Language of document : ECLI:EU:T:2006:374

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

5 décembre 2006 (*)

« Concurrence − Ententes − Marché néerlandais des gaz industriels et médicaux − Fixation des prix − Preuve de la participation à l’entente − Preuve de la distanciation − Principes de non-discrimination et de proportionnalité − Calcul des amendes »

Dans l’affaire T‑303/02,

Westfalen Gassen Nederland BV, établie à Deventer (Pays-Bas), représentée par Mes M. Essers et M. Custers, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. A. Bouquet, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation partielle de la décision 2003/207/CE de la Commission, du 24 juillet 2002, relative à une procédure en vertu de l’article 81 du traité CE (Affaire COMP/E-3/36.700 − Gaz industriels et médicaux) (JO 2003, L 84, p. 1), et, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras, président, F. Dehousse et D. Šváby, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 avril 2006,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Faits à l’origine du litige

1        Westfalen Gassen Nederland BV (ci-après la « requérante » ou « Wesfalen ») est une entreprise active sur le marché néerlandais des gaz industriels et médicaux depuis 1989.

2        En décembre 1997 et dans le courant de l’année 1998, la Commission a, en application de l’article 14, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), procédé à des vérifications dans les locaux de la requérante et de différentes sociétés également présentes sur ledit marché, en l’occurrence AGA Gas BV (ci-après « AGA »), Air Liquide BV, Air Products Nederland BV, Boc Gases Benelux (ci-après « BOC »), Hydrogas Holland BV et Messer Nederland BV (ci-après « Messer »).

3        Après avoir adressé, en vertu de l’article 11 du règlement n° 17, des demandes de renseignements aux sociétés susmentionnées, la Commission a, le 9 juillet 2001, envoyé une communication des griefs à huit entreprises, dont la requérante, opérant dans le secteur concerné.

4        Dans sa réponse, la requérante a contesté les faits exposés dans la communication des griefs. Consécutivement à la liquidation d’AGA Gas, la société mère de celle-ci, AGA AB, a répondu au fond à ladite communication, au nom de son ancienne filiale, et a expressément déclaré être disposée à assumer la responsabilité des infractions commises par cette dernière.

5        À la suite de l’audition des entreprises concernées effectuée le 10 janvier 2002, la Commission a adopté la décision 2003/207/CE, du 24 juillet 2002, relative à une procédure en vertu de l’article 81 CE (Affaire COMP/E-3/36.700 − Gaz industriels et médicaux) (JO 2003, L 84, p. 1, ci-après la « Décision »).

6        La Décision a été notifiée à la requérante le 26 juillet 2002 et a été adressée à AGA AB en sa qualité de successeur en droit de AGA Gas.

 Décision attaquée

7        La Commission indique, dans la Décision, qu’elle a réuni des preuves de l’existence d’une collusion entre concurrents opérant dans le secteur des gaz industriels et médicaux aux Pays-Bas au cours, notamment, de la période 1993-1997 (considérant 331).

8        Elle a, ainsi, estimé (considérant 393 de la Décision) que la requérante avait pris part aux accords et/ou pratiques concertées portant sur :

–        la fixation d’augmentations de prix d’octobre 1994 à décembre 1995 ;

–        la détermination de périodes de non-concurrence d’octobre 1994 à janvier 1995 ;

–        la fixation de prix minimaux de mars 1994 à décembre 1995.

9        S’agissant, en premier lieu, des augmentations de prix, la Commission relève, tout d’abord, qu’une première discussion sur les augmentations du prix des gaz en bouteilles pour 1995 a eu lieu lors de la réunion, du 14 octobre 1994, de l’association Vereniging van Fabrikanten van Industriële Gassen (ci-après la « VFIG »), regroupant les entreprises qui fabriquent et vendent des gaz industriels aux Pays-Bas. Les participants à cette réunion étaient AGA, Air Liquide, Air Products, BOC, Hoek Loos, Hydrogas, Messer, Nederlandse Technische Gasmaatschappij (ci-après « NTG ») et la requérante (considérant 136 de la Décision).

10      Afin de prouver l’objet anticoncurrentiel de cette réunion, l’institution se réfère, notamment, au contenu de notes manuscrites saisies chez AGA ou fournies par cette entreprise et datées du 17 octobre 1994.

11      La Commission fait valoir, ensuite, que ces augmentations du prix des gaz en bouteilles pour 1995 ont été fixées dans le détail par AGA, Air Liquide, Air Products, BOC, Hoek Loos, Messer et Westfalen lors de la réunion de la VFIG du 18 novembre 1994 et elle s’appuie, pour fonder cette conclusion, sur deux tableaux manuscrits, l’un remis par AGA (ci-après le « tableau n° 1 »), l’autre saisi chez Air Products (ci-après le « tableau n° 2 ») (considérants 139 à 141 de la Décision).

12      Selon la Commission, le tableau n° 1, daté du 21 novembre 1994, contient, notamment, la liste des augmentations de prix (en pourcentage) des gaz en bouteilles pour 1995 pour Hoek Loos, AGA, Messer, Air Liquide, Air Products, BOC et la requérante.

13      S’agissant du tableau n° 2, qui fait lui aussi état d’augmentations de prix, l’institution indique qu’il semble concerner la même réunion, bien que toutes les mentions contenues dans les deux tableaux ne soient pas identiques. Elle rappelle qu’Air Products a tout d’abord cru que le tableau avait été rédigé lors d’une réunion avec des concurrents qui s’était tenue en 1995, mais a affirmé, par la suite, qu’il pouvait se référer à la réunion de la VFIG de novembre 1994.

14      La Commission précise que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a déclaré qu’elle n’avait jamais pris part de façon active à ces réunions et qu’elle ne savait pas que des questions telles que les augmentations de prix seraient évoquées, dans la mesure où elles ne figuraient pas à l’ordre du jour des réunions (considérant 145 de la Décision).

15      En ce qui concerne, en deuxième lieu, la détermination de périodes de non-concurrence, la Commission affirme que, lors des réunions de la VFIG des 14 octobre et 18 novembre 1994, les augmentations de prix pour 1995 ont été évoquées par AGA, Hoek Loos, Air Liquide, Air Products, Messer, BOC et la requérante, et convenues entre elles, assorties d’une période de non-concurrence s’achevant en janvier 1995. L’institution se réfère, à cet égard, aux notes manuscrites d’AGA, visées au point 10 ci-dessus, ainsi qu’aux tableaux nos 1 et 2, dans lesquels il est fait mention d’une période de non-concurrence de deux mois pour la mise en œuvre des augmentations de prix (considérants 168 à 171 de la Décision).

16      La Commission rappelle que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a fait valoir qu’il n’avait pas été démontré qu’elle avait délibérément conclu un accord avec ses concurrents sur une période de non-concurrence lors des deux réunions de la VFIG qui ont eu lieu à la fin de l’année 1994 (considérants 172 de la Décision).

17      S’agissant, en troisième lieu, de la fixation de prix minimaux, la Commission soutient que les entreprises concernées se sont mises d’accord sur des barèmes successifs de prix minimaux pour les gaz en bouteilles et que le principal objectif de ces barèmes était de définir des seuils lorsque les entreprises étaient en concurrence pour le même client (considérants 189 de la Décision).

18      Elle affirme que, lors des réunions de la VFIG des 17 mars et 14 octobre 1994, des « échelles de prix » et des « prix minimaux » pour les gaz en bouteilles, à appliquer aux petits clients, ont été évoqués en vue de la conclusion d’un accord, au moins entre la requérante, Messer, Air Liquide, Hoek Loos et Air Products, étant observé que les quatre dernières entreprises citées s’étaient déjà mises d’accord sur un système de prix plancher pour les gaz en bouteilles en octobre 1990 (considérants 194 et 205 de la Décision).

19      Selon l’institution, les notes manuscrites saisies chez AGA montrent que les « échelles de prix » ont à nouveau été évoquées lors des réunions de la VFIG de mars et d’octobre 1994 et que, au cours de cette dernière réunion, Hoek Loos a présenté une échelle de prix pour les gaz en bouteilles, alors que les notes manuscrites datées du 17 octobre 1994 confirment que des « prix minimaux » ont été discutés lors de la réunion d’octobre (considérant 206 de la Décision).

20      La Commission relève encore que la liste de prix pour les petits acheteurs de gaz en bouteilles a aussi été saisie dans les locaux de trois sociétés, à savoir chez la requérante, dans un dossier portant la mention « VFIG 1995 », chez Air Liquide, dans un dossier intitulé « VFIG 1994 », et chez Messer. Les trois exemplaires de la liste comportent le même barème imprimé de prix minimaux, daté d’octobre 1994 et intitulé « barème pour les petits clients bouteilles » et celui saisi chez Messer contient également un barème manuscrit ajouté en 1996. L’institution ajoute que le fait que ces sociétés aient conservé ces propositions dans leurs dossiers pendant plusieurs années signifie qu’elles avaient de l’importance pour elles (considérants 207 et 208 de la Décision).

21      Il est mentionné dans la Décision que, en réponse à la communication des griefs, la requérante a déclaré ne pas savoir comment cette liste était entrée en sa possession et qu’il était très probable qu’elle lui avait été remise lors de la réunion de la VFIG du 14 octobre 1994, mais que cela ne signifiait toutefois pas qu’elle était effectivement d’accord sur les prix figurant dans ce barème (considérant 212).

22      La réponse globale de la Commission aux dénégations de la requérante figure au considérant 351 de la Décision, ainsi libellé :

« La Commission note que le fait qu’Air Liquide et [la requérante] ont participé à plusieurs réunions qui avaient pour objet de restreindre la concurrence est attesté par les preuves matérielles qui figurent dans le dossier qu’elle a constitué. Même si l’on pouvait établir que l’un ou l’autre participant n’avait pas l’intention d’appliquer les intentions communes exprimées lors de ces réunions, les comportements n’en constitueraient pas moins des accords au sens de l’article 81, paragraphe 1, [CE]. Compte tenu de la nature manifestement anticoncurrentielle des réunions au cours desquelles ces intentions ont été exprimées, les entreprises concernées, en y prenant part sans prendre publiquement leurs distances par rapport à ce qui y était dit, ont donné l’impression aux autres participants qu’elles souscrivaient à l’objet des discussions et se comporteraient en conséquence. La notion d’‘accord’ est, de par sa nature même, une notion objective. Les motifs réels (et les intentions cachées) qui sous-tendent le comportement adopté sont sans objet. »

23      La Décision comprend les dispositions suivantes :

« Article premier

AGA AB, Air Liquide BV, [Air Products], [BOC], [Messer], Hoek Loos [NV], [Westfalen] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE, en participant à des accords et/ou pratiques concertées continus dans le secteur des gaz industriels et médicaux aux Pays-Bas.

La durée de l’infraction était la suivante :

− AGA AB : de septembre 1993 à décembre 1997,

− Air Liquide BV : de septembre 1993 à décembre 1997,

− [Air Products] : de septembre 1993 à décembre 1997,

− [BOC] : de juin 1994 à décembre 1995,

− [Messer] : de septembre 1993 à décembre 1997,

− Hoek Loos [NV] : de septembre 1993 à décembre 1997,

− [Westfalen] : de mars 1994 à décembre 1995.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction mentionnée à l’article 1er :

− AGA AB : 4,15 millions d’euros,

− Air Liquide BV : 3,64 millions d’euros,

− [Air Products] : 2,73 millions d’euros,

− [BOC] : 1,17 million d’euros,

− [Messer] : 1 million d’euros,

− Hoek Loos [NV] : 12,6 millions d’euros,

− [Westfalen] : 0,43 million d’euros. »

24      Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a fait application, dans la Décision, de la méthode exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») ainsi que de la communication 96/C 207/04 concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »).

25      Ainsi, le montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, a été fixé, en ce qui concerne la requérante, à 0,51 million d’euros (considérant 438 de la Décision).

26      La Commission a estimé que la requérante n’avait joué qu’un rôle passif dans les infractions et qu’elle n’avait pas pris part à tous leurs aspects et que ces circonstances atténuantes justifiaient une réduction de 15 % du montant de base de l’amende imposée, ce dernier étant ramené à 0,43 million d’euros (considérant 442 de la Décision).

27      En revanche, la requérante n’a bénéficié d’aucune réduction au titre de la communication sur la coopération.

 Procédure et conclusions des parties

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 octobre 2002, la requérante a introduit le présent recours.

29      À la suite de l’introduction dudit recours, la Commission a estimé qu’elle avait commis une erreur d’appréciation concernant la durée de l’infraction reprochée à cette entreprise. Elle a, ainsi, admis, dans le mémoire en défense, qu’elle avait indûment retenu la date de mars 1994 comme point de départ de l’infraction imputée à la requérante.

30      En conséquence, la Commission a adopté, le 9 avril 2003, la décision 2003/355/CE modifiant la Décision (JO 2003, L 123, p. 49).

31      Ainsi, il est dorénavant mentionné à l’article 1er de la Décision, modifiée, que la requérante a enfreint l’article 81 CE en participant à des accords et/ou des pratiques concertées continus dans le secteur des gaz industriels et médicaux aux Pays-Bas pour une période allant d’octobre 1994 à décembre 1995. L’article 3 de la Décision, modifiée, prévoit un montant d’amende ramené de 0,43 à 0,41 million d’euros.

32      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a invité la Commission à déposer un document.

33      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 4 avril 2006.

34      La requérante conclut, dans la requête, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler les articles 1er et 3 de la Décision lui infligeant une amende de 0,43 million d’euros pour violation de l’article 81 CE ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 1er de la Décision et réduire substantiellement le montant de l’amende infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

35      Dans la réplique, la requérante précise que sa demande subsidiaire doit être comprise comme une demande d’annulation partielle de l’article 1er de la Décision dans le but d’obtenir une réduction substantielle de l’amende qui lui a été infligée par l’article 3 de la même Décision. Elle prie également le Tribunal de bien vouloir entendre sous serment M. P. van den Heuij, qui a participé à des réunions de la VFIG en tant que dirigeant d’une entreprise active dans le secteur en cause et dont une déclaration est annexée à la requête.

36      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la demande de preuve testimoniale ;

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur la demande d’annulation des articles 1er et 3 de la Décision

 Arguments des parties

37      La requérante souligne, à titre liminaire, qu’elle a contesté les faits exposés dans la communication des griefs et qu’elle conteste également ceux sur lesquels la Décision est fondée.

38      Elle prétend que la Commission n’a pas démontré, à suffisance de droit, qu’elle a participé à des accords et/ou des pratiques concertées et que la défenderesse a, ainsi, violé l’obligation de motivation visée à l’article 253 CE. La requérante fait état également d’une violation par la Commission du principe d’égalité de traitement.

39      La requérante fait observer qu’elle n’a adhéré à la VFIG, créée le 23 mars 1989, qu’en juillet 1994 et qu’elle a assisté pour la première fois à une réunion de cette association le 14 octobre 1994. La Commission se fonde, selon la requérante, sur cette participation à la réunion du 14 octobre 1994 ainsi qu’à celle du 18 novembre de la même année pour lui imputer, à tort, un triple comportement anticoncurrentiel, à savoir la fixation d’augmentations de prix, la détermination de périodes de non-concurrence et l’établissement de prix minimaux.

 Sur la fixation d’augmentations de prix

40      La requérante fait valoir, en premier lieu, que, lors des deux réunions de la VFIG des 14 octobre et 18 novembre 1994, elle a refusé de participer à une augmentation des prix concertée pour 1995. Elle précise que, à la réunion de la VFIG du 14 octobre 1994, elle a été surprise d’entendre aborder le thème de l’augmentation des prix qui ne figurait pas à l’ordre du jour et a exprimé son étonnement.

41      Elle aurait refusé, à chaque réunion, de dire s’il y aurait une augmentation des prix et, le cas échéant, si elle serait de 5 % ou de 6 %, dans la mesure où elle n’avait pas encore déterminé, à l’époque, ses prix pour 1995 et que la société mère, Westfalen AG, devait nécessairement être consultée à ce sujet. La requérante prétend avoir déclaré qu’elle n’était pas opposée, en soi, à des augmentations mais qu’elle n’approuvait pas une entente et que, étant partisane d’exercer une pression sur les prix, elle entendait adapter sa politique au marché de manière autonome.

42      Ces déclarations ne pourraient être qualifiées que de prudentes et vagues. La requérante n’aurait fourni aucun indice concernant sa future politique commerciale, laissant les autres entreprises dans le doute sur ce que serait son comportement sur le marché en 1995.

43      La réalité de cette attitude d’opposition à un accord anticoncurrentiel serait confirmée par les déclarations de M. Nordkamp, représentant la requérante lors des réunions en cause, et de M. van den Heuij, membre de NTG, qui aurait également été présent à ces réunions. La requérante soutient que M. van den Heuij n’avait pas le moindre intérêt personnel à faire cette déclaration et qu’il n’y a donc aucune raison de douter de la sincérité de celle-ci. Compte tenu de la contestation émise par la Commission, laquelle se contente d’affirmer que la déclaration en cause est dépourvue de toute crédibilité, la requérante demande au Tribunal de bien vouloir entendre sous serment M. van den Heuij.

44      En outre, contrairement aux affirmations de la Commission, il n’existerait aucune contradiction entre les déclarations de la requérante présentées en réponse à la communication des griefs et celles effectuées dans le cadre de la présente instance.

45       La requérante prétend, en second lieu, que les documents sur lesquels la Commission fonde ses conclusions sont dépourvus de force probante.

46      Ainsi, il ne serait absolument pas certain que les tableaux nos 1 et 2 se rapportent à la réunion du 14 octobre ou bien à celle du 18 novembre 1994.

47      Les deux tableaux en cause manqueraient également de cohérence. En effet, il serait question d’une augmentation des prix par la requérante de l’ordre de « 5-6 % » dans le tableau n° 1, alors que le tableau n° 2 ferait état d’une augmentation de plus de 6 %. Cette incohérence serait d’autant plus frappante que, pour les autres entreprises, les pourcentages indiqués dans les deux documents coïncideraient.

48      Les deux tableaux sembleraient aussi contradictoires en ce qui concerne la question des tarifs de la location et des frais de transport. Alors qu’il ressortirait du tableau n° 1 que la requérante n’aurait même pas été informée des accords conclus sur cette question, le tableau n° 2 indiquerait que la requérante aurait conclu un accord sur la location des cylindres. Les sommes mentionnées dans les deux tableaux au titre des tarifs de location ne coïncideraient pas non plus. Il ne serait, par ailleurs, nullement exclu que la mention « WF n’a pas été informée ?? Pas accepté ?? », figurant dans les notes manuscrites d’AGA datées du 17 octobre 1994, ne concernerait pas que les frais de location et de transport mais toutes les questions abordées au cours de la réunion en cause.

49      La requérante soutient que, à supposer que les deux tableaux concernent bien les réunions des 14 octobre et 18 novembre 1994, on peut en déduire que les autres opérateurs n’avaient pas d’idée précise de sa politique de prix et qu’elle avait donc bien tenu des propos particulièrement vagues lors desdites réunions.

50      La Commission se serait contentée de reprendre, par commodité, ce que les autres participants avaient noté au sujet de la requérante sans rapporter les réserves dont celle-ci aurait assorti ses propos. Elle n’aurait pas davantage cherché à expliquer les différences, pourtant admises au considérant 141 de la Décision, entre les indications chiffrées figurant dans les deux tableaux, et la décision serait insuffisamment motivée à cet égard.

51      Ces différences pourraient s’expliquer par le fait que les données contenues dans ces tableaux refléteraient seulement les désirs de leurs auteurs et non une augmentation de prix décidée par la requérante. Cette explication serait corroborée par d’autres documents émanant d’entreprises présentes dans des réunions de la VFIG et dans lesquels il serait fait mention du nom de la requérante alors que cette dernière n’aurait pas participé auxdites réunions.

52      La requérante fait observer que, à diverses périodes de l’entente, les participants à celle-ci ont mentionné son nom à propos de réunions de la VFIG auxquelles elle n’a pas assisté et la Commission n’aurait pas, à juste titre, retenu ces déclarations. Alors que les tableaux nos 1 et 2 se rattacheraient précisément à ces mises en cause erronées, la défenderesse en aurait tenu compte sans éprouver le moindre doute. En tout état de cause, ces notes manuscrites correspondant aux tableaux nos 1 et 2 seraient extrêmement sommaires et ne sauraient donc être regardées comme un compte rendu complet de la teneur des réunions.

 Sur la détermination de périodes de non-concurrence

53      La requérante fait valoir que, lors des réunions de la VFIG des 14 octobre et 18 novembre 1994, elle a pris part à des discussions relatives à la mise en place d’un moratoire, mais pour exprimer son opposition à cette mesure, recevant, à cette occasion, le soutien d’autres petits opérateurs. À titre de preuve, elle renvoie à nouveau à la déclaration explicite de M. van den Heuij.

54      Les tableaux nos 1 et 2, qui manqueraient de cohérence et ne pourraient être que la traduction du comportement escompté de la requérante par les autres entreprises, ne contrediraient pas le déroulement des réunions, tel que décrit au point précédent.

55      Bien qu’elle sache que le fait qu’un accord anticoncurrentiel ne soit pas respecté n’empêche pas qu’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE soit constituée, la requérante fait observer qu’elle a contacté pendant la durée du moratoire divers clients d’entreprises concurrentes et qu’elle en a fourni la preuve à la Commission.

 Sur la fixation de prix minimaux

56      La requérante objecte qu’elle n’a pas pu prendre part à une discussion sur des prix minimaux lors de la réunion de mars 1994, et encore moins conclure un accord, puisqu’elle n’était pas présente à cette réunion. Elle ajoute qu’elle n’a pas davantage pris part à une discussion sur des prix minimaux lors de la réunion du 14 octobre 1994, les notes manuscrites d’AGA relative à cette réunion ne prouvant pas une participation à ladite discussion ni à la conclusion d’un accord. Les points 132 et 133 de la communication des griefs confirmeraient même que les petits opérateurs, comme la requérante, auraient opposé une résistance lors des réunions de la VFIG.

57      Le fait qu’un barème de prix minimaux ait été saisi chez la requérante serait dépourvu de signification. La requérante précise qu’elle a seulement dit qu’il était bien possible que ce barème lui ait été distribué à la réunion du 14 octobre 1994 et non, comme le prétend la Commission, qu’il y avait de très grandes chances que ce barème lui ait été remis lors de cette réunion. La seule possession par la requérante d’un tel document ne prouverait en aucun cas sa participation à un accord sur ces prix minimaux ni à une éventuelle discussion sur ce sujet. La Commission n’aurait, à juste titre, accordé aucune importance à d’autres éléments d’information que la requérante a reçus sans les avoir sollicités.

58      En conclusion, la requérante affirme que le fait pour une entreprise de participer à une discussion portant sur la coordination des comportements sur le marché ne saurait constituer une violation de l’interdiction des ententes dès lors qu’il apparaît que, en fait, cette entreprise s’est élevée contre cette coordination (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, points 94 à 96).

59      La requérante soutient que, eu égard au comportement qu’elle a adopté lors des réunions de la VFIG des 14 octobre et 18 novembre 1994, il y a lieu de considérer qu’elle s’est distanciée publiquement du contenu desdites réunions, au sens où l’exige la jurisprudence (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 223). Selon la requérante, une personne qui prend ses distances à l’égard de ce qui est dit lors d’une réunion prend nécessairement part à la discussion, mais cela ne veut pas dire que, ce faisant, elle viole l’interdiction des ententes. À cet égard, la Commission se contredirait, puisqu’elle admettrait que la participation à une réunion officielle ne constituerait pas, en soi, une participation à une entente. De surcroît, la jurisprudence n’exigerait pas, contrairement à ce que laisserait entendre la Commission, que la preuve de la distanciation doive être rapportée au moyen d’un document contemporain de l’infraction ni que cette preuve ne puisse émaner que des seuls participants à l’entente.

60      L’attitude de la requérante s’expliquerait aisément au regard de sa situation sur le marché en cause, à savoir celle d’un opérateur récent et de taille modeste, mais qui aurait réussi à développer son chiffre d’affaires au moyen d’une politique commerciale dynamique. Les participants à l’entente et la Commission elle-même (considérant 78 de la Décision) reconnaîtraient que la requérante aurait eu un rôle de « pourfendeur » des prix. Dans un tel contexte, la requérante n’aurait donc eu aucun intérêt à être liée par un accord sur des augmentations de prix.

61      La requérante affirme que son attitude d’opposition ouverte, combinée à celle des autres petits opérateurs, a eu pour effet que les grands opérateurs ont dû poursuivre leurs négociations illicites en dehors du cadre des réunions de la VFIG et de la présence de ces petits opérateurs. La requérante aurait donc dû être considérée comme un « briseur d’ententes » et non comme une entreprise qui a apporté sa contribution passive à une entente. En outre, alors que la situation susmentionnée serait décrite au point 132 de la communication des griefs, la Commission n’en ferait plus état dans la Décision, laquelle serait, à cet égard, insuffisamment motivée.

62      La Commission souligne que la requérante ne conteste pas avoir participé aux réunions de l’entente du 14 octobre et du 18 novembre 1994 ni que l’objet de ces réunions était de restreindre la concurrence. La participation, en elle-même, aux réunions de la VFIG n’équivaudrait certes pas à une participation à des réunions collusoires, mais cela ne signifierait pas pour autant que, dans le cadre ou en marge de ces réunions officielles, aucune entente n’aurait été conclue.

63      Elle indique que la jurisprudence a établi clairement que le fait pour une entreprise de participer à une réunion des membres d’une entente sans y prendre une part active implique sa responsabilité dans l’infraction, à moins qu’elle ne se distancie publiquement du contenu de cette réunion (arrêt HFB e.a./Commission, point 59 supra, point 223).

64      Dans l’arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 58 supra, invoqué par la requérante, la Cour aurait précisé qu’il incombe à toute personne invoquant la distanciation d’en apporter la preuve. Or, la requérante n’aurait pas apporté une telle preuve en l’espèce.

65      La défenderesse s’oppose à la demande d’audition de M. van den Heuij par le Tribunal en ce qu’elle serait tardive, la requérante ayant méconnu l’article 48 du règlement de procédure en ne motivant pas le caractère tardif de son offre de preuve. En outre, ce témoignage ne pourrait rien apporter de plus aux débats et ne serait donc pas utile.

 Sur la durée de l’infraction

66      Dans la requête, la requérante soutient que la Décision n’est pas exacte quant à la durée de l’infraction retenue par la Commission, dans la mesure où elle n’était pas présente à la réunion de la VFIG de mars 1994. Elle indique, dans la réplique, avoir pris acte de la reconnaissance par la Commission de son erreur quant au point de départ de la période infractionnelle, dorénavant fixé à octobre et non à mars 1994.

67      La Commission estime que l’argumentation de la requérante concernant la durée de l’infraction est totalement dépourvue de pertinence, puisqu’elle a, en application des lignes directrices, tenu compte de la rectification de la durée de l’infraction et réduit l’amende.

 Sur la violation du principe d’égalité de traitement

68      La requérante prétend que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement dans le cadre de son appréciation de la participation des petits opérateurs, et ce en considérant que seule la requérante aurait méconnu l’interdiction des ententes et pas les sociétés NTG et Hydrogas qui auraient pourtant participé à plusieurs réunions au cours desquelles il aurait été question d’accords illégaux. La motivation de la Décision apparaîtrait gravement insuffisante sur ce point.

69      La Commission fait valoir que l’argumentation relative à la prétendue violation du principe d’égalité de traitement, qui relève en réalité de la demande de réduction du montant de l’amende, est dénuée de fondement.

70      En ce qui concerne NTG, son implication serait manifestement différente de celle de la requérante et l’entreprise en cause serait, en outre, parvenue à démontrer, dans sa réponse à la communication des griefs, son absence de responsabilité. La situation d’Hydrogas ne pourrait non plus être assimilée à celle de la requérante, la Commission ne lui ayant même pas envoyé de communication des griefs en l’absence d’indice de comportements illicites. La Commission ajoute que la participation aux réunions officielles de la VFIG ne constituait pas en soi une participation à une réunion de l’entente et qu’elle ne disposait pas, comme c’était le cas pour la requérante, de preuves établissant la participation de NTG et d’Hydrogas aux hausses de prix, aux moratoires ou aux prix minimaux.

71      La Commission fait valoir que, même si ces autres sociétés avaient été indûment tenues à l’écart des poursuites, la situation de la requérante serait identique. En effet, l’octroi éventuel d’un avantage indu ne signifierait pas que la requérante serait en droit d’obtenir une réduction de sa propre amende si celle-ci a été licitement fixée (arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, Rec. p. II‑441, point 176, et du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 367).

 Appréciation du Tribunal

 Observations liminaires

72      Il convient de relever que la requérante prétend que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit qu’elle a participé à des accords et/ou à des pratiques concertées et que, « en agissant ainsi, la Commission a méconnu également le principe de motivation de l’article 253 CE ». La requérante souligne plus particulièrement une insuffisance de motivation en ce qui concerne les différences relevées entre les indications chiffrées des tableaux nos 1 et 2, son rôle de « briseur d’entente » et le traitement particulier dont elle a fait l’objet par rapport à deux autres petits opérateurs. Il résulte de la formulation susvisée et de la teneur de l’argumentation développée par la requérante que le grief soulevé ne vise pas, à proprement parler, un défaut ou une insuffisance de motivation qui relève de la violation des formes substantielles au sens de l’article 230 CE. Le grief en cause se confond, en réalité, avec la critique du bien-fondé de la Décision et donc de la légalité au fond de cet acte, lequel serait illégal eu égard à l’absence de preuve, par la Commission, d’une violation de l’article 81 CE et à une méconnaissance du principe d’égalité de traitement.

 Sur la prétendue distanciation publique de la requérante

73      La requérante fait valoir que la Commission n’a pas prouvé à suffisance de droit une quelconque violation de sa part de l’article 81, paragraphe 1, CE.

74      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer à suffisance de droit l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58).

75      Aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit qu’un accord ait pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence, indépendamment de ses effets concrets. En conséquence, dans le cas d’accords se manifestant lors de réunions d’entreprises concurrentes, une infraction à cette disposition est constituée lorsque ces réunions ont un tel objet et visent, ainsi, à organiser artificiellement le fonctionnement du marché (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 145).

76      Il suffit, dès lors, que la Commission démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance de droit la participation de ladite entreprise à l’entente. Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à prouver que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (voir, notamment, arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 81, et la jurisprudence citée).

77      La raison qui sous-tend ce principe de droit est que, ayant participé à ladite réunion sans se distancier publiquement de son contenu, l’entreprise a donné à penser aux autres participants qu’elle souscrivait à son résultat et qu’elle s’y conformerait (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 76 supra, point 82).

78      En l’espèce, la requérante ne conteste pas avoir participé aux deux réunions de la VFIG des 14 octobre et 18 novembre 1994 ainsi que la teneur anticoncurrentielle de celles-ci. Elle soutient, en revanche, que, compte tenu du comportement qu’elle a adopté lors de ces réunions, il y a lieu de considérer qu’elle s’est distanciée publiquement de leur contenu anticoncurrentiel, au sens où l’exige la jurisprudence.

–       Sur la fixation d’augmentations de prix et la détermination d’une période de non-concurrence

79      Dans ses mémoires, la requérante prétend, de manière générale, qu’elle a « montré son opposition aux accords concernant le comportement [des entreprises] sur le marché lors des réunions des 14 octobre et 18 novembre 1994 ».

80      S’agissant de l’augmentation des prix, elle soutient qu’elle a dit clairement qu’elle n’approuverait pas une augmentation des prix et que, étant partisane d’exercer une pression sur ceux-ci, elle entendait adapter sa politique au marché de manière autonome. Elle ajoute qu’elle n’a pas voulu dire, « pendant la réunion », si elle envisageait de procéder à des augmentations de prix en 1995 et, le cas échéant, de quelle ampleur, mais elle a déclaré qu’elle n’était pas, par principe, opposée à des augmentations. Elle indique également que son dirigeant, M. Nordkamp a refusé, « à chaque réunion », de dire s’il y aurait une augmentation des prix et, le cas échéant, si elle serait de 5 % ou de 6 %.

81      Dans sa déclaration, M. Nordkamp indique que, après que d’autres entreprises ont déclaré, « lors de l’une des deux réunions en cause de la VFIG », qu’elles envisageaient une hausse des prix de 5 ou 6 %, il est « resté dans le vague sur le point de savoir si Westfalen augmenterait ses prix pour 1995 et, le cas échéant, dans quelle mesure ».

82      Ces déclarations ne correspondent que partiellement à celles faites par la requérante dans sa réponse à la communication des griefs, dans laquelle l’intéressée a indiqué que, lors de la « post-réunion » sur la politique commerciale, elle a déclaré, après les annonces d’augmentations des prix par les autres opérateurs, qu’elle « envisagerait une augmentation de prix de 5 ou 6 % pour 1995 », ce qui contredit la formulation de la requête, rappelée ci-dessus. La requérante a ajouté que « ni lors des réunions du 14 octobre ou du 18 novembre 1994 ni à aucun autre moment [elle] ne s’est engagée à mettre en œuvre une hausse des prix déterminée », ce qui ne correspond pas à l’affirmation expresse d’une opposition à la hausse des prix.

83      Il apparaît, à tout le moins, que la requérante n’a pas clairement pris position sur la question de la hausse des prix. Ainsi, elle n’a pas dit expressément qu’il y aurait une augmentation de ses prix en 1995, mais elle n’a pas davantage déclaré qu’il n’y aurait pas d’augmentation des prix cette même année.

84      La requérante n’a, dès lors, pas pris une position qui aurait fait clairement savoir aux autres entreprises qu’elle prenait ses distances vis-à-vis du principe d’une telle augmentation. Son comportement, qualifié par elle de vague, s’apparente à une approbation tacite ayant pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromettant sa découverte. Cette complicité constitue un mode passif de participation à l’infraction qui est donc de nature à engager la responsabilité de l’entreprise (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 76 supra, point 84).

85      En ce qui concerne le deuxième comportement anticoncurrentiel reproché par la Commission, la requérante a précisé, dans la réponse à la communication des griefs, qu’elle s’est « élevée contre un moratoire lors de la réunion » et que « M. Nordkamp ne s’est pas engagé, au nom de Westfalen, à respecter un moratoire ni lors de la réunion ni à aucun autre moment », ce qu’elle a confirmé dans ses mémoires en indiquant qu’elle s’est prononcée contre l’instauration d’un moratoire.

86      Afin de prouver la réalité de ses déclarations d’opposition et donc le fait qu’elle s’est publiquement distanciée des discussions collusoires auxquelles elle a participé, la requérante s’appuie essentiellement sur la déclaration de M. van den Heuij.

87      Le témoin expose que, lors d’une réunion de la VFIG, la requérante aurait réagi contre les propositions anticoncurrentielles formulées par d’autres entreprises membres de l’association professionnelle, et ce sous la forme d’une protestation. Il ressort de l’attestation que cette protestation aurait été dictée non par une opposition de principe à une concertation manifestement illégale, mais parce que cette dernière ne correspondait pas, a priori, aux intérêts économiques du moment de NTG et de la requérante.

88      Force est, cependant, de constater qu’il ressort des termes mêmes de la déclaration de M. van den Heuij que ce dernier ne conserve pas un souvenir très précis de la réunion en question. Ainsi, le témoin indique qu’il ne se rappelle ni la date de celle-ci, ni la durée du moratoire discuté au cours de cette réunion, ni si le dirigeant d’Hydrogas avait également protesté contre les propositions litigieuses.

89      La déclaration de M. van den Heuij, établie le 9 octobre 2002, ne concerne qu’une seule réunion de la VFIG ayant eu lieu « huit ans » auparavant. Compte tenu de ce seul repère temporel et au vu du tableau récapitulant l’ensemble des réunions de la VFIG avec mention des participations individuelles des entreprises membres de l’association (considérant 106 de la Décision), il y a lieu de relever que la déclaration en cause ne peut concerner que la seule réunion du 14 octobre 1994, étant observé que NTG, entreprise dont M. van den Heuij est le dirigeant, n’était pas représentée à la réunion suivante du 18 novembre 1994.

90      En outre et surtout, le témoignage de M. van den Heuij ne coïncide pas exactement avec la narration faite par la requérante du déroulement de la réunion en cause, puisque le témoin n’évoque pas les annonces successives de certaines entreprises de hausses de leur prix de 5 ou 6 %, et avec les propos alors tenus par M. Nordkamp selon lesquels la requérante aurait envisagé « une augmentation de prix de 5 ou 6 % pour 1995 » ou n’était pas, par principe, opposée à des augmentations tout en refusant de dire s’il y aurait une augmentation des prix pour 1995 et, dans l’affirmative, l’ampleur de celle-ci.

91      Le témoin évoque une déclaration d’opposition générale après une annonce de propositions anticoncurrentielles, qui n’est pas mentionnée en tant que telle par la requérante, laquelle prétend, par ses réactions à l’égard de chacune des trois initiatives anticoncurrentielles en cause, avoir montré son opposition à la coordination illicite.

92      Il résulte, en tout état de cause, des considérations qui précèdent que l’affirmation de la requérante selon laquelle le témoignage de « M. [...] van den Heuij, qui a participé lui-même aux deux réunions de la VFIG des 14 octobre 1994 et 18 novembre 1994, atteste [qu’elle] s’est farouchement opposée lors de ces réunions aux propositions d’entente prohibée » ne peut être retenue par le Tribunal, dans la mesure où elle est purement et simplement erronée.

93      À cet égard, interrogée par le Tribunal lors de l’audience, la requérante a expressément admis que M. van den Heuij n’avait pas participé à la réunion de la VFIG du 18 novembre 1994. Ce constat est déterminant pour l’appréciation de la responsabilité de la requérante.

94      Il importe, en effet, de rappeler que la Commission se fonde sur la participation de la requérante tant à la réunion de la VFIG du 14 octobre 1994 qu’à celle du 18 novembre suivant pour affirmer qu’elle a pris part à des accords concernant la fixation d’augmentations de prix et la détermination d’une période de non-concurrence.

95      Or, la requérante ne fournit aucun indice concret et objectif établissant qu’elle s’est distanciée publiquement de la teneur manifestement anticoncurrentiel de la réunion du 18 novembre 1994.

96      Les seules affirmations de la requérante quant au caractère plausible d’une telle distanciation au regard de sa position d’opérateur récent et dynamique sur le marché en cause ne sont pas de nature à satisfaire à la charge de la preuve qui lui incombe.

97      Ainsi que le souligne à juste titre la Commission, la requérante pouvait également avoir tout intérêt à ce que les fournisseurs de gaz respectent les accords conclus et croient qu’elle s’y conformerait aussi, alors que, sans en avertir ces entreprises, elle pratiquait des prix un peu inférieurs à ceux convenus de façon à accroître ses marges et sa part de marché. Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon la jurisprudence, le fait que le comportement sur le marché des entreprises concernées n’est pas conforme aux « règles du jeu » convenues n’affecte en rien leur responsabilité du chef de leur participation à un accord anticoncurrentiel (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a/Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 1389).

98      La requérante indique encore qu’il est nullement exclu que la mention « WF n’a pas été informée ?? Pas accepté ?? », figurant dans des notes manuscrites d’AGA invoquées par la Commission dans la Décision (considérants 138 et 169), puisse ne pas seulement concerner les frais de location et de transport, mais toutes les questions abordées au cours des discussions collusoires.

99      Parmi les preuves documentaires fournies par la Commission figurent effectivement des notes manuscrites remises par AGA, lesquelles comportent les mentions suivantes :

« 17.10.94

VFIG

Augmentation de prix

Location 0,25 Transport

WF n’a pas été informée ?? Pas accepté ??

Prix gaz en bouteilles + 6 % + location et transport

Contrats vrac + 4,5 %, formule d’indice?

[...]

Moratoire : 1er décembre + 3-4 mois. »

100    Au-delà du fait que la mention en cause se rapporte au premier point des notes relatif aux frais de location et de transport et non à l’augmentation des prix du gaz en bouteilles visé dans un point distinct subséquent, il suffit de constater que les notes manuscrites concernées sont expressément datées du 17 octobre 1994, soit quelques jours seulement après la tenue, le 14 octobre 1994, de la réunion collusoire de la VFIG à laquelle AGA a bien participé. Dès lors, les notes manuscrites et la mention visées par la requérante ne peuvent concerner la seconde réunion collusoire du 18 novembre 1994.

101    Il apparaît, dans ces conditions, que, après avoir participé à une première réunion au caractère manifestement anticoncurrentiel , dont elle aurait désapprouvé la teneur, la requérante a, un peu plus d’un mois seulement après, participé à une seconde réunion collusoire dont il n’est pas établi qu’elle s’en soit publiquement distanciée.

102    Cette participation délibérée à une seconde réunion anticoncurrentielle, faisant directement suite à une première concertation illicite, annihile la protestation initiale, à la supposer établie, de la réunion du 14 octobre 1994 et suffit pour rejeter, dans le cadre d’une analyse globale du comportement de la requérante pour la période du 14 octobre au 18 novembre 1994, toute allégation de distanciation publique en ce qui concerne les discussions collusoires portant sur la fixation des augmentations du prix des gaz en bouteilles et la détermination d’une période de non-concurrence de deux mois.

103    Il convient, à cet égard, de rappeler que la notion de distanciation publique en tant qu’élément d’exonération de la responsabilité doit être interprétée de manière restrictive. Si la requérante avait effectivement voulu se dissocier des discussions collusoires, elle aurait pu aisément indiquer par écrit à ses concurrents et au secrétaire de la VFIG, après la réunion du 14 octobre 1994, qu’elle ne voulait en aucun cas être considérée comme un membre de l’entente et participer à des réunions d’une association professionnelle servant de cadre occulte à des concertations illicites (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Adriatica di Navigazione/Commission, T‑61/99, Rec. p. II‑5349, point 138).

104    En outre, à titre surabondant, force est de constater que la Commission s’appuie sur des preuves documentaires permettant de conclure que la requérante a effectivement pris part aux accords susmentionnés. Il s’agit de notes manuscrites prenant la forme de tableaux et définis comme tels par la Commission dans la Décision.

105    La requérante excipe, de manière générale, du caractère extrêmement sommaire de ces notes pour leur dénier toute force probante. Outre l’invocation de certains griefs particuliers concernant l’un ou l’autre des documents, elle affirme que les notes manuscrites ne peuvent, en tout état de cause, être considérées comme un compte rendu complet des réunions en cause.

106    À cet égard, il convient de rappeler que l’interdiction de participer à des pratiques et à des accords anticoncurrentiels ainsi que les sanctions que les contrevenants peuvent encourir étant notoires, il est usuel que les activités que ces pratiques et ces accords comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement, le plus souvent dans un pays tiers, et que la documentation qui y est afférente soit réduite au minimum. Même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, telles que les comptes rendus d’une réunion, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 76 supra, points 55 et 56).

107    Dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de concurrence (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 76 supra, point 57).

108    En l’espèce, il est constant que les discussions collusoires ont eu lieu en marge des réunions de la VFIG des 14 octobre et 18 novembre 1994 et qu’elles ne pouvaient et n’ont pas, à l’évidence, donné lieu à l’établissement de procès-verbaux officiels exhaustifs. Il ne saurait, dès lors, être question d’écarter les notes manuscrites invoquées par la Commission au seul motif qu’elles revêtent un caractère sommaire.

109    Par ailleurs, les griefs de la requérante quant à l’impossibilité de rattacher les deux tableaux à l’une ou l’autre des réunions de la VFIG et leur prétendue incohérence ne résistent pas à l’examen concret des documents concernés.

110    D’une part, le tableau n° 1, remis par AGA, porte la date du 21 novembre 1994 et contient la désignation abrégée de sept entreprises, dont AGA, ayant effectivement participé à la réunion de la VFIG du 18 novembre 1994 (considérant 140 de la Décision). Le tableau n° 2 a été saisi chez Air Products, laquelle a déclaré qu’il pouvait se référer à la réunion précitée (considérant 141 de la Décision). En outre, ce tableau n° 2 contient la même liste d’entreprises que celle figurant dans le tableau n° 1 ainsi que des indications similaires concernant des augmentations du prix des gaz en bouteilles, du transport et de la location.

111    Il y a lieu encore de rappeler que la réunion de la VFIG du 18 novembre 1994 est la seconde et dernière réunion à caractère anticoncurrentiel à laquelle la requérante a participé avec les grands opérateurs et que les discussions collusoires se sont ensuite poursuivies dans un autre cadre.

112    D’autre part, le tableau n° 1 comporte la mention suivante « WF 5-6 % sur tous les produits 1/1‑95 » alors que le tableau n° 2 indique « W/F 6 % » dans la colonne intitulé « Produit ». Ainsi que le souligne à juste titre la Commission, si les indications chiffrées susvisées ne coïncident pas exactement, elles sont néanmoins pleinement compatibles et attestent la participation de la requérante à une hausse des prix prévue pour janvier 1995 à raison de 5 à 6 %.

113    Par ailleurs, le tableau n° 1 contient, en haut de la page, la mention « Moratoire : 1.12.- 31.1.95 » dont le caractère unique ne peut s’expliquer que par le fait qu’elle concerne l’ensemble des entreprises citées dans ledit tableau. Le tableau n° 2 fait apparaître la mention « W/F […] 2 ms » qui, selon toute vraisemblance, exprime la période de deux mois de non-concurrence convenue par les entreprises impliquées dans le cartel. Il y a lieu de noter, à titre de complément, que la question du moratoire avait déjà été débattue lors de la réunion du 14 octobre 1994, ainsi que cela ressort clairement des notes manuscrites d’AGA visées au point 99 ci-dessus.

114    Il est, en outre, particulièrement significatif que Hydrogas, petit opérateur mentionné dans la déclaration de M. van den Heuij et dont il est constant qu’il a participé aux réunions de la VFIG du 14 octobre et du 18 novembre 1994, n’est, à la différence de la requérante, aucunement cité dans lesdits tableaux.

115    Il résulte des considérations qui précèdent que la preuve de la distanciation publique alléguée par la requérante n’a pas été rapportée par cette dernière et que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a pris part à des accords concernant la fixation d’augmentations de prix d’octobre 1994 à décembre 1995 et à la détermination d’une période de non-concurrence d’octobre 1994 à janvier 1995.

–       Sur la fixation de prix minimaux pour les acheteurs de petites quantités de gaz en bouteilles

116    Il convient, à titre liminaire, d’observer qu’il résulte de la Décision (considérant 352) que la Commission a considéré que le comportement des différentes entreprises impliquées dans l’entente constituait une infraction unique et continue, qui s’est progressivement concrétisée par des accords et/ou des pratiques concertées.

117    Ainsi, l’article 1er de la Décision énonce que les entreprises concernées, dont la requérante, « ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE en participant à des accords et/ou pratiques concertées continus dans le secteur des gaz industriels et médicaux aux Pays-Bas ».

118    S’agissant plus particulièrement de la requérante, la Commission a estimé qu’elle avait participé à cette infraction par des comportements anticoncurrentiels qui lui étaient propres, et, notamment, par la fixation de prix minimaux pour les acheteurs de petites quantités de gaz en bouteilles. La responsabilité de la requérante est, à cet égard, fondée sur sa participation à la seule réunion du 14 octobre 1994, compte tenu de la rectification de la Décision apportée le 9 avril 2003.

119    Après avoir indiqué dans la communication des griefs qu’« on ne sa[vait] toujours pas si un accord sur les prix minimums a[vait] vraiment été conclu en 1994 », la Commission a précisé au considérant 205 de la Décision que, lors des réunions de la VFIG de mars et d’octobre 1994, des échelles de prix et des prix minimaux pour les gaz en bouteilles, à appliquer aux petits clients, avaient été « évoqués en vue de la conclusion d’un accord », au moins par la requérante, par Messer, par Air Liquide, par Hoek Loos et par Air Products. Il est également mentionné au considérant 341 de la Décision que « Hoek Loos, AGA, Air Products, Air Liquide et Messer » se sont mises d’accord sur des prix minimaux pour les gaz en bouteilles livrés aux petits clients pour « 1995, 1996 et 1997 ».

120    Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission reproche à la requérante d’avoir pris part à une pratique concertée concernant la fixation de prix minimaux pour les acheteurs de petites quantités de gaz en bouteilles.

121    Il convient de rappeler, à ce stade, que la notion de « pratique concertée » consiste en une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, point 64). Les critères de coordination et de coopération en cause, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable « plan », doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. S’il est exact que cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à, ou que l’on envisage de, tenir soi-même sur le marché (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 173 et 174 ; arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 720).

122    De même que pour les agissements anticoncurrentiels qui lui sont reprochés par la Commission, la requérante conteste sa responsabilité en prétendant qu’elle s’est distanciée publiquement des discussions collusoires concernant la fixation de prix minimaux pour les acheteurs de petites quantités de gaz en bouteilles.

123    À cet égard, il résulte tant des mémoires de la requérante que de l’attestation de M. Nordkamp, représentant de celle-ci lors des réunions de la VFIG, que ce dernier ne s’est pas exprimé sur la question de la fixation de prix minimaux pour les acheteurs de petites quantités de gaz en bouteilles lorsqu’elle a été évoquée lors de la réunion du 14 octobre 1994.

124    Or, le silence observé par un opérateur dans une réunion au cours de laquelle une concertation illicite a lieu sur une question précise touchant à la politique des prix ne peut être assimilée à l’expression d’une désapprobation ferme et claire. Au contraire, selon la jurisprudence, l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromet sa découverte. Cette complicité constitue un mode passif de participation à l’infraction qui est donc de nature à engager la responsabilité de l’entreprise (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 76 supra, point 84).

125    Les seuls souvenirs imprécis de M. van den Heuij, relatés dans une attestation demandée et établie peu de temps avant l’introduction du présent recours, qui ne coïncident pas exactement avec les déclarations de la requérante elle-même, ne sont pas de nature à infirmer la conclusion précitée. Il pourrait, tout au plus, être déduit de la déclaration de M. van den Heuij que les petits opérateurs, dont la requérante, ont émis une protestation à l’annonce des propositions illicites d’autres entreprises, avant que ne s’engagent les discussions spécifiques sur chacune desdites propositions et que chaque entreprise n’exprime sa position, ce qu’a fait la requérante, dans les conditions particulières précisées au point 123 ci-dessus, en ce qui concerne la fixation de prix minimaux pour les acheteurs de petites quantités de gaz en bouteilles.

126    Or, ce comportement de la requérante ne saurait être analysé comme la manifestation ferme et claire d’un désaccord susceptible de caractériser la notion de distanciation publique telle qu’exigée et interprétée, de manière restrictive, par la jurisprudence.

127    De surcroît, il convient de relever que, dans la Décision, la Commission indique que, d’après les explications fournies par AGA, corroborées par une mention figurant dans des notes manuscrites saisies chez AGA, les échelles de prix pour les petits acheteurs de gaz en bouteilles ont été présentées par Hoek Loos en marge de la réunion de la VFIG d’octobre 1994. En outre et surtout, il a été découvert chez la requérante, dans un dossier portant la mention « VFIG 1995 », un document daté d’octobre 1994 et intitulé « Barème pour les petits clients ‘bouteilles’ » comportant effectivement un barème imprimé de prix minimaux. Le même document a été retrouvé dans les locaux de Messer et d’Air Liquide (considérants 207 et 208 de la Décision).

128    La requérante a seulement précisé qu’il était bien possible que ledit document lui ait été remis lors de la réunion du 14 octobre 1994, mais que sa possession ne prouvait pas sa participation à un accord sur des prix minimaux ni même à une discussion sur ce sujet.

129    Il n’en reste pas moins que la requérante a bien participé à la réunion du 14 octobre 1994 et, ainsi que le souligne à juste titre la Commission, il n’est guère surprenant que, à la différence de la hausse des prix et de la détermination du moratoire, aucune mention individualisée n’ait été consignée concernant la requérante ou une autre entreprise, puisque c’est une liste de prix qui a été distribuée lors de cette réunion. La conservation par la requérante d’un tel document n’est guère compatible avec l’affirmation d’une distanciation publique et la détermination autonome d’une politique commerciale sur le marché en cause qu’elle implique nécessairement, telle qu’exigée par la jurisprudence à l’égard de tout opérateur économique (voir arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 58 supra, point 116, et la jurisprudence citée).

130    De même, sans qu’elle puisse constituer la réfutation directe de la distanciation publique alléguée par la requérante, comme pour les deux premiers agissements reprochés par la Commission, la participation de la requérante à la seconde réunion collusoire du 18 novembre 1994 est significative de son état d’esprit anticoncurrentiel et contredit rétrospectivement l’allégation de distanciation publique par rapport aux discussions collusoires de la réunion du 14 octobre 1994.

131    Le seul constat de l’absence de preuve par la requérante de la distanciation publique alléguée ne suffit cependant pas pour conclure à la responsabilité de celle-ci.

132    Dans l’arrêt rendu sur pourvoi, Commission/Anic Partecipazioni, point 58 supra, la Cour a précisé que, comme cela résulte des termes mêmes de l’article 81, paragraphe 1, CE, la notion de pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments (point 118). Elle a également jugé qu’il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 58 supra, point 121).

133    En l’espèce, à défaut de preuve contraire qu’il lui incombait de rapporter, il y a lieu de considérer que la requérante, qui est demeurée active sur le marché en cause après la réunion du 14 octobre 1994, a tenu compte de la concertation illicite, à laquelle elle a participé lors de ladite réunion, pour déterminer son comportement sur ledit marché (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 58 supra, points 119 et 121).

134    Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a pris part à une pratique concertée concernant la fixation de prix minimaux pour les acheteurs de petites quantités de gaz en bouteilles.

 Sur la durée de l’infraction

135    Il convient de relever, à titre liminaire, que l’appréciation définitive par la Commission de la durée de l’infraction imputée à la requérante est contenue à l’article 1er de la Décision, telle que rectifiée par la décision du 9 avril 2003, selon lequel la période infractionnelle a débuté en octobre 1994 pour s’achever en décembre 1995.

136    Compte tenu de la rectification de la Décision, le grief de la requérante tiré du caractère erroné du point de départ de la période infractionnelle mentionnée à l’article 1er de la Décision est devenu sans objet.

137    Lors de l’audience, la requérante a fait observer que c’est à tort que l’article 1er de la Décision mentionnait le mois de décembre 1995 comme terme de la période infractionnelle, dans la mesure où, après la réunion de la VFIG du 18 novembre 1994, elle n’a plus participé à aucune autre réunion collusoire.

138    Pour autant que ce nouveau grief puisse être considéré comme recevable, il ne saurait être retenu par le Tribunal. À cet égard, il convient de rappeler que la Commission a établi à suffisance de droit que la requérante a, notamment, pris part à un accord ayant un objet clairement anticoncurrentiel, à savoir la fixation d’augmentations de prix pour l’année 1995. Pour calculer la durée d’une infraction dont l’objet est restrictif de concurrence, il convient uniquement de déterminer la durée pendant laquelle cet accord a existé, à savoir la période s’étant écoulée entre la date de sa conclusion et la date à laquelle il y a été mis fin (arrêt du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale/Commission, T‑49/02 à T‑51/02, non encore publié au Recueil, point 185).

139    Or, la requérante n’a pas démontré à suffisance de droit qu’elle a mis fin à sa participation à l’entente de manière anticipée, c’est-à-dire antérieurement au mois de décembre 1995, en adoptant un comportement de concurrence loyale et indépendant sur le marché en cause. Par ailleurs, il doit être observé que la requérante ne s’est pas retirée de l’entente pour dénoncer celle-ci à la Commission (arrêt du Tribunal du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T‑62/02, non encore publié au Recueil, point 42).

 Sur la violation du principe d’égalité de traitement

140    La requérante prétend que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement dans le cadre de son appréciation de la participation des petits opérateurs, et ce en considérant qu’elle seule avait méconnu l’interdiction des ententes et non NTG et Hydrogas, qui auraient pourtant participé à plusieurs réunions au cours desquelles il aurait été question d’accords illégaux.

141    À cet égard, il suffit de rappeler que, dès lors qu’une entreprise a, par son comportement, violé l’article 81, paragraphe 1, CE, elle ne saurait échapper à toute sanction au motif qu’un autre opérateur économique ne se serait pas vu infliger d’amende, alors même que le juge communautaire n’est pas saisi de la situation de ce dernier (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307, point 197, et arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T‑77/92, Rec. p. II‑549, point 86).

142    Par conséquent, l’argumentation de la requérante tirée de ce que d’autres entreprises, placées dans une situation prétendument similaire, ne se sont pas vu infliger d’amende doit être rejetée.

 Sur la demande de réduction du montant de l’amende

 Arguments des parties

143    La requérante indique, en premier lieu, que la brièveté de la durée de l’infraction doit entraîner une modération du montant de l’amende.

144    Lors de l’audience, la requérante a indiqué que la minoration de 20 000 euros, intervenue à la suite de la décision rectificative du 9 avril 2003, n’était ni motivée ni suffisante.

145    La requérante prétend, en second lieu, que la Commission a violé les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement à l’occasion de la fixation du montant de l’amende qui lui a été infligée.

146    À cet égard, elle énonce les différences qui permettent de la distinguer des autres opérateurs destinataires de la Décision, à savoir l’existence d’un comportement dynamique sur le marché en cause, reconnu par la Commission et par un autre opérateur, une adhésion tardive à la VFIG, en juillet 1994, qui explique qu’elle n’a pas assisté aux treize réunions de cette association qui se sont tenues entre 1989 et septembre 1994, une opposition déclarée aux accords anticoncurrentiels lors des réunions des 14 octobre et 18 novembre 1994, une absence de participation aux réunions collusoires qui se sont tenues, après novembre 1994, à Breda et à Barendrecht entre les grands opérateurs du marché, une part de marché faible de 1,5 %, les autres opérateurs pesant au moins deux fois plus qu’elle, la brièveté de la période d’implication dans les comportements prohibés et une absence de participation aux accords portant sur des conditions contractuelles autres que les prix.

147    Compte tenu de ces différences, et eu égard au pourcentage des chiffres d’affaires dans le secteur des gaz industriels, la requérante serait sanctionnée plus lourdement que les autres entreprises visées par la Décision.

148    La requérante affirme que, si les amendes sont fixées par rapport au chiffre d’affaires total des entreprises du secteur des gaz industriels aux Pays-Bas en 1996, le résultat final est disproportionné. Ainsi, l’amende infligée à la requérante représenterait 13,6 % de son chiffre d’affaires, contre seulement 2,2 % pour Hoek Loos et 7,5 % pour AGA. Si les amendes sont bien fixées en fonction du chiffre d’affaires, établi pour l’année 1996 sur le marché des gaz industriels aux Pays-Bas, il apparaîtrait, en outre, que l’amende infligée à la requérante serait comparable en proportion à celles infligées aux autres entreprises alors que la participation de la requérante à l’entente ne saurait, en aucune manière, être comparée à celle des autres entreprises. La requérante relève encore que l’amende infligée à AGA est environ neuf fois plus élevée que celle qui lui a été imposée alors que la part de marché d’AGA (27,4 %) est 18 fois plus importante que la sienne (1,5 %).

149    Ces chiffres montrent, selon la requérante, que les opérateurs qui jouent le rôle le plus important dans l’entente et qui possèdent la plus grosse capacité de nuire à la concurrence sur le marché en cause se sont vu infliger, toutes proportions gardées, les amendes les plus légères. La requérante, qui n’aurait joué aucun rôle, sinon un rôle extrêmement limité, et qui détiendrait une très faible part de marché serait plus sévèrement sanctionnée que les meneurs de l’entente.

150    Après avoir rappelé qu’elle dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour la fixation du montant des amendes dans les affaires relatives à des ententes, la Commission soutient que le montant de l’amende infligée à la requérante est pleinement approprié et conteste toute violation du principe d’égalité de traitement.

 Appréciation du Tribunal

151    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, lors de la détermination du montant de chaque amende, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation et n’est pas tenue d’appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C‑283/98 P, Rec. p. I‑9855, point 47 ; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 268). Son appréciation doit toutefois être effectuée dans le respect du droit communautaire, lequel inclut non seulement les dispositions du traité, mais aussi les principes généraux du droit (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 38).

152    À cet égard, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du 28 juin 1990, Hoche, C‑174/89, Rec. p. I‑2681, point 25 ; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309).

153    Il importe également de relever que l’appréciation du caractère proportionné de l’amende infligée par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction, critères visés à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, relève du contrôle de pleine juridiction confié au Tribunal en vertu de l’article 17 du même règlement.

154    En l’espèce, il est constant que la Commission a déterminé le montant de l’amende infligée à la requérante conformément à la méthode générale qu’elle s’est imposée dans ses lignes directrices.

155    Les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. À titre de remarque générale, la Commission, au point 5, sous a), des lignes directrices, précise également que « le résultat final du calcul de l’amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d’aggravation et d’atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ». Par conséquent, les lignes directrices ne vont pas au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette dernière disposition (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 75 supra, points 250 et 252).

 Sur la durée de l’infraction

156    En ce qui concerne le facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu au titre de la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tiret).

157    Si une majoration pouvant aller jusqu’à 50 % est donc prévue pour les infractions de moyenne durée, le point 1 B des lignes directrices ne prévoit pas une majoration automatique d’un certain pourcentage par an mais laisse, à cet égard, une marge d’appréciation à la Commission (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 134).

158    Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, la Commission a initialement considéré, de manière erronée, que la durée de l’infraction commise par la requérante était comprise entre mars 1994 et décembre 1995, ce qui l’avait amenée à qualifier ladite infraction de moyenne durée (considérant 434 de la Décision).

159    La modification de la Décision intervenue le 9 avril 2003 a permis de rectifier l’article 1er de celle-ci quant à la durée de l’infraction reprochée à la requérante. La Commission explique clairement dans sa décision rectificative que le montant de départ de l’amende de 0,45 million d’euros avait été initialement augmenté de 15 % au titre de la durée, augmentation ramenée à 10 % compte tenu du report du point de départ de l’infraction à octobre 1994.

160    La durée de l’infraction commise par la requérante étant dorénavant, et à juste titre, comprise entre octobre 1994 et décembre 1995, soit un peu plus d’une année, la qualification de moyenne durée de ladite infraction demeure appropriée et c’est donc à bon droit que la Commission a procédé, en application des lignes directrices, à une majoration de 10 %. La requérante n’a fourni aucun élément permettant de considérer que la Commission a commis, à cet égard, une erreur d’appréciation et que la majoration effectuée aurait dû être inférieure à 10 %.

161    Il s’ensuit que le grief tiré du caractère prétendument non motivé et de l’insuffisance de la minoration du montant de l’amende effectuée par la Commission dans sa décision rectificative doit être écarté.

 Sur le caractère prétendument discriminatoire et/ou disproportionné de l’amende infligée à la requérante

162    Il convient de relever que, pour la fixation du montant de départ des amendes, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission a considéré que, nonobstant le fait que les entreprises concernées avaient participé à un cartel sur les prix, ladite infraction devait être qualifiée seulement de grave, eu égard à la portée géographique limitée du marché et au fait que le secteur en cause était d’une importance économique moyenne (considérants 423 et 428 de la Décision).

163    Afin de tenir compte de l’importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans le cartel, et donc de son impact réel sur la concurrence, la Commission a regroupé les entreprises concernées en quatre catégories, en fonction de leur importance relative sur le marché concerné. À cet effet, la Commission a estimé approprié de prendre le chiffre d’affaires réalisé, en 1996, sur le marché concerné comme base de comparaison de l’importance relative des entreprises sur ledit marché (considérants 429 à 432 de la Décision).

164    En conséquence, Hoek Loos et AGA Gas, considérées comme étant les deux principaux opérateurs sur le marché concerné, ont été classées dans la première catégorie. Air Products et Air Liquide, qui sont des opérateurs moyens sur ce marché, ont été placées dans la deuxième catégorie. Messer et BOC, dont l’importance sur le marché en cause est qualifiée de « bien moindre », ont été regroupées dans la troisième catégorie. Dans la quatrième catégorie, figure la requérante, qui détenait une part extrêmement faible de ce marché (considérant 431 de la Décision).

165    Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ identique de 10 millions d’euros pour Hoek Loos et AGA Gas, contre 2,6 millions d’euros pour Air Products et Air Liquide, 1,2 million d’euros pour Messer et BOC et 0,45 million d’euros pour la requérante.

166    S’agissant de la durée de l’infraction, la Commission a estimé que l’infraction a été de durée moyenne (de un à quatre ans) pour chaque entreprise concernée, Hoek Loos, AGA Gas, Air Products, Air Liquide et Messer ayant enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE de septembre 1993 à décembre 1997, BOC de juin 1994 à décembre 1995 et la requérante d’octobre 1994 à décembre 1995, après la rectification de la Décision intervenue le 9 avril 2003. Initialement majoré de 15 %, le montant de départ retenu à l’égard de la requérante a finalement été majoré de 10 % au titre de la durée, selon le considérant 9 de la décision du 9 avril 2003.

167    Le montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, a donc été fixé, tant en ce qui concerne Hoek Loos que l’entreprise AGA Gas, à 14 millions d’euros, contre 3,64 millions d’euros pour Air Products et Air Liquide, 1,68 million d’euros pour Messer, 1,38 million d’euros pour BOC et 0,51 puis, après rectification, 0,49 million d’euros pour la requérante.

168    La Commission a estimé que la requérante n’avait joué qu’un rôle passif dans les infractions et qu’elle n’avait pas pris part à tous leurs aspects et que ces circonstances atténuantes justifiaient une réduction de 15 % du montant de base de l’amende imposée, ce dernier étant ramené à 0,43 million d’euros (considérant 442 de la Décision) puis à 0,41 million d’euros à la suite de la décision rectificative du 9 avril 2003.

169    En revanche, la requérante n’a bénéficié d’aucune réduction au titre de la communication sur la coopération.

170    Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission a pleinement pris en considération les particularités de la situation de la requérante, qui la différencient des autres entreprises destinataires de la Décision, qu’il s’agisse de la durée de la période infractionnelle, du rôle passif de la requérante et de sa faible part de marché, et qui expliquent que cette dernière se soit vu infliger la plus faible des amendes imposées par la Commission dans la Décision.

171    L’allégation d’une situation différente de celle des autres entreprises impliquées dans le cartel, tenant à une prétendue opposition déclarée aux accords anticoncurrentiels, en lien avec l’existence d’un comportement dynamique sur le marché en cause, ne relève pas de la discussion sur la fixation du montant de l’amende, mais de celle sur l’existence de l’infraction.

172    La requérante prétend, cependant, que le montant final de l’amende infligée n’est pas proportionnel à sa faible part de marché et à son chiffre d’affaires tant mondial que sur le marché concerné et qu’elle a été, ainsi, plus lourdement sanctionnée que des entreprises de taille plus importante ayant joué un rôle de meneur dans l’entente.

173    Il convient, tout d’abord, de rappeler que la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en cause, d’assurer, au cas où des amendes sont infligées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différenciation parmi celles-ci quant à leur chiffre d’affaires global ou leur chiffre d’affaires pertinent (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 75 supra, point 312).

174    Il convient, ensuite, de préciser que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n’exige pas non plus que, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, le montant de l’amende infligée à une entreprise de petite ou de moyenne taille ne soit pas supérieur, en pourcentage du chiffre d’affaires, à celui des amendes infligées aux entreprises plus grandes. En effet, il ressort de cette disposition que, tant pour les entreprises de petite ou de moyenne taille que pour les entreprises de taille supérieure, il y a lieu de prendre en considération, pour déterminer le montant de l’amende, la gravité et la durée de l’infraction. Dans la mesure où la Commission impose, aux entreprises impliquées dans une même infraction, des amendes justifiées, pour chacune d’elles, par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction, il ne saurait lui être reproché que, pour certaines d’entre elles, le montant de l’amende soit supérieur, par rapport au chiffre d’affaires, à celui d’autres entreprises (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Dansk Rørindustri/Commission, T‑21/99, Rec. p. II‑1681, point 203).

175    À cet égard, il y a lieu de relever que le montant final des amendes n’est que le résultat, en l’espèce, d’une série d’appréciations chiffrées effectuées par la Commission conformément aux lignes directrices et, le cas échéant, à la communication sur la coopération.

176    Or, les appréciations de la Commission quant à la durée de l’infraction, aux circonstances aggravantes ou atténuantes et au degré de collaboration d’une entreprise impliquée dans un cartel sont liées au comportement individuel de l’entreprise en cause et non à sa part de marché ou à son chiffre d’affaires.

177    Dans ces conditions, le montant final de l’amende ne constitue pas, a priori, un élément approprié pour déterminer un éventuel défaut de proportionnalité de l’amende par rapport à l’importance des entreprises impliquées dans l’entente.

178    En revanche, le montant de départ de l’amende constitue, en l’espèce, un élément pertinent pour apprécier un éventuel défaut de proportionnalité de l’amende, au regard de l’importance des participants à l’entente.

179    Dans la Décision, la Commission a fixé le montant de départ de l’amende, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, à 0,45 million d’euros pour la requérante.

180    Ainsi qu’il a été exposé, la Commission a, dans la Décision et afin de tenir compte de l’importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans le cartel, et donc de son impact réel sur la concurrence, classé les entreprises concernées en quatre catégories, en fonction précisément de leur importance relative sur le marché concerné. La requérante a été classée dans la dernière catégorie.

181    À cet égard, la Commission s’est référée aux indications chiffrées de la troisième colonne du tableau n° 1 figurant au considérant 75 de la Décision :

Entreprises

Chiffre d’affaires total

des destinataires de la décision en 2001 (en euros)

Chiffre d’affaires pour le secteur des gaz en bouteilles et des gaz liquides aux Pays‑Bas (en euros) et parts de marché estimées pour 1996

Hoek Loos [NV]

470 648 000

71 400 000 (39,7 %)

AGA Gas BV 1

55 479 000 2

49 200 000 (27,4 %)

[Air Products]

110 044 000

18 600 000 (10,4 %)

Air Liquide BV

60 720 000

12 900 000 ( 7,2 %)

[Messer]

11 275 000

8 200 000 ( 4,4 %)

[BOC]

6 690 905 000

6 800 000 ( 3,8 %)

Westfalen]

5 455 000

2 600 000 ( 1,5 %)

1À la suite de la liquidation d’AGA Gas BV en 2000/2001, AGA AB a accepté d’assumer la responsabilité des actes de cette dernière, et c’est donc à elle que la décision est adressée.

2 2000 est le dernier exercice complet pour lequel des données sur le chiffre d’affaires sont disponibles pour AGA Gas BV.

182    Il suffit de constater que la requérante détenait pour l’année de référence le chiffre d’affaires sur le marché concerné et la part de marché les moins importants de toutes les entreprises destinataires de la Décision, ce qui explique et justifie son classement dans la dernière catégorie et le fait que le montant de départ soit le plus faible de tous ceux retenus par la Commission à l’égard desdites entreprises. Le montant de départ retenu pour la requérante est donc objectivement différencié par rapport à ceux retenus pour les autres entreprises.

183    Par ailleurs, les rapports entre les chiffres d’affaires sur le marché affecté des entreprises visées dans le tableau n° 1 de la Décision et les montants de départ des amendes retenus par la Commission pour chacune d’elles ne révèlent aucun traitement disproportionné de la requérante, puisque les montants de départ des amendes représentent 17,3 % du chiffre d’affaires sur le marché en cause pour la requérante contre 14 % pour Hoek Loos, 20,3 % pour AGA Gas, 13,98 % pour Air Product, 20,2 % pour Air Liquide, 14,6 % pour Messer, 17,6 % pour BOC.

184    Dans sa requête, la requérante affirme que, si les amendes sont bien fixées en fonction du chiffre d’affaires, établi pour l’année 1996, sur le marché des gaz industriels aux Pays-Bas, l’amende qui lui a été infligée serait comparable en proportion à celles infligées aux autres entreprises alors que sa participation à l’entente ne saurait, en aucune manière, être comparée à celle des autres entreprises. À cet égard, il suffit de rappeler que la moindre importance du rôle joué par la requérante dans l’infraction par rapport à celui des autres entreprises a été pris en compte par la Commission en tant que circonstance atténuante, afin de diminuer le montant de l’amende à infliger à celle-ci.

185    Il apparaît ainsi que la requérante ne peut valablement conclure à une disproportion du montant de l’amende infligée, étant donné que le point de départ de son amende est justifié à la lumière du critère retenu par la Commission pour l’appréciation de l’importance de chacune des entreprises sur le marché pertinent (voir, en ce sens, arrêt LR AF 1998/Commission, point 71 supra, point 304).

186    Cette dernière conclusion fonde également le rejet de l’argument de la requérante tiré de la comparaison avec Hoek Loos et AGA au regard de la relation entre le montant final de l’amende et le chiffre d’affaires mondial, ce dernier n’ayant pas été pris en compte par la Commission pour apprécier la gravité de l’infraction et déterminer les montants de départ du calcul des amendes.

187    Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas rapporté la preuve du caractère prétendument discriminatoire et/ou disproportionné de l’amende infligée et que le montant final de celle-ci apparaît pleinement approprié.

 Sur la demande d’audition de M. van den Heuij

188    La requérante demande, dans la réplique, que le Tribunal entende, sous serment, M. van den Heuij. Lors de l’audience, la requérante a précisé que cette demande était fondée sur l’article 48 du règlement de procédure relatif aux offres de preuve.

189    Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 44, paragraphe 1, sous e), du règlement de procédure et de l’article 48, paragraphe 1, dudit règlement, la requête doit contenir les offres de preuve, s’il y a lieu, et que les parties peuvent encore faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique, à condition de justifier du retard apporté à la présentation de leurs offres de preuve. Ainsi, la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve fournies à la suite d’une preuve contraire de la partie adverse dans son mémoire en défense ne sont pas visées par la règle de forclusion prévue à l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure. En effet, cette disposition concerne les offres de preuves nouvelles et doit être lue à la lumière de l’article 66, paragraphe 2, dudit règlement qui prévoit expressément que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées (arrêt Baustahlgewebe/Commission, point 74 supra, points 71 et 72).

190    En l’espèce, il suffit de constater qu’il ressort du dossier que les éléments de preuve invoqués par la Commission dans son mémoire en défense étaient déjà mentionnés dans la Décision ainsi que dans la communication des griefs ou annexés à celle-ci.

191    Par conséquent, la demande d’audition de M. van den Heuij ne saurait être considérée comme une offre de preuve contraire, non soumise à la règle de forclusion prévue à l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, la requérante ayant été en mesure de présenter cette offre de preuve dans sa requête devant le Tribunal. L’offre d’audition du témoin formulée dans la réplique doit donc être considérée comme tardive et, dès lors, refusée au motif que la requérante n’a pas justifié le retard apporté à sa présentation.

 Sur les dépens

192    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

193    Il y a lieu de relever, en l’espèce, que la modification de la Décision intervenue le 9 avril 2003 a permis de rectifier l’article 1er de celle-ci quant à la durée de l’infraction reprochée à la requérante, la Commission reconnaissant par là même le bien-fondé du grief soulevé par la requérante dans sa requête concernant le point de départ de la période infractionnelle initialement retenue, à savoir mars 1994.

194    Compte tenu de cette circonstance et du rejet du recours intervenu, il y a lieu de décider que la requérante supportera ses propres dépens ainsi que les trois quarts de ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Westfalen Gassen Nederland BV est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que les trois quarts de ceux exposés par la Commission. La Commission supportera un quart de ses dépens.

Vilaras

Dehousse

Šváby

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 décembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Vilaras



Table des matières




* Langue de procédure : le néerlandais.