Language of document : ECLI:EU:T:2003:18

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

28 janvier 2003(1)

«Fonctionnaires - Réaffectation - Confiance légitime - Recours en annulation et en indemnité »

Dans l'affaire T-138/01,

F, fonctionnaire de la Cour des comptes des Communautés européennes, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Me P. Goergen, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Cour des comptes des Communautés européennes, représentée par MM. J.-M. Stenier, P. Giusta et Mme B. Schäfer, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision du 4 décembre 2000 de la Cour des comptes portant réaffectation de la requérante au service de la traduction et, d'autre part, une demande de réparation du dommage moral allégué par la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. R. M. Moura Ramos, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 12 novembre 2002,

rend le présent

Arrêt

Faits et procédure

1.
    La requérante, fonctionnaire de la Cour des comptes depuis le 1er avril 1980, a été nommée chef d'équipe de la section italienne du service de la traduction, classée au grade LA 4, le 13 février 1998.

2.
    Par décision du 15 mai 2000, la requérante a été déchargée de cette fonction.

3.
    La requérante a introduit une réclamation contre cette décision le 30 mai 2000. Elle en a, ensuite, demandé l’annulation par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 juin 2000. Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, elle a saisi le Tribunal d'une demande tendant à obtenir le sursis à l'exécutionde ladite décision. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal du 3 juillet 2000.

4.
    Par note du 10 juillet 2000, la requérante a sollicité de l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») sa mise à disposition, à titre transitoire, auprès du service des relations extérieures de l'institution.

5.
    Le 11 juillet 2000, la décision d'affecter la requérante comme chargée de mission auprès de l'assistant du secrétaire général, directement sous l'autorité de celui-ci (ci-après la «décision d’affectation»), a été communiquée à la requérante par une note du chef de la division de la traduction. Cette note précisait que la requérante exercerait des tâches à la fois pour le service des relations extérieures, le «secteur ADAR» (Audit Development and Research) et le secrétariat général.

6.
    Le 12 juillet 2000, la requérante a adressé une note à l'AIPN par laquelle elle se déclarait prête à retirer sa réclamation contre la décision du 15 mai 2000 pour autant qu'une suite favorable fût donnée à sa demande de mise à disposition et que sa situation auprès du service de la traduction ne redevînt pas d'actualité.

7.
    Par note du 12 juillet 2000 (ci-après la « note confirmative »), l'AIPN a confirmé la décision d’affectation. La note confirmative précisait que la requérante serait chargée d'effectuer des tâches relevant du secrétariat général et, en cas de besoin, du service des relations extérieures ainsi que du «secteur ADAR». Cette note a été signée pour accord par la requérante.

8.
    Toujours en date du 12 juillet, la requérante a adressé une note à l'AIPN, l'informant qu'elle retirait sa réclamation à l'encontre de la décision du 15 mai 2000.

9.
    Par lettre du 18 juillet 2000 adressée au greffe du Tribunal, la requérante a renoncé à son recours au fond contre la décision du 15 mai 2000. Une ordonnance de radiation a été rendue par le Tribunal le 28 mars 2001.

10.
    Dans le cadre de ses fonctions en tant que chargée de mission, la requérante ne s’est vu confier aucune tâche par ou pour le service des relations extérieures ou le «secteur ADAR».

11.
    Le 25 octobre 2000, le secrétaire général et son assistant se sont entretenus avec la requérante en vue de la réaffectation de cette dernière auprès de la section italienne du service de la traduction.

12.
    Une nouvelle réunion a eu lieu à cet effet le 6 novembre 2000. Au cours de cette réunion, le secrétaire général a demandé à la requérante de lui fournir une note concernant ses intentions pour améliorer les conditions de gestion de la section italienne. La requérante a déféré à cette demande et a exposé ses intentions dans une note datée du 7 novembre 2000.

13.
    Le 9 novembre 2000, le président du comité du personnel a fait part au secrétaire général des préoccupations des membres du personnel au sujet d’une éventuelle réintégration de la requérante en tant que chef de la section italienne du service de la traduction. Le même jour, le secrétaire général a reçu les membres de la section italienne du service de la traduction. À cette occasion, il leur a demandé d'établir un rapport factuel décrivant leur expérience avec la requérante comme chef de section.

14.
    Le 14 novembre 2000, le secrétaire général a demandé à la requérante de se soumettre à un examen médical par le médecin-conseil de manière à établir son aptitude au travail. Cet examen médical a eu lieu le 17 novembre 2000. Par certificat du 23 novembre 2000, le médecin-conseil de la Commission a déclaré la requérante apte au service.

15.
    Le 14 novembre, le secrétaire général a reçu une pétition spontanée signée par les dix chefs des autres sections linguistiques lui demandant de ne pas revenir sur la décision du 15 mai 2000 par laquelle la requérante avait été déchargée de sa fonction de chef d'équipe de la section italienne du service de la traduction.

16.
    Le 27 novembre 2000, le chef de la division de la traduction a remis le rapport factuel sollicité à l'AIPN. Ce même jour, le secrétaire général a reçu la requérante en présence de son assistant et du chef de la division de la traduction. Au cours de cette réunion la requérante a été informée des événements survenus depuis la réunion du 6 novembre.

17.
    Le 28 novembre 2000, l'AIPN a adressé une note à la requérante invitant celle-ci à lui faire part de ses observations sur les documents qui y étaient annexés comprenant le compte rendu de la réunion du 9 novembre, le compte rendu de la réunion du 27 novembre et le rapport factuel. Le délai imparti à la requérante pour soumettre ses observations expirait initialement le 30 novembre 2000. Il a toutefois été prolongé jusqu'au 4 décembre 2000.

18.
    Par lettre du 30 novembre 2000, la requérante a déclaré être prête à réintégrer le service linguistique et à démontrer qu'elle était capable d'y retrouver sa place et sa dignité.

19.
    Le 1er décembre 2000, la requérante a remis à l'AIPN ses observations sur les documents annexés à la note de l'AIPN du 28 novembre 2000. Elle a ensuite été hospitalisée et déclarée incapable au travail jusqu'au 7 janvier 2001.

20.
    Par décision du 4 décembre 2000 (ci-après la «décision attaquée»), l'AIPN a mis fin aux fonctions de la requérante en tant que chargée de mission auprès du secrétariat général, motif pris de l’insuffisance des tâches à accomplir en cette qualité pour justifier l’emploi d’un fonctionnaire de grade LA 4. Cette décision portait également réaffectation de la requérante au service de la traduction.

21.
    Le 11 décembre 2000, la requérante a introduit une réclamation au titre de l'article 90 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») contre la décision attaquée. Cette réclamation a été complétée par une note ampliative du 8 mars 2001. Le même jour, la requérante a demandé l'assistance de l'AIPN par rapport à «l'action de diffamation et de récolte d'informations contre [sa] personne».

22.
    Le 11 avril 2001, l'AIPN, a rejeté, d'une part, la réclamation introduite par la requérante contre la décision attaquée et, d'autre part, la demande d'assistance de l'AIPN.

23.
    C’est dans ces circonstances que la requérante a introduit le présent recours par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 juin 2001.

24.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit une demande visant à obtenir le sursis à l'exécution de la décision attaquée, demande qui a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal du 21 septembre 2001, F/Cour des comptes (T-138/01 R, non publiée au Recueil).

25.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et a convoqué les parties à une réunion informelle qui s’est tenue le 8 juillet 2002 devant le juge rapporteur.

26.
    Au cours de cette réunion informelle, les parties se sont mises d’accord pour poursuivre leurs efforts jusqu’au 1er octobre 2002 afin de trouver une solution amiable au litige.

27.
    Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 30 septembre 2002, chacune des parties a informé le Tribunal qu’elles n’avaient pas trouvé de solution amiable à leur litige.

28.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 12 novembre 2002.

Conclusions des parties

29.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    condamner la défenderesse à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de réparation du dommage moral subi;

-    condamner la défenderesse aux dépens.

30.
    La Cour des comptes conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours en annulation;

-    rejeter la demande en indemnité;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

Sur la demande en annulation

31.
    La requérante invoque sept moyens à l'appui de son recours. Le premier moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation. Le deuxième est pris d'une violation des droits de la défense. Le troisième est tiré d'une erreur manifeste d'appréciation. Le quatrième est pris d'une violation du principe du respect de la confiance légitime. Le cinquième moyen est tiré d'une violation du principe de bonne administration. Le sixième moyen est pris d'une violation du devoir de sollicitude. Enfin, le septième moyen est tiré d'un détournement de pouvoir.

32.
    La défenderesse conteste la recevabilité des moyens tirés de la violation des droits de la défense, de l’erreur manifeste d’appréciation, de la violation du principe de bonne administration, de la violation du devoir de sollicitude et d’un détournement de pouvoir, motif pris de l’absence de toute référence à ces moyens dans la réclamation. À cet égard, elle invoque une jurisprudence aux termes de laquelle les conclusions des recours des fonctionnaires doivent, sous peine d’irrecevabilité, avoir le même objet que celui de la réclamation administrative préalable et contenir des chefs de conclusions reposant sur la même cause que celle de la réclamation (arrêts du Tribunal du 29 mars 1990, Alexandrakis/Commission, T-57/89, Rec. p. II-143, point 9, et du 11 juin 1996, Anacoreta Correia/Commission, T-118/95, RecFP p. I-A-283 et II-835, point 43).

33.
    Il convient d’examiner, en premier lieu, le moyen tiré d’une atteinte au principe de confiance légitime à l’égard duquel la défenderesse n’a pas soulevé d’exception d’irrecevabilité.

Arguments des parties

34.
    La requérante rappelle qu'elle s'est engagée le 12 juillet 2000 à renoncer à sa réclamation à l’encontre de la décision du 15 mai 2000 et à son recours contre cette décision au cas où sa demande de mise à disposition au secrétariat général du 10 juillet 2000 connaîtrait une suite favorable et pour autant que sa situation auprès du service de la traduction ne redevînt pas d'actualité.

35.
    Selon elle, un accord aurait été conclu avec la Cour des comptes sur la base de cette proposition. À cet égard, la requérante relève que la Cour des comptes reconnaît dans ses écritures que l’affectation de la requérante auprès du secrétariat général résulte d’un accord.

36.
    La requérante soutient encore qu’il ressort de la note confirmative que la Cour des comptes s’est engagée à ne plus la réaffecter au service de la traduction.

37.
    Elle fait valoir, enfin, que la rupture inopinée par la défenderesse de l’accord passé entre elle et l’institution viole le principe du respect de la confiance légitime, car cet accord contiendrait des assurances précises ayant fait naître chez elle des espérances fondées quant au maintien de son affectation auprès du secrétariat général (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 5 février 1997, Petit-Laurent/Commission, T-211/95, RecFP p. I-A-21 et II-57).

38.
    La défenderesse rappelle qu'une décision ne saurait violer la confiance légitime qu'en présence d'assurances précises de l'administration, qui, dans le cas d'espèce, n'auraient jamais été fournies (arrêt du Tribunal du 16 juillet 1998, Presle/Cedefop, T-93/96, RecFP p. I-A-387 et II-1111, point 70).

39.
    La défenderesse a précisé à l’audience que le retrait par la requérante de sa réclamation à l’encontre de la décision du 15 mai 2000 pouvait être considéré comme la contrepartie de son affectation auprès du secrétariat général. Cependant, elle fait valoir que l’accord conclu entre elle et la requérante affectant cette dernière auprès du secrétariat général n'a jamais été formalisé dans des termes qui auraient pu engendrer chez la requérante la conviction qu'elle ne serait plus jamais affectée à des tâches de traduction et ce d'autant plus qu'elle continuait à appartenir au cadre linguistique malgré son affectation convenue dans le cadre de l’accord.

Appréciation du Tribunal

40.
    Il convient de rappeler, tout d’abord, que, selon une jurisprudence bien établie, le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître, chez lui, des espérances fondées (voir, dernièrement, arrêt du Tribunal du 5 novembre 2002, Ronsse/Commission, T-205/01, non encore publié au Recueil, point 54).

41.
    Il y a lieu de relever, ensuite, que l’affectation de la requérante en tant que chargée de mission auprès de l’assistant du secrétaire général résulte d’un arrangement transactionnel formalisé, d’une part, dans les notes de la requérante à l’AIPN datées des 10 et 12 juillet 2000 et, d’autre part, dans la décision d’affectation et dans la note confirmative (voir points 4 à 7 ci-dessus).

42.
    Dans le cadre de cet arrangement transactionnel, la requérante a donc reçu l’assurance précise qu’elle serait affectée auprès du secrétariat général de la Cour des comptes.

43.
    Il ne saurait toutefois être déduit de cette assurance précise que la requérante a pu fonder des espérances légitimes sur la permanence de son affectation auprès dusecrétariat général. En effet, une telle permanence restreindrait d’une manière intolérable la liberté dont disposent les institutions dans l’organisation de leurs services et dans leur adaptation à l’évolution des besoins (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 24 février 1981, Carbognani et Coda Zabetta/Commission, 161/80 et 162/80, Rec. p. 543, point 28, et arrêt du Tribunal du 11 juillet 1996, Aubineau/Commission, T-102/95, RecFP p. I-A-357 et II-1053, point 29).

44.
    Toutefois, l’arrangement transactionnel ne saurait être dénué de tout effet juridique en ce qui concerne l’affectation de la requérante auprès du secrétariat général. À cet égard, il y a lieu de considérer que, en affectant la requérante auprès du secrétariat général dans le cadre de l’arrangement transactionnel, la Cour des comptes s’est engagée à prendre toute mesure raisonnable pour permettre à la requérante de garder cette affectation pour autant que cela était conciliable avec l’intérêt du service (voir, en ce sens, arrêt Aubineau/Commission, précité, point 31).

45.
    Au vu de ce qui précède, l’examen du respect de la confiance légitime de la requérante consiste à vérifier si la défenderesse a démontré que le maintien de l’affectation de la requérante auprès du secrétariat général en qualité de chargée de mission n’était plus conciliable avec l’intérêt du service.

46.
    À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que la validité de la décision d’affectation et de la note confirmative n’est pas contestée. Dans ces circonstances, ces actes jouissent de la présomption qu’ils sont conformes à l’intérêt du service.

47.
    Il en résulte que le maintien de l’affectation de la requérante auprès du secrétariat général ne pourrait être contraire à l’intérêt du service que sur la base d’éléments ou de circonstances que la défenderesse n’a pas pu prendre en compte lors de l’adoption de la décision d’affectation et de la note confirmative.

48.
    À cet égard, il y a lieu de relever que la décision attaquée, adoptée moins de cinq mois après la décision d’affectation, fonde la réaffectation de la requérante sur le seul motif de l’insuffisance des tâches à accomplir en qualité de chargée de mission auprès du secrétariat général pour justifier l’emploi d’un fonctionnaire de grade LA 4.

49.
    Dans le cadre de sa défense relative au présent moyen, la défenderesse n’allègue aucune raison pour laquelle ces tâches seraient devenues insuffisantes après la décision d’affectation. Ce n’est que dans la cadre de sa défense à l’égard du moyen tiré de la violation du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude que la défenderesse fait valoir que la collaboration interservices qu’elle avait envisagée n’a pu aboutir en raison de la forte spécialisation des postes de catégorie A et du caractère limité des services horizontaux au sein de la Cour des comptes.

50.
    Force est de constater, cependant, que la spécialisation des postes de catégorie A et le caractère limité des services horizontaux au sein de la Cour des comptes ne sont pas des éléments ou des circonstances soudainement survenus postérieurement à l’adoption de la décision d’affectation ou de la note confirmative. Par ailleurs, selon les termes mêmes de la note confirmative, la collaboration de la requérante aux tâches du service des relations extérieures et du «secteur ADAR» ne devait s’effectuer qu’en cas de besoins. Il n’est donc pas démontré que les tâches confiées à la requérante sont devenues insuffisantes postérieurement à la note confirmative. Partant, l’insuffisance des tâches à confier à la requérante, telle qu’alléguée par la défenderesse, ne saurait attester que le maintien de la requérante auprès du secrétariat général était devenu inconciliable avec l’intérêt du service.

51.
    Dans ses écritures, la défenderesse fait encore valoir que la charge de travail du service de la traduction, et notamment de la section italienne, qui était privée d’un de ses éléments les plus expérimentés, ne faisait que grandir, ce qui justifiait la réaffectation de la requérante auprès du service de la traduction. Pour autant que cet argument vise à compléter la motivation de la décision attaquée, il suffit de relever que la défenderesse ne pouvait ignorer au moment de l’adoption de la décision d’affectation et de la note confirmative qu’en retirant un élément de la section italienne du service de la traduction, elle en diminuait d’autant la capacité de travail. De plus, la défenderesse n’allègue aucun élément ni aucune circonstance qui attesterait que l’augmentation de la charge de travail n’était pas prévisible au moment de l’adoption de la décision d’affectation et de la note confirmative. Dans ces circonstances, l’augmentation de la charge de travail ne saurait davantage attester que l’affectation de la requérante auprès du secrétariat général avait cessé d’être compatible avec l’intérêt du service.

52.
    Il résulte de ce qui précède que la défenderesse n’a pas démontré à suffisance de droit que l’affectation de la requérante auprès du secrétariat général en qualité de chargée de mission n’était plus conciliable avec l’intérêt du service. Par conséquent, le moyen tiré de la violation du principe du respect de la confiance légitime est fondé.

53.
    Il s’ensuit qu’il y a lieu d'annuler la décision attaquée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la recevabilité et le bien-fondé des autres moyens soulevés par la requérante.

Sur la demande en indemnité

Sur la recevabilité

Arguments des parties

54.
    La défenderesse fait valoir que, lorsque le dommage dont la réparation est demandée ne résulte pas d'un acte faisant grief, la procédure administrative doitimpérativement débuter par l'introduction d'une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut (arrêt du Tribunal du 15 juillet 1993, Camera-Lampitelli e.a./Commission, T-27/92, Rec. p. II-873, point 28). Elle soutient que, dans le cas d'espèce, la demande en indemnité est fondée sur le fait qu'il aurait été porté atteinte, de façon répétée, constante et sur une longue période à la dignité de la requérante. Le dommage ne serait donc pas la conséquence d'un acte faisant grief. La demande en indemnité ayant été invoquée pour la première fois dans la requête, sans qu'aucune demande en ce sens n'ait jamais été formulée dans la réclamation, elle devrait donc être déclarée irrecevable.

55.
    La requérante soutient qu'elle n'est pas privée du droit de demander réparation du préjudice que lui causerait la décision attaquée par le seul fait que sa réclamation ne portait que sur la seule annulation de la décision attaquée (arrêts de la Cour du 26 janvier 1989, Koutchoumoff/Commission, 224/87, Rec. p. 99, point 10; du 10 mars 1989, Del Plato/Commission, 126/87, Rec. p. 643, et du 14 mars 1989, Del Amo Martinez/Parlement, 133/88, Rec. p. 689).

56.
    Elle soutient également que la recevabilité du recours en indemnité n’est pas subordonnée au déroulement de la procédure administrative préalable prévue par les articles 90 et 91 du statut lorsque, comme en l’espèce, l'existence d'un acte faisant grief ne peut pas être contestée (arrêt du Tribunal du 25 septembre 1991, Marcato/Commission, T-5/90, Rec. p. II-731, points 49 et 50). Dès lors que, selon elle, l’existence d’un acte faisant grief ne saurait être contestée dans le cas d’espèce, le recours en indemnité devrait être déclaré recevable.

Appréciation du Tribunal

57.
    Il est de jurisprudence constante que ce n’est que lorsqu’il existe un lien direct entre un recours en annulation et une action en indemnité que cette dernière est recevable en tant qu’accessoire au recours en annulation, sans devoir nécessairement être précédée d’une demande invitant l’AIPN à réparer le préjudice prétendument subi et d’une réclamation contestant le bien-fondé du rejet explicite ou implicite de cette demande. En revanche, lorsque le préjudice allégué ne résulte pas d’un acte dont l’annulation est poursuivie, mais de plusieurs fautes et omissions prétendument commises par l’administration, la procédure précontentieuse doit impérativement débuter par une demande invitant l’AIPN à réparer ce préjudice et se poursuivre, le cas échéant, par une réclamation dirigée contre la décision de rejet de la demande (arrêts du Tribunal du 15 juillet 1993, Camara Alloisio e.a./Commission, T-17/90, T-28/91 et T-17/92, Rec. p. II-841, point 47, et, dernièrement, du 13 juin 2002, Ferrer de Moncada/Commission, T-74/01, RecFP p. I-A-87 et II-411, point 69).

58.
    Dans le cas d’espèce, la requérante demande, premièrement, la réparation des atteintes répétées, constantes et durables à sa dignité ainsi que du harcèlement moral dont elle aurait été victime sur son lieu de travail avant l’adoption de la décision attaquée en étant notamment forcée de se soumettre à des examenspsychiatriques afin d’établir son aptitude au travail et d’éviter ainsi sa mise en congé d’office. Elle a précisé à l’audience que cette demande en réparation portait également sur les comportements de la Cour des comptes après l’adoption de la décision attaquée. La requérante demande, deuxièmement, la réparation de l’atteinte portée par la décision attaquée à sa réputation, à sa carrière et à son intégrité.

59.
    S’agissant de la première demande en indemnité, il convient de relever que la requérante n’allègue aucun lien direct entre la décision attaquée et le préjudice dont elle demande réparation. Dans ces conditions, cette demande ne saurait être recevable que pour autant qu’elle a été précédée de la procédure administrative impérativement prescrite par les dispositions de l’article 90 du statut.

60.
    Tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la requérante n'a pas saisi l'AIPN d'une demande tendant à obtenir réparation du préjudice résultant des atteintes répétées, constantes et durables à sa dignité et du harcèlement moral dont elle se plaint. Dès lors, une procédure précontentieuse conforme aux articles 90 et 91 du statut n'a pas été menée.

61.
    Il convient d'ajouter, subsidiairement et en tout état de cause, qu'il en irait de même dans l'hypothèse où la demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut adressée le 11 décembre 2000 par la requérante à l’AIPN devait être considérée comme une demande en indemnité formée au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut. En effet, cette demande d’assistance a été rejetée par décision de l’AIPN du 11 avril 2001, qui, à son tour, n’a fait l’objet d’aucune réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut.

62.
    Dans ces circonstances, la première demande en indemnité doit être déclarée irrecevable.

63.
     Dans le cadre de sa seconde demande en indemnité, la requérante entend obtenir réparation du préjudice qui, selon elle, découle directement de la décision attaquée. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la seconde demande est recevable en tant qu’accessoire au recours en annulation conformément à la jurisprudence rappelée au point 57 ci-dessus.

64.
    Il résulte de ce qui précède que la demande en indemnité doit être déclarée recevable dans la seule mesure où elle porte sur la réparation du préjudice moral directement lié à la décision attaquée.

Sur le fond

Arguments des parties

65.
    La requérante fait valoir, tout d’abord, que les conditions de la responsabilité des Communautés sont réunies.

66.
    Elle soutient, ensuite, que l'annulation de la décision ne constituerait pas une réparation adéquate vu l’importance du préjudice moral que constitue la destruction de sa réputation, de sa carrière et de son intégrité. Par conséquent, il y aurait lieu de lui accorder, en réparation de ce préjudice, une somme qu’elle évalue à 100 000 euros.

67.
    La défenderesse soutient, à titre principal, qu’elle n’a commis aucune faute. À cet égard, elle fait valoir qu'elle a agi légalement et a tout mis en oeuvre pour se conformer non seulement à l'intérêt du service, mais également, dans le cadre de ce qui était possible en pratique, aux desiderata de la requérante. Dès lors, une des conditions de la responsabilité de la Communauté ferait défaut, de sorte qu’il y aurait lieu de rejeter la demande en indemnité.

68.
    À titre subsidiaire, pour le cas où sa responsabilité devrait être engagée sur la base de l'illégalité de la décision attaquée, la défenderesse soutient que l'annulation constituerait une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que la requérante aurait pu avoir subi en raison de ladite décision (arrêt du Tribunal de 20 septembre 1990, Hanning/Parlement, T-37/89, Rec. p. II-463, point 83).

Appréciation du Tribunal

69.
    Il est de jurisprudence constante que l'annulation de l'acte de l'administration attaqué par un fonctionnaire constitue, en elle-même, une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout le préjudice moral que celui-ci peut avoir subi en raison de l’acte annulé (arrêt de la Cour du 7 février 1990, Culin/Commission, C-343/87, Rec. p. I-225, points 25 à 29, et, dernièrement, arrêt du Tribunal du 11 septembre 2002, Willeme/Commission, T-89/01, non encore publié au Recueil, point 97).

70.
    En l'espèce, l’importance alléguée du préjudice dont la requérante demande réparation ne saurait suffire à considérer que l’annulation de la décision attaquée ne constitue pas une réparation adéquate et suffisante du préjudice allégué.

71.
    Dès lors, la demande en indemnité doit être rejetée.

Sur les dépens

72.
    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La défenderesse ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, en ce compris ceux relatifs à la procédure de référé dans l'affaire T-138/01 R conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Cour des comptes du 4 décembre 2000 portant réaffectation de la requérante au service de la traduction est annulée.

2)     Le recours est rejeté pour le surplus.

3)     La Cour des comptes est condamnée aux dépens, en ce compris ceux relatifs à la procédure de référé dans l'affaire T-138/01 R.

Moura Ramos
Pirrung

Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 janvier 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: le français