Language of document : ECLI:EU:C:2021:203

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 16 mars 2021 (1)

Affaire C28/20

Airhelp Ltd

contre

Scandinavian Airlines System SAS

[demande de décision préjudicielle formée par l’Attunda tingsrätt (tribunal de première instance d’Attunda, Suède)]

« Renvoi préjudiciel – Transport aérien – Règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol – Règlement (CE) nº 261/2004 – Article 5, paragraphe 3 – Article 7, paragraphe 1 – Droit à indemnisation – Exonération – Notion de “circonstances extraordinaires” – Grève convoquée par un syndicat et préalablement annoncée – Notion de “mesures raisonnables” pour obvier à une circonstance extraordinaire ou aux conséquences d’une telle circonstance »






Table des matières


I. Introduction

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

B. Le droit suédois

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

IV. La procédure devant la Cour

V. Analyse juridique

A. Remarques préliminaires

B. Sur la première question préjudicielle

1. La grève en tant que circonstance susceptible d’être qualifiée d’« extraordinaire »

2. Analyse du caractère « extraordinaire » sous l’angle des critères établis par la jurisprudence

a) La grève ne constitue pas un événement inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien

1) Distinction entre les facteurs « internes » et « externes » ayant une incidence sur les activités du transporteur aérien

2) Application par analogie de la jurisprudence portant sur des aspects techniques au domaine de la gestion du personnel

3) Les principes dégagés de l’arrêt Krüsemann ne sont pas applicables au cas d’espèce

b) Le transporteur aérien n’a pas la maîtrise de la grève provoquée par un syndicat de travailleurs

1) Les principes dégagés de l’arrêt Krüsemann ne sont pas applicables à la situation en cause au principal

2) Sur les intérêts respectifs des partenaires sociaux et des consommateurs protégés par la Charte ainsi que la nécessité d’une mise en balance

i) Observations de caractère général

ii) Aperçu de jurisprudence concernant la résolution de conflits d’intérêts de rang constitutionnel

– L’équilibre entre les droits fondamentaux et les libertés fondamentales du marché intérieur

– L’équilibre entre les droits fondamentaux

3) Prise en compte des conclusions tirées de la mise en balance d’intérêts dans l’interprétation du règlement no 261/2004

c) Conclusion intermédiaire

d) Sur la pertinence de la « licéité » d’une grève et de l’existence d’un préavis pour qualifier une circonstance d’« extraordinaire »

3. Les critères pour établir les « mesures raisonnables » que tout transporteur aérien doit prendre

a) La notion de « mesures raisonnables » conformément à la jurisprudence

b) Remarques concernant la répartition des compétences entre le juge national et le juge de l’Union

c) Éléments d’interprétation à donner à la juridiction de renvoi

1) Les mesures raisonnables doivent éviter l’annulation ou le retard important d’un vol

2) Le transporteur aérien doit exploiter toutes les possibilités légales afin de défendre ses intérêts et ceux des passagers

3) Le transporteur aérien doit prévoir une réserve de temps afin de pallier les imprévus éventuels

4) Le transporteur aérien doit prendre en compte le préavis ayant précédé la grève convoquée par le syndicat

5) Le transporteur aérien doit organiser ses moyens matériels et humains afin de garantir la continuité de ses opérations

6) Le transporteur doit faciliter l’accès à des vols sur d’autres compagnies qui ne sont pas touchées par la grève

4. Réponse à la première question préjudicielle

C. Sur la deuxième question préjudicielle

D. Sur la troisième question préjudicielle

VI. Conclusion


I.      Introduction

1.        Dans la présente affaire, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, l’Attunda tingsrätt (tribunal de première instance d’Attunda, Suède) soumet à la Cour trois questions préjudicielles portant sur l’interprétation de la notion de « circonstances extraordinaires » visée à l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) nº 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (2).

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant S., un passager aérien, à Scandinavian Airlines System Denmark – Norway – Sweden (ci‑après « SAS »), un transporteur aérien, au sujet du refus de ce dernier d’indemniser ce passager à la suite de l’annulation de son vol. SAS fait valoir, à cet effet, des « circonstances extraordinaires » au sens de la disposition susmentionnée, qui seraient liées à une grève de son personnel organisée à l’appel d’un syndicat, en vue d’exprimer des revendications tenant à l’amélioration des conditions de travail. SAS estime, dès lors, devoir être exemptée de l’obligation de verser l’indemnisation prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous c), et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004.

3.        Par ses questions, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur la question de savoir si une grève dans la situation décrite au paragraphe précédent peut être considérée comme une « circonstance extraordinaire » exonérant le transporteur aérien de sa responsabilité envers les passagers, non seulement en ce qui concerne le paiement d’une indemnité mais aussi concernant la prise de mesures adéquates afin d’atténuer l’impact de la grève. Cette affaire offre à la Cour l’occasion de développer sa jurisprudence relative à l’interprétation du règlement no 261/2004 et surtout de clarifier le contexte dans lequel s’inscrit son arrêt du 17 avril 2018, Krüsemann (3) qui, bien que concernant lui aussi la qualification de « circonstance extraordinaire » d’une grève affectant les opérations d’un transporteur aérien – d’ailleurs rejetée par la Cour –, présente des différences notables au niveau du cadre factuel comparé à celui de la présente affaire, lesquelles sont de nature à justifier une appréciation juridique différente.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        Les considérants 1, 2 et 12 à 15 du règlement no 261/2004 énoncent :

« (1)      L’action de [l’Union] dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

(2)      Le refus d’embarquement et l’annulation ou le retard important d’un vol entraînent des difficultés et des désagréments sérieux pour les passagers.

[...]

(12)      Il convient également d’atténuer les difficultés et les désagréments pour les passagers, occasionnés par les annulations de vols. Il y a lieu à cet effet d’inciter les transporteurs à informer les passagers des annulations avant l’heure de départ prévue et, en outre, leur proposer un réacheminement raisonnable, de sorte que les passagers puissent prendre d’autres dispositions. S’ils n’y parviennent pas, les transporteurs aériens devraient indemniser les passagers, sauf lorsque l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

(13)      Les passagers dont le vol est annulé devraient avoir la possibilité de se faire rembourser leur billet ou d’obtenir un réacheminement dans des conditions satisfaisantes, et devraient bénéficier d’une prise en charge adéquate durant l’attente d’un vol ultérieur.

(14)      Tout comme dans le cadre de la convention de Montréal, les obligations des transporteurs aériens effectifs devraient être limitées ou leur responsabilité exonérée dans les cas où un événement est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. De telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, de risques liés à la sécurité, de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, ainsi que de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif.

(15)      Il devrait être considéré qu’il y a circonstance extraordinaire, lorsqu’une décision relative à la gestion du trafic aérien concernant un avion précis pour une journée précise génère un retard important, un retard jusqu’au lendemain ou l’annulation d’un ou de plusieurs vols de cet avion, bien que toutes les mesures raisonnables aient été prises par le transporteur aérien afin d’éviter ces retards ou annulations. »

5.        L’article 2 de ce règlement, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

b)      “transporteur aérien effectif”, un transporteur aérien qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d’une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passager ;

[...]

l)      “annulation”, le fait qu’un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n’a pas été effectué. »

6.        Aux termes de l’article 5 dudit règlement, intitulé « Annulations » :

« 1.      En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés :

a)      se voient offrir par le transporteur aérien effectif une assistance conformément à l’article 8 ;

b)      se voient offrir par le transporteur aérien effectif une assistance conformément à l’article 9, paragraphe 1, [sous] a), et paragraphe 2, de même que, dans le cas d’un réacheminement lorsque l’heure de départ raisonnablement attendue du nouveau vol est au moins le jour suivant le départ planifié pour le vol annulé, l’assistance prévue à l’article 9, paragraphe 1, [sous] b) et c), et

c)      ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7, à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol :

i)      au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ou

ii)      de deux semaines à sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt deux heures avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue, ou

iii)      moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée.

2.      Lorsque les passagers sont informés de l’annulation d’un vol, des renseignements leur sont fournis concernant d’autres transports possibles.

3.      Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

4.      Il incombe au transporteur aérien effectif de prouver qu’il a informé les passagers de l’annulation d’un vol ainsi que le délai dans lequel il l’a fait. »

7.        Il ressort de l’article 7 du règlement no 261/2004, intitulé « Droit à indemnisation » :

« 1.      Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à :

a)      250 euros pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins ;

b)      400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres ;

c)      600 euros pour tous les vols qui ne relèvent pas des points a) ou b).

Pour déterminer la distance à prendre en considération, il est tenu compte de la dernière destination où le passager arrivera après l’heure prévue du fait du refus d’embarquement ou de l’annulation.

2.      Lorsque, en application de l’article 8, un passager se voit proposer un réacheminement vers sa destination finale sur un autre vol dont l’heure d’arrivée ne dépasse pas l’heure d’arrivée prévue du vol initialement réservé :

a)      de deux heures pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins, ou

b)      de trois heures pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres, ou

c)      de quatre heures pour tous les vols ne relevant pas des points a) ou b),

le transporteur aérien effectif peut réduire de 50 % le montant de l’indemnisation prévue au paragraphe 1.

3.      L’indemnisation visée au paragraphe 1 est payée en espèces, par virement bancaire électronique, par virement bancaire ou par chèque, ou, avec l’accord signé du passager, sous forme de bons de voyage et/ou d’autres services.

4.      Les distances indiquées aux paragraphes 1 et 2 sont mesurées selon la méthode de la route orthodromique. »

8.        L’article 8 de ce règlement, intitulé « Assistance : droit au remboursement ou au réacheminement », dispose :

« 1.      Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers se voient proposer le choix entre :

a)      –      le remboursement du billet, dans un délai de sept jours, selon les modalités visées à l’article 7, paragraphe 3, au prix auquel il a été acheté, pour la ou les parties du voyage non effectuées et pour la ou les parties du voyage déjà effectuées et devenues inutiles par rapport à leur plan de voyage initial, ainsi que, le cas échéant,

–        un vol retour vers leur point de départ initial dans les meilleurs délais ;

b)      un réacheminement vers leur destination finale, dans des conditions de transport comparables et dans les meilleurs délais, ou

c)      un réacheminement vers leur destination finale dans des conditions de transport comparables à une date ultérieure, à leur convenance, sous réserve de la disponibilité de sièges.

[...]

3.      Dans le cas d’une ville, d’une agglomération ou d’une région desservie par plusieurs aéroports, si le transporteur aérien effectif propose au passager un vol à destination d’un aéroport autre que celui qui était initialement prévu, le transporteur aérien effectif prend à sa charge les frais de transfert des passagers entre l’aéroport d’arrivée et l’aéroport initialement prévu ou une autre destination proche convenue avec le passager. »

9.        L’article 9 dudit règlement, qui se rapporte au « [d]roit à une prise en charge », prévoit :

« 1.      Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers se voient offrir gratuitement :

a)      des rafraîchissements et des possibilités de se restaurer en suffisance compte tenu du délai d’attente ;

b)      un hébergement à l’hôtel aux cas où :

–        un séjour d’attente d’une ou plusieurs nuits est nécessaire, ou

–        lorsqu’un séjour s’ajoutant à celui prévu par le passager est nécessaire ;

c)      le transport depuis l’aéroport jusqu’au lieu d’hébergement (hôtel ou autre).

2.      En outre, le passager se voit proposer la possibilité d’effectuer gratuitement deux appels téléphoniques ou d’envoyer gratuitement deux télex, deux télécopies ou deux messages électroniques.

3.      En appliquant le présent article, le transporteur aérien effectif veille tout particulièrement aux besoins des personnes à mobilité réduite ou de toutes les personnes qui les accompagnent, ainsi qu’aux besoins des enfants non accompagnés. »

B.      Le droit suédois

10.      L’article 45 de la lagen (1976 :580) om medbestämmande i arbetslivet (loi no 580 de 1976 sur la participation des salariés aux décisions négociées), dispose notamment :

« Lorsqu’une organisation patronale, un patron ou une organisation de salariés se propose d’engager une action collective ou d’étendre le champ d’application d’une action en cours, ils doivent en avertir la partie adverse et l’Institut de la médiation par écrit moyennant un préavis d’au moins sept jours ouvrables. Par “jour ouvrable”, l’on désigne chaque jour à l’exception du samedi, du dimanche et des jours fériés, ainsi que la veille de la Saint-Jean, la veille de Noël et le 31 décembre. Le délai est calculé à partir du moment de la journée où l’action collective démarre. » 

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

11.      Ainsi qu’il ressort des motifs de la demande de décision préjudicielle, les circonstances factuelles décrites ci‑après sont à l’origine du litige dont la juridiction de renvoi est saisie. Le voyageur S. avait réservé une place sur un vol de Malmö (Suède) à Stockholm (Suède) avec SAS. Ce vol devait être réalisé le 29 avril 2019, mais a été annulé le jour même en raison d’une grève de pilotes de SAS en Norvège, en Suède et au Danemark. La grève des pilotes avait pour toile de fond la résiliation anticipée, par les organisations de salariés en Suède, en Norvège et au Danemark représentantes des pilotes de SAS, de la convention collective antérieure conclue avec SAS, qui aurait expiré en 2020. Les négociations en vue d’une nouvelle convention étaient en cours depuis mars 2019. La grève des pilotes a duré sept jours – du 26 avril 2019 au 2 mai 2019 – et a conduit SAS à annuler plus de 4 000 vols, ce qui a affecté environ 380 000 passagers, dont le voyageur S. Ce dernier ne s’est pas vu offrir un réacheminement qui aurait limité le retard à moins de trois heures. Par convention, le voyageur S. a cédé son éventuel droit à indemnisation à Airhelp Ltd.

12.      Airhelp a demandé à la juridiction de renvoi, à savoir l’Attunda tingsrätt (tribunal de première instance d’Attunda), d’ordonner à SAS de lui verser l’indemnisation de 250 euros prévue à l’article 5, paragraphe 3, lu en combinaison avec l’article 7 du règlement no 261/2004, augmentée des intérêts de retard à compter du 10 septembre 2019 et jusqu’à ce que le paiement ait lieu.

13.      SAS a contesté la demande d’Airhelp au motif que la grève des pilotes constituait, à son avis, une « circonstance extraordinaire » qui n’aurait pas pu être évitée, même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. Dès lors, SAS ne serait pas tenue de verser l’indemnisation réclamée.

14.      Selon SAS, les négociations ont achoppé en raison, d’une part, de l’exigence formulée par les syndicats de pilotes d’augmenter les salaires de ces derniers de 13 % sur trois ans, au lieu des 6,5 % prévus pour la même période par la convention collective antérieure et, d’autre part, de leurs revendications concernant les horaires de travail des pilotes.

15.      Le 25 avril 2019, le Medlingsinstitutet (Office national de médiation, Suède) aurait présenté aux parties une « recommandation » proposant une hausse annuelle des salaires de 2,3 %. SAS, qui a approuvé la recommandation, relève que le projet d’augmentation des salaires du médiateur était aligné sur ce qui est désigné comme étant la « marque », à savoir le pourcentage d’évolution des salaires convenu par les industries exportatrices pour s’appliquer au marché du travail suédois, tandis que les syndicats de pilotes auraient réclamé une évolution des salaires nettement supérieure à ladite « marque ». Or, le modèle suédois du marché du travail partirait du principe que la marque est normative pour la fixation des salaires sur l’ensemble du marché suédois du travail afin de maintenir la compétitivité suédoise et de stabiliser les négociations des conventions collectives.

16.      Les syndicats de pilotes ont, pour leur part, repoussé cette recommandation, avant d’engager, le 26 avril 2019, les actions collectives préalablement annoncées.

17.      Ce conflit social s’est poursuivi jusqu’au soir du 2 mai 2019, date à laquelle une nouvelle convention collective de trois ans a été conclue. Cette nouvelle convention couvre une période de trois ans, jusqu’en 2022, et prévoit notamment que les salaires des pilotes augmenteront de 3,5 % en 2019, de 3 % en 2020 et de 4 % en 2021. Au total, les salaires augmenteront de 10,5 % sur trois ans.

18.      SAS soutient que la grève des pilotes constitue une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 dans la mesure où elle n’est pas inhérente à l’exercice normal de son activité et où elle échappe à sa maîtrise effective. En effet, une décision de grève simultanée de quatre organisations syndicales ne s’inscrirait pas dans l’exercice normal de l’activité de SAS, lequel consiste à fournir des services de transport aérien. En outre, les grèves seraient très rares sur le marché du travail suédois et la grève en cause au principal, qui aurait affecté, en principe, l’ensemble des pilotes de SAS, aurait été l’une des plus grandes grèves de l’industrie du transport aérien jamais enregistrée. SAS n’aurait donc pas pu réorganiser ses activités afin de pouvoir assurer les vols prévus. Par ailleurs, la grève des pilotes étant licite, SAS n’aurait pu leur enjoindre de reprendre le travail. Ce faisant, la grève des pilotes aurait échappé à sa maîtrise effective.

19.      De surcroît, la solution de l’arrêt Krüsemann, selon laquelle une grève sauvage est inhérente à l’exercice normal de l’activité d’un transporteur aérien, ne serait pas transposable à l’affaire au principal. En effet, la grève des pilotes n’aurait pas été motivée par une mesure prise par SAS, pas plus qu’elle n’aurait constitué une réponse spontanée du personnel à une mesure qui faisait partie des mesures normales de gestion de SAS.

20.      Enfin, dans la mesure où, conformément aux exigences du droit suédois, elle n’aurait reçu le préavis de grève qu’une semaine avant le début de celle‑ci, SAS n’aurait, en tout état de cause, pas pu échapper à l’obligation d’indemnisation prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous c), i), et à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004 puisqu’il ressortirait de la première de ces dispositions qu’un transporteur aérien ne peut échapper au paiement de cette indemnité que si l’annulation d’un vol intervient au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue.

21.      La grève des pilotes qui a affecté SAS et qui a causé l’annulation du vol en cause au principal constituerait donc une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 en ce qu’il s’agit d’un événement qui, par sa nature et son origine, n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité de SAS et qui échappe à la maîtrise effective de cette dernière.

22.      Airhelp a, pour sa part, contesté que la grève en cause au principal puisse être considérée comme une « circonstance extraordinaire » au sens de la disposition précitée. La conclusion de conventions collectives s’inscrirait, en effet, dans le cours ordinaire des affaires d’une compagnie aérienne et des conflits sociaux pourraient surgir à cette occasion.

23.      Il aurait été prévu que, d’une part, SAS et, d’autre part, les associations de pilotes suédoise, danoise et norvégienne concluent une convention collective sur les salaires et les conditions générales d’emploi des commandants de bord et des copilotes. Cependant, durant les négociations de cette convention, les parties auraient la possibilité de recourir à des actions collectives, telles que la grève ou le lock-out. La conclusion de la convention collective par les partenaires sociaux entraînerait une trêve sociale obligatoire sur la période d’application de celle‑ci de sorte que la grève menée durant la trêve sociale serait illicite ou sauvage.

24.      Par le passé, des conflits entre SAS et différents groupes de personnel auraient, à plusieurs reprises, débouché sur des actions collectives des salariés portant sur les conditions de rémunération et l’amélioration des conditions de travail, mais aussi sur le fait que les salariés souhaitaient exercer une influence sur le lieu de travail. Lors du conflit social de 2012, SAS se serait retrouvée au bord de la faillite. Des actionnaires majoritaires ayant conditionné des prêts supplémentaires à SAS à des obligations strictes en matière d’économies, les salariés auraient alors été contraints, en pleine période d’application de la convention collective, d’accepter une baisse des salaires afin de ne pas perdre leur emploi. Il aurait ainsi été convenu que les pilotes travailleraient davantage et qu’ils perdraient un mois de salaire par an.

25.      Les décisions prises par SAS en 2012 seraient une raison sous‑jacente importante concernant la grève des pilotes de 2019, car elles auraient entraîné, du fait des difficultés financières de la compagnie aérienne, une forte détérioration des rémunérations et des conditions de travail des pilotes. Or, SAS s’étant redressée économiquement en 2019, il aurait été absolument prévisible et raisonnable que les pilotes sollicitent des augmentations de salaire et une amélioration de leurs conditions de travail à l’occasion des nouvelles négociations de la convention. Les pilotes auraient considéré que le niveau de rémunération à SAS était inférieur au niveau du marché, tandis que SAS aurait jugé excessives leurs prétentions salariales.

26.      La grève en cause dans l’affaire au principal serait, par conséquent, inhérente à l’exercice normal de l’activité de SAS et relèverait de la maîtrise effective de celle‑ci. Elle ne saurait donc être considérée comme une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, d’autant que cette disposition serait d’interprétation stricte.

27.      Eu égard au caractère inédit de la question de savoir si la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, englobe une grève qui a été annoncée par des organisations de salariés à la suite d’un préavis et lancée licitement, l’Attunda tingsrätt (tribunal de première instance d’Attunda) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1)      Une grève, suivie par les pilotes d’aéronefs employés par un transporteur aérien et indispensables pour la réalisation d’un vol, constitue-t-elle une “circonstance extraordinaire” au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, dans la mesure où la grève n’est pas lancée à la suite d’une mesure qui a été décidée ou communiquée par le transporteur aérien, mais a été annoncée par des organisations de salariés à la suite d’un préavis et lancée licitement en conformité avec le droit national en tant qu’action collective visant à inciter ledit transporteur aérien à augmenter les salaires, à accorder des avantages ou à modifier les conditions d’emploi en vue de satisfaire aux demandes des organisations de salariés ?

2)      Le caractère raisonnable des demandes présentées par les organisations de salariés et, en particulier, le fait que l’augmentation des salaires demandée est nettement plus élevée que les augmentations des salaires généralement appliquées sur les marchés de travail nationaux pertinents, ont-ils une incidence sur la réponse à la première question ?

3)      Le fait que le transporteur aérien, dans l’intention d’éviter une grève, accepte une proposition de conciliation présentée par un organisme national chargé de la médiation des conflits collectifs, tandis que les organisations de salariés n’acceptent pas cette proposition, a-t-il une incidence sur la réponse à la première question ? »

IV.    La procédure devant la Cour

28.      La décision de renvoi, datée du 16 janvier 2020, est parvenue au greffe de la Cour le 21 janvier 2020.

29.      Les parties au principal, les gouvernements danois et espagnol, ainsi que la Commission européenne, ont déposé des observations écrites dans le délai imparti par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

30.      Lors de l’audience du 16 décembre 2020, les mandataires ad litem des parties au principal, des gouvernements danois, français, espagnol et allemand, ainsi que de la Commission, ont présenté des observations.

V.      Analyse juridique

A.      Remarques préliminaires

31.      Le transport aérien de passagers constitue un secteur important de l’économie de l’Union européenne. Plusieurs compagnies aériennes qui dominent actuellement ce secteur à l’échelle internationale ont été fondées dans les États membres et sont devenues ainsi, en quelque sorte, des emblèmes de l’esprit d’entreprise européen. En assurant le transport de passagers aux divers coins du monde, ces compagnies aériennes contribuent au rapprochement des personnes, et facilitent les échanges commerciaux et culturels. Cela explique que les grèves soient souvent considérées par ceux qui dépendent d’un transport aérien fiable comme des perturbations fâcheuses susceptibles d’entraîner des conséquences graves pour les passagers et les compagnies aériennes elles‑mêmes. Cet angle de vue risque néanmoins de faire oublier que les grèves peuvent être motivées par des raisons, en principe, légitimes, à savoir le désir des salariés d’améliorer leurs conditions de travail. Par ailleurs, il est évident que les intérêts de la compagnie aérienne, qui en tant qu’employeur supporte en définitive le risque d’entreprise, ne sauraient être négligés. Toutes ces considérations mettent en évidence le fait que, généralement, plusieurs intérêts entrent en conflit lors d’une grève. Désamorcer le conflit d’une manière qui permette de tenir dûment compte des intérêts de toutes les parties constitue dès lors un véritable défi.

32.      Dans la présente affaire, la Cour n’est pas appelée à résoudre le différend entre SAS et ses employés, puisqu’il a déjà été résolu en interne au moyen de leur autonomie de négociation. Il revient à la Cour d’interpréter le règlement no 261/2004, de sorte que le consommateur soit suffisamment protégé en cas de grève du personnel, tout en tenant compte du fait que l’ordre juridique de l’Union reconnaît la liberté d’association dans le domaine syndical et le droit à la négociation et aux actions collectives, ces droits fondamentaux étant consacrés respectivement aux articles 12 et 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). En effet, la protection du consommateur étant l’objectif législatif de ce règlement, la Cour devra fournir des critères clairs permettant d’établir avec certitude quelles sont les catégories de grèves susceptibles d’être qualifiées de « circonstances extraordinaires » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 et d’exonérer le transporteur aérien, le cas échéant, de son obligation de verser une indemnité aux passagers en raison des conséquences qui en résultent. Le fait que les juridictions nationales aient appréhendé cette question de manière hétérogène (4) démontre la nécessité pour la Cour d’apporter des éclaircissements. Un tel degré de sécurité juridique accrue serait également bénéfique pour les partenaires sociaux.

33.      La Cour a fait un premier pas avec l’arrêt Krüsemann déjà cité dans l’introduction de mes conclusions (5). Cependant, au vu des circonstances spécifiques de l’affaire, à savoir le déclenchement d’une « grève sauvage », organisée par les salariés eux‑mêmes (et non par un syndicat) en tant que réaction à l’« annonce surprise » par le transporteur aérien d’une restructuration de l’entreprise, cet arrêt ne me semble pas être en mesure de répondre à toutes les questions juridiques qui pourraient surgir. Dès lors, il convient de développer une jurisprudence plus large, fixant des principes généraux, dont ledit arrêt Krüseman, compte tenu de sa spécificité, pourrait certainement devenir un élément.

34.      En revanche, il me semble qu’aucune conclusion utile pour la résolution de la présente affaire ne saurait être tirée de l’arrêt Finnair (6), dans lequel la Cour a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si un refus d’embarquement pouvait être justifié par une réorganisation des vols survenue à la suite de « circonstances extraordinaires ». Je tiens à noter que, par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi se référait à une grève du personnel de l’aéroport au point de départ du vol concerné. La Cour a repris l’appréciation de la juridiction dans son raisonnement et n’a probablement pas exclu que la grève puisse constituer une telle circonstance, sans pour autant l’examiner en détail (7). Certes, on pourrait y voir une confirmation tacite de la part de la Cour de l’appréciation faite par la juridiction de renvoi. Mais la Cour peut aussi avoir délibérément évité de prendre position sur une question juridique qui n’était pas vraiment au cœur de l’affaire. En tout état de cause, il serait préférable que la Cour se prononce expressément sur une question qui revêt une telle importance pour le transport aérien. Eu égard à l’ambiguïté qui affecte l’interprétation de cet arrêt, je suis enclin à ne pas l’inclure comme indice de l’état actuel de la jurisprudence dans mon raisonnement.

35.      Avant d’entamer l’analyse des questions préjudicielles posées à la Cour, il y a lieu de rappeler brièvement les étapes de l’analyse juridique à effectuer afin d’établir si un transporteur aérien peut être exonéré de l’obligation de verser une indemnité au titre de l’article 5, paragraphe 1, sous c), et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, à la suite de l’annulation ou du retard important d’un vol. Tout d’abord, il est nécessaire d’établir l’existence d’une « circonstance extraordinaire » au moyen des critères développés dans la jurisprudence. Toutefois, je tiens à rappeler que, même si cette condition était remplie en l’occurrence, le transporteur ne pourrait être exonéré que s’il était en mesure de démontrer avoir pris toutes les « mesures raisonnables » pour éviter les conséquences de cette circonstance. Dans ce contexte, j’observe une connexité entre les questions préjudicielles et lesdites étapes de l’analyse juridique. Alors que ces questions concernent, d’un point de vue formel, la qualification d’une situation comme « circonstance extraordinaire », certains aspects peuvent s’avérer plutôt pertinents dans le cadre de l’examen des « mesures raisonnables » que le transporteur aérien est tenu de prendre. Les questions préjudicielles seront examinées ci-après dans l’ordre dans lequel elles ont été posées par la juridiction de renvoi.

B.      Sur la première question préjudicielle

1.      La grève en tant que circonstance susceptible d’être qualifiée d’« extraordinaire »

36.      Ainsi qu’il a été indiqué dans l’introduction des présentes conclusions (8), la juridiction de renvoi souhaite, en substance, savoir si une grève dans la situation décrite dans la première question préjudicielle peut être considérée comme une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004. Cette question juridique se trouvant au cœur de la présente affaire, mon analyse se centrera sur celle‑ci.

37.      À cet égard, je tiens à rappeler d’emblée que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle‑ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (9). Bien que le règlement no 261/2004 ne définisse pas expressément la notion de « circonstance extraordinaire », le législateur de l’Union a indiqué qu’en présence d’événements, tels que ceux visés au considérant 14 de ce règlement, il pouvait en être question. Dans ce contexte, force est de constater que ce considérant mentionne, notamment, « les grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif » (10). Étant donné que les considérants d’un acte juridique, même s’ils n’ont pas de valeur juridique à eux seuls, peuvent servir d’auxiliaires d’interprétation permettant de déduire la volonté du législateur (11), cette mention de la grève m’apparaît particulièrement pertinente aux fins de la réponse à donner à la première question.

38.      Par ailleurs, la Cour a déclaré à plusieurs reprises que les circonstances susceptibles d’être qualifiées d’« extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, « se rapportent à un événement qui, à l’instar de ceux énumérés au [considérant 14] de ce règlement, n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappe à la maîtrise effective de celui‑ci du fait de sa nature ou de son origine » (12). Certes, la Cour a précisé que les circonstances visées à ce considérant n’étaient pas nécessairement et automatiquement des causes d’exonération de l’obligation d’indemnisation (13). Le libellé du considérant 14 suggère, effectivement, que les grèves peuvent constituer de telles circonstances sans pour autant que cette conclusion s’impose dans tous les cas (14). Dès lors, il est nécessaire d’examiner la possibilité d’une telle qualification au cas par cas à l’aide de critères déterminés.

2.      Analyse du caractère « extraordinaire » sous l’angle des critères établis par la jurisprudence

39.      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la réalisation de deux conditions cumulatives permettrait de considérer que les circonstances entourant certains événements peuvent être qualifiées d’« extraordinaires ». La première condition est que l’événement qui s’y rapporte ne soit pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné. La seconde condition est que l’événement échappe à la maîtrise effective du transporteur aérien concerné du fait de sa nature ou de son origine (15).

40.      Comme il sera exposé dans l’analyse ci-après, ces conditions sont remplies dans le cas d’une grève organisée par un syndicat comme dans l’affaire au principal. La décision de déclencher une grève est prise par les représentants syndicaux des salariés dans le cadre de leur autonomie en matière de négociation collective et se trouve donc en dehors des structures décisionnelles du transporteur aérien concerné. Même si la grève fait partie de la vie économique de toute entreprise, cette dernière n’exerce aucun contrôle sur les décisions prises par un syndicat. Il s’ensuit que le transporteur aérien n’a normalement aucune influence juridiquement significative sur le fait qu’une grève ait lieu ou non, même lorsqu’il s’agit de son propre personnel.

a)      La grève ne constitue pas un événement inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien

41.      En ce qui concerne le premier critère, il ressort de la jurisprudence que « l’origine » de l’événement ayant causé l’annulation ou le retard du vol doit être pris en considération dans l’appréciation. Ainsi que certaines parties intéressées l’ont indiqué dans leurs observations, il y a lieu de distinguer les événements dont l’origine est « interne » de ceux dont l’origine est « externe » au transport aérien. Conformément à cette approche, seuls les événements dont l’origine est « interne » peuvent être considérés comme « intrinsèquement liés » à l’exercice des activités du transporteur aérien.

1)      Distinction entre les facteurs « internes » et « externes » ayant une incidence sur les activités du transporteur aérien

42.      Dans sa jurisprudence concernant les défaillances techniques affectant le fonctionnement d’un aéronef, la Cour a opéré une claire distinction entre les facteurs « internes » et « externes » ayant une incidence sur l’activité du transporteur aérien, sans pour autant se servir expressément de cette terminologie. C’est l’une des raisons pour lesquelles je propose d’utiliser cette approche pour résoudre la problématique en cause. Afin de mieux expliquer la pertinence d’une telle distinction, il convient de commencer par récapituler brièvement la jurisprudence de la Cour dans ce domaine en mettant en exergue les enseignements que l’on peut en tirer.

43.      Dans l’arrêt Wallentin-Herrmann (16), la Cour a refusé d’exonérer le transporteur aérien de sa responsabilité envers les passagers au motif que résoudre un problème technique provenant d’un défaut d’entretien d’un appareil était inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien. Dans son raisonnement, la Cour s’est fondée sur l’observation que les transporteurs aériens étaient, de manière ordinaire, confrontés, dans l’exercice de leur activité, à divers problèmes techniques, compte tenu des conditions particulières dans lesquelles s’effectue le transport aérien ainsi que du degré de sophistication technologique des aéronefs. La Cour a relevé que c’était précisément pour éviter de tels problèmes, et en vue de se prémunir contre des incidents mettant en cause la sécurité des vols, que ces appareils étaient soumis à des contrôles réguliers particulièrement stricts, qui étaient intégrés dans les conditions courantes d’exploitation des entreprises de transport aérien. C’est ainsi que la Cour a conclu que la survenance de problèmes techniques affectant le fonctionnement d’un aéronef ne relevait pas de la notion de « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 (17).

44.      Cette jurisprudence a été réitérée dans l’arrêt van der Lans (18), qui portait sur la question de savoir si une panne provoquée par la défaillance prématurée de certaines pièces d’un aéronef constituait une telle circonstance. La Cour y a donné une réponse négative, en précisant qu’une telle panne demeurait intrinsèquement liée au système de fonctionnement très complexe de l’appareil, celui‑ci étant exploité par le transporteur aérien dans des conditions, notamment météorologiques, souvent difficiles, voire extrêmes, étant entendu, par ailleurs, qu’aucune pièce d’un aéronef n’était inaltérable. La Cour a conclu qu’un tel incident était inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien, ce transporteur étant confronté, de manière ordinaire, à ce type de problèmes techniques (19).

45.      Je suis enclin à interpréter la jurisprudence précitée en ce sens que le transporteur aérien a pour responsabilité d’assurer l’entretien et le bon fonctionnement de ses appareils afin de s’acquitter dûment de ses obligations contractuelles envers les passagers. En d’autres termes, le transporteur aérien ne saurait invoquer des problèmes techniques qu’il est censé identifier et résoudre dans le cadre de la gestion habituelle de l’entreprise dans le but d’échapper auxdites obligations.

46.      Cela étant dit, je souhaite attirer l’attention sur le fait que, dans les arrêts précités, la Cour n’a pas exclu que des problèmes techniques puissent éventuellement relever de « circonstances extraordinaires », pour autant qu’ils découlent d’événements qui ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et qu’ils échappent à la maîtrise effective de ce dernier. Selon la Cour, tel serait le cas, par exemple, si le constructeur des appareils constituant la flotte du transporteur aérien concerné ou une autorité compétente, révélait que ceux‑ci, alors qu’ils sont déjà en service, sont atteints d’un vice caché de fabrication affectant la sécurité des vols. Il en serait de même en présence de dommages causés aux aéronefs par des actes de sabotage ou de terrorisme (20).

47.      À mon sens, cette réserve dans la jurisprudence de la Cour revient à reconnaître que, même pour ce qui est des défaillances techniques, il y a des facteurs « externes » pour lesquels le transporteur aérien ne saurait être tenu responsable, sous peine de lui demander de faire l’impossible afin d’éviter ce type d’événements susceptibles d’affecter ses opérations (21). En effet, étant donné que le transporteur aérien n’a souvent aucune connaissance des vices cachés de fabrication ou des agissements de tiers visant à entraver ses activités, lesquelles se limitent plutôt à la gestion quotidienne de l’entreprise, il ne semble pas juste de lui imposer une obligation quasi illimitée d’éviter tout problème technique susceptible d’avoir une incidence sur le fonctionnement des aéronefs.

48.      Le raisonnement exposé au point précédent se trouve d’ailleurs à la base d’une jurisprudence développée postérieurement par la Cour, selon laquelle, lorsque la défaillance concernée trouve son origine exclusive dans le choc avec un objet « étranger », cette défaillance ne peut être considérée comme étant intrinsèquement liée au système de fonctionnement de l’appareil.

49.      Tel était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pešková et Peška (22), qui portait sur l’endommagement d’un aéronef provoqué par la collision entre celui‑ci et un volatile, ainsi que dans celle à l’origine de l’arrêt Germanwings (23), relative à l’endommagement d’un pneumatique par un débris mobile, présent sur la piste de l’aéroport. Par souci d’exhaustivité, il y a lieu de faire également référence à l’arrêt Moens (24), rendu plus récemment, qui avait pour objet la qualification en tant que « circonstance extraordinaire » de la présence d’essence, qui ne provenait pas d’un aéronef du transporteur ayant effectué ce vol, sur une piste d’un aéroport ayant entraîné la fermeture de celle‑ci et, par voie de conséquence, le retard important d’un vol. Dans les arrêts susmentionnés, la Cour est arrivée à la conclusion que les circonstances en cause n’étaient pas inhérentes, par leur nature ou leur origine, à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné.

50.      L’analyse de la jurisprudence qui précède confirme ainsi la thèse soutenue plus haut (25), selon laquelle la Cour tend à opérer une distinction entre facteurs « internes » et « externes » de toutes les circonstances ayant pour effet d’entraver les activités du transporteur aérien, seuls ceux relevant de la dernière catégorie étant de nature à recevoir une qualification d’« extraordinaire ».

2)      Application par analogie de la jurisprudence portant sur des aspects techniques au domaine de la gestion du personnel

51.      Cette distinction n’étant pas forcément restreinte au domaine technique, il convient de l’étendre au domaine de la gestion du personnel, en l’appliquant par analogie aux événements susceptibles d’avoir un impact sur ce dernier. En définitive, le transporteur aérien, en tant qu’entreprise, s’appuie non seulement sur ses aéronefs, mais aussi sur son personnel. En effet, le personnel d’une compagnie aérienne est essentiel pour assurer son fonctionnement dans la mesure où il se charge de tout un éventail de tâches, incluant la navigation de l’aéronef, le maintien de la sécurité des passagers ainsi que le service à bord (26). Les moyens matériels et humains constituent ainsi des éléments indissociables de toute entreprise opérant dans le secteur du transport aérien de passagers.

52.      Il semble donc logique d’imposer au transporteur aérien la responsabilité d’organiser ses effectifs et d’assigner les tâches de sorte qu’il puisse garantir la continuité des opérations malgré la survenance d’incidents perturbateurs tels que l’absence de certains membres de son personnel, liée à un congé annuel ou à un congé de maladie, d’ailleurs réglementés par le droit de l’Union (27), par la législation sociale nationale et par des conventions collectives de travail. Dans la mesure où de tels incidents purement « internes » ne concernent que l’organisation des moyens matériels et humains d’une entreprise, pour laquelle celle‑ci est exclusivement responsable, il apparaît logique de les considérer intrinsèquement liés à son fonctionnement. Partant, ils méritent d’être qualifiés d’incidents « inhérents » à l’activité d’un transporteur aérien, comme de toute autre entreprise.

53.      Toutefois, la situation est différente lorsque le personnel réagit à des facteurs « externes » qui échappent au contrôle du transporteur aérien. C’est le cas lors d’un mouvement de grève à l’appel d’un syndicat de travailleurs. En tant qu’associations de personnes dont l’objectif est la défense des intérêts professionnels communs, les syndicats échappent, par leur formation, à l’influence des employeurs sur le plan structurel. En effet, les syndicats ne font pas partie de la structure décisionnelle de l’entreprise ni du système d’exploitation ou de fonctionnement de l’entreprise. Dans la mesure où un syndicat exprime des revendications tarifaires, exhortant le personnel à arrêter le travail afin de forcer l’employeur à accepter ces revendications, ses activités doivent être considérées comme un facteur « externe » susceptible de perturber sensiblement le fonctionnement du transporteur aérien. Ce constat vaut indépendamment du fait que l’ordre juridique de l’Union reconnaisse la liberté d’association dans le domaine syndical ainsi que le droit à la négociation et aux actions collectives, y compris la grève, sur lesquels je reviendrai plus tard dans le cadre de mon analyse.

54.      L’affaire en l’espèce est un bon exemple de l’ampleur de la perturbation qu’un transporteur aérien peut subir dans ses opérations à la suite des actions collectives organisées par des syndicats. Il ressort du dossier que la grève en cause est décrite comme étant de grande envergure, au motif que les organisations de salariés en Suède, en Norvège et au Danemark y ont participé. En effet, le transporteur aérien a été affecté simultanément par des actions collectives dans les trois pays où celui‑ci exerce la partie la plus importante de son activité économique. En outre, il faut noter que la grève a été lancée à l’appel des syndicats représentant les pilotes des aéronefs, c’est‑à‑dire un secteur du personnel que la juridiction de renvoi décrit à juste titre comme « indispensable pour l’opération d’un vol ». Cette grève a duré sept jours, de sorte que le transporteur aérien a dû annuler plus de 4 000 vols, ce qui a affecté environ 380 000 passagers. Selon les calculs de SAS que celle‑ci a portés à la connaissance de la Cour, si chacun des passagers avait droit à l’indemnisation forfaitaire prévue à l’article 7, cela aurait entraîné un coût d’environ 117 000 000 euros. La menace d’une grève prolongée aurait pu entraîner un préjudice encore plus important. Ces constatations montrent que la cessation des opérations provoquée par une grève syndicale se distingue considérablement, en termes de qualité et d’ampleur, du cas de figure habituel où certains membres du personnel s’absentent du travail à cause d’un congé annuel ou d’un congé de maladie. En conséquence, j’estime que la grève doit être traitée différemment sur le plan juridique.

3)      Les principes dégagés de l’arrêt Krüsemann ne sont pas applicables au cas d’espèce

55.      L’arrêt Krüsemann, dans lequel la Cour a établi qu’une grève sauvage ne constituait pas une « circonstance extraordinaire », n’infirme pas cette appréciation, étant donné que cet arrêt est circonscrit aux circonstances de l’espèce. En effet, il convient d’attirer l’attention sur le fait que la Cour a considéré à cette occasion que l’origine de la grève était « interne », à savoir l’annonce de la restructuration de l’entreprise, et qu’il n’y avait pas eu de participation des syndicats ou des représentants du personnel.

56.      Plus concrètement, la Cour a constaté, premièrement, que le transporteur aérien avait communiqué son plan de restructuration au personnel par une « annonce surprise » et, secondement, que la grève n’avait pas été organisée par les représentants du personnel mais par les travailleurs eux‑mêmes qui s’étaient placés en situation de congé de maladie. Il ressort de l’analyse des motifs de cet arrêt que la qualification de la grève comme « inhérente » à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien était manifestement motivée par les circonstances spécifiques de l’affaire. En particulier, au point 42 dudit arrêt, la Cour inclut une référence « aux conditions visées aux points 38 et 39 » (28), qui ne fait que résumer les éléments factuels de l’affaire au principal. Le contexte spécifique, notamment la mesure de gestion adoptée par le transporteur et susceptible d’entraîner une dégradation des conditions de travail des salariés, permet d’expliquer pourquoi la Cour a été amenée à conclure de manière si catégorique que « les transporteurs aériens peuvent être, de manière ordinaire, confrontés, dans l’exercice de leur activité, à des désaccords, voire à des conflits, avec les membres de leur personnel ou à une partie de ce personnel ».

57.      En revanche, il me semble qu’aucune conclusion ne peut être tirée quant à la qualification d’une grève appelée soudainement, à cause d’un désaccord entre un syndicat et un employeur, tel que c’est le cas dans la présente affaire. Il n’y a aucun indice selon lequel SAS aurait annoncé ou adopté une mesure quelconque susceptible de provoquer un rejet de la part du personnel. La grève en cause semble plutôt avoir eu une motivation plus générale. Il ressort du dossier que les syndicats ont décidé d’appeler à la grève en 2019 devant l’échec, ou l’insuffisante avancée, des négociations avec l’employeur. À cet égard, il y a lieu de relever que les syndicats ont résilié prématurément la convention collective conclue avec SAS, ouvrant ainsi la voie à des négociations collectives, avec tous les risques que comporte une telle approche. En effet, entamer des négociations n’est pas une garantie de succès des revendications. Il s’agit plutôt de trouver un accord avec la partie opposante. Ainsi, la chronologie des événements ayant conduit à la grève semble avoir débuté par la résiliation de ladite convention collective à l’initiative des syndicats eux‑mêmes et de l’échec manifeste de leurs efforts pour obtenir des concessions tarifaires de la part de l’employeur. En revanche, la référence faite à l’accord conclu avec SAS en 2012 par Airhelp – c’est‑à‑dire, sept années avant les événements pertinents aux fins de l’examen de la présente affaire –, dans lequel les syndicats auraient accepté des coupes salariales afin d’assurer la survie de cette compagnie aérienne (29), me paraît trop vague pour pouvoir établir un lien direct de causalité avec la survenance de la grève.

58.      De même, le fait que, dans la présente affaire, ce ne soit pas le personnel lui‑même, mais plutôt une association indépendante de l’entreprise qui perturbe le fonctionnement du transporteur aérien par l’intermédiaire de l’absentéisme du personnel exclut toute application des principes développés dans l’arrêt Krüsemann au cas d’espèce. Par conséquent, il y a lieu de considérer que la grève déclenchée par le syndicat, sans pouvoir reprocher quoi que ce soit à l’employeur, est un facteur « externe » aux activités du transporteur aérien.

59.      Il m’apparaît que la portée de l’arrêt Krüsemann doit être limitée dans la mesure du possible aux circonstances spécifiques qui y ont donné lieu, faute de quoi le considérant 14 du règlement no 261/2004 serait vidé de sa substance. Je note que ce considérant ne laisse aucun doute lorsqu’il qualifie une grève comme susceptible de constituer une « circonstance extraordinaire ». Indépendamment de son caractère a priori indicatif, ainsi que du fait qu’il est évidemment nécessaire d’apprécier, au cas par cas, si les circonstances visées à ce considérant remplissent les deux conditions cumulatives rappelées plus haut (30), la mention de la grève doit être comprise comme un fort indice de la part du législateur de l’Union en faveur d’une telle qualification (31).

60.      Pour ce qui est de l’évolution future de la jurisprudence, et abstraction faite de l’affaire qui nous occupe, il apparaît opportun d’effectuer, lors de l’appréciation du caractère inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien d’une grève, une distinction entre les facteurs perturbateurs purement « internes » et les facteurs « externes ».

61.      D’une part, certaines grèves trouvent leur origine dans un conflit à l’intérieur de l’entreprise même, comme c’était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Krüsemann. D’autre part, il y a des grèves qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur les opérations du transporteur aérien, même si, par leur nature et leur origine, elles ne sont pas liées à la gestion de l’entreprise, mais dépendent plutôt de la volonté d’une entité tierce, par exemple une grève des contrôleurs aériens, des fournisseurs de carburant, du personnel d’assistance au sol ou, de manière générale, une grève politique couvrant plusieurs services publics sur l’ensemble du territoire d’un État membre (32). Dans ce cas de figure, il serait certainement démesuré d’imposer au transporteur aérien l’obligation de veiller à ce que ses activités ne se voient pas perturbées et d’assurer le transport des passagers à n’importe quel prix. Un tel engagement serait dans certains cas presque impossible à tenir.

62.      Cela est d’autant plus vrai que le type de grèves mentionné au point précédent se caractérise par le fait qu’il affecte principalement les conditions générales régissant l’activité économique du transporteur aérien, sur lesquelles ce dernier n’a généralement aucune influence. Dès lors, il apparaît approprié de ne pas considérer ce type de grèves comme un événement « inhérent » à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien.

63.      Il s’ensuit qu’une grève provoquée par le syndicat du personnel d’un transporteur aérien, dans des conditions telles que celles de l’affaire au principal, ne peut pas être considérée comme un événement « inhérent » aux activités de ce dernier.

b)      Le transporteur aérien n’a pas la maîtrise de la grève provoquée par un syndicat de travailleurs

64.      Comme il a été indiqué précédemment, le transporteur aérien n’a aucun contrôle sur les activités ou le pouvoir décisionnel d’un syndicat. Ce dernier ne fait pas partie de la structure de l’entreprise et l’employeur ne participe pas non plus au processus décisionnel interne du syndicat. Il s’agit de deux entités distinctes qui, de surcroît, ne représentent pas toujours les mêmes intérêts sur le plan social. Cela étant dit, il est dans l’ordre des choses qu’un syndicat exerce sa fonction de défense des travailleurs de manière indépendante et hors de toute ingérence de l’employeur. Le syndicat peut, à l’inverse, influencer le fonctionnement d’une entreprise de manière décisive en exhortant les travailleurs qu’il représente à arrêter le travail afin de forcer l’entreprise à donner suite à ses demandes. À supposer que la grève soit « légale », l’employeur ne saurait se servir des moyens issus du droit du travail et du droit procédural pour l’empêcher. Étant donné que la grève initiée par le syndicat constitue un facteur « externe » sur lequel le transporteur aérien n’a aucune influence, il semble cohérent de conclure qu’elle échappe à sa maîtrise effective.

65.      Dans les points suivants, je présenterai quelques arguments au soutien de la thèse selon laquelle une grève, telle que décrite par la juridiction de renvoi dans la première question préjudicielle, ne constitue pas un événement « maîtrisable ». Pour commencer (33), j’exposerai les raisons qui m’amènent à estimer que les principes dégagés de l’arrêt Krüsemann ne sont pas applicables à la situation en cause dans le litige au principal. Ce faisant, je saisirai l’occasion pour soumettre le critère de « responsabilité » dans le déclenchement de la grève, utilisé par la Cour dans ledit arrêt, à une analyse critique au sujet de son utilité. Subséquemment, j’expliquerai le rôle des syndicats des travailleurs et des employeurs dans le cadre dudit « dialogue social », dans le but de démontrer que ceux‑ci, loin d’être dans une relation de subordination, sont, en réalité, des partenaires égaux, ce qui exclut de pouvoir considérer que l’employeur est en mesure d’influencer unilatéralement l’évolution de la grève et que, par conséquent, il en a une maîtrise effective. À cet effet, je rappellerai, dans un premier temps, les dispositions de la Charte qui protègent leurs intérêts respectifs pour proposer, dans un second temps, d’effectuer une mise en balance des intérêts en cause au niveau du droit primaire (34). J’illustrerai, à l’aide de quelques exemples tirés de la jurisprudence, la manière dont la Cour a résolu des conflits d’intérêts de rang constitutionnel dans l’ordre juridique de l’Union (35). L’objectif d’une telle mise en balance est de parvenir à une interprétation du règlement no 261/2004 qui soit conforme aux droits fondamentaux, permettant de concilier les intérêts en jeu. Je finirai par quelques orientations concernant l’interprétation dudit règlement et, notamment, de la notion de « circonstance extraordinaire » (36). Ma conclusion intermédiaire – avant de me pencher sur la pertinence d’autres aspects liés à la grève – sera que les deux critères développés par la jurisprudence aux fins de caractériser une « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement nº 261/2004, telle qu’interprétée à la lumière du considérant 14 de ce règlement, sont remplis en l’occurrence (37).

1)      Les principes dégagés de l’arrêt Krüsemann ne sont pas applicables à la situation en cause au principal

66.      Les conclusions de la Cour dans l’arrêt Krüsemann ne me semblent pas être transposables à la situation en cause au principal parce qu’elles sont liées aux circonstances spécifiques de ladite affaire. Comme il a déjà été indiqué, la Cour a établi dans cet arrêt que la grève sauvage était partiellement sous la « maîtrise effective » de la compagnie aérienne, car elle trouvait son origine dans une décision dudit transporteur aérien. Est également pertinent pour une meilleure compréhension dudit arrêt le fait que la Cour a relevé que ladite grève sauvage avait cessé à la suite d’un accord que le transporteur aérien avait conclu avec les représentants des travailleurs. Il est donc possible de déduire de ces constatations que la Cour a apparemment vu un rapport entre, d’une part, la mesure annoncée par la compagnie aérienne et, d’autre part, la résolution rapide du conflit, éventuellement par la révocation de ladite mesure.

67.      Or, force est de constater que, dans la présente affaire, la grève n’a nullement été une réaction à une quelconque mesure relevant de la gestion de l’entreprise. Au contraire, compte tenu des considérations exprimées précédemment (38) et en l’absence de toute indication contraire, il est à supposer que seules les revendications salariales des travailleurs étaient à l’origine de la grève. Par conséquent, le transporteur aérien ne saurait être considéré exclusivement « responsable », en raison de son comportement, du déclenchement de la grève. Il s’ensuit que les principes dégagés dans l’arrêt Krüsemann ne trouvent pas à s’appliquer dans la présente affaire.

68.      Cela étant dit, je dois avouer que j’éprouve un certain malaise face à ce critère de « responsabilité » dans le déclenchement d’une grève – qui semble être à la base du raisonnement de la Cour dans l’arrêt Krüsemann (39) – et, notamment, quant au fait qu’il devrait être appliqué dans la présente affaire afin de rendre soit le syndicat, soit le transporteur aérien « responsable » de la situation. Dans la mesure où la Cour ne dispose d’aucune information concernant les conditions de travail des salariés auprès de SAS, il me semble inapproprié de juger si les revendications salariales de la part du syndicat étaient justifiées ou non. En outre, une telle qualification dépend du point de vue des partenaires sociaux ainsi que du contexte socio‑économique dans chaque État membre. Comme je l’expliquerai ci-après en détail, il incombe plutôt aux partenaires sociaux de négocier et de fixer librement, sans intervention de l’État ou des institutions, les salaires et conditions de travail dans le cadre de leur autonomie tarifaire (40).

69.      Au-delà de ces considérations, j’observe que ledit critère de « responsabilité » risque d’avoir une utilité assez limitée dans la pratique. Il ne faut pas oublier que le contexte socio‑économique dans un État membre peut aussi évoluer de manière autonome au détriment des conditions de travail, même sans l’intervention de l’employeur, par exemple à la suite d’une inflation ayant un impact sur le pouvoir d’achat des citoyens ou d’une augmentation du coût de la vie liée à d’autres facteurs. Dans un tel cas, l’employeur ne saurait raisonnablement être tenu responsable de la dégradation de la situation des salariés. Cela démontre que ledit critère n’est pas apte à être appliqué à toutes les situations concevables. À mon avis, c’est notamment le cas dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal où il n’est pas possible d’identifier une seule et unique raison pour l’appel à la grève.

2)      Sur les intérêts respectifs des partenaires sociaux et des consommateurs protégés par la Charte ainsi que la nécessité d’une mise en balance

i)      Observations de caractère général

70.      Il convient de relever d’emblée que le dialogue social est reconnu, en vertu de l’article 151 TFUE, comme étant l’un des objectifs de l’Union. Il « affirme sa place centrale et originale dans la gouvernance démocratique de l’Europe » (41). Dans ce contexte, l’article 152, paragraphe 1, TFUE consacre le principe d’autonomie des partenaires sociaux, en prévoyant que l’Union « reconnaît et promeut le rôle des partenaires sociaux à son niveau, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux » et qu’elle « facilite le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie » (42).

71.      Dans la mesure où les partenaires sociaux bénéficient de la même manière de l’autonomie tarifaire précitée et où ils se trouvent ainsi sur un pied d’égalité, on ne saurait supposer sérieusement que le transporteur aérien a la « maîtrise » de la situation parce qu’il aurait pu intégralement céder aux exigences tarifaires afin d’éviter des cessations de travail. Tout comme on ne peut pas s’attendre à ce que le personnel renonce à une grève légalement admise, étant donné que cela représenterait, alors, une renonciation à des exigences justifiées à ses yeux, on ne saurait exiger du transporteur aérien que celui‑ci réagisse aux cessations de travail en cédant sans hésitation à l’ensemble des revendications des travailleurs afin d’échapper à des demandes d’indemnisation de la part des passagers.

72.      À cet égard, il convient de rappeler que les intérêts des partenaires sociaux sont, en principe, protégés de manière équivalente par l’ordre juridique de l’Union, c’est‑à‑dire sans que celui‑ci reconnaisse à l’un ou à l’autre une position de prééminence. En effet, les travailleurs et leurs représentants syndicaux peuvent se prévaloir de la liberté d’association, du droit à la négociation et aux actions collectives, y compris la grève, tous étant des droits fondamentaux garantis par l’article 12, paragraphe 1, et l’article 28, de la Charte, alors que les employeurs peuvent réclamer le droit à la négociation ainsi que la liberté d’entreprise, cette dernière étant consacrée à l’article 16 de la Charte, afin de défendre leurs intérêts respectifs. Supposer que l’un des deux est obligé de renoncer à ses intérêts reviendrait à méconnaître la substance de ces droits.

73.      En tant que partenaires sociaux, ils partagent la responsabilité de parvenir à un accord par l’intermédiaire de négociations. Une telle approche a des avantages incontestables comparée à d’autres mesures que l’avocat général Jacobs a résumées de manière succincte et précise dans ses conclusions présentées dans les affaires Albany (43). Selon lui, « les conventions collectives conclues entre les partenaires sociaux sont susceptibles d’éviter de coûteux conflits de travail, réduisent les coûts inhérents aux compromis grâce à une négociation collective répondant à des règles déterminées, et accroissent la prévisibilité ainsi que la transparence. Un certain équilibre dans les poids respectifs des négociateurs favorise l’adoption de solutions équilibrées pour chacun des partenaires comme pour l’ensemble de la société ». D’ailleurs, dans la mesure où les consommateurs voient leurs intérêts compromis par les grèves du personnel ayant un effet perturbateur sur le transport de passagers, ils en bénéficient également si un accord est trouvé aussitôt que possible par la voie du compromis. Leurs intérêts méritent dès lors d’être dûment pris en compte par les partenaires sociaux.

74.      Les observations précédentes démontrent que des intérêts opposés – au moins sur quelques aspects – sont en jeu dans l’affaire au principal. Ces intérêts étant protégés par les droits fondamentaux inscrits dans la Charte, et bénéficiant ainsi d’un rang constitutionnel, il convient de les mettre en balance afin de résoudre le conflit de manière effective (44). La nécessité d’une telle approche résulte du fait que, souvent, les droits fondamentaux ne peuvent pas être garantis sans restrictions, notamment s’ils entrent en conflit avec d’autres intérêts légitimes protégés par le droit de l’Union, ainsi qu’il ressort des dispositions pertinentes de la Charte. Premièrement, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que l’exercice des droits et des libertés peut être limité si des limitations « sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui » (45). Secondement, l’article 28 de la Charte, lui‑même, subordonne le recours à la grève au respect du « droit de [l’Union] », ce qui inclut d’autres droits garantis par la Charte. Il s’ensuit que le droit de grève pourrait connaître des limites afin de protéger la liberté d’entreprise déjà mentionnée, qui d’ailleurs ne constitue pas non plus une prérogative absolue (46), ainsi que les intérêts des consommateurs, visés à l’article 38 de la Charte.

75.      Les conclusions à tirer d’une mise en balance devront être prises en compte dans l’interprétation du règlement no 261/2004. Je tiens à rappeler que, selon une jurisprudence constante (47), le droit de l’Union, y compris le droit dérivé, doit être interprété à la lumière des droits fondamentaux inscrits dans la Charte. L’objectif d’une telle mise en balance est de parvenir à une interprétation du règlement no 261/2004 qui soit conforme aux droits fondamentaux dans la mesure où elle conciliera les intérêts respectifs. Le principe de l’unité de l’ordre juridique de l’Union exige également d’éviter des incohérences dans l’appréciation globale des intérêts légitimes en jeu.

76.      L’aperçu de la jurisprudence présentée ci‑après vise à illustrer la manière dont la Cour a résolu des conflits d’intérêts de rang constitutionnel dans l’ordre juridique de l’Union. Je mentionnerai, à titre d’exemples, les conflits entre des droits fondamentaux et des libertés fondamentales du marché intérieur, mais également entre des droits fondamentaux mêmes. Abstraction faite de la terminologie applicable, les cas de figure que je présenterai ont en commun le fait d’opposer des droits sociaux à des droits économiques, tout comme dans l’affaire au principal. Cet aperçu de jurisprudence sera suivi par quelques réflexions sur l’interprétation du règlement no 261/2004.

ii)    Aperçu de jurisprudence concernant la résolution de conflits d’intérêts de rang constitutionnel

–       L’équilibre entre les droits fondamentaux et les libertés fondamentales du marché intérieur

77.      L’approche proposée rappelle celle suivie dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union (48), dans laquelle la Cour a été amenée à concilier le droit de mener une action collective, y compris le droit de grève, avec la liberté d’établissement. Je tiens à rappeler que ladite affaire avait pour objet un renvoi préjudiciel portant sur l’interprétation de l’article 43 CE (devenu l’article 49 TFUE). Plus précisément, la juridiction de renvoi souhaitait, en substance, savoir si une entreprise privée pouvait opposer cette liberté fondamentale à l’action collective menée contre elle par un syndicat. Dans ledit arrêt, la Cour a d’abord établi, après avoir souligné le caractère fondamental du droit de grève dans l’ordre juridique de l’Union, que celui‑ci n’était pas de nature à échapper au champ d’application des libertés fondamentales du marché intérieur (49). Ensuite, après avoir conclu que les actions collectives en cause constituaient des restrictions à la liberté d’établissement, la Cour a examiné si elles étaient également justifiées (50). Il est important de relever que la Cour a reconnu que le droit de mener une action collective ayant pour but la protection des travailleurs constituait un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction à l’une des libertés fondamentales garanties par le traité (51).

78.      Toutefois, la Cour n’a pas manqué de rappeler que la Communauté comportait non seulement un marché intérieur caractérisé par l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, mais également une politique dans le domaine social. La Cour a ainsi conclu que la Communauté ayant non seulement une finalité économique, mais également une finalité sociale, les droits résultant des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux devaient être mis en balance avec les objectifs poursuivis par la politique sociale, parmi lesquels figuraient, notamment, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate et le dialogue social (52). En se fondant sur une mise en balance des intérêts divergents, la Cour a subséquemment donné des indications relatives à l’interprétation de l’article 43 CE au juge national de nature à lui permettre de statuer sur le litige dont il était saisi.

–       L’équilibre entre les droits fondamentaux

79.      Les arrêts Scarlet Extended (53) et SABAM (54) me semblent également pertinents, compte tenu de la problématique de la présente affaire. Dans ces arrêts, la Cour s’est prononcée sur l’équilibre à établir entre la protection du droit de propriété intellectuelle, qui relève du droit fondamental de propriété consacré à l’article 17 de la Charte, et celle de la liberté d’entreprise, déjà mentionnée. Ces affaires ont trouvé leur origine dans des litiges opposant, d’un côté, une société de gestion qui représentait des auteurs, des compositeurs et des éditeurs d’œuvres musicales et, de l’autre, des entreprises exploitant une plateforme de réseau social en ligne ainsi qu’un fournisseur d’accès à Internet. Plus concrètement, la requérante au principal avait demandé aux juridictions nationales de condamner les défenderesses à faire cesser les atteintes au droit d’auteur. Les juridictions nationales avaient ensuite présenté des demandes de décision préjudicielle à la Cour visant à établir si le droit de l’Union permettait aux États membres d’autoriser un juge national à rendre une injonction de cessation à l’encontre des défenderesses et de leur ordonner d’installer un système de filtrage capable d’identifier des fichiers électroniques contenant des œuvres musicales, cinématographiques ou audiovisuelles sur lesquelles la requérante prétendait détenir des droits de propriété intellectuelle, en vue de bloquer la mise à disposition du public desdites œuvres qui portait atteinte au droit d’auteur.

80.      Même si la Cour a d’emblée relevé l’importance du droit de propriété intellectuelle, elle a clairement suggéré qu’il ne ressortait nullement de l’article 17, paragraphe 2, de la Charte, pas plus que de la jurisprudence qu’un tel droit « serait intangible et que sa protection devrait donc être assurée de manière absolue » (55). Au contraire, la Cour a indiqué que la protection de ce droit « [devait] être mise en balance avec celle d’autres droits fondamentaux » (56). La Cour a demandé aux autorités et aux juridictions nationales d’assurer un « juste équilibre » entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissaient les titulaires des droits d’auteur, et celle de la liberté d’entreprise dont bénéficiaient les défenderesses en vertu de l’article 16 de la Charte (57)(58). La Cour a conclu que l’injonction de mettre en place le système de filtrage litigieux ne respectait pas l’exigence d’assurer un tel équilibre entre les droits fondamentaux, s’appuyant sur une série d’arguments qui peuvent être interprétés comme des orientations interprétatives pour les juridictions de renvoi. Plus concrètement, la Cour a critiqué les effets d’un tel système de filtrage, du fait qu’il était susceptible d’affecter le droit des utilisateurs à la protection de leurs données à caractère personnel ainsi que leur liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ces droits étant protégés par les articles 8 et 11 de la Charte (59). De plus, elle a fait valoir qu’une telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise des défenderesses puisqu’elle les obligerait à mettre en place un système informatique complexe, coûteux, permanent et à leurs seuls frais (60). Ainsi, la Cour a jugé que le droit de l’Union, « [interprété] au regard des exigences résultant de la protection des droits fondamentaux applicables aux cas d’espèce », devait être interprété en ce sens qu’il s’opposait à une injonction faite aux défenderesses de mettre en place un système de filtrage (61).

81.      Il convient enfin de mentionner l’arrêt McDonagh (62), rendu dans le même domaine de droit que l’affaire en l’espèce, dans lequel la Cour a examiné si l’article 5, paragraphe 1, sous b), et l’article 9 du règlement no 261/2004, qui imposent au transporteur aérien l’obligation de prendre en charge les passagers dont le vol a été annulé, étaient compatibles avec les articles 16 et 17 de la Charte, qui garantissent, respectivement, la liberté d’entreprendre et le droit de propriété. La Cour a observé, tout d’abord, que la liberté d’entreprendre et le droit de propriété n’étaient pas des prérogatives absolues, mais qu’ils devaient être pris en considération au regard de leur fonction dans la société (63). La Cour a mentionné que l’article 52, paragraphe 1, de la Charte admettait sous certaines conditions que des limitations puissent être apportées à l’exercice de droits consacrés par celle‑ci (64). Elle a rappelé que « lorsque plusieurs droits protégés par l’ordre juridique de l’Union s’affrontent, cette appréciation doit s’effectuer dans le respect de la conciliation nécessaire des exigences liées à la protection de ces différents droits et d’un juste équilibre entre eux » (65). La Cour a observé à juste titre que les articles 16 et 17 de la Charte n’étaient pas les seuls droits fondamentaux à être pris en compte dans le cadre d’une mise en balance en ajoutant l’article 38 de celle‑ci qui, à l’instar de l’article 169 TFUE, tendait à assurer, dans la politique de l’Union, un niveau élevé de protection des consommateurs, en ce compris les passagers aériens (66). La Cour a ainsi établi que l’« articl[e] 5, paragraphe 1, sous b), et [l’article] 9 du règlement no 261/2004 [devaient] être considérés comme conformes à l’exigence visant à concilier les différents droits fondamentaux en présence et à établir un juste équilibre entre eux » (67). La Cour a conclu à la conformité des dispositions susmentionnées avec les articles 16 et 17 de la Charte.

3)      Prise en compte des conclusions tirées de la mise en balance d’intérêts dans l’interprétation du règlement no 261/2004

82.      Eu égard à ce qui précède, j’estime que l’interprétation du règlement no 261/2004 à effectuer dans la présente affaire devrait veiller à garder l’équilibre des forces entre les partenaires sociaux. Plus concrètement, elle doit permettre aux travailleurs de recourir aux actions collectives sans pour autant exiger du transporteur aérien de subir des désavantages intolérables susceptibles de menacer l’existence de l’entreprise. Il me semble évident qu’un tel résultat ne serait dans l’intérêt de personne. Sur la base de ces observations de caractère général, je présenterai ci-après quelques orientations qui aideront la Cour à effectuer la mise en balance nécessaire qui influera sur l’interprétation du règlement no 261/2004.

83.      Je suis sensible à l’argument avancé par certaines parties intéressées dans le cadre de la présente affaire, selon lequel il devrait être admis que le transporteur aérien puisse se prévaloir d’une « circonstance extraordinaire » en cas de grève de son propre personnel lorsqu’il tente, tout comme les travailleurs, de faire valoir ses intérêts dans le cadre de négociations. À cet égard, je tiens à rappeler que l’objectif du règlement no 261/2004 est de protéger le consommateur, ainsi qu’il ressort de son considérant 1. Par l’adoption du règlement no 261/2004, le législateur visait à mettre en balance les intérêts des passagers aériens et ceux des transporteurs aériens (68). En revanche, il ne visait pas à protéger le droit des travailleurs à recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève.

84.      Accorder un droit à indemnisation aux passagers en cas d’annulation ou de retard important d’un vol, lorsque celui‑ci a été provoqué dans le cadre d’une grève des travailleurs, fait courir le risque que ce droit à l’indemnisation soit « instrumentalisé » à des fins de mouvements sociaux. En effet, les travailleurs auraient la possibilité de provoquer des demandes d’indemnisation en grand nombre de la part de passagers à l’encontre du transporteur aérien, d’exercer ainsi une pression supplémentaire sur la direction de l’entreprise et d’occasionner un grave préjudice économique à cette dernière qui, sans possibilité d’exonération, serait en principe dans l’obligation de verser des indemnités en cas d’annulations ou de retards importants. Cela supposerait une charge financière considérable pour les transporteurs aériens (69).

85.      Dans ce contexte, je tiens à attirer l’attention sur le fait qu’un transporteur aérien se voit généralement accorder un traitement moins avantageux comparé à d’autres agents économiques se trouvant dans des circonstances similaires. Ainsi que certaines parties intéressées l’ont indiqué lors de l’audience, le règlement no 261/2004 lui impose une obligation d’indemnisation presque « automatique », tandis que d’autres agents économiques pourraient, en principe, se prévaloir de dispositions et de clauses exonératoires prévues respectivement dans les législations nationales en matière de réparation des dommages et dans les contrats eux‑mêmes afin de s’opposer valablement à des demandes de dédommagement (70). Étant donné que cette inégalité de traitement paraît difficilement compréhensible, la question se pose de savoir s’il est nécessaire d’envisager une interprétation « rectificative » du règlement no 261/2004 de façon à prévoir une possibilité d’exonération pour le transporteur aérien.

86.      En vertu de l’article 13 du règlement no 261/2004, lorsqu’un transporteur aérien effectif verse une indemnité ou s’acquitte d’autres obligations lui incombant en vertu dudit règlement, aucune disposition de ce dernier ne peut être interprétée comme limitant son droit à demander réparation des dommages à toute personne, y compris des tiers, conformément au droit national applicable. Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une telle réparation est susceptible d’atténuer, voire d’effacer, la charge financière supportée par le transporteur (71). Cependant, je doute que les pertes financières résultant d’une obligation éventuelle de verser une indemnité aux passagers en cas de grève puissent être compensées par un droit hypothétique du transporteur aérien à demander réparation à des tiers sur le fondement de cette disposition (72). Sous réserve de ce que pourrait prévoir le droit national applicable dans un cas donné, une telle demande de réparation devrait très probablement être adressée à la personne – physique ou morale – réputée avoir causé le dommage. Toutefois, on ne saurait exclure qu’une telle demande s’avère infructueuse dans le cas d’une grève « légale », c’est-à-dire au regard d’une action collective menée à l’encontre de l’employeur en conformité avec le droit national en matière sociale et de travail (73). Par conséquent, dans la mesure où une telle option ne semble pas réalisable sans exceptions, j’estime qu’elle n’est pas de nature à atténuer le dommage provoqué par la grève et ainsi à satisfaire aux intérêts du transporteur aérien.

87.      Même s’il est vrai que le droit aux actions collectives a été conçu dans le but d’aider les travailleurs à affirmer leurs intérêts à l’égard de l’employeur et que la reconnaissance éventuelle par la Cour d’un droit des passagers à obtenir une indemnisation en cas de grève du personnel du transporteur aérien contribuerait à atteindre cet objectif, il me semble qu’une interprétation du règlement no 261/2004 en ce sens irait au-delà de ce qui est nécessaire afin de protéger les travailleurs. Je doute fort que le résultat décrit aux points précédents, à savoir déplacer l’équilibre des forces de manière démesurée en faveur des salariés, ait été envisagé par le législateur de l’Union.

88.      La protection conférée par l’article 16 de la Charte comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre, ainsi qu’il découle des explications afférentes à ce même article, lesquelles doivent, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, être prises en considération pour l’interprétation de celle‑ci (74). Le transporteur aérien a, en tant qu’employeur, le droit de défendre ses intérêts et d’exiger la résolution de tout différend avec le personnel par la voie de négociations. En outre, étant donné qu’il supporte le risque financier, le transporteur aérien a le droit d’adopter les mesures de gestion qu’il considère aptes à assurer la survie de l’entreprise. Il a également le droit d’être protégé de toute perturbation de la part de tiers, y compris l’abus éventuel d’un droit (75), susceptible de mettre en péril son existence (76). Or, le résultat décrit aux points précédents aurait précisément pour conséquence de nier de facto à l’employeur le droit à la défense effective de ses intérêts, puisque l’alternative au fait de céder aux revendications du personnel serait d’accepter le risque de faillite de l’entreprise, ce qui me paraît incompatible avec les garanties des droits fondamentaux prévues par la Charte.

89.      Il ne me semble pas non plus nécessaire que, pour atteindre l’objectif législatif du règlement no 261/2004, il faille reconnaître un droit à indemnisation des passagers dans tous les cas de grève. La sauvegarde de cet intérêt est déjà assurée par le fait que les passagers concernés par une annulation ou un retard important de leur vol à la suite d’une grève des travailleurs continuent à avoir droit à un remboursement ou à un acheminement, au titre de l’article 8, ainsi qu’à une assistance en vertu de l’article 9 du règlement no 261/2004. Cela démontre qu’il y a des moyens proportionnés permettant de protéger le consommateur, tout en tenant compte de l’intérêt légitime des salariés et des employeurs à négocier et à conclure des conventions collectives.

90.      Il résulte des éléments qui précèdent qu’une grève provoquée par un syndicat dans les conditions décrites dans les présentes conclusions échappe à la « maîtrise » d’un transporteur aérien. En tant qu’employeur, le transporteur aérien a le droit et la responsabilité de négocier un accord avec les salariés dans le cadre de l’autonomie tarifaire dont bénéficient les partenaires sociaux. En revanche, il ne peut pas être tenu exclusivement responsable des conséquences découlant des actions collectives du personnel.

c)      Conclusion intermédiaire

91.      Mon examen des faits m’amène à conclure que les deux critères que la jurisprudence a développés aux fins de caractériser une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement nº 261/2004, telle qu’interprétée à la lumière du considérant 14 de ce règlement, sont remplis en l’occurrence.

92.      Il convient, par conséquent, de retenir, en tant que conclusion intermédiaire, qu’une grève organisée à l’appel d’un syndicat, dans le cadre de l’exercice du droit de grève par le personnel du transporteur aérien, en vue d’exprimer des revendications tenant à l’amélioration des conditions de travail – lorsque ladite grève n’est pas déclenchée par une décision préalable de l’entreprise, mais par les revendications des travailleurs – relève de la notion de « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.

d)      Sur la pertinence de la « licéité » d’une grève et de l’existence d’un préavis pour qualifier une circonstance d’« extraordinaire » 

93.      Ainsi qu’il a déjà été indiqué dans les présentes conclusions, le fait que la grève soit « légale », c’est‑à‑dire que l’action collective ait été engagée par le syndicat en conformité avec les règles nationales en matière de droit du travail, peut avoir une certaine incidence sur la marge de manœuvre dont dispose l’employeur se trouvant dans une telle situation (77). Il en va de même pour le point de savoir si la grève a été annoncée à la suite d’un « préavis », cet aspect étant, d’ailleurs, également réglementé par le droit national. Ces deux aspects sont étroitement liés et, partant, méritent d’être examinés conjointement au regard de leur pertinence pour l’examen de la question de savoir si les passagers aériens ont droit à une indemnisation.

94.      D’emblée, je souhaite souligner que, contrairement à ce que suggère la juridiction de renvoi par sa question préjudicielle, il ne me semble pas adéquat, d’un point de vue juridique, d’analyser ces aspects sous l’angle de la « maîtrise effective » d’une circonstance, en tant que critère pertinent pour la qualifier d’« extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement nº 261/2004. J’estime plus approprié de les examiner sous l’angle des « mesures raisonnables » que le transporteur est tenu de prendre afin d’éviter les conséquences typiquement liées à la survenance d’une « circonstance extraordinaire », à savoir l’annulation ou le retard important d’un vol (78). Plusieurs motifs, que j’exposerai ci‑après, militent en faveur d’un examen desdits aspects à ce stade de l’analyse juridique.

95.      Premièrement, il est constant que ces aspects relèvent exclusivement du droit national. En d’autres termes, c’est le droit national qui établit les exigences réglementaires auxquelles ceux‑ci doivent se conformer et, finalement, si une grève est « légale » ou non. Je souscris à l’avis de la Cour, tel qu’il ressort des motifs de l’arrêt Krüsemann, selon lequel distinguer parmi les grèves celles qui, sur la base du droit national applicable, seraient légales de celles qui ne le seraient pas pour déterminer si elles doivent être qualifiées de « circonstances extraordinaires » aurait pour conséquence de faire dépendre le droit à indemnisation de passagers de la législation sociale propre à chaque État membre, portant ainsi atteinte aux objectifs du règlement nº 261/2004, visés à ses considérants 1 et 4, de garantir un niveau élevé de protection des passagers ainsi que des conditions équivalentes d’exercice des activités de transporteur aérien sur le territoire de l’Union (79). Par conséquent, la « licéité » éventuelle d’une grève ne devrait pas être considérée comme un critère décisif pour établir si celle‑ci constitue une « circonstance extraordinaire ».

96.      Deuxièmement, opérer une distinction en fonction de la « licéité » d’une grève reviendrait à remettre en cause les considérations qui sous-tendent l’analyse effectuée dans les présentes conclusions, dont il ressort qu’une grève, telle que décrite dans la première question préjudicielle, échappe à la « maîtrise effective » du transporteur aérien du fait que son origine et son évolution subséquente ne dépendent pas uniquement de la volonté de l’employeur, mais aussi des intentions du syndicat des travailleurs, qui, ainsi que je l’ai expliqué en détail, constitue une entité autonome sur laquelle l’employeur n’a aucune influence (80). Précisément pour ces motifs, on ne saurait exclure que le syndicat décide éventuellement de faire appel à la grève, indépendamment de la question de savoir si une telle approche se révèle conforme ou non aux règles nationales en matière de droit du travail. Cela vaut en particulier pour le respect d’un préavis. Je tiens à faire observer que, dans un tel cas, l’éventuelle illégalité des actions collectives engagées par un syndicat n’ouvrirait que la possibilité pour l’employeur de demander aux tribunaux compétents d’ordonner leur cessation. Toutefois, dans la mesure où une telle procédure requiert du temps, on ne saurait exclure le risque qu’une décision judiciaire ne soit prise qu’après que l’employeur a déjà subi un énorme préjudice économique. Ces considérations montrent, à mon avis, clairement que la « licéité » d’une grève ne constitue pas à elle seule un critère approprié afin de déterminer le caractère « extraordinaire » d’un incident.

97.      Troisièmement, je considère que la réponse à la question de savoir si une grève organisée à l’appel d’un syndicat de travailleurs doit être qualifiée de « circonstance extraordinaire » revêt une telle importance du point de vue de la sécurité juridique qu’elle ne devrait pas être laissée au hasard. Or, cela serait précisément le cas si l’on était obligé de vérifier à chaque fois si les exigences du droit national quant à la manière d’organiser dûment une grève des travailleurs d’une compagnie aérienne avaient été respectées. La conséquence serait une approche extrêmement casuistique, voire aléatoire, qui ne se distinguerait guère de la pratique juridictionnelle actuelle. Pour des raisons liées à la prévisibilité de la jurisprudence et dans le but de donner à la juridiction de renvoi des critères d’appréciation clairs et simples, je propose à la Cour de reconnaître de manière générale qu’une grève, telle que décrite dans la première question préjudicielle, constitue une « circonstance extraordinaire » et que les facteurs caractérisant le litige au principal, tels que la conformité avec les règles nationales en matière de droit du travail prescrivant entre autres le respect d’un préavis, sont uniquement susceptibles de jouer un rôle dans le cadre de l’examen de la question de savoir si le transporteur aérien a pris des « mesures raisonnables ».

98.      Une telle approche en ce qui concerne l’application du règlement no 261/2004 aurait l’avantage de simplifier l’analyse et de permettre au juge national d’apprécier les circonstances du cas particulier. En outre, elle ne comporterait aucun désavantage pour les passagers aériens, étant donné que toutes les « circonstances extraordinaires » ne sont pas exonératoires. En effet, une telle qualification de la grève n’exclurait pas a priori le droit à indemnisation des passagers affectés, mais donnerait plutôt la possibilité de tenir compte de plusieurs aspects pertinents, entre autres, la licéité de la grève et le respect d’un préavis, et d’arriver ainsi à une conclusion plus nuancée.

3.      Les critères pour établir les « mesures raisonnables » que tout transporteur aérien doit prendre

a)      La notion de « mesures raisonnables » conformément à la jurisprudence

99.      En vertu des considérations qui précèdent, il y a lieu d’établir quelles sont les mesures dites « raisonnables » que le transporteur aérien doit prendre afin d’éviter les conséquences d’une grève telle que celle dans l’affaire au principal. Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge sur la pertinence de certains éléments factuels, plus concrètement le fait que la grève lui a été annoncée dans le respect du délai de préavis imposé par le droit national. Dès lors, ces éléments doivent être examinés individuellement à la lumière des critères développés dans la jurisprudence de la Cour.

100. Comme déjà indiqué dans mes remarques préliminaires (81), il ressort de cette jurisprudence que, en cas de survenance d’une « circonstance extraordinaire », le transporteur aérien est libéré de son obligation d’indemnisation prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous c), et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 uniquement s’il est en mesure de prouver qu’il a adopté les mesures adaptées à la situation en mettant en œuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il disposait afin d’éviter que cette circonstance conduise à l’annulation ou au retard important du vol concerné, sans pour autant qu’il puisse être exigé de lui qu’il consente des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent (82).

101. Ainsi, la Cour a retenu une acception souple et individualisée de la notion de « mesure raisonnable », laissant à la juridiction nationale le soin d’apprécier si, dans les circonstances de l’espèce, le transporteur aérien pouvait être regardé comme ayant pris les mesures adaptées à la situation (83), tout en indiquant que seules doivent être prises en considération les mesures pouvant effectivement lui incomber, à l’exclusion de celles relevant de la compétence de tiers (84).

102. Je tiens à constater que, nonobstant le caractère souple et individualisé de cette approche, la jurisprudence précitée impose, dans l’intérêt de la protection des consommateurs, des conditions d’exonération particulièrement strictes, obligeant le transporteur aérien à entreprendre tout ce qui est objectivement possible avec les moyens disponibles afin d’éviter l’annulation ou le retard important d’un vol. En outre, il ne faut pas oublier que l’obligation de transport implique que le passager atteigne sa destination finale dans les meilleurs délais et pas seulement le lieu de correspondance (85). Dès lors, le transporteur aérien ne saurait valablement alléguer qu’il a « rempli partiellement » cette obligation.

103. C’est en gardant les critères susmentionnés à l’esprit qu’il convient de déterminer ce qu’implique l’exigence de prendre toutes les « mesures raisonnables » aux fins d’éviter l’annulation d’un vol à la suite d’une grève du personnel du transporteur aérien dans un contexte tel que celui examiné en l’espèce.

b)      Remarques concernant la répartition des compétences entre le juge national et le juge de l’Union

104. Avant de procéder à l’examen de ces aspects, je tiens à rappeler que le rôle de la Cour dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE se limite à éclairer la portée de la notion de « mesures raisonnables ». En effet, il appartient à la Cour de donner à la juridiction de renvoi les éléments d’interprétation et les orientations nécessaires pour que cette dernière puisse effectuer elle‑même une appréciation juridique des faits et appliquer les dispositions du règlement no 261/2004 en conformité avec l’interprétation obtenue. Le respect de la répartition des compétences entre le juge national et le juge de l’Union est crucial pour garantir le bon fonctionnement du système juridictionnel instauré par les traités (86).

105. Afin d’habiliter la Cour à exercer sa compétence, la juridiction de renvoi devra recueillir minutieusement les faits, permettant ainsi à la Cour de comprendre les enjeux de l’affaire à trancher. Dans ce contexte, on ne saurait sous-estimer la responsabilité que la juridiction de renvoi doit assumer en ce qui concerne l’établissement des faits, étant donné qu’il ne saurait être exclu qu’il y ait des aspects pertinents à prendre en considération dans l’analyse de cette question préjudicielle qui échappent à l’attention de la Cour, faute de renseignements nécessaires, par exemple en ce qui concerne les moyens logistiques, techniques et financiers à la disposition du transporteur aérien. Le degré de précision des orientations que la Cour fournira à la juridiction de renvoi dépendra dans une large mesure des informations recueillies.

c)      Éléments d’interprétation à donner à la juridiction de renvoi

106. Les éléments d’interprétation qui suivent visent à donner à la juridiction de renvoi les orientations nécessaires pour qu’elle puisse effectuer elle‑même l’appréciation des faits d’une manière ciblée et efficace.

1)      Les mesures raisonnables doivent éviter l’annulation ou le retard important d’un vol

107. D’emblée, il y a lieu d’observer que les mesures raisonnables incombant au transporteur aérien en vertu de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doivent viser à éviter aux passagers les conséquences défavorables typiques et, par conséquent, prévisibles, d’une « circonstance extraordinaire », à savoir l’annulation ou le retard important du vol en cause. Dès lors, compte tenu de la conclusion intermédiaire retenue, selon laquelle une grève, telle que décrite dans la question préjudicielle, doit être qualifiée de « circonstance extraordinaire » (87), la juridiction de renvoi n’est pas forcément tenue de vérifier si la survenance de la grève elle‑même aurait pu être évitée par le transporteur aérien. Une telle conclusion me semble logique, étant donné que, en fin de compte, il est inhérent à la notion de « circonstance extraordinaire » qu’elle ne puisse pas être prédite par les parties concernées.

2)      Le transporteur aérien doit exploiter toutes les possibilités légales afin de défendre ses intérêts et ceux des passagers

108. Une appréciation plus nuancée est néanmoins justifiée s’il s’avère que la grève est illégale parce qu’elle ne respecte pas les exigences du droit national en matière sociale et de travail. L’aspect de la « licéité » d’une grève, soulevée par la juridiction de renvoi, peut effectivement revêtir une certaine pertinence lorsqu’il est question de déterminer les « mesures raisonnables » que le transporteur aérien est tenu de prendre (88). Je considère que la responsabilité du transporteur aérien devrait inclure l’obligation d’exploiter toutes les possibilités légales de défendre ses intérêts et, indirectement, ceux des passagers, y compris la saisine des tribunaux compétents pour la résolution des litiges en matière de droit du travail. L’objectif d’une telle démarche consisterait à demander aux tribunaux compétents d’établir l’illégalité des actions collectives et, le cas échéant, d’ordonner leur cessation (89).

109. À cet égard, je tiens à relever que l’article 28 de la Charte ne protège le droit des travailleurs à des actions collectives que « conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ». Cette précision a pour objet de définir le champ d’application du droit fondamental. En lui‑même, l’article 28 de la Charte ne fait pourtant aucune déclaration sur des aspects cruciaux, tels que les conditions qu’une grève légale doit remplir, laissant au droit auquel il renvoie le soin de les spécifier (90). L’article 52, paragraphe 6, de la Charte, au titre duquel « les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte comme précisé dans la présente Charte » doit être interprété dans le même sens (91).

110. Il convient de noter que les compétences législatives de l’Union dans les domaines relevant dudit champ d’application sont très limitées. En effet, l’article 153, paragraphe 1, sous f), TFUE dispose que le Parlement et le Conseil peuvent arrêter, par voie de directives, « des prescriptions minimales pour la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs » (92). Toutefois, il ressort de l’article 153, paragraphe 5, TFUE que cette disposition ne s’applique « ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock-out » (93). Il s’ensuit que l’Union n’a aucune compétence législative qui l’autorise à adopter des règles portant sur l’exercice du droit de grève (94). D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle certaines directives qui font référence aux négociations et actions collectives s’abstiennent de réglementer elles‑mêmes ces aspects. En dépit de ce fait, on ne saurait certainement exclure que la Cour définisse à l’avenir, par voie jurisprudentielle, l’essence de ce droit sur la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres (95).

111. En l’absence de dispositions pertinentes au niveau du droit de l’Union, c’est le droit national qui trouve à s’appliquer. Le renvoi aux « législations et pratiques nationales » doit être interprété comme une subordination à une condition de légalité, déterminée par le droit national. Par conséquent, il est possible de conclure que les travailleurs ne sauraient se prévaloir valablement du droit consacré à l’article 28 de la Charte s’ils enfreignent les règles régissant le recours aux actions collectives. Il ne fait aucun doute que la liberté d’entreprise du transporteur aérien, protégée par l’article 16 de la Charte, devrait s’imposer en cas de conflit. Cela étant dit, il incombe au transporteur aérien de faire valoir ses droits en utilisant les voies de recours disponibles. Les États membres doivent pour leur part prévoir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective des partenaires sociaux en cas de conflit, comme l’exigent l’article 19, paragraphe 1, alinéa 2, TUE et l’article 47 de la Charte.

3)      Le transporteur aérien doit prévoir une réserve de temps afin de pallier les imprévus éventuels

112. Par ailleurs, il y a lieu de prendre en compte le fait que, plus la période séparant l’événement constituant une « circonstance extraordinaire » de l’heure du départ ou d’arrivée d’un vol susceptible d’être affecté par l’événement est longue, plus la marge de manœuvre du transporteur aérien est étendue. En d’autres termes, s’il dispose de suffisamment de temps, le transporteur peut normalement recourir à plusieurs solutions pour acheminer le passager concerné jusqu’à sa destination finale. En revanche, ces solutions seront très limitées, voire quasiment inexistantes, s’il manque de temps (96). Il s’ensuit que le transporteur aérien devrait prévoir une réserve de temps adéquate afin de pallier les imprévus éventuels.

113. En effet, la Cour a rappelé, dans l’arrêt Eglītis et Ratnieks (97), qu’un transporteur aérien raisonnable se caractérise par la planification de ses moyens en temps utile afin de disposer d’une réserve de temps pour être en mesure de prévoir d’autres solutions. Une planification minutieuse et rationnelle des itinéraires par le transporteur aérien est donc cruciale afin de prévenir les difficultés et les désagréments pour les passagers, occasionnés par des annulations de vols et des retards importants, conformément à l’objectif visé au considérant 12 du règlement no 261/2004.

4)      Le transporteur aérien doit prendre en compte le préavis ayant précédé la grève convoquée par le syndicat

114. Les arguments que je viens de présenter au soutien de la nécessité de prévoir une réserve de temps adéquate afin de pallier les imprévus éventuels sont également pertinents dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal dans lequel le syndicat a appelé à la grève dans le respect du délai de préavis prévu par la législation nationale (98). Compte tenu de l’importance que la Cour attache à la prévision d’une réserve de temps, il me semble qu’il serait irresponsable de la part d’un transporteur aérien de ne pas profiter de ce temps additionnel pour exploiter toutes les possibilités dans le but d’atténuer l’impact de la grève sur ses activités. Cela est particulièrement vrai pour une situation telle que celle en cause au principal, où les associations des pilotes avaient déposé un préavis le 2 avril 2019, annonçant une grève à partir du 26 avril 2019. Dès lors, SAS disposait de plusieurs semaines – c’est‑à‑dire d’un délai supérieur au délai minimum (d’au moins sept jours ouvrables) prévu par la législation suédoise – pour faire les arrangements nécessaires. Par conséquent, il convient de répondre à la juridiction de renvoi que le transporteur est obligé de prendre en compte dans sa planification le fait que l’exercice du droit de grève lui a été annoncé dans le respect du délai de préavis imposé par la législation nationale.

115. Par souci d’exhaustivité, il convient de faire observer que la question concernant l’applicabilité des exemptions prévues à l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004 peut se poser dans certains cas. Il ressort de cette disposition que, en cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés ont droit à une indemnisation conformément à l’article 7 dudit règlement, « à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol » moyennant un préavis qui peut varier de deux semaines à moins de sept jours avant l’heure du départ prévue. En fonction de la situation en cause, cette exigence pourrait éventuellement amener à un chevauchement du champ d’application desdites dispositions, à savoir dans les cas où la législation nationale prévoirait que l’appel à la grève doit avoir lieu dans le respect d’un délai de préavis déterminé.

116. Toutefois, je considère que cette possibilité n’est pas, à elle seule, susceptible de mettre en cause l’applicabilité des dispositions donnant droit à une indemnité, à savoir l’article 5, paragraphe 1, sous c), et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, qui font l’objet de la présente demande préjudicielle. De plus, dans la mesure où SAS n’allègue pas avoir eu recours aux exemptions énumérées à l’article 5, paragraphe 1, sous c), dudit règlement afin de ne pas devoir verser d’indemnités aux passagers, cette problématique me semble purement hypothétique et, partant, hors sujet aux fins de l’analyse de la présente affaire.

5)      Le transporteur aérien doit organiser ses moyens matériels et humains afin de garantir la continuité de ses opérations

117. Il a déjà été expliqué dans les présentes conclusions (99) que le transporteur aérien s’appuie sur des moyens matériels et humains pour assurer le fonctionnement de l’entreprise. C’est en appliquant par analogie la jurisprudence concernant le droit à recevoir une indemnité en cas de défaillance technique de l’aéronef que je propose d’imposer au transporteur aérien la responsabilité d’organiser ses effectifs et d’assigner les tâches de sorte qu’il puisse garantir la continuité de ses opérations malgré la survenance d’incidents perturbateurs. Cette approche est conforme à la jurisprudence de la Cour, qui exige expressément que le transporteur aérien « mette en œuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il dispose, afin d’éviter que celle‑ci conduise à l’annulation ou au retard important du vol concerné » (100). Cela requiert, évidemment, un effort en terme de réorganisation du personnel. Ainsi, tout comme le transporteur aérien est obligé de veiller à ce qu’il y ait suffisamment de personnel pour remplacer les absences liées aux congés annuels et aux congés de maladie (101), il me semble cohérent d’exiger que le transporteur aérien dispose, dans la mesure du possible, de personnel approprié pour prendre en charge les tâches des collègues grévistes si nécessaire.

118. À cet égard, il est important de noter que la référence dans la question préjudicielle au fait que la grève concerne « les pilotes d’aéronefs employés par le transporteur aérien » ainsi qu’à la circonstance que la grève ait été lancée licitement « en conformité avec le droit national » soulève deux aspects susceptibles de limiter considérablement la marge de manœuvre de l’employeur lors du déploiement de mesures de réorganisation du personnel et que la juridiction de renvoi devra prendre en compte dans le cadre de son appréciation des faits. Il s’agit des limitations de nature factuelle et réglementaire.

119. En ce qui concerne les limitations factuelles, il convient d’observer que les pilotes d’aéronefs exercent une fonction centrale dans le domaine du transport aérien de passagers, étant donné que celle‑ci demande un haut sens de responsabilité et une parfaite maîtrise des aspects techniques liés à l’opération des avions. C’est la raison pour laquelle les pilotes sont soumis à une formation spécifique et poussée, suivie par un entraînement périodique. C’est donc à juste titre que la juridiction de renvoi estime qu’ils sont « indispensables pour la réalisation d’un vol ». Eu égard au fait que les pilotes d’aéronefs ne peuvent pas être utilement remplacés par d’autres membres de l’équipage exerçant des fonctions distinctes, il me paraît raisonnable d’exiger du transporteur aérien d’assurer, dans la mesure du possible, une continuité opérationnelle. Dès lors, il appartient à la juridiction de renvoi d’évaluer si, et dans quelle mesure, une telle continuité opérationnelle était garantie en l’occurrence.

120. Sur le plan réglementaire, il convient de relever que la circonstance que la législation nationale interdise à l’entreprise d’embaucher du personnel pour remplacer les grévistes peut s’avérer pertinente pour l’analyse. Je tiens à rappeler que la jurisprudence ne qualifie pas de « raisonnables » les mesures susceptibles de constituer un « sacrifice insupportable au regard des capacités de l’entreprise », se référant de toute évidence à celles qui sont supportables sur le plan personnel, technique et économique. Même si la Cour ne s’est pas encore prononcée explicitement sur la question de savoir si cette notion inclut également des mesures légalement admissibles, je n’ai aucun doute qu’il y a lieu d’y donner une réponse affirmative. Le droit de l’Union ne saurait exiger du transporteur d’enfreindre délibérément le droit national, et ce d’autant plus que l’article 28 de la Charte garantit aux travailleurs le droit de recourir à des actions collectives « conformément aux législations et pratiques nationales », ainsi que je l’ai déjà indiqué. Dès lors, dans la mesure où cette disposition renvoie au droit national et que celui‑ci spécifie l’étendue du droit de grève (102), en fixant des limites aux pouvoirs de l’employeur, ce dernier est tenu de les respecter.

121. Il s’ensuit que la circonstance que le droit national interdise éventuellement d’embaucher du personnel pour remplacer les grévistes constitue une circonstance qui revêt une importance particulière et doit, partant, être prise en compte dans le cadre de l’évaluation des « mesures raisonnables » que le transporteur aérien aurait potentiellement dû prendre.

6)      Le transporteur doit faciliter l’accès à des vols sur d’autres compagnies qui ne sont pas touchées par la grève

122. La responsabilité du transporteur aérien envers les passagers ne prend pas fin lorsqu’une grève survient. Au contraire, il est obligé de faciliter l’accès des passagers à des vols sur d’autres compagnies qui ne sont pas touchées par la grève, sujet sur lequel l’arrêt Transportes Aéreos Portugueses (103) donne de précieux indices. Je tiens à rappeler que la Cour a indiqué que, « en cas de survenance d’une circonstance extraordinaire, le transporteur aérien qui entend s’exonérer de son obligation d’indemnisation des passagers [...] ne peut, en principe, se limiter à offrir aux passagers concernés un réacheminement vers leur destination finale par le vol suivant opéré par luimême et arrivant à destination le lendemain du jour initialement prévu pour leur arrivée » (104).

123. La Cour a estimé dans cet arrêt que « la diligence requise de ce transporteur aérien afin de lui permettre de s’exonérer de son obligation d’indemnisation suppose qu’il mette en œuvre tous les moyens à sa disposition pour assurer un réacheminement raisonnable, satisfaisant et dans les meilleurs délais, au nombre desquels figure la recherche d’autres vols directs ou indirects opérés éventuellement par d’autres transporteurs aériens appartenant ou non à la même alliance aérienne et arrivant à un horaire moins tardif que le vol suivant du transporteur aérien concerné » (105).

124. Selon la Cour, « [c]e n’est donc que s’il n’existe aucun siège disponible sur un autre vol direct ou indirect permettant au passager concerné d’atteindre sa destination finale à un horaire moins tardif que le vol suivant du transporteur aérien concerné ou que la réalisation d’un tel réacheminement constitue pour ce transporteur aérien un sacrifice insupportable au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent que ledit transporteur aérien doit être considéré comme ayant mis en œuvre tous les moyens dont il disposait en réacheminant le passager en cause par le vol suivant opéré par ses soins » (106).

125. Il résulte dudit arrêt que le transporteur est, en principe, obligé de prévoir également la possibilité d’assurer un réacheminement sur des vols directs ou indirects opérés éventuellement par d’autres transporteurs aériens pour autant que la réalisation d’un tel réacheminement ne constitue pas un « sacrifice insupportable » pour ce transporteur aérien au regard des capacités de son entreprise, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.

4.      Réponse à la première question préjudicielle

126. Au vu de tous ces éléments, il convient de répondre à la première question qu’une grève suivie par les pilotes d’aéronefs employés par un transporteur aérien et indispensables pour la réalisation d’un vol, d’une ampleur telle que celle dans l’affaire au principal (107), doit être considérée comme une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, lorsqu’elle a été annoncée par des organisations de salariés à la suite d’un préavis et lancée licitement en conformité avec le droit national en tant qu’action collective visant à inciter ledit transporteur aérien à augmenter les salaires, à accorder des avantages ou à modifier les conditions d’emploi en vue de satisfaire aux demandes des organisations de salariés.

127. Dans des conditions telles que celles en cause au principal, le transporteur aérien a l’obligation de prendre des mesures raisonnables visant à éviter l’annulation ou le retard important d’un vol. En particulier, il doit exploiter toutes les possibilités légales afin de défendre ses intérêts et ceux des passagers, prévoir une réserve de temps suffisante afin de pallier les imprévus éventuels, prendre en compte le préavis ayant précédé la grève convoquée par le syndicat, organiser ses moyens matériels et humains afin de garantir une continuité des opérations et faciliter l’accès à des vols sur d’autres compagnies qui ne sont pas touchées par la grève.

C.      Sur la deuxième question préjudicielle

128. Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser, aux fins de l’appréciation du point de savoir si une grève constitue une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, quelle est l’importance qu’il convient d’accorder, le cas échéant, au caractère raisonnable des demandes présentées par les organisations de salariés et, en particulier, au fait que l’augmentation des salaires demandée est nettement plus élevée que les augmentations des salaires généralement appliquées sur les marchés de travail nationaux pertinents.

129. Eu égard à la réponse que je propose de donner à la première question préjudicielle, j’estime qu’il n’est plus nécessaire d’examiner la deuxième question préjudicielle. Dès lors, les observations suivantes ne sont mentionnées que pour des raisons d’exhaustivité et de clarté.

130. Je voudrais signaler d’emblée que je partage pleinement l’avis exprimé par les parties au principal selon lequel il n’appartient pas à la Cour d’examiner au fond la question de savoir si une demande est « raisonnable » ou non. Il est à craindre que, si la Cour ou une juridiction nationale saisie d’un litige concernant l’application du règlement no 261/2004 devait être amenée à apprécier les positions respectives des partenaires sociaux, elle risquerait de s’immiscer dans leurs négociations, ce qui reviendrait à remettre en cause le principe de l’autonomie tarifaire. Or, ainsi qu’il a été expliqué dans les présentes conclusions, cette autonomie implique qu’il incombe aux partenaires sociaux de négocier et de fixer librement, sans l’intervention de l’État ou des institutions, les salaires et les conditions de travail. Par souci d’exhaustivité, je tiens à attirer l’attention sur le fait que, en tout état de cause, la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause sur cette question (108).

131. Par conséquent, je propose à la Cour de s’abstenir de répondre à cette question préjudicielle. La Cour évitera ainsi de prendre position en faveur d’une partie ou l’autre, au risque de remettre en cause l’autonomie des partenaires sociaux en matière de négociation collective.

D.      Sur la troisième question préjudicielle

132. La troisième question préjudicielle vise à déterminer, aux fins de l’appréciation de la notion de « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, l’importance qu’il convient d’accorder, le cas échéant, au fait que le transporteur aérien, dans l’intention d’éviter une grève, accepte une proposition de conciliation présentée par un organisme national chargé de la médiation des conflits collectifs, tandis que les organisations de salariés n’acceptent pas cette proposition.

133. Compte tenu de la réponse proposée à la première question préjudicielle, je ne vois pas la nécessité d’examiner la troisième question préjudicielle. Toutefois, je l’aborderai dans le cadre de mon analyse dans un souci de complétude et de clarté.

134. À cet égard, il y a tout d’abord lieu de noter que l’utilité des divers mécanismes de résolution de différends, y compris la médiation, ne saurait être surestimée. Ces mécanismes constituent des moyens adéquats permettant aux partenaires sociaux de trouver un accord qui tienne compte de leurs intérêts (109). À mon avis, il ne fait guère de doute que le recours à la médiation doit en premier lieu être compris comme un geste de bonne volonté qui montre un engagement sincère pour trouver un compromis durable.

135. Cela étant précisé, j’estime que, dans la mesure où l’ordre juridique de l’Union reconnaît expressément le droit des partenaires sociaux à résoudre leurs différends librement par voie des négociations et sur un pied d’égalité (110), il serait incohérent d’exiger qu’ils se servent d’un mécanisme de résolution de différends déterminé. Il relève plutôt de leur autonomie de choisir la voie appropriée pour arriver à un accord ainsi que d’accepter (ou de rejeter) une proposition de conciliation, en fonction de leurs intérêts respectifs. Dès lors, il ne saurait leur être reproché de poursuivre ces intérêts d’une manière qui leur convient le mieux.

136. C’est précisément cette large marge de manœuvre qui explique, parmi d’autres facteurs, que la grève devienne un événement échappant à la « maîtrise effective » des partenaires sociaux, chacun regardé individuellement, ainsi qu’il a déjà été expliqué dans le cadre de l’examen des critères relevant de la notion de « circonstance extraordinaire » (111). Dans la mesure où chaque partenaire social reste libre de rejeter une proposition d’accord (et, le cas échéant, de présenter une contre-proposition), on ne saurait raisonnablement affirmer qu’une grève, en tant qu’expression de l’existence d’un profond désaccord, constitue un événement « maîtrisable » pour le transporteur aérien.

137. Par ailleurs, je tiens à relever dans ce contexte une certaine similitude avec l’objet de la deuxième question préjudicielle, du fait que la question en cause vise, de toute évidence, à demander à la Cour de se prononcer, en substance, sur le caractère « raisonnable » de la position de négociation des parties. Or, pour les raisons que j’ai déjà exposées dans le cadre de l’examen de la deuxième question préjudicielle, la Cour devrait s’abstenir de prendre position en faveur d’une partie ou de l’autre.

138. Au cas où la Cour déciderait néanmoins de répondre à cette question préjudicielle, je souhaiterais exprimer mes réserves quant à une approche éventuelle qui consisterait à inviter la juridiction de renvoi à appliquer des critères liés à l’attitude ou au comportement des partenaires sociaux avant et durant la grève (112). Il me semble que ce type de critères est plutôt susceptible de devenir un facteur supplémentaire d’incertitude pour la pratique juridictionnelle, dans la mesure où ces critères ouvriraient la voie à une casuistique dont l’évolution est difficile à prévoir. En effet, dans la mesure où l’attitude ou le comportement des partenaires sociaux peut varier considérablement d’une affaire à l’autre en fonction des aspects en jeu, il est à craindre que l’issue d’un litige donné devienne imprévisible.

139. Au cas où ces critères seraient considérés comme pertinents par la Cour, je crains, par ailleurs, qu’une juridiction civile appelée à trancher un litige tel que celui en l’espèce se voie inévitablement confrontée à des questions sensibles en matière de droit du travail qui échappent à sa compétence. Cela étant dit, si le litige devait être porté devant une juridiction nationale spécialisée en droit du travail, il y a un risque que cette juridiction juge les circonstances de l’affaire de manière autre que la juridiction civile. Or, tout cela irait précisément à l’encontre de l’objectif que la Cour devrait poursuivre, à savoir la détermination de critères objectifs capables de promouvoir la sécurité juridique et d’éviter des décisions judiciaires disparates (113). Dans la mesure où la présente affaire porte uniquement sur l’interprétation du règlement no 261/2004, il est conseillé d’éviter d’importer des considérations relevant d’un domaine de droit distinct, à savoir le droit du travail.

140. Les observations précédentes sont d’autant plus pertinentes que le règlement no 261/2004, en tant qu’acte de l’Union, requiert une interprétation autonome en vue d’assurer son application uniforme dans tous les États membres. Étant donné que, premièrement, plusieurs aspects liés au droit du travail et soulevés dans le cadre de la présente affaire relèvent de la compétence du législateur national (114), pouvant de ce fait différer sensiblement entre les États membres et, secondement, que les dispositions applicables de ce règlement ne comportent aucun renvoi au droit national, je ne vois pas pourquoi ces aspects devraient être utilisés comme critères d’interprétation de la notion de « circonstance extraordinaire ».

141. Pour les raisons exposées ci-dessus, je propose à la Cour de ne pas répondre à la troisième question préjudicielle.

VI.    Conclusion

142. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par l’Attunda tingsrätt (tribunal de première instance d’Attunda, Suède) :

–        Une grève suivie par les pilotes d’aéronefs employés par un transporteur aérien et indispensables pour la réalisation d’un vol, d’une ampleur telle que celle dans l’affaire au principal, doit être considérée comme une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) nº 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, lorsqu’elle a été annoncée par des organisations de salariés à la suite d’un préavis et lancée licitement en conformité avec le droit national en tant qu’action collective visant à inciter ledit transporteur aérien à augmenter les salaires, à accorder des avantages ou à modifier les conditions d’emploi en vue de satisfaire aux demandes des organisations de salariés.

–        Dans des conditions telles que celles en cause au principal, le transporteur aérien a l’obligation de prendre des mesures raisonnables visant à éviter l’annulation ou le retard important d’un vol. En particulier, il doit exploiter toutes les possibilités légales afin de défendre ses intérêts et ceux des passagers, prévoir une réserve de temps suffisante afin de pallier les imprévus éventuels, prendre en compte le préavis ayant précédé la grève convoquée par le syndicat, organiser ses moyens matériels et humains afin de garantir une continuité des opérations et faciliter l’accès à des vols sur d’autres compagnies qui ne sont pas touchées par la grève.


1      Langue originale : le français.


2      JO 2004, L 46, p. 1.


3      Arrêt du 17 avril 2018, Krüsemann e.a. (C‑195/17, C‑197/17 à C‑203/17, C‑226/17, C‑228/17, C‑254/17, C‑274/17, C‑275/17, C‑278/17 à C‑286/17 et C‑290/17 à C‑292/17, ci-après l’arrêt « Krüsemann », EU:C:2018:258).


4      Voir, en faveur d’une qualification de « circonstance extraordinaire » d’une grève du personnel d’une compagnie aérienne : Allemagne (arrêt de la Cour suprême du 21 août 2012, affaire X ZR 138/11) ; Royaume-Uni (arrêt du West County Court de Londres du 17 avril 2009, affaire Rigby v. Iberia [2009] 4 WLUK 299) ; Pologne (arrêt du tribunal régional de Varsovie du 5 avril 2017, XXIII Ga 1889/16 et XXIII Gz 1360/16) ; République tchèque (arrêt de la cour municipale de Prague du 20 novembre 2019, no 18 Co 300/2019). Contre une telle qualification : France (arrêt de la Cour de cassation du 24 septembre 2009, affaires 08‑18.177 et 08‑18.178) ; Pays‑Bas (arrêt du tribunal de Rotterdam du 2 juin 2017, affaire 5277790) ; Italie (arrêt de la justice de paix de Trieste du 17 septembre 2012, affaire 668/2012). Cette liste n’est certes pas exhaustive, mais elle permet déjà d’apprécier la diversité des décisions judiciaires.


5      Voir point 3 des présentes conclusions.


6      Arrêt du 4 octobre 2012 (C‑22/11, EU:C:2012:604).


7      Voir arrêt du 4 octobre 2012, Finnair (C‑22/11, EU:C:2012:604, points 33, 37, 38 et 40), ainsi que conclusions de l’avocat général Bot dans cette affaire (EU:C:2012:223, points 49 et 55).


8      Voir point 3 des présentes conclusions.


9      Arrêts du 5 septembre 2019, Verein für Konsumenteninformation (C‑28/18, EU:C:2019:673, point 25) ; du 26 février 2019, Rimšēvičs et BCE/Lettonie (C‑202/18 et C‑238/18, EU:C:2019:139, point 45), ainsi que du 17 avril 2018 (Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 44).


10      Mise en italique par mes soins.


11      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Szpunar dans les affaires jointes X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2017:397, point 132).


12      Arrêt du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771, point 23). Mise en italique par mes soins.


13      Arrêt Krüsemann, point 34.


14      Arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 42).


15      Arrêts du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 37) ; du 12 mars 2020, Finnair (C‑832/18, EU:C:2020:204, point 38), ainsi que du 4 avril 2019, Germanwings (C‑501/17, EU:C:2019:288, point 20).


16      Arrêt du 22 décembre 2008 (C‑549/07, EU:C:2008:771).


17      Arrêt du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771, points 24 et 25).


18      Arrêt du 17 septembre 2015 (C‑257/14, EU:C:2015:618).


19      Arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, points 41 et 42).


20      Arrêts du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771, point 26), et du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 38).


21      Toutefois, le principe selon lequel « à l’impossible nul n’est tenu » (« impossibilium nulla obligatio est ») fait partie des principes généraux du droit de l’Union [voir arrêts du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 79), ainsi que du 3 mars 2016, Daimler (C‑179/15, EU:C:2016:134, point 42)]


.


22      Arrêt du 4 mai 2017 (C‑315/15, EU:C:2017:342).


23      Arrêt du 4 avril 2019 (C‑501/17, EU:C:2019:288).


24      Arrêt du 26 juin 2019 (C‑159/18, EU:C:2019:535).


25      Voir point 42 des présentes conclusions.


26      Voir, à cet égard, règlement (UE) 2018/1139 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2018, concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne, et modifiant les règlements (CE) n 2111/2005, (CE) no 1008/2008, (UE) no 996/2010, (UE) no 376/2014 et les directives 2014/30/UE et 2014/53/UE du Parlement européen et du Conseil, et abrogeant les règlements (CE) no 552/2004 et (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil ainsi que le règlement (CEE) no 3922/91 du Conseil (JO 2018, L 212, p. 1), qui établit, entre autres, des exigences essentielles relatives au personnel navigant (annexe IV) et aux opérations aériennes (annexe V). Il ressort de ces dispositions que le personnel navigant doit posséder un niveau de compétence professionnelle suffisant (tant sur le plan théorique que pratique) ainsi qu’une aptitude médicale afin de remplir de manière satisfaisante ses fonctions.


27      Voir, entre autres, directive 2000/79/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, concernant la mise en œuvre de l’accord européen relatif à l’aménagement du temps de travail du personnel mobile dans l’aviation civile, conclu par l’Association des compagnies européennes de navigation aérienne (AEA), la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF), l’Association européenne des personnels navigants techniques (ECA), l’Association européenne des compagnies d’aviation des régions d’Europe (ERA) et l’Association internationale des charters aériens (AICA) (JO 2000, L 302, p. 57) qui établit des limitations et des normes minimales, y compris des dispositions concernant un congé annuel payé, ainsi que le règlement (UE) no 83/2014 de la Commission, du 29 janvier 2014, modifiant le règlement (UE) no 965/2012 déterminant les exigences techniques et les procédures administratives applicables aux opérations aériennes conformément au règlement (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil (JO 2014, L 28, p. 17) qui établit les exigences qui doivent être respectées par tout exploitant de transport aérien commercial et ses membres d’équipage en ce qui concerne les limitations des temps de vol et de service et les exigences en matière de repos pour les membres d’équipage.


28      Mise en italique par mes soins.


29      Voir points 24 et 25 des présentes conclusions.


30      Voir points 35 et 39 des présentes conclusions.


31      Voir point 38 des présentes conclusions.


32      Dans ses conclusions dans l’affaire Finnair (C‑22/11, EU:C:2012:223, points 53 et 55), concernant une grève du personnel de l’aéroport, l’avocat général Bot a indiqué que la grève ne peut pas être imputée au transporteur aérien au motif que ce dernier n’a aucune maîtrise sur cet événement. Par ailleurs, il convient de noter que la proposition de règlement de la Commission, du 13 mars 2013, visant à modifier le règlement no 261/2004 (COM(2013) 130 final), contient une liste non exhaustive de circonstances considérées comme « extraordinaires » qui mentionne, entre autres, « les conflits du travail chez des prestataires de services essentiels tels que les aéroports et les prestataires de services de navigation aérienne », ce qui semble soutenir l’interprétation défendue. Cela étant dit, j’observe que « les conflits de travail chez le transporteur aérien effectif », c’est‑à‑dire une situation comme celle en l’espèce, sont assimilés à ces cas de figure.


33      Voir points 66 à 69 des présentes conclusions.


34      Voir points 70 à 76 des présentes conclusions.


35      Voir points 77 à 81 des présentes conclusions.


36      Voir points 82 à 92 des présentes conclusions.


37      Voir point 92 des présentes conclusions.


38      Voir point 57 des présentes conclusions.


39      Voir, en ce sens, Herrmann, C., « Entschädigung der Fluggäste bei wildem Streik – das TUIfly des EuGH vom 17.4.2018 », Reise-Recht aktuell : Zeitschrift für das Tourismusrecht, 2018, p. 102 ; Croon, J., et Callaghan, J. A, « “Wild Cat” Ruling by the European Court of Justice », Zeitschrift für Luft- und Weltraumrecht, 2018, n° 4, p. 601, qui supposent que le raisonnement de la Cour part de la prémisse que le transporteur aérien doit subir les conséquences de ses actions, vu qu’il est normalement tenu de supporter le risque économique lié à la gestion de l’entreprise.


40      Voir point 74 de mes conclusions dans l’affaire EPSU/Commission, C‑928/19 P, EU:C:2021:38.


41      Communication de la Commission, intitulée « Le dialogue social européen, force de modernisation et de changement » [COM(2002) 341 final du 26 juin 2002, p. 6].


42      Cette disposition est applicable à l’Union et, par l’intermédiaire de l’article 13 TUE, à toutes les institutions. Mise en italique par mes soins.


43      C‑67/96, C‑115/97 et C‑219/97, EU:C:1999:28, point 181.


44      Selon Hesse, K., Grundzüge des Verfassungsrechts der Bundesrepublik Deutschland, Heidelberg 1999, p. 28, point 72, « les intérêts légitimes protégés par le droit constitutionnel doivent être mis en balance les uns par rapport aux autres afin que chacun devienne réalité. Il convient d’imposer des limites auxdits intérêts afin qu’ils puissent atteindre une efficacité optimale ». Voir aussi Alexy, R., « Constitutional Rights and Proportionality », Journal for constitutional theory and philosophy of law, 2014, n° 22, p. 51, qui considère que certains droits fondamentaux constituent « des principes qui doivent être mis en balance pour qu’ils puissent être réalisés dans la mesure du possible, compte tenu des possibilités juridiques et factuelles ».


45      Mise en italique par mes soins.


46      Arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich (C‑283/11, EU:C:2013:28, point 45).


47      Voir arrêts du 13 mai 2014, Google Spain et Google (C‑131/12, EU:C:2014:317, point 68) ; du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics (C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, point 69) ; du 11 septembre 2014, A (C‑112/13, EU:C:2014:2195, point 51), ainsi que du 25 mai 2016, Meroni (C‑559/14, EU:C:2016:349, point 45).


48      Arrêt du 11 décembre 2007 (C‑438/05, EU:C:2007:772).


49      Arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union (C‑438/05, EU:C:2007:772, point 47).


50      Arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union (C‑438/05, EU:C:2007:772, point 74).


51      Arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union (C‑438/05, EU:C:2007:772, point 77).


52      Arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union (C‑438/05, EU:C:2007:772, points 78 et 79).


53      Arrêt du 24 novembre 2011 (C‑70/10, EU:C:2011:771).


54      Arrêt du 16 février 2012 (C‑360/10, EU:C:2012:85).


55      Arrêts du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C‑70/10, EU:C:2011:771, point 43) et du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, point 41).


56      Arrêts du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C‑70/10, EU:C:2011:771, point 44) et du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, point 42).


57      Arrêts du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C‑70/10, EU:C:2011:771, point 46) et du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, points 43 et 44).


58      Everson, M., et Correia Gonçalves, R., The EU Charter of Fundamental Rights – A Commentary (Peers, Hervey, Kenner, Ward), Oxford 2014, art. 16, p. 455, point 16.40, soulèvent l’importance de ces arrêts du fait qu’ils imposent aux juridictions nationales l’obligation de mettre en balance le droit de propriété avec la liberté d’entreprise, ce qui a pour conséquence de transformer la liberté d’entreprise en une obligation privée ou un droit subjectif.


59      Arrêts du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C‑70/10, EU:C:2011:771, point 50) et du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, point 48).


60      Arrêts du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C‑70/10, EU:C:2011:771, point 48) et du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, point 46).


61      Arrêts du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C‑70/10, EU:C:2011:771, point 54) et du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, point 52).


62      Arrêt du 31 janvier 2013 (C‑12/11, EU:C:2013:43).


63      Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 60).


64      Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 61).


65      Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 62).


66      Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 63).


67      Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 64). Mise en italique par mes soins.


68      Voir arrêts du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 52) ; du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a. (C‑402/07 et C‑432/07, EU:C:2009:716, point 67), ainsi que du 23 octobre 2012, Nelson e.a. (C‑581/10 et C‑629/10, EU:C:2012:657, point 39).


69      Voir, en ce sens, Kučko, M., « The decision in TUIfly : are the Ryanair Strikes to be seen as extraordinary circumstances ? », Air and Space Law, 06/2019, vol. 44, n° 3, p. 334, qui affirme que même si un tel résultat renforcerait les droits des passagers, il ne serait pas souhaitable pour les compagnies aériennes, car il risquerait de donner un avantage injuste aux syndicats. La perspective de verser une indemnisation aux passagers en plus de devoir supporter les pertes accumulées durant la période de grève serait susceptible d’obliger les compagnies aériennes à céder à n’importe quelle demande (même déraisonnable) des syndicats ; Flöthmann, M., « Verbraucherschutz : Ausgleichszahlungen nach Flugausfall trotz wilden Streiks des Flugpersonals », Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht, 2018, p. 461, qui voit le risque que cela encourage les salariés à mener des actions collectives contre les transporteurs aériens dans le but de les obliger à accéder à leurs demandes.


70      Certaines parties intéressées ont rappelé que le droit national subordonne le droit à une réparation des dommages à une condition de « culpabilité » (« intention » ou « négligence ») pour le préjudice causé. Elles ont également fait valoir qu’un agent économique pourrait, en principe, se prévaloir des clauses exonératoires contenues dans le contrat ou le renégocier avec son partenaire commercial, en vertu de leur autonomie contractuelle.


71      Arrêts du 4 mai 2017, Pešková et Peška (C‑315/15, EU:C:2017:342, point 36) ; du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 46), et du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a. (C‑402/07 et C‑432/07, EU:C:2009:716, point 68).


72      Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Finnair (C‑22/11, EU:C:2012:223, point 56) dans lesquelles il a proposé cette solution. Toutefois, il convient de noter que, premièrement, ladite affaire se distingue de celle en l’espèce au motif qu’elle concernait une grève du personnel de l’aéroport (et non pas du personnel du transporteur aérien à l’initiative d’un syndicat) et, secondement, l’avocat général s’est limité à affirmer qu’un tel droit pouvait, en principe, exister, conformément au droit national applicable.


73      Voir, en ce sens, Wendeling-Schröder, « Schadensersatz drittbetroffener Unternehmen bei Streiks ? », Arbeit und Recht, 03/2017, vol. 65, n° 3, p. 96 ; Unterschütz, J., « Strike and Remedies for Unlawful Strikes in the Legal System of Poland, Hungary, and Slovakia », International Journal of Comparative Labour Law and Industrial Relations, 2014, vol. 30, n° 3, p. 335, qui expliquent, par rapport au droit allemand, polonais, hongrois et slovaque, que le droit à réparation n’existe qu’à la suite de grèves illégales ou d’actes illégaux à l’occasion d’une grève.


74      Arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich (C‑283/11, EU:C:2013:28, point 42).


75      Voir, en ce sens, Gernigon, B., Odero, A., et Guido, H., ILO principles concerning the right to strike, Genève 2000, p. 42, qui indiquent que le droit de grève n’est pas un droit absolu et que son exercice devrait être conforme aux autres droits fondamentaux des citoyens et des employeurs. Les législations nationales prévoient généralement des sanctions de tels abus qui peuvent varier, en fonction de la gravité des conséquences résultant de ces abus, du licenciement à des sanctions financières ou pénales de différents types.


76      Voir, en ce sens, Everson, M., et Correia Gonçalves, R., The EU Charter of Fundamental Rights – A Commentary (Peers, Hervey, Kenner, Ward), Oxford 2014, art. 16, p. 459, point 16.52, qui attirent l’attention sur le fait que la liberté d’entreprise est étroitement liée au droit de propriété ainsi qu’au droit de travailler, ce qui a pour conséquence qu’elle doit être considérée comme un « droit existentiel ».


77      Voir points 64 et 86 des présentes conclusions.


78      Voir points 108 à 111 (sur la licéité d’une grève) et points 114 à 116 (sur la nécessité de prendre en compte le préavis ayant précédé la grève) des présentes conclusions.


79      Arrêt Krüsemann, point 47.


80      Voir points 40 et 64 des présentes conclusions.


81      Voir point 35 des présentes conclusions.


82      Arrêt du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 57).


83      Arrêts du 26 juin 2019, Moens (C‑159/18, EU:C:2019:535, point 27) et du 4 mai 2017, Pešková et Peška (C‑315/15, EU:C:2017:342, point 30).


84      Arrêts du 26 juin 2019, Moens (C‑159/18, EU:C:2019:535, point 27) et du 4 mai 2017, Pešková et Peška (C‑315/15, EU:C:2017:342, point 43).


85      Voir arrêt du 26 février 2013, Folkerts (C‑11/11, EU:C:2013:106, points 35 et 47).


86      Voir points 67 et 68 de mes conclusions dans l’affaire Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:135).


87      Voir point 92 des présentes conclusions.


88      Voir point 94 des présentes conclusions.


89      Voir, en ce sens, Jarec, W., « Eindeutiges und Widersprüchliches im Urteil des EuGH in der Rs Krüsemann ua/TUIfly », Ecolex, 2019, n° 1, p. 102.


90      Voir Krebber, S., EUV/AEUV. Das Verfassungsrecht der Europäischen Union mit Europäischer Grundrechtecharta. Kommentar (Calliess/Ruffert), 4. Auflage, art. 28 GRCh, p. 2903, point 3.


91      Voir, en ce sens, Barnard, C., The EU Charter of Fundamental Rights – A Commentary (Peers, Hervey, Kenner, Ward), Oxford 2014, art. 28, p. 792, point 28.57.


92      Mise en italique par me soins.


93      Mise en italique par me soins.


94      Voir, en ce sens, Lembke, U., Europäisches Unionsrecht Kommentar (Hans von der Groeben/Jürgen Schwarze/Armin Hatje), 7. Aufl., 2015, Band 1, art. 28 GRCh, p. 682, point 15.


95      Voir, à cet égard, Krebber, S., EUV/AEUV. Das Verfassungsrecht der Europäischen Union mit Europäischer Grundrechtecharta. Kommentar (Calliess/Ruffert), 4. Auflage, art. 28 GRCh, p. 2903, point 8.


96      Voir, à cet égard, mes conclusions dans l’affaire Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:135, point 72).


97      Arrêt du 12 mai 2011 (C‑294/10, EU:C:2011:303, point 28).


98      Voir point 93 des présentes conclusions.


99      Voir point 51 des présentes conclusions.


100      Arrêt du 4 avril 2019, Germanwings (C‑501/17, EU:C:2019:288, point 19 et jurisprudence citée). Mise en italique par mes soins.


101      Voir, en ce sens, Flöthmann, M., « Verbraucherschutz : Ausgleichszahlungen nach Flugausfall trotz wilden Streiks des Flugpersonals », Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht, 2018, p. 461, selon lequel il peut être attendu d’un transporteur aérien que celui‑ci dispose de suffisamment de personnel pour assurer ses opérations.


102      Voir point 111 des présentes conclusions.


103      Arrêt du 11 juin 2020,(C‑74/19, EU:C:2020:460).


104      Arrêt du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 58). Mise en italique par mes soins.


105      Arrêt du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 59). Mise en italique par mes soins.


106      Arrêt du 11 juin 2020, Transportes Aéreos Portugueses (C‑74/19, EU:C:2020:460, point 60).


107      Voir point 54 des présentes conclusions.


108      Voir point 68 des présentes conclusions.


109      García, A., Romero Pender, E., Medina, F., et Euwema, M., « Mediation in Collective Labor Conflicts », Industrial Relations & Conflict Management, 2019, p. 5 et 10, expliquent que les conflits collectifs de travail font inévitablement partie de la vie dans une société. Des tensions entre les intérêts et les droits des employés, de la direction et des propriétaires, en tant qu’actionnaires ou des agents publics, peuvent facilement atteindre des niveaux destructeurs. Pour cette raison, les sociétés développent des cadres juridiques pour régler ces conflits. Un des moyens pour résoudre des différends est la médiation qui peut être définie comme toute assistance par des tiers aux parties pour les aider à éviter l’escalade du conflit, à y mettre fin et à trouver des solutions négociées.


110      Voir point 71 des présentes conclusions.


111      Voir point 90 des présentes conclusions.


112      Des critères tels que le « caractère constructif et ouvert au dialogue » des partenaires sociaux ou l’« acceptation du recours à un médiateur ».


113      Voir point 32 des présentes conclusions.


114      Voir point 93 des présentes conclusions.