banques concernant la manipulation du taux Euribor et, d’autre part, que ces pratiques poursuivaient le même objectif que celles portant sur les stratégies et les intentions en matière de fixation des prix.

425    En conséquence, il convient de conclure que le faisceau d’indices sur lequel s’appuie la Commission, apprécié globalement et avec les preuves directes de la connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises consistant en des tentatives de manipulation de l’Euribor, examinées aux points 402 à 412 ci-dessus, ne correspond pas à des preuves sérieuses, précises et concordantes permettant de démontrer sans aucun doute que Crédit agricole avait connaissance du fait que les échanges qu’elle avait eus avec Barclays portant sur les intentions et les stratégies en matière de fixation des prix dépassaient le cadre bilatéral et s’inscrivaient dans un plan d’ensemble impliquant également d’autres banques ou qu’elle pouvait raisonnablement le prévoir et en accepter le risque.

426    Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que la participation de Crédit agricole à une infraction unique ne pouvait être retenue qu’à l’égard, d’une part, de ses comportements propres au titre de ladite infraction et, d’autre part, des comportements des autres banques s’inscrivant dans le cadre des tentatives de manipulation du taux Euribor.

427    À cet égard, il convient encore de rappeler que la Cour a jugé qu’il était envisageable de diviser une décision de la Commission qualifiant une entente globale d’infraction unique et continue uniquement si, d’une part, ladite entreprise avait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de comprendre qu’il lui était également reproché chacun des comportements la composant, et donc de se défendre sur ce point, et si, d’autre part, cette décision était suffisamment claire à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 46). En l’espèce, la Commission a clairement établi une distinction, tant dans la communication des griefs que dans la décision attaquée (voir point 15 ci-dessus), entre les différents comportements reprochés aux banques participant à l’entente, dont Crédit agricole, qui composaient l’infraction unique et continue. De plus, ainsi qu’il a été rappelé, en substance, au point 363 ci-dessus, il ressort, notamment, des considérants 365, 387, 393 et 442 de la décision attaquée que la Commission a estimé que ces comportements avaient pour objet de restreindre la concurrence non seulement collectivement, mais également sur une base individuelle.

428    C’est donc à bon droit que, dans le cadre du sixième moyen, les requérantes soutiennent que la Commission a imputé à tort à Crédit agricole d’autres comportements que ceux identifiés au point 426 ci-dessus. La première branche du sixième moyen est donc partiellement fondée.

[omissis]

B.      Sur la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée et la demande de réduction de l’amende

[omissis]

1.      Sur la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée

[omissis]

a)      Sur l’utilisation des recettes en numéraire actualisées aux fins de calculer la valeur des ventes

[omissis]

2)      Sur la détermination du facteur de réduction de 98,849 % appliqué par la Commission

[omissis]

i)      Sur le respect de l’obligation de motivation en ce qui concerne la détermination, dans la décision attaquée, du facteur de réduction

[omissis]

512    Au vu de ce qui précède, il convient de constater que la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation en ce qui concerne la détermination du facteur de réduction à 98,849 %.

513    Toutefois, le présent grief de la quatrième branche du neuvième moyen pourrait s’avérer dénué de fondement s’il se vérifiait que la Commission avait remédié à l’insuffisance de motivation ainsi constatée en adoptant la décision modificative (voir points 21 à 23 ci-dessus). Dès lors, il convient d’examiner les moyens soulevés par les requérantes dans le cadre du mémoire en adaptation visant à contester l’adoption par la Commission de cette dernière décision.

ii)    Sur la décision modificative

[omissis]

516    À cet égard, les requérantes soutiennent que la Commission n’avait pas compétence pour remédier à l’insuffisance de motivation de la décision attaquée, constatée par le Tribunal dans l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), par le biais de la décision modificative.

517    Les requérantes relèvent que, si la Commission peut, en principe, modifier une décision postérieurement à son adoption, elle n’a en revanche pas compétence pour adopter, comme en l’espèce, une décision corrigeant ou complétant la motivation insuffisante de la décision attaquée au cours de la procédure juridictionnelle visant à l’annulation de cette décision, sans réadopter un dispositif de cette dernière décision. L’incompétence de la Commission pour adopter la décision modificative s’imposerait à plus forte raison dans la mesure où elle avancerait, en réalité, une motivation différente de celle de la décision attaquée.

518    La Commission conteste les arguments des requérantes et estime qu’il lui était loisible d’adopter, dans le respect des formes et des procédures prévues à cet égard par le traité, la décision modificative afin de compléter les motifs de la décision attaquée, en explicitant davantage la méthodologie employée afin de déterminer le facteur de réduction, sans la modifier. Selon elle, la jurisprudence relative à l’impossibilité de régulariser la motivation défaillante d’une décision individuelle en cours de la procédure contentieuse n’est pas applicable en l’espèce. L’adoption de la décision modificative ayant ouvert la possibilité pour les requérantes d’adapter leur requête afin de contester la validité de la méthodologie en cause, leurs droits procéduraux auraient ainsi été sauvegardés et le Tribunal pourrait pleinement exercer son contrôle juridictionnel.

519    À cet égard, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que son pouvoir d’adopter un acte déterminé doit nécessairement comporter le pouvoir de modifier cet acte, dans le respect des dispositions relatives à sa compétence ainsi que dans le respect des formes et des procédures prévues à cet égard par le traité (arrêt du 9 décembre 2014, Lucchini/Commission, T‑91/10, EU:T:2014:1033, point 108), ce qui est admis par les requérantes.

520    Toutefois, force est de relever, à l’instar des requérantes, qu’il ressort explicitement du dispositif de la décision modificative, ainsi que de ses considérants 11 à 13, que celle-ci ne vise qu’à compléter les motifs de la décision attaquée, sans modifier le dispositif de cette décision, et que, dès lors, l’article 1er, sous a), et l’article 2, sous a), de celle-ci « restent en vigueur ».

521    Il ressort de ce qui précède que, en adoptant la décision modificative, la Commission n’a pas procédé à l’adoption d’une décision modifiant le dispositif de la décision attaquée, mais a uniquement complété la motivation prétendument sous-jacente au dispositif adopté dans la décision attaquée, ce qu’elle confirme, en substance, devant le Tribunal (voir point 518 ci-dessus).

522    Il s’ensuit que la décision modificative ne peut être considérée comme une décision nouvelle modifiant la décision attaquée au sens de la jurisprudence citée au point 519 ci-dessus, mais doit être assimilée à un complément de motivation apporté par la partie défenderesse dans le cadre de la procédure juridictionnelle. Or, selon une jurisprudence constante, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L’absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant les instances de l’Union (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 149 ; du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 74, et du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission, T‑95/15, EU:T:2016:722, point 46).

523    Il n’existe ni un droit des institutions de l’Union de régulariser devant le juge de l’Union leurs décisions insuffisamment motivées ni une obligation de ce dernier de prendre en compte les explications complémentaires fournies seulement en cours d’instance par l’auteur de l’acte en cause pour apprécier le respect de l’obligation de motivation. Un semblable état du droit risquerait de brouiller la répartition des compétences entre l’administration et le juge de l’Union, d’affaiblir le contrôle de légalité et de compromettre l’exercice du droit de recours (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 58).

524    Des précisions apportées par l’auteur d’une décision attaquée, au cours de la procédure contentieuse, complétant une motivation déjà en elle-même suffisante ne relèvent pas à proprement parler du respect de l’obligation de motivation, même si elles peuvent être utiles au contrôle interne des motifs de la décision, exercé par le juge de l’Union, en ce qu’elles permettent à l’institution d’expliciter les raisons qui sont à la base de sa décision. Ainsi, des explications additionnelles, allant au-delà des exigences de l’obligation de motivation, peuvent permettre aux entreprises de connaître en détail le mode de calcul de l’amende qui leur est infligée et, de façon plus générale, servir la transparence de l’action administrative et faciliter l’exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction en lui permettant d’apprécier, au-delà de la légalité de la décision attaquée, le caractère approprié de l’amende infligée. Cependant, cette faculté n’est pas de nature à modifier l’étendue des exigences découlant de l’obligation de motivation (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, EU:C:2000:626, points 45 et 47).

525    En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 512 ci-dessus, la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation en ce qui concerne la détermination du facteur de réduction. La Commission n’a fait valoir l’existence d’aucune circonstance visant à démontrer qu’elle se serait trouvée dans l’impossibilité pratique de motiver à suffisance de droit la décision attaquée et permettant d’accepter, à titre exceptionnel, un complément de la motivation apporté au cours de la procédure juridictionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 59). Partant, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question de savoir si la méthodologie explicitée de manière plus détaillée dans la décision modificative était bien celle sous-jacente à la décision attaquée et, par conséquent, d’adopter la mesure d’instruction proposée par la Commission, il convient de considérer que, en application de la jurisprudence citée aux points 522 à 524 ci-dessus, le complément de motivation de la décision attaquée apporté par la Commission en cours d’instance ne saurait être accepté.

526    Dans ces circonstances, en faisant droit aux griefs avancés par les requérantes dans le cadre du premier moyen du mémoire en adaptation, il y a lieu d’écarter la motivation complémentaire apportée par la décision modificative en cours d’instance, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres demandes, griefs et moyens avancés par les requérantes dans le cadre de ce mémoire ou d’adopter la mesure d’organisation de la procédure qu’elles ont proposée, celle-ci se rapportant au bien-fondé des affirmations dans la décision modificative concernant la détermination du facteur de réduction.

527    Il ressort de tout ce qui précède que le grief tiré de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la détermination du facteur de réduction est fondé.

b)      Sur l’incohérence des méthodes de calcul des valeurs de venteutilisées par les banques et sur la violation des principes de bonne administration et d’égalité de traitement en raison de l’absence de contrôle par la Commission sur ce point

[omissis]

2)      Sur le grief tiré d’une violation du principe de bonne administration en raison d’une vérification insuffisante des données fournies par les banques

557    Dans le cadre de la deuxième branche du neuvième moyen, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir violé le principe de bonne administration, en ce qu’elle n’a pas contrôlé la cohérence des réponses au questionnaire sur la valeur des ventes et n’a procédé à aucune mesure d’enquête complémentaire à la réception des données pour s’assurer du respect du principe d’égalité de traitement.

558    La Commission soutient avoir pris « toutes les précautions pour éviter des divergences entre les valeurs communiquées par les banques », dans la mesure où elle a soumis la même demande de renseignements précise et détaillée à l’ensemble des parties, assuré la coordination et exigé que les réponses soient accompagnées d’une note méthodologique et qu’un audit externe indépendant atteste l’exactitude des calculs présentés.

559    À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’existe pas d’obligation générale pour la Commission de procéder à la vérification des renseignements fournis en réponse à une demande de renseignements à défaut d’indices indiquant l’inexactitude desdits renseignements (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Spira/Commission, T‑108/07 et T‑354/08, EU:T:2013:367, point 104 et jurisprudence citée).

560    En l’espèce, il y a lieu de relever que plusieurs indices au sens de la jurisprudence citée au point 559 ci-dessus auraient dû amener la Commission à douter du caractère suffisamment uniforme des méthodologies suivies par les banques concernées pour fournir les données demandées.

561    En premier lieu, la Commission ne conteste pas qu’elle avait été avertie par les parties des difficultés que celles-ci avaient eu à répondre au questionnaire. Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir la Commission, la circonstance mise en avant par les requérantes, selon laquelle Société générale (considérant 703 de la décision attaquée, voir point 11 ci-dessus) et JP Morgan (considérant 680 de la décision attaquée) ont soumis spontanément des données corrigées procédant à des révisions importantes des données initialement soumises, démontre l’existence de ces difficultés. Il importe de relever que ces données révisées ont été acceptées par la Commission.

562    En deuxième lieu, c’est également à juste titre que les requérantes mettent en exergue les différences entre les notes méthodologiques fournies par chacune des banques concernées s’agissant tant de leur notable différence de longueur que de l’hétérogénéité du niveau des informations fournies par les banques.

563    En troisième lieu, les requérantes mettent en avant les incohérences entre les montants notionnels déclarés par les banques concernées en tant qu’indice des incohérences dans les données soumises par les parties en réponse à la demande de renseignements. Certes, ainsi que l’a constaté la Commission au considérant 700 de la décision attaquée, elle n’a pas fondé, en l’espèce, la valeur des ventes sur les montants notionnels, mais sur les recettes en numéraire. Toutefois, il ressort du rapport sur la valeur des ventes que les montants notionnels et les recettes en numéraire remis par les différentes banques n’apparaissent pas cohérentes entre elles. Il en ressort que le niveau des montants notionnels n’est pas dépourvu de toute pertinence en tant qu’indice d’une incohérence dans les méthodologies suivies pour répondre à la demande de renseignements de la Commission, y compris en ce qui concerne la détermination des recettes en numéraire des banques.

564    Dans ce contexte, il convient encore de relever que, lors de l’audition, les requérantes avaient attiré l’attention de la Commission sur l’existence de certaines contradictions dans les réponses des autres parties aux demandes de renseignements (voir points 58 et 60 ci-dessus).

565    En présence de tels indices, il appartenait à la Commission de poursuivre son enquête, dans le respect du principe de bonne administration et, en particulier, de son obligation d’examen diligent, en vue de s’assurer que les données relatives aux recettes en numéraire constituant une assiette du calcul de l’amende soient calculées selon les méthodologies suffisamment uniformes pour répondre de manière adéquate à la demande de renseignements.

566    Or, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a admis n’avoir demandé aucun éclaircissement aux parties portant sur les éléments de leurs réponses à la demande de renseignements ou les méthodes employées afin de calculer les données requises.

567    Pour autant que la Commission se réfère au rapport d’audit accompagnant chacune des réponses des banques concernées et fait valoir, en substance, qu’il appartenait aux auditeurs de vérifier le caractère adéquat des méthodes suivies pour répondre aux demandes de renseignements (considérant 678 de la décision attaquée), cet argument ne saurait davantage prospérer.

568    En effet, il ressort de la section I.2. sous ii), des instructions accompagnant la demande de renseignements que les « données » demandées devaient être vérifiées par une société d’audit ou par un auditeur et que la réponse devait être accompagnée d’une attestation indiquant que les « données » étaient vérifiées. Contrairement à ce qui ressort du considérant 678 de la décision attaquée, une telle instruction ne saurait nécessairement être comprise en ce sens que des rapports ou des opinions des auditeurs indépendants devaient confirmer, outre que les données fournies étaient correctes, que la méthodologie suivie pour les calculer était adéquate aux fins de répondre à la demande de renseignements. Les requérantes s’appuient à cet égard sur les commentaires compris dans les rapports d’audits établis par une société d’audit en ce qui concerne leurs calculs et ceux établis, notamment, pour la banque A, la banque C et JP Morgan, dont la matérialité n’est pas contestée par la Commission. Il ressort de ces commentaires que les auditeurs indépendants ont considéré que leur mission consistait à vérifier la bonne application de la méthode choisie par une banque, et non à questionner cette méthode au regard des périmètres résultant de la demande de renseignements.

569    Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que, en dépit d’indices suffisants pour douter de l’uniformité des méthodologies suivies par les banques concernées pour calculer leurs recettes en numéraire, la Commission n’a pas adopté de mesures d’enquête supplémentaires, en violation de son obligation d’examen diligent auquel elle est tenue en application de la jurisprudence citée au point 537 ci-dessus. Toutefois, dans les circonstances du cas d’espèce, une telle violation du principe de bonne administration ne serait susceptible de conduire à l’annulation de la décision attaquée qu’à condition que les requérantes démontrent que les divergences méthodologiques en cause ont eu pour conséquence que les montants de base des amendes infligées ont été calculés en violation du principe d’égalité de traitement.

3)      Sur le respect du principe d’égalité de traitement dans le calcul du montant de l’amende

570    Les requérantes soutiennent, en substance, qu’une violation du principe de bonne administration a résulté, en l’espèce, en une violation par la Commission du principe d’égalité de traitement en ce que, sans les compléments d’instruction, celle-ci a déterminé les montants des amendes en prenant en compte les données qui n’étaient pas suffisamment fiables et cohérentes pour constituer une base des calculs des amendes.

571    Toutefois, les requérantes ne démontrent pas que, en l’espèce, l’application par les banques de méthodologies différentes pour calculer leurs recettes en numéraire, acceptées par la Commission, a conduit cette dernière à retenir des données non comparables d’une banque à l’autre et ainsi à déterminer le montant de l’amende à l’égard de Crédit agricole en violation du principe d’égalité de traitement.

572    En effet, en premier lieu, il convient de rappeler que, selon la Commission, l’existence des divergences concernant, premièrement, l’étendue des flux pris en compte par la banque A, en ce que celle-ci a exclu de ses calculs la jambe fixe d’un contrat swap lorsque celui-ci comportait à la fois une jambe fixe et une jambe variable, deuxièmement, l’étendue des compensations (netting) entre les flux payés et reçus sur les opérations et, troisièmement, l’exclusion des produits « exotiques » n’avait qu’une incidence négligeable sur le résultat des calculs des recettes en numéraire et ainsi sur la détermination de la valeur des ventes (voir points 549, 551 et 554 ci-dessus).

573    Les requérantes contestent le caractère négligeable de l’incidence des divergences méthodologiques sur le niveau des recettes en numéraire.

574    Premièrement, elles estiment que le constat de la Commission dans la décision attaquée selon lequel l’incidence de la méthodologie suivie par la banque A sur la valeur de ses recettes en numéraire en ce qui concerne l’exclusion des jambes fixes s’agissant des contrats disposant à la fois de la jambe fixe et de la jambe variable ne s’élevait qu’à 0,1 % et, de ce fait, était négligeable n’est pas vérifiable. Elles soutiennent, en substance, que l’accès aux données financières des autres parties qu’elles ont obtenu par le biais de la procédure de salle d’information n’était pas suffisant pour leur permettre de procéder, à l’instar de la Commission, à de tels calculs au regard de l’exclusion des experts de Crédit agricole de l’accès aux données en cause et du temps d’accès limité.

575    À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que la Commission a calculé l’incidence de la méthode appliquée par la banque A sur la valeur de ses recettes en numéraire à 0,1 % en se fondant sur les feuilles de calculs contenant certains codes, soumises par cette banque avec sa réponse à la demande de renseignements (considérant 685 de la décision attaquée). Les conseillers juridiques et économiques des requérantes avaient eu accès à ces documents dans le cadre de la procédure de salle d’information (voir note en bas de page no 720 de la décision attaquée).

576    En outre, d’une part, il ressort de l’examen des griefs relatifs au refus d’accès aux données relatives à la valeur des ventes que la Commission n’a pas porté atteinte aux droits de la défense des requérantes en mettant en place un système d’accès mixte aux données en cause consistant à accorder l’accès aux données confidentielles aux seuls conseillers externes de Crédit agricole par le biais de la procédure de salle d’information (voir points 173 à 180 ci-dessus). D’autre part, si les requérantes estimaient que le temps d’accès ainsi accordé aux conseillers externes n’était pas suffisant, rien ne les empêchait d’adresser aux services de la Commission ou au conseiller-auditeur une demande d’extension du temps d’accès ou une demande d’accès supplémentaire selon la même procédure. Or, elles n’ont pas déposé une telle demande.

577    Les arguments avancés par les requérantes ne sont donc pas susceptibles de remettre en cause le constat de la Commission, dans la décision attaquée, selon lequel l’incidence de 0,1 % sur la valeur des recettes en numéraire de la banque A était négligeable.

578    Deuxièmement, s’agissant des différences des méthodes de compensation, il convient de relever, tout d’abord, que les requérantes ne contestent pas que la compensation quotidienne, telle qu’appliquée par Crédit agricole, est une norme sur le marché. En outre, les requérantes ne tentent pas même de démontrer que l’application d’une compensation mensuelle plutôt que quotidienne aurait eu une incidence significative sur leurs propres données concernant les recettes en numéraire.

579    Par ailleurs, les requérantes estiment que la conclusion de la Commission figurant au considérant 702 de la décision attaquée, selon laquelle le fait pour les banques de suivre des méthodes de compensation différentes n’a pas entraîné d’écarts significatifs ni causé d’inégalité de traitement est contredit par le fait que l’amende de Société générale a été réduite de moitié dans le cadre de la décision rectificative.

580    Toutefois, d’une part, il ressort du considérant 703 de la décision attaquée que la Commission a adopté une décision modifiant la décision de transaction en ce qui concernait Société générale lorsque celle-ci l’a informée qu’elle n’avait pas procédé à la compensation pour une partie substantielle de ses transactions, et non parce qu’elle aurait révisé ses données en appliquant une autre méthode de compensation. D’autre part, il ressort du considérant 702 de la décision attaquée que les résultats des calculs suivant les deux approches (à savoir la compensation quotidienne et la compensation mensuelle) effectués par la banque C montrent une différence d’environ 0,4 %. Les requérantes ne contestent pas le caractère négligeable d’une telle différence.

581    Troisièmement, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que les requérantes ne présentent aucun argument visant à contester les explications de la banque A, ressortant du considérant 694 de la décision attaquée, quant à l’incidence négligeable de l’exclusion par celle-ci de ses calculs des produits « exotiques ».

582    Quatrièmement, les requérantes s’appuient également sur les données révisées soumises à la Commission le 14 octobre 2016, calculées selon ce qu’elles estimaient être la méthodologie suivie par la banque A, à savoir la « neutralisation » de la jambe fixe et l’exclusion des produits « exotiques ».

583    À cet égard, il convient de relever que, au considérant 687 de la décision attaquée, la Commission a motivé le refus d’acceptation des données révisées soumises par Crédit agricole, en indiquant que la méthode que celle-ci avait suivie pour présenter ces données était inappropriée et que lesdites données étaient inexactes. À cet égard, la Commission a relevé que la méthode proposée ne correspondait ni aux instructions de la demande de renseignements ni à la méthode suivie par la banque A et avait été soumise sans confirmation de la part de l’auditeur. Selon la Commission, les requérantes avaient, notamment, exclu de leurs calculs les recettes en numéraire de la jambe fixe des swaps mais n’avaient pas révisé les montants des recettes en numéraire obtenus par compensation entre la jambe variable et la jambe fixe, ce qui conduirait à des recettes en numéraire plus faibles. La Commission a conclu que l’incidence de la méthode proposée par Crédit agricole sur ses recettes en numéraire serait d’environ 43 %, de sorte qu’elle conduirait à des différences importantes. Ces éléments sont suffisants pour permettre aux requérantes de comprendre les motifs ayant conduit la Commission à refuser d’accepter les données révisées et au Tribunal d’exercer son contrôle judiciaire au sens de la jurisprudence citée au point 255 ci-dessus. Le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation doit donc être rejeté comme non fondé.

584    En outre, il y a lieu de relever que, selon la Commission (considérant 687 de la décision attaquée), l’incidence de la méthodologie suivie sur les données de Crédit agricole s’élève à 43 %, ce qui ressort également, en substance, de la demande adressée par les requérantes au Tribunal visant à réduire à cette hauteur, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le montant de l’amende de Crédit agricole.

585    À supposer que les requérantes tentent ainsi de démontrer que l’incidence de la méthodologie suivie par la banque A sur leurs propres données relatives aux recettes en numéraire n’était pas négligeable, et non à faire appliquer à leur égard la méthodologie suivie par cette dernière banque (voir point 588 ci-après), cet argument ne saurait davantage prospérer. En effet, d’une part, il est constant entre les parties que la méthodologie appliquée par la banque A n’est pas conforme à la demande de renseignements.

586    D’autre part, et en tout état de cause, les requérantes ne démontrent pas que la méthodologie qu’elles ont suivie pour présenter ces données révisées était celle appliquée par la banque A. À cet égard, elles ne contestent aucunement le constat de la Commission énoncé au considérant 687 de la décision attaquée (voir point 583 ci-dessus) et ne tentent même pas de démontrer que la « neutralisation » des jambes fixes receveuses à laquelle elles auraient procédé pour calculer les données révisées résultait de la seule exclusion de la jambe fixe des contrats swap disposant à la fois d’une jambe fixe et d’une jambe variable, comme dans la méthodologie suivie par la banque A, et non, en outre, de la compensation des jambes fixes payeuses avec les jambes variables receveuses, comme cela a été relevé, en substance, par la Commission au considérant 687 de la décision attaquée.

587    Il convient donc de conclure que les requérantes ne démontrent pas que c’est à tort que la Commission a retenu que les divergences dans les méthodologies appliquées par les banques pour calculer leurs recettes en numéraire avaient abouti à des divergences dans les données soumises qui sont négligeables. Or, de telles divergences négligeables ne sont pas de nature à conduire à une violation du principe d’égalité de traitement en ce qu’elles n’aboutissent pas à retenir des valeurs non comparables pour calculer le montant des amendes.

588    En second lieu, eu égard au fait que la méthodologie suivie par la banque A pour calculer les recettes en numéraire ne correspond pas à la demande de renseignements, ne saurait prospérer l’argument des requérantes selon lequel le respect du principe d’égalité de traitement aurait dû conduire la Commission à leur permettre de soumettre les données calculées suivant la méthodologie appliquée par la banque A ou à accepter les données révisées soumises le 14 octobre 2006. À cet égard, il suffit de relever que, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect de la légalité, en vertu duquel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (voir arrêt du 16 juin 2016, Evonik Degussa et AlzChem/Commission, C‑155/14 P, EU:C:2016:446, point 58 et jurisprudence citée). Or, l’argument des requérantes revient en réalité à exiger de la Commission que leur soit appliquée une méthodologie non conforme à la demande de renseignements.

589    Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas démontré que, en l’espèce, l’acceptation par la Commission des données calculées selon des méthodologies divergentes avait conduit cette dernière à retenir des données relatives aux recettes en numéraire non comparables et ainsi à calculer l’amende de Crédit agricole en violation du principe d’égalité de traitement à son égard. Ce grief doit, dès lors, être rejeté et, partant, le second grief de la première branche du neuvième moyen et la deuxième branche de ce moyen.

[omissis]

2.      Sur la demande de réduction du montant de l’amende

[omissis]

657    En l’espèce, même s’il a été fait droit aux conclusions présentées à titre principal visant à l’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée, le Tribunal estime qu’il est habilité à exercer sa compétence de pleine juridiction dans la mesure où la question du montant de l’amende a été soumise à son appréciation, et ce même si les conclusions en réduction du montant de l’amende ont été présentées à titre subsidiaire par rapport à la demande d’annulation de l’article 2, sous a), de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑827/14, EU:T:2018:930, points 551 à 562).

[omissis]

662    En l’espèce, afin de déterminer le montant de l’amende visant à sanctionner le comportement infractionnel de Crédit agricole, tel qu’il résulte de l’examen des huit premiers moyens, il y a lieu de tenir compte des circonstances suivantes.

663    En premier lieu, s’agissant de la gravité et de la durée de l’infraction, il convient de relever ce qui suit.

664    Premièrement, il s’avère opportun d’utiliser la méthodologie qui, comme celle suivie en l’espèce par la Commission, identifie dans un premier temps un montant de base de l’amende, susceptible, dans un second temps, d’être ajusté en fonction des circonstances propres à l’affaire.

665    Tout d’abord, s’agissant de la valeur des ventes en tant que donnée initiale, il convient de prendre en compte, en tant que valeur de remplacement pour celle-ci, les recettes en numéraire réduites. En effet, ainsi qu’il ressort de l’examen de la première branche du neuvième moyen, la valeur des recettes en numéraire réduites est susceptible, en l’espèce, de donner une base de départ appropriée pour déterminer le montant de l’amende, dans la mesure où cette valeur reflète l’importance économique de l’infraction et le poids de l’entreprise dans l’infraction.

666    À cet égard, il a, certes, été constaté, dans le cadre de l’examen de la première branche du neuvième moyen, que la détermination par les banques des recettes en numéraire avait donné lieu, dans certains cas, à des approches différentes. Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 571 ci-dessus, aucune violation du principe d’égalité de traitement ne résulte de ces divergences.

667    En outre, le Tribunal estime qu’une autre méthodologie de calcul des recettes en numéraire, telle que celle suivie par les requérantes pour déterminer les données révisées soumises à la Commission le 14 octobre 2006, ne serait pas plus appropriée pour établir les recettes en numéraire. En effet, une méthodologie impliquant l’exclusion des jambes fixes des contrats ayant à la fois des jambes fixes et des jambes variables, l’exclusion des produits « exotiques » ou l’application d’une compensation mensuelle plutôt que journalière n’est pas plus appropriée pour déterminer, en l’espèce, la valeur des ventes en relation avec l’infraction sanctionnée et refléter ainsi de manière adéquate la réalité et l’ampleur économique de celle-ci ainsi que la position des entreprises dans cette infraction. En effet, premièrement, s’agissant des contrats EIRD disposant à la fois d’une jambe fixe et d’une jambe variable, le flux de trésorerie reflète l’écart entre le taux fixe et le taux variable à la date de fixing, ainsi qu’il ressort du point 188 ci-dessus. Le Tribunal estime qu’il n’existe aucun motif pour exclure en particulier les flux découlant de l’une des deux « jambes » de tels EIRD. Deuxièmement, rien ne justifie d’exclure les produits « exotiques » des calculs des recettes en numéraire, alors que ceux-ci font également partie du marché pertinent des EIRD. Troisièmement, alors que les parties s’accordent sur le fait que la compensation journalière est la norme du marché, aucune circonstance particulière propre à la présente affaire ne justifie de s’en écarter.

668    Compte tenu de ces circonstances, le Tribunal décide de prendre en considération, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende, la valeur des recettes en numéraire de Crédit agricole retenue par la Commission dans la décision attaquée.

669    En outre, il importe de relever qu’il est constant entre les parties que le fait de retenir, en tant qu’assiette pour le calcul de l’amende, les seules recettes en numéraire aboutirait à l’imposition d’une amende trop dissuasive. Les parties s’accordent donc sur le fait qu’il est nécessaire de réduire ces recettes en numéraire par l’application d’un facteur de réduction.

670    Dans la décision attaquée, la Commission a appliqué un facteur de réduction uniforme fixé à 98,849 %.

671    S’agissant de la détermination de ce facteur de réduction, il convient de relever que celui-ci est le résultat d’un exercice complexe qui reflète plusieurs éléments, notamment la compensation inhérente à la négociation des produits dérivés en général ainsi que les spécificités de la compensation de ces produits et, plus particulièrement, des EIRD. Il s’agit donc d’une approximation d’une valeur construite. Ainsi, par définition, il n’existe pas un seul facteur de réduction possible, ce qui est par ailleurs confirmé par le fait que les requérantes elles-mêmes ont avancé, dans leurs écritures, plusieurs facteurs de réduction différents.

672    Ainsi, par exemple, selon une étude présentée en annexe à la requête, un facteur de réduction alternatif de 99,849 % « pourrait être aussi justifié ». En outre, dans le cadre d’une autre étude présentée en annexe au mémoire en adaptation des conclusions, les requérantes proposent plusieurs facteurs de réduction alternatifs, calculés selon une approche individualisée, allant de 99,54 % à 99,90 %. Toutefois, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la valeur probante de ces études ni sur le bien-fondé des méthodologies de détermination de ces facteurs de réduction alternatifs proposés par les requérantes, le Tribunal considère que l’application de tels facteurs de réduction alternatifs particulièrement élevés, voire excessifs, risquerait de vider la sanction de son sens en la rendant négligeable et en portant de la sorte atteinte à la nécessité d’assurer le caractère suffisamment dissuasif de l’amende. L’application de tels facteurs de réduction alternatifs préconisés par les requérantes conduirait donc à imposer une amende qui ne refléterait ni l’importance économique de l’infraction ni le poids relatif de Crédit agricole dans celle-ci.

673    En tout état de cause, d’une part, il est constant entre les parties que le facteur de réduction s’élève à tout le moins à 98,849 %. D’autre part, le Tribunal rappelle que la fixation d’une amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction n’est pas un exercice arithmétique précis.

674    Deuxièmement, s’agissant de la gravité de l’infraction, le Tribunal estime approprié de prendre en considération la nature de l’infraction, l’étendue géographique de celle-ci ainsi que la mise en œuvre ou non de l’infraction.

675    S’agissant de la nature de l’infraction, dans la mesure où les comportements en cause portaient sur les facteurs pertinents pour la détermination des prix des EIRD, ils comptent par leur nature parmi les restrictions de concurrence les plus graves. En outre, il importe de souligner que les pratiques en cause sont particulièrement graves et nocives dans la mesure où elles sont susceptibles non seulement de fausser la concurrence sur le marché des produits EIRD, mais aussi, plus largement, de compromettre la confiance dans le système bancaire et les marchés financiers dans leur ensemble ainsi que leur crédibilité.

676    En effet, ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 721 de la décision attaquée, sans que ces éléments soient contestés par les requérantes, les indices de référence concernés reflétés dans la tarification des EIRD s’appliquent à tous les participants au marché des EIRD. En outre, ces taux étant fondés sur l’euro, ils revêtent une importance capitale pour l’harmonisation des conditions financières dans le marché intérieur et pour les activités bancaires dans les États membres.

677    S’agissant de l’étendue géographique de l’infraction, ainsi qu’il ressort des considérants 47 et 721 de la décision attaquée, l’entente couvrait à tout le moins l’ensemble de l’EEE, de sorte que les comportements en cause étaient susceptibles d’avoir une incidence sur les activités bancaires dans l’ensemble des États membres.

678    Il convient également de tenir compte du fait que les traders de Crédit agricole ont avoué avoir mis en œuvre les comportements convenus avec le trader de Barclays en établissant des contacts avec les responsables des soumissions de leur banque (voir point 641 ci-dessus).

679    Troisièmement, il convient de retenir la durée de la participation des requérantes dans l’infraction telle qu’elle ressort de la décision attaquée, celle-ci n’ayant pas été contestée par les requérantes et n’étant pas affectée par la conclusion, figurant au point 426 ci-dessus, concernant la participation de Crédit agricole à l’infraction unique en cause.

680    En deuxième lieu, s’agissant des circonstances atténuantes, le Tribunal constate que Crédit agricole a joué un rôle moins important dans l’infraction que les acteurs principaux, notamment la banque D et la banque A. De même, l’intensité des contacts auxquels ont participé les traders de Crédit agricole était moindre que celle desdits acteurs principaux. En outre, il n’est pas établi que Crédit agricole avait connaissance ou aurait raisonnablement pu présumer que d’autres banques participaient aux échanges relatifs aux intentions et aux stratégies en matière de fixation des prix n’ayant pas eu lieu dans la perspective des manipulations des taux.

681    Toutefois, il n’en demeure pas moins que la participation de Crédit agricole aux comportements infractionnels a été intentionnelle et que les requérantes ne démontrent pas qu’elles devraient bénéficier, en l’espèce, de la circonstance atténuante relative à la négligence. En outre, ainsi qu’il ressort du point 675 ci-dessus, les comportements en cause se caractérisent par une gravité accrue. Par conséquent, l’incidence sur le montant final de l’amende des circonstances atténuantes relatives à l’intensité moindre de la participation de Crédit agricole à l’infraction en cause et à l’importance moindre de son rôle dans ladite infraction par rapport à ceux des acteurs principaux ne peut être que marginale.

682    En troisième lieu, le montant de l’amende déterminé par le Tribunal tient dûment compte de la nécessité d’imposer à Crédit agricole une amende d’un montant dissuasif, conformément aux principes rappelés aux points 618 à 624 ci-dessus.

683    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce au regard du principe d’individualisation de la sanction et de proportionnalité de celle-ci en fixant le montant de l’amende à 110 000 000 euros, amende dont Crédit agricole SA et CACIB sont tenues solidairement responsables.

[omissis]

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      L’article 2, sous a), de la décision C(2016) 8530 final de la Commission, du 7 décembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE [affaire AT.39914 – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] est annulé.

2)      Le montant de l’amende, dont Crédit agricole SA et Crédit agricole Corporate and Investement Bank sont tenues solidairement responsables, est fixé à 110 000 000 euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Papasavvas

Kornezov

Buttigieg

Kowalik-Bańczyk

 

      Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 décembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.


1      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.