Language of document : ECLI:EU:T:2023:500

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Notion d’“homme d’affaires influent” – Égalité de traitement – Proportionnalité – Droit de propriété – Liberté d’entreprise – Droit au respect de la vie privée »

Dans l’affaire T‑335/22,

Tigran Khudaverdyan, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Me F. Bélot, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes L. Vétillard et S. Van Overmeire, en qualité d’agents, assistées de Me B. Maingain, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, V. Valančius et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 2 mai 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Tigran Khudaverdyan, demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87 I, p. 44), et du règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « premiers actes de maintien »), et, troisièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « seconds actes de maintien » et, pris avec les actes initiaux et les premiers actes de maintien, les « actes attaqués ») en tant que ces actes inscrivent et maintiennent son nom sur les listes annexées auxdits actes.

 Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité arménienne.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

4        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives interdisant notamment le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale.

6        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

7        Le 25 février 2022, le Conseil a adopté une deuxième série de mesures restrictives applicables notamment dans le domaine de la finance, de la défense, de l’énergie, dans le secteur de l’aviation et de l’industrie spatiale.

8        À la même date, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause. Selon le considérant 11 de la décision 2022/329, le Conseil a estimé qu’il convenait de modifier les critères de désignation de façon à inclure les personnes et entités qui apportaient un soutien au gouvernement de la Fédération de Russie, ou qui tiraient avantage de ce gouvernement, ainsi que les personnes et entités qui lui fournissaient une source substantielle de revenus et les personnes physiques ou morales associées aux personnes et entités figurant sur la liste.

9        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée »), se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a)      à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;

[…]

f)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

10      Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

11      L’article 1er, paragraphe 1, sous a), d) et e), de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a), f) et g), de cette même décision.

12      Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

13      Dans ce contexte, le 15 mars 2022, le Conseil a adopté les actes initiaux.

14      Par ces actes initiaux, le nom du requérant a été ajouté, respectivement, à la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et à celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 modifié (ci-après les « listes en cause »), aux motifs suivants :

« [Le requérant] est le directeur exécutif de Yandex – l’une des principales entreprises de technologie en Russie, spécialisée dans les produits et services intelligents alimentés par l’apprentissage automatique. L’ancien directeur de l’information de Yandex a accusé la société d’être un “élément essentiel dans la dissimulation d’informations” vis- à-vis des Russes au sujet de la guerre en Ukraine. En outre, la société a régulièrement alerté les utilisateurs russes recherchant des nouvelles concernant l’Ukraine sur son moteur de recherche[s] sur des informations non fiables circulant sur [I]nternet, après que le gouvernement russe a menacé les médias russes concernant ce qu’ils publient.

Le 24 février 2022, [le requérant] a assisté à une réunion des oligarques au Kremlin avec [le président Poutine] pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il ait été invité à participer à cette réunion montre qu’il fait partie du cercle rapproché des oligarques proches [du président Poutine] et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. En outre, il est un homme d’affaires influent intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

15      Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 16 mars 2022 (JO 2022, C°121 I, p. 1) un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes initiaux. Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes annexées aux actes initiaux, en y joignant des pièces justificatives.

16      Par un courriel du 6 avril 2022, le requérant a demandé au Conseil la communication du dossier ayant servi de fondement à l’adoption des mesures restrictives le concernant. Par lettre du 13 avril 2022, le Conseil a communiqué au requérant les informations figurant dans les dossiers portant la référence WK 3644/2022 INIT et WK 3644/2022 ADD 1 contenant les éléments de preuve le concernant, datés du 12 mars 2022 (ci-après les « premiers dossiers WK »).

17      Par lettre du 30 mai 2022, le requérant a introduit une demande de réexamen des actes initiaux auprès du Conseil.

18      Le 7 juin 2022, le requérant a introduit le présent recours en annulation.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

19      Par une lettre du 20 juin 2022, le Conseil a fait part au requérant de son intention de prolonger les mesures restrictives à son égard et l’a invité à lui communiquer ses observations, ce que le requérant a fait dans les lettres des 4 juillet et 9 septembre 2022.

20      Par les premiers actes de maintien du 14 septembre 2022, les mesures prises à l’encontre du requérant ont été prolongées jusqu’au 15 mars 2023.

21      Dans les premiers actes de maintien, le Conseil a justifié la prorogation des mesures restrictives visant le requérant en reprenant l’ensemble des motifs des actes initiaux, comportant, en substance, la modification suivante : « [Le requérant] est l’ancien directeur exécutif de Yandex […] »

22      Par lettre du 15 septembre 2022, le Conseil a répondu à la demande de réexamen du 30 mai 2022 du requérant, en rejetant cette demande et en lui notifiant sa décision de le maintenir sur les listes en cause.

23      Par lettre du 16 septembre 2022, le requérant a demandé au Conseil la communication du dossier ayant servi de fondement à l’adoption des premiers actes de maintien. Par lettre du 27 octobre 2022, le Conseil a répondu au requérant qu’il ne disposait pas de nouveaux éléments de preuve.

24      Par lettre du 1er novembre 2022, le requérant a formulé des observations en réponse à la lettre du Conseil du 15 septembre 2022 et demandé le réexamen des premiers actes de maintien.

25      Le 25 novembre 2022, le requérant a adapté ses conclusions, conformément à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, de sorte que celles-ci visent également à l’annulation des premiers actes de maintien, en tant que ces actes le concernent.

26      Par lettre du 22 décembre 2022, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 17624/2022 INIT, daté du 14 décembre 2022 (ci-après le « second dossier WK »).

27      Par lettre du 19 janvier 2023, le requérant a formulé des observations en réponse à la lettre du 22 décembre 2022.

28      Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté les seconds actes de maintien qui ont prolongé les mesures prises à l’encontre du requérant jusqu’au 15 septembre 2023. Les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause ont été modifiés comme suit :

« [Le requérant] est ancien directeur exécutif et ancien directeur général adjoint chez Yandex NV, fonctions dont il a démissionné à la suite de son inscription sur les listes de l’Union européenne. Il reste l’un des cadres supérieurs de Yandex, orientant les activités de la société.

Yandex est la plus grande entreprise technologique de Russie. Elle fournit des recettes fiscales considérables au gouvernement de la Fédération de Russie. Des banques publiques russes telles que Sberbank et VTB sont actionnaires et investisseurs dans la société. En 2019, Yandex a accepté une restructuration qui a donné une “action spécifique” (golden share) à une fondation d’intérêt public nouvellement créée pour “défendre les intérêts de la Fédération de Russie”. À travers cette fondation d’intérêt public, le gouvernement de la Fédération de Russie est en mesure d’avoir un droit de veto sur une liste précise de questions.

Depuis le début de la guerre d’agression contre l’Ukraine, Yandex a suivi la politique d’information et la censure du gouvernement de la Fédération de Russie. Les résultats des recherches effectuées par le moteur de recherche Yandex ont été conformes aux exigences des autorités russes, ne montrant que les sources liées à la propagande pro-guerre russe. En outre, Yandex a aidé des sites Internet présentant des allégations fausses et prorusses sur l’invasion de l’Ukraine à réaliser des bénéfices grâce à la publicité numérique.

Le 24 février 2022, [le requérant] a assisté à une réunion des oligarques au Kremlin avec Vladimir Poutine pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il ait été invité à participer à cette réunion montre qu’il fait partie du cercle rapproché des oligarques proches de Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine.

C’est un homme d’affaires influent ayant une activité dans un secteur économique qui constitue une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, et il a apporté un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. Il est responsable de soutenir activement ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, de même que la stabilité ou la sécurité en Ukraine. »

29      Par lettre du 14 mars 2023, le Conseil a répondu à la demande de réexamen du 1er novembre 2022 du requérant, en rejetant cette dernière et en lui notifiant sa décision de le maintenir sur les listes en cause.

30      Le 14 avril 2023, le requérant a adapté ses conclusions, conformément à l’article 86 du règlement de procédure, de sorte que celles-ci visent également à l’annulation des seconds actes de maintien, en tant que ces actes le concernent.

 Conclusions des parties

31      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

32      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués dans la mesure où le nom du requérant a été inscrit sur les listes en cause, ordonner que les effets de la décision 2023/572 soient maintenus en ce qui concerne le requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2023/571 prenne effet.

 En droit

33      Au soutien de ses conclusions en annulation, le requérant invoque quatre moyens, tirés, le premier, d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement et, le quatrième, d’une violation des droits fondamentaux. Dans les deux mémoires en adaptation, le requérant invoque également, dans le cadre du premier moyen, relatif à la violation du droit à une protection juridictionnelle effective et à l’obligation de motivation, la violation de l’obligation du Conseil de revoir sa décision et de son droit d’être entendu.

34      Le Tribunal estime opportun de se prononcer, à titre liminaire, sur la recevabilité de la preuve déposée par le requérant lors de l’audience.

 Sur la recevabilité de la preuve déposée par le requérant lors de l’audience

35      Le Conseil fait valoir que cette pièce doit être déclarée irrecevable en raison de la tardiveté de sa présentation, dans la mesure où la question du statut de consultant du requérant a été discutée d’emblée par le Conseil dès les premiers échanges d’écritures entre les parties.

36      À titre liminaire, il convient de relever que la recevabilité de cette preuve se pose uniquement dans le cadre de la demande d’annulation en ce qu’elle vise les premiers et seconds actes de maintien, dès lors que le requérant a été transféré en tant que consultant pour Yandex à partir du 15 mars 2022, soit le jour où les actes initiaux ont été adoptés.

37      S’agissant de la recevabilité de cette preuve, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, les parties principales peuvent encore, à titre exceptionnel, produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié. À défaut d’une telle motivation ou si celle-ci est jugée insuffisante, les preuves ou les offres de preuve présentées sont écartées comme étant tardives.

38      En l’espèce, le requérant a présenté une attestation de Yandex datant du 28 avril 2023, décrivant les tâches qu’il exerçait pour le compte de cette société en tant que consultant. Néanmoins, à l’instar du Conseil, il y a lieu de relever que la question du statut de consultant du requérant a été soulevée par ce dernier dès le stade de la duplique. Le requérant n’ayant pas expliqué si et la raison pour laquelle il n’était pas en mesure d’obtenir la production d’une telle preuve, à tout le moins au stade du second mémoire en adaptation, sa production tardive ne saurait être justifiée.

39      Il résulte de ce qui précède que cet élément de preuve est irrecevable dans le cadre de l’analyse de la demande d’annulation concernant les premiers et seconds actes de maintien.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’obligation de motivation, et à l’obligation de revoir la décision ainsi que du droit d’être entendu

40      Le présent moyen se divise en trois branches.

41      Premièrement, dans le cadre de la première branche, relative à l’obligation de motivation, tout d’abord, le requérant fait valoir que les informations fournies par le Conseil dans les actes attaqués ne lui permettent pas de connaître les raisons sur lesquelles le Conseil fonde ses décisions et de préparer sa défense efficacement. En effet, d’une part, les motifs ne seraient pas suffisamment précis et les premiers dossiers WK ne contiendraient que dix éléments de preuve, principalement des articles de presse qui ne sont pas détaillés. D’autre part, le Conseil ne présenterait pas le lien entre ces premiers dossiers WK et les critères sur la base desquels le requérant a été inscrit sur les listes en cause. Partant, selon le requérant, le Conseil n’a pas formulé de motifs individuels, spécifiques et concrets de nature à lui donner une indication suffisante sur le bien-fondé des actes attaqués. Ensuite, le requérant relève une différence dans la formulation des motifs dans les actes attaqués et dans la première page des premiers dossiers WK, qui porterait à confusion quant à la nature exacte des faits qui lui sont reprochés. Enfin, le requérant formule des critiques relatives à la véracité des allégations figurant dans les motifs d’inscription sur les listes en cause et du contenu de ces deux documents.

42      Dans le premier mémoire en adaptation, le requérant fait valoir que le Conseil ne lui a toujours pas fourni des éléments de définition ou de clarification concernant les critères ou les motifs de son inscription sur les listes en cause.

43      Dans le second mémoire en adaptation, le requérant relève que le second dossier WK ne contient qu’une seule preuve et que, ainsi, le Conseil ne fournit pas de nouveaux arguments en faveur des seconds actes de maintien. Il ajoute, en substance, que l’exposé des motifs dans les seconds actes de maintien est incohérent et porte à confusion.

44      Deuxièmement, dans le cadre de la deuxième branche, relative à l’obligation du Conseil de procéder à un réexamen périodique des mesures restrictives, qui vise uniquement les premiers et seconds actes de maintien, le requérant fait valoir que le Conseil n’a pas satisfait à son obligation de réexamen dans la mesure où il n’a pas pris en compte le changement de sa situation professionnelle.

45      Troisièmement, dans le cadre de la troisième branche, relative au droit d’être entendu qui vise uniquement les premiers et seconds actes de maintien, le requérant soutient que le Conseil était tenu de respecter ce droit au moment de l’inscription initiale de son nom sur les listes en cause, et ce avant de décider du maintien de ces dernières. Il ajoute que, si le Conseil avait respecté ce droit d’être entendu, il n’aurait pas pu renouveler les sanctions à son égard. Le requérant précise que le Conseil n’a jamais réellement procédé à l’analyse du bien-fondé des éléments rassemblés contre lui et n’a pas, non plus, consenti à sa demande d’obtenir un entretien oral.

46      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

47      Premièrement, concernant la première branche, relative à la violation alléguée de l’obligation de motivation, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises aux fins d’en apprécier le bien-fondé et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 50 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 47 et jurisprudence citée).

48      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 53 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).

49      En outre, la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application des mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (voir arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 111 et jurisprudence citée).

50      À titre liminaire, le Tribunal considère que, dans la mesure où les arguments relatifs à la véracité des allégations figurant dans les motifs d’inscription sur les listes en cause et du contenu des premiers dossiers WK et du second dossier WK visent en réalité une erreur d’appréciation et non une violation de l’obligation de motivation, ils seront examinés dans le cadre de l’analyse du deuxième moyen, dont l’objet est l’erreur d’appréciation.

51      En l’espèce, en premier lieu, il convient de relever que le contexte général ayant conduit le Conseil à adopter les mesures restrictives en cause est exposé dans les considérants des actes attaqués. De même, il résulte desdits actes l’indication de la base juridique des mesures adoptées par le Conseil, respectivement l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE. La motivation des actes attaqués est celle exposée aux points 14, 21 et 28 ci-dessus.

52      En deuxième lieu, il résulte de manière suffisamment claire de la lecture de cette motivation, pour les actes initiaux et les premiers actes de maintien, que le Conseil a inscrit le requérant sur les listes en cause en se fondant sur deux critères, qui sont également explicitement mentionnés dans les motifs d’inscription, soit ceux visés à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et g), de la décision 2014/145 modifiée (ci-après, respectivement, le « critère a) » et le « critère g) »). Il résulte également de manière suffisamment claire de la lecture de la motivation des seconds actes de maintien que le Conseil a ajouté le critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145 modifiée (ci-après le « critère f) » et, pris avec les critères a) et g), les « critères pertinents »). Ainsi, le requérant a pu comprendre qu’il avait été inscrit et maintenu sur les listes en cause en raison de ces trois critères pertinents. La mention dans les seconds actes de maintien du soutien « actif » concernant le critère a), qui relève de l’ancienne formulation de ce critère, et la mention au passé du critère f), contrairement à ce que soutient le requérant dans le second mémoire en adaptation, ne l’a pas empêché de comprendre qu’il était visé par ces deux critères.

53      En troisième lieu, les motifs visés aux points 14 et 21 ci-dessus lui ont permis de comprendre qu’il avait été inscrit, pour les actes initiaux, et maintenu, pour les premiers actes de maintien, sur les listes en cause en raison notamment du fait qu’il a été le directeur exécutif et le directeur général adjoint de Yandex, l’une des principales entreprises de technologie russe dont l’ancien directeur de l’information a indiqué qu’elle était un élément essentiel dans la dissimulation d’informations au sujet de la guerre en Ukraine, que cette société a régulièrement alerté les utilisateurs russes que des informations non fiables relatives à la guerre en Ukraine circulaient sur Internet, et qu’il a assisté à une réunion des oligarques du Kremlin du 24 février 2022. À cet égard, le Conseil a également fait droit à la demande d’accès au dossier formulée par le requérant et lui a transmis les premiers dossiers WK par lettre du 13 avril 2022.

54      Pour les seconds actes de maintien, les motifs visés au point 28 ci-dessus ont permis au requérant de comprendre qu’il avait été maintenu sur les listes en cause, outre pour les motifs susvisés légèrement modifiés, dans la mesure où il serait toujours l’un des cadres supérieurs de Yandex, où cette société fournirait des recettes fiscales considérables au gouvernement de la Fédération de Russie, où les banques russes VTB et Sberbank seraient actionnaires de cette société, en raison des liens de la Fondation d’intérêt public (ci-après la « FIP ») avec Yandex, et où cette dernière aurait aidé des sites Internet présentant des allégations fausses et prorusses sur l’invasion de l’Ukraine à réaliser des bénéfices grâce à la publicité numérique. À cet égard, le Conseil a transmis le second dossier WK le 22 décembre 2022.

55      En quatrième lieu, dans les lettres du 15 septembre 2022 et du 14 mars 2023, le Conseil a également apporté des précisions relatives aux raisons justifiant le maintien du nom du requérant sur les listes en cause.

56      En cinquième lieu, le fait que la motivation soit légèrement différente dans les premiers dossiers WK et dans les actes attaqués ne saurait être interprété comme une contradiction dans la motivation, le requérant ayant clairement compris les éléments susmentionnés.

57      Il y a donc lieu de relever que les considérations figurant dans la motivation retenue par le Conseil à l’égard du requérant visent à décrire la situation concrète de ce dernier, et sont dès lors suffisantes. Il ressort d’ailleurs de la requête, de la réplique et des deux mémoires en adaptation que le requérant a compris les raisons ayant justifié l’inscription de son nom sur les listes en cause.

58      Il convient d’ajouter que le Tribunal est en mesure d’en évaluer le bien-fondé.

59      Deuxièmement, concernant la deuxième branche, relative à l’obligation du Conseil de procéder à un réexamen périodique des mesures restrictives, tout d’abord, il y a lieu de relever que le Conseil a fait part au requérant dans des lettres des 20 juin et 22 décembre 2022 de son intention de prolonger les mesures restrictives à son égard et l’a invité à lui communiquer ses observations, ce que le requérant a fait dans des lettres des 4 juillet et 9 septembre 2022 ainsi que dans celle du 19 janvier 2023. Ensuite, il résulte de la lecture des lettres du 15 septembre 2022 et du 14 mars 2023 que le Conseil a bien pris en compte la démission du requérant de son poste de directeur exécutif et de directeur général adjoint de Yandex et que le renvoi à la présente procédure concernait uniquement le surplus des arguments du requérant et certains points spécifiques. Enfin, le fait que, à l’occasion de l’examen de l’opportunité de proroger les mesures restrictives à l’encontre du requérant, le Conseil ait estimé ne pas devoir faire droit aux demandes de celui-ci, notamment au regard de sa démission, ne constitue pas une violation de l’obligation de réexamen périodique qui lui incombe.

60      Il s’ensuit qu’il convient d’écarter la deuxième branche du premier moyen.

61      Troisièmement, concernant la troisième branche, relative au droit d’être entendu, il résulte d’une jurisprudence constante que le Conseil n’est pas tenu de permettre au requérant d’expliquer sa situation à l’occasion d’une audition formelle (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Boshab/Conseil, C‑242/21 P, non publié, EU:C:2022:375, point 62 et jurisprudence citée). Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, le Conseil n’était pas dans l’obligation de lui accorder un entretien oral. En outre, il suffit de constater, comme cela est évoqué au point 59 ci-dessus, que le Conseil a invité le requérant les 20 juin et 22 décembre 2022 à faire valoir ses observations quant à une éventuelle prorogation des mesures restrictives à son égard.

62      Dès lors, il convient d’écarter le troisième grief et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

63      Dans le cadre de ce moyen, le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil n’apporte pas d’éléments concrets, précis et concordants permettant de constituer une base factuelle suffisante afin d’étayer l’inscription de son nom sur les listes en cause en application des critères pertinents.

64      Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.

 Considérations liminaires

65      À titre liminaire, il importe de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme étant tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont satisfaits, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union européenne doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

66      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

67      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

68      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

69      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le présent moyen, en commençant par l’application au requérant du critère g).

 Sur les éléments de preuve produits par le Conseil

70      En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil a fourni les premiers dossiers WK, dont le contenu est présenté ci-après :

–        un extrait du site Internet Twitter de février 2022 (pièce no 1) ;

–        un article de presse du site Internet de The Bell de mars 2020 (pièce no 3) ;

–        un article de presse de Tjournal de mars 2022 (pièce no 4) ;

–        un extrait du site officiel de Yandex consulté en mars 2022 (pièce no 5) ;

–        un article de presse du site Internet de la BBC de mars 2020 (pièce no 6) ;

–        un article de presse du site Internet de The Guardian consulté en mars 2022 (pièce no 7) ;

–        un article de presse du site Internet de Reuters de février 2022 (pièce no 8) ;

–        un article de presse du site Internet de The Guardian de novembre 2018 (pièce no 9) ;

–        un article de presse du site Internet de Business Insider de mars 2022 (pièce no 10).

71      S’agissant des seconds actes de maintien, le Conseil s’est fondé sur un élément de preuve supplémentaire dans le second dossier WK, consistant en un article de presse du site Internet de Kommersant de mars 2022 (pièce no 1 du second dossier WK).

 Sur l’application au requérant du critère g)

72      S’agissant du critère relatif à l’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, le requérant fait valoir, en substance, deux arguments.

73      En premier lieu, il soutient qu’il n’est pas un « homme d’affaires influent ». À cet égard, tout d’abord, il relève que l’interprétation du terme « influent » que propose le Conseil est trop vaste, dans la mesure où elle ne ferait pas référence à une importance de nature économique ou décisionnelle, de sorte qu’elle ne permet pas au requérant de comprendre en quoi il aurait ce statut. Ensuite, concernant la réunion du 24 février 2022, il relève que sa présence à cette réunion ne peut être une preuve de son appartenance à la catégorie des « oligarques » ou au cercle proche du président Poutine, dans la mesure où il ne s’agissait pas d’une réunion portant sur des questions géopolitiques. Il précise qu’il a accédé aux postes de directeur exécutif et de directeur général adjoint de Yandex par ses propres mérites et qu’il est un cadre d’entreprise. Il ajoute qu’il ne contribue pas lui-même au budget de la Fédération de Russie et ne tire pas d’avantages personnels du régime. Enfin, le requérant souligne que le fait qu’il ait eu des intérêts dans une seule société est insuffisant pour pouvoir le considérer comme un homme d’affaires influent, comme le confirmerait l’arrêt du 24 novembre 2021, Al Zoubi/Conseil (T‑257/19, EU:T:2021:819).

74      En second lieu, il affirme que le secteur économique dans lequel il intervient ne peut pas être considéré comme fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. À cet égard, il relève que le secteur de l’information et des communications, dans lequel opère Yandex, ne représentait que moins de 3 % du produit intérieur brut (PIB) en Russie en 2021. Il ajoute que Yandex n’est pas non plus une source importante de revenus pour le gouvernement russe et que les revenus et financements qu’il perçoit ne sont pas liés au gouvernement russe.

75      Dans les deux mémoires en adaptation, le requérant fait valoir que même s’il devait être considéré que son inscription sur les listes en cause est valide pour les actes initiaux, ce qu’il conteste par ailleurs, il ne pourrait en être de même pour les actes de maintien dans la mesure où il a démissionné de ses fonctions au sein de Yandex. Il ajoute que le Conseil n’a pas démontré en quoi il aurait conservé ce statut et ses capacités d’influence à la suite de sa démission et précise à ce titre que sa fonction de consultant dans cette société ne lui confère aucune influence.

76      Concernant les nouveaux motifs exposés dans les seconds actes de maintien, le requérant fait valoir, en substance, que Yandex n’apporte pas des recettes fiscales considérables au gouvernement de la Fédération de Russie et que le seul paiement d’impôts ne saurait lui être reproché, que VTB n’a participé à aucune collaboration avec Yandex et que sa participation dans cette dernière est minoritaire, que Sberbank ne détient plus d’actions dans Yandex depuis 2019, qu’il a démissionné du conseil d’administration de la FIP le 13 avril 2023 et, enfin, que cette dernière ne visait pas à défendre les intérêts de la Fédération de Russie.

77      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

78      En l’espèce, il résulte de la motivation de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause qu’il est visé, s’agissant du critère g), par les mesures restrictives concernées en tant que « homme d’affaires influent intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine ».

79      Or, il y a lieu de relever que ce critère implique la notion d’influence liée à l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe », sans autre condition concernant un lien avec le régime. Le Conseil vise en effet, par ce critère, à exploiter l’influence que la catégorie de personnes visées est susceptible d’exercer sur le régime russe en l’espèce, en les poussant à faire pression sur ce gouvernement pour qu’il modifie sa politique.

80      La notion d’« hommes d’affaires influent », doit donc être comprise comme visant l’importance de ces derniers, au regard, selon le cas, de leurs statuts professionnels, de l’importance de leurs activités économiques, de l’ampleur de leurs possessions capitalistiques ou de leurs fonctions au sein d’une ou de plusieurs entreprises dans lesquelles ils exercent ces activités.

81      Une telle interprétation est corroborée par le fait que l’objectif des mesures restrictives est de faire pression sur le gouvernement de la Fédération de Russie et d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157).

82      L’objectif mentionné au point 81 ci-dessus implique que, par l’expression « qui fournissent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie », ce sont les secteurs économiques et non les hommes d’affaires qui sont visés, ce qui correspond à l’un des objectifs visés par les mesures restrictives, à savoir affecter les secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour la Fédération de Russie.

83      De ce fait, il y a lieu d’interpréter le critère g) en ce sens qu’il a vocation à s’appliquer, d’une part, à des femmes et hommes d’affaires influents dans le sens décrit au point 80 ci-dessus et, d’autre part, que ce sont les secteurs économiques dans lesquels interviennent ces personnes qui doivent constituer une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

84      C’est donc à l’aune de cette interprétation du critère g) qu’il convient d’examiner le bien-fondé des motifs d’inscription et de maintien retenus dans les actes attaqués.

85      À titre liminaire, une distinction doit être faite entre les actes initiaux, d’une part, et les premiers et seconds actes de maintien, d’autre part, en ce que les premiers visent le requérant, notamment, en tant que directeur exécutif et directeur général adjoint de Yandex, alors que les derniers le visent en tant qu’ancien directeur exécutif et ancien directeur général adjoint de cette société et, pour les seconds actes de maintien, comme étant l’un des cadres supérieurs de Yandex, orientant les activités de la société.

–       Sur les actes initiaux

86      Les motifs retenus à l’égard du requérant qui se rattachent au critère g) ont trait au fait que, à la date des actes initiaux, il était directeur exécutif et directeur général adjoint de Yandex, l’une des principales entreprises de technologie en Russie, spécialisée dans les produits et services intelligents alimentés par l’apprentissage automatique, et qu’il a assisté le 24 février 2022, à une réunion des oligarques au Kremlin avec le président Poutine, ce qui démontrerait qu’il fait partie du cercle rapproché des oligarques proches de ce dernier.

87      À cet égard, en premier lieu, il est constant entre les parties que, jusqu’au 15 mars 2022, le requérant était directeur exécutif et directeur général adjoint de Yandex (pièce no 5), soit les plus hautes fonctions au sein de cette société après celles du président et fondateur de cette dernière. L’importance du statut du requérant au sein de Yandex est corroborée par le fait que, à la date des actes initiaux, il faisait partie des trois dirigeants de Yandex ayant été nommés membres de la FIP (pièce no 6), une organisation à laquelle Yandex a émis une « action prioritaire » qui permet à cette organisation, en substance, de désigner deux des directeurs du conseil d’administration de Yandex, d’avoir un droit de veto sur l’acquisition de participations supérieures à 10 % de ladite société, et un contrôle indirect sur les décisions relatives à la fourniture d’un accès direct aux données personnelles des utilisateurs russes à des personnes étrangères, ou à la cession de propriété intellectuelle importante.

88      En deuxième lieu, il est également constant entre les parties que Yandex est le principal moteur de recherches en ligne en Russie, qu’elle a créé de nombreux produits et services et qu’elle est cotée au Nasdaq. Ces éléments sont confirmés dans la requête et se trouvent notamment dans les pièces nos 7 à 10. Il ressort notamment de la pièce no 7 que cette société est le principal fournisseur de recherches en ligne en Russie, ce qui est corroboré par les éléments produits par le requérant qui indiquent, notamment, que ladite société a plus de 100 millions d’utilisateurs par mois et que ses prévisions pour l’année 2022 estimaient son chiffre d’affaires à environ 500 milliards de roubles russes (RUB) (environ 6 milliards d’euros).

89      En troisième lieu, il convient de souligner que le requérant a été présent lors d’une réunion du 24 février 2022 organisée par le président Poutine et réunissant plusieurs hommes d’affaires russes (pièce no 1). Or, bien que n’étant pas à lui seul déterminant, cet élément corrobore le caractère d’homme d’affaires influent du requérant. En effet, le Conseil relève, sans être contredit par le requérant, que, parmi tous les hommes d’affaires actifs en Russie, seuls 37 ont été conviés à cette réunion.

90      Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant était un homme d’affaires influent en raison de l’importance de son statut et de ses fonctions au sein de Yandex et de l’importance économique de cette société.

91      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par le requérant.

92      En premier lieu, il n’est pas contesté que le requérant ait accédé aux postes de directeur exécutif et de directeur général adjoint par ses propres mérites. Néanmoins, le Conseil a apporté un faisceau d’indices permettant de considérer que, en raison des hautes responsabilités qui résultent de ces deux postes, de l’importance de Yandex sur le marché russe et de la présence du requérant à la réunion du 24 février 2022 en tant que représentant de cette société, il ne saurait être considéré comme un « simple » employé de Yandex. Par ailleurs, le requérant ne démontre pas que, dans les circonstances propres à l’espèce, le fait d’être salarié ne serait pas compatible avec le fait d’être un homme d’affaires influent.

93      En deuxième lieu, il convient de rejeter l’argument du requérant selon lequel la solution dégagée dans l’arrêt du 24 novembre 2021, Al Zoubi/Conseil (T‑257/19, EU:T:2021:819), induirait que la concentration de ses intérêts dans une seule société serait insuffisante pour remplir le critère d’homme d’affaires influent. En effet, le raisonnement du Tribunal dans cet arrêt ne portait pas tant sur le fait que la partie requérante ait été active dans un seul domaine d’activité, mais plutôt, sur le fait que, en raison de sa fonction d’actionnaire majoritaire d’une société et à l’absence d’implications en raison de cette fonction, elle ne pouvait être considérée comme un homme d’affaires influent. Or, la situation est différente en l’espèce, dans la mesure où le requérant était, à la date des actes initiaux, directeur exécutif et directeur général adjoint de Yandex, le principal moteur de recherches en ligne en Russie, et qu’il a représenté cette société lors de la réunion du 24 février 2022.

94      En troisième lieu, quant à la mention dans les motifs d’inscription concernant la réunion du 24 février 2022 et au fait que le requérant ait été invité à participer à celle-ci, ce qui montrerait qu’il fait partie du cercle rapproché des oligarques proches du président Poutine, il suffit de relever que, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si le requérant peut être qualifié d’oligarque, sa seule présence à cette réunion, qui réunissait les dirigeants d’entreprises les plus importantes de Russie, renforce, ainsi que cela est déjà indiqué au point 89 ci-dessus, la conclusion que le requérant avait une place particulièrement importante au sein de Yandex et que, en raison de l’importance économique de cette société, il est bien un homme d’affaires influent.

95      En quatrième lieu, est inopérant l’argument du requérant relatif à sa propre contribution au budget de la Fédération de Russie dans la mesure où le critère g) n’exige pas une telle contribution directe.

96      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’examiner, dans un second temps, si le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que le requérant avait une activité dans des secteurs économiques qui fournissaient une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

97      En l’espèce, il ressort des motifs des actes initiaux et des premiers dossiers WK que le secteur dans lequel le requérant exerce son activité est celui des technologies de l’information et des communications.

98      À cet égard, il convient de relever, d’abord, ainsi que cela est évoqué au point 87 ci-dessus, que Yandex, au sein de laquelle le requérant occupait des fonctions de premier plan en tant que directeur exécutif et directeur général adjoint, est le principal moteur de recherches en ligne en Russie et que cette société est cotée au Nasdaq.

99      Il ressort notamment de la pièce no 7, ainsi que cela a été évoqué au point 88 ci-dessus, que Yandex a été qualifiée de l’équivalent de Google en Russie. En effet, il ressort de cette même pièce que cette société est le principal fournisseur de recherches en ligne en Russie, ce qui est corroboré par les éléments produits par le requérant qui indiquent notamment que ladite société a plus de 100 millions d’utilisateurs par mois et que ses prévisions pour l’année 2022 estimaient son chiffre d’affaires à environ 500 milliards de RUB (environ 6 milliards d’euros).

100    Par ailleurs, il ressort également de la pièce no 7 que Yandex propose plusieurs produits et services, notamment de recherches, de géolocalisation, de mobilité, de commerce en ligne, de livraison de nourriture, et comporte plusieurs filiales, ce qui est corroboré par des éléments produits par le requérant.

101    Au vu de la diversité de ces activités en Russie, notamment de la fonction de Yandex en tant que plateforme créant des activités commerciales pour de nombreux acteurs de l’économie russe, de sa position sur le marché russe comme société principale dans le secteur des services en ligne, il y a lieu de considérer que cette dernière contribue à différents secteurs de l’économie russe.

102    Or, les secteurs de l’économie dans lesquels le requérant a des activités, notamment celui des technologies de l’information et des communications, sont stratégiques en terme de croissance économique. Il ressort d’ailleurs des pièces nos 7 et 9 que les activités de Yandex sont particulièrement importantes en Russie, ce qui est illustré par la création de la FIP pour ces raisons. Cela est également corroboré par la circulaire adressée aux actionnaires produite par le requérant, qui indique qu’une société comme Yandex représente un écosystème qui dessert des dizaines de millions de consommateurs et d’entreprises en Russie et qui a vocation à développer de manière croissante ses produits et services innovants.

103    Il est vrai que les éléments susmentionnés représentent la croissance liée aux activités de Yandex. Néanmoins, il n’en demeure pas moins que ces éléments donnent une idée de l’accroissement exponentiel de ce secteur qui fournit nécessairement une source de revenus substantielle au gouvernement de la Fédération de Russie. Cela est corroboré par l’annexe B 10 produite par le Conseil en réponse aux arguments du requérant, qui est un guide sur la situation commerciale en Russie pour le secteur des technologies de l’information et des communications, indiquant que ce secteur est comparable à celui de l’approvisionnement en énergie en ce qui concerne le PIB, qu’il emploie environ 1,3 million de personnes en Russie et qu’il a vocation à se développer.

104    Ainsi, il y a lieu de tenir compte du développement économique résultant de l’expansion de ce secteur qui entraîne des investissements dans d’autres secteurs stratégiques.

105    Certes, il est vrai que ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié ne définissent cette notion de « source substantielle de revenus ». Il convient cependant de relever que l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc pas négligeable. De même, le Conseil n’a pas fourni de données chiffrées des revenus procurés à ce gouvernement. Toutefois, les secteurs d’activité dans lesquels le requérant est impliqué fournissent, directement ou indirectement, une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

106    À cet égard, ainsi que l’a réitéré à juste titre le Conseil lors de l’audience, l’ensemble des taxes sur toutes les activités et flux dans le secteur des technologies de l’information et des communications représente une source, bien qu’indirecte, de revenus substantielle.

107    Partant, eu égard, d’une part, aux fonctions du requérant au sein de Yandex et, d’autre part, aux activités de cette société, il y a lieu de considérer que le requérant est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

108    Il y a donc lieu d’en conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

109    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant selon lequel le secteur des technologies de l’information et des communications ne représenterait qu’une contribution fiscale insignifiante par rapport aux recettes fiscales totales du budget de la Fédération de Russie. Tout d’abord, quand bien même cela serait établi, il n’en demeure pas moins qu’une telle contribution, même si elle est susceptible d’être inférieure à celle d’autres secteurs d’activités, peut être qualifiée de substantielle. En effet, l’application du critère g) n’oblige pas le Conseil à prendre en compte la totalité des recettes fiscales du budget de l’État russe, mais seulement à vérifier que le secteur économique dans lequel le requérant a ses activités constitue une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Ensuite, cet argument fait abstraction du paiement des impôts indirects. Enfin, en tout état de cause, cet argument ne tient pas compte du fait que le secteur des technologies de l’information et des communications et l’activité de Yandex stimulent le développement de l’économie russe, ainsi que cela a été évoqué au point 102 ci-dessus.

110    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le Conseil pouvait à bon droit considérer que le requérant satisfaisait au critère g) et que son nom pouvait être inscrit à ce titre sur les listes en cause dans les actes initiaux.

–       Sur les premiers et les seconds actes de maintien

111    Dans les premiers actes de maintien, le Conseil a justifié la prorogation des mesures restrictives visant le requérant en reprenant l’ensemble des motifs des actes initiaux, à l’exception, en substance, de la modification suivante : « [Le requérant] est l’ancien directeur exécutif de Yandex […] » Le Conseil a précisé au requérant dans sa lettre du 15 septembre 2022, portant notification des premiers actes de maintien, en substance, que son nom avait été maintenu sur les listes en cause au motif que sa démission n’avait pas d’impact sur le fait qu’il était toujours un homme d’affaires influent et qu’il était toujours membre du conseil d’administration de la FIP, qui exerce un contrôle sur Yandex.

112    Dans les seconds actes de maintien, le Conseil a indiqué : « [Le requérant] est ancien directeur exécutif et ancien directeur général adjoint chez Yandex, fonctions dont il a démissionné à la suite de son inscription sur les listes de l’Union européenne. Il reste l’un des cadres supérieurs de Yandex, orientant les activités de la société. » Le Conseil a précisé au requérant dans sa lettre du 14 mars 2023, portant notification des seconds actes de maintien, en substance, que son nom avait été maintenu sur les listes en cause, dès lors que sa démission n’avait pas d’impact sur le fait qu’il était toujours un homme d’affaires influent. À cet égard, il a rappelé que le requérant était resté l’un des cadres supérieurs de Yandex, malgré le fait que, étant devenu « consultant » pour cette dernière, il n’avait plus de rôle officiel dans cette société. Il a ajouté que le requérant était resté membre de la FIP.

113    Il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse, ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67 et jurisprudence citée).

114    Pour justifier le maintien du nom d’une personne sur la liste, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur la liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. Ce contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 et jurisprudence citée).

115    D’emblée, il y a lieu de relever que, s’il est vrai que le contexte général de la situation de l’Ukraine en ce qui concerne les menaces à son intégrité territoriale, à sa souveraineté et à son indépendance est resté inchangé depuis l’adoption des actes initiaux, il n’en est pas de même en ce qui concerne la situation du requérant.

116    En effet, le requérant a démissionné de ses postes de directeur exécutif et de directeur général adjoint de Yandex le 15 mars 2022.

117    Néanmoins, il y a également lieu de rappeler à cet égard que le fait qu’une personne a cessé d’exercer ses fonctions au sein d’une structure n’implique pas, à lui seul, que ces anciennes fonctions sont dénuées de pertinence, dans la mesure où ses activités passées pourraient influencer son comportement. La jurisprudence a cependant précisé que, prises isolément, les anciennes fonctions d’une personne ne sauraient justifier l’inscription du nom de cette dernière sur les listes en cause. Si le Conseil entendait se fonder sur les activités passées de ladite personne, il lui incomberait en effet d’avancer des indices sérieux et concordants permettant raisonnablement de considérer que cette dernière maintient des liens avec la structure qui l’employait à la date d’adoption de l’acte attaqué, justifiant l’inscription de son nom sur les listes, après la cessation de ses activités au sein de cette structure (arrêt du 24 novembre 2021, Assi/Conseil, T‑256/19, EU:T:2021:818, point 128).

118    En l’espèce, il ressort du dossier que le requérant a maintenu des liens importants avec Yandex, malgré son transfert.

119    En effet, premièrement, selon la pièce no 6, le requérant était, depuis 2019, membre du conseil d’administration de la FIP et n’a quitté ce poste que le 13 avril 2023.

120    Deuxièmement, il ressort du dossier et notamment du carnet d’emploi du requérant avec ladite société produit en annexe à la requête que cette dernière lui a confié un poste de « consultant » à partir du 15 mars 2022. Il résulte d’ailleurs de la présentation de ce carnet d’emploi que ces nouvelles fonctions ont été ordonnées par Yandex, ce qui confirme que le requérant exerce désormais ses fonctions de consultant pour le compte de cette société.

121    Troisièmement, le « transfert » du requérant en tant que consultant a été effectué le 15 mars 2022, soit le jour de l’adoption des actes initiaux et le jour même de sa démission de ses fonctions de directeur exécutif et directeur général adjoint de Yandex.

122    Ainsi, bien qu’ayant quitté ses fonctions de directeur exécutif et directeur général adjoint, le requérant a pris ses fonctions en tant que consultant pour le compte de la même société tout en restant l’un des trois dirigeants de Yandex ayant été nommé membre de la FIP. Or, ainsi que cela est indiqué au point 87 ci-dessus, la FIP est une organisation à laquelle Yandex a émis une « action prioritaire » qui lui permet, en substance, de désigner deux des directeurs du conseil d’administration de Yandex, d’avoir un droit de veto sur l’acquisition de participations supérieures à 10 % de ladite société et un contrôle indirect sur les décisions relatives à la fourniture d’un accès direct aux données personnelles des utilisateurs russes pour des personnes étrangères ou à la cession de propriété intellectuelle importante.

123    Partant, au vu de l’ensemble des éléments susvisés et contrairement à ce qu’affirme le requérant, ce dernier a conservé une capacité d’influence au sein de Yandex à la suite de sa démission des postes de directeur exécutif et directeur général adjoint et de son transfert.

124    Ces éléments sont d’ailleurs corroborés, au surplus, par un article de presse de The Bell du 12 juillet 2022, mentionné par le Conseil en réponse aux arguments du requérant dans les observations sur le premier mémoire en adaptation, qui relate les propos d’une source au sein de Yandex indiquant notamment que le requérant s’est retiré de toutes ses fonctions, mais a continué à faire partie de l’équipe de direction collective, qui comprend plusieurs cadres supérieurs.

125    Dans ces conditions, c’est à bon droit que le Conseil a considéré que, pour les premiers et seconds actes de maintien, le requérant entretenait toujours des liens importants avec Yandex et en a déduit que le maintien de son nom sur les listes en cause demeurait justifié.

126    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant selon lequel son poste de consultant ne lui permet pas de s’occuper des affaires commerciales de Yandex NV, dans la mesure où cette fonction lui permettrait seulement un partage d’expertise qui ne lui confère aucune influence. En effet, comme cela a été évoqué aux points 119 à 124 ci-dessus, le requérant a conservé des liens étroits et une capacité d’influence au sein de Yandex.

127    Partant, il convient de rejeter les arguments du requérant concernant le critère g).

128    Eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance selon laquelle d’autres parmi ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision [voir arrêt du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, sous pourvoi, EU:T:2022:298, point 178 (non publié) et jurisprudence citée].

129    Dès lors, il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant et visant à remettre en cause l’inscription de son nom sur les listes en cause au titre des critères a) et f), de rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité

130    Le troisième moyen se divise en deux branches.

131    Dans le cadre de la première branche, relative aux principes de non-discrimination et d’égalité de traitement, le requérant fait valoir que les sanctions qui lui sont imposées sont discriminatoires. En effet, d’une part, il estime que le critère g) serait trop large, car il permettrait de sanctionner tous les hommes d’affaires qui exercent avec succès une activité économique en Russie, quelle que soit leur origine. D’autre part, le requérant souligne que le critère g) par le Conseil est discriminatoire en ce qu’il vise les hommes d’affaires et les entreprises de nationalité russe en ignorant les entreprises étrangères, alors que ces dernières opèrent également sur le territoire russe.

132    Dans le cadre de la seconde branche, relative à la violation du principe de proportionnalité, le requérant soutient que les sanctions qui lui sont imposées sont disproportionnées, dans la mesure où elles ne peuvent pas avoir un impact sur les actions du gouvernement russe ou des forces armées russes et ne peuvent pas non plus contribuer au rétablissement de la paix et de la sécurité internationale en Ukraine. À cet égard, d’une part, il estime que les mesures sont inappropriées, dès lors qu’il n’est partie prenante d’aucune action liée à la Crimée ou à l’Ukraine et qu’il n’est pas lié au gouvernement russe. D’autre part, il fait valoir que les mesures ne sont pas nécessaires pour atteindre les objectifs poursuivis, étant donné qu’il n’a été impliqué dans aucune décision relative à la Crimée ou à l’Ukraine. Il ajoute à cet égard, que la contribution non substantielle au budget fédéral de Yandex ne pourrait pas affecter la politique de la Fédération de Russie à l’égard de l’Ukraine, et qu’il n’est pas en mesure d’influencer la politique fiscale ou d’information russe. Enfin, le requérant souligne que, même à supposer qu’il ait eu une quelconque influence sur les actions des décideurs russes, il n’occupe plus de fonctions au sein de la direction de Yandex depuis le 15 mars 2022 et n’intervient plus dans ce secteur économique depuis cette date.

133    Dans les deux mémoires en adaptation, le requérant soutient que sa seule possibilité pour ne plus être inscrit sur les listes en cause était de démissionner de ses fonctions. Or, la décision du Conseil de le maintenir sur lesdites listes, malgré cette démission, priverait les mesures restrictives prises à son égard de leur caractère provisoire et conditionnel, lequel est pourtant nécessaire à leur proportionnalité.

134    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

135    S’agissant de la première branche, relative aux principes de non-discrimination et d’égalité de traitement, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental de droit, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (voir arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 152 et jurisprudence citée).

136    En l’espèce, en premier lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel le critère g) de la décision 2014/145 modifiée serait trop large, car il permettrait d’inscrire sur les listes en cause tous les hommes d’affaires qui exercent avec succès une activité économique en Russie, outre son caractère non étayé, il convient de le rejeter dans la mesure où le requérant a fait l’objet des mesures restrictives à la suite d’une évaluation individuelle, fondée sur des éléments de preuve concrets.

137    En second lieu, s’agissant de l’argument du requérant concernant le fait que le critère g) serait discriminatoire en ce qu’il viserait les hommes d’affaires et les entreprises de nationalité russe en ignorant les entreprises étrangères, il suffit de constater, à l’instar du Conseil, que ce critère ne vise pas la nationalité des personnes désignées. Ainsi, les personnes faisant l’objet de mesures restrictives peuvent être de toute nationalité, si elles répondent audit critère.

138    Dans ces circonstances, même à supposer que le Conseil n’ait pas adopté de mesures de gel des fonds à l’égard de certaines personnes répondant au critère litigieux et examiné, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents relatifs à ces personnes, cette circonstance ne pourrait être valablement invoquée par le requérant, dès lors que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination doivent se concilier avec le principe de légalité (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2016, Post Bank Iran/Conseil, T‑68/14, non publié, EU:T:2016:263, point 135 et jurisprudence citée).

139    Or, en l’espèce, ainsi qu’il a été constaté aux points 110 et 125 ci-dessus, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a, dans le cadre de son pourvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont satisfaits, décidé d’inscrire et de maintenir le nom du requérant sur les listes en cause.

140    Partant, il convient donc de rejeter la première branche du troisième moyen.

141    Concernant la seconde branche, relative au principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler que ce dernier, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 178 et jurisprudence citée).

142    La jurisprudence précise à cet égard que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 179 et jurisprudence citée).

143    En l’espèce, en ce qui concerne le caractère apte à réaliser les objectifs poursuivis des mesures en cause, d’une part, il y a lieu de relever que, au regard de l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause, les conséquences négatives résultant de leur application au requérant ne sont pas manifestement démesurées (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 71, et du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 116).

144    Il en est ainsi d’autant plus que, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, il a été établi que les mesures restrictives à l’égard du requérant étaient justifiées au motif que sa situation permettait de considérer qu’il remplissait les conditions pour l’application du critère g).

145    D’autre part, le fait que le requérant n’ait pas eu un rôle direct dans des actions menées à l’encontre de l’Ukraine est sans pertinence, puisqu’il ne s’est pas vu imposer des mesures restrictives pour cette raison, mais en raison du fait qu’il est un homme d’affaires influent intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

146    En ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures restrictives en cause, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, à savoir l’exercice d’une pression sur les décideurs russes responsables de la situation en Ukraine, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 182 et jurisprudence citée). Par ailleurs, force est de constater que le requérant est resté en défaut d’indiquer les mesures moins contraignantes que le Conseil aurait pu adopter.

147    De plus, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée et l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

148    De même, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

149    Enfin, la présence du nom du requérant sur les listes en cause ne saurait être qualifiée de disproportionnée en raison d’un prétendu caractère potentiellement illimité. En effet, ces listes font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 185 et jurisprudence citée). C’est d’ailleurs ce réexamen que le Conseil a effectué pour les premiers et seconds actes de maintien du requérant sur les listes en cause et concernant lequel le Tribunal a considéré, aux points 111 à 125 ci-dessus, que c’était à bon droit que le Conseil avait maintenu le nom du requérant sur lesdites listes.

150    Il s’ensuit que les mesures restrictives en cause ne sont pas discriminatoires ni disproportionnées.

151    Il convient donc de rejeter la seconde branche du présent moyen. Le troisième moyen doit donc être rejeté dans son ensemble comme étant non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits individuels fondamentaux

152    Le requérant fait valoir, en substance, que l’inscription et le maintien de son nom sur les listes en cause constituent une limitation injustifiée et disproportionnée de ses droits fondamentaux, au rang desquels figurent, notamment, le droit au respect à la vie privée, la liberté d’entreprise et le droit de propriété. Il ajoute que les violations des droits susvisés ont entraîné une violation de son droit à la présomption d’innocence reconnu à l’article 48 de la Charte et lui ont causé un préjudice moral en raison de l’atteinte à sa réputation.

153    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

154    Il convient de rappeler que le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré par l’article 17 de la Charte. En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée, l’article 7 de la Charte reconnaît le droit au respect de celle-ci. De même, la liberté d’entreprise est consacrée à l’article 16 de cette Charte.

155    En l’espèce, les mesures restrictives en cause frappant notamment le requérant constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur propriété, du droit au respect de leur vie privée ou de leur liberté d’entreprise. Toutefois, elles entraînent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété et affectent la vie privée ainsi que la liberté d’entreprise du requérant (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 115 et jurisprudence citée).

156    Cependant, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, dans le droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société (voir arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 113 et jurisprudence citée).

157    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

158    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à quatre conditions. Premièrement, elle doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre les droits fondamentaux d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel de ces droits. Troisièmement, ladite limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 69 et 84 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, point 140 et jurisprudence citée).

159    En l’espèce, ces quatre conditions sont remplies.

160    En effet, en premier lieu, les mesures restrictives en cause que les autres actes attaqués comportent pour le requérant sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, ainsi que d’une motivation suffisante en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application au requérant (voir points 47 à 62 ci-dessus) (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée). De plus, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, il a été établi que cette motivation permettait de conclure que le Conseil pouvait légitimement inscrire le requérant sur les listes en cause (voir points 110 et 125 ci-dessus).

161    En deuxième lieu, en ce qui concerne la question de savoir si la limitation en cause respecte le « contenu essentiel » des droits fondamentaux en cause, il y a lieu de constater que les mesures restrictives imposées sont limitées dans le temps et réversibles (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Oblitas Ruzza/Conseil, T‑551/18, non publié, EU:T:2021:453, point 96 et jurisprudence citée).

162    Tout d’abord, en vertu de l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée, les listes en cause font l’objet d’un réexamen périodique afin que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour y figurer soient radiées.

163    Ensuite, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée et l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques. En outre, dans la mesure où les actes attaqués n’ont pas pour effet de confisquer les biens du requérant, il y a lieu de considérer que de telles mesures ne revêtent aucun caractère pénal et n’ont ainsi pas pour effet de porter atteinte à la présomption d’innocence.

164    Enfin, conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser l’entrée des personnes visées sur son territoire, notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

165    En troisième lieu, les mesures restrictives en cause visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Or, il s’agit là d’un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes du droit international ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale ainsi que de la protection des populations civiles.

166    En quatrième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il y a lieu d’effectuer un renvoi aux points 141 à 150 ci-dessus, qui concluent à la proportionnalité desdites mesures.

167    Il s’ensuit que les restrictions des droits fondamentaux du requérant qui découlent des mesures restrictives en cause ne sont pas disproportionnées et ne peuvent pas entraîner l’annulation des actes attaqués.

168    Partant, il y a lieu de rejeter le présent moyen ainsi que l’ensemble du recours.

 Sur les dépens

169    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

170    En l’espèce, le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Tigran Khudaverdyan est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil de l’Union européenne.

Spielmann

Valančius

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.