Language of document : ECLI:EU:T:2020:13

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

29 janvier 2020 (*)

« Fonction publique – Grève des interprètes – Mesures de réquisition des interprètes adoptées par le Parlement européen – Défaut de base légale – Responsabilité – Préjudice moral »

Dans l’affaire T‑402/18,

Roberto Aquino, demeurant à Bruxelles (Belgique), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Me L. Levi, avocate,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par MM. O. Caisou-Rousseau, T. Lazian et Mme E. Taneva, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et R. Meyer, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 2 juillet 2018 du directeur général du personnel du Parlement portant réquisition d’interprètes et d’interprètes de conférence pour le 3 juillet 2018 ainsi que des décisions ultérieures du directeur général du personnel du Parlement portant réquisition d’interprètes et d’interprètes de conférence pour les 4, 5, 10 et 11 juillet 2018 et, d’autre part, à la réparation du préjudice moral évalué ex æquo et bono à 1 000 euros par personne que les requérants auraient prétendument subi du fait de ces décisions,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),

composé de MM. M. van der Woude, président, S. Papasavvas (rapporteur), D. Spielmann, Z. Csehi et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 9 octobre 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige 

1        Les requérants, M. Roberto Aquino et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, sont interprètes et interprètes de conférence au Parlement européen.

2        Le 14 juillet 2017, une décision modifiant les conditions de travail des interprètes et des interprètes de conférence a été adoptée par le secrétaire général du Parlement.

3        Cette décision a été mise en œuvre dans les programmes de travail des interprètes et a entraîné le dépôt, en octobre 2017, d’un préavis de grève à titre conservatoire par le comité intersyndical (ci-après le « COMI ») auquel appartient notamment le Syndicat des fonctionnaires internationaux et européens ‑ Section du Parlement européen (SFIE‑PE). Néanmoins, à la suite de la reprise des discussions avec le secrétaire général du Parlement, le préavis de grève a été retiré.

4        Le 28 mai 2018, le COMI a déposé un nouveau préavis de grève à titre conservatoire couvrant la période du 5 juin au 20 juillet 2018.

5        Les 5 et 7 juin 2018, le COMI a communiqué à l’ensemble du personnel du Parlement, d’une part, et au président du Parlement, d’autre part, les modalités d’action envisagées jusqu’au 14 juin 2018.

6        Le 8 juin 2018, le directeur général du personnel du Parlement a, d’une part, fait parvenir au COMI un tableau présentant le nombre d’interprètes à réquisitionner pour la période allant du 12 au 14 juin 2018 et, d’autre part, demandé à ce dernier de lui faire parvenir les commentaires éventuels des organisations syndicales ou professionnelles (ci-après les « OSP ») du personnel de l’institution sur cette liste avant le 11 juin 2018 à 14 heures.

7        Les 9 et 11 juin 2018, le COMI a transmis ses observations au directeur général du personnel du Parlement.

8        Par une décision du 11 juin 2018, le directeur général du personnel du Parlement a réquisitionné des interprètes et des interprètes de conférence pour la période allant du 12 au 14 juin 2018.

9        Des procédures similaires ont été conduites pour les périodes du 18 au 22 juin 2018 et du 25 au 27 juin 2018 et ont donné lieu à des décisions portant réquisition d’interprètes et d’interprètes de conférence pour ces mêmes périodes.

10      Le 25 juin 2018, le COMI a informé le président du Parlement que le préavis de grève était prorogé jusqu’au 14 septembre 2018.

11      Le 27 juin 2018, le directeur général du personnel du Parlement a demandé au COMI de lui faire parvenir ses observations sur le schéma des réquisitions envisagées pour la période allant du 3 au 5 juillet 2018, au plus tard le 29 juin 2018 à midi.

12      Le 29 juin 2018, le COMI a fait parvenir ses commentaires au président du Parlement et au directeur général du personnel du Parlement.

13      Le 2 juillet 2018, le directeur général du personnel du Parlement a informé le COMI que les réquisitions nécessaires au bon déroulement des travaux parlementaires allaient être effectuées et qu’une copie des décisions portant réquisition d’interprètes et d’interprètes de conférence pour la période allant du 3 au 5 juillet 2018 lui serait envoyée.

14      Par une décision du 2 juillet 2018, le directeur général du personnel du Parlement a réquisitionné des interprètes et des interprètes de conférence, au nombre desquels figuraient certains des requérants, pour le 3 juillet 2018 (ci-après la « décision du 2 juillet 2018 »).

 Procédure

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 juillet 2018, les requérants ont introduit le présent recours.

16      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérants ont introduit une demande en référé. Par ordonnance du 4 juillet 2018, Aquino e.a./Parlement (T‑402/18 R, non publiée, EU:T:2018:404), cette demande a été rejetée et les dépens ont été réservés.

17      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 juillet 2018, les requérants ont, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, déposé un mémoire en adaptation de la requête pour tenir compte de l’adoption de trois décisions les 3, 4 et 7 juillet 2018 par lesquelles le directeur général du personnel du Parlement a réquisitionné des interprètes et des interprètes de conférence pour les 4, 5, 10 et 11 juillet 2018 (ci-après les « décisions postérieures à l’introduction du recours »).

18      Par lettre du greffier du 30 juillet 2018, les requérants ont été informés que, en vertu de l’article 91, paragraphe 4, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), la procédure au principal était suspendue jusqu’au moment de l’adoption d’une décision explicite ou implicite de rejet de leur réclamation introduite le 3 juillet 2018.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 octobre 2018, le Conseil de l’Union européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Parlement.

20      Par lettre du 7 novembre 2018, les requérants ont informé le Tribunal que, par une décision du 5 novembre 2018, le Parlement avait rejeté leur réclamation.

21      Par lettre du greffier du 15 novembre 2018, les requérants ont été informés de la reprise de la procédure.

22      Le Parlement a déposé un mémoire en défense le 22 janvier 2019.

23      Par décision du 24 janvier 2019, le président de la sixième chambre du Tribunal a admis l’intervention du Conseil.

24      Le Conseil a déposé son mémoire en intervention le 18 mars 2019 et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

25      Le 25 mars 2019, sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre), dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a invité les requérants à produire la liste des interprètes et des interprètes de conférence réquisitionnés pour le 3 juillet 2018. Les requérants ont déféré à cette mesure dans le délai imparti.

26      Les requérants ont déposé une réplique le 1er avril 2019.

27      Par courrier déposé au greffe du Tribunal le 3 avril 2019, Mmes Cécile Dupont, Françoise Joostens, Agnieszka Matuszek, Joanna Trzcielinska Inan et M. Frank van den Boogaard se sont désistés de leur requête (ci-après le « désistement partiel »). Par actes déposés au greffe du Tribunal le 5 avril 2019, le Parlement et le Conseil ont déposé des observations sur le désistement partiel. Par ordonnance du 30 avril 2019, le président de la sixième chambre du Tribunal a rayé les noms desdites personnes de la liste des requérants et a statué sur les dépens afférents au désistement partiel.

28      Le Parlement a déposé une duplique le 10 mai 2019, date à laquelle la phase écrite de la procédure a été clôturée.

29      Un membre de la sixième chambre ayant été empêché de siéger, le président de cette chambre a désigné un autre juge pour compléter la chambre.

30      Sur proposition de la sixième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

31      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé des questions aux parties et a invité, d’une part, le Parlement à lui fournir la décision par laquelle il avait déterminé les autorités qui exerçaient en son sein les pouvoirs dévolus par le statut à l’autorité investie du pouvoir de nomination et, d’autre part, les requérants à produire l’« accord ad hoc de janvier 2014 » auquel ils faisaient référence dans la requête. Il a été déféré à ces demandes dans le délai imparti.

32      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 9 octobre 2019.

 Conclusions des parties

33      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du 2 juillet 2018 ainsi que les décisions postérieures à l’introduction du recours ;

–        condamner le Parlement à réparer le préjudice moral évalué ex æquo et bono à 1 000 euros par personne ;

–        condamner le Parlement à l’ensemble des dépens.

34      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable et comme partiellement non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

35      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable et comme partiellement non fondé ;

–        statuer comme de droit sur les dépens.

 En droit

 Sur les conclusions aux fins d’annulation

 Sur la recevabilité

–       Sur la recevabilité du recours en tant qu’il est dirigé contre les décisions postérieures à l’introduction du recours

36      Le Parlement fait valoir que les requérants ne sauraient se fonder sur l’article 86 du règlement de procédure pour demander l’annulation des décisions postérieures à l’introduction du recours dans la mesure où ces dernières ne visent pas à remplacer ou à modifier la décision du 2 juillet 2018. Il soutient que les décisions postérieures à l’introduction du recours, nonobstant la grande probabilité de leur adoption, ne peuvent pas faire l’objet du présent recours étant donné qu’elles ne produisaient pas d’effets juridiques au moment de l’introduction dudit recours. Il ajoute, à titre surabondant, que les requérants auraient dû respecter la procédure précontentieuse prévue à l’article 90, paragraphe 2, du statut avant de demander l’annulation des décisions postérieures à l’introduction du recours.

37      Les requérants se prévalent de circonstances exceptionnelles et soutiennent, en substance, que, compte tenu de l’adoption extrêmement tardive des mesures de réquisition, ils sont recevables à demander l’annulation des décisions postérieures à l’introduction du recours. Ils ajoutent que, s’il est exact que ces décisions n’avaient pas été adoptées à la date d’introduction du recours, leur adoption était néanmoins certaine. Selon eux, les obliger à soumettre au juge autant de recours que de décisions adoptées serait manifestement disproportionné, déraisonnable, contraire à une bonne administration de la justice et méconnaîtrait le droit au recours effectif prévu par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Ils précisent qu’ils ont respecté la procédure précontentieuse prévue à l’article 90, paragraphe 2, du statut.

38      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, le Tribunal ne peut être valablement saisi que d’une demande tendant à l’annulation d’un acte existant et faisant grief (arrêt du 16 septembre 2013, Bank Kargoshaei e.a./Conseil, T‑8/11, non publié, EU:T:2013:470, point 47).

39      En l’espèce, force est de constater que, dans la requête, les requérants ont indiqué demander l’annulation des « décisions futures portant réquisition de personnel pour les 4, 5, 10 et 11 juillet 2018 ». Or, en application de la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus, de telles conclusions, qui tendent à ce que le Tribunal se prononce sur la légalité d’actes hypothétiques non encore adoptés, sont irrecevables et ne peuvent être que rejetées (ordonnance du 27 février 2019, SFIE-PE/Parlement, T‑401/18, non publiée, EU:T:2019:132, point 30). Si les requérants font valoir que, à la date du 27 juin 2018, lesdites décisions étaient certaines tant dans leur existence que dans leur contenu, ils reconnaissent qu’il ne saurait être exclu que certains interprètes, qui devaient être initialement réquisitionnés, aient dû être remplacés au dernier moment, pour cause de maladie notamment.

40      Les autres arguments avancés par les requérants, tels que rappelés au point 37 ci-dessus, ne permettent pas de remettre en cause une telle conclusion.

41      S’agissant, premièrement, de la violation alléguée de l’article 47 de la Charte, il convient de rappeler que cet article n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union européenne, ainsi qu’il découle également des explications afférentes à cet article 47, lesquelles doivent, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci (voir arrêt du 4 juin 2015, Andechser Molkerei Scheitz/Commission, C‑682/13 P, non publié, EU:C:2015:356, point 29 et jurisprudence citée).

42      En outre, il y a lieu de relever que l’adoption prétendument tardive des décisions postérieures à l’introduction du recours n’a pas privé les requérants de la possibilité d’introduire, dans les conditions prévues par l’article 270 TFUE, un recours en annulation contre ces décisions à la suite de leur adoption. Le droit au recours effectif des requérants n’a donc, en tout état de cause, pas été méconnu.

43      S’agissant, deuxièmement, du mémoire en adaptation produit par les requérants le 17 juillet 2018, celui-ci mentionne que les décisions qui étaient encore futures lors de l’introduction du présent recours ont été effectivement adoptées. Les requérants estiment que ce mémoire en adaptation rend sans objet le présent motif d’irrecevabilité.

44      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, « [l]orsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, le requérant peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau ».

45      Or, force est de constater que les décisions postérieures à l’introduction du recours ne sauraient être regardées comme remplaçant ou modifiant la décision du 2 juillet 2018 ou les décisions futures dont l’annulation était demandée dans la requête. D’une part, il est constant que les décisions postérieures à l’introduction du recours n’ont pas vocation à remplacer ou modifier la décision du 2 juillet 2018, laquelle ne porte pas sur les mêmes jours et s’adresse à des destinataires différents. D’autre part, s’agissant des décisions futures dont l’annulation était demandée dans la requête et contrairement à ce que font valoir les requérants, l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure n’a pas vocation à rendre recevable un recours dirigé contre des décisions qui n’avaient pas encore été adoptées à la date de son introduction. Il résulte de ce qui précède que le mémoire en adaptation de la requête présenté par les requérants ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure.

46      Dans ces conditions, le présent recours est irrecevable en tant qu’il est dirigé contre les décisions postérieures à l’introduction du recours.

–       Sur la qualité pour agir de certains requérants

47      En réponse à une mesure d’organisation de la procédure ordonnée par le Tribunal, le Parlement fait valoir que, sur les 31 requérants ayant déposé le présent recours, seuls huit ont été destinataires de la décision du 2 juillet 2018. Il en conclut que les autres requérants, réquisitionnés par les décisions postérieures à l’introduction du recours, n’ont pas qualité pour demander l’annulation de la décision du 2 juillet 2018 dont ils ne sont pas destinataires.

48      Les requérants ont soutenu, lors de l’audience, que ceux qui n’avaient pas été destinataires de la décision du 2 juillet 2018 étaient néanmoins individuellement concernés par le présent recours étant donné qu’ils constituaient une catégorie suffisamment identifiée au sein de la population du Parlement au sens de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223), qu’ils étaient visés par le préavis de grève déposé fin mai 2018 ainsi que par l’ensemble des communications intersyndicales et qu’ils avaient été associés, par le biais de leurs représentants du personnel au sein du COMI, au processus ayant conduit à la préparation de la décision du 2 juillet 2018.

49      À cet égard, il importe de rappeler que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223 ; voir arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, EU:C:2004:240, point 36 et jurisprudence citée).

50      En l’espèce, il suffit de noter que la décision du 2 juillet 2018, qui est une décision individuelle dont les destinataires, au sens de l’article 263 TFUE, sont les interprètes faisant l’objet de la réquisition (ordonnance du 27 février 2019, SFIE-PE/Parlement, T‑401/18, non publiée, EU:T:2019:132, point 42), n’a pas atteint les requérants qu’elle n’a pas réquisitionnés étant donné qu’elle n’a pris aucune mesure à leur égard et que leur situation personnelle n’a pas été affectée. Par suite, les requérants qui n’ont pas été destinataires de la décision du 2 juillet 2018 ne sont pas individualisés d’une façon analogue à celle des destinataires au sens de la jurisprudence citée au point 49 ci-dessus et n’ont donc pas qualité pour demander l’annulation de ladite décision.

 Sur le fond

51      À l’appui du recours, les requérants soulèvent trois moyens. Le premier est tiré de la violation du droit de recourir à des actions collectives et du droit à l’information et à la consultation tels que consacrés par les articles 27 et 28 de la Charte et par la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne - Déclaration conjointe du Parlement européen, du Conseil et de la Commission sur la représentation des travailleurs (JO 2002, L 80, p. 29), et mis en œuvre par l’accord-cadre signé le 12 juillet 1990 entre le Parlement et les OSP (ci-après l’« accord-cadre ») ainsi que de la violation du droit à une bonne administration tel que consacré par l’article 41 de la Charte. Le deuxième est tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte et de la violation du principe de sécurité juridique et le troisième est tiré de la violation du droit à un recours effectif tel que prévu par l’article 47 de la Charte.

52      Le premier moyen se divise en deux branches. La première est tirée de la méconnaissance du droit des interprètes et des interprètes de conférence à mener des actions collectives et la seconde est tirée de la violation de la procédure de concertation et de consultation.

53      S’agissant de la première branche, les requérants font valoir que le droit de grève est un droit fondamental consacré notamment par la Charte et par la charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961, telle que révisée. Ils reconnaissent cependant qu’un tel droit n’est pas absolu, qu’il doit respecter le principe de proportionnalité et que son exercice peut faire l’objet de restrictions. Ils estiment que ni l’article 55 du statut, qui ne vise pas le service minimal en cas de grève, ni l’accord-cadre, ni la décision du 2 juillet 2018 ne sauraient faire office de loi au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, autorisant les limitations au droit de grève. Ils affirment qu’il est communément admis que le droit de faire grève dans le service public doit être mis en équilibre avec le besoin de garantir les services essentiels. Ils font référence au comité sur la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui fait la distinction entre les services essentiels et les autres. Ils soulignent que le Parlement n’a jamais défini de règles claires et non équivoques afin de déterminer quels services pourraient s’avérer essentiels pour assurer la continuité du service. Selon les requérants, une telle définition préalable aurait permis de mettre en évidence, dans un premier temps, le caractère légitime de l’objectif poursuivi et, dans un second temps, le caractère nécessaire de la restriction. Or, en l’espèce, selon les requérants, la décision du 2 juillet 2018 ne poursuit pas un but légitime et est disproportionnée.

54      Le Parlement répond qu’il ne conteste pas le fait que le droit de grève est un droit fondamental inscrit à l’article 28 de la Charte. Il rappelle que le statut ne traite pas du droit de grève et que l’Union n’est, en principe, liée par aucun des textes juridiques émanant de l’OIT étant donné que l’Union n’en fait pas partie. Il ajoute que, contrairement à ce que font valoir les requérants, l’article 55, paragraphe 1, du statut doit être considéré comme une limitation au droit de grève prévue par la loi au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et constitue donc la disposition du statut qui peut fonder des réquisitions. Il soutient que de telles réquisitions sont justifiées dès lors que des mouvements de grève ont pour effet, et même pour objet, de perturber les travaux du Parlement en tant que législateur, autorité budgétaire et de contrôle. Ces mesures seraient donc nécessaires au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. S’agissant de la proportionnalité des réquisitions contenues dans la décision du 2 juillet 2018, le Parlement souligne que, au cours du déroulement du mouvement de grève, il a de mieux en mieux affiné le service d’interprétation minimal. Il en déduit que la décision du 2 juillet 2018 n’est pas sérieusement contestable du point de vue de la proportionnalité.

55      Le Conseil considère que le statut contient plusieurs dispositions pouvant fonder les réquisitions contenues dans la décision du 2 juillet 2018. Ainsi en est-il du devoir de loyauté du fonctionnaire prévu par l’article 11, premier alinéa, du statut, selon lequel le fonctionnaire remplit les fonctions qui lui sont confiées de manière objective et impartiale dans le respect de son devoir de loyauté envers l’Union. De même, l’article 21, premier alinéa, du statut, aux termes duquel le fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est tenu d’assister et de conseiller ses supérieurs et est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées, aurait pu servir de base à la décision du 2 juillet 2018. Le Conseil cite également l’article 55, paragraphe 1, du statut qui prévoit que les fonctionnaires en activité sont, à tout moment, à la disposition de leur institution. Enfin, le Conseil invoque le devoir de sollicitude tel que développé par la jurisprudence.

56      À cet égard, il ressort de l’article 28 de la Charte que les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris à la grève.

57      Ces dispositions sont susceptibles de s’appliquer dans les rapports entre les institutions de l’Union et leur personnel (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, U4U e.a./Parlement et Conseil, T‑17/14, non publié, EU:T:2016:489, point 77 ; voir arrêt du 13 décembre 2018, Haeberlen/ENISA, T‑632/16, non publié, EU:T:2018:957, point 189 et jurisprudence citée).

58      En outre, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par cette dernière doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

59      Il résulte de cet article que, pour être tenue conforme au droit de l’Union, une limitation à un droit protégé par la Charte doit, en tout état de cause, répondre à trois conditions (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 78).

60      Premièrement, la limitation doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, la mesure dont il s’agit doit avoir une base légale (voir arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 79 et jurisprudence citée).

61      Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union (arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 80).

62      Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est‑à‑dire la substance, du droit ou de la liberté en cause ne doit pas être atteint (voir arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 81 et jurisprudence citée).

63      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si la décision du 2 juillet 2018 constitue une limitation au droit de grève tel que protégé par l’article 28 de la Charte et, dans l’affirmative, si les trois conditions pour considérer une telle limitation conforme au droit de l’Union sont remplies en l’espèce.

64      Le Tribunal estime que, dans la mesure où elle restreint la possibilité pour les interprètes concernés par la mesure de réquisition de participer à la cessation collective et concertée du travail pour la défense de leurs intérêts, la décision du 2 juillet 2018 constitue une limitation dans l’exercice du droit de grève garanti par l’article 28 de la Charte. Le Parlement ne conteste d’ailleurs pas une telle conclusion, en soutenant toutefois que ladite limitation est conforme au droit de l’Union.

65      Il y a dès lors lieu d’examiner si la limitation représentée par la décision du 2 juillet 2018 répond aux conditions rappelées aux points 60 à 62 ci-dessus.

66      S’agissant de la condition tenant à ce que la limitation soit « prévue par la loi », il convient de rappeler que l’exigence que toute limitation de l’exercice du droit garanti par la Charte doit être prévue par la loi implique que la base légale doit être suffisamment claire et précise et que, en définissant elle‑même la portée de la limitation de l’exercice de ce droit, elle offre une certaine protection contre d’éventuelles atteintes arbitraires de cette administration (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, point 81).

67      En outre, selon une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir arrêt du 18 novembre 2008, Förster, C‑158/07, EU:C:2008:630, point 67 et jurisprudence citée).

68      À titre liminaire, premièrement, il convient de préciser que la décision du 2 juillet 2018 vise l’article 55 du statut, les articles 16 et 90 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA ») ainsi que l’accord-cadre.

69      L’article 16 du RAA prévoit l’application, par analogie, de l’article 55 du statut aux autres agents de l’Union. Il ne fera donc pas l’objet d’un examen distinct de celui dudit article 55. L’article 90 du RAA dispose quant à lui que, par dérogation aux dispositions du titre sur les agents contractuels, les interprètes de conférence engagés par le Parlement ou engagés par la Commission européenne pour le compte des institutions et organismes de l’Union sont soumis aux conditions prévues dans la convention du 28 juillet 1999 conclue entre le Parlement, la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne, agissant au nom des institutions, d’une part, et les associations représentatives de la profession, d’autre part. Cet article ne contient aucune disposition susceptible de servir de base légale aux mesures de réquisition en cause. Il n’est d’ailleurs invoqué par aucune des parties à l’instance.

70      Deuxièmement, il y a lieu de noter que, bien que la décision du 2 juillet 2018 vise l’article 55 du statut dans son intégralité, le Parlement précise qu’il n’a jamais été question de fonder celle-ci sur les paragraphes 2, 3 ou 4 dudit article 55, mais uniquement sur le paragraphe 1 de cet article, lequel aurait une portée autonome, indépendante des champs d’application respectifs des autres paragraphes de l’article. En tout état de cause, les paragraphes 2, 3 ou 4 de l’article 55 du statut ne prévoient pas le recours aux réquisitions de sorte qu’ils ne sauraient faire office de loi au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

71      Il convient donc d’examiner si l’article 55, paragraphe 1, du statut, d’une part, ou l’accord-cadre, d’autre part, était susceptible de constituer une base légale pour la décision du 2 juillet 2018 au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

72      En premier lieu, s’agissant de l’article 55, paragraphe 1, du statut, force est de constater d’emblée que, comme l’avait déjà relevé la jurisprudence, le statut est muet sur la question du droit de grève (arrêt du 18 mars 1975, Acton e.a./Commission, 44/74, 46/74 et 49/74, EU:C:1975:42, point 15). Ses évolutions successives n’ont pas modifié cet état de fait, ainsi que le reconnaît d’ailleurs le Parlement.

73      En outre, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 55, paragraphe 1, du statut, « [l]es fonctionnaires en activité sont à tout moment à la disposition de leur institution ». Force est de constater qu’une telle disposition, qui se trouve au chapitre 1er, relatif à la durée du travail, du titre 4 sur les conditions de travail du fonctionnaire, ne prévoit aucune limitation précise et claire de l’exercice du droit de grève, ni a fortiori n’envisage le recours à des réquisitions. Elle ne contient ainsi aucune précision quant à la portée de la limitation du droit de grève au sens de la jurisprudence citée aux points 66 et 67 ci-dessus et ne saurait donc servir de base légale aux mesures de réquisition en cause.

74      L’argument du Parlement consistant à faire valoir que l’article 55, paragraphe 1, du statut permet à l’institution de faire appel aux fonctionnaires en dehors des heures de service et de faire prévaloir l’intérêt du service sur toute considération d’horaire normal de référence ou de congé ne saurait remettre en cause cette conclusion. En effet, un tel argument ne saurait prévaloir face à la nécessité, imposée par la Charte, de ne limiter l’exercice d’un droit qu’elle garantit qu’en ayant recours à une loi suffisamment claire et précise, définissant elle‑même la portée de la limitation de l’exercice du droit en cause.

75      Il résulte de ce qui précède que les articles du statut visés par la décision du 2 juillet 2018, et plus particulièrement l’article 55, paragraphe 1, du statut, ne pouvaient servir de base légale aux réquisitions contenues dans la décision du 2 juillet 2018.

76      En deuxième lieu, s’agissant de l’accord-cadre, il convient de préciser que, aux termes de l’article 8 de cet accord, les parties s’engagent à définir, dans un protocole à annexer audit accord, une procédure de conciliation à mettre en œuvre lors d’un arrêt de travail.

77      Toutefois, il est constant que le protocole visé au point 76 ci-dessus n’a jamais été adopté. Or, aucun autre article de l’accord-cadre n’est susceptible de servir de base légale aux mesures de réquisition en cause.

78      Par conséquent, à supposer que les fonctionnaires puissent tirer des droits de la violation des dispositions régissant les relations des institutions avec les OSP, l’article 8 de l’accord-cadre ne pouvait, en l’absence d’adoption du protocole auquel il renvoie et en tout état de cause, faire office de loi au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

79      En troisième lieu, en ce qui concerne les autres dispositions citées par le Conseil, à savoir l’article 11, premier alinéa, et l’article 21, premier alinéa, du statut, il y a lieu de constater qu’elles ne sont pas visées par la décision du 2 juillet 2018 de sorte qu’elles n’auraient pu faire office de base légale. En tout état de cause, il convient de noter qu’elles n’ont pas davantage pour objet de définir la portée de la limitation de l’exercice du droit de grève au sens de la jurisprudence citée au point 66 ci-dessus.

80      Il en est de même du devoir de sollicitude, également invoqué par le Conseil, lequel, selon la jurisprudence, reflète l’équilibre des droits et des obligations réciproques dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public et implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un fonctionnaire, l’autorité prenne en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi, notamment, de celui du fonctionnaire concerné [voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2017, Arango Jaramillo e.a./BEI, T‑482/16 RENV, EU:T:2017:901, point 131 (non publié) et jurisprudence citée]. Sur ce point, il convient de noter que si, en application d’un tel principe, l’autorité publique est tenue de prendre en considération non seulement l’intérêt du fonctionnaire, mais également celui du service, elle ne saurait, pour ce faire, adopter des décisions hors de tout contexte légal. Un tel argument ne peut donc être qu’écarté.

81      Il résulte de tout ce qui précède que les mesures de réquisition en cause représentent une limitation au droit de grève qui n’était pas prévue par la loi. La décision du 2 juillet 2018 doit donc être annulée, en ce qu’elle viole ce droit fondamental, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les deux autres conditions fixées par l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, rappelées aux points 61 et 62 ci-dessus, et les autres moyens soulevés par les requérants.

 Sur les conclusions indemnitaires

82      Les requérants font valoir, en substance, que les illégalités soulevées à l’appui de leurs conclusions en annulation constituent autant de fautes qui, prises isolément ou dans leur ensemble, sont de nature à engager la responsabilité du Parlement. Ils affirment avoir souffert d’un préjudice moral en raison de ces fautes.

83      Le Parlement considère qu’il n’a commis aucune illégalité dans la procédure de réquisition des interprètes et des interprètes de conférence. Il ajoute que, alors qu’il leur appartient de prouver la réalité du dommage subi, les requérants ne précisent pas de quel dommage moral ils auraient souffert.

84      À titre liminaire, il convient de rappeler que le recours en annulation et le recours en indemnité sont des voies autonomes de recours. Les articles 90 et 91 du statut ne faisant aucune distinction entre ces deux recours, en ce qui concerne la procédure tant administrative que contentieuse, le fonctionnaire peut choisir, en raison de l’autonomie de ces voies de droit distinctes, soit l’une, soit l’autre, soit les deux conjointement, à condition de saisir le juge de l’Union dans le délai de trois mois suivant le rejet de sa réclamation (voir arrêt du 18 septembre 2018, Barroso Truta e.a./Cour de justice de l’Union européenne, T‑702/16 P, EU:T:2018:557, point 66 et jurisprudence citée).

85      Cependant, la jurisprudence a posé une exception à ce principe, lorsque l’action en indemnité comporte un lien étroit avec l’action en annulation, qui serait ou devrait être, par ailleurs, déclarée irrecevable. Ainsi, les conclusions en indemnité sont irrecevables lorsque l’action en indemnité tend exclusivement à faire réparer les conséquences de l’acte qui était visé dans l’action en annulation qui aurait pu être ou a été déclarée irrecevable (voir arrêt du 18 septembre 2018, Barroso Truta e.a./Cour de justice de l’Union européenne, T‑702/16 P, EU:T:2018:557, point 67 et jurisprudence citée).

86      En l’espèce, les requérants demandent à être indemnisés du préjudice subi du fait des illégalités commises par le Parlement par l’adoption tant de la décision du 2 juillet 2018 que des décisions postérieures à l’introduction du recours. Or, il résulte des points 38 à 46 ci-dessus que le présent recours est irrecevable en tant qu’il est dirigé contre les décisions postérieures à l’introduction du recours. Par conséquent, les présentes conclusions indemnitaires, en tant qu’elles tendent à la condamnation du Parlement à indemniser les requérants du fait des décisions postérieures à l’introduction du recours, sont irrecevables et ne peuvent être que rejetées.

87      S’agissant des conclusions indemnitaires tendant à la réparation du dommage subi du fait de la décision du 2 juillet 2018, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de cette institution et le préjudice invoqué (voir arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 64 et jurisprudence citée).

88      Par ailleurs, le contentieux en matière de fonction publique au titre de l’article 270 TFUE et des articles 90 et 91 du statut, y compris celui visant à la réparation d’un dommage causé à un fonctionnaire ou à un agent, obéit à des règles particulières et spéciales par rapport à celles découlant des principes généraux régissant la responsabilité non contractuelle de l’Union dans le cadre de l’article 268 TFUE et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En effet, il ressort notamment du statut que, à la différence de tout autre particulier, le fonctionnaire ou l’agent de l’Union est lié à l’institution ou à l’organe dont il dépend par une relation juridique d’emploi comportant un équilibre de droits et d’obligations réciproques spécifiques, qui est reflété par le devoir de sollicitude de l’institution à l’égard de l’intéressé (voir arrêt du 16 décembre 2010, Commission/Petrilli, T‑143/09 P, EU:T:2010:531, point 46 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que la seule constatation d’une illégalité est suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité de l’Union pour les dommages causés à ses fonctionnaires et agents en raison d’une violation du droit de la fonction publique de l’Union (arrêt du 12 juillet 2011, Commission/Q, T‑80/09 P, EU:T:2011:347, point 45).

89      En l’espèce, il résulte des points 72 à 81 ci-dessus que la décision du 2 juillet 2018 est illégale et doit être annulée.

90      Certes, selon une jurisprudence constante, lorsque les conclusions indemnitaires trouvent leur fondement dans l’illégalité de l’acte annulé, l’annulation prononcée par le Tribunal constitue, en elle-même, une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que la partie requérante pourrait avoir subi (voir arrêt du 18 septembre 2015, Wahlström/Frontex, T‑653/13 P, EU:T:2015:652, point 82 et jurisprudence citée).

91      Toutefois, il a été jugé que l’annulation d’un acte, lorsqu’elle est privée de tout effet utile, ne peut constituer en elle-même la réparation adéquate et suffisante de tout préjudice moral causé par l’acte annulé (arrêt du 18 septembre 2015, Wahlström/Frontex, T‑653/13 P, EU:T:2015:652, point 83).

92      Or, en l’espèce, il est constant que la décision du 2 juillet 2018 a épuisé la totalité de ses effets. Dans ces conditions, l’annulation de cette décision ne constituera pas une réparation adéquate et suffisante du préjudice moral subi par les requérants.

93      Il convient donc de déterminer si les requérants, en sus de l’illégalité mentionnée au point 89 ci-dessus qui constitue une faute de nature à engager la responsabilité du Parlement, ont démontré l’existence d’un préjudice en lien avec cette faute.

94      En l’espèce, il résulte des points 72 à 81 ci-dessus que, du fait de la décision du 2 juillet 2018, les requérants ont été réquisitionnés pour la journée du 3 juillet 2018 en l’absence de toute base légale autorisant le Parlement à procéder à de telles mesures et n’ont, en conséquence, pas pu exercer leur droit de grève durant la durée des réquisitions. En outre, ces réquisitions ont eu lieu tardivement, les requérants n’en ayant été informés que la veille au soir du jour de leur mise en œuvre. Ces circonstances, pour le moins regrettables, ont occasionné un préjudice moral en lien direct avec l’illégalité dont est entachée la décision du 2 juillet 2018.

95      Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice en condamnant le Parlement à verser à chacune des requérantes réquisitionnées par la décision du 2 juillet 2018, à savoir Mmes Barbara Carli‑Ganotis, Claudine de Seze, Maria Corina Diaconu Olszewski, Maria Provata, Irène Sevastikoglou et Benedetta Tissi, la somme de 500 euros.

 Sur les dépens

96      Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, du règlement de procédure, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

97      D’une part, le Parlement ayant succombé, il convient de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les requérantes réquisitionnées par la décision du 2 juillet 2018, y compris ceux afférents à la procédure de référé et ceux afférents à l’intervention du Conseil. D’autre part, il convient de décider que les requérants réquisitionnés par les décisions postérieures à l’introduction du recours, qui ont également succombé, supporteront leurs propres dépens.

98      En outre, aux termes de l’article 138 du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le Conseil supportera donc ses propres dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision du 2 juillet 2018 du directeur général du personnel du Parlement européen portant réquisition d’interprètes et d’interprètes de conférence pour le 3 juillet 2018 est annulée.

2)      Le Parlement est condamné à verser la somme de 500 euros chacune à Mmes Barbara CarliGanotis, Claudine de Seze, Maria Corina Diaconu Olszewski, Maria Provata, Irène Sevastikoglou et Benedetta Tissi.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Le Parlement supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les requérantes réquisitionnées par la décision du 2 juillet 2018, y compris ceux afférents à la procédure de référé et ceux afférents à l’intervention du Conseil de l’Union européenne.

5)      Les requérants réquisitionnés par les décisions postérieures à l’introduction du recours supporteront leurs propres dépens.

6)      Le Conseil supportera ses propres dépens.

Van der Woude

Papasavvas

Spielmann

Csehi

 

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 janvier 2020.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Gervasoni


*      Langue de procédure : le français.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.