Language of document : ECLI:EU:T:2004:298

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
14 octobre 2004 (1)

« Fonctionnaires – Recours en indemnité – Exposition à l'amiante – Maladie professionnelle – Préjudice »

Dans l'affaire T-1/02,

Robert Polinsky, fonctionnaire de la Cour de justice des Communautés européennes, demeurant à Thionville (France), représenté par Me J. Iturriagagoitia Bassas, avocat,

partie requérante,

contre

Cour de justice des Communautés européennes, représentée par M. M. Schauss, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier prétendument subis par le requérant,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),



composé de M. H. Legal, président, Mme V. Tiili et M. M. Vilaras, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 6 mai 2004,

rend le présent



Arrêt




Faits à l’origine du litige

1
Le requérant est entré au service de la défenderesse en septembre 1989 et a travaillé, jusqu’en juillet 1999, au sein du service technique de la division intérieure où il était chargé de l’entretien des bâtiments et de divers travaux liés à l’aménagement des locaux.

2
Le 17 avril 1997, le requérant s’est soumis à un examen radiologique dans le cadre de la campagne de dépistage individuel, lancée par la défenderesse en décembre 1996, en vue de déterminer les conséquences d’une éventuelle exposition du personnel de l’institution à l’amiante. Cet examen a révélé chez le requérant la présence d’une « opacité le long de la plèvre en dorso-basal gauche ». Les conclusions du rapport du professeur Nemery, pneumologue, faisant suite à cet examen sont libellées de la manière suivante: « plaque pleurale unilatérale possible ». Ces résultats ont été communiqués au requérant le 28 avril 1997.

3
Le 7 octobre 1999, le requérant a présenté une demande tendant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle en application de l’article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »).

4
Dans le cadre de la procédure prévue par la réglementation relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes , il a été examiné par les professeurs De Vuyst et Genevois, respectivement, pneumologue et radiologue, et par le médecin désigné par l’institution, le DDalem. Au vu des conclusions des premiers nommés, selon lesquelles les examens réalisés ne mettent pas en évidence d’anomalie pleuro-parenchymateuse suggestive de lésions induites par l’amiante, le DDalem a conclu son rapport du 12 octobre 2000 dans les termes suivants :

« invalidité : il ne s’agit pas de lésion liée à l’amiante

syndrome neuropsychique : 10 % débutant le 28/04/97 ».

5
Le 18 décembre 2000, le chef de la division du personnel de la Cour, M. Pommiès, en sa qualité d’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN »), a adopté une décision, fondée sur les conclusions du rapport susmentionné, libellée comme suit : « [...] il est reconnu que M. Polinsky est atteint d’une maladie qui trouve son origine à l’occasion de l’exercice de ses fonctions au service de la Cour et peut donc être considérée comme une maladie professionnelle [qui] entraîne une invalidité permanente de 10 % ». À ce titre, le requérant a perçu une indemnité de 22 815,90 euros. La décision dispose, en outre, que les frais médicaux directement liés à la maladie professionnelle et encourus par le requérant après la date de consolidation, fixée au 7 octobre 1999, sont à la charge de l’institution.

6
Le même jour, le requérant a introduit une demande au titre de l’article 90 du statut tendant à obtenir, sur le fondement de l’article 288 CE, une indemnisation chiffrée à 350 000 euros pour les « préjudices de toute nature » prétendument subis en raison de sa maladie professionnelle et, notamment, « les multiples souffrances physiques, le préjudice moral, le préjudice d’agrément, le préjudice pour la limitation de la carrière professionnelle, le préjudice d’affection ».

7
Par mémorandum du 13 mars 2001, le greffier de la Cour a rejeté la demande indemnitaire susvisée aux motifs que le requérant n’avait fourni aucune pièce justifiant la réalité ou l’étendue des préjudices allégués ni aucun élément établissant une faute ni un lien de causalité entre cette dernière et un quelconque préjudice.

8
Le 12 juin 2001, M. Polinsky a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision de rejet de sa demande d’indemnité.

9
Par décision du 25 septembre 2001, notifiée à l’intéressé le 4 octobre 2001, le comité chargé des réclamations de la Cour a rejeté la réclamation au motif qu’il ne disposait d’aucun élément lui permettant de considérer que la réparation des préjudices allégués devait être fixée à un montant supérieur à l’indemnité de 22 815,90 euros, calculée sur la base de constatations médicales.


Procédure et conclusions des parties

10
C’est dans ces circonstances que le requérant a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 janvier 2002, introduit le présent recours.

11
Par lettre du greffe du 2 mai 2002, le requérant a été invité, d’une part, à préciser la nature exacte des dommages qu’il aurait subis et dont il demande réparation en vertu de l’article 288 CE, et, d’autre part, à expliquer pourquoi et dans quelle mesure ces dommages ne sont pas couverts par l’indemnisation reçue en application de l’article 73 du statut.

12
Conformément à l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur la jonction aux fins de la procédure orale des affaires T‑1/02, Polinsky/Cour de justice, T‑255/02, H/Cour de justice, T‑256/02, I/Cour de justice, T‑257/02, K/Cour de justice, T‑389/02, Sandini/Cour de justice, et T‑390/02, Cagnato/Cour de justice et sur la tenue éventuelle d’une audience à huis clos en application de l’article 57 dudit règlement.

13
Par ordonnance du 29 avril 2004, à la suite de l’accord exprimé par les parties, le président de la quatrième chambre du Tribunal a décidé de joindre les affaires susvisées aux fins de la procédure orale. Conformément à la demande exprimée par les requérants dans ces affaires, les débats ont eu lieu publiquement.

14
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 6 mai 2004.

15
Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

à titre principal :

annuler la décision de la défenderesse portant rejet de sa réclamation,

condamner la défenderesse à lui payer, à titre de réparation pour les préjudices « qu’il a subis et subira à l’avenir », la somme de 350 000 euros, fixée sous toute réserve, majorée des intérêts moratoires au taux de 10 % l’an à partir du 7 octobre 1999 jusqu’à la date du paiement de ladite somme,

condamner la défenderesse aux dépens ;

à titre subsidiaire : ordonner une expertise médicale.

16
La défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner le requérant à supporter ses propres dépens.


En droit

Arguments des parties

Sur la demande de réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier prétendument subis par le requérant

17
Le requérant indique avoir introduit un recours en indemnité sur le fondement de l’article 288 CE et fait référence à la jurisprudence qui prévoit le droit du fonctionnaire de demander une indemnisation complémentaire lorsque l’institution est responsable, selon le droit commun, de l’accident ou de la maladie et que les prestations du régime statutaire ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 octobre 1986, Leussink e.a./Commission, 169/83 et 136/84, Rec. p. 2801, point 13).

18
S’agissant des conditions d’application de l’article 288 CE, le requérant prétend, en premier lieu, que le comportement adopté à son endroit par l’institution défenderesse est incontestablement fautif.

19
Le requérant affirme que la défenderesse, d’une part, était parfaitement au courant de la présence d’amiante dans le bâtiment communément appelé le « Palais », ce qu’elle a d’ailleurs reconnu dans ses écritures, et, d’autre part, connaissait ou aurait dû connaître les risques pour la santé humaine inhérents à la présence de ce produit, la toxicité de l’amiante étant notoire.

20
Or, la défenderesse, sur laquelle pèse une obligation de sécurité en sa qualité d’employeur, aurait manifestement omis d’agir avec diligence et n’aurait pas pris les mesures de sécurité adéquates, méconnaissant ainsi différents textes, sources d’obligations pour elle, et, notamment, la réglementation luxembourgeoise concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à une exposition à l’amiante et les normes juridiques européennes visant l’amiante en tant que substance toxique.

21
La présence de plaques pleurales chez le requérant démontrerait que les mesures adoptées par la défenderesse étaient insuffisantes et que celle-ci a manqué à son obligation de résultat en matière de sécurité, ledit manquement constituant une faute inexcusable au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation française concernant la réparation des préjudices des victimes de l’amiante. Dans un tel contexte, il conviendrait de considérer que la charge de la preuve est inversée et qu’il appartiendrait donc à la défenderesse de prouver qu’elle n’a pas commis une faute inexcusable. Une même conclusion pourrait être déduite de l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité.

22
Le requérant soutient, en second lieu, que les conditions d’engagement de la responsabilité de la défenderesse tenant à l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité avec la faute alléguée sont également satisfaites. Le préjudice subi serait d’une triple nature.

23
Le requérant invoque, tout d’abord, un préjudice physique consistant dans la présence de plaques pleurales causées par l’exposition à l’amiante. Il indique qu’il était en parfait état de santé lors de son entrée en fonctions.

24
Il allègue, ensuite, un préjudice « psychique, affectif, familial, social et moral ». Ce préjudice serait caractérisé par un état d’énervement et de renfermement, une angoisse et un malaise permanents nés de la conscience de la perspective d’une issue fatale, à plus ou moins brève échéance, un sentiment d’incertitude, d’impuissance, de frustration et de diminution de la qualité de la vie. L’état psychologique désastreux du requérant serait à l’origine de multiples perturbations dans sa vie familiale et sociale ainsi que de troubles du sommeil.

25
Le requérant fait état, enfin, d’un préjudice professionnel et financier. Plus particulièrement, il excipe, d’une part, de la diminution de la possibilité d’une promotion professionnelle et de la nécessité de « conditionner ses recherches de travail dans une autre entité ou société commerciale » eu égard à l’avis du professeur Nemery qui lui a conseillé un contrôle médical régulier et, d’autre part, du fait que, s’il était amené à déclarer son état de santé dans le cadre de la souscription d’une police d’assurance vie ou d’un emprunt hypothécaire, tout organisme financier devrait prendre en compte, comme facteur de risque supplémentaire, les conséquences de son exposition à l’amiante.

26
Il indique que la nature des préjudices subis rend difficile une preuve documentaire et que la reconnaissance de sa maladie professionnelle prouve, per se, que son état permanent d’anxiété et de dépression aura nécessairement un impact sur d’autres éléments de sa vie et pas seulement sur son état de santé.

27
Le requérant reproche à la défenderesse de confondre en l’espèce les deux régimes d’indemnisation prévus par l’article 73 du statut et par l’article 288 CE et de s’en tenir à l’examen du caractère approprié de l’indemnisation octroyée en application de l’article 73 du statut. Or, le présent litige ne porterait pas sur le taux d’invalidité permanente fixé par le médecin désigné par l’institution, le requérant ne disposant d’aucun élément objectif pour prétendre à une aggravation de la pathologie diagnostiquée. Le requérant indique que la présente procédure a pour objet la réparation des préjudices subis de « nature non médicale » ou, envisagé de manière globale, du « dommage collatéral » consécutif à son exposition à l’amiante dans les locaux de la défenderesse.

28
Il conteste plus particulièrement la position de la défenderesse qui, d’une part, intègre dans le « syndrome neuropsychique » diagnostiqué par le Dr Dalem la totalité du préjudice d’ordres affectif, familial, social et moral subi et, d’autre part, prétend, sur le fondement des conclusions dudit médecin, que la seule cause de sa pathologie réside dans la campagne de dépistage à laquelle il a participé.

29
Outre le fait que cette argumentation de la défenderesse méconnaît la définition légale de la notion d’invalidité, le requérant fait observer que le diagnostic posé dans le cadre de la procédure visant à la reconnaissance de la maladie professionnelle l’a été au terme d’un examen incomplet, pratiqué par le médecin désigné par l’institution, qui n’est pas psychiatre, et dont la mission n’était pas définie de manière à lui permettre de résoudre les questions posées dans le cadre de la présente procédure d’indemnisation, lesquelles relevaient d’abord de la seule appréciation de l’institution, puis désormais du Tribunal. Selon le requérant, l’origine du litige se trouve bien dans la présence d’amiante au « Palais », laquelle est la cause de l’opacité décelée le long de la plèvre dorso-basale gauche. Dans l’hypothèse où le Tribunal aurait des hésitations sur le lien de causalité entre l’exposition à l’amiante et les plaques pleurales, le requérant sollicite que soit ordonnée une expertise aux fins de vérification de l’existence dudit lien.

30
Par ailleurs, le requérant souligne qu’il a une parfaite conscience de l’évolution probable de l’amiante dans son organisme et que, « si une quote-part de cette prise de conscience est assurément susceptible de diagnostic et de traitement médical, une autre quote-part de celle-ci n’offre [pas de] symptômes médicaux [et] n’est [pas], par conséquent, susceptible d’être traitée médicalement ».

31
Le requérant prétend, enfin, en se référant aux arrêts de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission (C‑ 237/98 P, Rec. p. I‑4549, points 17 à 19), et du Tribunal du 6 décembre 2001, Area Cova e.a./Conseil et Commission (T‑196/99, Rec. p. II‑3597, points 171 et suivants), que les conditions d’engagement de la responsabilité sans faute de l’institution défenderesse sont également réunies en l’espèce.

32
La défenderesse soutient que le requérant ne rapporte pas la preuve de la réunion, en l’espèce, des trois conditions, cumulatives, d’engagement de la responsabilité de la Communauté, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué. Elle conclut, en conséquence, au rejet de la demande de dommages et intérêts.

Sur la demande de réparation du préjudice lié au traitement du dossier par la défenderesse

33
Le requérant affirme que la défenderesse a violé le devoir de sollicitude qui pèse sur l’administration à l’égard de ses agents ainsi que le principe de bonne administration.

34
Il rappelle que le devoir de sollicitude de l’administration, selon la jurisprudence de la Cour, reflète l’équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créé dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public. Le principe de bonne administration, lié au devoir de sollicitude, aurait voulu que, afin de sauvegarder cet équilibre, l’administration ait pris en considération l’ « ensemble des éléments susceptibles de définir les préjudices des fonctionnaires ». En réponse à l’argumentation de la défenderesse selon laquelle la violation du devoir de sollicitude et du principe de bonne administration n’a pas été invoquée lors de la procédure précontentieuse, le requérant soutient avoir formulé ce grief dès la naissance de son litige avec la défenderesse en reprochant à cette dernière d’avoir méconnu ses obligations fondamentales en matière de sécurité, en se contentant, jusqu’à l’intervention de M. Kleineberg, de rapports d’experts de complaisance, sans solliciter d’autres explications.

35
Il affirme que la défenderesse a violé les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1), et invoque également l’article 41 de ladite charte, qui prévoit que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union. Or, contrairement aux aspirations du requérant, sa demande n’aurait pas été traitée rapidement, l’administration ayant épuisé, à chaque stade de la procédure, les délais disponibles. La violation du principe de bonne administration serait constituée dans l’hypothèse d’une durée excessive de procédure, ce qui devrait donner lieu à réparation de la part de l’administration. À cet égard, le requérant invoque, notamment, les démarches entreprises, les frais supplémentaires encourus et les désagréments de toute sorte endurés.

36
Le requérant soutient encore que la défenderesse a commis un détournement de pouvoir, grief déjà évoqué, selon lui, dans le cadre de la procédure précontentieuse. Il relève, à ce titre, qu’elle a traité sa demande et sa réclamation sur la base de l’article 73 du statut et que « la correcte application de l’article 288 CE est une manifestation de plus du détournement de pouvoir commis par la [défenderesse] ». Celle-ci aurait poursuivi, en l’espèce, des fins autres que celles excipées, sa position étant dictée par un souci d’économie pour le budget de l’institution.

37
La défenderesse relève que les griefs tirés d’un détournement de pouvoir et d’une violation du principe de bonne administration combiné avec le devoir de sollicitude n’ont pas été soulevés dans la réclamation et doivent donc être déclarés irrecevables. En toute hypothèse, ces griefs ne seraient pas fondés.

38
Elle soutient que le requérant ne saurait, par ailleurs, lui faire grief d’avoir manqué de diligence dans la conduite des procédures administratives.

Sur le montant de l’indemnité réclamée

39
S’agissant du montant de dommages et intérêts sollicités, le requérant fait valoir que l’évaluation du préjudice est tributaire de la gravité et du caractère évitable de celui-ci. Faisant référence aux sommes allouées par la Cour à la victime dans l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité, le requérant relève que l’indemnisation accordée était approximativement égale à la moitié du montant de dommages et intérêts réclamés alors que, contrairement à sa situation, la vie de M. Leussink n’était pas en péril.

40
En l’absence de décisions des juridictions communautaires fixant des montants de dommages et intérêts en réparation de préjudices identiques à ceux subis par lui, le requérant se réfère également aux indemnisations octroyées par des juridictions nationales dans des cas similaires.

41
La défenderesse indique que les décisions des juridictions nationales produites par le requérant sont en l’espèce dépourvues de pertinence comme s’inscrivant dans un cadre juridique distinct et se rapportant à des situations individuelles différentes de celle du requérant.

Appréciation du Tribunal

Sur la portée du recours

42
Il convient de relever, en premier lieu, que le requérant sollicite la condamnation de la défenderesse au paiement de dommages et intérêts ainsi que l’annulation de la décision rejetant la réclamation introduite contre la décision explicite de la défenderesse portant rejet de sa demande d’indemnité.

43
Le recours n’est donc pas dirigé contre la décision portant reconnaissance d’une maladie professionnelle et octroi d’une indemnité au titre d’une invalidité permanente partielle, calculée en fonction du traitement de base et du taux d’invalidité retenu, étant observé qu’aucune autre procédure contentieuse n’a été diligentée contre ladite décision.

44
En outre, le requérant a précisé dans ses écritures que « le litige ne porte pas […] sur les lésions de nature physiologique ou psychologique subies […] à cause de son exposition à l’amiante du Palais », ce point ayant déjà été « adjugé » dans le cadre de la procédure d’indemnisation forfaitaire. Il a également indiqué que le litige ne porte pas sur le taux d’invalidité permanente fixé à la suite des conclusions du médecin désigné par l’institution, dans la mesure où il ne dispose d’aucun élément objectif pour prétendre à une aggravation de son « processus » médical.

45
Il y a lieu, dès lors, de considérer que les conclusions d’ordre médical, qui fondent la décision de l’AIPN portant reconnaissance d’une maladie professionnelle et octroi d’une indemnité au titre d’une invalidité permanente partielle, doivent être tenues pour acquises par le Tribunal dans le cadre de la présente instance.

46
Il importe de rappeler, en second lieu, que, selon une jurisprudence constante, la décision d’une institution portant rejet d’une demande en indemnité fait partie intégrante de la procédure administrative préalable au recours en responsabilité formé devant le Tribunal et que, par conséquent, les conclusions en annulation ne peuvent pas être appréciées de manière autonome par rapport aux conclusions en indemnité. En effet, l’acte contenant la prise de position de l’institution pendant la phase précontentieuse a uniquement pour effet de permettre à la partie qui aurait subi un préjudice de saisir le Tribunal d’une demande en indemnité (arrêts du Tribunal du 18 décembre 1997, Gill/Commission, T‑90/95, RecFP p. I‑A‑471 et II‑1231, point 45 ; du 6 mars 2001, Ojha/Commission, T‑77/99, RecFP p. I‑A‑61 et II‑293, point 68, et du 5 décembre 2002, Hoyer/Commission, T‑209/99, RecFP p. I‑A‑243 et II‑1211, point 32). Par conséquent, il n’y a pas lieu de statuer de façon autonome sur les conclusions en annulation formulées par le requérant.

Sur les conditions d’engagement de la responsabilité de la Communauté

47
Il importe, en premier lieu, de relever que le litige entre le requérant et la défenderesse trouve sa source dans la relation de travail qui les unit et qu’il ne relève pas, dès lors, de l’article 288 CE, mais de l’article 236 CE et des articles 90 et 91 du statut.

48
Il convient, en second lieu, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une demande de dommages et intérêts formulée par un fonctionnaire, l’engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d’un ensemble de conditions concernant l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué, la preuve de la réunion de ces conditions incombant à la partie requérante (arrêt de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 42, et arrêt du Tribunal du 26 mai 1998, Bieber/Parlement, T-205/96, RecFP p. I‑A‑231 et II‑723, point 48).

49
Les trois conditions d’engagement de la responsabilité de la Communauté précitées sont cumulatives, ce qui implique que, dès lors que l’une de celles-ci n’est pas satisfaite, la responsabilité de la Communauté ne peut être engagée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 14, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Lucaccioni/Commission, T‑165/95, RecFP p. I‑A‑203 et II‑627, point 57).

50
À cet égard, il convient de relever que, à supposer même que la référence faite par le requérant aux arrêts Dorsch Consult/Conseil et Commission et Area Cova e.a./Conseil et Commission, précités, contenant prétendument l’affirmation du principe d’une responsabilité sans faute de la Communauté, puisse être considérée comme pertinente en l’espèce, la preuve d’un préjudice, qui devrait, de plus, être anormal et spécial, et du lien de causalité entre celui-ci et le comportement imputé à l’institution concernée demeurerait nécessaire.

51
Il y a lieu d’examiner si, dans le cas présent, le requérant a effectivement rapporté la preuve des préjudices invoqués, en rapport avec le comportement fautif allégué, ce qui peut impliquer de tenir compte des prestations qu’il a perçues au titre de l’article 73 du statut.

52
En effet, il convient de rappeler que les fonctionnaires sont en droit de demander une indemnisation complémentaire aux prestations perçues au titre de l’article 73 du statut, lorsque l’institution est responsable de l’accident ou de la maladie professionnelle selon le droit commun et que les prestations statutaires ne suffisent pas pour assurer la pleine réparation du préjudice subi. En revanche, l’indemnisation forfaitaire ne peut conduire à une double indemnisation du préjudice subi. En ce sens, les deux systèmes d’indemnisation ne sont pas indépendants (voir, en ce sens, arrêt Leussink e.a./Commission, précité, points 10 à 14, et arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, précité, points 19 à 22).

Sur la demande de réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier prétendument subis par le requérant

– Préjudice d’ordre physique

53
Le requérant se plaint, en substance, d’un préjudice d’ordre physique constitué par la présence de plaques pleurales ayant pour origine une exposition à l’amiante. Dans le cas où le Tribunal aurait des hésitations sur le lien de causalité entre l’exposition à l’amiante et les plaques pleurales, le requérant a présenté, à titre subsidiaire, une demande d’expertise aux fins de vérification de l’existence dudit lien.

54
À cet égard, il convient de rappeler que le requérant a subi un examen radiologique dans le cadre de la campagne de dépistage individuel lancée par la défenderesse en décembre 1996 en vue de déterminer les conséquences d’une éventuelle exposition du personnel de l’institution à l’amiante. Le rapport du professeur Nemery, faisant suite à cet examen, comprend la mention suivante: « opacité le long de la plèvre dorso-basale gauche: diagnostic différentiel difficile à faire entre une plaque pleurale et tissu intercostal, mais préférence pour cette dernière possibilité ». Le professeur Nemery conclut son rapport ainsi: « plaque pleurale unilatérale possible […] Aucun retentissement fonctionnel. »

55
Outre le constat de l’absence de tout retentissement sur la physiologie de l’appareil respiratoire du requérant et le caractère hypothétique des conclusions du professeur Nemery sur la présence d’une plaque pleurale, il y a lieu de relever que l’existence d’une atteinte corporelle induite par une exposition à l’amiante a été clairement écartée lors de la procédure visant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle.

56
Il ressort du rapport du 16 juin 2000 du DDalem, médecin désigné par l’institution dans le cadre de la procédure visant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle, que les professeurs De Vuyst et Genevois, respectivement, pneumologue et radiologue, ont à nouveau examiné M. Polinsky et les clichés radiologiques de ce dernier. Le DDalem précise que « [c]es deux spécialistes estiment que les examens réalisés ne mettent pas en évidence d’anomalie pleuro-parenchymateuse suggestive de lésions induites par l’amiante. En d’autres termes, le remaniement pleural signalé lors de l’investigation du professeur Nemery a été estimé par le professeur De Vuyst et le professeur Genevois comme ne relevant pas d’une pathologie liée à l’asbeste. »

57
C’est dans ces circonstances que le DDalem a pu formuler, dans sa note médico-administrative du 12 octobre 2000, la conclusion suivante, précitée : « invalidité : il ne s’agit pas de lésion liée à l’amiante ».

58
Il y a lieu de relever que le requérant paraît également invoquer, dans ses écritures, des troubles physiologiques ou psychosomatiques particuliers, en l’occurrence le fait qu’il souffre d’insomnies. Or, une doléance relative aux difficultés de sommeil a précisément été exprimée par le requérant devant le DNols, neuropsychiatre, et prise en considération par celui-ci, lors de l’expertise psychiatrique réalisée dans le cadre de la procédure visant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle. Il convient de considérer, dans ces circonstances, que le requérant n’a pas démontré que les troubles invoqués sont dissociables de l’affection psychique diagnostiquée par ledit médecin et indemnisée en vertu de l’article 73 du statut.

59
Il résulte de ce qui précède que le requérant n’a établi ni la présence des plaques pleurales alléguées ni l’existence d’une autre atteinte physiologique provoquée par une exposition à l’amiante.

60
Il importe, enfin, de rappeler que le requérant n’a pas fait usage de la possibilité, qui lui était offerte, de contester les conclusions émises par le médecin désigné par l’institution et de demander la saisine de la commission médicale pour que soient réexaminées les questions d’ordre médical dont dépendent la décision prise par l’AIPN relative à la reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie ainsi qu’à la fixation du degré d’invalidité permanente. Il n’a pas davantage attaqué la décision de l’AIPN le concernant. Dans ces circonstances, les conclusions d’ordre médical du Dr Dalem et des médecins consultés par lui doivent être tenues pour définitives et il ne saurait être fait droit à une demande d’expertise, qui ne fait au demeurant l’objet d’aucune motivation sérieuse, par laquelle le requérant semble vouloir faire renaître une voie de recours contre la décision de l’AIPN portant reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie et fixation du degré d’invalidité permanente.

– Préjudice « psychique, affectif, familial, social et moral »

61
Il convient, à titre liminaire, d’observer que la défenderesse soutient qu’il ressort des rapports médicaux établis dans le cadre de la procédure de reconnaissance d’une maladie professionnelle et plus particulièrement du rapport d’expertise, daté du 12 avril 2000, du DNols, neuropsychiatre, que le préjudice d’ordres psychique, affectif, familial, social et moral dont se plaint le requérant est précisément celui qui a fait l’objet d’une indemnisation en application de l’article 73 du statut et que l’intéressé n’a pas démontré que l’indemnisation ainsi accordée est insuffisante.

62
Eu égard à la jurisprudence relative à l’articulation entre la couverture statutaire des risques de maladie professionnelle et l’indemnisation complémentaire au titre du droit commun (voir point 52 ci-dessus), il y a lieu de vérifier, en premier lieu, si le préjudice allégué par le requérant a été pris en compte par l’AIPN lors de l’octroi de l’indemnité versée au titre de l’article 73 du statut et d’examiner, à cette fin, les conclusions médicales sur lesquelles repose la décision de l’AIPN.

63
Préalablement à cette analyse, il importe de rappeler que le taux d’invalidité permanente partielle est, en principe, fixé d’après un barème figurant en annexe à la réglementation relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes. Dans cette annexe, il est indiqué que, pour les cas d’invalidité permanente partielle non prévus dans le barème en cause, le degré d’invalidité est déterminé par référence au Barème officiel belge des invalidités (ci-après le « BOBI »), abstraction faite toutefois des éléments de ce barème qui se rapportent aux victimes des faits de guerre.

64
Dans le cadre d’une partie du BOBI consacrée à la neuropsychiatrie et plus particulièrement aux affections psychiques, il est mentionné que « l’objectivation des troubles psychiatriques requiert l’observation des comportements de relation entre le malade et son entourage » et que, s’agissant des troubles névrotiques et psychosomatiques, « la gravité sera jugée en tenant compte de la nature, de la durée et des répercussions sociales des symptômes ». Le BOBI comprend un certain nombre d’articles correspondant à des affections psychiques précises et, notamment, les dispositions suivantes :

« Art. 646. États asthéniques caractérisés par de l’épuisement psychique et physique.

L’expert tiendra compte :

du retentissement de l’asthénie psychique sur l’attention, la mémoire, la capacité opératoire intellectuelle et la vitalité ;

des signes de déséquilibre neurovégétatifs et de l’état général par rapport à l’âge :

a)
troubles subjectifs d’ordre somatique sans substrat objectivable (0 à 10 %)

b)
signes objectivables d’asthénie physique ou psychique ne gênant que modérément la vie sociale (10 à 25 %)

c)
signes objectivables d’asthénie physique ou psychique, entravant plus ou moins complètement la vie sociale (25 à 60 %).

Art. 647. Anxiétés ou angoisse :

a)
syndrome anxieux mineur avec inhibition psychomotrice, sans grande influence sur la vie sociale (0 à 20 %)

b)
syndrome anxieux plus important, ayant une répercussion marquée sur la vie sociale (20 à 50%)

c)
syndrome d’angoisse grave, avec grand désordre psychomoteur et neurovégétatif (50 à 80 %) »

65
S’agissant du requérant, il résulte du rapport du Dr Nols du 12 avril 2000 et des rapports du Dr Dalem, médecin désigné par l’institution, des 16 juin et 12 octobre 2000 que, mis au courant des résultats de l’imagerie médicale, l’intéressé a présenté une angoisse importante. Le Dr Nols indique que l’anamnèse et l’examen du requérant font apparaître l’existence d’un statut anxiodépressif d’allure constitutionnelle, c’est-à-dire antérieur aux problèmes liés à l’amiante, et de type neurasthénique, les préoccupations anxieuses ayant, il est vrai, été renforcées par les révélations relatives auxdits problèmes. Il relève que l’état anxiodépressif du requérant peut être qualifié d’intensité modérée et considéré comme susceptible d’amélioration au cours du temps et comme s’étant déjà amélioré selon les propres déclarations de l’intéressé, qu’il s’agisse du cadre professionnel ou privé. Si le requérant a formulé auprès du médecin spécialiste une plainte relative à des difficultés de sommeil et une diminution de l’appétit, il a également déclaré poursuivre ses activités privées habituelles et vouloir poursuivre ses activités professionnelles dans les meilleures conditions possibles. Le Dr Nols conclut son rapport de la manière suivante:« l’état de décompensation anxiodépressif […] s’élève à un taux de 10 % eu égard aux articles 646 et 647 du BOBI ».

66
Dans son rapport du 12 octobre 2000, le DDalem conclut également à une invalidité de 10 % au titre d’un syndrome neuropsychique.

67
Sur la base de ces conclusions, l’AIPN a adopté une décision portant reconnaissance de l’origine professionnelle de l’affection psychique diagnostiquée et d’un taux d’invalidité permanente de 10 %, ce qui a entraîné l’octroi d’une indemnité de 22 815,90 euros.

68
Il résulte des considérations qui précèdent que, ainsi que l’affirme à juste titre la défenderesse, le préjudice « psychique, affectif, familial, social et moral » invoqué par le requérant a déjà été pris en compte et indemnisé au titre de l’article 73 du statut.

69
En effet, le requérant se plaint, en substance, d’une angoisse, qui peut être qualifiée de cancérophobie, ayant des répercussions négatives sur son état psychique et dans ses relations aux autres, ainsi que l’attesteraient des membres de son entourage. Or, ces éléments ont été clairement évoqués dans les rapports médicaux ayant abouti à l’octroi de l’indemnité susvisée et plus particulièrement dans le rapport du DNols, neuropsychiatre, dont les conclusions sur l’invalidité sont fondées, de manière expresse, sur les articles pertinents du BOBI. Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, ce texte comprend, dans la définition de l’affection psychique en cause et de sa gravité, la prise en compte de la dimension sociale, et donc familiale, de l’individu concerné. Il ressort incontestablement du rapport très détaillé du DNols, qui a interrogé et écouté le requérant dans l’évocation de ses difficultés, que les conséquences des troubles d’ordre psychique de ce dernier sur son humeur et dans ses relations aux autres ont fait partie du champ d’analyse du médecin spécialiste.

70
Il convient, en deuxième lieu, de relever que les écritures du requérant ne contiennent pas d’éléments précis et objectifs démontrant que le préjudice allégué est distinct de celui pris en considération par les Drs Nols et Dalem dont les conclusions ont servi de base à la décision de l’AIPN.

71
D’une part, le requérant affirme réclamer la réparation d’un préjudice « de nature non médicale », différent de celui indemnisé par l’administration sur la base des rapports médicaux. Il indique, à cet égard, avoir une parfaite conscience de l’évolution probable de l’amiante dans son organisme et que, « si une quote-part de cette prise de conscience est assurément susceptible de diagnostic et de traitement médical, une autre quote-part de celle-ci n’offre [pas de] symptômes médicaux [et] n’est [pas], par conséquent, susceptible d’être traitée médicalement ».

72
Cette subdivision du préjudice moral en deux parties bien distinctes relève d’une construction intellectuelle purement subjective et ne constitue une démonstration ni de l’existence d’un préjudice distinct de celui couvert par l’indemnité versée au titre de l’article 73 du statut ni, au demeurant, de la réparation non adéquate de celui-ci.

73
D’autre part, le requérant fait référence dans ses écritures aux notions de pretium doloris et de préjudice d’agrément dans les termes suivants :

« Le pretium doloris comprend le préjudice des souffrances physiques mais également les souffrances morales dérivées d’une maladie professionnelle reconnue ; le préjudice d’agrément doit inclure la privation de certaines activités, y compris les activités de loisirs. »

74
S’agissant du pretium doloris, le requérant ne rapporte pas la preuve de l’existence de souffrances physiques présentant un lien causal avec une exposition à l’amiante. En outre, il ne peut être valablement retenu au titre de la preuve d’un préjudice moral spécifique l’allégation de « souffrances morales dérivées d’une maladie professionnelle reconnue » lorsque cette dernière est précisément constituée par une affection d’ordre psychologique caractérisée par l’état d’anxiété ou d’angoisse du requérant.

75
Il convient de rappeler que, au point 58 ci-dessus, il a été constaté que les troubles physiologiques ou psychosomatiques particuliers invoqués par le requérant, à savoir des insomnies, ont été pris en considération par le DNols lors de l’expertise psychiatrique et qu’il a été considéré, dans ces circonstances, que le requérant n’a pas démontré que les troubles invoqués sont dissociables de l’affection psychique diagnostiquée par ledit médecin et indemnisée en vertu de l’article 73 du statut.

76
Quant au préjudice d’agrément, qui résulte de la privation définitive des agréments normaux de l’existence et, notamment, de l’impossibilité de se livrer à une activité ludique ou sportive, le requérant fait état d’une « diminution de la qualité de vie perçue ».

77
Au-delà de l’imprécision de l’allégation, il convient, là encore, de rappeler que l’on se trouve dans un cas spécifique où l’invalidité permanente partielle du requérant est justifiée par des troubles d’ordre psychologique et non par une atteinte à l’intégrité physique de la personne qui rendrait objectivement et concrètement impossible la poursuite de certaines activités auparavant exercées avec assiduité par celle-ci. Dans un tel cas de figure, le préjudice d’agrément, qui constitue un préjudice d’ordre psychologique dans la mesure où il s’agit de l’expression d’une souffrance morale, n’est pas, en tant que tel, dissociable des perturbations psychologiques prises en compte dans les différents rapports médicaux ayant servi de base à la décision de la défenderesse portant reconnaissance de la maladie professionnelle du requérant et fixation d’un taux d’invalidité permanente partielle.

78
Il convient, en troisième lieu, de considérer que les critiques formulées par le requérant à l’encontre de la conclusion de l’identité entre le préjudice allégué et le préjudice indemnisé ne peuvent être retenues.

79
Le requérant fait valoir qu’une telle conclusion contredit la définition de la notion d’invalidité, qui ne permet pas une assimilation entre préjudices médicaux et préjudices moraux, est fondée sur des rapports médicaux établis au terme d’un examen incomplet, pratiqué par le médecin désigné par l’institution, qui n’est pas psychiatre et qui, par définition, ignorait ses revendications au titre de la réparation des « préjudices non médicaux » dont l’appréciation relève de la compétence de l’administration, puis du Tribunal, le cas échéant.

80
Il importe, premièrement, de rappeler que, dans une affaire où les parties s’opposaient sur la question de savoir si les troubles qui n’affectent pas directement les facultés intellectuelles, mais relèvent uniquement du domaine affectif, peuvent entrer en ligne de compte au titre de l’invalidité prévue à l’article 73 du statut, la Cour a, dans son arrêt du 2 octobre 1979, B./Commission (152/77, Rec. p. 2819, point 10), fourni la réponse suivante :

« [R]ien ne permet d’interpréter la notion d’invalidité de manière restrictive. Au sens de l’article [73 du statut], doit être considérée comme invalide la personne qui, à la suite d’un accident ou d’une maladie professionnelle, n’est plus en état, entièrement ou partiellement, de mener une vie active normale. S’il est établi par expertise médicale qu’une lésion psychique affectant la seule sphère affective répond à cette condition, rien ne s’oppose à ce qu’elle soit considérée comme relevant de la notion d’invalidité au sens de l’article 73 du statut. »

81
La notion d’invalidité visée à l’article 73 du statut couvre donc l’incapacité à mener une vie active normale, en ce compris la sphère affective. Il s’ensuit que rien n’empêche le médecin désigné par l’institution ou une commission médicale, dans le cadre de la procédure visant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle, de tenir compte du préjudice moral subi par un fonctionnaire à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle lorsque ce préjudice le rend inapte à mener une vie active normale.

82
Il y a lieu, deuxièmement, de relever que c’est dans ce contexte et au vu des conclusions du DNols fondées sur les articles pertinents du BOBI, qui impliquent la prise en compte de la dimension sociale de l’individu concerné, que ledit médecin a estimé que le requérant devait se voir reconnaître un taux d’invalidité permanente au titre de troubles d’ordre psychique qui correspondent au préjudice « de nature non médicale » invoqué par le requérant. À cet égard, il est indifférent que le médecin désigné par l’institution n’ait pas été informé des préjudices tels que formulés par le requérant dans le cadre de la présente instance. Quelle que soit la formulation des préjudices présentée aujourd’hui par le requérant, il convient de considérer que le DNols était, au moment de l’examen neuropsychologique, en mesure d’apprécier l’étendue du préjudice d’ordre psychologique subi par le requérant, y compris dans sa dimension sociale. Au demeurant, ce dernier a clairement précisé dans ses écritures que le présent recours ne porte pas sur le taux d’invalidité permanente, dans la mesure où il ne dispose d’aucun élément objectif pour prétendre à une aggravation des constats médicaux ayant fondé la fixation dudit taux.

83
S’agissant des griefs relatifs à la compétence du médecin désigné par l’institution et au déroulement des examens médicaux dont le requérant a fait l’objet, il y a lieu de rappeler que, eu égard à la portée du présent recours, les appréciations d’ordre médical formulées dans le cadre de la procédure ouverte au titre de l’article 73 du statut doivent être considérées comme définitives et ne peuvent donc être remises en cause d’une manière ou d’une autre par le requérant. À titre surabondant, il suffit de relever que le requérant a fait l’objet d’une exploration neuropsychologique minutieuse de la part du DNols ayant donné lieu à un rapport très détaillé, lequel a été expressément pris en compte par le médecin désigné par l’institution pour fonder ses conclusions sur l’invalidité.

84
Dans la mesure où, ainsi qu’il a été constaté ci-dessus, le préjudice « psychique, affectif, familial, social et moral » allégué par le requérant est précisément celui qui a été indemnisé au titre de l’article 73 du statut, il est nécessaire de vérifier, en dernier lieu, si l’indemnité octroyée au requérant, soit la somme de 22 815,90 euros, a réparé intégralement ledit préjudice.

85
Dans le but de justifier le montant de 350 000 euros de dommages et intérêts réclamés, le requérant fait référence aux indemnisations octroyées par des juridictions nationales dans des cas prétendument similaires et à celle allouée à la partie requérante par la Cour dans l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité.

86
Les décisions des juridictions nationales produites aux débats ne peuvent fonder la conclusion d’une réparation inadéquate du préjudice d’ordre psychologique subi par le requérant. Elles s’inscrivent dans des cadres juridiques distincts, mentionnent des indemnisations bien inférieures à celle réclamée par le requérant et concernent généralement des personnes souffrant de pathologies pulmonaires avérées et graves résultant d’une exposition à l’amiante avec lesquelles l’affection psychique dont souffre le requérant n’est pas comparable.

87
La référence à l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité, n’est pas davantage de nature à fonder les prétentions du requérant, en raison des circonstances particulières de cette affaire.

88
À cet égard, il convient de rappeler que, au cours d’une mission, M. Leussink, fonctionnaire de la Commission, avait été victime d’un accident de la circulation survenu dans un véhicule défectueux appartenant à l’institution concernée. Il avait été grièvement blessé et souffrait de nombreuses séquelles : perte de l’œil droit, déformation du globe oculaire gauche, baisse de l’ouïe, perte de l’odorat et du goût, baisse de la capacité pulmonaire, diminution de la force du membre supérieur gauche, perte de plus de 6 cm2 du tissu crânien, séquelles neurologiques et psychologiques. À ce titre, il s’était vu reconnaître un taux d’invalidité de 75 %. L’accident avait également eu des conséquences désastreuses sur le plan privé : dissolution de la vie familiale (après seize années de mariage heureux, M. Leussink, devenu impulsif et agressif, était allé habiter seul), privation des joies de la vie et du travail en général (impossibilité de pratiquer le tennis, le ski et la natation ; indifférence aux plaisirs de la table; rupture avec les anciennes relations) (conclusions de l’avocat général Sir Gordon Slynn sous l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité, Rec. p. 2812, 2818). Dans cette affaire, la Cour avait jugé que l’indemnité versée à M. Leussink au titre de l’article 73 du statut était insuffisante eu égard à « l’extrême gravité des conséquences non économiques que l’accident a[vait] entraînées pour M. Leussink » (point 20 de l’arrêt).

89
Dans le cas présent, il ressort des rapports du médecin désigné par l’institution et du DNols que la situation du requérant ne présente pas une telle gravité. L’absence d’atteinte aux fonctions respiratoires permet de considérer que le requérant n’est pas privé de la possibilité de pratiquer une activité sportive ou simplement ludique. Il a d’ailleurs précisé au DNols, lors de l’expertise psychiatrique, poursuivre ses activités privées habituelles, y compris ses promenades à bicyclette. Le requérant n’a, par ailleurs, subi ni diminution ni disparition de certains sens, situation génératrice, à l’évidence, de très importantes souffrances morales, et les troubles psychiques dont il est atteint ont eu des répercussions sociales plus limitées que celles connues par M. Leussink et mentionnées au point ci-dessus.

90
Il y a lieu encore de noter que le requérant fait valoir que, dans l’arrêt Leussink e.a./Commission, précité, l’indemnisation accordée était approximativement égale à la moitié du montant des dommages et intérêts réclamés par la partie requérante alors que, contrairement à sa situation, la vie de la victime n’était pas en péril. L’existence d’un tel risque vital n’est pas, toutefois, établi à suffisance de droit par le requérant, étant observé que, selon les conclusions des professeurs De Vuyst et Genevois, reprises par le DDalem, le requérant ne présente pas d’anomalie pleuro-parenchymateuse suggestive de lésions induites par l’amiante.

91
Évaluant le préjudice d’ordre psychologique du requérant ex aequo et bono, le Tribunal ne considère pas, dans ces circonstances, qu’il puisse être fixé à un montant supérieur à la somme de 22 815,90 euros qui lui a déjà été versée, laquelle constitue une réparation adéquate dudit préjudice.

– Préjudice professionnel et financier

92
Le requérant prétend subir un préjudice professionnel constitué par la diminution de la possibilité d’une promotion professionnelle.

93
Force est, toutefois, de constater que les déclarations du requérant ne sont étayées par aucun élément concret, objectif, et ne peuvent être qualifiées que de simples supputations. Il ne saurait, dès lors, être considéré que le requérant a satisfait aux exigences de preuve de la réalité du préjudice allégué.

94
Le requérant évoque également, sans autres précisions, la nécessité de « conditionner ses recherches de travail dans une autre entité ou société commerciale selon l’avis du docteur Nemery qui lui conseille un contrôle régulier de son état de santé ». Pour autant que le requérant invoque un préjudice tiré de la nécessité pour lui, compte tenu de son état de santé, de trouver un nouvel emploi, il convient, là encore, de constater qu’une telle affirmation ne repose sur aucun élément objectif et concret figurant au dossier. La nécessité d’un contrôle régulier de l’état de santé du requérant n’apparaît aucunement incompatible avec son maintien dans son emploi actuel.

95
S’agissant du préjudice financier, le requérant excipe du fait que, s’il était amené à déclarer son état de santé dans le cadre d’une demande de souscription d’une police d’assurance vie ou d’un emprunt hypothécaire, tout organisme financier devrait prendre en compte, comme facteur de risque supplémentaire, sa pathologie et les conséquences d’une exposition à l’amiante.

96
Il résulte de la formulation conditionnelle employée par le requérant que le préjudice allégué ne peut être considéré que comme hypothétique, et ce à plusieurs titres, qu’il s’agisse de la conclusion même d’une des deux conventions visées, de la nécessité de remplir à cette fin un questionnaire médical et du surenchérissement consécutif du coût de la convention. Or, il ne saurait être alloué des dommages et intérêts pour compenser un préjudice purement hypothétique. Par ailleurs, cette incertitude se traduit également dans l’évaluation du préjudice financier allégué, le requérant n’ayant aucunement avancé ni a fortiori justifié un quelconque montant au titre dudit préjudice.

97
Il résulte de tout ce qui précède que la demande du requérant visant à la réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier doit, en tout état de cause, être rejetée, sans qu’il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la question de savoir si la défenderesse a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur la demande de réparation du préjudice liée au traitement du dossier par la défenderesse

98
Le requérant fait valoir, en substance, que le traitement de son dossier par la défenderesse a été fautif et lui a été préjudiciable, l’intéressé reprochant à cette dernière d’avoir violé le principe de bonne administration combiné, d’une part, avec le devoir de sollicitude pesant sur l’administration et, d’autre part, avec l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et commis un détournement de pouvoir.

99
Force est de constater, toutefois, que la demande initiale du 18 décembre 2000 et la réclamation introduite par le requérant ne contiennent aucune allégation de violation par la défenderesse du principe de bonne administration combiné, d’une part, avec le devoir de sollicitude pesant sur l’administration et, d’autre part, avec l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et d’un détournement de pouvoir commis par la défenderesse. L’examen tant de la demande initiale du requérant fondée sur l’article 90 du statut que de la réclamation faisant suite au rejet de celle-ci permet ainsi de conclure que la demande de réparation du préjudice prétendument subi du fait du traitement du dossier a été formulée pour la première fois dans la requête introductive d’instance.

100
En l’absence de toute procédure administrative préalable, conforme aux articles 90 et 91 du statut, la demande du requérant tendant à la réparation du préjudice prétendument subi du fait du traitement de son dossier doit, dès lors, être déclarée irrecevable (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 septembre 1991, Marcato/Commission, T‑5/90, Rec. p. II‑731, points 49 à 53).

101
Le requérant prétend, dans le cadre de sa réplique, avoir invoqué dans ses écrits la violation par l’institution défenderesse du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude, en ce sens qu’il a toujours reproché à celle-ci, depuis le début du litige, de ne pas avoir adopté les mesures nécessaires pour assurer la protection de son personnel contre le danger d’une exposition à l’amiante.

102
Pour autant que le grief tiré de la violation par la défenderesse du principe de bonne administration combiné avec le devoir de sollicitude puisse être analysé conformément aux déclarations susvisées du requérant, il convient de relever qu’il s’inscrit dans le cadre de la discussion sur la demande de réparation des préjudices physique, moral, professionnel et financier et plus particulièrement sur l’existence éventuelle d’une faute de la défenderesse. Or, il a été constaté ci-dessus que cette demande doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la question de savoir si la défenderesse a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

103
Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.


Sur les dépens

104
Contrairement aux affirmations du requérant, qui procèdent d’une lecture erronée des écrits de la défenderesse, cette dernière s’est bornée à demander, conformément à l’article 88 du règlement de procédure, la condamnation de chaque partie à supporter ses propres dépens et non la condamnation du requérant, en application de l’article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, dudit règlement, à l’intégralité des dépens aux motifs qu’ils seraient frustratoires ou vexatoires.

105
Il n’y a pas lieu, dès lors et contrairement à la demande présentée en ce sens par le requérant, de déclarer irrecevable ce chef de conclusions de la défenderesse sur les dépens au motif qu’il n’aurait fait l’objet d’aucun développement dans les écrits de celle-ci.

106
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)
Le recours est rejeté.

2)
Chaque partie supportera ses propres dépens.

Legal

Tiili

Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 octobre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

H. Legal


1
Langue de procédure : le français.