Language of document : ECLI:EU:T:2001:232

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

19 septembre 2001 (1)

«Fonctionnaires - Rejet de candidature - Violation de l'avis de vacance - Erreurs manifestes d'appréciation - Discrimination - Détournement de pouvoir»

Dans l'affaire T-152/00,

E, agent temporaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Me G. Vandersanden, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Valsesia et J. Currall, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande en annulation du rejet de la candidature de la requérante au poste de chef de l'unité «Méditerranée» de la direction «Rôle international» de la direction générale «Science, recherche et développement» de la Commission et de la nomination de Mme P. à cet emploi et, d'autre part, une demande en réparation du dommage prétendument causé par ces deux décisions,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, A. Potocki et J. Pirrung, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 7 juin 2001,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

    

1.
    À partir du 4 janvier 1999, Mme E, alors agent temporaire de grade A 5 et âgée de 41 ans, a été chargée de la gestion de la nouvelle unité «Méditerranée», de la direction E «Rôle international» (ci-après la «direction E») de la direction générale «Science, recherche et développement» (DG XII) de la Commission (ci-après l'«unité XII.E.2» ou l'«unité Méditerranée»). Cette unité a été créée à compter du 1er janvier 1999 dans le cadre du lancement du cinquième programme-cadre de recherche et de développement technologique.

2.
    Le 9 février 1999, la Commission a publié l'avis de vacance d'emploi COM/R/7029/99, en vue du pourvoi du poste de chef de cette unité au niveau de la carrière A 5/A 4.

3.
    Le sommaire des avis de vacance exigeait deux qualifications minimales des agents susceptibles d'être mutés ou promus aux emplois à pourvoir:

« -    connaissances et expérience/aptitudes en relation avec les tâches à exercer;

« -    pour les emplois nécessitant des qualifications particulières: connaissances et expérience approfondies dans/en relation avec le secteur d'activité».

4.
    Le résumé des tâches afférentes au poste de chef de l'unité XII.E.2 était rédigé ainsi qu'il suit:

«Chef de l'unité 'Méditerranée‘ dans le cadre du thème 'rôle international‘. La mission principale de cette unité est d'assurer la mise en oeuvre des activités de coopération scientifique et technologique dans la zone concernée au sein du programme INCO, en coopération avec les autres services de la Commission. Elle organise et suit dans son domaine le processus de dialogue avec les pays partenaires méditerranéens.»

5.
    Les candidats au poste en cause devaient posséder les quatre qualifications spécifiques suivantes:

« -    connaissance des principales problématiques de la coopération scientifique et technologique avec les pays concernés;

-    aptitude confirmée en matière de réflexion stratégique, d'organisation et coopération;

-    expérience concernant les appels aux propositions, la négociation de contrats, l'organisation de réunions d'experts et la coordination;

- capacité confirmée de management».

6.
    Après avoir présenté sa candidature à ce poste, la requérante a passé un entretien avec un comité chargé des entretiens avec les candidats, présidé par le directeur général adjoint de la DG XII, M. H. Tent, et composé du directeur de la direction E, M. J. Gabolde, et de celui de la direction «Affaires administratives et financières» de la DG XII, M. R. Liberali. Cet entretien s'est déroulé au cours du dernier jour de la session du comité, le 27 avril 1999.

7.
    Comme il ressort de son «aide-mémoire» établi le jour même, ce comité a conclu:

«Par ordre alphabétique, MM. Forti et Goenaga [Beldarrain] et Mmes E et P. remplissent les conditions requises pour le pourvoi de l'emploi.

Il est toutefois à signaler que Mme E, au titre de ses connaissances du dossier spécifique, et Mme P., au titre de son expérience diversifiée au sein des services à la Commission, paraissent plus aptes à la fonction.»

8.
    Le 21 mai 1999, la requérante a eu un entretien avec M. J. Routti, directeur général de la DG XII et autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») compétente pour prendre la décision de nomination à l'emploi vacant.

9.
    Dans son avis n° 77/99, du 27 mai 1999, le comité consultatif des nominations (ci-après le «CCN»), a conclu, après avoir entendu M. Routti, que les candidatures de MM. Forti et Goenaga Beldarrain et de Mmes E et P. pourraient être prises en considération.

10.
    La requérante a eu un second entretien avec M. Routti, le 24 juin 1999.

11.
    M. Gabolde a décidé, à la fin de juin 1999, de réaffecter la requérante, au 1er septembre 1999, auprès du conseiller de la direction E, l'intéressée conservant l'exercice de fonctions afférentes à l'unité XII.E.2.

12.
    Dans une note de dossier portant la date manuscrite du 2 juillet 1999, M. Routti a observé:

«Parmi [les] quatre candidats, deux, de par leurs connaissances et capacité, sont d'un niveau supérieur aux autres (Mme E et Mme P.). Afin de faire un choix en toute connaissance de cause, j'ai souhaité les entendre à nouveau. Les entretiens ont eu lieu le jeudi 24 juin, en présence de mon assistant. [Ils] ont porté sur des thèmes généraux liés à la politique de la recherche, de la [politique] méditerranéenne, et de management (stratégie et planification), leur niveau de connaissances spécifiques étant acquis.

L'entretien avec Mme E a confirmé ses bonnes connaissances ainsi que ses réalisations dans le domaine (dont elle a la responsabilité depuis plusieurs années). Toutefois, sa conception du management et de la délégation des responsabilités dans l'unité, ainsi que de la répartition au sein de l'unité, des tâches relationnelles, stratégiques, et des tâches d'exécution sont plus faibles et moins structurées. Son désir de collaborer dans un but commun, que ce soit en tant que chef d'unité ou en tant que membre d'une équipe devrait être plus fort. En résumé, Mme E, comme déjà jugé par le CCN, possède les qualifications requises pour le poste et a une bonne connaissance du domaine, mais a une conception du management plus faible.

L'entretien avec Mme P. a confirmé ses bonnes connaissances générales de la politique méditerranéenne et sa capacité de gestion dans ses fonctions actuelles en tant que chef d'unité adjoint. Cela m'a été confirmé par son actuelle hiérarchie. Sa connaissance des règles spécifiques dans le domaine de la recherche est un peu limitée mais elle est bien familiarisée avec les politiques et les programmes de recherche. En résumé, Mme P., comme déjà jugé par le CCN, possède les qualifications requises pour le poste. Elle pourrait apporter son expérience prouvée en management à ce domaine en plein essor.

Conclusion

Considérant les connaissances spécifiques, l'expérience en matière de coopération, la vision stratégique, ainsi que les compétences confirmées dans des tâches demanagement, Mme P. est le candidat le plus apte et j'ai décidé de la nommer chef de l'unité 'Méditerranée‘.»

13.
    La nomination au poste litigieux de Mme P., fonctionnaire de grade A 4 alors âgée de 50 ans, est intervenue le 19 juillet 1999 et a pris effet le 1er septembre 1999.

14.
    Par note en date du 27 juillet 1999, la requérante a été informée du rejet par l'AIPN de sa candidature à ce poste.

15.
    Par note du 22 septembre 1999, M. Gabolde a demandé à M. Liberali de formaliser l'affectation de la requérante auprès du conseiller de la direction E.

16.
    Le 27 octobre 1999, la requérante a introduit une réclamation dirigée contre la décision de nomination de Mme P. et le rejet de sa candidature.

17.
    La réattribution à l'unité XII.E.2 des fonctions dont la requérante avait conservé jusque-là l'exercice a été achevée le 1er décembre 1999.

18.
    La réclamation de la requérante a été rejetée par décision du 9 mars 2000.

Procédure

19.
    Par requête déposée le 7 juin 2000, la requérante a introduit le présent recours.

20.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Il a demandé à la Commission de lui fournir la description des fonctions exercées par Mme P. du 1er janvier 1995 au 23 février 1999, terme du délai d'enregistrement des candidatures, ainsi que des précisions sur les qualifications requises pour le poste à pourvoir et sur le degré des connaissances de Mme P. dans le secteur d'activité concerné.

Conclusions des parties

21.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision portant rejet de sa candidature;

-    annuler la décision de nomination de Mme P.;

-    pour autant que de besoin, annuler la décision rejetant sa réclamation;

-    condamner la Commission à l'indemniser du préjudice moral qu'elle a subi, évalué à 150 000 euros;

-    ordonner à la Commission de produire les pièces et documents énumérés dans la requête;

    

-    entendre en qualité de témoins les personnes désignées par la requérante;

-    ordonner à la Commission de la nommer au poste litigieux;

-    condamner la Commission à l'ensemble des dépens.

22.
    Dans sa réplique, la requérante a retiré sa demande d'audition de témoins, après que la Commission eut joint à son mémoire en défense les déclarations écrites des intéressés.        

23.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

24.
    Au cours de l'audience, la requérante s'est désistée de son chef de conclusions visant à ce qu'il soit ordonné à la Commission de la nommer au poste litigieux, ce dont le Tribunal prend acte.

En droit

Sur la charge et les modalités d'administration de la preuve

    

25.
    La requérante note que les pièces produites par la Commission et l'exposé des faits par celle-ci, principalement fondé sur les déclarations a posteriori des agents impliqués dans le recrutement litigieux, ne peut en refléter objectivemment ni le déroulement ni l'objectif, à savoir la nomination d'un candidat de nationalité italienne.

         

26.
    Le Tribunal rappelle que c'est à la requérante qu'il incombe d'administrer la preuve de ses allégations, à moins qu'il ne ressorte de l'examen des moyens d'annulation un faisceau d'indices suffisamment précis, pertinents et concordants de nature à étayer les griefs soulevés et à entraîner un renversement de la présomption de validité s'attachant aux décisions attaquées (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 janvier 1992, Schönherr/CES, T-25/90, Rec. p. II-63, point 25).

Sur les conclusions en annulation

27.
    Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante articule trois moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l'avis de vacance, le deuxième,d'erreurs manifestes d'appréciation dans l'examen comparatif des mérites respectifs de la candidate nommée et de la requérante, le troisième, de la violation du principe de non-discrimination et du détournement de pouvoir.

28.
    Avant d'entreprendre l'examen de ces moyens, le Tribunal rappelle que, en vue de contrôler si l'AIPN n'a pas dépassé les limites du cadre légal que constitue l'avis de vacance, il lui appartient d'examiner les conditions requises pour le pourvoi du poste vacant et de vérifier ensuite si le candidat retenu satisfaisait effectivement à ces conditions.

29.
    Un tel examen doit cependant se limiter à la question de savoir si, eu égard aux considérations qui ont pu conduire l'administration à son appréciation, celle-ci s'est tenue dans des limites raisonnables et n'a pas usé de son pouvoir de manière manifestement erronée. À cet égard, le Tribunal ne peut substituer son appréciation des qualifications du candidat nommé à celle de l'AIPN (arrêt du Tribunal du 12 mai 1998, Wenk/Commission, T-159/96, RecFP p. I-A-193 et II-593, point 64).

30.
    Le Tribunal observe, par ailleurs, que les qualifications minimales générales requises et les conditions spécifiques de recrutement à l'emploi en cause, reproduites, respectivement, aux points 3 et 5 ci-dessus, font partie des exigences posées par l'avis de vacance et qu'elles doivent être considérées conjointement (arrêt du Tribunal du 19 mars 1997, Giannini/Commission, T-21/96, RecFP p. I-A-69 et II-211, point 21).

31.
    Ainsi qu'il résulte du rapprochement du libellé souple des conditions générales et de la nature de lex specialis des critères spécifiques de sélection à l‘emploi litigieux, la Commission a pu, au titre de ces derniers, légalement préciser tant le niveau des qualifications requises que le degré de leur pertinence matérielle ou fonctionnelle au regard de ces mêmes tâches.

32.
    Aussi la Commission a-t-elle pu valablement limiter, en l'occurrence, la connaissance de la coopération scientifique et technologique avec les pays partenaires méditerranéens à ses principales problématiques, ne pas établir un lien matériel entre les trois dernières conditions spécifiques et le secteur d'activité de l'unité XII.E.2 et, enfin, n'exiger une expérience qu'au regard du troisième critère spécifique.

    

Sur le premier moyen, pris de la violation de l'avis de vacance

33.
    La requérante soutient que Mme P. ne possédait manifestement pas, lors du dépôt de sa candidature, les qualifications minimales et spécifiques requises par l'avis de vacance. Ni ses diplômes ni son expérience professionnelle ne laisseraient entrevoir un lien quelconque avec les politiques communautaires de recherche et dedéveloppement technologique. Mme P. n'aurait pu, au mieux, posséder qu'une connaissance théorique du secteur d'activité de l'unité XII.E.2.

34.
    Un rapport d'experts indépendants sur la mise en oeuvre du programme spécifique «rôle international» pour l'exercice 1999 aurait signalé que certaines personnes nouvellement affectées étaient inexpérimentées en matière de recherche internationale. Dans une note à M. Gabolde, Mme P. aurait elle-même admis que tel était son cas, contredisant ainsi l'appréciation de ses mérites par l'AIPN.

35.
    Parce qu'elle n'avait aucune connaissance ou expérience dans le domaine scientifique et technologique et dans celui des relations politiques euro-méditerranéennes, Mme P. aurait cherché, dès mars 1999, à s'informer sur le programme INCO-MED et sur les autres activités de l'unité XII.E.2.

36.
    Le Tribunal considère cependant que, en se bornant à alléguer que Mme P. n'aurait pu, au mieux, posséder qu'une connaissance théorique du secteur d'activité de l'unité XII.E.2, la requérante n'a aucunement démontré que ce niveau de connaissance était manifestement insuffisant, alors que les exigences à cet égard étaient limitées aux principales problématiques de ce secteur.

37.
    Est, dès lors, dépourvue de portée au regard du présent moyen l'allégation selon laquelle les recherches de Mme P. sur les activités de l'unité XII.E.2, à les supposer avérées, traduiraient son défaut de connaissances du secteur concerné.

38.
    Le grief tiré de l'absence d'expérience de Mme P. dans ce secteur est dépourvu de fondement, en l'absence d'un lien matériel exigé entre l'expérience requise et le secteur d'activité de l'unité XII.E.2. Il en va de même des arguments tirés de l'inexpérience, en matière de recherche internationale, de certaines personnes nouvellement affectées, relevée dans le rapport d'experts, précité, et, partant, de l'autocritique de Mme P.

39.
    Il n'est pas davantage démontré que Mme P. ait été manifestement dépourvue de l'aptitude confirmée en matière de réflexion stratégique, d'organisation et de coopération, requise par l'avis de vacance.

40.
    Il ressort, en effet, de ses états de service que l'intéressée a, notamment, assuré l'instruction et le suivi de projets, ainsi que des études et des mesures d'appui, et assumé la responsabilité de grands projets d'approvisionnement en eau, d'épuration et de gestion de déchets et coordonné les aspects hydrologiques des interventions conduites par la Commission dans la péninsule Ibérique.

41.
    Mme P. ne peut pas non plus être regardée comme manifestement dépourvue de l'expérience exigée en matière d'appels aux propositions, de négociation de contrats, d'organisation de réunions d'experts et de coordination.

42.
    Il résulte, au contraire des pièces du dossier que Mme P. a assuré des contacts, des négociations et la correspondance avec des autorités nationales, programmé et élaboré des projets de coopération, effectué des missions et des négociations avec les pays tiers. Elle a, en outre, lancé des appels d'offres et traité les réponses, participé à l'élaboration de contrats-cadres et, enfin, assuré la programmation, la coordination et la participation à des missions de suivi et de contrôle de projets.

43.
    Enfin, il ne peut être estimé que Mme P. était manifestement dépourvue d'une capacité confirmée en management, alors qu'elle a exercé les fonctions de chef d'unité adjoint depuis 1995 jusqu'au 23 février 1999.

44.
    Il n'apparaît donc pas que la Commission ait commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant que Mme P. répondait aux conditions spécifiques fixées par l'avis de vacance, dont la requérante n'a, par ailleurs, pas contesté l'adéquation aux fonctions afférentes au poste litigieux.

45.
    Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen, pris d'erreurs manifestes d'appréciation

46.
    La requérante considère qu'elle était la seule personne compétente pour occuper le poste de chef de l'unité XII.E.2, dont elle a assuré la gestion depuis sa création en janvier 1999. Depuis octobre 1989 jusqu'au mois de septembre 1999, date de la prise de fonctions de Mme P., la requérante aurait été chargée des divers aspects du volet «coopération scientifique et technologique avec les pays tiers méditerranéens», au sein de plusieurs programmes et actions.

47.
    En ce qu'elle correspond à la dernière condition posée par l'avis de vacance, l'expérience supérieure en management retenue au profit de Mme P. ne devrait manifestement pas être considérée en elle-même comme essentielle. Ce paramètre devrait être, de toute manière, apprécié en étroite relation avec les qualifications requises pour occuper le poste litigieux.

48.
    En tout état de cause, la requérante serait, pour le moins, à égalité de compétence avec Mme P., dont les capacités en management ne pourraient compenser les carences en termes de connaissances et d'aptitude, conditions consubstantielles aux fonctions afférentes au poste litigieux.

49.
    Le Tribunal estime qu'il ne saurait être déduit de son dernier rang dans l'énumération des conditions posées par l'avis de vacance que l'exigence d'une capacité confirmée en management ne présentait pas un caractère essentiel, eu égard aux fonctions de direction, de contrôle et de coordination que tout chef d'unité doit inévitablement assumer.

50.
    Il y a lieu de rejeter, comme reposant sur une prémisse erronée, les allégations selon lesquelles, d'une part, la requérante aurait été la seule personne compétente pour occuper le poste litigieux et, d'autre part, la capacité confirmée en management aurait dû être appréciée en étroite relation avec les autres conditions exigées pour cet emploi.

51.
    Le Tribunal rappelle, à cet égard, que les trois dernières qualifications spécifiques requises ne devaient pas nécessairement présenter un lien matériel avec le secteur d'activité de l'unité XII.E.2.

52.
    Aussi, l'expérience acquise par Mme P. dans d'autres secteurs que celui de l'unité XII.E.2, en matière d'appels aux propositions, de négociation de contrats, d'organisation de réunions d'experts et de coordination, n'apparaît-elle pas en soi notablement moins pertinente que celle de la requérante.

53.
    Dans ces conditions, la Commission a pu privilégier le plus haut niveau de capacité en management de Mme P., dûment attesté par l'exercice ininterrompu de fonctions de chef d'unité adjoint depuis 1995, par rapport à la supériorité reconnue des connaissances de la requérante dans le secteur d'activité concerné, d'autant plus que les exigences requises à cet égard étaient limitées aux principales problématiques de celui-ci.

54.
    Il n'a donc pas été démontré que la Commission ait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des mérites respectifs des deux candidates en portant son choix sur Mme P.

55.
    Le deuxième moyen doit donc être rejeté.

Sur le troisième moyen, pris de la violation du principe de non-discrimination et du détournement de pouvoir

56.
    La requérante allègue que Mme P. a bénéficié de multiples interventions motivées par sa nationalité italienne et d'un «arrangement» qui a conduit à sa nomination. Pourtant, à la fin du premier entretien de sélection que la requérante a eu avec M. Routti, le 21 mai 1999, celui-ci lui aurait annoncé qu'il avait arrêté son choix en sa faveur. La procédure de sélection définie aux articles 4 et 29 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes aurait donc été utilisée à d'autres fins que celles prévues aux articles 7, paragraphe 1, et 27, troisième alinéa, du même statut.

57.
    La possibilité d'une pratique du «drapeau italien» aurait déjà été évoquée en relation avec l'emploi concerné, au cours d'une entrevue que la requérante aurait obtenue de M. Routti à la fin de février 1999. Il aurait été, en outre, rapporté à la requérante que la proportion des fonctionnaires italiens parmi les 18 candidats au poste litigieux était, semble-t-il, très élevée. Cela dénoterait une orientation visant à favoriser les candidatures italiennes.

58.
    M. E. Forti, fonctionnaire de nationalité italienne, aurait figuré en tant que chef de l'unité «Méditerranée» sur un projet d'organigramme de la DG XII, daté du 5 octobre 1998. Par son origine, c'est-à-dire le cabinet du membre de la Commission en charge de la recherche, sa précision, sa concordance avec l'organigramme définitif et l'extension de sa diffusion, ce document aurait reflété exactement l'intention de la Commission de nommer un candidat italien à l'emploi litigieux.

59.
    La hiérarchie de la DG XII aurait alors exercé des pressions répétées sur un autre fonctionnaire italien, M. Gregoli, pour qu'il pose sa candidature de façon à contrer celle de la requérante, en remplacement de M. Forti, dont la nomination serait apparue, en de telles circonstances, comme trop visiblement prédéterminée. M. Gregoli aurait été le «candidat italien idéal» en raison de ses qualifications. Le refus de l'intéressé aurait alors contraint la Commission à défendre la candidature de Mme P.

60.
    Un collaborateur du cabinet de l'un des deux membres de la Commission italiens aurait invité M. Gabolde, au cours d'un entretien téléphonique échangé en présence de la requérante, à recevoir Mme P., en arguant de l'appartenance du poste litigieux à l'Italie.

61.
    Par ailleurs, M. Gabolde se serait rendu auprès du chef de cabinet du membre de la Commission en charge de la recherche, afin d'obtenir son accord pour que la nomination au poste litigieux ne s'effectue que sur la base des compétences des candidats et non en fonction de leur nationalité. L'intéressé aurait alors reproché à M. Gabolde de s'opposer ainsi aux instructions hiérarchiques.

62.
    M. Goenaga Beldarrain, fonctionnaire de nationalité espagnole, aurait été désigné comme 18e candidat au poste litigieux, bien qu'il ait été auditionné par un comité d'entretien constitué pour un autre poste de chef d'unité de la DG XII. Cette désignation aurait eu pour objet de permettre à la Commission de soutenir, dans l'hypothèse d'un contentieux, que la liste des finalistes était plurinationale malgré la forte proportion des candidatures italiennes. Par ailleurs, MM. Tent et Liberali auraient sélectionné un candidat italien parmi les trois retenus sur la liste de réserve de l'autre poste de chef d'unité. Si Mme P. ne devait pas être nommée au poste de chef de l'unité XII.E.2, le candidat italien à l'autre poste de chef d'unité aurait alors comblé le déficit des postes italiens. À l'inverse, si Mme P. était nommée au poste de chef de l'unité XII.E.2, M. Goenaga Beldarrain se serait trouvé dans la liste des finalistes pour les deux postes. En définitive, M. Goenaga Beldarrain aurait été nommé à l'autre poste de chef d'unité. La mobilisation des Espagnols en faveur de Mme P. aurait été motivée par leur désir de ne pas «perdre» un poste de leur quota.

63.
    La requérante aurait été informée de la survenance d'une véritable crise au sein de la DG XII à la suite du refus de M. Gabolde d'approuver le rapport du comitéchargé des entretiens, déjà signé par M. Tent, contenant une proposition de sélection des candidats mais qui n'aurait pas reflété la teneur des discussions au sein de ce comité sur les mérites respectifs des intéressés. M. Gabolde en aurait appelé à l'arbitrage de M. Routti. En fin de compte, un compromis aurait été trouvé sous la forme d'un rapport faisant état des quatre candidats présélectionnés parmi les 18 postulants. La requérante aurait appris que M. Routti avait fait part de ce désaccord lors de la réunion du CCN.

64.
    L'entretien que la requérante a eu avec M. Routti, le 24 juin 1999, aurait revêtu un caractère inhabituel et aurait tourné court dès que la requérante eut interrogé M. Routti sur les raisons de cet entretien, en arguant de ce que la décision de celui-ci était déjà apparemment prise sur la seule considération du «drapeau italien».

65.
    Après avoir tout d'abord accepté la proposition de M. Gabolde de ne pourvoir l'emploi litigieux que postérieurement à l'installation de la nouvelle Commission, M. Routti aurait été finalement contraint, en raison des pressions continues exercées sur lui, de nommer Mme P. à la tête de l'unité XII.E.2.

66.
    La hiérarchie de la DG XII aurait décidé simultanément de nommer Mme P. au poste de chef de l'unité XII.E.2 et d'attribuer l'essentiel des tâches de ce poste à la requérante, en la détachant auprès du conseiller de la direction E, à partir du 1er septembre 1999. La Commission se serait donc rendu compte que les tâches que Mme P. ne pouvait assumer devaient être effectivement exécutées par la requérante elle-même.

67.
    Enfin, la Commission aurait cherché à éviter un contentieux en transférant les principales tâches de l'emploi litigieux à la requérante dans le cadre de sa nouvelle affectation. De fait, après le dépôt de sa réclamation, le 27 octobre 1999, ces fonctions lui auraient été immédiatement retirées et retransférées à l'unité XII.E.2, par décision du 29 novembre 1999, prise par M. Routti dans une note de dossier cosignée par M. Gabolde et Mme P.

68.
    Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, précis et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (arrêt du Tribunal du 5 juillet 2000, Samper/Parlement, T-111/99, RecFP p.I-A-135 et II-611, point 64).

69.
    À cet égard, il ne suffit pas d'invoquer certains faits à l'appui de ses prétentions; il faut encore fournir des indices suffisamment précis, objectifs et concordants de nature à soutenir leur véracité ou, à tout le moins, leur vraisemblance (arrêt de la Cour du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C-274/99 P, Rec. p I-1611, point 113), à défaut de quoi l'exactitude matérielle des affirmations de la Commission ne saurait être remise en cause (voir, en ce sens, arrêt Connolly/Commission, précité, point 102).

70.
    Or, une partie des faits allégués, tels que la proportion «semble-t-il» très élevée de candidats italiens, la crise censée avoir découlé du refus de M. Gabolde d'approuver le rapport du comité chargé des entretiens et la prétendue évocation par M. Routti, lors de la réunion du CCN, du désaccord entre les membres de ce comité, proviennent de sources inconnues et sont donc invérifiables en ce qu'ils ont été seulement «rapportés» à la requérante. Ces faits ne sauraient, par conséquent, être utilement invoqués au soutien des prétentions de l'intéressée.

71.
    Outre sa présentation dubitative, l'argument tiré du grand nombre de postulants italiens n'emporte pas la conviction: à le supposer établi, celui-ci ne peut, en soi, logiquement traduire la volonté de l'administration de nommer un candidat italien. Il en va de même de la crise censée avoir été provoquée par le refus d'approbation, par M. Gabolde, du rapport du comité chargé des entretiens, alors que les trois membres de ce comité ont établi et signé l'aide-mémoire du 27 avril 1999 le jour même des derniers entretiens.

72.
    Les six circonstances suivantes, dont la réalité ou l'interprétation donnée par la requérante ont été contestées par la Commission et les agents concernés, ne peuvent être considérées comme établies: l'éventuelle pratique du drapeau italien, qui aurait été évoquée par la requérante au cours de son entrevue de la fin de février 1999 avec M. Routti, le choix que celui-ci aurait tout d'abord arrêté en faveur de la requérante, les contacts allégués de M. Gabolde avec les cabinets de deux membres de la Commission et la tentative infructueuse de surseoir à la nomination de Mme P. jusqu'à l'installation de la nouvelle Commission. De même, l'origine officielle du projet d'organigramme de la DG XII, expressément contestée par la Commission, ne peut être regardée comme ayant été établie à suffisance de droit. Ce document ne peut donc être considéré comme l'expression d'intentions imputables à la défenderesse. Enfin, l'interprétation que la requérante donne de la candidature de M. Goenaga Beldarrain repose sur une stratégie prêtée à la Commission et ne constitue, par conséquent, qu'une hypothèse non démontrée.

73.
    Les autres éléments factuels allégués, à les supposer avérés, peuvent procéder de raisons légitimes et ne sauraient donc constituer des indices de détournement de pouvoir. Ainsi, les démarches censées avoir été entreprises auprès de M. Gregoli pouvaient être motivées par les seules qualifications de l'intéressé. De même, M. Routti aurait été fondé à interrompre l'entretien final du 24 juin 1999 avec la requérante, dès que celle-ci lui eut déclaré qu'il avait apparemment déjà pris sa décision sur la seule considération du «drapeau italien».

74.
    La réaffectation de la requérante, arrêtée à la fin de juin 1999 et destinée à prendre effet le 1er septembre 1999, a pu être motivée, ainsi que l'a soutenu la Commission, par la volonté, relevant du simple bon sens, voire de la délicatesse, de ne pas laisser la requérante sous l'autorité de la candidate retenue.

75.
    Au surplus, eu égard au rejet du premier moyen, l'attribution à la requérante de tâches afférentes à l'emploi litigieux ne peut être considérée, contrairement à ce que soutient la requérante, comme traduisant la perception que la Commission aurait eue de l'incapacité de Mme P. à assumer ses nouvelles fonctions.

76.
    Par ailleurs, le choix de laisser provisoirement à Mme E une partie des dossiers qu'elle traitait a pu être commandé par des impératifs d'efficacité au cours de la période de transition.

77.
    Enfin, après le dépôt de la réclamation, la Commission pouvait légitimement préférer ne plus affecter la requérante à des tâches ayant des liens avec l'emploi litigieux, afin de ne pas entraver le fonctionnement de l'unité XII.E.2 et pour conserver à la procédure précontentieuse et juridictionnelle du présent litige la sérénité et l'objectivité nécessaires.

78.
    Il n'a donc pas été démontré à suffisance de droit que la Commission ait commis un détournement de pouvoir en nommant Mme P. à l'emploi litigieux.

79.
    Dans ces conditions, le troisième moyen doit être rejeté.

80.
    Il résulte des développements qui précèdent que les conclusions en annulation doivent être rejetées dans leur intégralité.

Sur les conclusions en indemnité

81.
    La requérante soutient avoir subi un préjudice moral en raison des fautes graves commises par la Commission et ses agents en rapport avec la procédure de pourvoi du poste litigieux. Ce préjudice aurait été encore aggravé par les déclarations des agents concernés en cours de procédure.

82.
    Il suffit, pour le Tribunal, de retenir que l'illégalité du comportement reproché à la Commission n'a pas été établie, ainsi qu'il résulte du rejet des moyens d'annulation.

83.
    Par ailleurs, il n'apparaît pas que la Commission et ses agents aient excédé les limites normales de la défense des intérêts de l'institution au cours du présent litige.

84.
    La demande en réparation du préjudice qu'aurait subi la requérante en raison des actes attaqués ne peut donc qu'être rejetée.

85.
    Il découle de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur la demande de production de documents par la Commission

86.
    Le Tribunal estime que, comme il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent, il a pu utilement statuer sur le recours sur la base des conclusions, moyens et arguments développés en cours d'instance et au vu des documents déposés par les parties.

87.
    Il y a donc lieu de rejeter la demande de la requérante tendant à ce qu'il soit ordonné à la Commission de fournir d'autres documents que ceux d'ores et déjà produits à la demande du Tribunal.

Sur les dépens

88.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe doit être condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes de l'article 88 de ce règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. En l'espèce, chaque partie supportera ses propres dépens.

    

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Chaque partie supportera ses propres dépens.

Meij                    Potocki                Pirrung

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 septembre 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1: Langue de procédure: le français.