Language of document : ECLI:EU:T:2006:74

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

15 mars 2006 (*)

« Concurrence – Ententes dans le secteur des produits vitaminiques – Droits de la défense – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Fixation du montant de départ de l’amende – Effet dissuasif – Circonstances aggravantes – Rôle de meneur ou d’incitateur – Coopération durant la procédure administrative – Secret professionnel et principe de bonne administration »

Dans l’affaire T-15/02,

BASF AG, établie à Ludwigshafen (Allemagne), représentée par MM. N. Levy, J. Temple-Lang, solicitors, R. O’ Donoghue, barrister, et Me C. Feddersen, avocat,


partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. R. Wainwright et Mme L. Pignataro-Nolin, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation ou de réduction des amendes infligées à la requérante par l’article 3, sous b), de la décision 2003/2/CE de la Commission, du 21 novembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/37.512 – Vitamines) (JO 2003, L 6, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de MM. H. Legal, président, P. Mengozzi et Mme I. Wiszniewska‑Białecka, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 janvier 2005,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par décision 2003/2/CE, du 21 novembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/37.512 – Vitamines) (JO 2003, L 6, p. 1, ci-après la « Décision »), la Commission a constaté, à l’article 1er, que plusieurs entreprises avaient enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en participant à une série d’ententes distinctes affectant douze marchés différents de produits vitaminiques, à savoir les vitamines A, E, B 1, B 2, B 5, B 6, l’acide folique, les vitamines C, D 3, H, le bêta-carotène et les caroténoïdes. En particulier, il ressort du considérant 2 de la Décision que, dans le cadre de ces ententes, les entreprises concernées auraient fixé les prix des différents produits, se seraient attribué des quotas de vente, auraient décidé d’un commun accord et mis en œuvre des augmentations de prix, auraient publié des annonces de prix conformément à leurs accords, auraient vendu les produits aux prix convenus, auraient mis en place un mécanisme de surveillance et de contrôle du respect des accords, et auraient participé à un système de réunions régulières pour mettre leurs plans à exécution.

2        Au nombre de ces entreprises figure, notamment, BASF AG (ci-après « BASF » ou la « requérante »), laquelle a été tenue pour responsable d’infractions affectant les marchés communautaires et de l’EEE des vitamines A, E, B 1, B 2, B 5, C, D 3 et H, du bêta-carotène et des caroténoïdes [article 1er, paragraphe 1, sous b), de la Décision].

3        Par l’article 2 de la Décision, il est ordonné aux entreprises tenues pour responsables des infractions constatées de mettre immédiatement fin à celles-ci dans la mesure où elles ne l’auraient pas déjà fait et de s’abstenir désormais des actes ou comportements infractionnels constatés, ainsi que de toute mesure ayant un objet ou un effet identique ou équivalent.

4        Alors que la Commission a infligé des amendes pour les infractions constatées dans les marchés des vitamines A, E, B 2, B 5, C et D 3, du bêta-carotène et des caroténoïdes, pour un montant global de 855,23 millions d’euros, elle n’a pas infligé d’amendes pour les infractions constatées dans les marchés des vitamines B 1, B 6, H et de l’acide folique (article 3 de la Décision).

5        Il ressort en effet des considérants 645 à 649 de la Décision que les infractions constatées dans ces derniers marchés ont cessé plus de cinq ans avant que la Commission n’entame son enquête et que, de ce fait, l’article 1er du règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1), était applicable à l’égard de ces infractions.

6        Ainsi, BASF, en particulier, n’a pas fait l’objet d’amendes pour sa participation aux infractions relatives aux vitamines B 1 et H.

7        En revanche, pour sa participation aux infractions relatives aux vitamines A, E, B 2, B 5, C et D 3, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, BASF s’est vu infliger une amende pour chaque infraction [article 3, sous b), de la Décision].

8        Le montant de ces amendes a été fixé par la Commission en application de ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») et de sa communication concernant la non‑imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »).

9        Aux considérants 657 et 658 de la Décision, la Commission a énoncé les critères généraux sur la base desquels elle a procédé à la détermination du montant des amendes. Elle a précisé devoir prendre en considération toutes les circonstances de l’espèce et, en particulier, la gravité et la durée de l’infraction – qui sont les deux critères explicitement visés à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204) –, apprécier cas par cas le rôle joué par chaque entreprise partie aux infractions, tenir notamment compte, dans le cadre de la fixation du montant de l’amende infligée, des éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes, et appliquer, le cas échéant, la communication sur la coopération.

10      S’agissant de la gravité des infractions, la Commission a considéré, au vu de la nature des infractions examinées, de leur incidence sur les différents marchés de produits vitaminiques concernés et du fait que chacune d’entre elles couvrait l’ensemble du marché commun et, après sa création, l’ensemble de l’EEE, que les entreprises destinataires de la Décision avaient commis des infractions très graves à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, passibles chacune d’une amende d’au moins 20 millions d’euros (considérants 662 à 674 de la Décision).

11      En vue de déterminer le montant de départ des amendes, la Commission, après avoir précisé qu’elle tenait compte de la taille des différents marchés de produits vitaminiques concernés, a rappelé que, « [a]u sein de la catégorie des infractions très graves, l’échelle des amendes qui est prévue permet d’appliquer aux entreprises un traitement différencié afin de tenir compte de la capacité économique effective de chacune de créer un dommage important à la concurrence et de fixer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif ». Elle a observé qu’« un tel exercice s’impose tout particulièrement lorsque, comme en l’espèce, il existe une disparité de taille considérable entre les entreprises participant à l’infraction ». Elle a ensuite indiqué que, « [d]ans les circonstances de l’espèce, qui concerne plusieurs entreprises, il est nécessaire, pour déterminer le montant de base des amendes, de prendre en considération le poids spécifique de chacune d’entre elles et, partant, l’incidence réelle de son comportement illicite sur la concurrence » (considérants 675, 678 et 679 de la Décision).

12      À cette fin, la Commission a estimé pouvoir répartir les entreprises concernées en différentes catégories « selon l’importance relative de chacune sur les différents marchés de produits vitaminiques concernés », tout en ajoutant que « [l]e classement d’une entreprise dans une catégorie déterminée peut, le cas échéant, faire l’objet d’un ajustement pour tenir compte, en particulier, de la nécessité d’assurer un effet dissuasif ». Pour comparer l’importance relative des différentes entreprises sur chacun des marchés de produits vitaminiques concernés, la Commission a estimé approprié de s’appuyer sur le chiffre d’affaires lié au produit en cause sur le plan mondial. La Commission a remarqué, en effet, que « toutes les ententes étaient mondiales par nature et avaient notamment pour objet de répartir les marchés au niveau mondial et donc d’empêcher les forces concurrentielles de jouer pleinement dans l’EEE » et que « le chiffre d’affaires mondial d’un membre donné d’un cartel déterminé permet aussi de se faire une idée de sa contribution à l’efficacité de ce cartel dans son ensemble ou, à l’inverse, de l’instabilité qu’aurait connue le cartel s’il n’y avait pas participé ». La Commission a également indiqué que, pour identifier les chiffres d’affaires en cause, elle a retenu la « dernière année civile complète de l’infraction » (considérants 680 et 681 de la Décision).

13      Il ressort néanmoins des considérants 695 et 696 de la Décision que la Commission a estimé, au vu des caractéristiques des marchés du bêta‑carotène et des caroténoïdes, qu’il n’était pas approprié d’appliquer la méthode de la répartition des entreprises en catégories pour les infractions relatives à ces produits, de sorte que les deux entreprises concernées par ces infractions, F. Hoffmann-La Roche AG (ci-après « Roche ») et BASF, se sont vu fixer les mêmes montants de départ des amendes.

14      C’est ainsi que la Commission a fixé pour la requérante les montants de départ suivants, s’élevant au total à 128,5 millions d’euros : 18 millions d’euros pour la vitamine A ; 35 millions d’euros pour la vitamine E ; 10 millions d’euros pour la vitamine B 2 ; 14 millions d’euros pour la vitamine B 5 ; 7,5 millions d’euros pour la vitamine C ; 4 millions d’euros pour la vitamine D 3 ; 20 millions d’euros pour le bêta‑carotène et, enfin, 20 millions d’euros pour les caroténoïdes (considérants 683 à 696 de la Décision).

15      Pour assurer un caractère suffisamment dissuasif aux amendes, la Commission a majoré de 100 % les montants de départ des amendes calculés pour BASF, Roche et Aventis SA, afin de tenir compte de la taille et des ressources globales de ces entreprises (considérants 697 à 699 de la Décision).

16      Ensuite, la Commission a majoré pour chacune des entreprises, en fonction de la durée de leur participation à chaque infraction, les montants de départ des amendes, tels qu’ajustés, le cas échéant, par l’application du facteur de 100 % visé au point précédent. Les montants de base des amendes infligées à la requérante, dont la somme s’élève à 438,75 millions d’euros, ont ainsi été fixés à : 68,4 millions d’euros pour la vitamine A ; 133 millions d’euros pour la vitamine E ; 28 millions d’euros pour la vitamine B 2 ; 50,4 millions d’euros pour la vitamine B 5 ; 21,75 millions d’euros pour la vitamine C ; 11,2 millions d’euros pour la vitamine D 3 ; 64 millions d’euros pour le bêta-carotène et, enfin, 62 millions d’euros pour les caroténoïdes (considérants 701 à 711 de la Décision).

17      Roche et BASF se sont vu appliquer une circonstance aggravante tirée du rôle de meneur et d’incitateur qu’elles auraient conjointement joué dans les différentes ententes. Les montants de base de leurs amendes ont été, par conséquent, majorés, respectivement, de 50 % et de 35 % (considérants 712 à 718 de la Décision). Cela ramenait les amendes calculées pour BASF à un total de près de 592,32 millions d’euros.

18      Enfin, s’agissant de l’application de la communication sur la coopération, la Commission a, tout d’abord, accordé une immunité au titre de la section B de cette communication à Aventis pour les infractions relatives aux vitamines A et E. À cet égard, la Commission a notamment relevé qu’Aventis, par des déclarations des 19 et 25 mai 1999, avait été la première entreprise à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de ces infractions, conformément à la condition prévue à la section B, sous b), de la communication sur la coopération (considérants 741 et 742 de la Décision).

19      En outre, la Commission a considéré que Roche et BASF, par documents transmis à ses services entre le 2 juin et le 30 juillet 1999, avaient été les premières à lui communiquer des éléments déterminants pour prouver l’existence des accords collusoires sur les marchés des vitamines B 2, B 5, C et D 3, du bêta-carotène et des caroténoïdes. Néanmoins, Roche et BASF, ayant joué un rôle d’initiation ou un rôle déterminant dans les activités illégales relatives aux vitamines A, E, B 2, B 5, C et D 3, au bêta-carotène et aux caroténoïdes, n’ont pas rempli, selon la Commission, la condition prévue à la section B, sous e), de la communication sur la coopération. Aucune de ces deux entreprises n’a donc bénéficié d’une réduction des amendes sur la base des sections B ou C de cette communication (considérants 743 à 745 de la Décision).

20      Chacune d’entre elles a toutefois bénéficié d’une réduction des amendes conformément à la section D de la communication sur la coopération. En particulier, la Commission a relevé que Roche et BASF, ayant fourni des éléments de preuve précis concernant la structure organisationnelle des accords collusoires sur les marchés des vitamines A, E, B 2, B 5, C et D 3, du bêta-carotène et des caroténoïdes, avaient apporté une contribution déterminante à l’établissement ou à la confirmation de certains points essentiels de ces infractions. Ainsi, la Commission a conclu que Roche et BASF remplissaient les conditions prévues à la section D, paragraphe 2, premier tiret, de la communication sur la coopération et leur a accordé, pour toutes ces infractions, une réduction de 50 % du montant de l’amende qui leur aurait été infligée en l’absence de coopération avec la Commission (considérants 747, 748, 760 et 761 de la Décision).

21      C’est ainsi que les amendes infligées à BASF ont finalement été fixées comme suit : 46,17 millions d’euros pour la vitamine A ; 89,78 millions d’euros pour la vitamine E ; 18,9 millions d’euros pour la vitamine B 2 ; 34,02 millions d’euros pour la vitamine B 5 ; 14,68 millions d’euros pour la vitamine C ; 7,56 millions d’euros pour la vitamine D 3 ; 43,2 millions d’euros pour le bêta-carotène et, enfin, 41,85 millions d’euros pour les caroténoïdes [article 3, sous b), de la Décision]. Le montant total de ces amendes (ci-après l’« amende globale ») s’élève à 296,16 millions d’euros.

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 janvier 2002, la requérante a introduit le présent recours.

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 juin 2002, Aventis a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la défenderesse. Cette demande a été rejetée, les parties principales entendues, par ordonnance du Tribunal (quatrième chambre) du 25 février 2003 (Rec. p. II-213), date à laquelle la procédure écrite s’est ainsi achevée.

24      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a invité les parties à répondre à des questions écrites et la défenderesse à produire certains documents. Les parties ont déféré à cette invitation dans le délai imparti.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 12 janvier 2005. À cette occasion, le Tribunal a invité la défenderesse à produire une lettre, qui lui avait été transmise par Roche dans le cadre de la coopération de cette entreprise durant l’enquête administrative, et a suspendu la procédure orale.

26      La défenderesse a donné suite à cette invitation dans le délai imparti, en produisant, le 18 janvier 2005, la lettre demandée ainsi que d’autres lettres que Roche lui avait transmises dans le cadre de sa coopération durant la procédure administrative. Le 8 février 2005, la requérante, sur demande du Tribunal, a déposé des observations sur les documents produits par la défenderesse.

27      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler ou réduire substantiellement l’amende globale infligée à l’article 3, sous b), de la Décision ;

–        condamner la défenderesse à payer les dépens et autres dépenses encourues par la requérante concernant la présente affaire.

28      La défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur les conclusions en annulation et en réduction de l’amende globale

29      La requérante admet pleinement et sans réserve sa participation aux infractions relatives aux vitamines A, E, B 2, B 5, C et D 3, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, dont elle reconnaît la gravité. Elle souligne cependant que la Décision est sans précédent en termes de sévérité des amendes infligées et qu’elle représente une modification très radicale dans la politique de répression de la Commission.

30      À l’appui de sa demande d’annulation ou de réduction substantielle de l’amende globale, la requérante invoque huit moyens. Les deux premiers moyens sont tirés d’une violation des droits de la défense à divers égards ; le troisième moyen est tiré de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement lors de la fixation du montant de départ de certaines amendes infligées à la requérante ; le quatrième moyen a trait à l’augmentation, aux fins de dissuasion, des montants de départ des amendes infligées à la requérante ; le cinquième moyen est tiré d’erreurs d’appréciation dans l’attribution à la requérante d’un rôle de meneur et d’incitateur dans sept infractions ; les sixième et septième moyens sont relatifs à l’appréciation de la coopération de la requérante dans le cadre de la procédure administrative ; le huitième moyen est tiré d’une violation du secret professionnel et du principe de bonne administration.

A –  Sur les premier et deuxième moyens, tirés de violations des droits de la défense

1.     Arguments des parties

a)     Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense du fait de l’absence de communication préalable de l’appréciation de la Commission relative à l’existence d’une pluralité d’ententes distinctes

31      La requérante fait valoir que l’appréciation de la Commission, ayant conduit à l’imposition de plusieurs amendes séparées, selon laquelle il y avait une entente distincte pour chaque vitamine, ne lui a jamais été soumise avant la Décision. L’absence de communication préalable de cette appréciation aurait nui de manière significative à l’exercice de ses droits de la défense en ce qui concerne l’importance de toutes les amendes infligées.

32      Elle rappelle qu’il est un principe bien établi qu’une décision de la Commission ne peut être fondée sur des appréciations en droit ou en fait qui sont substantiellement différentes de celles contenues dans une communication des griefs. Or, la Commission aurait violé ce principe en formulant pour la première fois dans la Décision une nouvelle appréciation cruciale concernant la qualification juridique des arrangements illégaux. En effet, selon la requérante, la communication des griefs précisait, notamment aux points 206, 210 et 212, qu’il y avait une seule entente unique globale composée d’arrangements collusoires concernant diverses vitamines, alors que la Décision, au considérant 584, mentionne pour la première fois que les arrangements concernant chaque vitamine constituaient des violations distinctes du droit communautaire de la concurrence.

33      Ainsi, le montant de départ susceptible d’être fixé pour une amende éventuelle à l’encontre de la requérante aurait été non de 20 millions d’euros, montant suggéré comme point de départ pour une violation unique au titre des lignes directrices, mais de 160 millions d’euros pour huit infractions séparées. Or, dans les faits, l’appréciation selon laquelle il y avait une infraction pour chaque vitamine concernée par les arrangements en cause aurait mené la Commission à fixer pour la requérante un montant de départ de l’amende au moins huit fois plus important que le montant qui pouvait être prévu. La requérante estime qu’elle aurait dû dès lors pouvoir faire valoir son point de vue sur cette appréciation et sur les conclusions qui en ont été tirées en ce qui concerne la fixation de l’amende.

34      La défenderesse réfute ces arguments comme étant non fondés. À son avis, la Décision, en reprenant fidèlement la structure et l’appréciation juridique de la communication des griefs, n’a aucunement modifié le raisonnement à la base de cette dernière. Elle soutient, en particulier, que tant la structure que de nombreux passages de la communication des griefs montrent bien que la Commission ne considérait pas l’ensemble des accords relatifs aux différents marchés de produits vitaminiques comme une seule et même infraction continue, mais comme une pluralité d’infractions séparées. La réponse de la requérante à la communication des griefs le prouverait également, dans la mesure où elle s’est référée, à l’avant-dernier paragraphe de la page 5, à plusieurs « infractions » et non à une seule.

35      Dans son mémoire en réplique, la requérante fait observer que la section de la communication des griefs décrivant les arrangements illégaux était intitulée « l’entente », alors que la section correspondante dans la Décision mentionne « les ententes ». Elle ajoute que la communication des griefs contenait de nombreuses indications que la Commission traitait d’une seule entente. En tout état de cause, indépendamment de la structure et de passages particuliers de la communication des griefs, le seul point pertinent serait la conclusion juridique figurant dans cette dernière, selon laquelle il y avait une entente unique aux fins du calcul des amendes.

36      En ce qui concerne le passage de sa réponse à la communication des griefs cité par la défenderesse, la requérante fait valoir qu’elle n’abordait pas là le problème de savoir si les arrangements illégaux constituaient une ou plusieurs infractions, mais se référait simplement aux circonstances atténuantes concernant le rôle de BASF dans l’entente.

b)     Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense du fait d’une explication insuffisante, dans la communication des griefs, des éléments que la Commission envisageait de prendre en compte dans le calcul des amendes

37      La requérante affirme que l’explication faite dans la communication des griefs des éléments pertinents pour le calcul des amendes qui lui ont été infligées était inadéquate et ne lui a pas permis d’exercer convenablement ses droits de la défense à l’égard du niveau de ces amendes.

38      La requérante fait remarquer que la communication des griefs est générale et vague dans ses explications des éléments sur lesquels la Commission avait l’intention de se fonder pour le calcul de l’amende. Après une section introductive générale, la communication des griefs n’aurait consacré que trois considérants, sur un total d’environ 230, à expliquer, en des termes standard et très généraux, comment la Commission se proposait de tenir compte de la gravité, de la dissuasion, de la durée et de toutes les circonstances aggravantes et atténuantes en fixant le montant des amendes. Un tel niveau d’explication des amendes envisagées serait incompatible avec les droits de la défense pour trois motifs principaux.

39      Premièrement, lorsqu’une entreprise coopère pleinement avec la Commission et ne conteste pas les faits, comme la requérante en l’espèce, l’objectif principal, voire unique, de la communication des griefs serait de permettre à cette entreprise de comprendre aussi clairement que possible la base sur laquelle la Commission se propose de lui infliger une amende.

40      Deuxièmement, les amendes infligées par la Décision seraient les plus élevées jamais imposées dans une procédure communautaire de droit de la concurrence et refléteraient un changement radical et sans précédent dans la politique de la Commission en matière d’amendes. À titre d’exemple, la requérante souligne que, avant application de la communication sur la coopération, les amendes infligées aux entreprises destinataires de la Décision atteignent dans leur ensemble près de 1 800 millions d’euros, soit un montant plus de six fois supérieur au montant total le plus élevé jamais atteint auparavant dans une seule affaire, à savoir 273 millions d’euros dans la décision 1999/243/CE de la Commission, du 16 septembre 1998, relative à une procédure d’application des articles 85 et 86 du traité CE (Affaire IV/35.134 – Trans-Atlantic Conference Agreement) (JO 1999, L 95, p. 1). Elle ajoute que l’amende globale résultant à sa charge avant application de la communication sur la coopération – près de 600 millions d’euros (voir point 17 ci-dessus) – est approximativement six fois plus importante que l’amende individuelle la plus élevée jamais imposée auparavant par la Commission, à savoir 102 millions d’euros à Volkswagen AG dans la décision 98/273/CE de la Commission, du 28 janvier 1998, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/35.733 – VW) (JO L 124, p. 60). Or, la portée de l’obligation de motiver et du droit d’être entendu au sujet des éléments fondamentaux sur lesquels l’institution entend se fonder pour déterminer le montant de l’amende devrait être proportionnée à l’importance de ce montant.

41      Troisièmement, les éléments qui n’auraient pas été adéquatement expliqués dans la communication des griefs seraient extrêmement significatifs, parce qu’ils auraient eu pour effet une augmentation substantielle de l’amende globale infligée à la requérante. Il en serait ainsi notamment de l’augmentation de 100 % aux fins de dissuasion, ayant amené la Commission à augmenter de 128,5 millions à 257 millions d’euros le montant de l’amende globale calculé en fonction de la gravité (voir points 14 et 15 ci‑dessus), ainsi que de l’appréciation selon laquelle la requérante était l’un des meneurs de l’entente, ayant amené la Commission à augmenter le montant de base de l’amende globale de 35 %, soit de plus de 153 millions d’euros, et à refuser une réduction plus importante de l’amende au titre de la communication sur la coopération (voir points 17 et 19 ci-dessus). La requérante souligne, en particulier, que la communication des griefs ne faisait aucunement mention de l’intention de la Commission d’imposer à BASF une augmentation de l’amende aussi importante au titre de la dissuasion et que l’attribution à BASF du rôle de meneur est incompatible avec la communication des griefs.

42      La défenderesse conteste le bien-fondé de ces griefs de la requérante.

2.     Appréciation du Tribunal

43      Par les premier et deuxième moyens, qu’il convient d’examiner conjointement, la requérante entend, en substance, obtenir l’annulation intégrale de l’article 3, sous b), de la Décision et, par conséquent, des amendes qui lui ont été infligées par celui-ci.

44      Il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé même s’il s’agit d’une procédure de caractère administratif (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 9, et du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, C‑176/99 P, Rec. p. I‑10687, point 19).

45      Faisant application de ce principe, l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et les articles 2 et 3 du règlement (CE) nº 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81] et [82] du traité CE (JO L 354, p. 18) – dispositions applicables en l’espèce ratione temporis – obligent la Commission à communiquer les griefs qu’elle fait valoir contre les entreprises et les associations intéressées et à ne retenir, dans ses décisions, que les griefs au sujet desquels ces dernières ont eu l’occasion de faire connaître leur point de vue.

46      Selon la jurisprudence, la communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, seraient‑ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n’est, en effet, qu’à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises pour qu’elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission adopte une décision définitive (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307, point 42, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 63, confirmé, sur pourvoi, par arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C‑283/98 P, Rec. p. I‑9855).

47      Cette exigence est respectée dès lors que la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans l’exposé des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 94, et arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 138).

48      S’agissant de l’exercice des droits de la défense à l’égard de l’imposition d’amendes, il ressort d’une jurisprudence constante que, dès lors que la Commission indique expressément, dans la communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci « de propos délibéré ou par négligence », elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises à être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 21, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Lögstör Rör/Commission, T‑16/99, Rec. p. II‑1633, point 193, confirmé, sur pourvoi, par arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P, C‑208/02 P et C‑213/02 P, non encore publié au Recueil, notamment point 428).

49      Il s’ensuit que, en ce qui concerne la détermination du montant des amendes, les droits de la défense des entreprises concernées sont garantis devant la Commission à travers la possibilité de faire des observations sur la durée, la gravité et le caractère anticoncurrentiel des faits reprochés (arrêts du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 235, et Lögstör Rör/Commission, point 48 supra, point 194).

50      Or, en l’espèce, la Commission a clairement mentionné, au point 229, sous b), de la communication des griefs, son intention d’imposer des amendes aux entreprises destinataires de cet acte.

51      La Commission a également indiqué, au point 227 de la communication des griefs, que l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, EEE avaient été enfreints de propos délibéré.

52      S’agissant de la gravité des faits reprochés, la Commission, après avoir rappelé, au point 226 de la communication des griefs, qu’elle prendrait en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché et l’étendue du marché géographique concerné – qui constituent autant de facteurs pertinents aux fins de l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction conformément au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices –, a précisé, au point 227, que la répartition des marchés et la fixation des prix d’un commun accord représentent de par leur nature même la violation la plus grave de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, EEE ; que les entreprises concernées étaient pleinement conscientes de l’illégalité de leur conduite ; qu’elles s’étaient concertées pour établir un système secret et institutionnalisé visant à restreindre la concurrence dans un secteur industriel majeur ; que les arrangements collusoires avaient affecté l’industrie des vitamines tout entière, qu’ils avaient été conçus, dirigés et encouragés à un très haut niveau au sein des entreprises concernées, qu’ils avaient opéré au bénéfice exclusif de ces dernières et au détriment de leurs clients et, en dernière analyse, du public généralisé, et qu’ils couvraient la totalité du marché commun et, après la création de l’EEE, tous les États membres de l’accord EEE.

53      Au point 226 de la communication des griefs, la Commission a également manifesté son intention de fixer les amendes à un niveau suffisant pour assurer leur caractère dissuasif.

54      La Commission a ensuite ajouté, au point 228, que, en vue de déterminer l’amende devant être imposée à chaque entreprise, elle allait prendre en considération, pour chacune d’entre elles, le rôle joué dans les arrangements collusoires, son importance dans l’industrie des vitamines, l’impact de son comportement infractionnel sur la concurrence et toute autre circonstance aggravante ou atténuante. Elle a évoqué expressément le rôle de meneur joué notamment par la requérante dans les arrangements collusoires.

55      Toujours au point 228, la Commission a également fait référence à la nécessité de prendre en considération la durée de la participation individuelle de chaque entreprise à ces arrangements, telle que précisée au point 220 pour chaque vitamine et pour chaque participant.

56      Il apparaît ainsi que la Commission a indiqué, dans sa communication des griefs, les éléments de fait et de droit sur lesquels elle se baserait dans le calcul du montant des amendes infligées à la requérante, de sorte que, à cet égard, le droit d’être entendu de cette dernière a été, à première vue, dûment respecté.

57      Il y a lieu, toutefois, d’examiner dans quelle mesure les arguments spécifiques que la requérante soulève dans le cadre de ses premier et deuxième moyens sont susceptibles d’infirmer cette conclusion.

58      Tel n’est pas le cas de l’argument tiré de l’objectif particulier qu’aurait la communication des griefs lorsqu’elle est adressée à une entreprise ayant pleinement coopéré avec la Commission et n’ayant pas contesté les faits (voir point 39 ci‑dessus). Ainsi que la défenderesse l’a fait valoir à juste titre, la fonction de la communication des griefs ne varie pas suivant la situation particulière de l’entreprise qui en est destinataire. Quel que soit le degré de coopération de cette entreprise, cette fonction reste celle de fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et associations d’entreprises pour qu’elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission adopte une décision définitive (arrêts Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, point 46 supra, point 42, et du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, point 46 supra, point 63). De ce point de vue, le fait que la requérante eût coopéré avec la Commission, reconnu avoir commis des faits infractionnels et décrit ces mêmes faits n’enlevait en rien son droit et son intérêt à recevoir de la Commission un acte exposant de manière précise tous les griefs que cette dernière faisait valoir à son encontre, y compris ceux pouvant se fonder sur des déclarations ou des preuves fournies par d’autres entreprises impliquées. L’argument de la requérante n’est d’ailleurs pas exempt de contradiction, dans la mesure où il se fonde expressément sur une circonstance, à savoir la non‑contestation des faits par la requérante, qui suppose logiquement l’envoi préalable de la communication des griefs exposant les accusations de la Commission et les faits sur lesquels celles-ci se fondent, communication dont la nature et la fonction ne sauraient dès lors nullement être affectées par une telle circonstance postérieure.

59      L’argument tiré, toujours dans le cadre du deuxième moyen, du changement radical et sans précédent que représenterait la Décision dans la politique de la Commission en matière d’amendes (voir point 40 ci‑dessus) ne saurait non plus prospérer. Sans qu’il soit besoin d’examiner si, et dans quelle mesure, les amendes infligées dans la Décision marquent effectivement, au vu de leurs montants élevés, une nouvelle étape dans cette politique, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence, la Commission n’est pas tenue d’indiquer, dans la communication des griefs, la possibilité d’un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne le niveau général des amendes, possibilité qui dépend de considérations générales de politique de concurrence sans rapport direct avec les circonstances particulières de l’affaire en cause (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 48 supra, point 22, et arrêt Lögstör Rör/Commission, point 48 supra, point 203). En effet, la Commission n’a pas l’obligation de mettre des entreprises en garde en les prévenant de son intention d’augmenter le niveau général du montant des amendes (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T‑12/89, Rec. p. II‑907, point 311, et Lögstör Rör/Commission, point 48 supra, point 203).

60      Est également dépourvu de fondement l’argument tiré, d’une manière particulièrement confuse et toujours dans le cadre du deuxième moyen, de l’absence, dans la communication des griefs, d’explication adéquate de deux éléments, selon la requérante « extrêmement significatifs », évoqués dans la Décision dans le cadre du calcul du montant des amendes, à savoir, d’une part, l’augmentation de 100 % aux fins de dissuasion et, d’autre part, l’attribution à la requérante du rôle de meneur (voir point 41 ci‑dessus).

61      S’agissant du second de ces éléments, la requérante semble en réalité faire valoir non une absence d’explications suffisantes dans la communication des griefs, mais un défaut de cohérence entre la communication des griefs et la Décision, en ce que cet élément, retenu dans la Décision, n’aurait pas figuré dans la communication des griefs. Or, à cet égard, force est de constater que, ainsi qu’il a été rappelé au point 54 ci-dessus, la communication des griefs évoquait expressément, au point 228, le rôle de meneur joué par la requérante, de sorte que l’incohérence alléguée par celle-ci n’existe pas.

62      S’agissant du premier élément évoqué au point 60 ci‑dessus, il n’incombait pas à la Commission d’annoncer à la requérante, dans la communication des griefs, l’ampleur d’une éventuelle augmentation de l’amende opérée afin d’assurer l’effet dissuasif de l’amende. En effet, la Commission n’est pas obligée, dès lors qu’elle a indiqué les éléments de fait et de droit sur lesquels elle basera son calcul du montant des amendes, de préciser la manière dont elle se servira de chacun de ces éléments pour la détermination du niveau de l’amende. Donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n’ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (arrêts de la Cour Musique diffusion française e.a./Commission, point 48 supra, point 21, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 19 ; arrêt Lögstör Rör/Commission, point 48 supra, point 200).

63      Il y a lieu d’examiner, ensuite, les arguments de la requérante développés dans le cadre de son premier moyen et leur incidence sur la conclusion provisoire formulée au point 56 ci‑dessus.

64      Par ce moyen, la requérante reproche à la Commission de ne pas lui avoir permis de présenter des observations sur un autre élément spécifique qui, à son avis, a eu une influence considérable et pénalisante dans le cadre du calcul du montant des amendes effectué dans la Décision, à savoir l’appréciation de la Commission selon laquelle les comportements reprochés étaient constitutifs d’une pluralité d’infractions distinctes, et non d’une seule infraction.

65      À cet égard, il convient, tout d’abord, de relativiser l’importance du grief que cette appréciation de la Commission a pu causer à la requérante.

66      La requérante part de l’idée que si la Commission avait conclu à l’existence en l’espèce d’une infraction unique, elle ne lui aurait imposé qu’une amende unique dont le montant de départ aurait été, conformément aux lignes directrices, à hauteur de 20 millions d’euros, alors que le montant de départ des huit amendes effectivement infligées à la requérante serait, en termes agrégés, huit fois plus important que le montant de départ envisageable pour une amende unique.

67      Or, une telle idée procède d’une lecture erronée des lignes directrices. En effet, conformément au point 1 A, deuxième alinéa, de celles-ci, les « montants envisageables » pour des « infractions très graves », telles que « de restrictions horizontales de type ‘cartel de prix’ et de quotas de répartition des marchés », vont « au-delà de 20 millions d’[euros] ». Il ne ressort donc nullement de ce passage des lignes directrices que le montant de départ d’une amende à infliger à une entreprise pour une infraction de telle nature doit en principe être limité à 20 millions d’euros.

68      Il y a lieu de relever que la Commission a précisé, au considérant 675 de la Décision, que, en vue de déterminer le montant de départ des amendes, elle a tenu compte de la taille des différents marchés de produits vitaminiques concernés. Or, à supposer même que la Commission eût conclu, dans sa Décision, à l’existence d’une seule infraction globale couvrant tous les différents marchés de produits vitaminiques en cause, elle aurait pu, conformément au critère exposé au considérant 675 de la Décision, tenir compte, lors de la fixation du montant de départ de l’amende unique à imposer, de la valeur agrégée de ces mêmes marchés. Le montant de départ aurait ainsi été fixé normalement à un niveau bien supérieur aux 20 millions d’euros constituant le seuil minimal indicatif pour une infraction très grave.

69      Au vu du caractère de « plancher », et non de « plafond », du montant de 20 millions d’euros mentionné, à titre indicatif, par les lignes directrices pour les infractions très graves, rien n’indique que, si la Commission avait conclu dans sa Décision à l’existence d’une infraction unique, elle aurait nécessairement dû fixer, pour l’amende unique à imposer à la requérante, un montant de départ inférieur à la somme des montants de départ effectivement fixés pour les huit amendes infligées à la requérante.

70      Certes, qualifier certains agissements illicites comme constitutifs d’une seule et même infraction ou d’une pluralité d’infractions distinctes n’est pas, en principe, sans conséquences sur la sanction pouvant être imposée, dès lors que la constatation d’une pluralité d’infractions distinctes peut entraîner l’imposition de plusieurs amendes distinctes, chaque fois dans les limites fixées à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non encore publié au Recueil, point 118) et donc dans le respect du plafond de 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédant l’adoption de la décision.

71      Toutefois, force est de constater que, en l’espèce, le fait pour la Commission d’avoir qualifié les faits constatés de plusieurs infractions distinctes n’a joué aucun rôle sous l’angle de l’application de ce plafond. En effet, la somme des amendes imposées à la requérante, même envisagée avant application de la communication sur la coopération (592,32 millions d’euros), reste largement au-dessous de la limite de 10 %, qui s’entend comme étant relative au chiffre d’affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 48 supra, point 119), la requérante ayant réalisé l’année précédant l’adoption de la Décision, soit l’année 2000, un chiffre d’affaires global de 35 946 millions d’euros (voir premier tableau du considérant 123 de la Décision).

72      Il convient d’ajouter que si la Commission avait conclu à l’existence, en l’espèce, d’une infraction unique couvrant tous les produits vitaminiques visés par la Décision, elle aurait vraisemblablement pu tenir compte, aux fins du calcul de l’amende à infliger à la requérante, également de ses agissements collusoires relatifs aux vitamines B 1 et H, que l’institution s’est cependant abstenue de sanctionner dans la Décision en considérant qu’il s’agissait d’infractions distinctes pour lesquelles son pouvoir de sanction était prescrit conformément au règlement n° 2988/74.

73      Les considérations qui précèdent, visant à mettre dans une perspective plus complète et objective l’argumentation de la requérante, ne sont toutefois pas suffisantes pour exclure que l’appréciation de la Commission selon laquelle il y a eu en l’espèce plusieurs infractions séparées ait pu avoir une quelconque incidence sur le niveau des amendes infligées à la requérante. Il convient donc d’examiner si la requérante a été mise en mesure d’exprimer, en réponse à la communication des griefs, son point de vue sur la question de savoir si les faits qui lui étaient reprochés dans la communication des griefs étaient constitutifs d’une infraction unique ou d’une pluralité d’infractions.

74      Il y a certes lieu d’admettre que, si la Commission, dans la communication des griefs, a bien identifié et décrit de manière détaillée les faits qui étaient reprochés aux entreprises destinataires et a indiqué les dispositions (l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE) qu’elle considérait comme susceptibles d’avoir été violées par ces mêmes faits, elle n’a pas pris clairement position sur ladite question.

75      En effet, d’une part, la requérante a raison de relever un certain nombre d’éléments dans la communication des griefs qui sont susceptibles d’indiquer que la Commission considérait les agissements anticoncurrentiels en cause comme constituant une infraction unique.

76      Il y a lieu de se référer, tout d’abord, au point 206, troisième alinéa, de la communication des griefs, où la Commission a observé ce qui suit :

« Nonobstant le nombre de producteurs, la variation dans la participation aux réunions et la diversité de leurs gammes de produits, l’ensemble d’arrangements collusoires constituait, en pratique et en fait, un mécanisme global visant à contrôler le marché mondial dans toute la gamme de produits vitaminiques, avec [Roche] au centre du réseau d’accords et d’arrangements.»

(« Notwithstanding the number of producers, the variation in the participation in the meetings and the diversity of their product ranges, the complex of collusive arrangements, in practice and in effect, constituted an overall coordinated scheme to control the world market across the whole range of vitamin products with [Roche] at the centre of the network of agreements and arrangements.»)

77      Il importe surtout de mentionner le point 212, deuxième alinéa, de la communication des griefs, où la Commission a notamment indiqué :

« Au vu de la continuité et de la similarité de méthode, la Commission considère qu’il est approprié de traiter dans le cadre d’une seule et même procédure l’ensemble d’accords couvrant les différentes vitamines. La Commission considérera cela comme une entente unique globale pour les vitamines, avec [Roche], BASF et Rhône-Poulenc formant la ‘masse’ principale et les autres producteurs adhérant au cartel, ou formant une partie de celui-ci, pour les vitamines particulières qu’ils produisent. »

(« Given the continuity and similarity of method, the Commission considers it appropriate to treat in one and the same procedure the complex of agreements covering the different vitamins. The Commission will consider this as one single overarching vitamin cartel with [Roche], BASF and Rhône-Poulenc forming the main ‘mass’ and the other producers adhering to, and forming a subset of, the cartel for the particular vitamins which they produce. »)

78      Au point 225, troisième et quatrième alinéas, de la communication des griefs, la Commission a souligné qu’il n’était pas possible de dire avec certitude que « l’infraction » avait entièrement cessé et qu’il était nécessaire d’exiger des entreprises destinataires de cette communication de mettre fin à « l’infraction ».

79      D’autre part, la défenderesse relève aussi à juste titre d’autres éléments dans la communication des griefs susceptibles de témoigner, au contraire, qu’elle envisageait de constater l’existence d’une pluralité d’infractions.

80      À cet égard, il convient de mentionner que, au point 212, troisième alinéa, de la communication des griefs, la Commission a notamment observé, en reprenant les termes de l’arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 111), ce qui suit :

« Rien n’interdit à la Commission de statuer par une décision unique sur plusieurs infractions, même si certains destinataires sont étrangers à certaines de ces infractions, à condition que la décision permette à tout destinataire de dégager avec précision les griefs retenus à son égard […] Au moment et au cas où une amende serait envisagée, la Commission tiendra pleinement compte du rôle joué par chaque participant et de la taille du marché de la vitamine spécifiquement concernée. »

(« There is no reason at all why the Commission should not make a single decision covering several infringements, even if some of the undertakings to which it is addressed are unconnected with some of these infringements, provided that the decision permits each addressee to obtain a clear picture of the complaints made against it. […] When and if any penalty is to be assessed, the Commission will take full account of the part played by each of the participants and the size of the market for the particular vitamin concerned. »)

81      Le point 212, premier alinéa, de la communication des griefs, énonce :

« La Commission considère que l’ensemble d’infractions de l’espèce présente toutes les caractéristiques d’un plein accord au sens de l’article 81 [CE]. »

(« The Commission considers that the complex of infringements in this case present all the characteristics of a full agreement in the sense of Article 81. »)

82      Le point 225, troisième alinéa, de la communication des griefs, indique notamment :

« Les infractions ont continué pour la plupart des produits longtemps après le début de l’enquête. »

(« The infringements continued for most products long after the start of the investigations. »)

83      Au point 226, quatrième alinéa, de la communication des griefs, la Commission a précisé que, en ce qui concerne l’application de la communication sur la coopération, elle allait prendre en considération toute coopération apportée par les producteurs « pour chaque produit pris séparément » (in relation to each product separately).

84      Les parties au présent litige évoquent plusieurs autres éléments textuels de la communication des griefs qui, à leurs yeux, confirment leur interprétation respective de cet acte sur le point de savoir s’il y avait une seule ou plusieurs infractions distinctes. Ces éléments, constitués notamment par l’utilisation de termes tels qu’« arrangement », « accord » ou « cartel » déclinés au singulier ou au pluriel, apparaissent moins significatifs.

85      Ainsi, d’une part, la défenderesse souligne notamment que les termes « ensemble d’accords » (complex of agreements), « ensemble d’accords et arrangements » (complex of agreements and arrangements), « accords de cartel » (cartel agreements), « accords collusoires » (collusive agreements), utilisés dans la communication des griefs, indiquent que la Commission considérait bien qu’il y avait eu en l’espèce plusieurs infractions séparées.

86      Or, de tels termes, de même que l’expression « arrangements collusoires » (collusive arrangements) figurant également dans la communication des griefs, ne peuvent être interprétés comme impliquant nécessairement une qualification juridique précise en termes de pluralité d’infractions. En effet, il ressort de la jurisprudence qu’une série de conduites ayant le même objet anticoncurrentiel et dont chacune, prise isolément, relève de la notion d’« accord », de « pratique concertée » ou de « décision d’association d’entreprises » au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE peuvent constituer des manifestations différentes d’une seule infraction à cet article (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 113).

87      D’autre part, la requérante, quant à elle, s’appuie sur de nombreux passages de la communication des griefs dans lesquels la Commission a employé le terme « cartel » sans évoquer l’une ou l’autre vitamine en particulier, notamment lorsque l’institution a indiqué, au point 195 de cette communication, pour affirmer sa compétence en l’espèce, que « le cartel a eu un effet substantiel sur le commerce entre les États membres de la CE et sur la concurrence à l’intérieur du marché commun » (the cartel had an appreciable effect on trade between EC Member States and competition in the Common Market).

88      Or, premièrement, l’utilisation du terme « cartel » n’implique pas nécessairement que l’on envisage l’existence d’une seule entente au sens de l’article 81 CE. En effet, ce terme peut indiquer une entente de type horizontal, mais il peut aussi être utilisé, de manière plus générale, pour caractériser une structure, une organisation responsable d’agissements illicites au regard des règles de concurrence. Il ne saurait donc être exclu que, dans la communication des griefs, le terme « cartel » ait été employé pour désigner l’organisation globale mise en place par les producteurs de vitamines, sans que cela préjuge de la possibilité de conclure à l’existence de plusieurs ententes et donc de plusieurs infractions. Deuxièmement, certaines affirmations formulées dans la communication des griefs par rapport au « cartel », comme celle relative aux effets de celui-ci sur le commerce entre États membres, figurant au point 195, ou celle relative à son caractère d’infraction délibérée aux articles 81 CE et 53 de l’accord EEE, figurant au point 227, peuvent aussi être interprétées en ce sens qu’elles tendaient en réalité à décrire des caractéristiques communes à toutes les ententes visées dans la communication des griefs, afin d’éviter une exposition inutilement répétitive, entente par entente, de ces caractéristiques.

89      S’agissant de la structure de la communication des griefs, sur laquelle s’appuie la défenderesse, elle est organisée de façon à donner, sous le titre C intitulé « le cartel », une description spécifique et détaillée des accords collusoires relatifs à chaque vitamine séparément, sous réserve d’un traitement conjoint réservé aux vitamines A et E, par ailleurs identifiées comme appartenant à des marchés distincts. Sous cette réserve ainsi nuancée, dans chaque section de ce titre C, la Commission a examiné un produit vitaminique donné, ses caractéristiques, ses producteurs et le marché y relatif (identifié comme un marché distinct), l’origine, la durée, le mécanisme fondamental, les réunions et le fonctionnement du cartel relatif à la vitamine concernée, ainsi que les participants à celui-ci. Nonobstant un intitulé au singulier (the cartel), le titre C de la communication des griefs laissait donc bien penser à une pluralité d’ententes distinctes.

90      Ainsi, une prise en considération d’ensemble de la communication des griefs suggère que la Commission a fait preuve, dans cet acte, d’évidentes hésitations quant à la qualification juridique précise à donner aux faits reprochés, en termes d’unité d’infraction ou de pluralité d’infractions, au-delà de l’indication non équivoque de leur contrariété à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE. La communication des griefs ne laissait donc pas ressortir clairement si la Commission envisageait de conclure à l’existence d’une ou de plusieurs infractions.

91      Cette constatation, néanmoins, n’implique pas pour autant que, dans ces conditions, en retenant dans la Décision l’existence d’une infraction distincte pour chacune des vitamines concernées, la Commission ait méconnu les droits de la défense de la requérante.

92      Il est vrai que, dans son arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 29), invoqué par la requérante, la Cour a indiqué que « [l]a communication des griefs doit énoncer, de manière claire, les faits sur lesquels se base la Commission ainsi que la qualification qui leur est donnée ».

93      Cependant, il est utile de rappeler également que, selon la jurisprudence, la décision constatant une infraction ne doit pas nécessairement être une copie exacte de la communication des griefs. La Commission doit en effet être en mesure de tenir compte, dans ladite décision, des réponses des entreprises concernées à la communication des griefs. À cet égard, elle doit pouvoir non seulement accepter ou rejeter les arguments des entreprises concernées, mais aussi procéder à sa propre analyse des faits avancés par celles-ci soit pour abandonner des griefs qui se seraient révélés non fondés, soit pour aménager ou compléter, tant en fait qu’en droit, son argumentation à l’appui des griefs qu’elle maintient (arrêts de la Cour ACF Chemiefarma/Commission, point 47 supra, points 91 et 92 ; Suiker Unie e.a./Commission, point 80 supra, points 437 et 438, et du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 68).

94      Il y a lieu, en particulier, de considérer que l’appréciation des faits relève de l’acte décisionnel même et que le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais non à la position finale que l’administration entend adopter (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 21 janvier 1999, Neue Maxhütte Stahlwerke et Lech‑Stahlwerke/Commission, T‑129/95, T‑2/96 et T‑97/96, Rec. p. II‑17, point 231, et du 3 décembre 2003, Audi/OHMI, T‑16/02, Rec. p. II‑5167, point 75).

95      Ainsi, d’une part, les droits de la défense ne sont violés du fait d’une discordance entre la communication des griefs et la décision finale qu’à condition qu’un grief retenu dans celle-ci n’ait pas été exposé dans celle‑là d’une manière suffisante pour permettre aux destinataires de se défendre. D’autre part, la qualification juridique des faits retenue dans la communication des griefs ne peut être, par définition, que provisoire et une décision ultérieure de la Commission ne saurait être annulée au seul motif que les conclusions définitives tirées de ces faits ne correspondent pas de manière précise à cette qualification provisoire. En effet, la Commission doit entendre les destinataires d’une communication des griefs et, le cas échéant, tenir compte de leurs observations visant à répondre aux griefs retenus en modifiant son analyse, précisément pour respecter leurs droits de la défense (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, non encore publié au Recueil, points 98 à 100)

96      En l’espèce, il y a lieu de considérer que, dans la Décision, la Commission n’a fait qu’aménager et expliciter en droit l’argumentation sur laquelle elle a fondé les griefs retenus et qu’elle n’a, dès lors, pas empêché la requérante de faire connaître son point de vue sur ces griefs avant que la Décision soit prise (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Hüls/Commission, T‑9/89, Rec. p. II‑499, points 59 à 65). En effet, la requérante aurait dû se rendre compte, à la lecture de la communication des griefs, que la Commission n’excluait pas de conclure à l’existence de plusieurs infractions distinctes. La Commission aurait certes pu éviter la confusion et la contradiction regrettables que caractérisent l’appréciation juridique contenue dans la communication des griefs quant à la question de savoir s’il s’agissait d’une seule ou de plusieurs infractions, pour peu qu’elle ait formulé de manière plus claire l’alternative qui se présentait à cet égard et sur laquelle elle se réservait de trancher dans sa décision finale. Néanmoins, cette confusion et cette contradiction n’ont pas empêché la requérante de faire connaître son point de vue sur cette question dans sa réponse à la communication des griefs.

97      Ainsi que la défenderesse l’a mis en exergue à juste titre, il ressort d’ailleurs de cette réponse que la requérante elle‑même était à tout le moins consciente du fait que la procédure administrative pouvait concerner une pluralité d’infractions. En effet, à la page 5 de cette réponse, au terme de la description des mesures qu’elle avait prises pour prévenir en son sein des futures violations du droit de la concurrence, la requérante faisait observer qu’elle avait « mis immédiatement fin aux infractions faisant l’objet de la présente procédure » (immediately brought to an end the infringements which are subject of this proceedings). Le fait, invoqué par la requérante, que cette observation ait été formulée dans le contexte de développements visant à convaincre la Commission à reconnaître en faveur de la requérante des circonstances atténuantes n’enlève rien à la possibilité d’en déduire que la requérante était consciente, à ce stade de la procédure administrative, que plusieurs infractions pouvaient être retenues à sa charge à l’issue de cette procédure.

98      En outre, c’est à juste titre que la défenderesse évoque le fait que, contrairement à la requérante, Roche, destinataire de la même communication des griefs, a formulé, dans sa réponse à cette communication, des observations quant à la question de savoir s’il y avait une ou plusieurs infractions. Peu importe, à cet égard, que Roche ait voulu préciser que, à son avis, la Commission devait conclure à l’existence d’une pluralité d’infractions séparées. Contrairement à ce que prétend la requérante, il ne saurait être déduit de cette orientation des observations de Roche que cette entreprise avait compris la communication des griefs dans le sens qu’une seule entente globale était reprochée aux destinataires de celle-ci. En tout état de cause, il n’y a pas lieu de s’interroger sur la question de savoir comment Roche a pu interpréter la communication des griefs, dans la mesure où ce qui importe est le contenu objectif de cette communication. Or, à cet égard, la requérante soutient à tort que la communication des griefs lui reprochait la participation à une seule entente globale. La communication des griefs contenait, à côté d’éléments allant en ce sens, de nombreux éléments allant dans le sens finalement retenu par la Commission dans sa Décision.

99      Dans ces conditions, la requérante était en mesure d’essayer, comme l’a fait Roche, d’orienter dans le sens qu’elle souhaitait l’analyse juridique de la Commission, laquelle, pour ce qui concerne la question de savoir si les comportements reprochés étaient constitutifs d’une seule ou de plusieurs infractions, apparaissait à l’évidence encore ouverte. Les ambiguïtés contenues dans la communication des griefs ne l’en empêchaient nullement. Le fait que la requérante n’ait pas développé, dans sa réponse à la communication des griefs, d’arguments sur cette question a donc relevé entièrement de son choix.

100    Ainsi, en adoptant une position finale claire et complète quant à la qualification juridique des faits infractionnels reprochés, consistant à imputer à la requérante autant d’infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE que de vitamines concernées par ces faits, la Commission n’a pas méconnu le droit de la requérante d’être entendue.

101    Il résulte de tout ce qui précède que les premier et deuxième moyens doivent être rejetés.

102    Enfin, pour autant que, lors de l’audience, en guise de remarque finale au terme de son exposition des arguments au soutien du premier moyen, la requérante a suggéré que la question soulevée par ce moyen n’est pas seulement une question de procédure et a fait observer que les lignes directrices ne prévoient pas que, pour une entente couvrant une pluralité de produits, la Commission puisse multiplier les amendes par le nombre de ces produits, il convient de constater que, à supposer que, par cette remarque, il ait été fait grief à la Commission également d’avoir violé les lignes directrices en concluant, dans la Décision, à l’existence d’autant d’infractions que de produits vitaminiques concernés et en infligeant ainsi à la requérante autant d’amendes, un tel grief, de toute évidence, dépasserait la portée dudit moyen et constituerait un moyen nouveau irrecevable, au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, dans la mesure où il ne se fonderait pas sur le moindre élément, de droit ou de fait, s’étant révélé pendant la procédure contentieuse.

B –  Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement lors de la fixation du montant de départ de certaines des amendes infligées à la requérante

1.     Arguments des parties

103    La requérante conteste les montants de départ des amendes qui ont été fixés pour elle par la Commission au titre de la gravité des infractions, lesquels seraient arbitraires, disproportionnés et contraires au principe d’égalité de traitement.

104    Elle rappelle qu’il est clairement affirmé dans la Décision, aux considérants 680 et 681, que, en calculant le montant de départ des amendes, il a été tenu compte, pour chaque entreprise, de son importance relative dans chacun des marchés de produit pertinents, et, plus précisément, de son chiffre d’affaires mondial pour chaque vitamine. Toutefois, la Commission n’aurait pas suivi ce critère et aurait opéré un traitement incohérent dans le calcul des montants de départ des amendes sous deux aspects principaux.

105    Premièrement, les montants de départ de certaines des amendes infligées à la requérante seraient disproportionnés par rapport à ceux fixés pour d’autres parties aux mêmes ententes. Ainsi, la requérante met en exergue que, pour les infractions relatives aux vitamines B 5, C et E, au bêta-carotène et aux caroténoïdes, le montant de départ de l’amende infligée à la requérante, exprimé en tant que pourcentage du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise pour la vitamine concernée, est bien plus important que celui fixé pour Roche, nonobstant le fait que la part de marché de Roche était, dans tous les cas, nettement plus élevée que celle de la requérante et que, même selon la Commission, le rôle de meneur de Roche dans les ententes était très différent de celui de la requérante.

106    Deuxièmement, les montants de départ de certaines des amendes infligées à la requérante varieraient de manière disproportionnée selon les différentes infractions, alors même que les parts de marché de la requérante pour les différentes vitamines concernées étaient très similaires. Ainsi, la requérante fait remarquer que, dans le cas des vitamines A et B 2, elle a été placée dans la seconde catégorie (derrière Roche), parce qu’elle avait des parts de marché de 32 et 29 % respectivement, alors que, dans le cas de la vitamine E, elle a été placée dans la première catégorie (avec Roche), même si sa part de marché (29 %) était équivalente ou inférieure à sa part de marché dans les cas des vitamines A et B 2 et malgré les similitudes dans la structure de ces trois marchés. La requérante conclut qu’elle aurait dû être placée dans la seconde catégorie pour toutes ces infractions et que ce traitement inégal, pour lequel aucune explication n’aurait été donnée par la Commission, est injustifié.

107    La défenderesse rétorque que les montants de départ des amendes infligées à la requérante se situent dans la fourchette qu’elle peut imposer en vertu de son pouvoir discrétionnaire et qu’ils sont objectivement justifiés.

108    En définissant les catégories relatives à chaque infraction, la défenderesse, pour pondérer convenablement les amendes, aurait considéré des ordres de grandeur au lieu de se baser sur des formules arithmétiques. En particulier, ainsi qu’il ressortirait des considérants 685, 689 et 691 de la Décision, les entreprises auraient été placées dans une seconde catégorie derrière Roche lorsque leurs parts de marché étaient sensiblement moins importantes que celles de Roche, comme cela aurait été le cas pour la requérante dans le contexte des infractions relatives aux vitamines B 5 et C.

109    Toutefois, pour les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes, il aurait été décidé, au vu des caractéristiques de ces deux marchés, détenus essentiellement par BASF et par Roche, que ces dernières avaient le même poids spécifique dans le fonctionnement du cartel et que l’écart des parts sur ces marchés ne constituait pas un indicateur valable du rôle joué par chaque entreprise dans l’infraction, ni de leur dimension globale. Ce serait pour cette raison qu’aucune catégorie distincte n’a été créée pour ces infractions et que le montant de départ des amendes a été établi en tenant compte de la seule taille du marché.

110    Dans le cadre de l’exécution des mesures d’organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal, la défenderesse a apporté certaines précisions quant à la méthode qu’elle a suivie dans la détermination des montants de départ des amendes infligées par la Décision.

111    En particulier, la défenderesse a indiqué que, afin de moduler, en fonction de la taille de chaque marché de produit vitaminique, le montant de départ correspondant à la gravité de chacune des infractions en tant que telle (ci-après le « montant de départ général »), elle avait eu recours aux données relatives à la taille du marché au niveau de l’EEE pour la dernière année complète de l’infraction. Elle a également spécifié ces données pour chacun des produits vitaminiques en question et a précisé que les montants de départ généraux, là où une répartition en catégories a été opérée par la Commission, sont restés associés à la première catégorie de chaque infraction.

112    Dans le même contexte, la défenderesse a indiqué comment elle avait fixé le montant de départ précis ayant été appliqué – pour chacune des infractions pour lesquelles elle avait réparti les membres de l’entente en catégories en application du point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices – aux entreprises classées dans la seconde catégorie. À cet égard, elle a expliqué avoir calculé le montant de départ pour la seconde catégorie selon le rapport entre la moyenne des chiffres d’affaires mondiaux liés au produit (ci‑après également les « chiffres d’affaires pertinents ») des entreprises classées dans cette catégorie et la moyenne des chiffres d’affaires pertinents des entreprises classées dans la première catégorie, sous réserve d’arrondis. Les données utilisées à cette fin auraient été celles de la dernière année civile complète de l’infraction, telles que rapportées, hors parenthèses, dans la première colonne des tableaux relatifs aux différents marchés de produits vitaminiques figurant au considérant 123 de la Décision.

113    Ainsi, à titre d’exemple, en ce qui concerne l’infraction relative à la vitamine A, le montant de départ général, fixé à 30 millions d’euros en fonction de la taille du marché européen de cette vitamine en 1998, a été imposé à Roche, classée dans la première catégorie, et a été réajusté pour BASF et Aventis, classées dans la seconde catégorie, à 18 millions d’euros, à savoir 60 % de 30 millions d’euros, étant donné que la moyenne des chiffres d’affaires pertinents de ces dernières représentait 60,64 % du chiffre d’affaires pertinent de Roche.

114    En prenant acte de ces explications – qu’elle considère essentielles et dont elle déplore qu’elles ne figuraient pas dans la Décision et qu’elle ne les a pas reçues par la Commission en temps voulu nonobstant plusieurs sollicitations en ce sens avant l’introduction du présent recours –, la requérante, lors de l’audience, a formulé des griefs supplémentaires à l’encontre des montants de départ fixés pour elle dans la Décision.

115    Ainsi, premièrement, en mettant d’abord en exergue que certaines des données fournies par la Commission dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, en ce qui concerne aussi bien la taille des marchés européens de produits vitaminiques que les montants de départ généraux, ne correspondaient pas à celles figurant dans la Décision, la requérante a fait observer que, lors de la modulation des montants de départ généraux en fonction de la taille des marchés européens du produit concerné, la Commission a fixé pour les marchés de taille plus petite un montant qui, exprimé en tant que pourcentage de la taille du marché, est nettement plus élevé que pour les marchés plus importants. Elle a ainsi fait grief à la Commission de n’avoir apporté aucun élément permettant de justifier cette circonstance.

116    Deuxièmement, la requérante a fait valoir qu’a été source de distorsions la méthode de la Commission consistant à créer des catégories et à calculer le montant de départ pour la seconde catégorie en fonction du rapport entre la moyenne des chiffres d’affaires pertinents des entreprises classées dans cette catégorie et la moyenne des chiffres d’affaires pertinents des entreprises classées dans la première catégorie. Cette méthode aurait conduit à imposer à la requérante, pour les infractions relatives aux vitamines B 5, C et E, des montants de départ sensiblement plus élevés que ceux qui auraient pu être obtenus, selon une méthode « classique, simple et plus rationnelle », en calculant ces montants directement en tant que pourcentage du montant de départ imposé à l’opérateur principal, sur la base du rapport entre le chiffre d’affaires pertinent de la requérante et celui de cet opérateur. Or, selon la requérante, cette méthode de catégories et de moyennes est incompatible avec les lignes directrices, qui ne mentionneraient nulle part de telles moyennes, lesquelles ne sauraient par ailleurs traduire le poids spécifique et par conséquent l’impact réel du comportement de chacune des entreprises partie à l’entente.

117    La défenderesse, lors de l’audience, a répliqué à ces griefs supplémentaires en faisant valoir, notamment, que la Décision explique à suffisance de droit comment les montants de départ des amendes ont été calculés, que le montant de départ général a été associé non à l’opérateur principal, mais à la première catégorie et donc à toutes les entreprises classées dans cette catégorie et que, même si d’autres approches étaient possibles, l’approche suivie en l’espèce est rationnelle et cohérente.

2.     Appréciation du Tribunal

a)     Remarques liminaires

118    À titre liminaire, il y a lieu d’observer qu’il ressort des considérants 655 à 775 de la Décision que les amendes imposées par la Commission du fait des infractions constatées à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE l’ont été en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et que la Commission – quand bien même la Décision ne se réfère pas explicitement aux lignes directrices – a déterminé le montant des amendes en faisant application de la méthode définie dans celles-ci.

119    Or, si la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lors de la fixation du montant de chaque amende, sans être tenue d’appliquer une formule mathématique précise (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59), elle ne peut se départir des règles qu’elle s’est elle‑même imposées (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II‑1711, point 53, confirmé, sur pourvoi, par arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C‑51/92 P, Rec. p. I‑4235). Les lignes directrices constituant un instrument destiné à préciser, dans le respect des règles de droit de rang supérieur, les critères que la Commission compte appliquer dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation dans la fixation des amendes, la Commission doit effectivement tenir compte des termes des lignes directrices en fixant le montant des amendes, notamment des éléments qui y sont retenus de manière impérative (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, non encore publié au Recueil, point 537).

120    Selon la méthode définie dans les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ pour le calcul du montant des amendes à infliger aux entreprises concernées un montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction. L’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les « infractions peu graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 000 et 1 million d’euros, les « infractions graves », pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 million et 20 millions d’euros et les « infractions très graves » pour lesquelles le montant des amendes envisageables va au-delà de 20 millions d’euros (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tirets). À l’intérieur de chacune de ces catégories, l’échelle des sanctions retenues permet, selon les lignes directrices, de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est en outre nécessaire, selon les lignes directrices, de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).

121    À l’intérieur de chacune des trois catégories d’infraction ainsi définies, il peut convenir, selon les lignes directrices, de pondérer, dans certains cas, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature et d’adapter en conséquence le point de départ du montant de base selon le caractère spécifique de chaque entreprise (point 1 A, sixième alinéa).

122    En l’espèce, la requérante ne conteste ni le caractère très grave des infractions qui lui sont reprochées dans la Décision ni les appréciations sur lesquelles la Commission s’est fondée pour conclure au caractère très grave de ces infractions et portant sur la nature de celles-ci, sur leur incidence réelle sur le marché et sur l’étendue du marché géographique en cause (considérants 662 à 674 de la Décision).

123    La requérante ne remet pas non plus en cause le critère, suivi en l’espèce par la Commission (considérant 675), consistant à tenir compte, aux fins de la fixation du montant de départ des amendes, de la taille des différents marchés de produits vitaminiques concernés. Ce critère s’est traduit essentiellement par la modulation, en fonction de la taille de chaque marché concerné, du montant de départ général, lequel a été ensuite associé à la première catégorie d’entreprises formée par la Commission pour chaque infraction, lorsqu’un traitement différencié a été appliqué au titre du point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, ou, en l’absence d’un tel traitement différencié, à toutes les entreprises impliquées.

124    En outre, au cours de la procédure écrite, la requérante n’a aucunement contesté le niveau absolu des montants de départ généraux. Même en ce qui concerne les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes, pour lesquelles aucune répartition en catégories n’a été effectuée par la Commission, la requérante n’a pas dénoncé, lors de ladite procédure, le caractère excessif, en termes absolus, du montant de 20 millions d’euros qui avait été fixé pour Roche et pour elle-même, mais l’absence de différenciation du montant entre les deux entreprises ou, en d’autres termes, le caractère excessif du montant fixé pour elle‑même par rapport au montant fixé pour Roche.

125    Néanmoins, lors de l’audience et sur la base des explications fournies par la défenderesse dans le cadre de l’exécution des mesures d’organisation de la procédure, la requérante a contesté la manière dont la modulation des montants de départ généraux a été concrètement opérée par la Commission. Par les arguments repris au point 115 ci‑dessus, elle évoque des prétendues incohérences entre les données dont la défenderesse affirme s’être prévalue et celles figurant dans la Décision, ainsi que l’absence de justification de la circonstance que, pour les marchés de taille plus petite, le montant de départ général, exprimé en tant que pourcentage de la taille du marché, est nettement plus élevé que pour les marchés plus importants.

126    Il convient d’examiner la recevabilité au regard de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure et, le cas échéant, le bien‑fondé de ces griefs nouveaux relatifs à la modulation des montants de départ généraux en fonction de la taille du marché affecté, avant de procéder à l’examen des griefs portant sur les montants de départ spécifiquement imposés à la requérante.

b)     Sur la modulation des montants de départ généraux en fonction de la taille du marché affecté

127    Il y a lieu de constater que les griefs soulevés par la requérante lors de l’audience en ce qui concerne la modulation des montants de départ généraux en fonction de la taille du marché affecté sont recevables, dans la mesure où ils se fondent sur des éléments ayant été révélés par la défenderesse en cours de procédure. Il convient, en particulier, de remarquer que, au considérant 675 de la Décision, en déclarant que « pour déterminer le montant de départ des amendes, [elle tenait] compte de la taille des différents marchés de produits vitaminiques concernés », la Commission n’a pas indiqué si elle se référait aux marchés au niveau de l’EEE ou au niveau mondial ni quelle était la période de référence retenue pour l’évaluation de la taille des marchés, questions qui ont été éclairées par les précisions apportées par la défenderesse dans le contexte des mesures d’organisation de la procédure (voir point 110 ci-dessus).

128    Ces griefs s’avèrent toutefois non fondés.

129    S’agissant des données pertinentes, il y a effectivement une discordance entre les allégations contenues dans la réponse de la défenderesse aux questions écrites et la Décision en ce qui concerne, d’une part, la taille du marché de la vitamine B 5 au niveau de l’EEE en 1998 et, d’autre part, les montants de départ généraux fixés pour les infractions relatives aux vitamines A, B 2 et C. Cette discordance n’a toutefois aucune conséquence pratique, en ce qu’elle est, à l’évidence, le résultat d’erreurs de plume commises par la défenderesse dans la rédaction de ladite réponse, ainsi que cette dernière l’a reconnu lors de l’audience en précisant que les données correctes étaient celles figurant dans la Décision.

130    S’agissant de l’absence de justification de la circonstance que, pour les marchés de taille plus petite, le montant de départ général, exprimé en tant que pourcentage de la taille du marché, est nettement plus élevé que pour les marchés plus importants, l’examen des données contenues dans la Décision, telles que reprises, pour chacun des huit marchés concernés, dans le tableau ci‑dessous (indiquant la taille du marché au niveau de l’EEE pour la dernière année complète de l’infraction ainsi que le montant de départ général exprimé en valeur absolue et en tant que pourcentage de la taille du marché), montre effectivement que l’argument de la requérante ne manque pas en fait :

Marché

Taille du marché EEE (A)

(en millions d’euros)

Montant de départ général (B)

(en millions d’euros)

B

en tant que pourcentage de A

Vitamine E

277

35

12,63 %

Vitamine C

166

30

18,07 %

Vitamine A

158

30

18,98 %

Bêta-carotène

63

20

31,74 %

Vitamine B 5

54

20

37,04 %

Vitamine B 2

45

20

44,44 %

Caroténoïdes

42

20

47,62 %

Vitamine D 3

22

10

45,45 %


131    Or, pour autant que la requérante invoque un défaut de motivation de la présente modulation des montants de départ généraux, il suffit, pour écarter un tel grief, de rappeler que, s’il est vrai que la Décision n’indique pas la méthode selon laquelle la Commission est parvenue à ces montants précis à partir de la taille des différents marchés en cause, la Cour a jugé que les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, points 39 à 47, et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit « PVC II », C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 463 et 464 ; voir, également, arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, non encore publié au Recueil, point 252). Par ailleurs, une fois que la défenderesse a précisé, en cours d’instance, les données qu’elle avait retenues pour évaluer la taille des marchés, la requérante a été mise en mesure d’apprécier le bien-fondé de la modulation ici en cause et de soulever, le cas échéant, des griefs à cet égard.

132    Pour autant que, par l’argument visé au point 130 ci‑dessus, la requérante conteste, en réalité, le bien-fondé de ladite modulation, force est de constater que son grief n’est pas suffisamment circonstancié, dans la mesure où la requérante n’indique pas en quoi le fait que, pour les marchés de taille plus petite, le montant de départ général, exprimé en tant que pourcentage de la taille du marché, est nettement plus élevé que pour les marchés plus importants, entacherait la Décision d’illégalité.

133    En tout état de cause, à supposer que la requérante invoque implicitement une violation du principe de proportionnalité, du principe d’égalité de traitement ou des lignes directrices, il importe de remarquer que le montant de départ général ne doit pas nécessairement représenter, dans tous les cas d’infractions très graves, le même pourcentage de la taille du marché affecté exprimée en termes de chiffre d’affaires agrégé.

134    Au contraire, les lignes directrices prévoient comme point de départ du calcul de l’amende un montant déterminé à partir de fourchettes reflétant les différents degrés de gravité des infractions (voir les « montants envisageables » visés au point 1 A, deuxième alinéa, des lignes directrices) et qui, comme tels, n’ont pas de rapport avec le chiffre d’affaires pertinent. La requérante ne conteste pas cette méthode, constituant, en définitive, la principale innovation des lignes directrices et qui repose ainsi essentiellement sur une tarification, quoique relative et souple, des amendes (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 48 supra, point 225). Or, cette méthode n’impose nullement – pas plus d’ailleurs qu’elle n’interdit – la prise en compte, aux fins de la détermination du montant de départ général, de la taille du marché affecté et elle impose donc d’autant moins à la Commission de fixer ce montant selon un pourcentage fixe du chiffre d’affaires agrégé du marché.

135    Par ailleurs, à supposer même que la Commission se doive toutefois – lorsqu’elle constate plusieurs infractions très graves dans une seule et même décision et qu’elle décide de moduler les montants de départ généraux pour tenir compte de la taille des différents marchés affectés – de respecter un rapport strictement proportionnel entre ces montants et la taille de ceux-ci, rien n’indiquerait en l’espèce que les montants de départ généraux fixés pour les infractions affectant les plus petits marchés seraient trop élevés. En effet, l’application d’un tel critère pourrait tout aussi bien aboutir à la fixation de montants de départ généraux encore plus élevés pour les infractions affectant les marchés les plus importants. La requérante n’allègue ni ne démontre, en particulier, que le principe de proportionnalité imposait de fixer pour toutes les infractions de l’espèce un montant de départ général égal, comme pour l’infraction relative à la vitamine E, à 12,63 % de la taille du marché affecté.

136    L’examen des données pertinentes montre plutôt que la défenderesse a effectué d’une manière raisonnable et cohérente la modulation des montants de départ généraux en fonction de la taille du marché. En effet, il résulte du tableau au point 130 ci-dessus que la Commission a fixé des montants de départ généraux d’autant plus importants qu’était importante la taille du marché (voir colonnes 2 et 3), sans se tenir pour autant à une formule mathématique précise, ce à quoi elle n’était pas tenue en tout état de cause. Ainsi, pour le marché nettement plus important, celui de la vitamine E, le montant de départ général a été fixé à 35 millions d’euros ; pour les deux marchés suivant en ordre d’importance, ceux de la vitamine C et de la vitamine A, pratiquement de même taille, le montant de départ général a été fixé à 30 millions d’euros ; pour les autres marchés, de taille manifestement plus réduite, la Commission, bien que les lignes directrices prévoient, pour des infractions très graves, la fixation d’un montant au titre de la gravité allant « au-delà de 20 millions d’[euros] », a estimé opportun de limiter ce montant à 20 millions d’euros, ou, dans le cas du marché le plus petit, dont la taille était à hauteur de 20 millions d’euros, de le baisser jusqu’à 10 millions d’euros.

137    Dans ces conditions, force est de conclure que les arguments de la requérante ne sont pas de nature à révéler un quelconque vice affectant la légalité de la modulation des montants de départ généraux selon la taille des différents marchés affectés, telle qu’effectuée dans la Décision.

c)     Sur les montants de départ spécifiques imposés à la requérante

138    Il convient d’examiner, ensuite, les griefs soulevés par la requérante, dans ses écritures (voir points 104 à 106 ci‑dessus) et lors de l’audience (voir point 116 ci‑dessus), à l’encontre des montants de départ tels qu’ils lui ont été spécifiquement imposés pour les infractions relatives aux vitamines B 5, C et E, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes.

139    La requérante critique le fait que, contrairement à ce qui avait été annoncé par la Commission aux considérants 680 et 681, ses montants de départ n’ont pas été déterminés en tant que pourcentage des montants de départ fixés pour l’opérateur principal, Roche, selon le rapport entre le chiffre d’affaires pertinent de la requérante et celui de Roche, ou, ce qui revient au même, le fait que les montants de départ de BASF et de Roche ne représentent pas le même pourcentage de leurs chiffres d’affaires pertinents respectifs.

140    La requérante fait remarquer que, pour la vitamine E, si Roche et elle‑même se sont vu fixer un même montant de départ s’élevant à 35 millions d’euros, ce montant représente toutefois 14 % de son chiffre d’affaires pertinent au cours de la dernière année civile complète de l’infraction (1998), alors qu’il représente seulement 10 % du chiffre d’affaires correspondant de Roche. Ainsi, exprimé en tant que pourcentage du chiffre d’affaires individuel pertinent, le montant de départ fixé pour la requérante serait de 40 % plus élevé que celui fixé pour Roche, alors même que la part de cette dernière dans le marché mondial de la vitamine E était environ 50 % plus importante que celle de la requérante. Une anomalie similaire se présenterait en ce qui concerne les vitamines B 5 et C et, dans des proportions encore plus importantes, en ce qui concerne le bêta‑carotène et les caroténoïdes, les montants de départ fixés pour la requérante, toujours exprimés en tant que pourcentage de son chiffre d’affaires pertinent, s’avérant, pour chacun de ces deux derniers produits, trois fois supérieurs à ceux de Roche, même si la part de marché de Roche représentait, dans les deux marchés, environ trois fois celle de la requérante.

141    À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, pour les infractions relatives à la vitamine E, au bêta-carotène et aux caroténoïdes, la requérante s’est vu fixer un montant de départ identique, en valeur absolue, à celui de Roche. Cela est la conséquence soit de l’insertion de Roche et de BASF dans la même catégorie (la première), lorsqu’une répartition des entreprises en catégories a été opérée par la Commission (vitamine E), soit de l’absence de répartition des entreprises en catégories ou de toute autre forme de traitement différencié (bêta-carotène et caroténoïdes).

142    En revanche, pour les infractions relatives aux vitamines B 5 et C, la requérante s’est vu fixer un montant de départ inférieur, en valeur absolue, à celui de Roche. Cela est la conséquence du classement de la requérante dans une catégorie distincte et inférieure (la seconde) à celle dans laquelle a été placée Roche.

143    Or, d’une part, force est de constater, avec la défenderesse, que, aux considérants 680 et 681 de la Décision, la Commission n’a nullement indiqué qu’elle allait fixer les montants de départ des amendes directement en fonction du chiffre d’affaires pertinent des entreprises concernées, par exemple proportionnellement à ce chiffre. Lesdits considérants font en revanche ressortir que le chiffre d’affaires pertinent serait utilisé pour apprécier l’importance relative de chaque entreprise sur le marché concerné dans le cadre de la répartition des entreprises en catégories, opération visant à moduler le montant de départ général – défini en fonction de la nature de l’infraction, de l’incidence de l’infraction sur le marché concerné, de l’étendue du marché géographique en cause ainsi que de la taille du marché concerné – en vue de tenir compte, conformément au point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, de la « capacité économique effective de [chaque entreprise] de créer un dommage important à la concurrence » et du « poids spécifique » de chaque entreprise « et, partant, [de] l’incidence réelle de son comportement illicite sur la concurrence » (voir points 11 et 12 ci‑dessus). De plus, en ce qui concerne les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes, il ressort clairement des considérants 682, 695 et 696 que le critère suivi par la Commission aux fins de la fixation des montants de départ a été précisément celui d’écarter tout traitement différencié pour les deux seules entreprises impliquées dans ces infractions (voir point 13 ci‑dessus).

144    D’autre part, il convient d’observer que la méthode de calcul du montant des amendes exposée dans les lignes directrices ne se base pas sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées et que les lignes directrices ne s’écartent pas pour autant de l’article 15 du règlement n° 17, tel qu’interprété par la jurisprudence (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 282, confirmé, notamment sur ce point, par l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 48 supra, points 254 à 257 et 261).

145    En effet, selon la jurisprudence, la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en question, d’effectuer son calcul de l’amende à partir de montants basés sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées, ni d’assurer, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différenciation entre celles-ci quant à leur chiffre d’affaires global ou à leur chiffre d’affaires sur le marché du produit en cause (arrêt LR AF 1998/Commission, point 144 supra, point 278, confirmé, notamment sur ce point, par l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 48 supra, points 255 et 312).

146    À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence bien établie selon laquelle la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, Rec. p. I‑1611, point 54, et arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 33 ; arrêt LR AF 1998/Commission, point 144 supra, point 279).

147    Ainsi, il est certes loisible pour la Commission, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte du chiffre d’affaires lié aux produits faisant l’objet de l’infraction en tant qu’élément d’appréciation de la gravité de l’infraction, mais il ne faut pas attribuer à ce chiffre une importance disproportionnée par rapport à d’autres éléments d’appréciation, la fixation du montant des amendes ne pouvant être le résultat d’un simple calcul basé sur ce chiffre (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 48 supra, points 120 et 121, et LR AF 1998/Commission, point 144 supra, point 280).

148    Par ailleurs, bien que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d’affaires pertinent, elles ne s’opposent pas à ce qu’un tel chiffre soit pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin de respecter les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l’exigent. De plus, les lignes directrices soulignent que le principe d’égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l’exigent, à l’application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différenciation obéisse à un calcul arithmétique (point 1 A, septième alinéa) (arrêt LR AF 1998/Commission, point 144 supra, points 283 à 285, confirmé, notamment sur ce point, par l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 48 supra, points 258 et 259).

149    S’agissant des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, invoqués par la requérante, ils ne commandent pas non plus que le montant de départ de l’amende représente pour tous les différents membres d’une entente un pourcentage identique du chiffre d’affaires individuel (voir, en ce sens, arrêt Lögstör Rör/Commission, point 48 supra, point 303).

150    Le fait que le montant de départ de l’amende ne représente pas nécessairement pour tous les membres d’une entente un pourcentage identique de leur chiffre d’affaires respectif est d’ailleurs inhérent à la méthode consistant à répartir les entreprises en catégories, laquelle entraîne une forfaitisation du montant de départ fixé aux entreprises appartenant à une même catégorie. Or, le Tribunal a déjà jugé qu’une telle méthode, bien qu’elle revienne à ignorer les différences de taille entre entreprises d’une même catégorie, ne saurait, en principe, être censurée (arrêts du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 385, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra, point 217).

151    Il s’ensuit que le simple fait que, pour certaines des amendes infligées par la Décision, le pourcentage du chiffre d’affaires pertinent de BASF que représente le montant de départ spécifique de cette entreprise s’avère supérieur au pourcentage du chiffre d’affaires correspondant de Roche que représente le montant de départ spécifique de cette dernière ne démontre pas en soi que la Commission a violé les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement. Il n’en va pas différemment si l’on considère en même temps, comme la requérante l’invoque, la disparité des deux entreprises en termes de parts du marché mondial, puisqu’une telle disparité n’ajoute rien à la comparaison effectuée par la requérante entre les montants de départ spécifiques exprimés en tant que pourcentage du chiffre d’affaires pertinent. Cette comparaison, en effet, en ce qu’elle se fonde sur les chiffres d’affaires mondiaux respectifs des deux entreprises pour le produit en cause, prend déjà en compte la disparité de leurs parts du marché mondial, étant donné que ces parts sont obtenues à partir de ces chiffres.

152    Au demeurant, l’argumentation de la requérante fondée sur la comparaison entre les montants de départ imposés à elle et ceux imposés à Roche peut être comprise comme visant, en dernière analyse, à faire constater que :

a)      s’agissant de l’infraction relative à la vitamine E, pour laquelle Roche et la requérante se sont vu fixer un montant de départ identique par leur inclusion dans une seule et même catégorie, la requérante aurait dû, sur la base du critère du chiffre d’affaires pertinent, évoqué au considérant 681 de la Décision, se voir appliquer un montant de départ inférieur à celui fixé pour Roche et donc être classée, à cet effet, dans une catégorie distincte et inférieure par rapport à celle de Roche ;

b)      s’agissant des infractions relatives aux vitamines B 5 et C, pour lesquelles la requérante a été classée dans une catégorie distincte et inférieure à celle de Roche et s’est vu ainsi fixer un montant de départ inférieur à celui fixé pour Roche, les montants de départ choisis ne reflètent pas adéquatement les situations des deux entreprises différant au regard du critère susvisé ;

c)      s’agissant des infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes, pour lesquelles Roche et la requérante se sont vu fixer un montant de départ identique par l’absence de répartition des entreprises en catégories ou de toute autre forme de traitement différencié, la Commission aurait dû, au regard du même critère, différencier le traitement à appliquer à ces deux entreprises en fixant pour la requérante des montants de départ inférieurs à ceux fixés pour Roche.

153    Il y a lieu d’examiner, en premier lieu, l’argument visé sous a) conjointement avec l’argument que la requérante tire, pour contester son classement dans la première catégorie de l’infraction relative à la vitamine E, d’une comparaison entre ce classement et celui qui lui a été réservé en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et B 2 (voir point 106 ci‑dessus).

154    L’argument visé sous b) sera abordé en deuxième lieu, conjointement avec la contestation avancée par la requérante lors de l’audience (voir point 116 ci‑dessus) et recevable au regard de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, car fondée sur des éléments s’étant révélés pendant la procédure, quant à la méthode consistant à déterminer sur la base de moyennes le montant de départ à associer à la seconde catégorie, étant précisé que la contestation avancée en même temps à l’audience contre la méthode consistant à créer des catégories est irrecevable au regard dudit article et se heurte en tout état de cause à la conclusion déjà formulée au point 150 ci‑dessus, in fine.

155    L’argument visé sous c), concernant les infractions relatives au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, sera examiné en troisième lieu.

 Vitamine E

156    Pour autant que la requérante conteste la manière dont la Commission a concrètement effectué la répartition des entreprises en catégories pour ce qui concerne l’infraction relative à la vitamine E, il y a lieu d’observer qu’une répartition en catégories doit respecter le principe d’égalité de traitement selon lequel il est interdit de traiter des situations comparables de manière différente et des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Par ailleurs, le montant des amendes doit, au moins, être proportionné par rapport aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction (arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra, point 219, et la jurisprudence citée).

157    Pour vérifier si une répartition des membres d’une entente en catégories est conforme aux principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, le Tribunal, dans le cadre de son contrôle de légalité de l’exercice du pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose en la matière, doit toutefois se limiter à contrôler que cette répartition est cohérente et objectivement justifiée (arrêts CMA CGM e.a./Commission, point 150 supra, points 406 et 416, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra, points 220 et 222), sans substituer d’emblée son appréciation à celle de la Commission.

158    Or, en l’espèce, mises à part les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes, pour lesquelles elle a estimé qu’il n’y avait pas lieu de former des catégories (voir considérants 695 et 696 de la Décision), la Commission a procédé, pour chacune des infractions constatées dans la Décision, à une répartition en deux catégories : une première catégorie, comprenant le principal producteur ou les principaux producteurs de la vitamine concernée sur le marché mondial, et une seconde catégorie, comprenant le (ou les) autre(s) producteur(s) de cette vitamine « dont les parts de marché étaient sensiblement inférieures » (voir considérants 683, 685, 687, 689, 691 et 693 de la Décision).

159    Il y a lieu de considérer qu’une répartition des producteurs en deux catégories, les principaux et les autres, est une manière non déraisonnable de prendre en compte leur importance relative sur le marché afin de moduler le montant de départ spécifique, pour autant qu’elle n’aboutisse pas à une représentation grossièrement déformée des marchés en cause.

160    S’agissant de la mise en œuvre, infraction par infraction, de cette méthode de répartition suivie dans la Décision, il y a lieu de relever que si, au considérant 681 de la Décision, la Commission a indiqué qu’elle prendrait en considération « les données relatives au chiffre d’affaires mondial imputable au produit en question pour la dernière année civile complète de l’infraction », il apparaît néanmoins, à la lumière d’autres passages de la Décision – et la défenderesse l’a en substance confirmé en réponse à une question écrite posée par le Tribunal dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure –, que, aux fins de classer les entreprises en catégories, la Commission s’est en réalité fondée sur les parts de marché détenues au niveau mondial par ces entreprises au cours de l’intégralité de la période infractionnelle.

161    En effet, le considérant 682 de la Décision précise que « les facteurs utiles au classement des producteurs dans les différentes catégories » sont indiqués « séparément pour chacune des vitamines » aux considérants 683 à 696.

162    Il ressort de ces considérants que, en ce qui concerne chacune des infractions relatives aux vitamines A, E, B 2, B 5, C et D 3, la Commission a établi deux catégories « sur la base du critère de l’importance relative des entreprises sur [le] marché » et a fixé les montants de départ « compte tenu [de ces] catégories ». Aux fins du classement de chaque entreprise dans la première ou dans la seconde catégorie de chaque infraction, la Commission s’est appuyée sur les données relatives aux parts de marché. Toutefois, à la lumière des données reprises aux considérants 691 et 693 de la Décision, il s’avère que ces parts de marché n’ont pas été obtenues à partir des chiffres d’affaires mondiaux imputables au produit en question pour la dernière année civile complète de l’infraction (affichés hors parenthèses dans la deuxième colonne des tableaux relatifs aux différents marchés de produits vitaminiques figurant au considérant 123 de la Décision), mais constituent les parts moyennes de marché détenues par les entreprises au cours, en substance, de l’intégralité de la période infractionnelle (ces parts de marché moyennes étant celles affichées entre parenthèses dans la deuxième colonne desdits tableaux).

163    Dans ces conditions, force est de constater que la référence à la dernière année civile complète de l’infraction, figurant au considérant 681 de la Décision, résultant d’une erreur de plume, s’avère inopérante et ne fait donc pas partie intégrante de la motivation à la base du classement des entreprises dans l’une ou dans l’autre catégorie.

164    Ainsi, en s’appuyant sur les parts de marché sur le plan mondial, directement déduites du chiffre d’affaires mondial lié au produit pour l’intégralité de la période infractionnelle, la Commission a distribué les opérateurs dans les deux catégories susvisées ainsi qu’il suit :


Vitamines

1re catégorie

Producteur(s) principal(aux)

(part de marché)

2e catégorie

Autres(s) producteur(s)

(part de marché)

Vitamine A

44 %

32 % - 20 %

Vitamine E

43 % - 29 %

14 % - 10 %

Vitamine B 2

47 %

29% - 12 %

Vitamine B 5

36 % - 29 %

21 %

Vitamine C

40 % - 24 %

8 % - 6%

Vitamine D 3

40 % - 32 %

15 % - 9 %


165    Il ressort de ces données que la Commission a toujours placé le seuil où se situe l’écart maximal, même si la différence est d’un point de pourcentage. La catégorie des principaux producteurs n’a été limitée à une entreprise que lorsque celle-ci a des parts de marché très élevées (44 et 47 %). Certes, des parts de marché de 29 % ont été considérées comme relevant soit de la première, soit de la seconde catégorie, mais la position relative de l’entreprise disposant de ces parts était différente : le classement en seconde catégorie correspondait à un écart de 18 points de pourcentage avec le producteur principal (vitamine B 2), contre un écart de 7 et 14 points seulement pour le classement en première catégorie (vitamines B 5 et E). Le seul cas où des parts de marché de 24 % ont justifié le classement d’une entreprise comme « principal producteur » (vitamine C) correspond à un écart de 16 points de pourcentage seulement avec le leader du marché et à une position très marginale (8 et 6 %) des autres producteurs.

166    En ce qui concerne, plus particulièrement, l’infraction relative à la vitamine E, l’écart limité entre Roche, premier opérateur, et la requérante (14 points de pourcentage), compte tenu de la part de marché non particulièrement élevée de Roche, a pu permettre à la Commission, en toute cohérence et en toute objectivité et donc sans violer les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, de traiter la requérante à l’instar du premier opérateur, et à la différence des troisième et quatrième opérateurs, comme « principal producteur » et, partant, de fixer pour elle le même montant de départ que pour Roche.

167    S’agissant, ensuite, de la comparaison effectuée par la requérante entre sa situation dans l’infraction relative à la vitamine E et sa situation dans les infractions relatives aux vitamines A et B 2 (voir point 106 ci‑dessus), elle n’est pas susceptible d’aboutir à la constatation d’une violation du principe d’égalité de traitement – laquelle suppose qu’une personne ou catégorie de personnes soit discriminée par rapport à une autre personne ou catégorie de personnes. Cette comparaison ne pourrait aboutir, au plus, qu’à la constatation de l’existence, dans l’un ou dans les autres cas, d’une erreur d’appréciation commise par la Commission dans l’application du critère choisi pour la répartition en catégories. Toutefois, à la supposer établie, la différence de traitement alléguée par la requérante, en elle-même, ne permettrait pas d’identifier le traitement approprié qu’il fallait réserver à la requérante lors de la répartition des entreprises en catégories pour ces trois infractions et ne suffirait pas pour justifier l’insertion de la requérante dans la seconde catégorie de l’infraction relative à la vitamine E. L’argumentation de la requérante est donc inopérante.

168    En tout état de cause, ainsi que la défenderesse l’a fait valoir à juste titre, il ne saurait être estimé que les situations ainsi évoquées par la requérante étaient comparables du fait qu’elle a détenu, dans chacun des trois marchés en cause, une part de marché identique ou très similaire. En effet, puisqu’il s’agissait pour la Commission d’apprécier l’importance des entreprises sur chaque marché en termes relatifs, cette circonstance invoquée par la requérante ne peut être évaluée en faisant abstraction de la distribution des parts de marché. Or, cette distribution dans le marché de la vitamine E n’était pas comparable à celle qui caractérisait les marchés des vitamines A et B 2. D’une part, la position du premier opérateur était plus forte dans ces derniers marchés. D’autre part, contrairement à ce qui était le cas dans les marchés des vitamines A et B 2, dans le marché de la vitamine E, la part de BASF était plus proche de celle du premier opérateur que de celle du troisième opérateur, 14 et 15 points de pourcentage séparant BASF respectivement de l’un et de l’autre. Le fait que le classement de BASF dans l’infraction relative à la vitamine E soit différent de celui dont elle a fait l’objet en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et B 2 n’est donc pas dépourvu de justification objective.

169    Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi que le montant de départ spécifique de l’amende lui ayant été infligée pour l’infraction relative à la vitamine E a été fixé en violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

 Vitamines B 5 et C

170    Pour autant que la requérante considère insuffisante, au regard des différences dans les chiffres d’affaires pertinents individuels, la différenciation entre les montants de départ fixés pour elle et pour Roche s’agissant des infractions relatives aux vitamines B 5 et C, il y a lieu d’examiner si la méthode choisie par la Commission pour calculer ces montants est conforme aux principes de proportionnalité et d’égalité de traitement. À cet égard, même si la Commission n’est pas tenue de déterminer le montant des amendes sur la base d’une formule mathématique précise, elle est cependant tenue d’exercer sa marge d’appréciation d’une manière cohérente et objectivement justifiée (arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 150 supra, point 431).

171    Il importe de rappeler que, comme pour la vitamine E et pour d’autres vitamines, la Commission, dans la Décision, a opéré la répartition en catégories des entreprises impliquées dans les ententes relatives aux vitamines B 5 et C sur la base de l’importance relative de chacune d’entre elles sur le marché concerné, appréciée à l’aide des parts moyennes de marché pour la période infractionnelle.

172    Il est utile de rappeler également que le montant de départ associé à la première catégorie de chaque infraction est le montant de départ général, à savoir celui résultant, dans la Décision, de l’appréciation selon laquelle les infractions constatées étaient très graves et de la prise en compte de la taille du marché concerné au niveau de l’EEE.

173    Ni la Décision ni les écritures de la défenderesse n’exposant toutefois la méthode de calcul suivie pour obtenir les montants de départ précis appliqués, pour chacune des infractions, à la seconde catégorie d’entreprises constituée par la Commission, le Tribunal, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a invité la défenderesse à expliquer cette méthode, qui, basée sur un système de moyennes, est résumée aux points 112 et 113 ci‑dessus.

174    La requérante conteste ce système de moyennes, en faisant valoir que son montant de départ spécifique aurait dû être calculé exclusivement en fonction du rapport entre son propre chiffre d’affaires pertinent et celui de Roche en tant qu’opérateur principal.

175    Pour autant qu’une telle contestation tend en réalité à remettre en cause soit la forfaitisation des montants de départ pour les entreprises appartenant à une même catégorie – et donc la méthode même de la répartition en catégories à laquelle une telle forfaitisation est inhérente ‑, soit le nombre de catégories créées en l’occurrence par la Commission, prétendument insuffisant, elle ne saurait être retenue, pour les raisons déjà exposées, respectivement, au point 150 et aux points 159, 164 et 165 ci‑dessus.

176    Pour autant que, sans remettre en cause la forfaitisation des montants de départ pour les entreprises appartenant à une même catégorie ou le nombre de catégories créées en l’occurrence par la Commission, cette contestation est simplement dirigée contre le fait pour la Commission d’avoir eu recours aux chiffres d’affaires moyens de chaque catégorie pour obtenir les montants de départ spécifiques pour les entreprises classées dans la seconde catégorie, force est de constater que la requérante n’a pas montré en quoi une telle approche serait dépourvue de cohérence ou de justification objective, alors même qu’elle apparaît, à première vue, de nature à permettre une pondération logique et équilibrée des montants de départ relatifs à la seconde catégorie.

177    Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi que les montants de départ spécifiques des amendes lui ayant été infligées pour les infractions relatives aux vitamines B 5 et C ont été fixés en violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

 Bêta-carotène et caroténoïdes

178    Pour autant, enfin, que la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir différencié son traitement par rapport à celui de Roche en ce qui concerne les montants de départ spécifiques pour les infractions relatives au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, il convient de rappeler que le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices prévoit, « [d]ans le cas d’infractions impliquant plusieurs entreprises (type ‘cartel’) », la possibilité de « pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l’intérieur de chacune des trois catégories [d’infractions] afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence ». Selon cet alinéa, cette approche est appropriée « notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature ».

179    En l’espèce, la Commission a indiqué, aux considérants 695 et 696 de la Décision, que, étant donné que les marchés mondiaux du bêta-carotène et des caroténoïdes étaient « essentiellement entre les mains de deux grands producteurs », il n’y avait pas lieu de créer des catégories d’entreprises distinctes pour fixer les montants de départ des amendes. Roche et BASF, ayant détenu ensemble 100 % de chacun de ces deux marchés aux cours de la période infractionnelle, se sont ainsi vu fixer, pour chacune des deux infractions en cause, un montant de départ de 20 millions d’euros (voir point 13 ci‑dessus).

180    À cet égard, il résulte de l’utilisation de l’expression « dans certains cas » et du terme « notamment », figurant au point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices, qu’une pondération en fonction de la taille individuelle des entreprises n’est pas une étape de calcul systématique que la Commission s’est imposée, mais une faculté de souplesse qu’elle s’est réservée dans les affaires qui le nécessitent. Il convient de rappeler dans ce contexte la jurisprudence selon laquelle la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de prendre ou de ne pas prendre en considération certains éléments lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, en fonction notamment des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, la jurisprudence citée au point 146 ci‑dessus). Compte tenu des termes du point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices, relevés ci-dessus, il y a lieu de considérer que la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation par rapport à l’opportunité d’effectuer une pondération des amendes en fonction de la taille de chaque entreprise (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 119 supra, point 553).

181    Or, puisque, dans un marché caractérisé par la présence de deux seuls opérateurs, une entente ne saurait exister que si les deux opérateurs y participent, il y a lieu de considérer, avec la défenderesse, que la participation du second opérateur en termes de parts de marché est aussi indispensable à l’existence même de l’entente que celle du premier opérateur. En outre, il s’agissait en l’occurrence de deux grands producteurs.

182    Dans ces conditions, en dépit de la différence, certes indéniable, dans les chiffres d’affaires pertinents et dans les parts de marché détenues par ces entreprises au cours de la période infractionnelle, telle qu’elle ressort des tableaux relatifs aux marchés du bêta-carotène et des caroténoïdes figurant au considérant 123 de la Décision, la Commission a pu, sans dépasser les limites de son pouvoir d’appréciation, s’abstenir de différencier le traitement de la requérante et de Roche au stade des montants de départ des amendes qui leur ont été infligées pour les infractions commises dans lesdits marchés.

183    Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi que les montants de départ spécifiques des amendes lui ayant été infligées pour les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes ont été fixés en violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

184    Il résulte de tout ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

C –  Sur le quatrième moyen, relatif à l’augmentation, aux fins de dissuasion, des montants de départ des amendes infligées à la requérante

1.     Arguments des parties

185    La requérante conteste l’augmentation de 128,5 à 267 millions d’euros, aux fins de dissuasion, du montant de départ de son amende globale. Elle estime que cette augmentation est dépourvue d’une motivation suffisante et découle de diverses erreurs de droit.

a)     Première branche : l’augmentation de 100 % au titre de la dissuasion n’est pas suffisamment motivée

186    La requérante fait valoir que l’augmentation de 100 % du montant de départ des amendes au titre de la dissuasion n’est pas suffisamment motivée. En effet, la décision n’expliquerait ni pourquoi une dissuasion était requise à son égard ni pourquoi une augmentation aussi importante s’imposait. Une déclaration selon laquelle cette augmentation a été imposée en raison de la taille de l’entreprise ou en application d’un concept général de dissuasion ne fournirait aucune motivation pour une augmentation à ce point importante au titre de la dissuasion.

187    La requérante souligne que le caractère insuffisant de la motivation de la Décision quant à la dissuasion apparaît encore plus évident si l’on compare cette motivation à la motivation bien plus détaillée donnée par la Commission pour justifier l’imposition d’un facteur de dissuasion dans sa décision 1999/60/CE du 21 octobre 1998 relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/35.691/E‑4 – Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1, ci‑après la « décision Conduites précalorifugées »).

188    La défenderesse considère que la Décision a bel et bien expliqué pourquoi le montant de départ des amendes devait être majoré de 100 % dans les cas de BASF, Roche et Aventis. Elle évoque le considérant 698 de la Décision, qui préciserait que c’est eu égard à leur taille et à leurs ressources globales qu’une telle majoration s’imposait. Ce considérant devrait être lu en se rapportant à la motivation générale de la Décision (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T‑308/94, Rec. p. II‑925, point 156) qui expliquerait longuement l’incidence du comportement infractionnel de ces entreprises sur les différents marchés de vitamines.

b)     Deuxième branche : aucune augmentation au titre de la dissuasion n’était requise dans le cas de la requérante

189    Selon la requérante, la Décision ne distingue pas suffisamment entre les objectifs punitifs et les objectifs de dissuasion de l’amende. À son avis, afin d’examiner si une quelconque augmentation au titre de la dissuasion est justifiée, la Commission doit vérifier si une entreprise serait dissuadée de commettre une infraction à l’avenir en l’absence de toute majoration, au titre de la dissuasion, de l’amende infligée au titre de la gravité et de la durée.

190    Il ne serait pas nécessaire d’infliger un supplément d’amende à une entreprise pour des motifs de dissuasion simplement parce qu’elle est de grosse taille. Une politique consistant à punir davantage des entreprises de grosse taille sans autre justification serait contraire à toute notion raisonnable de non‑discrimination. Conformément à la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, la Commission devrait vérifier si une dissuasion est nécessaire pour chaque entreprise sur la base d’une appréciation de la probabilité de récidive de la part de celle-ci (arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, point 134). Or, il n’y aurait aucun lien rationnel entre le chiffre d’affaires mondial d’une entreprise et les exigences de dissuasion, puisque ce chiffre ne fournit aucune indication sur la probabilité de récidive de cette entreprise. Les lignes directrices elles‑mêmes distingueraient clairement, dans des alinéas séparés du point 1 A, entre la taille des entreprises et la dissuasion.

191    La requérante soutient que, en l’espèce, en appréciant la nécessité d’augmenter les amendes de la requérante au titre de la dissuasion, l’institution aurait omis à tort d’examiner une série de circonstances qui auraient dû l’amener à écarter une telle nécessité.

192    Premièrement, la requérante aurait entrepris des actions extraordinaires en licenciant trois cadres de très haut niveau ayant eu une responsabilité directe dans le cartel et en rapportant amplement à tous ses employés ces licenciements ainsi que les conséquences internes et externes très graves qu’encourrait le personnel qui se livrerait à des activités illégales similaires. Deuxièmement, la requérante aurait volontairement admis avoir pris part au cartel et aurait pleinement coopéré à l’enquête de la Commission. Troisièmement, la requérante aurait payé des amendes pour un total d’environ 270 millions d’euros pour le cartel dans des juridictions en dehors de l’EEE (États-Unis d’Amérique, Canada et Australie) et s’attendrait à ce que les dommages et intérêts civils qu’elle devrait payer s’élèvent, aux États‑Unis seulement, à des centaines de millions d’euros. Quatrièmement, un effet dissuasif aurait déjà été inhérent au montant de départ de l’amende globale, fixé à 128,5 millions d’euros et donc très élevé, de sorte qu’aucune majoration n’aurait été nécessaire aux fins de dissuasion. Cinquièmement, la requérante aurait accompli des démarches exceptionnelles pour augmenter en son sein la prise de conscience et le respect des règles de concurrence, ce qui démontrerait son intention d’empêcher de futures infractions (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T‑31/99, Rec. p. II‑1881, point 221).

193    La défenderesse précise que, contrairement à ce que prétend la requérante, la majoration de 100 % n’est pas basée sur le chiffre d’affaires mondial de l’entreprise. Il s’agirait plutôt d’une correction approximative tenant compte de la taille de BASF sur chacun des différents marchés de vitamines et de ses ressources globales. La défenderesse fait observer que si l’interprétation de la requérante était correcte, le multiplicateur aurait dû être plus élevé dans le cas de BASF, puisque celle-ci avait un chiffre d’affaires mondial supérieur à celui de Roche, qui a subi pourtant la même majoration.

194    Elle conteste que le montant de départ eût déjà un effet dissuasif inhérent. À cet égard, elle fait remarquer que le chiffre de 128,5 millions d’euros cité par la requérante n’apparaît nulle part dans la Décision et est trompeur, car il représente la somme des montants de départ des huit amendes infligées pour les différentes infractions auxquelles la requérante a participé.

195    Ensuite, la défenderesse fait valoir que les circonstances qui, selon la requérante, excluraient la nécessité d’une augmentation des montants de départ aux fins de dissuasion (telles que reprises au point 192 ci‑dessus) sont dépourvues de pertinence.

c)     Troisième branche : l’augmentation de 100 % au titre de la dissuasion est contraire aux lignes directrices et aux attentes légitimes découlant de celles-ci

196    Selon la requérante, une augmentation d’une telle ampleur au titre de la dissuasion est contraire aux lignes directrices et aux attentes légitimes créées dans son chef par celles-ci. Les lignes directrices indiqueraient que la dissuasion est l’un des éléments qui peuvent être utilisés, quand cela est approprié, par la Commission pour déterminer si l’amende devrait être inférieure ou supérieure au niveau de 20 millions d’euros indiqué pour des infractions très graves. Cependant, rien dans les lignes directrices ne suggérerait que la Commission peut ou doit considérer la dissuasion comme un élément additionnel et séparé, justifiant en soi une augmentation du montant de départ d’une amende de 100 %, soit, en l’espèce, pas moins de 128,5 millions d’euros.

197    Elle affirme que si la Commission souhaite infliger des amendes sur la base d’un montant de départ supérieur à 120 millions d’euros, et imposer une augmentation de 100 % de ce montant avec pour résultat, dans le cas de la requérante, que le montant de base pour la gravité soit de 257 millions d’euros, la Commission doit adopter de nouvelles lignes directrices. En effet, des amendes à ce point élevées seraient totalement imprévisibles sur la base des lignes directrices actuelles et il serait déraisonnable et injustifiable pour la Commission d’affirmer que des amendes d’une telle hauteur, calculées de cette manière là, sont compatibles avec celles-ci.

198    La défenderesse rétorque que, en augmentant de 100 % les montants de départ des amendes infligées à la requérante, elle n’a pas violé les lignes directrices. Celles-ci ne pourraient d’ailleurs pas susciter d’attentes légitimes quant au niveau des amendes, que la Commission serait en droit d’augmenter de manière discrétionnaire dans les limites fixées au règlement n° 17.

d)     Quatrième branche : l’augmentation de 100 % au titre de la dissuasion est excessive et disproportionnée

199    Selon la requérante, indépendamment des lignes directrices, la Commission ne peut imposer une amende au titre de la dissuasion que dans la mesure où celle-ci est proportionnée à l’objectif d’empêcher une entreprise de commettre une nouvelle infraction. Or, en l’espèce, la Commission n’aurait pas observé ce principe et aurait imposé une dissuasion « in terrorem ». L’augmentation de 100 % du montant de départ de l’amende pour des motifs de dissuasion générale seulement serait en effet excessive et disproportionnée.

200    À cet égard, la requérante relève que cette augmentation représente, en termes réels, plus de 40 % de l’amende globale qui lui a été finalement infligée après application de la communication sur la coopération, et qu’une même augmentation de 100 % a été fixée pour toutes les infractions qu’elle a commises, sans rapport donc avec les chiffres d’affaires qu’elle a réalisés dans les différents marchés de produits vitaminiques concernés et avec les durées différentes de ces diverses infractions.

201    La défenderesse fait valoir que les amendes doivent être proportionnées à la gravité et à la durée de l’infraction. Peu importerait donc que la majoration appliquée à des fins dissuasives représente 40 % de l’amende globale infligée à la requérante après application de la communication sur la coopération. En outre, elle réitère qu’elle n’est nullement tenue de fixer le montant définitif des amendes en fonction des différents chiffres d’affaires des entreprises.

e)     Cinquième branche : l’effet dissuasif aurait dû être apprécié par rapport à l’amende totale et non par rapport au montant de départ de l’amende

202    La requérante soutient que la Commission a commis une erreur en appréciant l’exigence de dissuasion avant même que l’amende totale ait été calculée par référence à la gravité, à la durée et aux circonstances aggravantes et atténuantes. En effet, ce ne serait qu’à ce moment-là que la Commission pourrait déterminer si l’amende aura, en tant que telle, un effet dissuasif suffisant ou s’il y a lieu de fixer une augmentation additionnelle au titre de la dissuasion. 

203    Selon la requérante, la gravité d’une infraction ne dépend que de la nature et de la durée de l’infraction elle‑même et non de facteurs externes tels que la nécessité de dissuader un comportement futur. Elle mentionne le point 109 de l’arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 190 supra, duquel il ressortirait que la gravité d’une infraction a trait uniquement aux conditions dans lesquelles l’infraction a été commise et que la dissuasion doit être examinée pour chaque entreprise séparément et après que le montant de l’amende a été calculé à tous les autres égards.

204    La défenderesse rappelle que le Tribunal a confirmé que la prise en considération de l’effet dissuasif d’une amende constitue un des facteurs qui entrent en ligne de compte pour déterminer la gravité de l’infraction (arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 192 supra, point 167). En outre, elle souligne que la prise en considération de l’effet dissuasif d’une amende est mentionnée au point 1 A des lignes directrices, relatif à la gravité de l’infraction, et que l’arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 190 supra, ne suggérerait aucunement que l’effet dissuasif ne doit pas être pris en considération pour déterminer la gravité de l’infraction.

2.     Appréciation du Tribunal

a)     Sur le respect de l’obligation de motivation (première branche)

205    La motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’autorité communautaire, auteur de l’acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63).

206    Pour ce qui est d’une décision infligeant des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l’obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, point 146 supra, point 54, et arrêt PVC II, point 131 supra, point 465 ; arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 192 supra, point 252).

207    En l’espèce, s’agissant de l’augmentation de 100 % des montants de départ des amendes fixés pour la requérante, il y a lieu d’observer que, au considérant 697 de la Décision, la Commission a indiqué que « [p]our assurer le caractère suffisamment dissuasif de l’amende, [elle] détermine s’il convient d’adapter le montant de départ pour l’une quelconque des entreprises concernées ». Ensuite, au considérant 698, la Commission a estimé que, dans le cas de BASF, de Roche et d’Aventis, il y avait lieu de « majorer le montant de départ de l’amende calculé sur la base de l’importance relative sur le marché concerné afin de tenir compte de la taille et des ressources globales de ces entreprises ». Enfin, au considérant 699, la Commission a indiqué séparément, pour chacune de ces entreprises et pour chacune des infractions, le taux de majoration appliqué « afin d’assurer l’effet dissuasif ». Ce taux s’élève, dans tous les cas, à 100 % du montant de départ de l’amende.

208    Il ressort de ces considérants, composant la section de la Décision intitulée « Effet suffisamment dissuasif », que la Commission a estimé qu’une augmentation des montants de départ fixés pour la requérante s’imposait, afin d’assurer l’effet suffisamment dissuasif des amendes, au vu de la taille et des ressources globales de celle-ci.

209    Certes, cette section de la Décision ne précise pas à partir de quelles données factuelles la Commission a évalué la taille et les ressources globales de la requérante. Toutefois, il ressort à suffisance de droit de la Décision que la Commission – ce que la requérante ne remet aucunement en cause – s’est appuyée, à cet égard, sur les chiffres d’affaires globaux des entreprises, tels qu’ils sont rapportés dans le premier tableau du considérant 123 de la Décision.

210    En effet, au considérant 123 de la Décision, la Commission a indiqué que les tableaux figurant dans ce considérant « donn[ai]ent un aperçu de l’importance relative de chacune des entreprises sur le marché mondial et sur celui de l’EEE, ainsi que de leur taille respective ». Or, ces tableaux sont constitués par un premier tableau affichant le chiffre d’affaires total à l’échelle mondiale réalisé en 2000 par chacune des entreprises destinataires de la Décision et par une série de tableaux indiquant, pour chaque marché de produit vitaminique, le chiffre d’affaires pertinent pour la dernière année civile complète de l’infraction et les parts de marché pour la période infractionnelle réalisés, au niveau mondial et au niveau de l’EEE, par les producteurs opérant dans ce marché.

211    La Décision faisant apparaître que la Commission a apprécié l’importance relative de chacune des entreprises sur le marché concerné en s’appuyant sur les données relatives au marché mondial du produit vitaminique concerné (chiffres d’affaires ou parts de marché : voir, à cet égard, l’analyse du troisième moyen ci-dessus), ces données ayant été épuisées aux fins de la fixation des montants de départ des amendes et les chiffres relatifs au marché de l’EEE étant dénués de pertinence dans le présent contexte (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra, point 246), il y a lieu de considérer que la taille et les ressources globales respectives des entreprises – prises en compte aux fins d’une majoration des montants de départ – ont été appréciées par la Commission à l’aide des chiffres d’affaires globaux figurant dans le premier tableau du considérant 123 et relatifs à l’année 2000. Ce tableau montre que précisément BASF, Roche et Aventis avaient les chiffres d’affaires globaux les plus élevés parmi les entreprises destinataires de la Décision.

212    Il est d’ailleurs de jurisprudence constante que le chiffre d’affaires global donne une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille et de la puissance économique d’une entreprise (arrêts de la Cour Musique diffusion française e.a./Commission, point 48 supra, point 121 ; du 12 novembre 1985, Krupp Stahl/Commission, 183/83, Rec. p. 3609, point 37, et du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 139 ; arrêts du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T‑77/92, Rec. p. II‑549, point 94 ; du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 176, et du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 61). En revanche, la pertinence, en tant qu’indicateurs de la taille et des ressources globales – seuls facteurs mentionnés au considérant 698 de la Décision – des autres éléments évoqués par la défenderesse dans ses écritures (l’incidence du comportement infractionnel individuel, la taille sur chacun des différents marchés de vitamines, la taille dans le secteur des vitamines dans son ensemble, la capacité de Roche et de BASF de comprimer les marges de leurs clients opérant, tout comme elles-mêmes, dans le marché en aval des prémélanges ou l’implication des dirigeants de Roche, de BASF et d’Aventis dans les ententes illicites) n’apparaît pas d’une évidence immédiate et aucun passage de la Décision n’autorise, contrairement au cas du chiffre d’affaires global, à considérer que de tels éléments soient effectivement entrés en ligne de compte lors de l’augmentation aux fins de dissuasion des montants de départ des amendes. Lors de l’audience, la défenderesse a du reste finalement confirmé que ce sont bien les chiffres d’affaires globaux indiqués au considérant 123 de la Décision qui seuls ont été utilisés, dans le contexte du considérant 698, pour apprécier la taille et les ressources globales des entreprises concernées.

213    Pour autant que, par la présente branche, la requérante invoque un défaut de motivation également quant au niveau précis de l’augmentation en cause (100 %, soit un multiplicateur de deux), tel que fixé, dans la même mesure pour toutes les infractions, au considérant 699 de la Décision, il y a lieu de relever que, s’il est vrai que la Décision n’indique pas la méthode selon laquelle la Commission est parvenue à établir ce niveau précis, la Cour a jugé que les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (voir la jurisprudence citée au point 131 ci-dessus).

214    En particulier, il ressort de l’arrêt du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, point 131 supra (points 47 et 48), que l’indication des éléments chiffrés qui ont guidé, notamment quant à l’effet dissuasif recherché, l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission dans la fixation des amendes est une faculté dont il est souhaitable que la Commission use, mais qui va au-delà des exigences découlant de l’obligation de motivation.

215    Il apparaît ainsi que, dans la Décision, la Commission a exposé les éléments pris en considération pour l’augmentation, à l’égard notamment de la requérante, des montants de départ des amendes aux fins de dissuasion, permettant ainsi à la requérante de connaître la justification de cette augmentation et de faire valoir ses droits, et mettant le juge communautaire en mesure d’exercer son contrôle. La question de savoir si cette justification est suffisante pour fonder légalement une telle augmentation est une question de fond, qui sera examinée lors de l’analyse des autres branches du présent moyen (notamment des deuxième et cinquième branches).

216    L’augmentation aux fins de dissuasion des montants de départ des amendes infligées à la requérante trouvant donc une motivation suffisante dans les considérants 697 à 699 en rapport avec le considérant 123 de la Décision, la présente branche doit être rejetée.

b)     Sur le bien-fondé de l’augmentation de 100 % aux fins de dissuasion (deuxième à cinquième branches)

217    Par les deuxième à cinquième branches du présent moyen, la requérante conteste le bien-fondé de ladite augmentation. Le Tribunal examinera, dans un premier temps, la deuxième branche, par laquelle la requérante conteste la nécessité de toute augmentation au titre de la dissuasion à son égard, conjointement avec la cinquième branche, par laquelle la requérante reproche à la Commission d’avoir examiné une telle nécessité à un stade prématuré de son calcul des amendes. Dans un second temps seront analysées les troisième et quatrième branches, qui visent essentiellement à contester le niveau de l’augmentation en cause.

 Sur la deuxième branche et la cinquième branche

–       Sur la prise en compte des exigences de dissuasion dans le cadre de la fixation du montant de l’amende

218    Il y a lieu de rappeler que les sanctions prévues à l’article 15 du règlement n° 17 ont pour but de réprimer des comportements illicites aussi bien que d’en prévenir le renouvellement (arrêt ACF Chemiefarma/Commission, point 47 supra, point 173 ; arrêts du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 1166, et JFE Engineering e.a./Commission, point 119 supra, point 543).

219    La dissuasion constitue donc une finalité de l’amende.

220    Les lignes directrices évoquent cette finalité en leur point 1 A, consacré à la « gravité ». Plus précisément, le quatrième alinéa de ce point énonce qu’il « [s]era nécessaire […] de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif ».

221    En l’espèce, cette exigence est évoquée dans l’intitulé de la section concernée de la Décision (« Effet suffisamment dissuasif ») et, à deux reprises, dans les considérants de cette section (considérant 697 : « [p]our assurer le caractère suffisamment dissuasif de l’amende » ; considérant 699 : « la Commission considère qu’il est nécessaire, afin d’assurer l’effet dissuasif »).

222    Pour y satisfaire, la Commission a jugé opportun de multiplier par un coefficient (en l’espèce deux, soit + 100 %), à l’égard de trois entreprises dont la requérante, les montants de départ spécifiques des amendes, tels qu’issus de l’appréciation de la gravité de l’infraction dans son ensemble, de la prise en compte de la taille du marché et, le cas échéant, de l’importance relative de chaque entreprise sur le marché concerné. Cette opération précède, dans le calcul du montant des amendes, la prise en considération de la durée de l’infraction, visée au point 1 B des lignes directrices, et des circonstances aggravantes et atténuantes, visées aux points 2 et 3 de celles-ci.

223    La requérante, en s’appuyant sur les éléments textuels repris au point 221 ci‑dessus, interprète ladite section de la Décision en ce sens que la Commission y a opéré une vérification du caractère approprié des montants de départ, tels que fixés à la section précédente de la Décision, eu égard aux exigences de dissuasion. Sur cette prémisse, elle reproche à la Commission, premièrement, d’avoir omis de mener une vérification in concreto de la probabilité de récidive de sa part et d’avoir examiné les exigences de dissuasion sur la base d’un critère non pertinent, à savoir celui de la taille et des ressources globales de l’entreprise, et, deuxièmement, d’avoir mené cet examen à un stade prématuré du calcul de l’amende, en négligeant ainsi indûment l’effet dissuasif supplémentaire découlant des montants additionnels appliqués par la Commission à son égard au titre de la durée des infractions et de la circonstance aggravante du rôle de meneur et d’incitateur joué dans les infractions.

224    Il est constant que la Commission, en vue d’appliquer à la requérante et aux deux autres entreprises concernées (Roche et Aventis) l’augmentation des montants de départ des amendes, n’a pas procédé à une évaluation de la probabilité de récidive de celles-ci. Ainsi qu’il résulte des considérants 697 à 699 de la Décision, elle a uniquement pris en considération la taille et les ressources globales des entreprises.

225    Néanmoins, il y a lieu de considérer que l’absence d’évaluation de la probabilité de récidive de la requérante n’affecte en rien la légalité de cette augmentation.

226    En effet, il importe d’observer que, la dissuasion constituant une finalité de l’amende, l’exigence de l’assurer constitue une exigence générale devant guider la Commission tout le long du calcul de l’amende et n’appelle pas nécessairement que ce calcul soit caractérisé par une étape spécifique destinée à une évaluation globale de toutes circonstances pertinentes aux fins de la réalisation de cette finalité.

227    C’est ainsi que les lignes directrices, même si elles évoquent la nécessité « de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif » au point 1 A, quatrième alinéa – et donc dans le contexte de la fixation du montant de l’amende au titre de la gravité de l’infraction –, mentionnent, parmi les circonstances aggravantes, la « nécessité de majorer la sanction afin de dépasser le montant des gains illicites réalisés grâce à l’infraction lorsqu’une telle estimation est objectivement possible » (point 2, cinquième tiret). Or, la prise en compte de l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction – qui est évoqué également au point 5, sous b), des lignes directrices en tant que « donnée objective » qu’il convient de prendre en considération, après les calculs visés dans les points précédents de celles-ci, « pour adapter, in fine, les montants d’amende envisagés » – se justifie précisément par la finalité dissuasive de l’amende. En effet, l’effet dissuasif des amendes serait amoindri si les entreprises ayant commis une infraction au droit de la concurrence pouvaient espérer que leur comportement soit puni d’une amende d’un montant inférieur au profit susceptible d’être tiré dudit comportement (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 456, confirmé, sur pourvoi, notamment sur ce point, par arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 48 supra, point 292).

228    De même, l’exigence de dissuasion constitue la raison d’être de l’application d’une majoration de l’amende au titre de la « récidive de la même ou [des] mêmes entreprises pour une infraction de même type », elle aussi constituant, au sens des lignes directrices (point 2, premier tiret), une circonstance aggravante (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 293).

229    L’exigence de dissuasion ne constituant pas un élément d’appréciation spécifique, marquant une étape déterminée du calcul de l’amende, l’argument de la requérante selon lequel la dissuasion doit être appréciée à la lumière de la probabilité de récidive s’avère insuffisant pour contester l’augmentation des montants de départ à laquelle la Commission a procédé en l’espèce. En effet, cette augmentation est une augmentation au titre de la taille et des ressources globales des entreprises, la finalité dissuasive des amendes étant la raison d’être invoquée dans la Décision pour une prise en considération de la taille et des ressources globales des entreprises aux fins de la fixation du montant des amendes (voir considérant 698 de la Décision).

230    En d’autres termes, à supposer que la Commission ait omis à tort de considérer les facteurs qui, de l’avis de la requérante, étaient susceptibles d’amoindrir un risque de récidive de celle-ci (voir point 192 ci‑dessus), une telle omission ne saurait affecter la légalité du principe de l’augmentation opérée aux considérants 697 à 699 de la Décision, lequel dépend uniquement de la question de savoir si le critère utilisé par la Commission, à savoir celui de la taille et des ressources globales des entreprises, est pertinent aux fins d’assurer un effet dissuasif aux amendes. Une telle omission justifierait, en revanche, une prise en considération par le Tribunal desdits facteurs dans un contexte distinct de l’analyse de la légalité de l’augmentation susvisée.

231    Par ailleurs, s’agissant du point 134 de l’arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 190 supra (confirmé, sur pourvoi, par arrêt de la Cour du 29 avril 2004, British Sugar/Commission, C‑359/01 P, Rec. p. I‑4933), invoqué par la requérante, le Tribunal y a seulement observé que la Commission a le pouvoir de décider du niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif lorsque des infractions d’un type déterminé sont encore relativement fréquentes, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire en matière de concurrence, en raison du profit que certaines des entreprises intéressées peuvent en tirer. Contrairement à ce que prétend la requérante, il ne ressort aucunement de cette observation que l’effet dissuasif de l’amende peut être recherché exclusivement au cas où l’entreprise en cause aurait l’intention de récidiver.

232    Il convient donc d’apprécier la question de savoir si le critère de la taille et des ressources globales des entreprises est pertinent aux fins d’assurer l’effet dissuasif des amendes (voir points 233 à 236 ci‑après) et, dans l’affirmative, de contrôler la manière dont ce critère a été appliqué à l’égard de la requérante (voir points 237 à 245 ci‑après). Dans un deuxième temps seulement, il y aura lieu de s’interroger sur la question de savoir si les circonstances invoquées par la requérante comme étant des indicateurs d’une faible probabilité de récidive de sa part sont, à leur tour, pertinentes dans le cadre du calcul de l’amende et de nature à justifier l’application de facteurs de réduction du montant de celle-ci (voir points 264 à 271 ci‑après).

–       Sur la pertinence d’une prise en compte de la taille et des ressources globales des entreprises aux fins d’assurer l’effet dissuasif des amendes

233    Il convient de relever que la jurisprudence communautaire a reconnu à plusieurs reprises la pertinence de la taille et de la puissance économique de l’entreprise en tant qu’éléments d’appréciation dans le cadre de la fixation du montant de l’amende à infliger au titre de l’article 15 du règlement n° 17. Il a été jugé, par exemple, que ces éléments peuvent être utilisés en tant qu’indicateurs de l’influence que l’entreprise concernée a pu exercer sur le marché (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Musique diffusion française e.a./Commission, point 48 supra, point 120, et du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, point 52 ; arrêt SCA Holding/Commission, point 212 supra, point 176) ou, conformément au point 1 A, cinquième alinéa, des lignes directrices, en tant qu’indicateurs de la connaissance des exigences et des conséquences du droit de la concurrence dont peut disposer l’entreprise (arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 192 supra, point 169).

234    Dans la Décision, la prise en considération de la taille et des ressources globales des entreprises est toutefois justifiée par la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de l’amende.

235    Or, le lien entre, d’une part, la taille et les ressources globales des entreprises et, d’autre part, une telle nécessité ne saurait être contesté. À cet égard, il y a lieu de considérer qu’une entreprise de grande dimension, disposant de ressources financières considérables par rapport à celles des autres membres d’une entente, peut mobiliser plus facilement les fonds nécessaires pour le paiement de son amende, ce qui justifie, en vue d’un effet dissuasif suffisant de cette dernière, l’imposition, notamment par l’application d’un multiplicateur, d’une amende proportionnellement plus élevée que la même infraction commise par une entreprise qui ne dispose pas de telles ressources (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra, points 241 et 243 ; voir, également, arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 192 supra, point 170, confirmé, sur pourvoi, par l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 48 supra, et arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 119 supra, point 244).

236    Si c’est donc à tort que la requérante conteste la pertinence de la taille et des ressources globales des entreprises en tant qu’éléments d’appréciation pour décider de l’application d’un facteur de majoration aux fins de dissuasion, il convient, par ailleurs, de constater qu’elle n’avance, en revanche, aucune contestation quant à la pertinence des données utilisées en l’espèce par la Commission pour apprécier la taille et les ressources globales des entreprises sanctionnées, à savoir, ainsi qu’il a été relevé aux points 210 et 211 ci‑dessus, les chiffres d’affaires globaux réalisés par ces entreprises au cours de l’année (2000) précédant la date d’adoption de la Décision.

–       Sur le stade du calcul de l’amende auquel il y a lieu de tenir compte de la taille et des ressources globales des entreprises aux fins de dissuasion

237    Par la cinquième branche du présent moyen, la requérante vise à faire constater, en substance, que ce n’est pas sur la base du montant de départ, mais sur la base du montant final de l’amende, issu des appréciations concernant la gravité, la durée et les circonstances aggravantes et atténuantes, qu’il y a lieu de vérifier si une majoration s’impose pour assurer l’effet dissuasif de l’amende.

238    Ainsi qu’il ressort des considérations exposées aux points 226 à 229 ci‑dessus, les exigences de dissuasion ne font pas l’objet d’une appréciation ponctuelle à effectuer, sur la base de toutes circonstances pertinentes, lors d’une étape spécifique du calcul des amendes, mais elles doivent sous-tendre l’ensemble du processus de détermination du montant de l’amende.

239    Pour autant que ladite branche vise, en tout état de cause, à contester le stade du calcul de l’amende auquel la Commission a pris en considération la taille et les ressources globales des entreprises aux fins de dissuasion, elle ne saurait être accueillie, dans la mesure où elle est fondée sur une prémisse erronée, à savoir que l’augmentation en cause repose sur un jugement d’adéquation entre un montant d’amende donné et la finalité de dissuasion de l’amende appréciée au vu de la taille et des ressources globales des entreprises.

240    Le considérant 699 de la Décision montre lui‑même que la Commission n’a pas conçu l’opération visant à tenir compte de la taille et des ressources globales aux fins de dissuasion comme un tel jugement. En effet, les montants issus de cette opération sont fort différents, pour une même entreprise, selon les différentes infractions qui lui sont reprochées. Par exemple, le montant de départ de l’amende infligée à la requérante a été élevé à 70 millions d’euros pour la vitamine E (montant de départ de 35 millions d’euros augmenté de 100 %) et seulement à 8 millions d’euros (montant de départ de 4 millions d’euros augmenté de 100 %) pour la vitamine D 3. Or, on ne comprendrait pas très bien pourquoi la Commission aurait considéré que le montant de départ de 35 millions d’euros fixé pour la vitamine E n’était pas suffisamment dissuasif au vu du chiffre d’affaires global de la requérante et qu’il devait être élevé à 70 millions d’euros, alors même qu’elle aurait estimé, relativement à la vitamine D 3, qu’un montant de 8 millions d’euros était suffisant pour assurer l’effet dissuasif.

241    Par l’augmentation des montants de départ réalisée au considérant 699 de la Décision, la Commission, indépendamment du niveau de ces montants, n’a fait en réalité que procéder, pour assurer la finalité dissuasive de l’amende, à une différenciation du traitement des membres d’une même entente afin de tenir compte de la manière dont ils sont réellement affectés par l’amende. Cette différenciation est opérée au moyen de multiplicateurs fixés eu égard à la taille et aux ressources globales des entreprises, indépendamment du niveau des montants auxquels ces multiplicateurs s’appliquent.

242    Cette approche, cohérente avec la règle énoncée au point 235 ci‑dessus, implique que la décision quant à la nécessité d’appliquer un facteur de dissuasion au titre de la taille et des ressources globales, en ce qu’elle ne porte pas sur l’adéquation d’un montant donné, n’est pas influencée par le stade du calcul de l’amende auquel elle intervient.

243    Par ailleurs, force est de constater que, dans le cadre d’un calcul fondé, comme dans la Décision, sur l’application, à un montant de départ, de multiplicateurs ou de diviseurs – ce à quoi revient, en substance, l’application de majorations ou réductions exprimées en points de pourcentage –, si le facteur de majoration de 100 % ici en cause avait été appliqué au stade suggéré par la requérante, à savoir après et non avant l’appréciation de la durée et des circonstances aggravantes et atténuantes, le montant final de l’amende n’aurait pas été différent de celui auquel est parvenue la Commission dans la Décision.

–       Sur la nécessité d’appliquer à la requérante, aux fins de dissuasion, un facteur de majoration de l’amende au titre de sa taille et de ses ressources globales

244    Il convient de relever que, à l’évidence, c’est à juste titre que la Commission a estimé que, compte tenu de la taille et des ressources globales de la requérante, appréciées à l’aide du chiffre d’affaires global réalisé en 2000, il y avait lieu, aux fins de dissuasion, d’appliquer à l’égard de la requérante un facteur de majoration de l’amende. En effet, il ressort du premier tableau figurant au considérant 123 de la Décision, que ledit chiffre s’est élevé à 35 946 millions d’euros, ce qui témoigne de la dimension tout à fait considérable de cette entreprise, devançant de loin celle de toutes les autres entreprises destinataires de la Décision.

245    L’argument que la requérante tire du caractère déjà suffisamment dissuasif du montant de 128,5 millions d’euros ne saurait infirmer cette conclusion. D’une part, ainsi que le fait observer la défenderesse, la Décision n’a fixé aucun montant de départ à un tel chiffre, lequel n’apparaît pas dans la Décision et ne découle que de l’addition que fait la requérante des montants de départ de toutes les amendes qui lui ont été infligées du fait des différentes infractions lui ayant été imputées, le plus élevé parmi ces montants s’élevant en réalité à 35 millions d’euros. D’autre part, et principalement, ainsi qu’il vient d’être indiqué aux points 239 à 241 ci‑dessus, l’opération en cause ne repose pas sur un jugement d’adéquation entre le montant de départ d’une amende et la finalité dissuasive de cette dernière, de sorte que même le chiffre de 35 millions d’euros est dépourvu de pertinence dans le présent contexte.

246    Il découle de ce qui précède que rien en l’espèce ne permet de conclure que, en considérant que, au vu de la taille et des ressources globales de la requérante, il était nécessaire, aux fins de dissuasion, d’augmenter les montants de départ spécifiques fixés pour celle-ci, la Commission a méconnu les lignes directrices ou violé le principe d’égalité de traitement ou toute autre règle ou principe de droit régissant le calcul du montant des amendes.

 Sur la troisième branche et la quatrième branche

247    Par les troisième et quatrième branches, la requérante conteste, en substance, le niveau, à son avis excessif, de l’augmentation des montants de départ appliquée à son égard au considérant 699 de la Décision. D’une part, elle fait valoir qu’une augmentation de 100 %, correspondant en l’espèce à 128,5 millions d’euros et conduisant à un montant de base pour la gravité de 257 millions d’euros, n’aurait pu être raisonnablement envisagée sur la base des lignes directrices. D’autre part, l’augmentation en cause – dont la requérante souligne qu’elle représente 40 % de l’amende globale qui lui a été infligée après application de la communication sur la coopération – ne serait pas proportionnée à l’objectif de l’empêcher de commettre une nouvelle infraction et, étant identique pour toutes les infractions, serait sans rapport avec les chiffres d’affaires réalisés par BASF dans les différents marchés de vitamines et avec la durée différente de ses infractions.

248    À titre liminaire, il y a lieu d’insister, avec la défenderesse, sur le fait que le montant de 128,5 millions d’euros, évoqué par la requérante, ne correspond pas à la valeur absolue de l’augmentation du montant de départ fixé pour une infraction déterminée, mais découle de l’addition de toutes les majorations appliquées, au titre de la taille et des ressources globales et aux fins de dissuasion, pour les nombreuses infractions de la requérante sanctionnées dans la Décision. L’augmentation la plus élevée, en valeur absolue, appliquée à la requérante au considérant 699 de la Décision est celle de 35 millions d’euros pour la vitamine E.

249    Or, rien, dans les lignes directrices, ne s’oppose, pour des infractions « très graves », comme le sont celles de l’espèce, à une augmentation d’un tel niveau en valeur absolue ou à un taux d’augmentation de 100 %.

250    À cet égard, il y a lieu de remarquer que, ainsi qu’il est précisé dans le préambule des lignes directrices, les principes posés par ces dernières visent à « permettre d’assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l’égard des entreprises qu’à l’égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires global des entreprises ». L’objectif des lignes directrices est donc celui de la transparence et de l’objectivité, et non celui de la prévisibilité du niveau des amendes.

251    En outre, en ce qui concerne spécifiquement les infractions devant être qualifiées de « très graves », les lignes directrices se limitent à indiquer que les montants d’amendes envisageables vont « au-delà de 20 millions d’[euros] ». Les seuls plafonds mentionnés dans les lignes directrices qui soient applicables en ce qui concerne de telles infractions sont la limite générale de 10 % du chiffre d’affaires global fixée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [voir préambule et point 5, sous a), des lignes directrices] – dont la violation n’est pas alléguée en l’espèce – et les plafonds relatifs au montant additionnel pouvant être retenu au titre de la durée de l’infraction (voir point 1 B, premier alinéa, deuxième et troisième tirets, des lignes directrices) – dont la violation n’est pas non plus alléguée en l’espèce.

252    Dès lors, les lignes directrices ne sauraient fonder aucune confiance légitime quant au niveau du montant de départ, des montants additionnels appliqués à ce montant à d’autres titres que la durée de l’infraction et, ainsi, des montants finals des amendes devant être infligées pour des infractions très graves. Il en va de même en ce qui concerne la proportion de l’amende finale que peut représenter un montant additionnel imposé dans le cadre du calcul.

253    Par ailleurs, l’application par la Commission d’un facteur multiplicateur visant à tenir compte de la taille et des ressources globales des entreprises aux fins de dissuasion n’est pas exclue du fait que les lignes directrices ne la prévoient pas expressément. En effet, le point 1 A, quatrième alinéa, dans le contexte des indications concernant l’évaluation de la gravité d’une infraction, mentionne la nécessité de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif. Or, ainsi qu’il ressort des points 235 et 236 ci-dessus, la prise en considération de la taille et des ressources globales des entreprises peut contribuer à satisfaire une telle nécessité, et cela tant en fixant directement un montant de départ tenant compte notamment de ces éléments qu’en appliquant à un montant de départ fixé en fonction d’autres éléments (tels que la nature de l’infraction ou l’incidence du comportement infractionnel individuel) une correction visant à tenir compte de la taille et des ressources globales des entreprises. Cette seconde méthode, suivie dans la Décision, non seulement ne se heurte pas aux lignes directrices, mais renforce même la transparence du calcul de la Commission par rapport à la première méthode.

254    S’agissant de l’argument de la requérante tiré du caractère disproportionné de l’augmentation en cause par rapport à l’exigence de dissuader toute récidive de sa part, il a déjà été jugé, lors de l’analyse de la deuxième branche du présent moyen (voir points 218 à 236 ci‑dessus), que l’augmentation opérée au considérant 699 de la Décision repose sur la prise en compte de la taille et des ressources globales des entreprises et non sur une appréciation de la probabilité de récidive de leur part et qu’une telle approche ne saurait être contestée. Il en résulte que le caractère proportionné de cette augmentation doit être apprécié uniquement par rapport à la taille et aux ressources globales.

255    Or, il a déjà été constaté que la Commission, dans la Décision, a évalué la taille et les ressources globales des entreprises concernées à l’aide des données relatives au chiffre d’affaires global réalisé au cours de l’année 2000, données dont la pertinence dans ce contexte n’est pas remise en cause par la requérante. Dans ces conditions, le fait qu’un multiplicateur identique ait été appliqué pour toutes les infractions imputées à la requérante, indépendamment de son chiffre d’affaires pertinent et de la durée de l’infraction, n’a rien d’étonnant et ne démontre pas une quelconque violation du principe de proportionnalité.

256    S’agissant, enfin, du niveau précis d’un tel multiplicateur (deux, soit + 100 %), il convient de constater que la requérante est de loin la plus grande des entreprises concernées par la Décision. Son chiffre d’affaires global pour l’année 2000 s’élève à 35 946 millions d’euros. Tout en ayant un chiffre d’affaires global double par rapport à celui de Roche (17 678 millions d’euros) et sensiblement supérieur à celui calculé pour Aventis (22 304 millions d’euros), la requérante s’est vu appliquer le même multiplicateur que ces dernières.

257    Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans la décision Conduites précalorifugées, mentionnée au point 187 supra, adoptée en 1998 et ayant fait l’objet notamment de l’arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 192 supra (voir points 162 à 172), un multiplicateur de 2,5 (soit une augmentation de 150 %) a été appliqué à l’égard d’une entreprise, ABB, qui était la société faîtière d’un groupe ayant affiché en 1997 un chiffre d’affaires consolidé de quelque 27 600 millions d’euros. Le Tribunal, dans ledit arrêt, n’a pas remis en cause le caractère proportionné d’un tel multiplicateur, contesté par ladite entreprise.

258    Ensuite, dans son arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra (points 245 à 249), le Tribunal a été en revanche amené à conclure au caractère excessif d’un multiplicateur de 2,5 visant à tenir compte de la taille et des ressources globales de Showa Denko KK (ci-après « SDK »), qui était, selon la décision attaquée dans cette affaire [décision 2002/271/CE de la Commission, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE – Affaire COMP/E-1/36.490 – Électrodes de graphite (JO 2002, L 100, p. 1, ci‑après la « décision Électrodes de graphite »)], « de loin la plus grande des entreprises concernées ». Le caractère excessif du multiplicateur a été déduit par le Tribunal sur la base d’une comparaison entre ce multiplicateur et celui de 1,25 (soit une augmentation de 25 % du montant de départ) appliqué à un autre membre du cartel, dont le Tribunal a constaté qu’il avait un chiffre d’affaires global (3 693 millions d’euros en 2000) inférieur de moitié par rapport à celui de SDK (7 508 millions d’euros en 2000). Le Tribunal a ainsi considéré, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, que le montant de départ fixé pour SDK devait être affecté d’un multiplicateur de 1,5 seulement (soit une augmentation de 50 %).

259    En l’espèce, le chiffre d’affaires global de BASF en 2000, pris en considération dans la Décision, est environ cinq fois supérieur au chiffre d’affaires de SDK en 2000, pris en considération dans la décision Électrodes de graphite (point 258 supra), adoptée quelques mois avant la Décision, ainsi que dans l’arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra. En outre, il est environ 30 % supérieur au chiffre d’affaires imputé à ABB pour 1997 et pris en considération dans la décision Conduites précalorifugées (point 187 supra), adoptée en 1998, ainsi que dans l’arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 192 supra. Le multiplicateur de deux appliqué à la requérante en l’espèce n’apparaît donc pas non plus excessif sur la base d’une comparaison avec ces précédents.

260    Dès lors, rien en l’espèce ne permet de conclure que le niveau de l’augmentation des montants de départ spécifiques de la requérante opérée au considérant 699 de la Décision est contraire aux lignes directrices, aux attentes légitimes que la requérante pouvait tirer de celles-ci ou au principe de proportionnalité.

261    Il s’ensuit que les troisième et quatrième branches du présent moyen doivent être rejetées.

 Conclusion sur l’application du facteur de majoration des amendes visé au considérant 699 de la Décision

262    À la lumière des considérations qui précèdent, l’application à l’égard de la requérante d’un facteur de majoration de l’amende de 100 % visant à tenir compte, aux fins de dissuasion, de la taille et des ressources globales de celle‑ci ne saurait être censurée.

263    Cette conclusion ne préjuge cependant pas de la question de savoir si la Commission se devait, en l’espèce, de prendre en compte, aux fins de l’application de facteurs de réduction de l’amende, des circonstances invoquées par la requérante, dans le cadre de la deuxième branche du présent moyen, afin de démontrer une faible probabilité de récidive de sa part.

 Sur les circonstances témoignant prétendument de la faible probabilité de récidive de la requérante

264    Les circonstances qui, selon la requérante, atténueraient les exigences de prévention spéciale à son égard sont constituées par le licenciement de ses cadres supérieurs impliqués dans les faits infractionnels, l’adoption de programmes internes d’alignement aux règles de concurrence et d’initiatives de sensibilisation du personnel à cet égard, la coopération de la requérante au cours de l’enquête de la Commission et le paiement ou l’obligation de payer des amendes et des dommages‑intérêts en exécution de décisions de juridictions d’États tiers adoptées pour les agissements collusoires relatifs aux produits vitaminiques (voir point 192 ci‑dessus).

265    S’il ressort de l’analyse qui précède que ces circonstances ne faisaient pas obstacle à l’application, à l’égard de la requérante, d’un facteur de majoration de l’amende visant à tenir compte, aux fins de dissuasion, de la taille et des ressources globales de l’entreprise, il y a lieu de vérifier dans quelle mesure elles appelaient par ailleurs, de la part de la Commission, l’application en faveur de la requérante de facteurs de réduction de l’amende.

–       Sur les mesures adoptées par la requérante en vue de prévenir une récidive

266    S’agissant des mesures adoptées par la requérante en son sein après la cessation des infractions afin de prévenir une récidive de sa part (le licenciement de ses cadres supérieurs impliqués dans les faits infractionnels ainsi que l’adoption de programmes internes d’alignement aux règles de concurrence et d’initiatives de sensibilisation du personnel à cet égard), il y a lieu de relever que, s’il est, certes, important qu’une entreprise ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, ce fait ne saurait affecter la réalité de l’infraction constatée. Le seul fait que, dans certains cas, la Commission a pris en considération, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la mise en place d’un programme d’alignement en tant que circonstance atténuante n’implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans chaque cas d’espèce (arrêts du Tribunal Hercules Chemicals/Commission, point 119 supra, point 357 ; du 10 mars 1992, ICI/Commission, T‑13/89, Rec. p. II‑1021, point 395 ; du 20 mars 2002, Sigma Tecnologie/Commission, T‑28/99, Rec. p. II‑1845, point 127, et LR AF 1998/Commission, point 144 supra, point 345, confirmé, notamment sur ce point, par l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 48 supra, point 373).

267    Ainsi, les mesures préventives que la requérante allègue avoir adoptées n’obligeaient aucunement la Commission à appliquer des facteurs de réduction de l’amende.

–       Sur la coopération fournie à la Commission au cours de l’enquête

268    La Commission ayant reconnu la réalité de la coopération fournie par la requérante au cours de son enquête et l’ayant récompensée par des réductions d’amendes dans le cadre de l’application de la communication sur la coopération, la question de savoir si cette coopération méritait éventuellement des réductions d’amendes plus importantes doit être examinée dans le cadre de l’analyse des arguments soulevés par la requérante dans les sixième et septième moyens, relatifs précisément à la coopération de la requérante à l’enquête de la Commission.

–       Sur les condamnations subies dans des pays tiers

269    En ce qui concerne la question de savoir si la Commission se doit de tenir compte, dans l’appréciation des exigences de dissuasion à l’égard d’une entreprise devant être sanctionnée pour une infraction aux règles de concurrence communautaires, des condamnations subies dans des pays tiers pour les mêmes agissements collusoires, il y a lieu de relever que l’objectif de dissuasion que la Commission est en droit de poursuivre lors de la fixation du montant d’une amende vise à assurer le respect par les entreprises des règles de concurrence fixées par le traité pour la conduite de leurs activités au sein de la Communauté ou de l’EEE. Par conséquent, le caractère dissuasif d’une amende infligée en raison d’une violation des règles de concurrence communautaires ne saurait être déterminé ni en fonction, seulement, de la situation particulière de l’entreprise condamnée ni en fonction du respect par celle-ci des règles de concurrence fixées dans des États tiers en dehors de l’EEE (arrêts du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 110, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra, point 147).

270    Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir considéré que les condamnations subies par la requérante dans des pays tiers, pour les agissements collusoires relatifs aux produits vitaminiques, n’ouvraient pas droit à l’application d’un facteur de réduction du montant des amendes infligées à celle-ci.

–       Conclusion sur les circonstances invoquées par la requérante

271    Il ressort de l’analyse qui précède que les circonstances invoquées par la requérante pour démontrer la faible probabilité de récidive de sa part non seulement ne s’opposaient pas à l’application, à l’égard de la requérante, d’un facteur de majoration des amendes visant à tenir compte, aux fins de dissuasion, de sa taille et de ses ressources globales, mais elles n’obligeaient pas la Commission à appliquer par ailleurs, en faveur de la requérante, des facteurs de réduction des amendes.

c)     Conclusion sur le quatrième moyen

272    Il résulte de toutes les considérations qui précèdent que le quatrième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

D –  Sur le cinquième moyen, tiré d’erreurs d’appréciation dans l’attribution à la requérante d’un rôle de meneur et d’incitateur en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A, E, B 5, C et D 3, au bêta-carotène et aux caroténoïdes

1.     Questions préalables d’ordre général

a)     Arguments des parties

273    La requérante soutient que la Commission a commis une erreur en considérant BASF, conjointement avec Roche, comme meneur et comme incitateur en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A, E, B 5, C et D 3, au bêta-carotène et aux caroténoïdes. Elle fait valoir que son rôle dans ces infractions était significativement moins important que celui de Roche et pas plus important que celui de n’importe quelle autre entreprise impliquée qui n’a pas été considérée comme meneur ou comme incitateur.

274    Dans le contexte d’une entente, jouerait un rôle de meneur l’entreprise qui exerce un rôle décisif dans l’établissement de l’entente, par exemple, en concevant l’entente ou en recrutant d’autres sociétés, propose les mécanismes importants pour le fonctionnement de l’entente, par exemple des arrangements en matière de fixation de prix et de volume, et contrôle le fonctionnement de l’entente, notamment en sanctionnant d’autres entreprises pour non-respect de la ligne convenue. Par rapport à ce critère, les actes de meneur cités par la Commission dans le cas de BASF seraient, en réalité, de simples actes de participation à une ligne qui avait été conçue, élaborée et contrôlée par Roche. La requérante fait remarquer que si l’interprétation de la Commission devait être confirmée, tous les participants à l’entente seraient considérés, en raison de cette seule participation, comme des meneurs de l’entente.

275    Ainsi, selon la requérante, seul le comportement de Roche pouvait être considéré comme étant celui d’un meneur et aucune augmentation au titre du rôle de meneur n’aurait dû être appliquée à BASF. L’analyse de la Commission à cet égard serait erronée à plusieurs égards et ne satisferait pas aux critères de preuve fixés par la jurisprudence, qui exigerait de la Commission qu’elle ne déforme pas le sens des documents ou des éléments de preuve en omettant des mots pertinents, en produisant des éléments de preuve partiels, inexacts ou insuffisants pour corroborer ses allégations ou en analysant de manière incorrecte les documents invoqués (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission, T‑68/89, T‑77/89 et T‑78/89, Rec. p. II‑1403, points 95, 223, 228, 271 et 281).

276    Elle souligne que la manière dont la Décision traite la question du rôle de meneur de l’entente diffère substantiellement de la manière suivie dans la communication des griefs. La communication des griefs aurait retenu essentiellement Roche comme meneur global de l’entente et que BASF, Aventis et Takeda Chemical Industries Ltd (ci‑après « Takeda ») n’avaient joué que des rôles mineurs. En revanche, en invoquant essentiellement les mêmes faits, la Décision ne mentionnerait plus les rôles de meneurs précédemment attribués à Aventis et à Takeda et retiendrait BASF comme étant un meneur du cartel avec Roche. Cette incohérence dans l’approche de la Commission, qui constituerait une erreur de droit manifeste, serait particulièrement évidente dans les cas des infractions relatives aux vitamines A et E.

277    La requérante met en exergue l’incidence significative que l’appréciation de la Commission quant à son rôle de meneur dans les ententes a eu sur le niveau de l’amende globale qui lui a été infligée, dans la mesure où la Commission s’est fondée sur cette appréciation, d’une part, pour augmenter de 35 % (soit de plus de 153 millions d’euros) le montant de base de cette amende et, d’autre part, pour refuser à la requérante une plus importante réduction de l’amende au titre des sections B ou C de la communication sur la coopération.)

278    La défenderesse rappelle que le Tribunal a admis qu’elle peut appliquer des taux de majoration différents aux montants de base des amendes pour tenir compte des différents rôles joués par les entreprises (arrêt LR AF 1998/Commission, point 144 supra, point 204). Or, elle souligne que, pour toutes les infractions évoquées par la requérante dans le cadre du présent moyen, la différence entre les rôles joués par Roche et BASF se reflète dans les différents taux de majoration appliqués à leurs amendes, à savoir 50 % pour Roche contre seulement 35 % pour BASF.

279    La défenderesse soutient avoir effectivement analysé les éléments de preuve disponibles et qu’elle a pu à bon droit considérer, sur la base d’une série d’indices ou éléments pris dans leur ensemble, que BASF avait joué un rôle de meneur dans chacune des ententes concernées. À cet égard, elle rappelle que, conformément à une jurisprudence constante, la motivation d’une décision doit être lue dans le contexte du comportement des parties durant la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 95), et fait observer que la requérante n’a contesté ni dans sa réponse à la communication des griefs ni lors de l’audition l’affirmation contenue dans cette communication selon laquelle elle avait joué un rôle de meneur dans les infractions qui lui étaient reprochées. La défenderesse souligne, au contraire, que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante est allée jusqu’à affirmer qu’elle acceptait l’appréciation générale de l’affaire par la Commission.

b)     Appréciation du Tribunal

 Remarques liminaires

280    Lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles (arrêts de la Cour Suiker Unie e.a./Commission, point 80 supra, point 623, et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 92), ce qui implique, en particulier, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci (voir arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 86 supra, point 150, et arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T‑6/89, Rec. p. II‑1623, point 264).

281    Il en résulte, notamment, que le rôle de « chef de file » joué par une ou plusieurs entreprises dans le cadre d’une entente doit être pris en compte aux fins du calcul du montant de l’amende, dans la mesure où les entreprises ayant joué un tel rôle doivent, de ce fait, porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr‑Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 291, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra, point 301).

282    Conformément à ces principes, le point 2 des lignes directrices établit, sous le titre de circonstances aggravantes, une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base de l’amende et comprenant, notamment, le « rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction » (troisième tiret).

283    Au considérant 712 de la Décision, la Commission a estimé que « Roche et BASF [avaie]nt été ensemble les meneurs et les instigateurs des accords collusoires portant sur la gamme des produits vitaminiques qu’elles produisaient » et qu’«[i]l conv[enait] donc de considérer leur rôle dans les différentes infractions comme une circonstance aggravante ». Les montants de base de leurs amendes, tels que fixés en fonction de la gravité (au sens du point 1 A des lignes directrices) et de la durée (au sens du point 1 B des lignes directrices) des infractions, ont été, par conséquent, majorés de 50 % pour Roche et de 35 % pour BASF (considérant 718 de la Décision).

284    Il ressort des considérants 712 à 717 de la Décision que la Commission a retenu le rôle de meneur et d’incitateur de Roche et de BASF dans les huit infractions ayant donné lieu à l’imposition d’amendes sur la base d’un double ordre de motifs.

285    Premièrement, la Décision, par un renvoi contenu dans la note de bas de page du considérant 712 à plusieurs considérants insérés dans la section de la Décision contenant la description des faits relatifs à chacune des infractions (section 1.4), évoque une série de circonstances factuelles qui justifieraient l’appréciation de la Commission quant au rôle joué par Roche et par BASF dans les différentes infractions.

286    Deuxièmement, les considérants 713 à 717 contiennent des considérations plus générales, valables pour toutes les infractions, qui ne se fondent pas sur des circonstances de fait ponctuelles, mais sur les avantages que Roche et BASF pouvaient tirer de la gamme étendue de produits vitaminiques qu’elles fournissaient, sur le « front commun » qu’elles auraient constitué lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des accords collusoires et sur leurs objectifs communs visant l’élimination de la concurrence dans le secteur des vitamines.

287    Après avoir analysé deux questions préliminaires (points 289 à 293 ci‑après), le Tribunal examinera la pertinence des considérations effectuées aux considérants 713 à 717 de la Décision (points 294 à 301 ci-après), puis celle des circonstances factuelles invoquées dans la Décision en tant qu’éléments de preuve du rôle de meneur et/ou d’incitateur de la requérante, lesquelles font l’objet de débat entre les parties dans le cadre de développements consacrés spécifiquement à chacune des infractions visées par la Décision (points 304 à 463 ci‑après).

288    Il importe, par ailleurs, de constater que la requérante conteste son rôle de meneur ou d’incitateur en ce qui concerne sept des huit infractions pour lesquelles elle s’est vu infliger une amende. En effet, elle ne soulève pas d’objections à l’égard de la majoration d’amende qui lui a été appliquée, au titre de son rôle de meneur et d’incitateur, pour l’infraction relative à la vitamine B 2.

 Sur la discordance entre la communication des griefs et la Décision en ce qui concerne le rôle de meneur des ententes

289    Il y a lieu d’écarter l’argument que la requérante tire d’un prétendu changement d’approche de la Commission entre la communication des griefs et la Décision au sujet du rôle de meneur des ententes (voir point 276 ci‑dessus), en vue de démontrer que la Commission a commis une erreur de droit manifeste.

290    En effet, cet argument manque manifestement en fait pour autant que – à l’instar de l’argument, tendant à faire constater une violation des droits de la défense, visé aux points 41, 60 et 61 ci-dessus et déjà rejeté par le Tribunal – il concerne l’appréciation du rôle de la requérante dans les infractions. Ainsi qu’il a déjà été relevé au point 61 ci-dessus, la communication des griefs évoquait expressément, en son point 228, le rôle de meneur joué par la requérante.

291    En tout état de cause, il y a lieu de relever que, de toute évidence, le simple fait que la Commission ait pu, dans la Décision, modifier son appréciation juridique quant au rôle de meneur des ententes par rapport à celle, par définition provisoire, formulée dans la communication des griefs n’est pas susceptible en soi de démontrer le moindre vice affectant au fond la Décision.

 Sur le fait que la requérante n’a pas contesté son rôle de meneur lors de la procédure administrative

292    Sans exciper formellement de l’irrecevabilité du présent moyen, la défenderesse relève néanmoins que la requérante n’a contesté ni dans sa réponse à la communication des griefs ni lors de son audition dans le cadre de la procédure administrative l’affirmation contenue dans cette communication selon laquelle elle avait joué un rôle de meneur dans les infractions qui lui étaient reprochées. Au contraire, en répondant à la communication des griefs, la requérante aurait même affirmé qu’elle acceptait l’appréciation générale de l’affaire par la Commission (voir point 279 ci‑dessus).

293    À cet égard, il y a lieu de considérer que, s’agissant d’une question de qualification juridique des faits, l’absence de contestation sur ce point de la part de la requérante au stade final de la procédure administrative ne fait pas obstacle à ce que cette contestation soit formulée lors de la procédure contentieuse. Le présent moyen est donc recevable.

 Sur les considérations générales faites aux considérants 713 à 717 de la Décision

294    Il importe de remarquer que, dès lors que, dans la Décision, la Commission a constaté plusieurs infractions distinctes et les a sanctionnées par des amendes distinctes, elle se devait – en vue d’appliquer la circonstance aggravante visée au point 2, troisième tiret, des lignes directrices – de démontrer pour chacune de ces infractions, par l’évocation et la preuve de faits particuliers à chaque entreprise, que l’un ou l’autre des participants aux différentes ententes avait joué un rôle de meneur ou d’incitateur.

295    À cet égard, force est de constater que les considérations figurant aux considérants 713 à 717 de la Décision ne suffiraient pas, en elles‑mêmes, pour satisfaire à cette charge de la preuve incombant à la Commission.

296    S’agissant du fait, évoqué aux considérants 713 à 716, que Roche et BASF produisaient « une gamme étendue de vitamines sur des marchés de produits distincts mais étroitement liés », il ne prouve en rien que ces entreprises ont effectivement joué un rôle de meneurs ou d’incitateurs dans les infractions. La Commission n’a d’ailleurs pas même expliqué, que ce soit dans lesdits considérants ou devant le Tribunal, le rapport existant entre l’étendue de la gamme de produits vitaminiques et le rôle effectivement joué dans les infractions. En réalité, il ressort clairement de ces mêmes considérants que, selon la Commission, la gamme étendue de produits vitaminiques de Roche et BASF conférait à ces dernières des avantages – tels que la position plus forte vis-à-vis des clients, la souplesse pour structurer les prix, les promotions et les remises, les économies d’échelle et de gamme dans les activités de vente et de commercialisation, la crédibilité accrue d’une menace de refus d’approvisionnement de leur part – qui augmentaient leur « capacité globale à mettre en œuvre et à maintenir les accords anticoncurrentiels ».

297    Il apparaît ainsi que, sous le titre du rôle de meneur et d’incitateur, la Commission, dans ces considérants, a fait valoir des circonstances qui ne sont pas susceptibles d’indiquer le rôle effectivement joué par Roche et par BASF dans les infractions, mais dont il n’est pas exclu qu’elles pourraient constituer des éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction au sens du point 1 A des lignes directrices, en tant qu’indicateurs de la capacité économique effective à créer un dommage aux autres opérateurs ou du « poids spécifique » du comportement infractionnel individuel.

298    On ne saurait en revanche présumer, à partir de la circonstance que Roche et BASF produisaient une gamme étendue de vitamines ou des avantages qui en découlaient pour elles, que ces entreprises ont effectivement joué un rôle de meneur ou d’incitateur dans les infractions de l’espèce.

299    Ainsi, aux fins de la question de savoir si la requérante a ou non joué un rôle de meneur ou d’incitateur dans les différentes infractions qui lui sont reprochées dans la Décision, la prise en considération de cette circonstance ou de tels avantages ne peut servir, au plus, que pour mettre en perspective les comportements spécifiques que la Commission a contestés à la requérante en tant qu’éléments de preuve de son rôle de meneur ou d’incitateur d’une entente. En effet, de tels éléments doivent être appréciés au regard du contexte de l’espèce, en particulier de la position sur le marché que détenaient les entreprises et des ressources dont elles disposaient (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 269 supra, point 241).

300    Il n’en va pas autrement en ce qui concerne les considérations très générales effectuées par la Commission au considérant 717 de la Décision. En effet, le « front commun » qu’auraient constitué Roche et BASF et leur objectif « d’éliminer toute concurrence effective entre [elles] au sein de la Communauté et de l’EEE pour quasiment toute la gamme des principales vitamines » sont des facteurs qui peuvent révéler la motivation de ces entreprises dans les agissements collusoires, mais qui n’indiquent pas, en eux-mêmes, que celles-ci ont porté une responsabilité particulière et concrète dans la création et dans le fonctionnement des ententes en cause. Par ailleurs, l’objectif d’éliminer la concurrence réciproque caractérise la participation de toute entreprise à une entente illicite et le fait que cet objectif couvrait toute la gamme des vitamines de BASF et Roche n’est que le simple reflet de l’étendue de cette gamme et ne revêt pas, du moins en l’absence d’indications plus circonstanciées, une signification particulière.

301    Force est d’ailleurs de constater que, devant le Tribunal, la défenderesse, s’agissant de l’application de la circonstance aggravante en cause, fonde l’essentiel de sa défense sur l’invocation de circonstances factuelles précises, susceptibles, à son avis, de révéler le rôle de meneur et/ou d’incitateur de BASF dans les différentes infractions.

 Sur les circonstances factuelles invoquées par la défenderesse en tant qu’éléments de preuve du rôle de meneur et/ou d’incitateur de la requérante dans chacune des infractions

302    Il y a lieu de remarquer que la Commission n’a pas procédé, dans la Décision, à une analyse détaillée du rôle joué par la requérante dans chacune des huit infractions pour lesquelles cette dernière a été sanctionnée, mais, ainsi qu’il a été relevé aux points 285 et 286 ci‑dessus, s’est appuyée sur des considérations d’ordre général (considérants 713 à 717) et sur un renvoi à des considérants de la Décision qui exposent, dans le contexte de la description des faits relatifs à chaque infraction, certaines circonstances factuelles (note de bas de page du considérant 712).

303    Cependant, dans ses écritures, la défenderesse, au moins pour certaines des infractions de l’espèce, a évoqué également des circonstances factuelles supplémentaires, pour la plupart mentionnées elles aussi dans la Décision, qui, à son avis, concourent à prouver le rôle de meneur ou d’incitateur joué par la requérante. Ces circonstances n’étant toutefois pas évoquées, même pas indirectement par la technique du renvoi, dans la partie de la Décision relative à la circonstance aggravante en cause, le Tribunal ne les prendra en considération qu’au cas où il serait amené à constater un vice affectant la légalité de cette partie de la Décision et, par conséquent, à exercer son pouvoir de pleine juridiction au sens de l’article 229 CE et de l’article 17 du règlement n° 17.

2.     Examen du rôle joué par la requérante dans les différentes infractions

a)     Infractions relatives aux vitamines A et E

 Arguments des parties

304    La requérante rappelle que la Décision, à la note de bas de page du considérant 712, cite deux circonstances isolées à l’appui de la conclusion selon laquelle BASF était un meneur avec Roche en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E.

305    La première circonstance, évoquée au considérant 183 de la Décision, à savoir le fait que Roche a parfois demandé à BASF d’annoncer en premier une augmentation des prix, ne serait pas comparable aux nombreux actes accomplis par Roche dans la conception, l’organisation et la mise en place de l’entente et suggérerait tout au plus que BASF peut avoir annoncé, à la demande de Roche, un petit nombre d’augmentations des prix afin de dissimuler le fait que celles-ci étaient provoquées par Roche. La requérante fait remarquer que la conclusion globale de la Commission, formulée au considérant 569 de la Décision, était que BASF suivait les instructions de Roche. Or, une telle attitude de la part de BASF ne serait pas compatible avec un rôle de meneur.

306    La seconde circonstance, évoquée au considérant 160 de la Décision, à savoir le fait que BASF a participé à la discussion concernant le mécanisme de base des arrangements, serait également vraie en ce qui concerne Aventis, alors que cette dernière a bénéficié d’une immunité en raison, notamment, du fait qu’elle n’était pas un meneur. Ladite circonstance ne saurait dès lors, selon la requérante, être invoquée à l’appui de la conclusion selon laquelle BASF était un meneur. En réalité, le rôle de BASF aurait été essentiellement le même que celui d’Aventis.

307    Ainsi, la requérante est d’avis que la Commission aurait dû conclure, comme elle l’aurait fait à juste titre dans le cas d’Aventis, que BASF était une participante, mais non un meneur en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E.

308    La défenderesse rétorque que le rôle d’incitateur et de meneur de BASF dans les ententes relatives aux vitamines A et E est démontré par plusieurs éléments figurant dans la Décision et non seulement par ceux évoqués par la requérante. Elle mentionne, à cet égard, notamment la tâche qui incombait à la requérante de désigner les personnes qui participaient habituellement aux réunions organisées au niveau du marketing de produit à l’échelle régionale (considérant 177). Elle souligne que le fait que BASF et Roche ont été les initiateurs de ces ententes, en établissant entre elles les premiers contacts et en tenant entre elles la première réunion le 7 juin 1989, est confirmé par les déclarations faites par Aventis et Takeda lors de la procédure administrative.

309    La défenderesse réfute la thèse de la requérante selon laquelle le rôle d’Aventis et de la requérante dans les ententes en cause était comparable. Elle met en exergue, en particulier, que BASF et Roche ont entrepris conjointement de contacter Aventis et que c’est BASF, et non Aventis, qui a annoncé une majoration majeure, quoique occasionnelle, des prix.

310    Dans son mémoire en réplique, la requérante invoque les comptes rendus produits au cours de la procédure administrative par Roche et par Aventis des arrangements relatifs aux vitamines A et E, desquels il ressortirait que Roche a conçu et organisé ces arrangements et que les rôles de BASF et d’Aventis étaient équivalents et secondaires. Elle souligne, en particulier, qu’il résulte du compte rendu de Roche que celle-ci a organisé certaines réunions préparatoires pour discuter du cadre des arrangements, dont la première aurait eu lieu avec Aventis à Bâle le 24 avril 1989 et n’aurait été suivie que plus tard par une réunion entre Roche et BASF, le 7 juin 1989, à Bâle également. Par ailleurs, les déclarations de Takeda ne corroboreraient aucunement les affirmations de la défenderesse, dans la mesure où elles ne diraient rien sur la chronologie des réunions et les participants à celles‑ci, parmi lesquels Takeda ne figurerait d’ailleurs pas, car elle ne produisait pas les vitamines A et E. En tout état de cause, la requérante fait valoir que la Commission doit produire des preuves du rôle de meneur, et non simplement affirmer ce rôle uniquement sur la base de la chronologie des réunions. 

311    S’agissant de la prétendue tâche de désigner les participants aux réunions organisées au niveau du marketing de produit à l’échelle régionale, la requérante fait observer que le considérant pertinent de la Décision, à savoir le considérant 178, ne fait qu’indiquer que, en coopérant avec la Commission dans le cadre de son enquête, BASF a fourni à la Commission une liste des noms des participants à ces réunions, de sorte qu’il ne saurait sérieusement en être déduit que BASF était responsable de l’organisation de ces réunions.

312    S’agissant des annonces d’augmentation des prix, la requérante souligne que Roche a affirmé clairement, dans son compte rendu, qu’il avait été convenu entre les participants que l’un d’entre eux devait annoncer le premier une augmentation de prix et que les autres suivraient. Par ailleurs, l’affirmation de la défenderesse selon laquelle seules BASF et Roche ont fait de telles annonces serait erronée, dans la mesure où il ressort des déclarations d’Aventis que celle-ci a été la première à annoncer une augmentation de prix le 1er janvier 1997.

313    Dans son mémoire en duplique, la défenderesse allègue que, selon les termes mêmes du compte rendu de Roche invoqué par la requérante, celui-ci ne saurait être considéré comme une description exacte et objective des événements. En tout état de cause, ce compte rendu n’indiquerait nullement que Roche a été la seule à prendre des initiatives pour réunir les producteurs ou que les rôles de BASF et d’Aventis avaient été équivalents et secondaires. S’agissant du compte rendu d’Aventis, la requérante y ferait des renvois sélectifs et inexacts, ce texte faisant en particulier ressortir que BASF a annoncé les prix plus d’une fois, contrairement à Aventis.

314    La réunion entre Roche et BASF du 24 avril 1989 ne serait pas pertinente pour déterminer qui était le meneur des ententes, car elle se serait déroulée avant la date (septembre 1989) fixée dans la Décision comme le début de l’infraction.

 Appréciation du Tribunal

315    Il y a lieu de rappeler que, conformément à la Décision, ont participé aux ententes relatives aux vitamines A et E les trois producteurs européens Roche, BASF et Aventis ainsi que, en ce qui concerne la seule vitamine E, le producteur japonais Eisai Co. Ltd. Les deux infractions auraient débuté en septembre 1989 pour les trois producteurs européens, alors qu’Eisai n’aurait rejoint l’entente relative à la vitamine E qu’en janvier 1991 (considérants 701 à 703 de la Décision).

316    Ainsi que la défenderesse l’a fait observer à plusieurs reprises dans ses écritures et qu’il résulte du libellé même du point 2, troisième tiret, des lignes directrices, il convient, lors de l’examen du rôle joué par la requérante dans les infractions de l’espèce, de distinguer la notion de meneur de celle d’incitateur d’une infraction et de conduire deux analyses séparées pour vérifier si la requérante a joué l’un ou l’autre de ces rôles. En effet, alors que le rôle d’incitateur a trait au moment de l’établissement ou de l’élargissement d’une entente, le rôle de meneur a trait au fonctionnement de celle-ci.

317    La défenderesse, dans ses écritures, soutient avoir démontré, dans la Décision, que la requérante a joué un rôle tant d’incitateur que de meneur dans les deux ententes en cause.

318    La note de bas de page du considérant 712 fait en effet renvoi notamment aux considérants 160 et 183 de la Décision, qui sont relatifs respectivement à l’origine et au fonctionnement de ces ententes. Il y a donc lieu d’en conclure que la majoration de 35 % du montant de base des amendes infligées à la requérante pour les infractions relatives aux vitamines A et E repose sur la constatation du rôle d’incitateur et du rôle de meneur qu’elle aurait joués dans ces infractions.

–       Rôle d’incitateur

319    Le rôle d’incitateur joué par la requérante avec Roche dans les infractions relatives aux vitamines A et E ressortirait, selon la défenderesse, du considérant 160 de la Décision, non contesté par la requérante et décrivant l’origine des deux ententes, et serait confirmé par les déclarations d’Aventis et de Takeda lors de la procédure administrative. Il serait établi, en particulier, que les premiers contacts auraient eu lieu entre Roche et BASF, alors que les contacts avec Aventis auraient eu lieu seulement plus tard, à l’initiative conjointe de Roche et BASF.

320    Or, si le considérant 160 figure parmi les considérants énumérés à la note de bas de page du considérant 712 de la Décision, de sorte que les circonstances qu’il relate peuvent être regardées comme étant à la base de la motivation de l’appréciation de la Commission selon laquelle BASF a joué un rôle d’incitateur dans les ententes relatives aux vitamines A et E, force est de constater que cette appréciation ne résiste pas à l’examen. En effet, lesdites circonstances, appréciées à la lumière des déclarations d’Aventis et de Takeda, invoquées par la défenderesse, et des déclarations de Roche, invoquées par la requérante, ne prouvent pas que BASF a joué un tel rôle dans les ententes susvisées.

321    Il y a lieu d’observer que, pour être qualifiée d’incitateur d’une entente, une entreprise doit avoir poussé ou encouragé d’autres entreprises à mettre en place l’entente ou à s’y joindre. Il ne suffit pas, en revanche, d’avoir simplement figuré parmi les membres fondateurs de l’entente. Ainsi, par exemple, dans une entente créée par deux entreprises seulement, il ne serait pas justifié de qualifier automatiquement ces entreprises d’incitateurs. Cette qualification devra être réservée à l’entreprise qui, le cas échéant, a pris l’initiative, par exemple en suggérant à l’autre l’opportunité d’une collusion ou en tentant de la convaincre à y procéder.

322    Or, le considérant 160 de la Décision évoque trois réunions tenues au cours de l’année 1989 : une première réunion ayant eu lieu le 7 juin entre Roche et BASF à Bâle, une deuxième réunion ayant eu lieu au cours de l’été à Zurich avec la participation d’Aventis et une troisième réunion ayant eu lieu en septembre entre Roche, BASF et Aventis. Selon la Décision (voir notamment considérant 162), c’est cette dernière réunion, elle aussi ayant eu lieu à Zurich, qui a marqué la création des deux ententes.

323    La circonstance décisive sur laquelle la Décision s’est fondée pour retenir le rôle d’incitateur de BASF dans les ententes relatives aux vitamines A et E réside donc dans le fait que la première réunion préparatoire de ces ententes se serait tenue exclusivement entre Roche et BASF.

324    La déclaration d’Aventis du 19 mai 1999, en ses points 3.1 et 3.2 invoqués par la défenderesse, indique qu’un représentant d’Aventis avait été contacté par des représentants de Roche et de BASF dès le début des années 1980 pour discuter des activités dans le secteur des vitamines, que des contacts avaient été maintenus entre ces trois entreprises au cours des années 1980 sans toutefois donner lieu à des accords visant à influencer le marché et que, vers la fin de l’année 1989, lorsque sa position sur le marché s’était consolidée, Aventis a été invitée à une réunion avec BASF et Roche pour discuter de la taille du marché, réunion au cours de laquelle les accords anticoncurrentiels auraient été établis. Ces informations ne suggèrent pas que l’initiative de la création, en septembre 1989, des ententes relatives aux vitamines A et E ait été prise par la requérante.

325    Il est vrai que le point 2.5 de cette déclaration, par ailleurs non invoqué par la défenderesse dans ses écritures, indique qu’« [Aventis a été] contactée vers la fin de 1989 par Roche et BASF pour participer aux activités [anticoncurrentielles] ».

326    Néanmoins, dans son compte rendu ayant pour objet l’entente relative à la vitamine E, constituant l’annexe 5 de la réponse de Roche du 16 juillet 1999 à la demande de renseignements de la Commission du 26 mai 1999 (ci-après la « réponse de Roche du 16 juillet 1999 »), Roche s’est attribuée la responsabilité d’avoir pris seule l’initiative de réunir les représentants de ces trois entreprises en vue de l’établissement d’une entente, dans laquelle le producteur japonais Eisai serait impliqué à un second stade (ladite annexe 5, page 2, point 1).

327    En outre, dans ce même compte rendu, Roche a mentionné deux réunions préparatoires bilatérales qui se seraient tenues en 1989 à Bâle (siège de Roche) au niveau des plus hauts dirigeants du secteur des vitamines de chaque entreprise : celle du 7 juin 1989 entre Roche et BASF, qui est mentionnée aussi au considérant 160 de la Décision, et une réunion antérieure, du 24 avril 1989, entre Roche et Aventis (ladite annexe 5, page 3).

328    Il ressort du compte rendu de Roche portant sur l’entente relative à la vitamine A, contenu à l’annexe 1 de la réponse de Roche du 16 juillet 1999 (voir pages 2 à 4), que ces deux réunions ont également eu pour objet la vitamine A.

329    Les points 32 et 33 de la réponse de Takeda du 5 octobre 2000 à la communication des griefs, sur lesquels la défenderesse s’appuie également, ne contiennent pas d’indications susceptibles d’étayer la position de cette dernière. En effet, il en ressort seulement que les premiers accords anticoncurrentiels sur les vitamines ont été ceux de 1989 entre Roche, BASF et Aventis relatifs aux vitamines A et E. Or, cette circonstance, par ailleurs concernant au même titre Aventis – que la Commission n’a pourtant pas qualifiée d’incitateur dans la Décision – ne permet en rien d’apprécier si BASF a joué un rôle d’incitateur dans ces accords. Takeda aurait d’ailleurs pu difficilement donner des indications fiables en ce sens, puisque, ne produisant pas les vitamines A et E, elle n’était pas partie aux accords relatifs à ces vitamines. En revanche, au point 30 de cette réponse de Takeda, il est affirmé, d’une manière générale, que « Roche […] était clairement l’incitateur de la coopération entre les producteurs ».

330    Ainsi, l’allégation de la défenderesse selon laquelle BASF et Roche ont entrepris conjointement l’initiative de contacter Aventis – allégation que semblerait corroborer la déclaration d’Aventis du 19 mai 1999 – apparaît démentie par le compte rendu des réunions fait par Roche dans sa réponse du 16 juillet 1999 et, en particulier, par la réunion bilatérale du 24 avril 1989 entre Roche et Aventis.

331    En ce qui concerne cette réunion, la défenderesse objecte, premièrement, que le compte rendu de Roche ne saurait constituer une description exacte et objective des événements, dans la mesure où Roche a indiqué elle-même, dans sa réponse du 16 juillet 1999, que « les informations [fournies] ne sont pas complètes dans tous les détails, mais reflètent au mieux les souvenirs personnels des cadres concernés de Roche ». Deuxièmement, la défenderesse soutient que ladite réunion n’est pas pertinente pour déterminer qui était le meneur des ententes puisqu’elle se serait déroulée avant la date (septembre 1989) fixée dans la Décision comme le début de l’infraction.

332    Ces objections de la défenderesse ne sauraient être retenues.

333    S’agissant de la première objection, force est de constater que Roche a indiqué avec précision la date (24 avril 1989), le lieu (Bâle) et les noms des participants à ladite réunion bilatérale et que la Commission, dans la Décision, n’a pas soulevé de réserves quant à la fiabilité des informations fournies par Roche, mais, au contraire, a même reconnu le caractère « très substantiel » des éléments transmis par Roche concernant les infractions relatives aux vitamines A et E (considérant 743) et a accordé à Roche, notamment pour ces infractions, une réduction de 50 % au titre de la section D, paragraphe 2, premier tiret, de la communication sur la coopération. De plus, contrairement à Aventis, qui pouvait avoir intérêt à minimiser son rôle dans l’établissement des ententes en mettant en exergue la responsabilité de Roche et de BASF à cet égard, Roche n’avait pas d’intérêt particulier à s’attribuer à titre exclusif cette même responsabilité.

334    La seconde objection – par laquelle la défenderesse confond, en contredisant son approche générale, la notion de meneur et celle d’incitateur – est non fondée, dans la mesure où la requérante évoque la réunion du 24 avril 1989 entre Roche et Aventis pour démontrer qu’elle n’a pas eu un rôle d’incitateur. D’ailleurs, à la supposer correcte, cette objection invaliderait également l’invocation par la défenderesse de la réunion du 7 juin 1989 entre Roche et BASF, évoquée au considérant 160 de la Décision, laquelle avait aussi eu lieu avant le début de l’infraction.

335    Il s’ensuit que les éléments de preuve fournis par la défenderesse ne permettent pas de conclure que la requérante a joué un rôle d’incitateur, notamment à l’égard d’Aventis, dans le cadre de l’établissement des ententes relatives aux vitamines A et E.

336    Quant à l’implication du producteur japonais Eisai dans l’entente relative à la vitamine E, le rôle éventuellement joué par la requérante à cet égard n’a pas fait l’objet de développements par la défenderesse dans ses écritures. Aucun des considérants de la Décision décrivant l’implication d’Eisai (considérants 212 à 220) n’est cité dans la note de bas de page du considérant 712. Il ressort d’ailleurs des considérants 212 et 234 que Roche seule a entamé des démarches auprès d’Eisai en vue d’une éventuelle adhésion de cette dernière à ladite entente.

337    Dans ces conditions, force est de conclure que l’appréciation, contenue dans la Décision, selon laquelle la requérante a joué un rôle d’incitateur dans les infractions relatives aux vitamines A et E est insuffisamment étayée.

338    La Décision étant entachée d’une illégalité sur ce point et la Commission ayant imposé à la requérante une majoration unique de 35 % du montant de base de l’amende au titre de la circonstance aggravante visée au point 2, troisième tiret, des lignes directrices, il y a lieu pour le Tribunal d’exercer son pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne l’appréciation du rôle joué par la requérante dans les infractions en cause, en vue de confirmer, supprimer ou modifier ladite majoration d’amende. La défenderesse n’ayant apporté devant le Tribunal, en vue de prouver le rôle d’incitateur de la requérante dans les deux infractions en cause, aucun élément ultérieur par rapport aux circonstances rapportées au considérant 160 de la Décision, l’examen du Tribunal se concentrera sur le prétendu rôle de meneur joué par la requérante dans ces mêmes infractions.

–       Rôle de meneur

339    La défenderesse, afin d’étayer son appréciation selon laquelle la requérante a joué un rôle de meneur dans les ententes relatives aux vitamines A et E, se réfère à deux types d’actions que celle-ci aurait entreprises dans le cadre de l’exécution des accords illicites et qui seraient mentionnées dans la Décision.

340    En premier lieu, la défenderesse évoque la tâche incombant à BASF de désigner les personnes qui participaient habituellement aux réunions organisées au niveau du marketing de produit à l’échelle régionale, tâche qui ressortirait du considérant 177 de la Décision.

341    En second lieu, la défenderesse évoque les augmentations de prix annoncées au public par la requérante et se réfère à cet égard aux considérants 183 et 224 de la Décision.

342    S’agissant de la prétendue tâche de désigner les participants à certaines réunions, le considérant pertinent de la Décision – à savoir le considérant 178, la citation du considérant 177 par la défenderesse découlant manifestement d’une erreur de plume – indique que « BASF a nommé les personnes qui participaient habituellement aux réunions pendant la période considérée ».

343    Ce considérant a été erronément interprété par la défenderesse dans ses écritures. Ainsi que la requérante l’a fait valoir et qu’il résulte des documents du dossier administratif produits par la défenderesse dans le cadre de l’exécution des mesures d’organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal, le considérant 178 de la Décision ne fait qu’indiquer que la requérante, dans le contexte de sa coopération à l’enquête de la Commission, a identifié, par leurs noms, les individus qui ont participé aux réunions pour le compte de leurs entreprises respectives. La défenderesse, sollicitée par le Tribunal à produire des preuves de ce que la requérante, dans le cadre des ententes en cause, avait pour tâche de désigner les participants aux réunions organisées au niveau du marketing de produit à l’échelle régionale, n’a pas été en mesure d’en apporter.

344    S’agissant des augmentations de prix annoncées par la requérante, la défenderesse s’appuie notamment sur le considérant 183 de la Décision, auquel fait d’ailleurs renvoi la note de bas de page du considérant 712 et qui est libellé comme suit :

« Si une augmentation des prix était décidée, Roche était généralement la première à l’annoncer (bien qu’elle ait apparemment parfois demandé à BASF d’annoncer l’augmentation en premier). »

345    La requérante ne conteste pas avoir parfois annoncé en premier, à la demande de Roche, des augmentations de prix convenues au sein des ententes relatives aux vitamines A et E. Elle soutient que l’on ne saurait toutefois inférer de cette circonstance qu’elle a joué un rôle de meneur dans ces ententes.

346    Cette thèse de la requérante ne saurait être approuvée.

347    Certes, il ressort du considérant 201 de la Décision que « [c]e sont les directeurs du marketing ‘vitamines’ qui, lors de leurs réunions périodiques, décidaient d’augmenter ou non les prix et, dans l’affirmative, à quel moment et de combien ». De même, le considérant 203, sur la base d’allégations contenues dans l’annexe 5 de la réponse de Roche du 16 juillet 1999 et invoquées par la requérante, indique que « [l]es parties convenaient normalement que l’un des producteurs ‘annoncerait’ l’augmentation en premier, soit dans une revue professionnelle, soit par une communication directe aux principaux clients » et qu’« [u]ne fois l’augmentation de prix annoncée par l’un des membres du cartel, les autres avaient coutume de suivre ».

348    Cependant, le fait que les augmentations de prix étaient décidées d’un commun accord lors des réunions entre les membres de l’entente, y compris en ce qui concerne leur ampleur, la date et le mécanisme de leur mise en œuvre, n’est pas de nature à effacer la responsabilité particulière qu’assumait l’une ou l’autre entreprise lorsqu’elle décidait d’être la première à lancer effectivement l’augmentation convenue. En prenant une telle initiative, sans y avoir été nommément et spécifiquement chargée par l’accord d’augmentation des prix stipulé lors d’une réunion de l’entente, l’entreprise donnait spontanément une impulsion fondamentale à l’exécution de cet accord, en faisant en sorte que, au lieu de rester lettre morte, il produise ses effets sur le marché.

349    La requérante, dont il est constant qu’elle a pris plus d’une fois une telle initiative, ne saurait échapper à cette responsabilité en arguant qu’Aventis l’avait à son tour prise au moins une fois.

350    En effet, la preuve, sur laquelle s’appuie la requérante, du fait qu’Aventis a une fois annoncé en premier une augmentation de prix décidée au sein de l’entente est constituée par la déclaration d’Aventis elle-même du 19 mai 1999 (point 3.4), dans laquelle cette entreprise indique avoir pris une telle initiative « une seule fois », ce qui, pour des infractions de la durée de neuf ans et six mois comme celles en cause, ne saurait certes constituer un indice suffisant pour qualifier Aventis de meneur.

351    En outre, en ce qui concerne l’entente relative à la vitamine E, les circonstances factuelles relatées dans la Décision font ressortir que le rôle de la requérante ne saurait être assimilé à celui d’Aventis. À cet égard, il y a lieu de mentionner, d’une part, le fait que, à la suite de la mise hors service de l’usine de production d’Aventis à cause d’un incendie survenu en décembre 1990, la requérante, à l’instar de Roche, a approvisionné Aventis en vitamine E jusqu’à la remise en service de cette usine (voir considérants 216 et 220) ; d’autre part, le fait que, en 1997, la requérante, à l’instar de Roche, a effectué auprès d’Aventis des achats compensatoires de vitamine E destinée à l’alimentation animale, en vue de permettre à cette dernière de maintenir la part de marché de 16 % convenue pour elle sur le marché global de la vitamine E, en dépit de l’augmentation de la demande de vitamine E destinée à la consommation humaine, segment dans lequel Aventis n’était pas présente (voir considérant 225). Ces circonstances, lesquelles – déjà rapportées dans la communication des griefs (points 53, 55 et 58) et rappelées par la défenderesse dans son mémoire en défense (point 81) – ne sont pas contestées par la requérante, caractérisent la position d’Aventis au sein de l’entente comme ayant été tributaire du soutien de Roche et de BASF et révèlent le dévouement de ces dernières à assurer la stabilité et la réussite des accords illicites.

352    En ce qui concerne la circonstance évoquée au considérant 224 de la Décision, à savoir l’annonce d’augmentations de 5 % des prix des vitamines A et E effectuée par la requérante le 14 février 1994 par le biais de la presse professionnelle, elle n’ajoute rien à ce qui ressort du considérant 183, dans la mesure où, à supposer même que cette annonce ait précédé les annonces analogues des autres membres de l’entente – ce qui n’est ni allégué ni établi par la défenderesse – elle ne pourrait constituer, au plus, qu’un exemple concret du comportement de la requérante visé par ce dernier considérant.

353    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas commis d’erreurs d’appréciation en concluant, dans la Décision, que la requérante avait joué un rôle de meneur dans les infractions relatives aux vitamines A et E.

–       Conclusion sur l’application de la circonstance aggravante en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E

354    Même si la Commission ne pouvait pas valablement conclure, sur la base des éléments de preuve qu’elle a invoqués, que la requérante a eu un rôle d’incitateur dans les infractions relatives aux vitamines A et E, l’examen du dossier, à la lumière des arguments des parties, amène le Tribunal à conclure, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, que l’augmentation de 35 % du montant de base des amendes appliquée à BASF en ce qui concerne ces infractions demeure pleinement justifiée en considération du rôle de meneur que BASF a joué dans celles-ci conjointement avec Roche, quoique dans une mesure moins significative que cette dernière.

b)     Infraction relative à la vitamine B 5

 Arguments des parties

355    En ce qui concerne l’infraction relative à la vitamine B 5, la requérante fait observer que la Décision, d’une part, affirme, à son considérant 296, que l’entente « était organisée, orchestrée et contrôlée par Roche » et, d’autre part, concède que BASF n’a pas pris l’initiative des arrangements illégaux. La requérante met en exergue que Roche et Daiichi Pharmaceutical Co. Ltd (ci-après « Daiichi ») ont discuté, lors d’une réunion tenue en décembre 1990, de la création de l’entente et des mécanismes de fixation des prix et d’attribution de quotas, et que BASF a été recrutée par Roche à la demande de Daiichi (considérant 298 de la Décision). Roche aurait joué un rôle très actif dans l’organisation, l’orchestration et le contrôle de l’entente, en établissant la structure fondamentale de celle-ci, en organisant des réunions séparées avec chaque participant, en rassemblant des données concernant les prix et les volumes de chaque participant et en se plaignant si les parties ne respectaient pas l’accord. En revanche, la Décision ne citerait qu’un seul cas où BASF a annoncé ses prix et n’apporterait aucune preuve de ce que BASF a assumé un rôle de meneur ou un rôle actif dans la gestion de l’entente.

356    La requérante estime que son rôle n’était pas plus important, et probablement moins important, que celui de Daiichi, qui n’a pas été qualifiée de meneur. À cet égard, elle souligne que Daiichi a encouragé l’extension des arrangements à de nouveaux membres et a poussé Roche à recruter BASF (considérant 298 de la Décision). Conjointement avec Roche, Daiichi aurait organisé toutes les réunions au sommet et opérationnelles relatives à la vitamine B 5, ce qui impliquerait un rôle continu et actif de partage des responsabilités d’un meneur avec Roche.

357    La défenderesse estime avoir démontré dans la Décision le rôle de meneur, quoique moins important que celui de Roche, joué par BASF dans l’entente relative à la vitamine B 5. Elle mentionne la référence dans la Décision à une réunion au sommet entre Roche et BASF ayant eu lieu, en juin 1992, avant les réunions au sommet entre les trois membres de l’entente (considérant 314). Elle précise que la communication des griefs et la Décision (considérant 319) relatent que Roche ou BASF indiquaient périodiquement à Daiichi que l’une ou l’autre d’entre elles allait relever les prix, l’informaient de la date à laquelle l’augmentation allait avoir lieu et l’invitaient à suivre cette initiative. La Décision ferait également ressortir le front commun de Roche et BASF vis-à-vis des autres producteurs, dans la mesure où elle précise qu’elles étaient toujours en mesure d’augmenter les prix, et qu’elle le faisaient effectivement, même si Daiichi s’opposait aux augmentations (considérants 321 à 324).

358    En outre, la défenderesse estime que le rôle de Daiichi dans l’entente relative à la vitamine B 5 ne pouvait en aucun cas être considéré comme étant celui d’un meneur.

359    Dans son mémoire en réplique, la requérante conteste que la réunion de juin 1992 entre Roche et BASF puisse suggérer le rôle de meneur ou d’incitateur de cette dernière. Quant au fait que Roche et BASF annonçaient en alternance les augmentations des prix, il n’indiquerait en rien qui les a proposées, ni si une pression a été exercée sur d’autres membres qui n’étaient pas d’accord avec l’augmentation. Il serait donc dépourvu de pertinence aux fins de la question de savoir qui dirigeait l’entente.

360    S’agissant du front commun prétendument adopté par Roche et BASF vis-à-vis de Daiichi en ce qui concerne les augmentations de prix, la requérante met en exergue qu’une caractéristique commune des ententes est que les membres n’ont pas toujours les mêmes intérêts. Le fait que les intérêts de Roche et de BASF en matière de prix aient pu diverger de ceux de Daiichi ne dirait rien en ce qui concerne le rôle de meneur de l’entente. De surcroît, le comportement effectif des trois participants à l’occasion de la proposition d’augmentation des prix pour le printemps 1998 montrerait une absence de tout meneur de l’entente, dans la mesure où chacun des participants aurait poursuivi sa propre politique visant à atteindre ses propres objectifs, au point que l’augmentation aurait finalement échoué sur le marché (considérants 323 à 325 de la Décision). À cet égard, la requérante fait remarquer que la défenderesse elle-même, dans son mémoire en défense (point 95), admet que le rôle de meneur d’une entente est établi quand le fonctionnement de l’entente montre que le comportement sur le marché d’une entreprise est effectivement dicté par d’autres entreprises.

361    Dans son mémoire en duplique, la défenderesse précise que la Décision n’a jamais prétendu que BASF avait initié le cartel relatif à la vitamine B 5. Elle ajoute que le rôle de meneur sur le marché n’implique pas nécessairement qu’une entreprise ait également agi comme incitateur de l’entente. Par conséquent, les arguments de la requérante visant à faire constater que Roche et Daiichi étaient les incitateurs de l’entente seraient dénués de pertinence.

 Appréciation du Tribunal

362    Il convient de rappeler que, selon la Décision, ont participé à l’entente relative à la vitamine B 5 Roche, BASF et le producteur japonais Daiichi.

363    Il convient ensuite de constater que, s’agissant de BASF, la défenderesse, dans ses écritures, fait valoir uniquement son rôle de meneur dans cette infraction, sans la qualifier également d’incitateur.

364    À cet égard, même si le considérant 712 de la Décision évoque tant le rôle de meneur que le rôle d’incitateur de Roche et de BASF, il le fait toutefois d’une manière générale et par rapport à toutes les infractions, alors que la note de bas de page de ce considérant fait renvoi, en ce qui concerne l’entente relative à la vitamine B 5, aux seuls considérants 319 et 322, lesquels ne se rapportent pas à l’établissement ou à l’élargissement de cette entente, mais aux augmentations des prix de cette vitamine réalisées dans le cadre de la mise en œuvre de l’entente.

365    Force est donc de conclure que la majoration de 35 % du montant de base de l’amende infligée à la requérante pour l’infraction relative à la vitamine B 5 repose uniquement sur le prétendu rôle de meneur joué par celle-ci. Il y a donc lieu pour le Tribunal, dans le cadre du contrôle de la légalité de cette majoration, de limiter son analyse aux circonstances factuelles rapportées dans la Décision comme preuves du rôle de meneur de BASF, qui sont relatives aux augmentations des prix de la vitamine B 5 réalisées dans le cadre de la mise en œuvre de l’entente.

366    Le considérant 319 de la Décision relate que, « [s]elon Daiichi, Roche ou BASF lui indiquait périodiquement que l’une ou l’autre d’entre elles allait relever le prix, l’informait de la date à laquelle cette augmentation aurait lieu et l’invitait à ‘suivre’ », « ces annonces » étant « souvent faites par la voie de la presse spécialisée ».

367    Les considérants 321 et 322 de la Décision évoquent les motivations communes qui incitaient Roche et BASF à relever le prix de la vitamine B 5, à savoir, d’une part, l’intérêt à rétrécir les marges de leurs concurrents sur le marché en aval des prémélanges en vue d’évincer ceux-ci de ce marché et, d’autre part, l’exigence d’éviter que les fluctuations monétaires conduisent à des écarts de prix entre les régions et à des détournements de trafic sous forme de réexpéditions par les distributeurs. Comme le rappelle la défenderesse, la Décision fait ressortir également, aux considérants 323 à 325, que Roche et BASF augmentaient les prix même si Daiichi s’opposait aux augmentations.

368    La requérante ne conteste pas les circonstances évoquées aux considérants cités aux deux points qui précèdent.

369    Elle interprète le considérant 319 en ce sens que Roche et BASF annonçaient de façon alternée les augmentations des prix et souligne que cette circonstance n’indiquerait en rien qui proposait ces augmentations.

370    Or, il ressort de ce considérant – tout comme d’ailleurs du point 101, troisième alinéa, de la communication des griefs et de l’extrait pertinent de la déclaration de Daiichi du 19 juillet 1999 versé au dossier par la défenderesse dans le cadre de l’exécution des mesures d’organisation de la procédure – que la requérante ou Roche ne se limitaient pas à annoncer en premier des augmentations, mais qu’elles décidaient de lancer de telles augmentations et qu’elles en prévenaient Daiichi.

371    Contrairement à ce qui a trait aux ententes relatives aux vitamines A et E (voir point 347 ci‑dessus), la Décision n’indique pas, dans la description des faits relatifs à l’entente relative à la vitamine B 5, que les parties à cette dernière entente décidaient d’un commun accord, lors de leurs réunions périodiques, des augmentations des prix, de leur niveau et de la date de leur mise en œuvre. Le considérant 317 de la Décision mentionne « une série de hausses de prix concertées » et le considérant 319 décrit un mécanisme, révélé à la Commission par Daiichi, selon lequel Roche ou BASF prenaient l’initiative d’augmenter les prix et en informaient Daiichi à l’avance, en l’invitant à s’aligner. Il apparaît ainsi que la réalisation concrète des augmentations concertées relevait bien de l’initiative individuelle de Roche ou de BASF quant au lancement, au niveau et au moment de l’augmentation.

372    En tout état de cause, à supposer même que les parties s’accordaient à l’avance non seulement sur le mécanisme de base de la concertation sur les prix (initiative individuelle, communication préalable aux autres producteurs, alignement de ceux-ci), mais également, cas par cas, sur les augmentations de prix à effectuer concrètement, leur niveau et leur date de mise en oeuvre, celles‑ci n’en demeuraient pas moins tributaires de l’initiative spontanée de Roche ou de BASF (voir, en ce sens, les considérations exposées au point 348 ci‑dessus).

373    Le partage des responsabilités entre Roche et BASF dans ce domaine s’explique d’ailleurs à la lumière des intérêts convergents de ces entreprises – tels qu’ils sont décrits au considérant 321 et surtout au considérant 322 de la Décision – et du front commun formé par elles – tel qu’il s’est révélé notamment à l’occasion de l’augmentation des prix visée aux considérants 324 et 325 –, facteurs qui caractérisent le contexte de l’espèce au regard duquel les éléments de preuve du rôle de meneur doivent être appréciés (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 269 supra, point 241).

374    Quant au fait, évoqué par la requérante, que Daiichi, contrairement à Roche, ne se soit pas alignée sur l’augmentation des prix susmentionnée et que celle-ci ait finalement échouée sur le marché (considérants 323 à 325 de la Décision), il n’enlève rien à la responsabilité importante, en terme d’impulsion à la conduite illicite des participants à l’entente, que la requérante, à l’instar de Roche, assumait en prenant l’initiative des augmentations des prix de la vitamine B 5 selon le schéma décrit au considérant 319 de la Décision. Il y a lieu d’observer que, contrairement à ce que prétend la requérante, le fait pour une entreprise d’exercer des pressions, voire de dicter le comportement des autres membres de l’entente, n’est pas une condition nécessaire pour que cette entreprise puisse être qualifiée de meneur de l’entente. Il suffit, en effet, que l’entreprise ait représenté une force motrice significative pour l’entente, ce qui peut être inféré notamment du fait qu’elle s’est chargée d’élaborer et de suggérer la conduite à tenir par les membres de l’entente, alors même qu’elle n’était pas nécessairement en mesure de la leur imposer.

375    C’est donc à juste titre que la Commission, dans la Décision, a déduit de la circonstance visée au considérant 319 que la requérante, à l’instar de Roche quoique dans une moindre mesure, avait porté une responsabilité particulière dans le fonctionnement de l’entente relative à la vitamine B 5.

376    Cette responsabilité ne saurait être remise en cause au motif que Daiichi, quant à elle, a pu jouer un rôle d’incitateur de l’entente ou a organisé un certain nombre de réunions de l’entente.

377    Dès lors, il y a lieu de considérer que la requérante n’a pas démontré le caractère erroné de l’appréciation de la Commission selon laquelle BASF a joué avec Roche un rôle de meneur dans l’infraction relative à la vitamine B 5.

378    Le présent moyen, pour autant qu’il est dirigé contre cette appréciation, doit, par conséquent, être rejeté, étant par ailleurs observé que la requérante n’y avance aucun grief spécifique quant au taux de la majoration d’amende lui ayant été appliquée à ce titre.

c)     Infraction relative à la vitamine C

 Arguments des parties

379    En ce qui concerne l’infraction relative à la vitamine C, la requérante allègue que les éléments de preuve cités dans la Décision n’établissent pas qu’elle est à l’initiative des arrangements illégaux avec Roche ou qu’elle a codirigé ces arrangements avec Roche. Prise dans son ensemble, la Décision établirait clairement que Roche seule a dirigé les arrangements relatifs à la vitamine C. Les seuls éléments de preuve cités dans la Décision contre la requérante seraient qu’elle a tenu en ses locaux deux réunions avec les autres membres de l’entente pour discuter du défi posé par les producteurs chinois, au cours desquelles, par ailleurs, Roche, et non BASF, aurait proposé des augmentations de prix et des réductions de volume. En outre, la requérante fait valoir que Takeda était au moins aussi impliquée qu’elle, sinon davantage, dans la conception des arrangements illégaux portant sur la vitamine C et dans l’instigation à les conclure. Elle fait observer que, cependant, Takeda n’a pas été qualifiée de meneur.

380    La défenderesse maintient que son appréciation selon laquelle la requérante a eu un rôle de meneur dans l’entente relative à la vitamine C est correcte, y compris par rapport au rôle de Takeda. La requérante oublierait de mentionner d’autres passages importants de la Décision qui prouveraient que Takeda a dû faire face à un bloc compact formé par les producteurs européens, dont Roche et BASF. À cet égard, la défenderesse rappelle notamment que le considérant 433 indique que c’est BASF qui, lors d’une des réunions qu’elle a organisées, a souhaité assumer un rôle de meneur pour imposer des objectifs de prix. En effet, il ressortirait de ce considérant que, en dépit des propositions de Roche sur les prix, BASF avait l’intention de fixer les prix à 25, 26 et 27 marks allemands (DEM) pour les deuxième, troisième et quatrième trimestres de 1993, et a clairement signifié aux autres membres de l’entente qu’elle entendait être le leader sur ce marché en appliquant ces prix. En outre, le considérant 437 ferait état de la préparation par BASF de documents de travail visant à présenter ses propositions à une réunion du 25 mai 1993. Selon la défenderesse, la requérante admettrait même qu’elle a dirigé l’entente relative à la vitamine C lorsqu’elle indique, au point 149 de sa requête, qu’« il est vrai que BASF a occasionnellement eu un rôle à jouer ».

381    En ce qui concerne les rôles prétendument identiques de BASF et de Takeda, la défenderesse souligne qu’il ne suffit pas, pour être qualifié de meneur d’un cartel, d’avoir établi des contacts avec les concurrents (c’est‑à‑dire d’avoir joué un rôle d’incitateur) si le fonctionnement du cartel montre que les comportements sur le marché sont effectivement dictés par d’autres entreprises. Or, tel serait précisément le cas de Takeda. En effet, la défenderesse indique que BASF s’accordait avec la politique des prix de Roche (considérant 424 de la Décision) et que les producteurs européens avaient lancé un ultimatum à Takeda, qui devait accepter de diminuer ses ventes de vitamine C, sinon ils se retireraient de l’accord (considérant 442). En revanche, une augmentation des prix annoncée par Takeda n’aurait pas été suivie par Roche et BASF (considérant 425) et les propositions de Takeda auraient été systématiquement rejetées ou non mises en œuvre par les producteurs européens (considérants 446, 447 et 456 de la Décision). Takeda n’aurait pas respecté les quotas fixés par ces derniers, qui l’auraient prise à partie pour cela. Ceux-ci auraient par ailleurs tenu des réunions entre eux, en l’absence de Takeda.

 Appréciation du Tribunal

382    Il convient de rappeler que, conformément à la Décision, ont participé à l’entente relative à la vitamine C les trois producteurs européens Roche, BASF, Merck KgaA et le producteur japonais Takeda.

383    Il convient ensuite de constater que, s’agissant de BASF, la défenderesse, dans ses écritures, fait valoir uniquement son rôle de meneur dans cette infraction, sans la qualifier également d’incitateur.

384    Il est vrai que la note de bas de page du considérant 712 de la Décision cite, parmi les considérants qui étayeraient le rôle de meneur et d’incitateur de BASF dans les différentes infractions, également le considérant 388 de la Décision, qui est relatif à l’origine de ladite entente. Cependant, force est de constater que BASF n’est pas même mentionnée dans le considérant 388, lequel montre, en revanche, que les premières rencontres préparatoires de la création de l’entente ont été tenues entre Roche et Takeda. La référence au considérant 388 dans la note de bas de page du considérant 712 résulte donc à l’évidence d’une erreur de plume.

385    Il s’ensuit que la majoration de 35 % du montant de base de l’amende infligée à la requérante pour l’infraction relative à la vitamine C repose uniquement sur le prétendu rôle de meneur joué par celle-ci. Il y a donc lieu pour le Tribunal, dans le cadre du contrôle de la légalité de cette majoration, de limiter son analyse aux circonstances factuelles rapportées dans la Décision comme preuves du rôle de meneur de BASF, à savoir celles visées aux considérants 432, 437 et 439, qui ont trait à l’organisation et aux modalités de déroulement de certaines réunions du cartel.

386    Le considérant 432 de la Décision relate une réunion organisée par la requérante à son siège social, à Ludwigshafen, au début de l’année 1993, avec Roche et Merck, pour examiner les problèmes liés à la concurrence exercée par les producteurs chinois. Le considérant 439 évoque une autre réunion ayant eu lieu dans les bureaux de la requérante à Francfort entre les quatre membres de l’entente.

387    Il convient d’observer que le fait que la requérante ait ainsi accueilli deux réunions de l’entente apparaît peu significatif si l’on considère que la Décision évoque de nombreuses réunions bilatérales tenues entre Roche et Takeda à Bâle (siège de Roche) ou à Tokyo (siège de Takeda) (considérants 388, 390, 391, 403, 407, 413, 418, 420 et 456) et le fait que, de 1991 à mai 1993, les réunions trimestrielles entre les producteurs européens se déroulaient habituellement à Bâle (considérant 415).

388    Le considérant 437 indique que la requérante « a communiqué ses documents de travail pour [la réunion multilatérale de Zurich du 25 mai 1993], qui présentent en détail la proposition de réduction [des quotas] de 5 % et le compromis trouvé ».

389    Au vu d’une certaine ambiguïté de cette phrase, sur laquelle la défenderesse s’appuie dans ses écritures, le Tribunal a demandé à celle‑ci, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, de produire ces documents de travail et de préciser si, par cette même phrase, elle a entendu constater que BASF avait communiqué lesdits documents aux autres membres de l’entente en vue de la réunion du 25 mai 1993.

390    En réponse à cette demande, la défenderesse a produit un document qui lui avait été transmis par BASF durant la procédure administrative et concernant les quotas à allouer pour 1993 s’agissant de la vitamine C (ci‑après également la « fiche des quotas 1993 »). En outre, elle a précisé que, au considérant 437 de la Décision, elle n’a pas entendu constater que la requérante avait communiqué ce document aux autres membres de l’entente, mais indiquer que la position de BASF qui serait présentée durant la réunion du 25 mai 1993 était favorable à une réduction des quotas de 5 % et que BASF entendait inviter les autres participants à discuter de cette proposition. La défenderesse a fait observer que, conformément aux explications données par BASF lors de la procédure administrative, dans la fiche des quotas 1993 les quotas dactylographiés avaient été rédigés par Roche, alors que les quotas manuscrits avaient été rajoutés par un représentant de BASF et correspondaient à la proposition d’arrangement discutée lors de ladite réunion.

391    Ces explications de la défenderesse sont plutôt confuses et ne permettent pas de comprendre, notamment, si BASF, au cours de la réunion du 25 mai 1993, a soutenu la proposition de Roche ou si elle a d’emblée proposé aux autres membres de l’entente l’alternative représentée par les quotas manuscrits figurant dans la fiche des quotas 1993. Il ne résulte pas non plus clairement du dossier que ces quotas manuscrits ont été rajoutés sur cette fiche par le représentant de BASF avant la réunion du 25 mai 1993, et non plutôt durant ou après celle-ci.

392    Il résulte en revanche clairement des considérants 436 et 437 de la Décision que, lors de cette réunion, c’est Roche qui a avancé la proposition d’une réduction générale des quotas pour 1993 de 5 %, que Takeda s’est opposée à cette proposition et a formulé une contre‑proposition et qu’une solution de compromis a été trouvée consistant à diminuer les quotas des producteurs européens de 2,5 % et celui de Takeda de 2,2 %. Or, à supposer même qu’une telle solution ait été élaborée par BASF avant la réunion et qu’elle ait été proposée par BASF au cours de cette réunion, une telle circonstance, compte tenu du contexte dans lequel elle s’insère, ne saurait constituer un indice significatif du rôle de meneur de celle-ci. Ce contexte montre, en effet, que Roche était à l’origine de l’initiative de restreindre la production en 1993 (voir, en ce sens, également les considérants 432 et 434 de la Décision) et qu’au moins trois producteurs ont formulé des propositions chiffrées quant à l’ampleur de la réduction des quotas. Le fait que la proposition finalement retenue ait été celle proposée par BASF en tant que compromis entre les positions de Roche et de Takeda ne saurait qualifier la requérante de meneur de l’entente.

393    Les circonstances factuelles évoquées dans la Décision comme éléments de preuve du rôle de meneur joué par BASF dans l’entente relative à la vitamine C, même appréciées à la lumière du contexte de l’espèce, s’avèrent ainsi dépourvues de réelle signification aux fins de l’attribution à la requérante d’un tel rôle.

394    Il s’ensuit que la Décision est entachée à cet égard d’une illégalité ouvrant la voie à l’exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction en vue de déterminer, à la lumière de toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Michelin/Commission, point 62 supra, point 111, et du 18 septembre 2003, Volkswagen/Commission, C‑338/00 P, Rec. p. I‑9189, point 151), si la requérante peut néanmoins être regardée comme ayant été un meneur de l’entente en cause et si le montant de base de l’amende lui ayant été infligée pour sa participation à cette entente doit dès lors être majoré au titre d’une telle circonstance aggravante.

395    Au soutien de sa conclusion selon laquelle la requérante a effectivement joué un tel rôle, la défenderesse, dans ses écritures, a évoqué également des circonstances factuelles relatées dans des considérants de la Décision non cités à la note de bas de page du considérant 712.

396    À cet égard, s’agissant, en premier lieu, de la référence faite par la défenderesse au considérant 433 pour démontrer que la requérante avait assumé un rôle de meneur pour imposer des objectifs de prix, force est de constater qu’elle est dépourvue de pertinence.

397    Le considérant 433 indique que BASF a communiqué une note détaillée sur la réunion organisée par elle à son siège social de Ludwigshafen au début de l’année 1993 (voir point 386 ci-dessus) et que cette note montre les objectifs de prix pour les trois derniers trimestres de l’année 1993.

398    En déférant à l’invitation que le Tribunal lui a adressée au titre des mesures d’organisation de la procédure, la défenderesse a produit cette note et a précisé que celle-ci prouve le rôle de meneur assumé par BASF, dans la mesure où elle émane de BASF, où cette dernière ne l’a pas contestée et où il en ressort que BASF entendait fixer les objectifs de prix respectivement à 24, 25 et 26 DEM pour chacun desdits trimestres.

399    À cet égard, étant précisé que le considérant 433, en exposant que ladite note a été communiquée par BASF, entend, à l’évidence, signifier que celle-ci a été produite par la requérante à la Commission durant la procédure administrative, et non qu’elle avait été transmise par la requérante aux autres membres de l’entente avant la réunion à Ludwigshafen, il convient de relever, avec la requérante, que le considérant 432 indique clairement que, lors de cette même réunion, c’est Roche qui a proposé, notamment, de relever les prix au cours des trimestres susvisés.

400    En outre, la défenderesse n’explique pas en quoi cette note, dont il n’est pas établi si elle a été rédigée par BASF avant, durant ou après ladite réunion, témoignerait d’une intention précise de BASF en ce qui concerne le niveau des objectifs de prix ou d’un rôle particulier joué par elle dans l’établissement de tels objectifs. Il convient d’observer que, en la transmettant à la Commission annexée à sa lettre datée du 23 juin 1999, la requérante avait seulement indiqué, dans une fiche explicative (page 4428 du dossier administratif), que cette note reflétait « l’arrangement relatif à la vitamine C ».

401    C’est donc à tort que la défenderesse se fonde sur le considérant 433 de la Décision pour affirmer que la requérante, à l’occasion de cette réunion, a souhaité assumer un rôle de meneur pour imposer des objectifs de prix.

402    S’agissant, en second lieu, des circonstances qui, de l’avis de la défenderesse, montrent l’accord qui régnait entre les producteurs européens en ce qui concerne l’évolution que devaient suivre les prix et les ventes, ainsi que le conflit entre ceux-ci et Takeda (voir point 381 ci‑dessus), il y a lieu de relever que la convergence d’intérêts, d’objectifs et de positions prises au sein d’une entente par un groupe de membres de celle-ci ne saurait comporter nécessairement ni l’attribution du rôle de meneur aux membres de ce groupe ni l’extension de cette qualification – qui, en fonction d’autres circonstances, soit retenue pour l’un d’entre eux – à tous les autres. Par ailleurs, Merck faisait aussi partie de ce « bloc compact » de producteurs européens évoqué par la défenderesse, mais n’a pas pour autant été qualifiée de meneur. Certes, la Décision mentionne plus de circonstances à charge pour BASF que pour Merck – l’organisation de deux réunions (voir point 386 ci-dessus) et la promesse faite à Roche de modifier, le cas échéant, l’organisation locale au cas où Roche constaterait que les prix pratiqués par BASF au niveau local déstabilisaient le marché (considérant 424 de la Décision) – mais ces circonstances ne sont pas suffisamment significatives pour justifier un traitement substantiellement différent pour Merck et pour BASF au regard de la circonstance aggravante en cause. Quant à la comparaison avec le rôle joué par Takeda, s’il est vrai que la Décision fait ressortir que, dans quelques occasions, elle a dû formellement accepter le maintien des accords originaux sur les quotas exigé par les producteurs européens, il en ressort également que, dans les faits, Takeda ne s’est pas conformée à ce compromis et que, dans d’autres occasions (comme la réunion du 25 mai 1993 à Zurich, visée aux considérants 436 et 437), elle n’a pas accepté les propositions qui lui avaient été faites et a réussi à rendre nécessaire un compromis.

403    Plus généralement, il y a lieu de considérer, avec la requérante, que toutes les circonstances évoquées par la défenderesse quant à l’opposition entre les producteurs européens et Takeda témoignent simplement de l’instabilité qu’a connu l’entente à la suite de l’importante et inattendue progression des ventes des producteurs chinois, et des négociations, parfois âpres, que les membres de l’entente, en exerçant tous un rôle certes actif mais pas pour autant de meneur, ont entamées sur une base continue pour surmonter les difficultés créées par la concurrence chinoise. Les considérants 439 et 440 de la Décision font ressortir, par exemple, qu’il arrivait bien que chacun des quatre membres de l’entente présentât ses propres propositions. Par ailleurs, les ultimatums lancés par les producteurs européens à Takeda (voir, outre celui mentionné par la défenderesse et évoqué au considérant 442, un ultimatum analogue qui aurait été adressé à Takeda par BASF et par Merck par le truchement de Roche, évoqué aux considérants 444 et 446) n’avaient pas pour objet des représailles particulières, mais, tout simplement, le retrait de l’entente, et, en tout état de cause, il ressort du considérant 425 de la Décision que Takeda aussi a lancé un ultimatum à Roche et à BASF ayant pour objet des « mesures à leur encontre » pour le cas où elles ne s’aligneraient pas sur son prix.

404    Dans de telles conditions, la seule entreprise qui, à la rigueur, peut être qualifiée de meneur demeure Roche, laquelle organisait bon nombre de réunions (considérant 415), rencontrait séparément BASF et Merck d’un côté (considérants 415 et 432) et Takeda de l’autre (considérants 403, 407, 412, 413, 415, 418, 419, 420, 443 et 456), en se chargeant de représenter BASF et Merck dans les négociations avec Takeda (considérants 444 et 456) et Takeda lors des réunions trimestrielles entre producteurs européens (considérant 416), collectait les chiffres de vente des membres de l’entente et indiquait à ceux-ci en retour les résultats totaux par entreprise (considérant 417). En outre, Roche est le membre de l’entente dont il ressort de la Décision qu’il s’est chargé le plus souvent de formuler des propositions relatives au fonctionnement de l’entente (par exemple, Roche a proposé que les membres de l’entente coordonnent leurs positions en tant que fournisseurs vis-à-vis du client Coca-Cola : considérant 410 ; lors de la réunion bilatérale avec Takeda des 15 et 16 mai 1991, elle a proposé de fixer les quotas de vente européens pour 1991 pays par pays : considérant 423 ; lors des réunions tenues au début de 1993 et le 25 mai 1993, elle a proposé de limiter la production et/ou de relever les prix : considérants 432 à 434 et 436 ; lors d’une réunion du 10 novembre 1993 avec Takeda à Tokyo, elle a proposé un nouveau système pour les quotas de l’année 1994 : considérant 445).

405    Par ailleurs, l’allégation figurant au point 149 de la requête, selon laquelle « BASF a occasionnellement eu un rôle à jouer », ne saurait aucunement valoir reconnaissance par la requérante de son rôle de meneur, la requérante ayant en même temps précisé, audit point, qu’elle n’en avait pas pour autant géré ou dirigé les arrangements.

406    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que, ni dans la Décision ni devant le Tribunal, la Commission n’a établi à suffisance de droit que la requérante a joué, conjointement avec Roche, un rôle de meneur dans l’infraction relative à la vitamine C.

407    Par conséquent, la majoration de 35 % du montant de base de l’amende infligée à la requérante pour cette infraction doit être supprimée.

d)     Infraction relative à la vitamine D 3

 Arguments des parties

408    En ce qui concerne l’infraction relative à la vitamine D 3, la requérante soutient que la Commission elle-même a reconnu, au considérant 461 de la Décision, avoir été incapable de déterminer qui de Roche, BASF ou Solvay Pharmaceuticals BV (ci-après « Solvay ») avait été à l’initiative de cette infraction. La requérante met en exergue qu’elle a pourtant été considérée comme un incitateur et comme un meneur avec Roche, alors que Solvay n’a pas été ainsi qualifiée. La Commission n’aurait pas fourni la moindre preuve à l’appui de cette conclusion concernant la requérante. En effet, la Décision ne s’appuierait à cet égard que sur les considérants 459 et 460, lesquels, toutefois, ne feraient qu’établir que, d’une part, Roche a déclaré que Solvay avait pris l’initiative des arrangements, et, d’autre part, que Solvay a déclaré qu’elle n’avait pas eu de rôle d’initiative, mais qu’elle avait été le dernier membre à rejoindre l’entente. Or, de telles circonstances ne permettraient aucunement de conclure que BASF a été un incitateur ou un meneur de ces arrangements. 

409    La requérante souligne que son rôle dans l’entente contraste avec les rôles de dirigeants actifs joués tant par Roche que par Solvay et qui ressortent de plusieurs circonstances évoquées dans la Décision.

410    La défenderesse précise que, pour la vitamine D 3, elle n’a pas retenu, à l’égard de la requérante, le rôle d’incitateur, mais plutôt celui de meneur, c’est-à-dire le rôle actif joué dans le fonctionnement du cartel. Les lignes directrices sur les amendes rappelleraient d’ailleurs qu’une majoration peut être appliquée au meneur ou à l’incitateur d’une entente. Par ailleurs, il n’existerait aucune preuve démontrant que Solvay a pris l’initiative de l’entente et, à supposer même qu’une telle circonstance soit prouvée, le fait que la Commission n’ait pas majoré, à tort, l’amende de Solvay au vu de son rôle d’incitateur supposé ne signifierait pas qu’elle ait commis une erreur en majorant l’amende infligée à la requérante en raison du rôle de meneur de celle-ci.

411    Elle fait observer que le considérant 472 de la Décision indique que, lors de leur première réunion en janvier 1994, les producteurs avaient défini les prix « catalogue » et les prix minimaux pour chaque région et qu’il ressortait d’un commentaire manuscrit figurant dans une note de Solvay que BASF annonçait les prix en premier.

412    En outre, le rôle de meneur de BASF et Roche dans l’entente relative à la vitamine D 3 serait rappelé par Solvay dans sa réponse à la communication des griefs, alors que Roche elle-même aurait reconnu que cette entente avait débuté par l’établissement de contacts bilatéraux avec BASF.

413    La Décision tiendrait compte de la position relativement plus faible de Solvay par rapport aux deux autres producteurs lorsqu’elle examine les objectifs fixés en matière de quotas (considérant 476). En outre, elle indiquerait que la première augmentation de prix avait été menée par BASF et que ce n’est que plus tard que Solvay, à son tour, en a mené une (considérants 472, 473 et 479). C’est sur la base de ces éléments que la défenderesse aurait estimé que, si BASF avait un rôle de meneur moins important que celui de Roche, il était néanmoins plus important que celui de Solvay.

414    Dans son mémoire en réplique, la requérante rétorque que les éléments de preuve invoqués par la défenderesse n’établissent pas qu’elle a joué un rôle de meneur dans l’entente relative à la vitamine D 3.

 Appréciation du Tribunal

415    Il convient de rappeler que, conformément à la Décision, ont participé à l’entente relative à la vitamine D 3 Roche, Solvay, BASF et Aventis.

416    La défenderesse, dans ses écritures, a précisé qu’elle n’a pas retenu à la charge de la requérante, pour ce qui est de cette entente, le rôle d’incitateur, mais celui de meneur (voir point 410 ci‑dessus). Cependant, elle indique que Roche aurait reconnu que l’entente avait débuté par l’établissement de contacts bilatéraux avec BASF (voir point 412 ci‑dessus).

417    Il y a lieu de relever que, si le considérant 712 évoque le rôle de meneur et d’incitateur de Roche et de BASF d’une manière générale et par rapport à toutes les infractions, la note de bas de page de ce considérant ne fait renvoi à aucun des considérants de la Décision consacrés à la description des faits relatifs à l’entente portant sur la vitamine D 3.

418    Dans ces conditions, force est de constater que la motivation de la majoration, au titre des circonstances aggravantes, de 35 % du montant de base de l’amende infligée à la requérante du fait de sa participation à cette entente est insuffisante, dans la mesure où elle ne permet pas de comprendre si cette majoration a été imposée au vu du rôle d’incitateur, ou du rôle de meneur, ou bien de ces deux rôles en même temps que BASF aurait joués dans l’infraction.

419    De plus, dans toutes ces hypothèses, en tout état de cause, la motivation reposerait uniquement sur les considérations d’ordre général exposées aux considérants 713 à 717 de la Décision, dont il a déjà été jugé, aux points 295 à 300 ci‑dessus, qu’elles ne sauraient, en elles-mêmes, justifier l’attribution à la requérante du rôle de meneur ou d’incitateur des infractions qui lui sont reprochées en l’espèce.

420    La majoration d’amende en cause étant ainsi entachée d’illégalité, il y a lieu pour le Tribunal d’exercer son pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne l’appréciation du rôle joué par la requérante dans l’infraction relative à la vitamine D 3, en vue de confirmer, supprimer ou modifier ladite majoration.

–       Rôle d’incitateur

421    Quelle que soit la manière dont doit être comprise la position de la défenderesse sur la question de savoir si la requérante a joué ou non un rôle d’incitateur de l’entente relative à la vitamine D 3, force est de constater, avec la requérante, qu’aucun élément soumis au Tribunal ne permet de relever que la requérante a joué un tel rôle.

422    Les considérants de la Décision relatifs à l’origine de cette entente, à savoir les considérants 459 à 463, ne font nullement ressortir un tel rôle de BASF, mais relatent notamment des allégations contradictoires de Roche et de Solvay quant à l’entreprise ayant pris l’initiative aux fins de la constitution de l’entente, Roche ayant attribué cette responsabilité à Solvay et cette dernière ayant réfuté une telle responsabilité. La Commission, au considérant 461, a même laissé expressément ouverte la question de savoir quelle entreprise fût à l’origine de la création de l’entente. L’affirmation de la défenderesse selon laquelle Roche aurait reconnu que cette entente a débuté par l’établissement de contacts bilatéraux avec BASF apparaît manifestement dépourvue de fondement à la lecture du document émanant de Roche sur lequel la défenderesse fonde cette affirmation. En effet, l’extrait de la lettre de Roche à la Commission du 30 juillet 1999 produit par la défenderesse dans ce contexte ne contient pas une telle reconnaissance de Roche, mais évoque plutôt, à deux reprises, que ce fût Duphar (entreprise du groupe Solvay) qui prit l’initiative (« Duphar took the initative » ; « Duphar invigorated its attempts to organise a cartel agreement with Roche and BASF »).

423    C’est donc à juste titre que la requérante affirme qu’il n’y a pas de preuve de ce qu’elle a joué un rôle d’incitateur de l’entente relative à la vitamine D 3.

–       Rôle de meneur

424    Afin d’étayer sa position selon laquelle la requérante a joué, conjointement avec Roche, un rôle de meneur dans l’entente en cause, la défenderesse invoque, en substance, quatre éléments.

425    En premier lieu, elle se réfère à la fixation, lors de la première réunion du cartel en janvier 1994, de prix « catalogue » et de prix minimaux pour le deuxième trimestre de 1994, circonstance visée au considérant 472 de la Décision. À cet égard, la défenderesse fait observer qu’un commentaire manuscrit figurant sur une note de Solvay prise à l’occasion de cette réunion indique que « BASF annonce[rait] les prix en premier » et qu’il s’agissait en l’occurrence de la première majoration de prix de l’entente.

426    Cet élément est dépourvu de signification aux fins de l’attribution à la requérante du rôle de meneur.

427    Il convient en effet de relever que le simple fait, pour le membre d’une entente, d’avoir été le premier à annoncer un nouveau prix ou une augmentation de prix ne saurait être regardé comme étant un indice de son rôle de meneur de l’entente lorsque les circonstances de l’espèce montrent que le prix ou l’augmentation en cause ont été fixés au préalable d’un commun accord avec les autres membres de l’entente et que ces derniers ont également décidé lequel d’entre eux en ferait l’annonce en premier, une telle désignation révélant que le fait d’annoncer le prix ou l’augmentation en premier n’est qu’un acte de stricte observation d’un schéma prédéfini par volonté commune et non une initiative spontanée donnant impulsion à l’entente.

428    Or, tel est précisément le cas en l’occurrence, contrairement à ce qui a été constaté en ce qui concerne les augmentations de prix menées par BASF dans le cadre des ententes relatives aux vitamines A, E et B 5 (voir points 348 et 372 ci‑dessus). En effet, la note de Solvay citée par la défenderesse, prise au cours de la réunion de janvier 1994, indique le niveau convenu pour le prix « catalogue » et pour le prix minimal, et le commentaire manuscrit en cause démontre précisément que le fait que BASF annoncerait ces prix en premier a été discuté et décidé lors de cette réunion, de sorte qu’il ne saurait en être déduit un quelconque rôle substantiel d’initiative dans le chef de la requérante.

429    Il convient, en outre, d’observer que la Décision (considérants 478 et 479) fait état également d’une augmentation de prix annoncée en premier par Solvay, augmentation qui avait été convenue entre Solvay et Roche (et approuvée par BASF) en ce qui concerne aussi bien son niveau, que le moment auquel elle serait annoncée, que, enfin, l’entreprise (Solvay) qui l’annoncerait en premier (laquelle n’a pourtant pas été qualifiée de meneur par la Commission).

430    Quant au fait que les nouveaux prix annoncés en premier par BASF, visés au considérant 472, correspondaient aux premiers nouveaux prix jamais convenus au sein de l’entente, il ne saurait en tout état de cause servir à différencier, sous l’angle du rôle de meneur, la position de la requérante par rapport à celle d’autres membres de l’entente, tels que Solvay, dont il apparaît qu’ils ont aussi annoncé en premier des augmentations de prix dans le cadre de la mise en oeuvre d’une entente pluriannuelle comme celle en cause.

431    En deuxième lieu, la défenderesse indique que le rôle de meneur de Roche et de BASF est rappelé par Solvay dans sa réponse du 2 octobre 2000 à la communication des griefs, dans le cadre de développements montrant le lien entre l’infraction en cause et celles relatives aux vitamines A et E.

432    Cet argument ne saurait être retenu.

433    Dans ladite réponse, Solvay n’attribue de rôle de meneur ni à Roche ni à BASF, mais elle s’efforce de démontrer que, contrairement à ce que Roche avait déclaré à l’annexe 3 de sa lettre à la Commission du 30 juillet 1999, Roche, comme BASF et Aventis, avait bien intérêt à ce qu’une entente pour la vitamine D 3 s’établisse et à ce qu’elle fonctionne. Cette démonstration de Solvay visait, en substance, à réfuter la thèse que Roche avançait dans ladite annexe, selon laquelle Solvay avait pris l’initiative pour la création du cartel de la vitamine D 3 et Roche, n’ayant pas intérêt à augmenter le niveau du prix de cette vitamine, s’était montrée récalcitrante.

434    Dans sa réponse, Solvay souligne le lien qui, à son avis, existait entre les ententes relatives, d’une part, aux vitamines A et E et, d’autre part, à la vitamine D 3 et qui serait révélé par une affirmation de Roche, figurant à ladite annexe 3, selon laquelle « lorsque Roche, BASF et [Aventis] tenaient des réunions trilatérales concernant la vitamine A ou la vitamine E, la politique de prix pour la vitamine D 3 y était également récapitulée » (when Roche, BASF and [Aventis] had trilateral gatherings regarding Vitamin A or Vitamin E, the pricing policies of Vitamin D 3 were also summarized at these meetings).

435    Or, ces propos de Roche, que Solvay évoquait dans le but de faire reconnaître sa responsabilité moindre par rapport à celle des trois autres producteurs impliqués dans l’infraction relative à la vitamine D 3, ne révèlent pas l’exercice de la part de BASF d’un quelconque rôle de meneur dans cette même infraction, et ce d’autant moins qu’il ressort implicitement mais clairement du récit de Roche dans l’annexe 3 de sa lettre du 30 juillet 1999 que, si la politique de prix relative à la vitamine D 3 était récapitulée au cours des réunions trilatérales sur les vitamines A et E entre Roche, BASF et Aventis, ce n’était pas dans le contexte d’une prise de décisions sur la vitamine D 3 en l’absence de Solvay, mais pour rappel des décisions prises lors des réunions concernant la vitamine D 3 en l’absence d’Aventis, qui se faisait représenter par Solvay.

436    En troisième lieu, la défenderesse fait valoir que Roche, toujours à ladite annexe 3, a reconnu que l’entente relative à la vitamine D 3 a débuté par l’établissement de contacts bilatéraux avec BASF. Cet argument, dont il a déjà été jugé au point 422 ci‑dessus qu’il manque en fait, est de surcroît dépourvu de pertinence aux fins de savoir si la requérante a été un meneur de ladite entente, la défenderesse ayant elle‑même souligné à juste titre la distinction entre le concept d’incitateur et le concept de meneur.

437    En quatrième lieu, pour montrer que, contrairement à ce que prétend la requérante, le rôle de BASF dans l’entente était plus important que celui de Solvay, la défenderesse évoque également les considérants de la Décision dans lesquels sont examinés les objectifs fixés en matière de quotas (en particulier le considérant 476), qui montreraient la position relativement plus faible de Solvay par rapport à Roche et à BASF.

438    Cet argument est dépourvu de fondement. En effet, le considérant 476, tout comme les considérants 463 et 474 de la Décision, montre que les quotas alloués à Solvay – qui englobaient par ailleurs la part d’Aventis (voir considérant 483) – représentaient pratiquement le double de ceux alloués à BASF, ce qui reflétait d’ailleurs le rapport entre les parts de marché respectives des producteurs telles que calculées de manière consensuelle entre Roche, BASF et Solvay lors de la première réunion du cartel le 11 janvier 1994 (voir considérant 462).

439    Il y a lieu, en revanche, de relever, avec la requérante, que la Décision fait ressortir des éléments plus significatifs, sous l’angle du rôle de meneur de l’entente en cause, à charge de Roche et de Solvay. À cet égard, il y a lieu d’observer que le considérant 478 fait apparaître que, au cours d’une réunion bilatérale entre Roche et Solvay à Bâle, Roche a proposé une augmentation des prix dont Solvay devait être le chef de file en Europe, et qu’elle s’est engagée à veiller à ce que les deux autres membres de l’entente (BASF et Aventis) s’y alignent. S’agissant de Solvay, il ressort de la Décision qu’elle rencontrait séparément Aventis, qui n’assistait pas aux réunions avec les autres producteurs du cartel et dont elle recueillait les données pour les utiliser lors de ces réunions, pour ensuite communiquer à Aventis l’issue de celles‑ci (considérants 468 et 482). Solvay se voyait attribuer des quotas de production pour le compte d’Aventis (considérant 483) et a collecté les données et distribué les résultats collationnés après l’interruption, suite au déclenchement des enquêtes américaines, de la tenue des réunions (considérant 480).

440    Eu égard à ce qui précède, il ne saurait être conclu, sur la base des éléments du dossier, que la requérante a joué, conjointement avec Roche, un rôle de meneur dans l’infraction relative à la vitamine D 3.

441    La majoration du montant de base de l’amende infligée à la requérante pour cette infraction doit, par conséquent, être supprimée.

e)     Infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes

 Arguments des parties

442    En ce qui concerne les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes, la requérante fait valoir que la Décision n’offre aucune preuve pour corroborer la conclusion selon laquelle BASF, conjointement avec Roche, a conçu et pris l’initiative des arrangements et les a dirigés. En fait, les éléments de preuve suggéreraient que Roche, plutôt que BASF, a joué un rôle actif dans la gestion et la direction de ces arrangements.

443    En particulier, s’agissant de l’instigation et de la conception des arrangements, la requérante affirme que la Décision, tout en comportant, aux considérants 520 et 521, deux références à des réunions initiales entre Roche et BASF, n’évoque toutefois aucun élément révélant laquelle des parties a pris l’initiative de ces réunions. Elle soutient qu’une entente n’est pas conjointement conçue et promue par tous les participants qui assistent à la première réunion.

444    S’agissant de la direction des arrangements, la requérante évoque une série de circonstances mentionnées dans la Décision (considérants 520 à 522, 525 et 526) qui prouvent, à son avis, le rôle actif joué par Roche à cet égard. Ainsi, la requérante rappelle que Roche a organisé la première réunion, les réunions trimestrielles ainsi qu’une réunion visant à étendre, comme elle le souhaitait afin de limiter la part de marché de BASF, la portée de l’entente relative au bêta‑carotène pour y inclure les caroténoïdes rouges. La position dirigeante de Roche ressortirait également de la circonstance, relatée au considérant 525 de la Décision, que BASF estimait qu’elle ne pouvait pas entrer sur le marché de l’astaxantine rose sans obtenir l’approbation de Roche.

445    La défenderesse fait valoir que la communication des griefs et la Décision indiquent, sur la base d’ailleurs des déclarations de la requérante elle-même au cours de la procédure administrative, que le fonctionnement des accords sur le bêta‑carotène et sur les caroténoïdes reflétait la structure des accords sur les vitamines A et E (notamment considérants 522 et 530). Ainsi, les considérations développées, quant au fonctionnement de ces derniers accords, aux considérants 175 à 188 de la Décision, seraient également pertinentes en ce qui concerne les accords sur le bêta‑carotène et sur les caroténoïdes. La défenderesse évoque, en particulier, le considérant 183, indiquant que, si une augmentation des prix était décidée, Roche était généralement la première à l’annoncer, bien qu’elle ait occasionnellement demandé à BASF d’annoncer l’augmentation en premier. Ces faits, non contestés par la requérante, prouveraient donc que BASF a eu un rôle de meneur également dans les ententes relatives au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, même si ce rôle n’était qu’occasionnel et moins important que celui de Roche.

446    Dans son mémoire en réplique, la requérante rappelle, premièrement, que, dans le cadre du présent recours, elle conteste l’appréciation de la Commission selon laquelle elle était un meneur en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E.

447    Elle fait valoir, deuxièmement, que l’institution n’a pas satisfait à la charge de la preuve en ce qui concerne le rôle de meneur qu’elle lui a attribué pour les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes. En effet, la Commission devrait démontrer spécifiquement que, par ses propres actions, BASF avait joué un tel rôle et ne pourrait simplement recycler des allégations faites dans le contexte d’autres infractions ou renvoyer à la description du fonctionnement d’un accord illégal.

448    Elle soutient, troisièmement, que la thèse de la défenderesse est illogique, dans la mesure où les deux seuls membres d’une entente ne sauraient tous deux être des meneurs, l’existence d’un meneur exigeant un meneur et au moins un suiveur.

449    Dans son mémoire en duplique, la défenderesse réfute cette dernière affirmation de la requérante, en faisant observer que, dans des infractions de longue durée telles que celles de l’espèce, il se peut très bien que, à différents moments durant le fonctionnement de l’entente, l’une ou l’autre entreprise soit meneur, ce qui pourrait se refléter correctement dans des majorations différentes des amendes pour tenir compte des différents rôles joués par ces entreprises (arrêt LR AF 1998/Commission, point 144 supra, point 204).

 Appréciation du Tribunal

450    Il convient de rappeler que, conformément à la Décision, ont participé à l’entente relative au bêta-carotène et à celle relative aux caroténoïdes uniquement Roche et BASF.

451    La défenderesse, dans ses écritures, n’évoque que le rôle de meneur que BASF aurait joué dans ces ententes, sans attribuer à cette entreprise également un rôle d’incitateur. D’ailleurs, les éléments qu’elle fait valoir pour défendre l’application à la requérante de la circonstance aggravante en cause pour ces deux infractions sont afférents au fonctionnement et non à la création de l’entente.

452    Il y a lieu de relever que la note de bas de page du considérant 712 ne fait renvoi à aucun des considérants de la Décision consacrés à la description des faits relatifs aux ententes portant respectivement sur le bêta-carotène et sur les caroténoïdes.

453    Dans ces conditions, à l’instar de ce qui a été jugé au point 418 ci‑dessus en ce qui concerne l’infraction relative à la vitamine D 3, force est de constater que la motivation de la majoration, au titre des circonstances aggravantes, de 35 % du montant de base des amendes infligées à la requérante du fait de sa participation à ces ententes est insuffisante, dans la mesure où elle ne permet pas de comprendre si cette majoration a été imposée au vu du rôle d’incitateur, ou du rôle de meneur, ou bien de ces deux rôles en même temps que BASF aurait joués dans ces infractions.

454    De plus, dans toutes ces hypothèses, en tout état de cause, la motivation de la majoration reposerait uniquement sur les considérations d’ordre général exposées aux considérants 713 à 717 de la Décision, dont il a déjà été jugé, aux points 295 à 300 ci‑dessus, qu’elles ne sauraient, en elles-mêmes, justifier l’attribution à la requérante du rôle de meneur ou d’incitateur des infractions qui lui sont reprochées en l’espèce.

455    La majoration des montants de base des amendes infligées à la requérante pour les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes étant ainsi entachée d’illégalité, il y a lieu pour le Tribunal d’exercer son pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne l’appréciation du rôle joué par la requérante dans chacune de ces infractions, en vue de confirmer, supprimer ou modifier ladite majoration.

456    Ainsi qu’il a été relevé au point 451 ci-dessus, la défenderesse ne fait pas valoir que BASF a joué un rôle d’incitateur dans ces infractions. Par ailleurs, comme la requérante le fait valoir à juste titre, aucun élément du dossier ne suggère qu’elle ait joué un tel rôle, étant observé qu’il ne suffit pas qu’une entreprise ait participé à une entente depuis son origine pour en faire, avec les autres membres fondateurs, un incitateur de l’entente (voir point 321 ci‑dessus).

457    En vue d’étayer son appréciation selon laquelle la requérante a joué, avec Roche, un rôle de meneur dans les deux infractions en cause, la défenderesse se réfère aux considérations développées aux considérants 175 à 188 de la Décision à propos des ententes relatives aux vitamines A et E. En effet, la défenderesse explique que, en se fondant sur des déclarations de BASF contenues dans le rapport envoyé par celle-ci à la Commission par lettre du 15 juin 1999, elle a indiqué aussi bien dans la communication des griefs (point 186) que dans la Décision (considérant 522) que, pour le bêta-carotène et pour les caroténoïdes, comme c’était le cas pour les vitamines A et E, « les parties préparaient un ‘ budget ’ détaillé, comparaient les ventes réelles aux quotas ‘ budgétisés ’, élaboraient des estimations sur la croissance future du marché et s’entendaient sur le calendrier et l’ampleur des hausses de prix ». La Décision indiquerait également que « [d]es réunions trimestrielles se sont tenues à Bâle sur le bêta-carotène au même endroit et en même temps que les réunions du cartel des vitamines A et E » (considérant 522) et que « [l]es réunions sur le caroténoïde se sont tenues chaque trimestre en même temps que celles concernant le bêta-carotène et ont pour l’essentiel rassemblé les mêmes personnes » (considérant 530). Or, les références expresses au fonctionnement des ententes relatives aux vitamines A et E permettraient de déduire le rôle de meneur de BASF dans les ententes relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes des circonstances visées aux considérants 175 à 188 de la Décision, qui prouveraient le rôle de meneur de BASF dans les premières ententes. La défenderesse évoque en particulier le considérant 183, relatif au mécanisme d’annonce des augmentations de prix pour les vitamines A et E (voir point 344 ci‑dessus).

458    Ce raisonnement de la défenderesse ne saurait être approuvé.

459    Premièrement, le fait que les réunions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes aient pu avoir lieu en même temps que celles relatives aux vitamines A et E et que leur objet ait pu suivre substantiellement le même schéma (attribution de quotas, suivi de leur respect, estimation de la croissance future du marché, concertation sur le prix) ne préjuge pas de la question de savoir quelle entreprise a concrètement exercé le rôle de meneur dans chacune de ces ententes. Ainsi, il ne saurait être présumé, à partir desdites ressemblances entre les deux groupes d’ententes considérés, que BASF a également procédé dans le cadre des ententes relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes à annoncer en premier des augmentations de prix, exercice auquel il est établi qu’elle se livrait parfois dans le cadre des ententes relatives aux vitamines A et E et qui a justifié la majoration de 35 % du montant de base des amendes infligées à la requérante pour sa participation à ces dernières ententes (voir points 344 à 354 ci‑dessus).

460    Deuxièmement, s’il est certes vrai, ainsi que la défenderesse le fait valoir, que, dans une infraction de longue durée comme celles en cause, les membres de l’entente peuvent exercer par alternance, à différents moments, le rôle de meneur – de sorte qu’il ne saurait être exclu que chacun d’entre eux puisse se voir appliquer la circonstance aggravante du rôle de meneur –, néanmoins, en l’espèce, force est de constater que la défenderesse n’indique nullement ni ne démontre que BASF et Roche ont agi de la sorte dans l’exercice d’un tel rôle dans les ententes relatives au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, et à quels moments respectivement.

461    Troisièmement, ainsi que la requérante le souligne, la description des faits relatifs aux deux infractions en cause faite dans la Décision (considérants 520 à 534) mentionne quelques circonstances qui pourraient être interprétées comme étant des indices du rôle de meneur de Roche. Il ressort, ainsi, de la Décision que plusieurs réunions entre Roche et BASF relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes se sont tenues à Bâle, siège de Roche (considérants 520, 522 et 526), et que cette dernière a fourni à BASF l’astaxantine (un caroténoïde) qui lui était nécessaire pour les activités de marketing et les essais au stade de la préproduction pendant que celle-ci construisait sa propre nouvelle usine de production d’astaxantine (considérant 528). En revanche, les considérants 520 à 534 n’évoquent aucune circonstance concrète qui pourrait constituer un indice du rôle de meneur de la requérante.

462    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les éléments du dossier ne permettent pas de qualifier la requérante de meneur en ce qui concerne les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes.

463    Il s’ensuit que la majoration du montant de base des amendes infligées à la requérante pour ces infractions doit être supprimée.

3.     Conclusion sur l’augmentation, au titre des circonstances aggravantes, du montant de base des amendes infligées à la requérante

464    Il ressort de l’analyse qui précède que l’augmentation de 35 %, au titre du rôle de meneur ou d’incitateur de la requérante, du montant de base des amendes infligées à celle-ci dans la Décision, est confirmée en ce qui concerne – outre l’infraction relative à la vitamine B 2, non visée par le présent moyen – les infractions relatives aux vitamines A, E et B 5, alors qu’elle est supprimée en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines C et D 3, au bêta-carotène et aux caroténoïdes.

E –  Sur le sixième moyen, tiré de la violation de la section B de la communication sur la coopération et des attentes légitimes créées par cette communication auprès de la requérante

1.     Arguments des parties

465    La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur en décidant qu’elle n’avait pas droit à une réduction plus importante des amendes au titre de la section B de la communication sur la coopération. En effet, la requérante estime avoir satisfait, pour toutes les infractions pour lesquelles une amende lui a été infligée, à toutes les conditions énumérées en cette section, visées sous a) à e), alors que la Commission a considéré, s’agissant des infractions relatives aux vitamines A et E, qu’elle ne remplissait pas la condition visée sous b), car Aventis aurait été la première à produire, par ses déclarations écrites fournies les 19 et 25 mai 1999, des éléments de preuve décisifs de ces violations, et, s’agissant des autres infractions, qu’elle ne remplissait pas la condition visée sous e), au vu de son rôle de meneur ou d’incitateur des ententes avec Roche.

466    Concernant la condition visée sous b) en rapport avec les infractions relatives aux vitamines A et E, la requérante soutient qu’elle a été, conjointement avec Roche, la première entreprise à informer la Commission du cartel dans le secteur des vitamines et à lui fournir des détails concernant les vitamines en cause, les entreprises participantes et la durée du cartel. Cette preuve aurait été donnée oralement à la Commission lors d’une réunion tenue le 17 mai 1999 et aurait été « déterminante » au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération, parce qu’elle suffisait, à elle seule, à établir l’existence dudit cartel, conformément au critère retenu par la Commission dans ses décisions 2001/418/CE, du 7 juin 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 – Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24, considérant 409) et 2002/742/CE, du 5 décembre 2001, relative à une procédure au titre de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/36.604 – Acide citrique) (JO 2002, L 239, p. 18, ci‑après la « décision Acide citrique », considérant 306).

467    La requérante décrit le contexte et le déroulement de cette réunion de la manière suivante. Par lettre du 6 mai 1999 adressée à M. K. Van Miert, alors membre de la Commission en charge des affaires de concurrence, BASF aurait informé la Commission de l’existence d’un cartel dans le secteur des vitamines, en identifiant elle-même et Roche comme participants aux arrangements illégaux, et en demandant une réunion pour discuter de ces arrangements avec la Commission, en vue de coopérer avec cette dernière et afin de bénéficier de la communication sur la coopération. La requérante ajoute que, ce même jour, M. J. Scholz, du service juridique de BASF, a contacté téléphoniquement le cabinet de M. Van Miert pour convenir d’un rendez‑vous afin de discuter de la question en détail.

468    Après certaines difficultés pour trouver une date à la convenance de la Commission, une réunion aurait eu lieu le 17 mai 1999 entre des représentants de BASF, dont M. Scholz, de Roche, et de la Commission. Lors de la réunion, BASF aurait décrit une série d’arrangements collusoires illégaux au sein de l’industrie de la vitamine au niveau mondial, avec des détails sur les produits vitaminiques concernés, les noms des principales entreprises participantes et la durée de l’infraction. Elle aurait également exprimé son intention ferme de coopérer avec la Commission lors de toute enquête portant sur ces activités, informé l’institution de la conclusion alors imminente d’une transaction judiciaire (plea agreement) avec le Department of Justice (ministère de la Justice) des États-Unis et se serait engagée à fournir des copies de cette transaction dès qu’elle serait déposée devant la juridiction américaine compétente. La requérante produit, annexée à sa requête, une déclaration de M. Scholz (ci-après la « déclaration Scholz ») résumant les déclarations qui auraient été faites et le niveau de coopération qui aurait été offert par BASF lors de cette réunion.

469    La requérante insiste sur le fait que les renseignements qu’elle a fournis oralement lors de cette réunion auraient permis à la Commission de prouver les infractions en cause, notamment celles relatives aux vitamines A et E, même au cas où BASF n’aurait pas coopéré ultérieurement avec l’institution. En effet, la Commission elle-même, dans sa décision Acide citrique, point 466 supra (considérant 305), aurait établi que des éléments déterminants peuvent être fournis oralement. Par ailleurs, rien dans le texte de la communication sur la coopération ne suggérerait que les éléments en question doivent être soumis par écrit. En effet, la requérante fait observer que la section B de cette communication, en distinguant entre « informations », « documents » et « éléments de preuve », suggère que les éléments déterminants ne sont pas nécessairement des preuves écrites. Il n’y aurait d’ailleurs aucune raison tenant à la sécurité juridique ou à l’efficacité administrative pour laquelle des éléments de preuve oraux ne devraient pas suffire. La Commission peut, selon la requérante, conserver des procès-verbaux des réunions et elle peut également, dans l’intérêt de la sécurité juridique, rédiger un compte rendu de ces réunions en accord avec les participants.

470    Ainsi, selon la requérante, la fourniture subséquente par elle, à la demande de la Commission, d’un rapport écrit donnant des détails supplémentaires sur les infractions n’était pas essentielle aux fins de l’application de la communication sur la coopération et ne constituait qu’une facilité administrative pour l’institution.

471    Dès lors, la requérante est d’avis que la Commission a commis une erreur en considérant que c’étaient les déclarations écrites fournies par Aventis les 19 et 25 mai 1999 qui lui avaient fourni les premiers éléments déterminants en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E.

472    À titre subsidiaire, pour le cas où le témoignage oral de BASF au cours de la réunion du 17 mai 1999 ne devrait pas être considéré comme déterminant, la requérante fait valoir qu’il en serait ainsi principalement du fait de l’exigence insistante de la Commission de preuves écrites, exigence contraire au principe de bonne administration.

473    D’une part, la requérante allègue que la Commission a refusé d’accepter des preuves additionnelles offertes par BASF au cours de cette réunion et a notamment refusé de recevoir des témoignages complémentaires qui auraient pu lui être fournis à bref délai. Elle est d’avis que mener des entretiens avec les principaux employés de BASF impliqués dans l’entente des vitamines aurait été une méthode rapide, efficace et pratique pour rassembler des éléments sur l’entente des vitamines et que le souhait de la Commission de s’épargner du travail ne saurait être retenu contre elle ou affecter sa situation juridique. La Commission ne devrait pas notamment refuser des éléments de preuve offerts lorsqu’un tel refus peut empêcher une entreprise d’être la première à fournir des éléments déterminants au titre de la communication sur la coopération.

474    D’autre part, la requérante fait valoir que si la Commission avait estimé que seules des déclarations écrites pouvaient être suffisantes aux fins de la communication sur la coopération, elle aurait dû en informer BASF, puisqu’elle savait, à la suite de la lettre du 6 mai 1999 de BASF, que cette dernière souhaitait admettre sa participation dans l’entente des vitamines et coopérer avec la Commission dans son enquête afin d’obtenir le bénéfice de l’application de ladite communication. Or, la Commission n’aurait jamais indiqué que les déclarations verbales faites lors de la réunion du 17 mai 1999 n’étaient pas suffisantes à cette fin tant qu’elles n’avaient pas été confirmées par écrit. La requérante fait remarquer que, dans le cas contraire, elle aurait pu confirmer immédiatement par écrit les déclarations faites au cours de ladite réunion. De plus, si l’on avait fait savoir à BASF, avant la réunion, que seules des preuves écrites seraient acceptées par la Commission, elle aurait apporté une déclaration écrite dès cette réunion.

475    Concernant la condition visée sous e) en rapport avec toutes les infractions pour lesquelles une amende a été infligée à la requérante, cette dernière, en se référant aux arguments développés dans le cadre du cinquième moyen, réitère que c’est à tort que la Commission l’a considérée comme un meneur ou un incitateur des ententes.

476    La défenderesse maintient que, s’agissant des infractions relatives aux vitamines A et E, la requérante n’a pas été la première entreprise à fournir des éléments de preuve déterminants au sens de la communication sur la coopération et qu’elle a estimé à juste titre qu’Aventis en revanche l’a été. En effet, les éléments que la requérante prétend avoir fournis oralement lors de la réunion du 17 mai 1999 entre Roche, BASF et la Commission ne constitueraient pas des éléments de preuve déterminants donnés oralement au sens de cette communication.

477    Ainsi que l’indiquerait le considérant 127 de la Décision, Roche et BASF, lors de cette réunion, auraient simplement fait connaître leur intention de coopérer sans fournir à la Commission les éléments de preuve nécessaires pour établir l’existence des infractions.

478    La défenderesse rappelle que, si elle a considéré qu’Aventis, et non BASF, remplissait la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération, c’était parce qu’Aventis a fourni des éléments de preuve déterminants le 19 mai 1999, soit près d’un mois avant que BASF ne présente le premier document pouvant être pris en compte dans le cadre de ladite communication, à savoir sa déclaration du 15 juin 1999 (considérants 125, 132, 741 et 743 de la Décision).

479    Selon la défenderesse, la déclaration Scholz, antérieure de deux jours à la saisine du Tribunal par la requérante, ne saurait nullement constituer une transcription de la réunion du 17 mai 1999 et ne saurait étayer les prétentions de la requérante.

480    La simple proposition de BASF, dont il est fait mention dans la déclaration Scholz, de mettre à la disposition de la Commission des employés pour témoigner ne constituerait pas des éléments de preuve déterminants, dans la mesure où elle ne permettait pas à l’institution d’établir les infractions.

481    La défenderesse précise que, d’après ses souvenirs du déroulement de la réunion du 17 mai 1999, la requérante n’était pas en mesure d’indiquer à cette réunion le contenu des accords illégaux relatifs aux vitamines A et E. La requérante aurait même indiqué que d’autres documents ne pourraient être produits qu’une fois que les actions de groupe (class actions) formées devant les juridictions civiles à son encontre aient été closes. Ce serait donc à bon droit que les agents de la Commission présents à la réunion ont insisté pour obtenir des éléments de preuve détaillés après la réunion, la requérante ayant elle-même déclaré posséder des documents qu’elle ne pourrait fournir que dans un second temps. Cette circonstance n’apparaissant pas dans la déclaration Scholz, la défenderesse suggère au Tribunal d’entendre, conformément à l’article 65, paragraphe 2, sous a) et c), et à l’article 66 de son règlement de procédure, les personnes ayant assisté à la réunion du 17 mai 1999 et mentionnées au point 179 de la requête.

482    Enfin, en ce qui concerne la condition visée à la section B, sous e), de la communication sur la coopération en rapport avec toutes les infractions pour lesquelles une amende a été infligée à la requérante, la défenderesse relève, d’une part, que la requérante ne conteste pas avoir eu un rôle de meneur ou d’incitateur dans l’entente relative à la vitamine B 2 et, d’autre part, que le rôle de meneur ou d’incitateur joué par la requérante dans les autres ententes est suffisamment démontré dans la Décision. Dans ces conditions, la requérante ne saurait prétendre que la Commission a erronément appliqué la communication sur la coopération.

483    Dans son mémoire en réplique, la requérante formule à partir du mémoire en défense trois constatations qu’elle estime importantes. Premièrement, elle souligne que la défenderesse ne conteste pas la substance de la description de la réunion du 17 mai 1999 fournie dans la déclaration Scholz et, en particulier, le fait que BASF a décrit les éléments importants des arrangements, y compris ceux relatifs aux vitamines A et E, les participants à ces arrangements et leur durée. Deuxièmement, elle relève ensuite que la Commission n’est pas en désaccord avec sa thèse selon laquelle des renseignements verbaux peuvent constituer des éléments déterminants au sens de la communication sur la coopération. Troisièmement, elle fait remarquer que, contrairement à la bonne pratique et à ce qui se serait produit dans l’affaire ayant fait l’objet de la décision Acide citrique, point 466 supra, il est désormais clair que la Commission n’a pas conservé de procès‑verbal établi lors de la réunion et n’a fait aucun effort subséquent pour rédiger une version convenue de cette réunion avec les participants.

484    S’agissant de la notion d’éléments déterminants, la requérante soutient que, dans le contexte d’une entente complexe, à long terme et multipartite comme celle qui fait l’objet de la Décision, il n’est pas nécessaire qu’une entreprise fournisse oralement des détails sur chaque réunion, mais il est suffisant que l’existence d’un accord soit admise et expliquée, la Commission pouvant alors, comme elle l’aurait fait en l’espèce, exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par le règlement n° 17 pour obtenir les détails précis. La requérante fait observer que, dans son mémoire en défense, la défenderesse ne conteste pas que la demande de renseignements du 26 mai 1999 au titre de l’article 11 se base sur les renseignements fournis par BASF au cours de la réunion du 17 mai 1999.

485    Dans son mémoire en duplique, la défenderesse précise que, contrairement à ce que prétend la requérante, un élément de preuve déterminant doit en soi permettre à la Commission d’adopter une décision constatant une infraction et non pas simplement d’envoyer des demandes de renseignements au titre de l’article 11 du règlement n° 17. Elle allègue que, lors de la réunion, la requérante a simplement reconnu avoir participé à une entente, en mentionnant d’autres participants et en faisant état de quelques détails. Cela ressortirait de la déclaration Scholz (point 9) ainsi que des notes écrites internes du gestionnaire du dossier, dont une version dactylographiée est produite à l’annexe D.3 au mémoire en duplique, lesquelles auraient été rédigées à l’issue de la réunion et constitueraient une trace écrite de celle-ci. Selon la défenderesse, les informations fournies lors de cette réunion ne lui permettaient donc que d’envoyer des demandes de renseignements au titre de l’article 11 du règlement n° 17.

2.     Appréciation du Tribunal

486    Par le présent moyen, la requérante conteste en même temps les appréciations de la Commission selon lesquelles elle ne remplissait pas, d’une part, la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération s’agissant des infractions relatives aux vitamines A et E et, d’autre part, la condition visée à cette même section, sous e), s’agissant des huit infractions pour lesquelles la Commission lui a infligé une amende.

a)     Sur la question de savoir si la requérante remplissait la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E

487    Il y a lieu d’observer, au préalable, que la Commission, dans sa communication sur la coopération, a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de celle-ci qu’elles auraient autrement dû acquitter (voir section A, paragraphe 3, de la communication).

488    Comme cela est mentionné à la section E, paragraphe 3, de la communication sur la coopération, celle-ci a créé des attentes légitimes sur lesquelles se fondent les entreprises souhaitant informer la Commission de l’existence d’une entente. Eu égard à la confiance légitime que les entreprises souhaitant coopérer avec la Commission ont pu tirer de cette communication, la Commission était donc obligée de s’y conformer lors de l’appréciation, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende imposée à la requérante, de la coopération de celle‑ci (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal HFB e.a./Commission, point 227 supra, point 608, et du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, non encore publié au Recueil, points 192 et 193).

489    Cela étant précisé, il y a lieu de rappeler que, conformément à la section B de la communication sur la coopération, « bénéficie d’une réduction d’au moins 75 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, réduction pouvant aller jusqu’à la non-imposition totale d’amende » l’entreprise qui :

« a)  dénonce l’entente secrète à la Commission avant que celle-ci ait procédé à une vérification sur décision auprès des entreprises parties à l’entente, et sans qu’elle dispose déjà d’informations suffisantes pour prouver l’existence de l’entente dénoncée ;

b)       est la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente ;

c)       a mis fin à sa participation à l’activité illicite au plus tard au moment où elle dénonce l’entente ;

d)       fournit à la Commission toutes les informations utiles, ainsi que tous les documents et éléments de preuve dont elle dispose au sujet de l’entente et maintient une coopération permanente et totale tout au long de l’enquête ;

e)       n’a pas contraint une autre entreprise à participer à l’entente ni eu un rôle d’initiation ou un rôle déterminant dans l’activité illicite. »

490    En ce qui concerne, plus particulièrement, la condition visée sous b), la requérante soutient que, s’agissant des infractions relatives aux vitamines A et E, elle a bel et bien été, avec Roche, la première entreprise à avoir fourni des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente, ce qu’elle aurait fait oralement lors de la réunion avec les services de la Commission le 17 mai 1999, soit deux jours avant la production de la première contribution écrite d’Aventis.

 Sur la notion d’« éléments déterminants » au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération

491    Selon la requérante, qui a précisé sa position à cet égard en répondant à une question écrite posée par le Tribunal dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, lorsque la Commission dispose d’un aveu volontaire sur l’existence d’un arrangement illicite, les produits en cause, les entreprises impliquées, la portée géographique et la durée, il ne peut faire l’ombre d’un doute qu’elle dispose d’« éléments déterminants » sur l’existence d’une entente, au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération. La notion d’éléments déterminants ne saurait, à son avis, viser tous les éléments nécessaires à la Commission pour préparer la décision constatant une infraction, mais des éléments permettant à l’institution de prendre connaissance de l’existence d’une entente, d’user de ses pouvoirs pour poursuivre des investigations et d’obtenir toute information supplémentaire qu’elle juge nécessaire à une communication des griefs puis à une décision. La défenderesse, en revanche, soutient qu’un élément de preuve est déterminant lorsqu’il permet en soi à la Commission d’adopter une décision constatant une infraction et non lorsqu’il permet simplement à celle-ci d’adresser des demandes de renseignements.

492    À cet égard, il y a lieu de considérer, d’une part, que, contrairement à ce que prétend la défenderesse, la notion d’éléments déterminants ne vise pas des preuves qui sont en elles-mêmes suffisantes pour établir l’existence de l’entente, ainsi que le démontre une comparaison avec les termes utilisés à la section B, sous a), de la communication sur la coopération, comprenant précisément l’adjectif « suffisants », qui n’est pas en revanche employé à la section B, sous b), de cette communication (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, point 70 supra, point 362).

493    D’autre part, si les éléments visés à la section B, sous b), de cette communication ne doivent pas nécessairement être en eux-mêmes suffisants pour prouver l’existence de l’entente, ils doivent néanmoins être déterminants à cette même fin. Il ne doit donc pas s’agir simplement d’une source d’orientation pour les investigations à mener par la Commission, mais d’éléments susceptibles d’être utilisés directement comme base probatoire principale pour une décision de constatation d’infraction.

494    C’est à la lumière de la notion d’« éléments déterminants » entendue en ce sens qu’il y a lieu d’examiner la question de savoir si, en l’espèce, la requérante a rempli la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération.

 Sur la question de savoir si des éléments déterminants au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération peuvent être fournis oralement

495    En ce qui concerne la question de savoir si des éléments déterminants au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération peuvent être fournis oralement, la défenderesse, sans contester ouvertement cette possibilité, a précisé, en réponse à une question écrite posée par le Tribunal dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, que des éléments fournis oralement doivent être corroborés par écrit afin de pouvoir être pris en considération dans le cadre de ladite section B. Réitérée par la défenderesse lors de l’audience, cette position, qui se justifierait par la nécessité de mettre les autres entreprises en mesure de faire valoir leur point de vue sur toute preuve que la Commission utiliserait contre elles, n’est pas exempte d’ambiguïté, dans la mesure où, notamment, la défenderesse ne spécifie pas si la confirmation écrite doit ou non nécessairement précéder, pour que l’entreprise en cause remplisse la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération, les éventuelles contributions apportées, après la transmission orale des éléments de preuve par cette entreprise, par les autres entreprises souhaitant bénéficier de ladite communication.

496    À cet égard, ainsi que la requérante l’a rappelé à juste titre lors de l’audience, le Tribunal a, dans son arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra (point 431), confirmé, bien que dans le contexte de l’application de la section D, paragraphe 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, que la transmission orale à la Commission d’éléments d’information est susceptible d’être prise en considération aux fins de l’application des bénéfices prévus par cette communication. Le Tribunal a remarqué que la disposition susmentionnée prévoit que non seulement des « documents », mais aussi des « informations » peuvent servir d’« éléments de preuve » contribuant à confirmer l’existence de l’infraction commise et en a déduit que lesdites informations ne doivent pas nécessairement être fournies sous une forme documentaire.

497    Ces considérations sont également pertinentes, mutatis mutandis, dans le contexte de l’application de la section B de la communication sur la coopération, dans la mesure où la condition visée sous b) évoque des « éléments déterminants » et non des documents et où la condition visée sous d) énumère en même temps les « informations utiles », les « documents » et les « éléments de preuve ».

498    Par ailleurs, la transmission orale d’informations ne présente aucun inconvénient majeur sous l’angle de la sécurité juridique, dans la mesure où une information donnée oralement à une administration publique dans le cadre d’une réunion est normalement susceptible d’être saisie et conservée moyennant enregistrement sonore et/ou constatée par écrit moyennant la rédaction d’un procès-verbal.

499    L’allégation formulée par la défenderesse lors de l’audience, selon laquelle la Commission ne serait pas tenue de rédiger des procès‑verbaux des réunions qu’elle a avec des personnes ou des entreprises, convient d’être nuancée.

500    Il est vrai qu’une telle obligation générale n’incombe pas à l’institution défenderesse (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 28 avril 1999, Endemol/Commission, T‑221/95, Rec. p. II‑1299, point 94, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 47 supra, point 351).

501    Néanmoins, l’absence d’une disposition expresse prévoyant l’établissement d’un procès-verbal n’exclut pas que, dans un cas de figure donné, la Commission puisse se trouver dans l’obligation de consigner des déclarations reçues par elle dans un tel acte. En effet, une telle obligation peut, en fonction des circonstances particulières de l’espèce, découler directement du principe de bonne administration, invoqué par la requérante lors de sa plaidoirie, lequel fait partie des garanties conférées par l’ordre juridique communautaire dans les procédures administratives (voir arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 192 supra, point 99, et la jurisprudence citée).

502    Or, il y a lieu d’estimer que, dès lors qu’une entreprise prend contact avec la Commission en vue d’une coopération susceptible d’être récompensée au titre de la communication sur la coopération et qu’une réunion est organisée dans ce contexte entre les services de l’institution et cette entreprise, l’établissement d’un procès‑verbal d’une telle réunion, reprenant l’essentiel des propos qui y ont été tenus, ou, à tout le moins, un enregistrement sonore s’impose, en vertu du principe de bonne administration, si l’entreprise en cause en fait la demande au plus tard au début de la réunion.

503    L’information orale présente certes l’inconvénient que sa transmission à la Commission requiert la collaboration de cette dernière et est donc conditionnée par l’emploi du temps des agents de l’institution et par la disponibilité des moyens nécessaires (salles de réunion, appareils d’enregistrement, etc.). Cet inconvénient n’est toutefois pas dirimant aux fins de la question de savoir si une information orale peut être acceptée en vue de l’application de la section B de la communication sur la coopération.

504    D’une part, lorsque plusieurs entreprises demandent à rencontrer les agents de la Commission en vue d’une coopération susceptible de leur valoir l’immunité ou une réduction d’amende, l’institution peut et doit veiller à ne pas constituer elle-même un facteur altérant les conditions de la compétition entre entreprises inhérente à l’application de la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération.

505    D’autre part, la transmission orale d’informations, du fait précisément de la nécessité de la collaboration de la Commission, doit être considérée comme étant une modalité de coopération en principe moins rapide que celle de la transmission des informations par la voie écrite, laquelle ne requiert aucune coopération de la part de la Commission et n’est donc pas conditionnée par la disponibilité des ressources de l’institution. Si elle choisit de transmettre oralement des informations, l’entreprise en cause doit dès lors savoir qu’elle encourt le risque qu’une autre entreprise fasse parvenir à la Commission, par écrit et avant elle, des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente.

506    Il y a donc lieu de conclure que des éléments déterminants au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération peuvent aussi être fournis oralement.

 Sur la question de savoir si la requérante, lors de la réunion avec les services de la Commission le 17 mai 1999, a fourni des éléments déterminants pour prouver l’existence des ententes relatives aux vitamines A et E

507    Avant de se référer à la réunion du 17 mai 1999, la requérante a allégué avoir, par sa lettre du 6 mai 1999 à M. Van Miert, informé la Commission notamment de l’existence d’arrangements d’entente illégaux dans le secteur des vitamines, en identifiant Roche et elle‑même comme participants à ces arrangements. Une simple lecture de cette lettre montre, en réalité, que la requérante s’est limitée à faire état de l’existence d’investigations aux États-Unis contre des fabricants de vitamines, parmi lesquels la requérante, « en raison de soupçons d’accords collusoires dans le secteur des vitamines violant le droit de la concurrence ». Force est ainsi de constater que, par cette lettre, la requérante n’a pas indiqué à la Commission que des ententes illicites existaient dans le secteur des vitamines, auxquelles elle aurait participé, mais a seulement évoqué des « investigations […] en cours […] aux États-Unis » et des « soupçons d’accords collusoires », ce qui ne constitue guère un aveu d’infraction de sa part. Le fait que la requérante ait également précisé qu’elle apportait son soutien à l’enquête américaine et souhaitait, à l’instar de Roche, discuter de l’affaire avec la Commission « dans le but d’une coopération dans le cadre du programme communautaire de clémence » ne change rien à cette constatation.

508    Cela étant précisé, il y a lieu d’identifier les éléments d’information qui ont été fournis par la requérante à la Commission lors de la réunion du 17 mai 1999.

509    Il est constant qu’aucun procès-verbal de cette réunion n’a été dressé, ni le jour même de celle-ci ni postérieurement, et que la réunion n’a pas fait l’objet d’un enregistrement sonore susceptible de transcription. La requérante dénonce l’omission par la Commission de telles formalités, sans toutefois aucunement alléguer qu’elle avait effectivement demandé à l’institution d’y procéder. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à cette dernière une telle omission.

510    De plus, en l’occurrence, cette omission, à supposer même qu’elle soit fautive, ne justifie pas en soi qu’il soit fait droit aux prétentions de la requérante.

511    En effet, il ressort clairement des écritures de la requérante (voir en particulier points 180 et 183 de la requête et points 117 et 120 du mémoire en réplique) que cette dernière soutient avoir informé la Commission, lors de la réunion du 17 mai 1989 :

a)       de l’existence d’arrangements illégaux concernant un certain nombres de produits vitaminiques, dont les vitamines A et E, et affectant le marché de l’EEE ;

b)       des principaux participants à ces arrangements, dont les quatre impliqués dans ceux relatifs aux vitamines A et E (Roche, BASF, Aventis et Eisai) ;

c)       de la nature de ces arrangements, à savoir des accords de fixation de prix et de répartition des ventes et des capacités ;

d)       de la période couverte par ces arrangements (de 1989 à 1999).

512    La défenderesse n’a pas contesté la transmission par la requérante de ces éléments lors de ladite réunion, même si elle estime que ces éléments n’étaient pas « déterminants » au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération.

513    La requérante n’a pas allégué, en revanche, que, lors de cette même réunion, ses représentants aient offert à la Commission des informations spécifiques quant au fonctionnement des ententes dénoncées, aux réunions entre producteurs et au contenu précis de ce que ceux-ci convenaient dans le cadre de ces réunions. D’ailleurs, il ressort de la déclaration Scholz que la réunion n’a duré qu’environ une heure, durée vraisemblablement insuffisante pour permettre à deux entreprises de fournir une description détaillée des ententes.

514    Au demeurant, il convient d’observer que la transcription, produite par la défenderesse, des notes manuscrites qui auraient été prises, à des fins internes, par le fonctionnaire chargé du dossier à l’occasion de ladite réunion (ci-après les « notes manuscrites ») ne fait pas non plus ressortir que la discussion tenue lors de la réunion du 17 mai 1999 entre les agents de la Commission et les représentants de Roche et de BASF ait comporté la transmission de telles informations. Il importe de relever que la requérante, si elle s’est plainte de ne pas avoir reçu communication de ce document en dépit de nombreuses sollicitations adressées à la Commission dès avant l’introduction du recours, n’en a contesté ni la production ni le contenu et a même soutenu que ce document corrobore, à plusieurs égards, ses allégations en fait et en droit au sujet de ladite réunion.

515    De plus, les notes manuscrites témoignent du fait que cette discussion – au‑delà de la fourniture des éléments repris au point 511 ci‑dessus – a porté moins sur les ententes en cause que sur les modalités de la coopération à fournir par les deux entreprises. Les notes révèlent, en particulier, une certaine prudence observée par les représentants de Roche et de BASF et leur réticence avouée à fournir à la Commission des éléments d’information plus précis ou des documents avant la clôture des actions de groupe (voir point 481 ci‑dessus) introduites à leur encontre aux États-Unis. En ce qui concerne Roche, il ressort de ces notes que ses représentants auraient même déclaré qu’ils ne disposaient pas d’éléments factuels et qu’ils les recueilleraient auprès des avocats américains de Roche.

516    En tout état de cause, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de statuer sur la question de savoir si, comme l’affirme la défenderesse, la requérante a manifesté, lors de la réunion du 17 mai 1999, son indisponibilité à fournir des documents avant la clôture des actions de groupe, dans la mesure où ce qui importe est seulement de savoir quels éléments ont été effectivement fournis par la requérante lors de cette réunion et si ces éléments peuvent ou non être considérés comme « déterminants » pour prouver l’existence des infractions en cause.

517    Or, à cet égard, si les éléments que la requérante affirme avoir fournis lors de la réunion du 17 mai 1999, tels qu’ils sont repris au point 511 ci‑dessus, mettaient certainement l’institution en mesure d’adresser des demandes de renseignements, voire d’ordonner des vérifications, ils laissaient toutefois pratiquement entière la tâche de l’institution de reconstituer et de prouver les faits, nonobstant l’admission de sa responsabilité par la requérante, alors que tel n’était manifestement pas le cas de la description circonstanciée des activités illégales afférentes aux vitamines A et E faite par Aventis dans sa déclaration du 19 mai 1999.

518    Sans qu’il soit besoin de procéder à l’audition de témoins, demandée par la défenderesse, sur la prétendue indisponibilité de la requérante à fournir des documents avant la clôture des actions de groupe, force est dès lors de constater, à la lumière des considérations exposées aux points 492 à 494 ci‑dessus, que lesdits éléments ne sauraient être qualifiés de « déterminants pour prouver l’existence » des ententes relatives aux vitamines A et E, au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération.

519    Il y a lieu ainsi de conclure que la requérante n’a pas démontré qu’elle remplissait la condition posée par cette disposition en ce qui concerne lesdites infractions.

 Sur la question de savoir si la Commission a indûment retardé l’acquisition des éléments d’information offerts par la requérante

520    L’argumentation, formulée à titre subsidiaire par la requérante, selon laquelle ce serait l’exigence illégale de la Commission pour obtenir la production de preuves écrites qui l’aurait empêchée de fournir lors de la réunion du 17 mai 1999 des éléments déterminants pour prouver les infractions relatives aux vitamines A et E (voir points 472 à 474 ci‑dessus), s’articule, en substance, en deux branches. D’une part, la requérante critique le prétendu refus de la Commission d’accepter des preuves additionnelles proposées par BASF au cours de la réunion du 17 mai 1999 et, notamment, de procéder, à bref délai, à l’audition de ses principaux employés impliqués dans les ententes. D’autre part, elle reproche à la Commission de ne pas avoir attiré son attention sur l’insuffisance de déclarations orales aux fins de l’application de la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération.

521    Puisque, ainsi qu’il a été indiqué aux points 495 à 506 ci‑dessus, cette condition peut, le cas échéant, être également remplie par la transmission orale d’informations, la seconde branche de l’argumentation subsidiaire de la requérante est sans objet. Pour autant que, par cette branche, la requérante cherche également à faire constater que la Commission se devait de lui signaler en tout état de cause le caractère insuffisant des informations fournies au cours de la réunion du 17 mai 1999 aux fins de l’application de la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération, pour attirer son attention sur la nécessité de compléter ces informations sans délai, il y a lieu de relever, avec la défenderesse, qu’une telle obligation n’incombait pas à l’institution. La section E, paragraphe 2, de ladite communication précise en effet que « [c]e n’est qu’au moment où la Commission adoptera sa décision qu’elle appréciera si les conditions énoncées aux [sections] B, C ou D sont remplies ».

522    S’agissant de la première branche de l’argumentation subsidiaire de la requérante, il y a lieu de remarquer, à titre liminaire, qu’une proposition d’une entreprise de mettre des employés à la disposition de la Commission pour témoignage, à supposer même qu’elle doive être acceptée par l’institution, ne saurait suffire, en elle-même, pour permettre à cette entreprise de remplir la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération. Cette condition exige, en effet, que les éléments déterminants soient effectivement fournis à la Commission, une simple offre ou indication de la source à partir de laquelle ils peuvent être obtenus n’étant pas suffisante.

523    Si la requérante soutient, au point 189 de sa requête, que « [l]a Commission a refusé d’accepter des preuves additionnelles proposées par BASF au cours de la réunion », elle n’indique pas toutefois que les agents de la Commission auraient empêché ou seulement dissuadé ses représentants de fournir, durant ladite réunion, des informations supplémentaires qui auraient pu rendre déterminants, au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération, les éléments donnés par la requérante à cette occasion. La requérante précise seulement que l’institution a refusé de recevoir des témoignages complémentaires à bref délai et cite des passages de la déclaration Scholz qui n’évoquent aucun type de preuve autre que les témoignages proposés. D’ailleurs, aucune précision n’est apportée par la requérante sur la nature des informations supplémentaires que ses représentants auraient été en mesure de donner au cours de la réunion et qu’ils auraient omis de donner du fait de la prétendue exigence des agents de la Commission pour des preuves écrites.

524    Il y a donc lieu d’examiner si le refus de faire lieu à ces témoignages, non contesté par la défenderesse, a pu avoir pour conséquence illégale le fait qu’une autre entreprise (Aventis) a précédé la requérante dans la transmission à la Commission d’éléments déterminants pour prouver l’existence des infractions en cause, étant observé que ce refus ne saurait aucunement constituer la cause du fait que la requérante n’a pas fourni d’éléments déterminants au cours de la réunion du 17 mai 1999.

525    À cet égard, sans qu’il soit besoin de statuer sur la question de savoir si, ainsi que la défenderesse le fait valoir, les témoignages oraux proposés par la requérante lors de la réunion du 17 mai 1999 sortaient du cadre des pouvoirs conférés à la Commission par le règlement n° 17 et par le règlement nº 2842/98, il y a lieu d’estimer que le refus de la Commission d’accepter de tels témoignages n’était pas injustifié.

526    En effet, rien n’empêchait la requérante d’entendre elle-même les employés en cause et de transmettre sans délai par écrit à la Commission les informations ainsi obtenues. La requérante n’avait d’ailleurs pas besoin de la coopération de la Commission aux fins de la collecte des informations auprès de ses employés, dans la mesure où la Commission n’avait de toute façon aucun pouvoir d’exiger la comparution, aux fins de témoignage, de ceux-ci. Dans ces conditions, il était loisible à cette dernière d’inviter la requérante à procéder de cette manière-là, afin de ne pas alourdir inutilement la charge de travail de l’institution, conformément à un principe d’économie et de bonne administration. De plus, les témoignages en cause constituant, tout comme la transmission d’informations lors de la réunion du 17 mai 1999, une transmission orale d’informations à la Commission, ils devaient, pour les raisons déjà exposées au point 505 ci-dessus, être considérés, contrairement à ce que prétend la requérante, comme une modalité en principe moins rapide que celle de la transmission des informations par écrit, de sorte qu’il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir invité la requérante à suivre cette seconde voie.

527    Rien n’indique donc en l’espèce que le fait que la requérante ait été précédée par Aventis dans la transmission à la Commission d’éléments déterminants pour prouver l’existence des ententes relatives aux vitamines A et E soit imputable à un comportement fautif de l’institution.

 Conclusion

528    Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n’a pas établi que, en estimant, dans la Décision, que BASF ne pouvait pas bénéficier de la section B de la communication sur la coopération en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E au motif qu’elle ne satisfaisait pas à la condition visée à cette section, sous b), la Commission a commis une quelconque erreur d’appréciation.

b)     Sur la question de savoir si la requérante remplissait la condition visée à la section B, sous e), de la communication sur la coopération en ce qui concerne les huit infractions pour lesquelles elle s’est vu infliger une amende

529    Au considérant 744 de la Décision, la Commission a considéré que « Roche et BASF ont joué un rôle d’initiation ou un rôle déterminant dans les activités illégales relatives aux marchés des vitamines A, E, B 2, B 5, C et D 3, du bêta-carotène et des caroténoïdes, comme décrit aux [considérants 567 à 569 et 584] » et a conclu qu’aucune de ces deux entreprises ne remplissait donc la condition visée à la section B, sous e), de la communication sur la coopération.

530    Les développements que la requérante et la défenderesse consacrent, dans leurs écritures, à cette appréciation de la Commission mise en cause dans le cadre du présent moyen sont limités à un simple renvoi aux arguments qu’elles soulèvent dans le cadre de l’analyse du cinquième moyen pour respectivement réfuter et faire valoir le rôle de meneur ou d’incitateur de BASF dans les ententes, au titre duquel les montants de base des amendes infligées à cette dernière ont été majorés de 35 % (voir points 475 et 482 ci‑dessus).

531    Il y a lieu toutefois d’observer que, dans la Décision (considérant 744), la Commission a motivé son appréciation selon laquelle BASF et Roche ne remplissaient pas la condition visée à la section B, sous e), de la communication sur la coopération en faisant référence au rôle d’initiation ou au rôle déterminant de ces entreprises dans les infractions tel qu’il serait décrit aux considérants 567 à 569 et 584 de la Décision, alors que c’est aux considérants 712 à 718, et sans se référer aux considérants 567 à 569 et 584, que l’institution a traité du rôle de meneur et d’incitateur de BASF et de Roche en tant que circonstance aggravante.

532    Or, les considérants 567 à 569 et 584, insérés dans le contexte de la description de « la nature des infractions de l’espèce », contiennent, pour autant qu’ils concernent spécifiquement la requérante :

–        des considérations d’ordre général analogues à celles effectuées aux considérants 713 à 717 (relatives au fait que Roche et BASF étaient les deux principaux producteurs mondiaux de vitamines, au « front commun » constitué par Roche et par BASF lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des arrangements, et à leur objectif commun de cloisonner tous les différents marchés de vitamines) ainsi que d’autres considérations d’ordre général (Roche et BASF vendaient une partie importante de leur production sous forme de prémélanges comportant plusieurs vitamines) ;

–        des appréciations d’ordre général sur le rôle de Roche et de BASF (« l’initiateur et principal bénéficiaire » des arrangements collusoires était Roche ; BASF « a joué un rôle très important en suivant Roche ») ;

–        l’évocation de circonstances factuelles ou de considérations liées à des circonstances factuelles spécifiquement évoquées (« l’entente au niveau mondial a véritablement démarré au même moment pour les vitamines B 1, B 2, B 5, B 6 et C, et pour l’acide folique, à savoir lors de la visite au Japon les 30 et 31 janvier 1991 des hauts responsables de Roche et de BASF » ; « [e]nsemble » [Roche et BASF] ont obtenu que la société Eisai rejoigne leur ‘club’ pour la vitamine E »).

533    Invitée, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, à préciser les éléments sur lesquels elle s’appuie pour défendre le bien‑fondé de son appréciation selon laquelle BASF ne remplissait pas la condition visée à la section B, sous e), de la communication sur la coopération, la défenderesse a rappelé les diverses circonstances factuelles, évoquées dans la Décision, sur lesquelles est axée sa défense contre le cinquième moyen et qui justifieraient l’application à l’égard de la requérante de la circonstance aggravante du rôle de meneur et/ou d’incitateur. En revanche, dans sa réponse, elle a omis toute référence aux considérations, appréciations ou circonstances factuelles rapportées aux considérants 567 à 569 et 584 de la Décision, auxquels le considérant 744 fait renvoi.

534    Dans ces conditions, force est de constater que la défenderesse apporte, devant le Tribunal, une nouvelle motivation à son appréciation selon laquelle Roche et BASF ont joué un rôle d’initiation ou un rôle déterminant dans les infractions de l’espèce. Le Tribunal ne prendra en considération cette nouvelle motivation qu’au cas où il serait amené à constater l’illégalité de cette appréciation telle qu’elle a été motivée dans la Décision et à faire usage, par conséquent, de son pouvoir de pleine juridiction.

535    Il convient d’observer que, si la section B, sous e), de la communication sur la coopération mentionne notamment le rôle d’initiation ou le rôle déterminant dans l’activité illicite, le point 2, troisième tiret, des lignes directrices mentionne, en tant que circonstance aggravante, le rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction.

536    Il y a lieu de considérer que les termes respectivement utilisés dans ces deux dispositions ont essentiellement la même portée. D’ailleurs, invitée à se prononcer à cet égard dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, la défenderesse a indiqué, notamment, que les expressions « rôle de meneur » et « rôle déterminant » ont été employés comme synonymes dans le contexte de la Décision et n’a pas répondu par l’affirmative à la question, posée par le Tribunal, de savoir si le rôle de BASF dans les infractions de l’espèce peut être considéré comme « déterminant », au sens de la section B, sous e), de la communication sur la coopération, même au cas où il ne pourrait pas être regardé comme étant celui d’un meneur.

537    Or, à l’instar de ce qui a été jugé aux points 296 à 300 ci‑dessus, les considérations d’ordre général visées au point 532, premier tiret, ci‑dessus ne sont pas suffisantes pour démontrer que la requérante a joué un rôle d’incitateur ou de meneur dans les infractions de l’espèce.

538    Il en va de même de l’allégation selon laquelle BASF « a joué un rôle très important en suivant Roche », laquelle semble indiquer que la requérante n’était pas tant un meneur qu’un suiveur.

539    S’agissant de l’observation selon laquelle « l’entente au niveau mondial a véritablement démarré au même moment pour les vitamines B 1, B 2, B 5, B 6 et C, et pour l’acide folique, à savoir lors de la visite au Japon les 30 et 31 janvier 1991 des hauts responsables de Roche et de BASF », non seulement elle semble en contradiction avec l’approche générale retenue dans la Décision selon laquelle il y avait eu une entente distincte pour chaque produit vitaminique, mais elle est en tout état de cause dépourvue de signification dans le présent contexte, puisque le fait que les représentants de Roche et de BASF se soient rendus au Japon en janvier 1991 ne saurait impliquer que ces entreprises ont été les incitateurs ou les meneurs des infractions relatives aux produits susvisés. La requérante n’a, par ailleurs, pas même participé aux ententes relatives à la vitamine B 6 et à l’acide folique.

540    Enfin, s’agissant de l’allégation selon laquelle Roche et BASF auraient ensemble obtenu qu’Eisai rejoigne l’entente relative à la vitamine E, il a déjà été constaté au point 336 ci‑dessus, d’une part, que la Commission ne s’est aucunement fondée sur cette allégation, dans la Décision, pour affirmer que la requérante avait joué un rôle d’incitateur justifiant l’application d’une majoration d’amende au titre des circonstances aggravantes et, d’autre part, que, ainsi qu’il ressort des considérants 212 et 234 de la Décision, Roche avait entamé seule des démarches auprès d’Eisai en vue d’une éventuelle adhésion de cette dernière à ladite entente.

541    Il résulte de ce qui précède que la motivation sur la base de laquelle la Commission a conclu, dans la Décision, que la requérante ne satisfaisait pas à la condition visée à la section B, sous e), de la communication sur la coopération en ce qui concerne toutes les infractions de l’espèce est viciée et que la Décision est donc entachée d’une illégalité sur ce point.

542    C’est donc dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction consécutif à cette constatation d’illégalité que le Tribunal est amené à prendre en considération les circonstances factuelles évoquées par la défenderesse devant lui afin de démontrer que la requérante a joué un rôle d’initiation ou un rôle déterminant – ou, en d’autres termes, un rôle d’incitateur ou un rôle de meneur – dans les infractions de l’espèce, et qu’elle ne satisfaisait dès lors pas à la condition susvisée.

543    Or, le Tribunal a déjà examiné ces circonstances dans son analyse du cinquième moyen (voir points 304 à 463 ci‑dessus) et a conclu qu’elles prouvent à suffisance de droit que la requérante a joué un rôle de meneur dans les infractions relatives aux vitamines A, E et B 5, alors qu’elles ne prouvent pas à suffisance de droit que la requérante a joué un rôle de meneur ou d’incitateur dans les infractions relatives aux vitamines C, D 3, au bêta-carotène et aux caroténoïdes. Par ailleurs, il n’est pas allégué et il n’apparaît pas du dossier que la requérante ait contraint d’autres entreprises à participer à ces dernières infractions.

544    Étant rappelé que la requérante ne conteste pas dans le présent recours son rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction relative à la vitamine B 2, il y a donc lieu de conclure qu’elle ne satisfaisait pas à la condition visée à la section B, sous e), de la communication sur la coopération en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A, E, B 2 et B 5, alors qu’elle satisfaisait à cette condition en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines C, D 3, au bêta-carotène et aux caroténoïdes.

545    Il s’ensuit que la requérante ne saurait bénéficier de la section B de ladite communication s’agissant des infractions relatives aux vitamines A, E, B 2 et B 5.

546    En revanche, s’agissant des infractions relatives aux vitamines C, D 3, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, il appartient au Tribunal, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, d’apprécier si la requérante satisfaisait également aux autres conditions cumulatives posées par la section B de la communication sur la coopération en vue de l’octroi éventuel à la requérante du bénéfice de la non-imposition d’amende ou d’une réduction « très importante » du montant de l’amende au titre de cette même section.

c)     Sur la question de savoir si la requérante remplissait les conditions visées à la section B, sous a) à d), de la communication sur la coopération en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines C, D 3, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes

 Sur les conditions visées sous a), c) et d)

547    S’agissant de la condition visée à la section B, sous c), de la communication sur la coopération, elle apparaît manifestement remplie, pour chacune des infractions relatives aux vitamines C, D 3, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, sur la base des informations concernant la durée de celles‑ci contenues dans la Décision. Il ressort notamment de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du dispositif de la Décision que ces quatre infractions avaient toutes déjà cessé, au plus tard, en décembre 1998, avant donc la coopération fournie par la requérante lors de l’enquête de la Commission.

548    S’agissant des conditions visées à ladite section, sous a) et d), la défenderesse, dans le cadre de l’exécution des mesures d’organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal, a indiqué que la requérante les remplissait en ce qui concerne les quatre infractions en cause. Aucun élément du dossier n’apparaît justifier que le Tribunal s’écarte de cette appréciation.

 Sur la condition visée sous b)

549    S’agissant, enfin, de la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération, il convient de rappeler que, au considérant 743, première phrase, de la Décision, la Commission a estimé que « Roche et BASF, par le biais des documents transmis à ses services entre le 2 juin 1999 et le 30 juillet 1999, [avaient] été les premières à lui communiquer des éléments déterminants pour prouver l’existence des accords collusoires relatifs aux marchés des vitamines B 2, B 5, C et D 3, du bêta-carotène et des caroténoïdes ». La formulation de cette phrase ne permet pas de comprendre si la Commission a estimé que Roche et BASF remplissaient conjointement la condition visée à la section B, sous b), pour chacune des infractions mentionnées. D’ailleurs, cette phrase ne vise qu’à justifier la conclusion formulée au considérant 745, première phrase, selon laquelle les autres entreprises concernées étaient empêchées de remplir cette condition.

550    Or, eu égard au libellé de la section B, sous b), de la communication sur la coopération, qui ne vise à récompenser par une réduction d’amende très importante que l’unique entreprise ayant réellement été la « première » à fournir des éléments déterminants (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, point 70 supra, point 365), il ne saurait être soutenu que Roche et BASF remplissaient conjointement la condition visée à la section B, sous b), pour chacune des infractions relatives aux vitamines C et D 3, au bêta-carotène et aux caroténoïdes, dans la mesure où le dossier fait ressortir que celles‑ci ne peuvent avoir fourni de tels éléments à la même date.

551    En effet, d’une part, ainsi qu’il a été jugé aux points 517 et 518 ci‑dessus pour ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E, sur la base de considérations qui sont pertinentes également pour ce qui concerne les autres infractions de l’espèce, lors de la réunion du 17 mai 1999 dans les locaux de la Commission, à laquelle Roche et BASF ont participé ensemble, ces dernières n’ont pas fourni d’éléments déterminants pour prouver une quelconque infraction. D’autre part, il ressort du dossier que, pendant la période comprise entre le 2 juin et le 30 juillet 1999, visée au considérant 743 de la Décision, BASF et Roche n’ont jamais transmis d’éléments d’information à la même date.

552    Il appartient donc au Tribunal de vérifier, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, qui a été entre la requérante et Roche la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence des infractions relatives aux vitamines C, D 3, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes.

–       Infraction relative à la vitamine D 3

553    Il résulte du dossier que la seule contribution concernant l’infraction relative à la vitamine D 3 que BASF ait transmise à la Commission après la réunion du 17 mai 1999 dans les locaux de l’institution est contenue dans sa déclaration du 15 juin 1999, reçue par la Commission à cette même date. Cette contribution consiste en l’identification de la durée de cette infraction (de 1993 à 1997) et en 16 lignes ultérieures, dont 9 seulement consacrées à l’entente, qui ne font ressortir, en sus de cette durée, que les participants à l’entente et l’« idée générale » de l’entente, à savoir celle de la non-expansion des parts de marché. Les noms de trois représentants des trois entreprises impliquées sont rapportés, mais il n’y a aucune information concernant des faits concrets susceptibles d’être considérés comme constitutifs de l’infraction. D’ailleurs, la description des faits relatifs à cette entente contenue aux considérants 459 à 483 de la Décision se fonde essentiellement sur les éléments fournis par Roche et surtout par Solvay.

554    Dans ces conditions, force est de constater que la requérante n’a pas établi avoir fourni à la Commission, durant la procédure administrative, d’éléments déterminants pour prouver l’existence de l’infraction relative à la vitamine D 3.

555    Il y a donc lieu de conclure que, en ce qui concerne cette infraction, la requérante ne remplissait pas la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération et ne saurait donc se prévaloir de ladite section.

–       Infractions relatives à la vitamine C, au bêta-carotène et aux caroténoïdes

556    Il convient de relever que, après la réunion du 17 mai 1999, la requérante a écrit une première fois à la Commission par lettre du 21 mai 1999, reçue par l’institution à cette même date, pour lui transmettre, comme il avait été convenu au cours de ladite réunion, une copie de la transaction judiciaire (voir point 468 ci‑dessus) qu’elle avait formalisée le 20 mai 1999 avec le ministère de la Justice des États-Unis, ainsi que du mémorandum d’information y relatif.

557    Par cette documentation, la requérante n’a cependant pas fourni à la Commission d’éléments déterminants pour prouver l’existence des ententes relatives, notamment, à la vitamine C, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes.

558    En effet, d’une part, la lettre du 21 mai 1999 se limite à annoncer que BASF avait commencé la préparation d’un rapport exhaustif sur les agissements affectant le marché européen et qu’elle reprendrait contact avec la Commission dès la finalisation de ce rapport. D’autre part, la transaction judiciaire et son mémorandum d’information – à vouloir même les prendre en considération dans le présent contexte nonobstant la publicité donnée à leur contenu par le ministère de la Justice des États‑Unis dès le 20 mai 1999, telle qu’attestée par les communiqués de presse produits aux annexes D.4 et D.5 du mémoire en duplique – ne font ressortir, quant aux agissements collusoires poursuivis, que leur nature ainsi que la période et les produits vitaminiques concernés (parmi lesquels ne figuraient en tout état de cause pas les caroténoïdes), outre, de manière indirecte, les noms de quelques employés de BASF impliqués, sans toutefois indiquer le moindre fait concret constitutif d’infraction.

559    En revanche, il y a lieu de considérer que, par sa contribution suivante, à savoir sa déclaration du 15 juin 1999, la requérante a fourni à l’institution des éléments déterminants pour prouver l’existence des ententes relatives notamment à la vitamine C, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, en ce que ces éléments portaient non seulement sur les membres, la nature et la durée des infractions, mais également sur des faits concrets constitutifs d’infraction.

560    En effet, s’agissant de l’entente relative à la vitamine C, cette déclaration identifie – outre les membres de l’entente et la période concernée par l’infraction – un certain nombre de réunions, le lieu et les participants de ces réunions, contient une description de l’évolution de l’entente et une indication précise du contenu des discussions tenues durant les diverses réunions répertoriées (avec des données chiffrées quant aux quotas alloués), faisant également ressortir l’opposition entre Takeda et les producteurs européens.

561    S’agissant des ententes relatives au bêta‑carotène et aux caroténoïdes, les éléments fournis par la déclaration de BASF du 15 juin 1999 consistent, pour chacune des deux infractions, en une description générale de l’entente, avec des précisions notamment sur les membres et la durée de l’entente, la situation du marché au moment de la création de l’entente, les motivations des parties, la date, le lieu et les participants à la réunion de fondation de l’entente, l’accord intervenu à cette occasion sur les quotas de vente (avec précisions chiffrées sur les quotas alloués), la fréquence, le lieu, l’objet sommaire et les participants aux réunions postérieures.

562    Le caractère volontaire de la transmission de tous ces éléments à la Commission n’est pas contesté par la défenderesse et ne saurait d’ailleurs l’être, en dépit de la demande de renseignements de la Commission du 26 mai 1999 adressée à la requérante. En effet, la déclaration de BASF du 15 juin 1999 faisait suite à ce qui avait été annoncé par celle‑ci lors de la réunion du 17 mai 1999, au cours de laquelle l’existence d’ententes affectant notamment les marchés de la vitamine C et du bêta-carotène avait déjà été évoquée. En outre, la demande de renseignements de la Commission du 26 mai 1999 ne portait pas sur l’entente relative aux caroténoïdes. Ainsi qu’il a été décrit au point 556 ci‑dessus, dans sa lettre à la Commission du 21 mai 1999, BASF confirmait d’ailleurs qu’elle avait commencé à préparer un rapport complet sur les infractions affectant le marché européen et qu’elle reprendrait contact avec la Commission dès la finalisation de ce rapport.

563    Il ressort, en outre, du dossier que la seule contribution de Roche postérieure à la réunion du 17 mai 1999 qui ait été transmise à la Commission avant le 15 juillet 1999 est la déclaration de Roche du 2 juin 1999, parvenue à la Commission le 4 juin 1999.

564    Or, cette déclaration, dont une version non confidentielle a été versée au dossier par la défenderesse dans le cadre de l’exécution des mesures d’organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal lors de l’audience, n’a pour objet que les infractions relatives aux vitamines A, E et C. 

565    Ainsi, la déclaration de Roche du 2 juin 1999 ne contenant aucun élément relatif aux ententes portant sur le bêta-carotène et les caroténoïdes, il y a lieu de constater que la requérante, par sa déclaration du 15 juin 1999, a été effectivement la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de ces ententes. Elle remplissait dès lors, en ce qui concerne les infractions relatives à ces deux produits, également la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération.

566    Il s’ensuit que la requérante devait, comme elle le prétend, se voir accorder le bénéfice de l’application de cette section pour ces infractions.

567    En revanche, en ce qui concerne l’infraction relative à la vitamine C, une conclusion contraire s’impose, étant donné qu’il doit être constaté, au vu de la version non confidentielle de la déclaration de Roche du 2 juin 1999 produite par la défenderesse, que Roche, par cette déclaration, a été la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente portant sur cette vitamine.

568    En effet, s’il est vrai que, s’agissant de cette entente, ladite déclaration de Roche contient un ensemble d’informations certainement plus limité que celui contenu dans la déclaration de BASF du 15 juin 1999, il n’en demeure pas moins qu’elle aussi identifie un certain nombre de réunions, le lieu et les participants de ces réunions, avec une indication, bien que très sommaire, de l’objet des réunions. Or, étant rappelé que la notion d’éléments déterminants ne saurait être interprétée comme se référant à des éléments en eux-mêmes suffisants pour prouver l’infraction (voir point 492 ci‑dessus), il y a lieu d’estimer que, dans la mesure où Roche, par ladite déclaration, a rapporté des éléments factuels précis constitutifs d’infraction, elle a été la première entreprise à fournir des éléments déterminants au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération en ce qui concerne l’infraction relative à la vitamine C.

569    Il y a lieu de souligner que la requérante elle‑même, dans ses observations sur la documentation produite par la défenderesse après l’audience et relative à la coopération de Roche, en envisageant à titre subsidiaire l’hypothèse où le Tribunal ne retiendrait pas sa thèse principale selon laquelle des éléments déterminants ont été fournis par BASF et Roche conjointement lors de la réunion du 17 mai 1999, n’a pas inclus l’entente relative à la vitamine C parmi les ententes pour lesquelles elle devrait être considérée comme ayant été la première à avoir fourni des éléments déterminants, ladite entente étant déjà couverte par la déclaration de Roche du 2 juin 1999. La requérante ne conteste pas le caractère volontaire de la coopération fournie par Roche par cette déclaration, lequel, pour les mêmes raisons évoquées au point 562 ci‑dessus en ce qui concerne la déclaration de BASF du 15 juin 1999, ne saurait d’ailleurs être affecté par la demande de renseignements de la Commission du 26 mai 1999 adressée à Roche.

570    Par conséquent, la requérante ne remplissant pas la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération en ce qui concerne l’infraction relative à la vitamine C, elle ne saurait se prévaloir de cette section pour cette infraction.

d)     Application à l’égard de la requérante de la section B de la communication sur la coopération en ce qui concerne les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes

571    En vue d’assurer la protection de la confiance légitime que la section B de la communication sur la coopération a pu engendrer auprès de la requérante, il appartient au Tribunal, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, de déterminer le niveau approprié de la réduction d’amende devant être accordée à la requérante, au titre de ladite section, pour les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Tate & Lyle e.a./Commission, point 190 supra, points 162 à 166 ; ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 192 supra, points 244, 245, 260 et 261 ; du 9 juillet 2003, Daesang et Sewon/Commission, T‑230/00, Rec. p. II‑2733, points 144 et 145, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 131 supra, points 416 à 418, 440 et 455).

572    À cet égard, le Tribunal relève que la requérante a effectué ses premières démarches auprès de la Commission bien après qu’une enquête avait été menée par les autorités antitrust des États-Unis concernant les agissements collusoires relatifs au secteur des vitamines et peu avant la conclusion de la transaction judiciaire. Ainsi, la coopération de BASF, bien que volontaire – en ce qu’elle n’a pas été la conséquence de l’exercice des pouvoirs d’investigation de la Commission à l’égard de la requérante –, a cependant été fournie sous la pression engendrée par la conclusion de la transaction judiciaire et par le risque qu’une action de la Commission s’ensuive. S’il est vrai que – contrairement aux agissements collusoires relatifs au bêta-carotène, clairement visés par l’enquête américaine ainsi qu’il ressort des pages 3 et 4 du mémorandum d’information accompagnant la transaction judiciaire –, les agissements collusoires relatifs aux caroténoïdes n’avaient pas attiré l’attention du ministère de la Justice des États‑Unis, leur détection dans le cadre d’une éventuelle enquête de la Commission, incitée par la conclusion et la divulgation de la transaction judiciaire, ne pouvait certes pas être exclue.

573    En outre, pour les deux infractions en cause, il convient de tenir compte du fait que, si le rôle de BASF n’était pas tel à empêcher celle-ci de remplir la condition visée à la section B, sous e), de la communication sur la coopération, son importance, dans le cadre d’une entente formée par deux seules entreprises, demeure évidente. De plus, le rôle actif de BASF dans ces infractions ressort notamment du fait qu’elle effectuait des achats compensatoires auprès de Roche lorsqu’il était constaté qu’elle avait dépassé le quota global alloué pour le bêta-carotène (voir pages 15 et 16 de la déclaration de BASF du 15 juin 1999 et considérant 521 de la Décision) et du fait qu’elle avait réussi à négocier avec Roche son entrée dans le segment de l’astaxantine, un caroténoïde rose (voir pages 16 et 17 de la déclaration de BASF du 15 juin 1999 et considérants 525 et 527 de la Décision).

574    Au vu de telles circonstances, le Tribunal estime qu’il est approprié d’accorder à la requérante, au titre de la section B de la communication sur la coopération, une réduction de 75 % du montant, calculé avant application de cette communication, des amendes lui ayant été infligées pour les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes.

e)     Conclusion sur le sixième moyen

575    À la suite de l’examen du présent moyen et de l’exercice du pouvoir de pleine juridiction du Tribunal auquel cet examen a abouti, il y a lieu, d’une part, de confirmer l’exclusion de la requérante du bénéfice de la section B de la communication sur la coopération en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A, E, B 2, B 5, C et D 3 et, d’autre part, d’octroyer à la requérante, au titre de cette section, une réduction de 75 % du montant, calculé avant application de ladite communication, des amendes lui ayant été infligées pour les infractions relatives au bêta‑carotène et aux caroténoïdes.

F –  Sur le septième moyen, tiré, indépendamment de la communication sur la coopération, du caractère insuffisant de la réduction du montant des amendes accordée à la requérante au titre de sa coopération

1.     Arguments des parties

576    La requérante fait grief à la Commission de ne pas lui avoir accordé, indépendamment de la communication sur la coopération, une réduction plus élevée du montant de l’amende au titre de sa coopération – à ses dires exemplaire, car précoce, complète et continue – dans le cadre de l’enquête de la Commission.

577    Ainsi, elle souligne qu’elle a été la première entreprise à offrir sa coopération avant le début de l’enquête de la Commission et qu’elle a pleinement coopéré avec celle-ci tout au long de l’enquête, notamment en offrant de mettre à sa disposition, à bref délai, des cadres supérieurs de BASF, en fournissant un rapport détaillé et complet sur l’activité illégale ainsi que des explications et des renseignements utiles approfondis et même non sollicités, en adressant à la Commission des rapports méticuleusement rédigés qui formeraient la base pour de grandes parties de la Décision. La signification des preuves fournies par BASF serait reconnue à divers endroits dans la Décision, qui admettrait explicitement, au considérant 745, qu’elles ont été déterminantes pour l’établissement des infractions relatives aux vitamines A, E, B 2, B 5, C et D 3, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes. En outre, la requérante rappelle qu’elle est allée bien plus loin que ce qui était requis au titre des sections B et C de la communication sur la coopération, dans la mesure où elle a pris l’initiative sans précédent de licencier plusieurs cadres supérieurs directement responsables de l’entente et mis en place des programmes additionnels visant au respect et à la prise de conscience de la législation antitrust allant au-delà des efforts, à ses dires déjà considérables, qu’elle déployait dans ce domaine auparavant.

578    Elle rappelle que le Tribunal jouit d’une compétence illimitée pour modifier le montant des amendes et n’est pas lié par les lignes directrices ou par la communication sur la coopération, et se réfère, à cet égard, à l’arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 190 supra (point 163). Elle fait remarquer, en particulier, que, dans cet arrêt (point 165), le Tribunal a jugé que la réduction de 50 % du montant de l’amende qui aurait été infligée en l’absence de coopération, accordée à Tate & Lyle, n’était pas suffisante, compte tenu de la signification et du caractère continu et complet de la coopération offerte par celle-ci, et qu’il a octroyé une réduction de 60 %, nonobstant le rôle significatif que Tate & Lyle avait joué au sein de l’entente et certains manquements dans sa coopération. La requérante invite donc le Tribunal à exercer son pouvoir discrétionnaire pour réduire davantage, au titre de la coopération qu’elle a fournie à la Commission, le montant des amendes qui lui ont été infligées.

579    La défenderesse considère que la demande de la requérante visant à obtenir une réduction de ses amendes supérieure à 50 % en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération est dépourvue de fondement, d’une part, parce que la Décision a déjà pris en considération le comportement de la requérante en lui accordant une réduction en application de la section D de ladite communication et, d’autre part, parce que la requérante ne mérite en aucun cas une réduction de ses amendes en dehors du champ d’application de cette communication.

2.     Appréciation du Tribunal

580    Aux termes de la section A, paragraphe 3, première phrase, de la communication sur la coopération, celle-ci « définit les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées d’amende ou bénéficier d’une réduction de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter ». C’est ainsi que la section D, paragraphe 1, de la communication prévoit, au profit de l’entreprise concernée, une réduction de 10 à 50 % du montant de « l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération ».

581    La requérante, qui s’est vu accorder, pour toutes les infractions pour lesquelles une amende lui a été infligée, une réduction de 50 % au titre de la section D de la communication sur la coopération, invite, en substance, le Tribunal à apprécier et à récompenser sa coopération en faisant abstraction des dispositions de cette communication, laquelle ne lierait pas le Tribunal.

582    À cet égard, il y a lieu de relever que le contrôle que le Tribunal est appelé à exercer sur une décision par laquelle la Commission constate une violation de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE et inflige des amendes est limité à la légalité de cette décision, la compétence de pleine juridiction dont le Tribunal dispose au sens de l’article 229 CE et de l’article 17 du règlement n° 17 ne pouvant être exercée, le cas échéant, qu’à la suite de la constatation d’une illégalité dont la décision est affectée et dont l’entreprise concernée s’est plainte dans son recours, et afin de remédier aux conséquences de cette illégalité sur la détermination du montant de l’amende infligée, si besoin est par la suppression ou la réformation de cette dernière.

583    Or, en l’espèce, par le présent moyen, la requérante ne reproche pas à la Commission d’avoir commis des illégalités dans l’appréciation, au regard de la communication sur la coopération, de sa coopération à l’enquête administrative, et elle n’excipe pas non plus de l’illégalité de cette communication dont il est constant que la Commission a fait application à son égard.

584    Par ailleurs, la requérante ne saurait aucunement tirer argument de l’arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 190 supra. En effet, si, dans cet arrêt, le Tribunal (voir points 157 à 165) a effectivement jugé que la réduction de 50 % du montant de l’amende, accordée à Tate & Lyle par la Commission, n’était pas suffisante, compte tenu de la signification et du caractère continu et complet de la coopération offerte par cette entreprise, et qu’il y avait lieu de porter le taux de cette réduction à 60 %, c’est en raison d’une erreur commise par la Commission dans l’application de la condition visée à la section B, sous d), de cette communication. Ledit arrêt, ayant constaté que l’étendue de la coopération fournie par l’entreprise intéressée n’avait pas été correctement appréciée par la Commission au regard de la communication sur la coopération, ne saurait donc aucunement être regardé comme un précédent dans lequel le Tribunal est passé outre la portée de cette communication pour apprécier et récompenser à son gré la coopération de cette entreprise.

585    Il y a lieu, cependant, de remarquer que la possibilité d’accorder à une entreprise ayant coopéré avec la Commission au cours d’une procédure pour violation des règles de concurrence une réduction d’amende en dehors du cadre fixé par la communication sur la coopération est reconnue par les lignes directrices, dont le point 3, sixième tiret, prévoit la prise en compte, en tant que circonstance atténuante, de la « collaboration effective de l’entreprise à la procédure, en dehors du champ d’application de la [communication sur la coopération] ».

586    Or, à supposer même que le présent moyen puisse être interprété, nonobstant l’absence d’invocation explicite du point 3, sixième tiret, des lignes directrices, comme visant à faire constater que la Commission aurait dû accorder à la requérante une réduction d’amende ultérieure au titre de cette disposition, il convient de constater que les infractions de l’espèce relèvent bien du champ d’application de la communication sur la coopération, dont la section A, paragraphe 1, premier alinéa, se réfère aux ententes secrètes pour fixer des prix, des quotas de production ou de vente, se partager les marchés ou interdire les importations ou les exportations. Dès lors, la requérante ne peut pas valablement reprocher à la Commission de ne pas avoir pris en compte le degré de sa coopération en tant que circonstance atténuante, en dehors du cadre juridique de la communication sur la coopération (voir, en ce sens, arrêt HFB e.a./Commission, point 227 supra, points 609 et 610, confirmé, sur pourvoi, notamment sur ce point, par arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 48 supra, points 380 à 382).

587    Au demeurant, un tel reproche ne saurait être adressé à la Commission même s’il fallait admettre qu’une coopération à une enquête portant sur des ententes horizontales de fixation de prix et de répartition de ventes est susceptible d’être récompensée au titre du point 3, sixième tiret, des lignes directrices.

588    En effet, dans une telle hypothèse, une réduction au titre de cette disposition supposerait nécessairement que la coopération en cause ne soit pas susceptible d’être récompensée dans le cadre de la communication sur la coopération et qu’elle ait été effective, c’est‑à‑dire qu’elle ait facilité la tâche de la Commission consistant en la constatation et en la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence (arrêts Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 269 supra, point 300, et Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 95 supra, point 308).

589    Or, la requérante invoque en l’espèce, d’une part, des circonstances – à savoir les rapports, explications et preuves fournies au cours de la procédure – qui lui ont déjà valu, comme la défenderesse le fait remarquer à juste titre, la réduction maximale pouvant être accordée au titre de la section D de la communication sur la coopération (50 %) et, d’autre part, des circonstances – le licenciement de plusieurs cadres supérieurs impliqués dans les ententes et la mise en place de programmes additionnels visant au respect et à la prise de conscience de la législation antitrust – qui n’étaient pas de nature à faciliter la tâche de la Commission de constater et de réprimer les infractions en cause. Aucune signification particulière ne peut, par ailleurs, revêtir la proposition faite à la Commission de mettre à sa disposition des cadres supérieurs pour qu’ils rendent un témoignage, dans la mesure où il peut être considéré que les éléments d’information que ceux-ci auraient pu fournir à la Commission dans un tel contexte doivent avoir été ou, en tout état de cause, auraient pu être intégrés par la requérante dans les rapports qu’elle a transmis à l’institution au cours de la procédure.

590    Dans ces conditions, le présent moyen doit être rejeté.

G –  Sur le huitième moyen, tiré d’une violation du secret professionnel et du principe de bonne administration

1.     Arguments des parties

591    La requérante fait valoir que la Commission a violé son obligation de secret professionnel inscrite à l’article 287 CE et son devoir de bonne administration en révélant aux médias avant l’adoption de la Décision des parties importantes de la Décision concernant l’amende globale infligée à BASF. En effet, un rapport extrêmement précis citant l’amende record qui serait infligée à BASF aurait été publié dans le Financial Times le matin du 21 novembre 2001, c’est‑à-dire avant la réunion du collège des commissaires. Le même article aurait été affiché sur le site web du Financial Times le jour précédent. D’autres articles similaires auraient été publiés entre le 20 et le 21 novembre 2001.

592    La requérante rappelle que le Tribunal, dans son arrêt du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission (T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 281), a jugé que, dans des procédures dans lesquelles une amende peut être infligée, la nature et le quantum de la sanction proposée sont, par nature, couverts par le secret professionnel tant que la sanction n’a pas été définitivement approuvée et prononcée. Elle ajoute que, aux termes de cet arrêt, ce principe découle, notamment, de la nécessité de respecter la réputation et la dignité de l’intéressé tant que celui-ci n’a pas été condamné et ne coïncide pas seulement avec l’obligation de respecter le secret professionnel, mais également avec l’obligation de bonne administration.

593    Or, la requérante rappelle que, selon la jurisprudence, une divulgation prématurée de l’amende peut entraîner l’annulation de la décision en cause s’il est établi que, en l’absence de cette irrégularité, ladite décision aurait eu un contenu différent (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, point 80 supra, point 91 ; arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, Rec. p. II‑441, point 29, et Volkswagen/Commission, point 592 supra, point 283). Toutefois, en l’espèce, ce serait imposer à la requérante une charge déraisonnable que d’exiger d’elle une telle preuve, dans la mesure où elle n’était pas présente à la réunion des commissaires et n’a pas accès aux procès‑verbaux ou aux documents résumant les discussions tenues lors de cette réunion. La requérante fait donc valoir qu’il est plus approprié – sous peine de priver de toute efficacité la jurisprudence de la Cour et du Tribunal à cet égard et, en dernière analyse, également l’article 287 CE et le devoir de bonne administration pesant sur la Commission – d’obliger la Commission à prouver que le processus de décision n’a aucunement été affecté par les révélations prématurées aux médias.

594    En tout état de cause, la divulgation prématurée de renseignements précis concernant l’amende globale devant être infligée à BASF constituerait un vice de procédure ayant eu pour effet d’empêcher le collège des commissaires d’évaluer convenablement et de manière indépendante l’affaire. En effet, selon la requérante, une telle divulgation a rendu très difficile pour le collège des commissaires d’adopter une amende inférieure, dans la mesure où une modification du montant de l’amende aurait nécessité des explications, et aurait été une source d’embarras pour leur collègue, le membre de la Commission en charge des affaires de concurrence.

595    La défenderesse, premièrement, fait observer que les extraits d’articles de différents journaux publiés sur Internet, que la requérante a versés au dossier, ne démontrent nullement que les passages de la Décision relatifs à la requérante ont été publiés prématurément. Ces extraits ne donnaient, à son avis, qu’une simple indication approximative du montant final des amendes globales infligées aux deux principaux producteurs, Roche et BASF.

596    Deuxièmement, la défenderesse soutient qu’il appartient à la requérante de démontrer, conformément à la position adoptée par le Tribunal dans l’arrêt Volkswagen/Commission, point 592 supra (point 283), que le contenu de la Décision aurait été différent si cette divulgation d’informations aux médias n’avait pas eu lieu. Or, la requérante ne démontrerait pas que le processus décisionnel de la Commission a été en l’occurrence affecté par le fait que des indications vagues sur le montant des amendes ont été publiées avant l’adoption de la Décision.

597    Dans son mémoire en réplique, la requérante fait observer que les articles de presse annexés à la requête sont singulièrement similaires et cohérents dans leur compte rendu de l’amende globale qui lui serait infligée et ont eu pour effet de rendre publique cette amende avant l’adoption de la Décision. La plupart des articles mentionneraient une amende de « près de 300 millions d’euros » et un article mentionnerait même le montant de 296 millions d’euros.

598    Dans son mémoire en duplique, la défenderesse excipe que, dans le mémoire en réplique, la requérante allègue pour la première fois que c’est la divulgation aux médias de l’amende envisagée qui constituerait une violation de l’article 287 CE et non, comme il a été soutenu dans la requête, la divulgation de parties ou de passages importants de la Décision. La défenderesse estime que, dans la mesure où cette allégation peut être considérée comme un nouveau moyen de droit, elle doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure

599    Sur le fond, la défenderesse fait valoir notamment que la requérante n’a pas été en mesure de démontrer que les informations concernant les amendes qui ont été publiées dans la presse émanaient, comme elle l’affirme, de la Commission, alors qu’une telle origine était constante en ce qui concerne les informations prématurément divulguées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, point 592 supra.

2.     Appréciation du Tribunal

600    À titre liminaire, il convient de rejeter, en tant que manifestement non fondée, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la défenderesse, au regard de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, à l’encontre de l’argument de la requérante selon lequel la divulgation aux médias du montant de l’amende globale envisagée serait constitutive d’une violation de l’article 287 CE.

601    Contrairement à ce que la défenderesse prétend, cet argument n’a pas été soulevé pour la première fois dans le mémoire en réplique de la requérante. Il est vrai que, dans sa requête, la requérante a, par endroits (points 204 et 205), mentionné la divulgation de « parties » de la Décision concernant l’amende infligée à BASF. Cependant, il est patent, à la lecture des points 204 à 208 de la requête, que, par le présent moyen, la requérante visait non pas tant la reproduction de passages de la Décision que l’indication du montant de l’amende globale lui ayant été infligée [voir, à cet égard, notamment, l’intitulé du présent moyen précédant le point 204, « La révélation par la Commission aux médias de l’amende infligée à BASF », le sous-titre précédant le point 205 « Les médias étaient en possession de détails précis concernant l’amende infligée à BASF (…) » et le point 207, première phrase, « La révélation de détails précis concernant l’amende ‘ record ’ devant être infligée à BASF (…) »].

602    Il apparaît ainsi également, quant au fond, qu’est inopérante l’observation de la défenderesse selon laquelle les extraits d’articles de presse produits par la requérante ne démontrent pas la publication prématurée de passages de la Décision relatifs à la requérante, mais seulement la publication d’une indication approximative du montant final des amendes infligées à la requérante.

603    La défenderesse ne contestant pas véritablement le fait de la divulgation prématurée de l’imposition envisagée d’une amende à BASF et, à un haut degré de précision, du montant envisagé de l’amende globale, il y a lieu d’examiner quelles sont les conséquences à attacher à un tel fait.

604    Il convient de rappeler que, dans des procédures contradictoires susceptibles d’aboutir à une condamnation, la nature et le quantum de la sanction proposée sont, par nature, couverts par le secret professionnel, tant que la sanction n’a pas été définitivement approuvée et prononcée. Ce principe découle, notamment, de la nécessité de respecter la réputation et la dignité de l’intéressé tant que celui-ci n’a pas été condamné. Par ailleurs, le devoir de la Commission de ne pas divulguer à la presse des informations sur la sanction précise envisagée ne coïncide pas seulement avec son obligation de respecter le secret professionnel, mais également avec son obligation de bonne administration (arrêt du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, point 592 supra, point 281, confirmé, sur pourvoi, par arrêt du 18 septembre 2003, Volkswagen/Commission, point 394 supra).

605    Or, en l’espèce, il n’est pas établi que les services de la Commission soient responsables de la fuite d’informations dont témoignent les articles de presse auxquels la requérante se réfère. Une telle origine de la fuite ne saurait d’ailleurs être présumée.

606    En tout état de cause, à supposer même que les services de la Commission soient responsables de cette fuite, une telle irrégularité, selon une jurisprudence constante, ne peut entraîner l’annulation de la décision en cause que s’il est établi que, en l’absence de cette irrégularité, ladite décision n’aurait pas été prise ou aurait eu un contenu différent (voir arrêt Suiker Unie e.a./Commission, point 80 supra, point 91 ; arrêts Dunlop Slazenger/Commission, point 593 supra, point 29 ; du 14 mai 1998, Cascades/Commission, point 188 supra, point 58 ; du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, point 592 supra, point 283, et HFB e.a./Commission, point 227 supra, point 370). Conformément à cette même jurisprudence, il incombe à la requérante d’apporter au moins des indices venant soutenir une telle conclusion.

607    Contrairement aux affirmations de la requérante, le critère selon lequel une irrégularité résultant d’une divulgation prématurée d’un élément de la décision peut entraîner l’annulation de celle-ci seulement s’il est établi que, en l’absence de cette irrégularité, ladite décision aurait eu un contenu différent, n’a pas pour effet que des irrégularités de ce genre resteraient pratiquement impunies. En effet, indépendamment de la possibilité d’obtenir l’annulation de la décision en cause dans l’hypothèse où l’irrégularité commise se serait répercutée sur son contenu, l’intéressé serait fondé à rechercher la responsabilité de l’institution concernée en raison du préjudice qu’il estimerait avoir subi du fait de cette irrégularité (arrêt du 18 septembre 2003, Volkswagen/Commission, point 394 supra, point 165).

608    Or, en l’espèce, par les éléments, d’ordre logique, qu’elle évoque dans ses écritures, la requérante ne s’est pas acquittée de la charge de la preuve pesant sur elle.

609    Elle soutient que la divulgation prématurée de renseignements précis concernant l’amende globale devant lui être infligée a eu pour effet d’empêcher le collège des commissaires d’évaluer convenablement et de manière indépendante l’affaire. En effet, selon la requérante, une telle divulgation a rendu très difficile pour le collège des commissaires l’adoption d’une amende inférieure, dans la mesure où une modification du montant de l’amende aurait nécessité des explications, et aurait été une source d’embarras pour leur collègue, le membre de la Commission alors en charge des affaires de concurrence.

610    Or, à l’évidence, d’une part, rien n’obligeait les commissaires à justifier le choix éventuel d’un montant d’amende inférieur à celui annoncé par la presse. D’autre part, les décisions de la Commission devant obéir au principe de collégialité, évoqué à juste titre par la défenderesse, il ne peut être présumé que les commissaires ont été conditionnés dans leur liberté d’appréciation par un sentiment de solidarité mal placée vis-à-vis de leur collègue en charge des affaires de concurrence.

611    Dès lors, rien ne laissant supposer que, si le montant envisagé de l’amende globale devant être infligée à la requérante n’avait pas été divulgué, le collège des commissaires aurait modifié le montant de l’amende ou le contenu de la décision proposés, le présent moyen ne saurait être accueilli.

H –  Conclusion sur le montant des amendes infligées à la requérante

612    À la suite de l’examen des moyens soulevés par la requérante et de l’exercice du pouvoir de pleine juridiction auquel cet examen, le cas échéant, a abouti, il y a lieu :

–        de confirmer le montant des amendes infligées à la requérante à l’article 3, sous b), de la Décision pour les infractions relatives aux vitamines A, E, B 2 et B 5 ;

–        de réformer le montant des amendes lui ayant été infligées pour les infractions relatives aux vitamines C et D 3, par suppression de la majoration de 35 % du montant de base opérée au titre des circonstances aggravantes ;

–        de réformer le montant des amendes lui ayant été infligées pour les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes, par suppression de la majoration de 35 % du montant de base opérée au titre des circonstances aggravantes et par augmentation de 50 à 75 % du taux de la réduction d’amende opérée au titre de la communication sur la coopération.

613    En conséquence de cette réformation, le montant des amendes infligées à la requérante à l’article 3, sous b), de la Décision pour les infractions relatives aux vitamines C et D 3, au bêta-carotène et aux caroténoïdes est réduit comme suit :

–        infraction relative à la vitamine C : 10, 875 millions d’euros ;

–        infraction relative à la vitamine D 3 : 5,6 millions d’euros ;

–        infraction relative au bêta‑carotène : 16 millions d’euros ;

–        infraction relative aux caroténoïdes : 15,5 millions d’euros.

 Sur le caractère confidentiel de certaines données figurant dans la Décision

614    Il y a lieu de relever que, dans les tableaux figurant au considérant 123 de la version publiée de la Décision, certaines données relatives au chiffre d’affaires mondial tiré du produit concerné au cours de la dernière année civile complète de l’infraction et aux parts de marché détenues au cours de la période infractionnelle sont omises ou remplacées par des fourchettes de valeurs, afin de sauvegarder le secret d’affaires. Il s’agit, plus précisément, des données concernant les marchés des vitamines A, E, B 5, du bêta‑carotène et des caroténoïdes.

615    Ni la requérante ni la Commission n’ont initialement demandé au Tribunal de réserver un traitement confidentiel à ces données.

616    L’article 17, paragraphe 4, des instructions au greffier du Tribunal de première instance des Communautés européennes, adoptées le 3 mars 1994 (JO 1994, L 78, p. 32) et modifiées, en dernier lieu, le 5 juin 2002 (JO 2002, L 160, p. 1), prévoyant que, « [à] la demande d’une partie ou d’office, […] certaines données peuvent être omis[es] dans les publications relatives à l’affaire, s’il y a un intérêt légitime à ce que […] ces données soient tenues confidentielles », le Tribunal a invité les parties, au titre des mesures d’organisation de la procédure, à se prononcer sur la question de savoir si, à leur avis, il subsistait un intérêt légitime à ce que les données visées au point 614 ci‑dessus soient encore tenues confidentielles dans les publications relatives à la présente affaire.

617    La requérante a répondu que, au vu de leur caractère historique, les données la concernant n’appelaient pas de traitement confidentiel dans les publications du Tribunal relatives à la présente affaire. La défenderesse, quant à elle, tout en marquant son accord pour la publication éventuelle des données relatives à la requérante, pour autant que celle-ci y consente, a précisé que, en revanche, les données relatives aux autres entreprises ne pouvaient être révélées, puisqu’elles relèveraient de secrets d’affaires et que ces entreprises avaient demandé le traitement confidentiel en vue de la publication de la Décision.

618    Les données en cause étant relatives à des périodes (allant jusqu’à 1998) écoulées depuis au moins six ans déjà, et ne revêtant par ailleurs pas une valeur stratégique, le Tribunal, estimant qu’elles avaient désormais acquis un caractère historique (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 19 juin 1996, NMH Stahlwerke e.a./Commission, T‑134/94, T‑136/94 à T‑138/94, T‑141/94, T‑145/94, T‑147/94, T‑148/94, T‑151/94, T‑156/94 et T‑157/94, Rec. p. II‑537, points 25 et 32), a décidé qu’il n’y avait pas lieu de les soumettre à un traitement confidentiel dans les publications relatives à la présente affaire. C’est ainsi que certaines données relatives aux marchés des vitamines A, E, B 5, du bêta‑carotène et des caroténoïdes, y compris celles concernant d’autres entreprises que la requérante, peuvent figurer dans le présent arrêt ou y être indirectement déduites, aidant par ailleurs à la compréhension du raisonnement du Tribunal relatif au troisième moyen du présent recours.

 Sur les dépens

619    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, premier alinéa, de ce même règlement, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

620    En l’espèce, la requérante ayant succombé en une partie significative de ses conclusions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant qu’elle supportera quatre cinquièmes de ses propres dépens et quatre cinquièmes des dépens exposés par la Commission et que cette dernière supportera un cinquième de ses propres dépens et un cinquième des dépens exposés par la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le montant des amendes infligées à la partie requérante pour les infractions relatives aux vitamines C et D 3, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes par l’article 3, sous b), de la décision 2003/2/CE de la Commission, du 21 novembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/37.512 – Vitamines), est fixé comme suit :

–        infraction relative à la vitamine C : 10,875 millions d’euros ;

–        infraction relative à la vitamine D 3 : 5,6 millions d’euros ;

–        infraction relative au bêta-carotène : 16 millions d’euros ;

–        infraction relative aux caroténoïdes : 15,5 millions d’euros.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La partie requérante supportera quatre cinquièmes de ses propres dépens et quatre cinquièmes des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un cinquième de ses propres dépens et un cinquième des dépens exposés par la partie requérante.

Legal

Mengozzi

Wiszniewska-Białecka

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 mars 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon                                                                   H. Legal


Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

Sur les conclusions en annulation et en réduction de l’amende globale

A –  Sur les premier et deuxième moyens, tirés de violations des droits de la défense

1.  Arguments des parties

a)  Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense du fait de l’absence de communication préalable de l’appréciation de la Commission relative à l’existence d’une pluralité d’ententes distinctes

b)  Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense du fait d’une explication insuffisante, dans la communication des griefs, des éléments que la Commission envisageait de prendre en compte dans le calcul des amendes

2.  Appréciation du Tribunal

B –  Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement lors de la fixation du montant de départ de certaines des amendes infligées à la requérante

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Remarques liminaires

b)  Sur la modulation des montants de départ généraux en fonction de la taille du marché affecté

c)  Sur les montants de départ spécifiques imposés à la requérante

Vitamine E

Vitamines B 5 et C

Bêta-carotène et caroténoïdes

C –  Sur le quatrième moyen, relatif à l’augmentation, aux fins de dissuasion, des montants de départ des amendes infligées à la requérante

1.  Arguments des parties

a)  Première branche : l’augmentation de 100 % au titre de la dissuasion n’est pas suffisamment motivée

b)  Deuxième branche : aucune augmentation au titre de la dissuasion n’était requise dans le cas de la requérante

c)  Troisième branche : l’augmentation de 100 % au titre de la dissuasion est contraire aux lignes directrices et aux attentes légitimes découlant de celles-ci

d)  Quatrième branche : l’augmentation de 100 % au titre de la dissuasion est excessive et disproportionnée

e)  Cinquième branche : l’effet dissuasif aurait dû être apprécié par rapport à l’amende totale et non par rapport au montant de départ de l’amende

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Sur le respect de l’obligation de motivation (première branche)

b)  Sur le bien-fondé de l’augmentation de 100 % aux fins de dissuasion (deuxième à cinquième branches)

Sur la deuxième branche et la cinquième branche

–  Sur la prise en compte des exigences de dissuasion dans le cadre de la fixation du montant de l’amende

–  Sur la pertinence d’une prise en compte de la taille et des ressources globales des entreprises aux fins d’assurer l’effet dissuasif des amendes

–  Sur le stade du calcul de l’amende auquel il y a lieu de tenir compte de la taille et des ressources globales des entreprises aux fins de dissuasion

–  Sur la nécessité d’appliquer à la requérante, aux fins de dissuasion, un facteur de majoration de l’amende au titre de sa taille et de ses ressources globales

Sur la troisième branche et la quatrième branche

Conclusion sur l’application du facteur de majoration des amendes visé au considérant 699 de la Décision

Sur les circonstances témoignant prétendument de la faible probabilité de récidive de la requérante

–  Sur les mesures adoptées par la requérante en vue de prévenir une récidive

–  Sur la coopération fournie à la Commission au cours de l’enquête

–  Sur les condamnations subies dans des pays tiers

–  Conclusion sur les circonstances invoquées par la requérante

c)  Conclusion sur le quatrième moyen

D –  Sur le cinquième moyen, tiré d’erreurs d’appréciation dans l’attribution à la requérante d’un rôle de meneur et d’incitateur en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A, E, B 5, C et D 3, au bêta-carotène et aux caroténoïdes

1.  Questions préalables d’ordre général

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Remarques liminaires

Sur la discordance entre la communication des griefs et la Décision en ce qui concerne le rôle de meneur des ententes

Sur le fait que la requérante n’a pas contesté son rôle de meneur lors de la procédure administrative

Sur les considérations générales faites aux considérants 713 à 717 de la Décision

Sur les circonstances factuelles invoquées par la défenderesse en tant qu’éléments de preuve du rôle de meneur et/ou d’incitateur de la requérante dans chacune des infractions

2.  Examen du rôle joué par la requérante dans les différentes infractions

a)  Infractions relatives aux vitamines A et E

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Rôle d’incitateur

–  Rôle de meneur

–  Conclusion sur l’application de la circonstance aggravante en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E

b)  Infraction relative à la vitamine B 5

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

c)  Infraction relative à la vitamine C

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

d)  Infraction relative à la vitamine D 3

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Rôle d’incitateur

–  Rôle de meneur

e)  Infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Conclusion sur l’augmentation, au titre des circonstances aggravantes, du montant de base des amendes infligées à la requérante

E –  Sur le sixième moyen, tiré de la violation de la section B de la communication sur la coopération et des attentes légitimes créées par cette communication auprès de la requérante

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Sur la question de savoir si la requérante remplissait la condition visée à la section B, sous b), de la communication sur la coopération en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines A et E

Sur la notion d’« éléments déterminants » au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération

Sur la question de savoir si des éléments déterminants au sens de la section B, sous b), de la communication sur la coopération peuvent être fournis oralement

Sur la question de savoir si la requérante, lors de la réunion avec les services de la Commission le 17 mai 1999, a fourni des éléments déterminants pour prouver l’existence des ententes relatives aux vitamines A et E

Sur la question de savoir si la Commission a indûment retardé l’acquisition des éléments d’information offerts par la requérante

Conclusion

b)  Sur la question de savoir si la requérante remplissait la condition visée à la section B, sous e), de la communication sur la coopération en ce qui concerne les huit infractions pour lesquelles elle s’est vu infliger une amende

c)  Sur la question de savoir si la requérante remplissait les conditions visées à la section B, sous a) à d), de la communication sur la coopération en ce qui concerne les infractions relatives aux vitamines C, D 3, au bêta‑carotène et aux caroténoïdes

Sur les conditions visées sous a), c) et d)

Sur la condition visée sous b)

–  Infraction relative à la vitamine D 3

–  Infractions relatives à la vitamine C, au bêta-carotène et aux caroténoïdes

d)  Application à l’égard de la requérante de la section B de la communication sur la coopération en ce qui concerne les infractions relatives au bêta-carotène et aux caroténoïdes

e)  Conclusion sur le sixième moyen

F –  Sur le septième moyen, tiré, indépendamment de la communication sur la coopération, du caractère insuffisant de la réduction du montant des amendes accordée à la requérante au titre de sa coopération

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

G –  Sur le huitième moyen, tiré d’une violation du secret professionnel et du principe de bonne administration

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

H –  Conclusion sur le montant des amendes infligées à la requérante

Sur le caractère confidentiel de certaines données figurant dans la Décision

Sur les dépens




* Langue de procédure : l’anglais.