Language of document : ECLI:EU:T:2021:119

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

10 mars 2021 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Rémunération – Recevabilité – Délai d’introduction de la demande d’ouverture de la procédure de conciliation – Acte faisant grief – Indemnité de mobilité géographique – Transfert à un bureau extérieur – Refus d’octroi de l’indemnité ‐ Recours en annulation et en indemnité »

Dans l’affaire T‑134/19,

AM, représenté par Mes L. Levi et A. Champetier, avocates,

partie requérante,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mme G. Faedo et M. M. Loizou, en qualité d’agents, assistés de Me A. Dal Ferro, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, d’une part, à l’annulation des décisions de la BEI des 30 juin et 11 décembre 2017 ainsi que, pour autant que de besoin, de la décision du Président de la BEI du 20 novembre 2018 confirmant ces décisions, par lesquelles elle a refusé au requérant le bénéfice de l’indemnité de mobilité géographique et, d’autre part, à la réparation des préjudices matériel et moral que le requérant aurait prétendument subis à la suite desdites décisions,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mmes N. Półtorak et M. Stancu (rapporteure), juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 14 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, AM, a été embauché par la Banque européenne d’investissement (BEI) le 1er juin 2014 dans le cadre du programme « Joint Assistance to Support Projects in European Regions » (Jaspers), sur la base d’un contrat à durée déterminée d’un an, lequel a été renouvelé, par la suite, à deux reprises, respectivement du 1er juin 2015 au 31 mai 2017, puis du 1er juin 2017 au 31 mai 2020.

2        Depuis le début de son premier contrat avec la BEI et jusqu’au 31 mars 2017, il a été affecté au bureau extérieur de la BEI à Vienne (Autriche).

3        Par courriel du 23 mars 2017 (ci-après la « décision du 23 mars 2017 »), la BEI a confirmé le transfert du requérant du bureau extérieur de Vienne vers celui de Bruxelles (Belgique) à partir du 1er avril 2017 et jusqu’à la fin de son contrat en cours, soit le 31 mai 2020.

4        Il ressort du dossier déposé devant le Tribunal qu’il existe deux versions de cette décision.

5        La première version, transmise au requérant le 23 mars 2017, mentionne que les affectations aux bureaux extérieurs sont régies par l’annexe VII des dispositions administratives applicables au personnel de la BEI (ci-après les « dispositions administratives »).

6        La seconde version de cette même décision, que le requérant a reçue le 24 mars 2017 et qu’il a signée en date du 28 mars 2017, indique, en revanche, que ces affectations sont régies par l’annexe I de ces dispositions.

7        Le 5 juillet 2017, la BEI a communiqué au requérant une nouvelle décision, datée du 30 juin 2017 (ci-après la « décision du 30 juin 2017 »), contenant les conditions contractuelles et administratives applicables à son transfert à Bruxelles et l’a invité à donner son accord sur celle-ci. Plus particulièrement, cette décision précisait que le transfert du requérant ne rentrait ni dans le champ d’application de l’article 1.4 des dispositions administratives, ni dans celui des règles spéciales applicables au sens de l’annexe VII de ces dispositions et que, par conséquent, il n’était pas en droit de recevoir l’indemnité de mobilité géographique. Le requérant n’a jamais contresigné ladite décision pour accord.

8        Le 5 octobre 2017, le requérant a demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation, afin de contester le refus de lui octroyer cette indemnité, prévue à l’article 1.4 desdites dispositions.

9        Par courriel du 11 décembre 2017 (ci-après la « décision du 11 décembre 2017 »), la BEI, d’une part, a réitéré son refus de verser au requérant ladite indemnité et, d’autre part, a demandé à ce dernier si, bien qu’il fût probable que la procédure de conciliation n’aboutît pas à un résultat satisfaisant, il souhaitait maintenir sa demande d’ouverture de cette procédure.

10      Par courriel du 20 décembre 2017, le requérant a confirmé cette demande et, par courriel du 8 janvier 2018, la BEI a accepté celle-ci et ouvert la procédure de conciliation.

11      Dans son rapport du 12 juin 2018, la commission de conciliation de la BEI (ci-après la « commission de conciliation ») a conclu que la situation du requérant rentrait dans le champ d’application de l’article 1.4 ainsi que dans celui de l’annexe VII des dispositions administratives et que, par conséquent, il aurait dû recevoir l’indemnité de mobilité géographique à compter du 1er avril 2017.

12      Le 6 novembre 2018, le requérant a déposé une plainte pour mauvaise administration auprès du Médiateur européen, au motif qu’il n’avait pas encore reçu de décision de la part du président de la BEI à la suite du rapport de la commission de conciliation.

13      Le 20 novembre 2018, le président de la BEI a communiqué au requérant sa décision (ci-après la « décision du 20 novembre 2018 ») de ne pas suivre les conclusions de ladite commission, confirmant ainsi le refus de la BEI de lui octroyer l’indemnité de mobilité géographique.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 février 2019, le requérant a introduit le présent recours.

15      Par acte séparé du 7 mars 2019, le requérant a demandé le bénéfice de l’anonymat, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, qui lui a été accordé le 17 avril 2019.

16      La BEI a déposé le mémoire en défense le 17 mai 2019.

17      Le requérant a déposé la réplique le 10 juillet 2019.

18      La phase écrite de la procédure a été clôturée à la suite du dépôt de la duplique, le 22 août 2019.

19      Le 12 septembre 2019, le requérant a demandé la tenue d’une audience en vertu de l’article 106 du règlement de procédure.

20      La composition du Tribunal ayant été modifiée, par décision du 16 octobre 2019, le président du Tribunal a réattribué l’affaire à une nouvelle juge rapporteure, affectée à la première chambre, en application de l’article 27, paragraphe 3, du règlement de procédure. 

21      Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal a fait droit à la demande du requérant et a ouvert la phase orale de la procédure.

22      Le 3 mars 2020, le Tribunal a, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, de son règlement de procédure, posé par écrit des questions à la BEI, auxquelles elle a répondu dans le délai imparti.

23      Le 14 avril 2020, en raison de la persistance de la crise sanitaire liée à la COVID-19, le Tribunal a demandé aux parties si, en dépit de cette crise, elles souhaitaient être entendues en leurs observations lors d’une audience de plaidoiries. Le 20 avril 2020, le requérant a répondu qu’il maintenait sa demande d’être entendu. Le 8 mai 2020, la BEI a répondu qu’elle ne souhaitait pas être entendue.

24      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions des 30 juin et 11 décembre 2017 (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées ») ;

–        pour autant que de besoin, annuler la décision du 20 novembre 2018 confirmant ces décisions ;

–        condamner la BEI au paiement de l’indemnité de mobilité géographique à compter du 1er avril 2017 ;

–        condamner la BEI au paiement des intérêts de retard sur ladite indemnité au taux d’intérêt de la Banque centrale européenne (BCE) augmenté de deux points de pourcentage depuis le 1er avril 2017 jusqu’au paiement complet ;

–        condamner la BEI à réparer le préjudice moral subi ;

–        condamner la BEI aux dépens.

25      La BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur lobjet du recours

26      Le requérant demande l’annulation des deux décisions attaquées et, pour autant que de besoin, de la décision du 20 novembre 2018 en ce qu’elle rejette les conclusions de la commission de conciliation et confirme les deux décisions attaquées.

27      En premier lieu, le requérant soutient que les deux décisions attaquées, adoptées, respectivement, les 30 juin et 11 décembre 2017, lui font grief, en tant qu’elles lui refusent l’indemnité de mobilité géographique. Il précise que la décision du 11 décembre 2017 réitère le refus exprimé par la BEI dans sa décision du 30 juin 2017.

28      À cet égard, même à supposer que la décision du 11 décembre 2017 soit purement confirmative de la décision du 30 juin 2017, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le requérant, ayant introduit son recours contentieux dans le délai requis, est en droit d’attaquer soit la décision confirmée, soit la décision confirmative, soit l’une et l’autre de ces décisions (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2007, Weißenfels/Parlement, C‑135/06 P, EU:C:2007:812, point 54 et jurisprudence citée).

29      En second lieu, pour ce qui est de la décision du 20 novembre 2018, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, concernant notamment le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et la réglementation applicable au personnel de la BCE, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une demande précontentieuse contestant un acte faisant grief ont pour effet de saisir le Tribunal de cet acte lorsqu’elles sont, en tant que telles, dépourvues de contenu autonome (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Teeäär/BCE, T‑547/18, EU:T:2020:119, point 24 et jurisprudence citée, et du 16 janvier 2018, SE/Conseil, T‑231/17, non publié, EU:T:2018:3, point 21).

30      Le Tribunal relève que cette jurisprudence trouve à s’appliquer, par analogie, au cas d’espèce.

31      En effet, il importe de considérer, s’agissant de la procédure précontentieuse propre aux litiges opposant la BEI à ses agents, que l’article 41 du règlement du personnel de la BEI, dans sa version applicable aux agents, tels que le requérant, entrés en service à la BEI après le 1er juillet 2013 (ci-après le « règlement du personnel II »), prévoit que l’engagement de la procédure de conciliation préalablement à l’introduction d’un recours au titre de cette disposition a un caractère obligatoire (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 71).

32      Cet article dispose ce qui suit :

« [T]out recours introduit par un membre du personnel à l’encontre d’un acte de la [BEI] qui lui ferait grief doit être formé dans un délai de trois mois.

Les différends [...] font l’objet d’une procédure amiable obligatoire avant tout recours en justice devant la commission de conciliation de la [BEI] et ce, indépendamment de l’introduction d’une action devant la Cour de justice de l’Union européenne.

La demande de conciliation doit être introduite dans un délai de trois mois qui court du jour de la survenance des faits ou de la notification des actes donnant origine au différend. »

33      Ainsi, la procédure de conciliation a pour objet de permettre un règlement amiable des différends surgis entre la BEI et ses agents, et la décision du président de la BEI mettant fin à cette procédure ne constitue qu’une condition préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, à l’instar de la jurisprudence relative au contentieux relevant du statut des fonctionnaires de l’Union européenne ou de la réglementation applicable au personnel de la BCE, rappelée au point 29 ci-dessus, il y a lieu de considérer que des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision du président de la BEI mettant fin à une procédure de conciliation ont pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief constituant l’objet de cette procédure, sauf dans l’hypothèse où ladite décision a une portée différente de l’acte faisant l’objet de la procédure de conciliation. En effet, lorsque cette décision contient un réexamen de la situation du requérant, en fonction d’éléments de droit et de fait nouveaux, ou lorsqu’elle modifie ou complète l’acte initial, elle constitue un acte soumis au contrôle du juge, qui la prend en considération dans l’appréciation de la légalité de l’acte contesté, voire la considère comme un acte faisant grief se substituant à ce dernier (voir, par analogie, arrêt du 21 mai 2014, Mocová/Commission, T‑347/12 P, EU:T:2014:268, point 34 et jurisprudence citée).

34      En l’espèce, le chef de conclusions visant à l’annulation de la décision du 20 novembre 2018 étant dépourvu de contenu autonome, ladite décision se bornant à rejeter les conclusions du rapport de la commission de conciliation du 12 juin 2018 sur la base, en substance, des mêmes motifs que ceux retenus dans les décisions attaquées, il n’y a donc pas lieu de statuer spécifiquement sur ce chef de conclusions. Dans l’examen de la légalité des décisions attaquées, il conviendra, toutefois, de prendre en considération la motivation figurant dans la décision du 20 novembre 2018, cette motivation étant censée coïncider avec celle des décisions attaquées (voir, par analogie, arrêts du 26 mars 2020, Teeäär/BCE, T‑547/18, EU:T:2020:119, point 25 et jurisprudence citée, et du 16 janvier 2018, SE/Conseil, T‑231/17, non publié, EU:T:2018:3, point 22).

 Sur la recevabilité du recours

35      Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure, la BEI fait valoir que le présent recours serait irrecevable au motif que la demande d’ouverture de la procédure de conciliation aurait été introduite par le requérant en dehors du délai de trois mois prévu à l’article 41, paragraphe 3, du règlement du personnel II.

36      À titre principal, la BEI soutient, à cet égard, que le jour à partir duquel courrait le délai pour contester le non-paiement de l’indemnité de mobilité géographique était le 12 avril 2017, date à laquelle le requérant aurait reçu son premier bulletin de rémunération à la suite de son transfert au bureau extérieur de Bruxelles.

37      En effet, dans la mesure où le requérant aurait déjà appris par ce bulletin le non-paiement de cette indemnité, la décision du 30 juin 2017 ne serait qu’une simple confirmation de la position administrative adoptée par la BEI à son égard et, par conséquent, ne constituerait pas un acte faisant grief.

38      À titre subsidiaire, la BEI considère que, même dans l’hypothèse la plus favorable au requérant, où la date de cette décision serait prise en compte comme dies a quo, il s’avérerait que, en tout état de cause, le délai de trois mois prévu à l’article 41, paragraphe 3, du règlement du personnel II pour saisir la commission de conciliation n’a pas été respecté par le requérant.

39      Ce dernier conteste le bien-fondé de la fin de non-recevoir de la BEI.

40      Il convient de rappeler, tout d’abord, que la communication du bulletin mensuel de rémunération ou de pension a pour effet de faire courir les délais de réclamation et de recours contre une décision administrative lorsque ledit bulletin fait apparaître, clairement et pour la première fois, l’existence et la portée de cette décision (voir arrêt du 12 février 2020,  ZF/Commission, T‑605/18, EU:T:2020:51, point 61 et jurisprudence citée).

41      Il y a lieu d’observer, à cet égard, que cette jurisprudence a été appliquée dans des situations où les bulletins de rémunération contre lesquels les recours étaient dirigés faisaient apparaître l’existence et la portée de décisions ayant un objet purement pécuniaire, susceptibles, par leur nature, d’être reflétées par de telles fiches de traitement. En effet, les bulletins de rémunération ont été considérés comme constituant des actes faisant grief lorsqu’ils reflétaient des décisions concernant, notamment, le versement du traitement au fonctionnaire, les intérêts de rappel de traitement, l’application d’un coefficient correcteur à la rémunération du fonctionnaire, le remboursement des frais de voyage, l’indemnité de dépaysement, le montant des allocations familiales ou encore la fixation du barème des contributions parentales pour les services de garderie d’enfants (voir arrêt du 9 janvier 2007, Van Neyghem/Comité des régions, T‑288/04, EU:T:2007:1, point 40 et jurisprudence citée).

42      Or, en l’espèce, même s’il est vrai que le bulletin de rémunération du requérant relatif au mois d’avril 2017 traduisait, en termes pécuniaires, les effets de la décision de transfert de celui-ci au bureau extérieur de Bruxelles, il n’en demeure pas moins que ni cette décision ni, moins encore ledit bulletin de rémunération ne fixaient clairement la position de la BEI au sujet de l’octroi de l’indemnité de mobilité géographique.

43      En effet, il y a lieu de considérer, à cet égard, que, premièrement, l’omission d’une indemnité dans le bulletin de rémunération de la personne intéressée n’implique pas nécessairement que l’administration lui en refuse le droit (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 1988, Canters/Commission, 159/86, EU:C:1988:432, point 7). Deuxièmement, ainsi qu’il a été rappelé aux points 5 et 6 ci-dessus, le requérant a reçu deux versions différentes de la décision du 23 mars 2017 dont la comparaison fait apparaître, comme il le relève à juste titre, une contradiction concernant les dispositions applicables à son transfert.

44      Dans ces circonstances et dès lors que la décision du 30 juin 2017 est la première à énoncer clairement le refus de la BEI d’octroyer au requérant l’indemnité de mobilité géographique, il y a lieu de considérer que cette décision constitue le premier acte faisant grief au requérant, qui a eu pour effet de faire courir les délais de réclamation et de recours.

45      Il importe de préciser, à ce dernier égard, que la partie qui se prévaut de la tardiveté d’un recours au regard des délais fixés par la réglementation applicable a la charge de la preuve de la date à laquelle la décision attaquée a été notifiée et, en tous cas, de la date à laquelle l’intéressé en a eu connaissance s’il s’agit d’une mesure de caractère individuel (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2018, WL/ERCEA, T‑493/17, non publié, EU:T:2018:852, point 59 et jurisprudence citée).

46      Or, en l’espèce, la BEI, sur laquelle pèse cette charge de la preuve, ne conteste ni l’affirmation du requérant ni la preuve fournie par ce dernier selon lesquelles la décision du 30 juin 2017 a été portée à sa connaissance par courriel du 5 juillet 2017.

47      Il s’ensuit que le jour à partir duquel il y a lieu de calculer, en l’espèce, le délai d’introduction de la demande de conciliation est le 5 juillet 2017, date à laquelle la décision du 30 juin 2017 a été notifiée au requérant. Par conséquent, en introduisant sa demande d’ouverture de la procédure de conciliation le 5 octobre 2017, le requérant a respecté le délai prévu à l’article 41, troisième alinéa, du règlement du personnel II.

48      Il résulte des considérations qui précèdent que la fin de non-recevoir soulevée par la BEI doit être rejetée.

 Sur les conclusions en annulation

49      Au soutien de ses conclusions en annulation, le requérant invoque quatre moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 1.4 des dispositions administratives et de l’article 11 de l’annexe VII de ces mêmes dispositions, le deuxième, de la violation des principes de confiance légitime, de prévisibilité juridique et de sollicitude, le troisième, de la violation du principe de non-discrimination, de l’article 1.3 du code de conduite du personnel de la BEI ainsi que de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, le quatrième, de la violation du principe de bonne administration et du principe de délai raisonnable.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 1.4 des dispositions administratives et de l’article 11 de l’annexe VII de ces dispositions

50      Premièrement, le requérant fait valoir, en substance, que son transfert au bureau extérieur de Bruxelles n’a pas été décidé à titre permanent, dès lors que la décision du 23 mars 2017 préciserait clairement que son affectation est temporaire.

51      Deuxièmement, le requérant conteste l’interprétation donnée par la BEI de l’article 1.4 des dispositions administratives ainsi que de l’article 11 de l’annexe VII de ces dispositions, en ce que la BEI soumettrait l’octroi de l’indemnité de mobilité géographique à la condition que l’agent réintègre le siège de la BEI à Luxembourg (Luxembourg) après son affectation à un bureau extérieur.

52      Le requérant précise, à cet égard, que l’article 1.4 desdites dispositions prévoirait comme seules conditions pour l’octroi de cette indemnité, d’une part, le transfert de l’agent vers un autre lieu d’affectation au sein de l’Union européenne et, d’autre part, une affectation précédente d’une durée d’au moins douze mois. Ainsi, il serait éligible au bénéfice de ladite indemnité, dès lors que, d’une part, il a été transféré à un autre lieu d’affectation à l’intérieur de l’Union, à savoir le bureau extérieur de Bruxelles, et, d’autre part, il avait accompli au moins douze mois de service au lieu d’affectation précédent, car il avait travaillé au sein du bureau extérieur de Vienne pendant trois ans.

53      La BEI conteste ces arguments en rétorquant, en substance, que l’indemnité de mobilité géographique n’est octroyée qu’aux agents affectés aux bureaux extérieurs pendant une durée précise et qui, à la suite de cette affectation temporaire à un tel bureau, réintégreraient le siège de la BEI, même dans l’hypothèse où il faudrait entendre par « siège de la BEI » non seulement le siège de Luxembourg, mais également tout autre lieu de recrutement ou bureau extérieur. Plus particulièrement, elle soutient qu’il ressortirait de l’article 2, paragraphe 2, de l’annexe VII des dispositions administratives que, si la personne affectée de façon permanente à un bureau extérieur termine son service à la BEI au bureau extérieur en question, elle n’a pas droit à ladite indemnité.

54      Or, tel serait le cas du requérant, lequel aurait été affecté de manière permanente au bureau extérieur de Bruxelles jusqu’à la fin de son contrat et sans perspective de réintégrer le siège de la BEI à l’issue de cette affectation.

55      En vue de répondre au présent moyen, il convient de se prononcer sur la question de savoir quelles sont les conditions d’octroi de l’indemnité de mobilité géographique dans le cas d’un transfert à un bureau extérieur de la BEI au sein de l’Union et, plus particulièrement, si, comme le soutient la BEI, l’octroi de cette indemnité est également subordonné au retour de l’intéressé au siège de celle-ci à l’issue de l’affectation à ce bureau extérieur.

56      Tout d’abord, il importe de relever que les conditions d’octroi de l’indemnité de mobilité géographique dans le cas d’un transfert à un bureau extérieur de la BEI au sein de l’Union sont régies par l’article 1.4 des dispositions administratives.

57      Cet article se lit comme suit :

« Une indemnité de mobilité géographique est accordée au membre du personnel transféré à un autre lieu d’affectation à l’intérieur de l’Union européenne. La durée de l’affectation est fixée pour une période comprise entre un et trois ans et peut être renouvelée par période d’un an, avec une durée maximale totale de cinq ans.

L’indemnité est versée à compter de la date du transfert effectif et pendant la période d’affectation. Pour y avoir droit, le membre du personnel doit avoir [accompli] au moins douze mois de service au lieu d’affectation précédent.

En cas de transfert à Luxembourg, l’indemnité est versée pour une période d’un an maximum.

[…] 

En cas d’affectation dans un bureau de la [BEI] à l’extérieur de l’Union européenne, l’indemnité de mobilité géographique est accordée aux conditions énoncées dans l’annexe VII des [dispositions administratives]. »

58      Il ressort d’une interprétation littérale dudit article que, comme le relève à juste titre le requérant, deux conditions cumulatives doivent être remplies afin de pouvoir bénéficier de l’indemnité de mobilité géographique dans le cas d’un transfert dans un bureau extérieur de la BEI au sein de l’Union, à savoir, d’une part, le transfert à un autre lieu d’affectation au sein de l’Union pour une période allant d’un à cinq ans et, d’autre part, l’accomplissement d’au moins douze mois de service au lieu d’affectation précédent. Il découle donc des termes dudit article que, si ces deux conditions sont remplies, l’intéressé a droit à cette indemnité pendant toute la période d’affectation au bureau extérieur où il a été transféré.

59      Dès lors, il convient de constater, d’emblée, que cet article ne contient aucune référence explicite à la condition d’affectation temporaire à un bureau extérieur au sein de l’Union dont se prévaut la BEI, selon laquelle l’agent devrait réintégrer le siège de celle-ci à l’issue de la période d’affectation pour pouvoir bénéficier de l’indemnité en cause.

60      Toutefois, en application d’une jurisprudence constante, aux fins d’interpréter une disposition de droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement de ses termes, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir arrêt du 24 avril 2018, Caisse régionale de crédit agricole mutuel Alpes Provence e.a./BCE, T‑133/16 à T‑136/16, EU:T:2018:219, point 54 et jurisprudence citée).

61      S’agissant notamment du contexte, il importe d’indiquer que, si l’article 1.4 des dispositions administratives régit les conditions d’octroi de l’indemnité de mobilité géographique, c’est, en revanche, l’annexe VII de ces dispositions qui contient les dispositions particulières applicables aux membres du personnel affectés aux bureaux extérieurs de la BEI. À cet égard, il y a lieu de préciser que, bien que le dernier paragraphe dudit article 1.4 ne fasse un renvoi explicite à cette annexe que pour le transfert à un bureau extérieur en dehors du territoire de l’Union, l’article 1er de ladite annexe prévoit explicitement que celle-ci est aussi applicable au personnel transféré à un bureau extérieur de la BEI au sein de l’Union, les parties s’accordant d’ailleurs sur cette interprétation. C’est donc dans ce contexte qu’il y a lieu d’interpréter l’article 1.4 desdites dispositions et, par conséquent, les conditions d’octroi de l’indemnité en cause en cas de transfert à un bureau extérieur de la BEI au sein de l’Union.

62      En particulier, l’article 2 de l’annexe VII des dispositions administratives, intitulé « Durée de l’affectation », prévoit :

« L’affectation à un bureau extérieur est, en principe, limitée dans le temps à trois années. La [BEI] peut, à sa discrétion et dans l’intérêt du service, la prolonger jusqu’à une durée maximale totale de six ans.

Au terme de la durée de l’affectation prévue au paragraphe précédent, le membre du personnel concerné doit réintégrer le siège de la [BEI]. Il retrouve un poste de même niveau fonctionnel (si son contrat de travail est régi par le [r]èglement du personnel I) ou de même grade (si son contrat de travail est régi par le [r]èglement du personnel II) que celui qu’il occupait à la fin de son affectation au bureau extérieur. »

63      L’article 11 de ladite annexe dispose que le membre du personnel affecté à un bureau extérieur a droit à l’indemnité de mobilité géographique prévue à l’article 1.4 des dispositions administratives.

64      Il ressort donc d’une lecture combinée des articles 2 et 11 de l’annexe VII des dispositions administratives qu’une affectation à un bureau extérieur ne saurait avoir une durée supérieure à celle prévue par la réglementation applicable et, pendant la durée de cette affectation, un agent remplissant les conditions prévues par les dispositions administratives pertinentes a droit à l’indemnité de mobilité géographique. Par ailleurs, il est prévu que, à l’issue de cette affectation, l’agent concerné doit réintégrer le siège de la BEI.

65      Ainsi, force est de constater que la réintégration au siège de la BEI, prévue à l’article 2 de l’annexe VII des dispositions administratives, représente non pas une condition d’octroi de l’indemnité de mobilité géographique, mais uniquement le corollaire logique de la fin de la période d’affectation temporaire à un bureau extérieur pour les agents dont le contrat n’est pas arrivé à échéance et qui doivent réintégrer le siège de la BEI à l’issue de cette période. Ledit article prévoit d’ailleurs une garantie selon laquelle, au terme de cette période, les agents concernés retrouvent un poste de même niveau fonctionnel ou de même grade que celui qu’ils occupaient à la fin de leur affectation à un tel bureau extérieur.

66      Certes, il convient de constater que, bien que l’annexe VII des dispositions administratives ait vocation à s’appliquer, ainsi que le précise son article 1er, « aux membres du personnel de la [BEI] affectés à un bureau extérieur dans ou hors de l’Union », aucune disposition de cette annexe, ni même aucune disposition en général, ne régit le cas d’un agent, tel que le requérant, dont le contrat à durée déterminée se termine à l’issue de son affectation dans un bureau extérieur.

67      Cependant, même en l’absence d’une disposition précise à ce sujet, l’argument de la BEI selon lequel, dans de telles circonstances, un tel transfert doit être considéré comme étant permanent, de sorte que l’article 1.4 des dispositions administratives ne trouverait pas à s’appliquer, ne saurait prospérer.

68      En effet, il importe de relever que la prémisse sur laquelle cet argument est fondé, à savoir le caractère permanent du transfert du requérant, est erronée.

69      Il y a lieu d’observer, à cet égard, qu’il ressort clairement de la décision du 23 mars 2017, quelle qu’en soit la version transmise au requérant, que, premièrement, le transfert de ce dernier au bureau extérieur de Bruxelles était effectif jusqu’à la fin de son contrat, soit le 31 mai 2020 ; deuxièmement, dans l’hypothèse où ce contrat serait prolongé, les termes et les conditions de cette affectation devraient être revus ; troisièmement, les affectations aux bureaux extérieurs de la BEI ont une durée maximale de six ans et ne peuvent pas être prolongées au-delà de la durée du contrat en cours.

70      Partant, il convient de constater que la durée effective de l’affectation du requérant au bureau extérieur de Bruxelles correspondait, comme le prévoyait la décision du 23 mars 2017, à une période précise allant du 1er avril 2017 au 31 mai 2020.

71      Dans ces circonstances, il y a lieu de relever que non seulement un transfert vers un bureau extérieur sur le fondement des dispositions administratives pertinentes ne saurait être considéré, par sa nature, comme étant « permanent », puisqu’il est, dès le début, limité à la durée maximale prévue par lesdites dispositions, mais, même dans l’hypothèse où un membre du personnel de la BEI est affecté dans un tel bureau pour une période dont le terme coïncide avec la fin de son contrat à durée déterminée, comme en l’espèce, ce membre du personnel est éligible à cette indemnité, s’il remplit les deux conditions cumulatives prévues à l’article 1.4 des dispositions administratives et énoncées au point 58 ci-dessus. 

72      Il s’ensuit de tout ce qui précède que, en refusant au requérant l’octroi de l’indemnité de mobilité géographique, la BEI a méconnu l’article 1.4 des dispositions administratives.

73      Il y a donc lieu d’accueillir le premier moyen.

74      Par conséquent, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens avancés par le requérant à l’appui des conclusions en annulation, il y a lieu d’accueillir ces conclusions et d’annuler les décisions attaquées en tant qu’elles refusent au requérant le bénéfice de l’indemnité de mobilité géographique.

 Sur les conclusions indemnitaires

75      Le requérant demande, en substance, d’une part, la réparation d’un prétendu préjudice matériel dérivant du non-versement de l’indemnité de mobilité géographique à partir du 1er avril 2017 et, d’autre part, la réparation d’un prétendu préjudice moral découlant de l’inertie de la BEI pour conclure la procédure de conciliation.

 Sur la demande de réparation d’un prétendu préjudice matériel et sur le paiement d’intérêts moratoires

76      Par son premier chef de conclusions indemnitaires, le requérant demande, en substance, une indemnisation de 36 045,60 euros correspondant au montant de l’indemnité de mobilité géographique due à partir du 1er avril 2017 et jusqu’au moment de l’introduction du présent recours. Cette somme devrait être augmentée de 1 567,20 euros pour chaque mois supplémentaire.

77      Par son deuxième chef de conclusions indemnitaires, le requérant demande le paiement d’intérêts de retard fixés au taux d’intérêts de la BCE majoré de deux points de pourcentage sur les sommes visées au point 76 ci-dessus.

78      Il suffit de rappeler, à cet égard, que, en vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE, l’institution, l’organe ou l’organisme dont émane l’acte annulé est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt. Or, par ces demandes, le requérant entend obtenir la condamnation de la BEI à lui verser un montant qui lui serait dû sur la base de la décision que celle-ci devra prendre en exécution du présent arrêt d’annulation.

79      Lesdites demandes étant, en conséquence, prématurées, elles ne sauraient être accueillies (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, ZS/BEI, T‑659/18, non publié, EU:T:2020:281, point 90 et jurisprudence citée).

 Sur la demande de réparation d’un prétendu préjudice moral

80      Par son troisième chef de conclusions indemnitaires, le requérant fait valoir que le président de la BEI n’a pas adopté dans un délai raisonnable sa décision à la suite du dépôt du rapport de la commission de conciliation, ce qui serait de nature à engager la responsabilité de la BEI.

81      À cet égard, le requérant allègue que, en sus de la situation financière déjà difficile dans laquelle il se trouvait du fait qu’il ne percevait pas l’indemnité de mobilité géographique, l’incertitude due à l’absence de décision du président de la BEI à la suite de ce rapport, ce qui l’aurait d’ailleurs obligé à saisir le Médiateur européen, lui aurait causé un préjudice moral qu’il estime à 2 000 euros.

82      La BEI conteste ces arguments.

83      À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité constitue, en elle-même, la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé. Tel ne saurait toutefois être le cas lorsque le requérant démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et n’étant pas susceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir arrêt du 30 janvier 2020, BZ/Commission, T‑336/19, non publié, EU:T:2020:210, point 54 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, Bodson e.a./BEI, T‑504/16 et T‑505/16, EU:T:2017:603, point 77 et jurisprudence citée).

84      Ensuite, il ressort également d’une jurisprudence établie que, dans le cadre d’une demande en dommages et intérêts formulée par un fonctionnaire ou par un agent, l’engagement de la responsabilité de l’institution présuppose la réunion d’un ensemble de trois conditions concernant l’illégalité du comportement qui lui est reproché, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué. Les trois conditions d’engagement de la responsabilité sont cumulatives, ce qui implique que, dès lors que l’une de celles-ci n’est pas satisfaite, la responsabilité de l’institution ne peut être engagée. Par ailleurs, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (voir ordonnance du 11 juin 2020, Vanhoudt e.a./BEI, T‑294/19, non publiée, EU:T:2020:264, point 70 et jurisprudence citée).

85      En l’espèce, le préjudice moral dont se prévaut le requérant est dû, en substance, au sentiment d’incertitude causé par le retard excessif avec lequel le président de la BEI a adopté la décision clôturant la procédure de conciliation.

86      Or, si un tel préjudice moral peut être considéré comme détachable de l’illégalité fondant l’annulation des décisions attaquées, à savoir la violation de l’article 1.4 des dispositions administratives, force est cependant de constater que la requête ne comporte pas la moindre preuve quant à l’étendue du préjudice moral prétendument subi par le requérant.

87      Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le troisième chef de conclusions indemnitaires.

88      Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu d’annuler les décisions attaquées en tant qu’elles refusent d’octroyer l’indemnité de mobilité géographique au requérant et de rejeter le recours pour le surplus.

 Sur les dépens

89      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La BEI ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Les décisions de la Banque européenne d’investissement (BEI) des 30 juin et 11 décembre 2017 sont annulées en tant qu’elles refusent l’indemnité de mobilité géographique à AM.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La BEI est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par AM.

Kanninen

Półtorak

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 mars 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.