Language of document : ECLI:EU:T:2017:520

ARRÊT DU TRIBUNAL (chambre des pourvois)

18 juillet 2017 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Conjoint survivant – Pensions – Pension de survie – Article 20 de l’annexe VIII du statut – Conditions d’éligibilité – Erreur de droit »

Dans l’affaire T‑695/16 P,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (troisième chambre) du 20 juillet 2016, RN/Commission (F‑104/15, EU:F:2016:163), et tendant à l’annulation de cet arrêt,

Commission européenne, représentée par Mmes A.-C. Simon, F. Simonetti et M. G. Gattinara, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant

RN, représentée par Me F. Moyse, avocat,

partie demanderesse en première instance,

Parlement européen, représenté par Mmes M. Ecker et E. Taneva, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois),

composé de MM. M. van der Woude, faisant fonction de président, S. Frimodt Nielsen et S. Papasavvas (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi introduit au titre de l’article 9 de l’annexe I du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (troisième chambre) du 20 juillet 2016, RN/Commission (F‑104/15, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:F:2016:163), par lequel le Tribunal de la fonction publique a, d’une part, annulé sa décision du 24 septembre 2014 refusant de faire droit à la demande de RN tendant à l’octroi d’une pension de survie au titre de feu son mari, ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté (ci-après la « décision du 24 septembre 2014 ») et, d’autre part, condamné la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par RN et condamné le Parlement européen à supporter ses propres dépens.

 Faits à l’origine du litige

2        Les faits qui sont à l’origine du litige sont énoncés aux points 6 à 12 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :

« 6      [RN] s’est mariée avec [confidentiel] (1) le 7 mai 1988. Le divorce entre les époux a été prononcé le 29 avril 1996. Le 20 août 2012, [RN] s’est remariée avec [confidentiel].

7      Le couple a eu un enfant, né le 10 juin 1987.

8      [confidentiel] est entré en fonction à la Commission en 1991 et a été admis à faire valoir ses droits à la retraite le 1er octobre 2007. Il est décédé le 2 août 2014.

9      À la suite du décès de son mari, [RN], en sa qualité de conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire, a introduit, le 3 septembre 2014, une demande de pension de survie au titre du chapitre 4 de l’annexe VIII du statut [des fonctionnaires de l’Union européenne].

10      Le 24 septembre 2014, le chef de l’unité “Pensions” de l’Office “Gestion et liquidation des droits individuels” (PMO) de la Commission a rejeté la demande de pension de survie de [RN] […]. Celui-ci a estimé, en substance, que, pour apprécier le droit de [RN] à une pension de survie au titre de son époux décédé, il fallait tenir compte non pas de la date de son premier mariage, lequel avait été dissous en vertu d’un jugement de divorce et ne pouvait donc plus produire d’effet, mais de la date de son second mariage, lequel avait été contracté le 20 août 2012. En conséquence, après avoir constaté que ce dernier mariage avait été conclu après la cessation de fonctions de son époux et qu’il n’avait duré qu’environ deux ans à la date du décès de celui-ci, le chef de l’unité “Pensions” du PMO a conclu que “[l]es conditions des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du [s]tatut n[’étaient] […] pas remplies”, de telle sorte que [RN] ne pouvait prétendre au bénéfice d’une pension de survie.

11      Le 22 décembre 2014, [RN] a introduit une réclamation contre la décision du 24 septembre 2014. Elle a présenté à l’appui de sa réclamation des éléments complémentaires le 23 décembre suivant.

12      Le 10 avril 2015, l’autorité investie du pouvoir de nomination de la Commission a rejeté cette réclamation et confirmé l’analyse du chef de l’unité “Pensions” du PMO. »

 Procédure en première instance et arrêt attaqué

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal de la fonction publique le 17 juillet 2015 et enregistrée sous le numéro F‑104/15, RN a introduit un recours tendant à l’annulation, d’une part, de la décision du 24 septembre 2014 et, d’autre part, de la décision rejetant la réclamation qu’elle avait introduite contre la décision du 24 septembre 2014.

4        Le 12 octobre 2015, la Commission a déposé un mémoire en défense.

5        Par courrier parvenu au greffe du Tribunal de la fonction publique le 22 octobre 2015, le Parlement a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Après avoir recueilli les observations des parties sur cette demande, le président de la troisième chambre du Tribunal de la fonction publique a autorisé le Parlement à intervenir dans l’instance par une décision du 9 novembre 2015.

6        RN a déposé une réplique le 23 février 2016 et la Commission a déposé une duplique le 4 avril 2016, à la suite de laquelle la phase écrite de la procédure a été clôturée.

7        Le 4 mai 2016, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure adoptée sur le fondement de l’article 69 du règlement de procédure du Tribunal de la fonction publique, les parties ont été invitées à répondre à une question. Elles ont déféré à cette demande.

8        Dans la requête, RN avait soulevé trois moyens, tirés, le premier, d’une violation de la loi, sinon d’une erreur manifeste d’appréciation, le deuxième, d’une discrimination fondée sur l’âge et d’une violation du principe de proportionnalité et, le troisième, d’une erreur d’interprétation de la notion de « conjoint » ainsi que de l’évolution sociale générale de cette notion et de celle de relation conjugale.

9        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal de la fonction publique a, d’une part, annulé la décision du 24 septembre 2014 et, d’autre part, condamné la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par RN et condamné le Parlement à supporter ses propres dépens.

10      S’agissant du premier moyen, le Tribunal de la fonction publique a considéré qu’il résultait de la lecture combinée des articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») que le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté pouvait prétendre au bénéfice d’une pension de survie au terme d’une période d’un an de mariage lorsque que celui-ci avait été contracté avant la mise à la retraite de l’ouvrant droit et au terme d’une période de cinq ans de mariage lorsque celui-ci avait été contracté après cette date, et ce sans préjudice des conséquences éventuelles, visées à l’article 18, second alinéa, de l’annexe VIII du statut, découlant de l’existence d’un ou de plusieurs enfants issus d’un mariage contracté par l’ancien fonctionnaire.

11      Le Tribunal de la fonction publique a ensuite estimé que, en l’espèce, RN ne pouvait valablement se prévaloir de sa qualité de conjoint survivant pour prétendre, sur le fondement du seul article 18 de l’annexe VIII du statut, au bénéfice d’une pension de survie au titre de son premier mariage contracté le 7 mai 1988 et dissous le 29 avril 1996, avant la cessation des fonctions de [confidentiel], décédé le 2 août 2014.

12      En revanche, en ce qui concerne son second mariage, contracté le 20 août 2012, c’est-à-dire après la cessation d’activité de [confidentiel], le Tribunal de la fonction publique a considéré que RN pouvait valablement se prévaloir de sa qualité de conjoint survivant. Pour autant, le Tribunal de la fonction publique a rappelé que, conformément à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, pour déroger à la condition de l’antériorité du mariage énoncée à l’article 18 de ladite annexe, l’ouverture d’un droit à pension de survie requérait que le mariage ait duré cinq ans au moins.

13      Le Tribunal de la fonction publique a estimé qu’il convenait encore d’examiner comment il y avait lieu d’interpréter l’article 20 de l’annexe VIII du statut, s’agissant, en particulier, de la condition de durée minimale du mariage, lorsque, comme en l’espèce, le conjoint survivant avait été marié deux fois avec le même fonctionnaire, la première fois avant la cessation d’activité de celui-ci, la seconde fois après la cessation d’activité.

14      Avant de trancher cette question et de clôturer ainsi l’examen du premier moyen, le Tribunal de la fonction publique a considéré qu’il convenait d’aborder l’étude du deuxième moyen.

15      S’agissant du deuxième moyen, le Tribunal de la fonction publique a rappelé, à titre liminaire, qu’une exception d’illégalité soulevée pour la première fois dans un recours ne saurait être déclarée irrecevable au seul motif qu’elle n’avait pas été soulevée dans la réclamation.

16      Le Tribunal de la fonction publique a également observé, toujours à titre liminaire, que, même si RN s’était attachée essentiellement à faire valoir, dans le cadre du deuxième moyen, que l’article 20 de l’annexe VIII du statut, sur lequel était fondée la décision du 24 septembre 2014, méconnaissait le principe de non-discrimination en fonction de l’âge, il ressortait de ses écritures qu’elle avait également mis en cause la compatibilité dudit article avec le principe général d’égalité de traitement, tel qu’énoncé à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

17      Le Tribunal de la fonction publique a considéré qu’une telle exception d’illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, au regard des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, serait pertinente au soutien du présent recours uniquement si cet article devait nécessairement être interprété en ce sens qu’il s’opposait à ce que, dans une situation comme celle de l’espèce, l’administration prenne en compte, aux fins de vérifier la condition de durée du mariage prévue audit article, la durée cumulée des deux périodes de mariage.

18      Dans ces conditions, le Tribunal de la fonction publique a estimé qu’il convenait d’examiner au préalable comment il y avait lieu, dans une telle situation, d’interpréter l’article 20 de l’annexe VIII du statut, s’agissant en particulier de la condition de durée du mariage.

19      À cet égard, le Tribunal de la fonction publique a indiqué que, s’il était vrai que la situation de RN n’était pas expressément envisagée à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, le texte même de cet article n’excluait pas une interprétation qui obligerait l’administration à prendre en compte la durée cumulée des périodes de mariage en cause pour vérifier le respect de la condition de durée du mariage.

20      Aussi, le Tribunal de la fonction publique a rappelé qu’il était de jurisprudence constante que, lorsqu’une disposition de droit de l’Union européenne était susceptible de plus d’une interprétation, il convenait de donner la préférence à celle qui était de nature à sauvegarder son effet utile et, dans la mesure du possible, à rendre la disposition conforme notamment aux principes de droit de l’Union.

21      Le Tribunal de la fonction publique a conclu qu’il lui appartenait, à la lumière de cette jurisprudence, d’examiner les arguments avancés par RN au regard des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination non pas dans le contexte de l’exception d’illégalité soulevée par elle contre l’article 20 de l’annexe VIII du statut, mais aux fins de l’interprétation préalable de cet article.

22      À cet égard, le Tribunal de la fonction publique a tout d’abord examiné le grief tiré de la violation du principe général d’égalité de traitement.

23      Ainsi, le Tribunal de la fonction publique a considéré que la circonstance que l’ancien fonctionnaire décédé s’était marié avant ou après sa mise à la retraite n’était pas de nature à modifier de façon essentielle la situation du conjoint survivant au regard de la finalité même de la pension de survie, qui était de compenser, au bénéfice du conjoint survivant, la perte de revenus découlant du décès du fonctionnaire ou de l’ancien fonctionnaire.

24      Dans ces conditions, le Tribunal de la fonction publique a estimé que se posait la question de savoir si une telle différence de traitement entre conjoints survivants d’anciens fonctionnaires, selon qu’ils s’étaient mariés avant ou après la cessation d’activité de ces derniers, pouvait être objectivement justifiée par un objectif légitime d’intérêt général. Il a relevé que le statut, en tant que tel, ne fournissait aucune précision ou indication quant à l’objectif sous-tendant l’article 20 de son annexe VIII. Il a cependant considéré que cette circonstance n’excluait pas qu’un tel objectif puisse être dégagé du contexte général de la mesure en cause aux fins de l’exercice d’un contrôle juridictionnel quant à sa légitimité ainsi qu’au caractère approprié et nécessaire des moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif.

25      À cet égard, le Tribunal de la fonction publique a considéré qu’il ressortait des explications de la Commission et du Parlement que la condition de durée minimale du mariage de cinq ans, figurant à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, avait été introduite par le législateur de l’Union afin, d’une part, de lutter contre les fraudes au mariage, lesquelles seraient d’autant plus susceptibles de se produire que le mariage, lorsqu’il est contracté après la cessation de fonctions du fonctionnaire, l’est ainsi à une date proche du décès prévisible de l’ouvrant droit, et, d’autre part, de sauvegarder ainsi l’équilibre financier du régime de pension de l’Union. Or, compte tenu du large pouvoir d’appréciation du législateur en matière de sécurité sociale, le Tribunal de la fonction publique a estimé que la légitimité de ces deux objectifs d’intérêt général ne saurait raisonnablement être mise en doute.

26      Le Tribunal de la fonction publique a indiqué qu’il fallait ensuite vérifier si, conformément au principe de proportionnalité, les moyens mis en œuvre pour réaliser de tels objectifs étaient appropriés et nécessaires.

27      Ainsi, le Tribunal de la fonction publique a estimé qu’il convenait de constater, sans qu’il y ait lieu d’examiner le grief tiré de la violation du principe de non-discrimination en fonction de l’âge, que l’article 20 de l’annexe VIII du statut, s’il devait être interprété en ce sens qu’il excluait du bénéfice d’une pension de survie le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté lorsque le mariage, contracté après la cessation d’activité de ce dernier, avait duré moins de cinq ans, sans que soit prise en compte une période de mariage avec ce même fonctionnaire antérieure à la cessation d’activité, irait au-delà de ce qui est nécessaire et approprié à la poursuite des objectifs invoqués pour justifier l’existence d’une différence de traitement entre conjoints survivants d’anciens fonctionnaires fondée sur le moment de célébration du mariage.

28      En conséquence, le Tribunal de la fonction publique a jugé que, dans la mesure où une telle interprétation n’était pas explicitement exclue par le libellé de cet article, il convenait d’interpréter l’article 20 de l’annexe VIII du statut de façon conforme au principe fondamental d’égalité de traitement, tel qu’énoncé à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux, en ce sens qu’il faisait obligation à l’autorité investie du pouvoir de nomination, aux fins de vérifier le respect de la condition de durée minimale du mariage, de totaliser les différentes périodes de mariage, dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, le conjoint survivant avait été marié deux fois avec le même fonctionnaire, la première fois avant la cessation d’activité de celui-ci, la seconde fois postérieurement à la cessation d’activité.

29      Dans ces conditions, le Tribunal de la fonction publique a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’examiner plus avant l’exception d’illégalité soulevée par RN, un tel moyen étant inopérant compte tenu de l’interprétation retenue de l’article 20 de l’annexe VIII du statut.

30      En revanche, le Tribunal de la fonction publique a considéré qu’il convenait d’accueillir le premier moyen tiré d’une erreur de droit en ce que, en faisant application de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, la Commission s’était abstenue de prendre en compte, aux fins de la vérification de la condition de durée minimale du mariage, l’ensemble des périodes de mariage de RN avec [confidentiel].

31      En conséquence, et sans examiner le troisième moyen, le Tribunal de la fonction publique a annulé la décision du 24 septembre 2014.

 Sur le pourvoi

 Procédure

32      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 29 septembre 2016, la Commission a introduit le présent pourvoi.

33      Par lettre du 10 novembre 2016, le Parlement a renoncé au dépôt d’un mémoire en réponse.

34      Le 7 décembre 2016, RN a déposé un mémoire en réponse.

35      Par courrier déposé au greffe du Tribunal le 24 janvier 2017, RN a déposé une demande d’anonymat à laquelle le Tribunal a fait droit.

36      Le 20 février 2017, la Commission a déposé une réplique.

37      Par lettres des 15 et 22 mars 2017, le Parlement et RN ont renoncé au dépôt d’une duplique.

38      En vertu de l’article 207, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (chambre des pourvois), s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier de l’affaire, a décidé de statuer sur le pourvoi sans phase orale de la procédure.

 Conclusions des parties

39      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’arrêt attaqué ;

–        en ce qui concerne la procédure en première instance et dans la mesure où le Tribunal considérerait que l’affaire est en état d’être jugée, rejeter le recours comme non fondé et condamner RN aux dépens ;

–        en ce qui concerne la procédure sur pourvoi, condamner chaque partie à supporter ses propres dépens.

40       RN conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le pourvoi ;

–        condamner la Commission aux dépens afférents à l’instance de pourvoi et, le cas échéant, à ceux exposés en première instance.

 En droit

41      À l’appui de son pourvoi, la Commission soulève trois moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation, d’une erreur de droit et d’une violation de l’interdiction de statuer ultra petita, le deuxième, de plusieurs erreurs de droit dans l’interprétation de l’article 20 de l’annexe VIII du statut et, le troisième, de plusieurs erreurs de droit et d’une violation de l’obligation de motivation. Chacun de ces moyens est divisé en trois branches.

42      Le Tribunal estime opportun d’examiner, en premier lieu et de manière concomitante, la première branche du deuxième moyen et la troisième branche du troisième moyen.

43      À l’appui de la première branche du deuxième moyen, la Commission soutient qu’est entachée d’erreur de droit l’interprétation de l’article 20 de l’annexe VIII du statut retenue par le Tribunal de la fonction publique au point 57 de l’arrêt attaqué selon laquelle cet article n’excluait pas une interprétation qui obligeait l’administration, pour vérifier le respect de la condition de durée du mariage, à prendre en compte, en l’espèce, la durée cumulée des deux périodes de mariage de RN. En outre, à l’appui de la troisième branche du troisième moyen, la Commission fait valoir que ladite interprétation, reprise par le Tribunal de la fonction publique au point 76 de l’arrêt attaqué, serait contraire au libellé clair de l’article 20 de l’annexe VIII du statut. La Commission ajoute que, en modifiant la portée de cet article qui prévoit une condition claire et précise pour l’octroi de la pension de survie, l’arrêt attaqué est source d’insécurité juridique compte tenu des effets juridiques et pécuniaires qu’une telle modification est susceptible d’entraîner. Enfin, la Commission affirme que l’arrêt attaqué est contradictoire et qu’il impose à l’administration non seulement de relativiser les effets du divorce, mais également de prendre en considération des époques antérieures à un divorce dans l’examen des demandes tendant à l’octroi d’une pension de survie.

44       RN fait valoir, s’agissant de la première branche du deuxième moyen, que l’interprétation de l’article 20 de l’annexe VIII du statut retenue par le Tribunal de la fonction publique n’est pas entachée d’erreur de droit, parce que le texte dudit article n’est pas clair, qu’il convient de conférer à cet article un effet utile acceptant qu’il puisse y avoir une légitimité à un traitement différencié en fonction des circonstances dans lesquelles un mariage a eu lieu et que le traitement inégal des époux d’un ancien fonctionnaire marié sur la seule base de la durée du mariage n’est ni nécessaire ni approprié et heurte le principe de proportionnalité. RN ajoute, s’agissant de la troisième branche du troisième moyen, que le point 76 de l’arrêt attaqué ne contredit pas les autres points dudit arrêt. Elle affirme que le fait qu’il y ait eu un divorce entre les deux périodes de mariage ne change pas les effets du premier mariage sur le droit à pension de survie dans la mesure où les effets civils du divorce sont neutres s’agissant de la question d’un tel droit au sens de l’article 20 de l’annexe VIII du statut. Elle avance que l’existence d’un divorce ne s’oppose pas à ce que la durée d’un premier mariage soit prise en considération pour vérifier la condition de la durée du mariage au sens dudit article dans le respect tant du principe général d’interdiction des discriminations fondées sur l’âge que du principe fondamental d’égalité de traitement énoncé à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux.

45      À cet égard, il convient de rappeler que le Tribunal de la fonction publique a considéré, au point 57 de l’arrêt attaqué, que, si la situation de RN n’était pas expressément envisagée à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, le texte même de cet article, lequel ne serait pas un modèle de clarté dans ses diverses versions linguistiques, n’excluait pas une interprétation qui obligerait l’administration à prendre en compte la durée cumulée des périodes de mariage en cause pour vérifier le respect de la condition de durée du mariage. Ainsi, le Tribunal de la fonction publique a relevé que cet article énonçait que la condition d’antériorité prévue, notamment, à l’article 18 de ladite annexe « ne jouait pas si le mariage, même contracté postérieurement à la cessation d’activité du fonctionnaire, avait duré au moins cinq ans ». Or, il a considéré que le membre de phrase placé en incise (« même contracté postérieurement à la cessation d’activité du fonctionnaire ») serait redondant si à la période de mariage accomplie après la cessation d’activité d’un fonctionnaire ne pouvait en aucun cas s’ajouter une autre période de mariage accomplie avec ce même fonctionnaire avant la cessation d’activité.

46      En outre, au point 76 de l’arrêt attaqué, le Tribunal de la fonction publique a estimé, en conclusion de son arrêt, que, dans la mesure où une telle interprétation n’était pas explicitement exclue par le libellé de cet article, il convenait d’interpréter les dispositions de l’article 20 de l’annexe VIII du statut de façon conforme au principe fondamental d’égalité de traitement, tel qu’énoncé à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux, en ce qu’il faisait obligation à l’autorité investie du pouvoir de nomination, aux fins de vérifier le respect de la condition de durée minimale du mariage, de totaliser les différentes périodes de mariage, dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, le conjoint survivant avait été marié deux fois avec le même fonctionnaire, la première fois avant la cessation d’activité de celui-ci, la seconde fois postérieurement à la cessation d’activité.

47      En l’espèce, il convient de relever qu’il ressort du chapitre 4 de l’annexe VIII du statut intitulé « Pension de survie » que les conditions pour que le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire puisse bénéficier d’une pension de survie varient notamment selon la date du mariage. Ainsi, aux termes des articles 17 à 19 dudit chapitre, le conjoint survivant ayant contracté mariage avec un fonctionnaire alors que celui-ci était encore en service bénéficie d’une pension de survie après un an de mariage. En revanche, selon les dispositions de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, la condition d’antériorité prévue aux articles 17 bis, 18, 18 bis et 19 ne joue pas si le mariage, même contracté postérieurement à la cessation d’activité du fonctionnaire, a duré au moins cinq ans.

48      À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir arrêt du 12 juin 2015, Health Food Manufacturers’ Association e.a./Commission, T‑296/12, EU:T:2015:375, point 61 et jurisprudence citée).

49      Or, force est de constater que les dispositions de l’article 20 de l’annexe VIII du statut ont pour objet de préciser à quelle condition le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire est susceptible de bénéficier d’une pension de survie lorsque le mariage avec ledit fonctionnaire a été contracté après la cessation d’activité de ce dernier. Ainsi, en vertu dudit article, dans une telle hypothèse, le bénéfice de la pension de survie est conditionné à une durée de mariage de cinq ans.

50      Comme le souligne à juste titre la Commission, les dispositions de cet article sont claires et précises et exposent, sans ambiguïté, la condition à remplir pour bénéficier, dans ladite hypothèse, d’une pension de survie, à savoir une durée de mariage de cinq ans.

51      Certes, ainsi que l’a constaté le Tribunal de la fonction publique dans l’arrêt attaqué, lesdites dispositions ne précisent pas si, dans un cas particulier comme celui de l’espèce, il convient, aux fins d’apprécier la durée du mariage contracté après la cessation d’activité du fonctionnaire, de tenir compte de l’ensemble des années de mariage du conjoint survivant avec l’ancien fonctionnaire, en ce compris les années relevant d’un précédent mariage.

52      Toutefois, le fait que de telles dispositions ne visent pas explicitement une situation factuelle particulière ne permet pas au juge de l’Union de leur donner une interprétation telle que celle retenue par le Tribunal de la fonction publique dans l’arrêt attaqué.

53      Premièrement, la Commission soutient, à juste titre, que l’arrêt attaqué est source d’insécurité juridique dans la mesure où, alors que l’article 20 de l’annexe VIII du statut prévoit une condition claire et précise pour l’octroi de la pension de survie, le Tribunal de la fonction publique en a modifié la portée, entraînant des effets juridiques et pécuniaires dont elle ne précise néanmoins pas la teneur.

54      En effet, en considérant que la disposition litigieuse n’excluait pas une interprétation qui obligerait l’administration, dans un cas particulier tel que celui du cas d’espèce, à prendre en compte la durée cumulée des périodes de mariage pour vérifier le respect de la condition de durée du mariage, le Tribunal de la fonction publique a interprété celle-ci de manière particulièrement extensive. Or, une telle interprétation va à l’encontre de la jurisprudence constante selon laquelle les dispositions du droit de l’Union qui donnent droit à des prestations financières doivent être interprétées strictement (voir arrêt du 18 septembre 2003, Lebedef e.a./Commission, T‑221/02, EU:T:2003:239, point 38 et jurisprudence citée).

55      Deuxièmement, en considérant que l’article 20 de l’annexe VIII du statut n’excluait pas une interprétation qui obligerait l’administration à prendre en compte la durée cumulée des périodes de mariage en cause pour vérifier le respect de la condition de durée du mariage, le Tribunal de la fonction publique, ainsi que le soutient la Commission, a fait peser sur l’administration une obligation qui ne ressort pas de cette disposition. Ce faisant, le Tribunal de la fonction publique a considéré que l’article 20 de l’annexe VIII du statut créait, de manière implicite, une obligation à la charge de l’administration. Or, comme le fait valoir la Commission à juste titre, une telle interprétation est contraire au principe de sécurité juridique, lequel exige que les règles du droit de l’Union soient claires et précises (voir arrêt du 30 avril 2014, Dunamenti Erőmű/Commission, T‑179/09, non publié, EU:T:2014:236, point 101 et jurisprudence citée).

56      Troisièmement, ainsi que le soutient la Commission, l’interprétation de l’article 20 de l’annexe VIII du statut retenue par le Tribunal de la fonction publique revient à obliger l’administration à considérer qu’un mariage dissous par un jugement de divorce est encore susceptible de produire des effets sur le droit à bénéficier d’une pension de survie au titre dudit article. Certes, son précédent mariage aurait pu permettre à RN de bénéficier d’une pension de survie en sa qualité de conjoint divorcé. Néanmoins, force est de constater qu’une telle possibilité lui était ouverte par l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut et non par la disposition en cause. Or, en l’espèce, RN a perdu toute prétention à ce titre, conformément à l’article 27, troisième alinéa, de ladite annexe, en se mariant une nouvelle fois, le 20 août 2012, avec [confidentiel] et en perdant, de ce fait, sa qualité de conjoint divorcé.

57      Dans ces conditions, c’est à bon droit que la Commission soutient que l’interprétation de l’article 20 de l’annexe VIII du statut retenue par le Tribunal de la fonction publique aux points 57 et 76 de l’arrêt attaqué est entachée d’erreur de droit.

58      En outre, force est de constater que les arguments de RN ne sauraient remettre en cause cette conclusion.

59      Premièrement, si, ainsi que l’a relevé le Tribunal de la fonction publique et comme le fait observer RN dans son mémoire en réponse, le membre de phrase de l’article 20 de l’annexe VIII du statut indiquant « même contracté postérieurement à la cessation d’activité du fonctionnaire » peut sembler redondant avec la première partie de la phrase, laquelle indique déjà qu’il s’agit d’un cas où la condition d’antériorité ne joue pas, c’est-à-dire où le mariage a été contracté après la cessation d’activité, une telle circonstance ne saurait pour autant justifier l’interprétation de l’article 20 de l’annexe VIII du statut retenue par le Tribunal de la fonction publique. En effet, ces deux parties de la phrase en cause tendent à préciser que le mariage qu’il convient de prendre en compte est celui qui a été contracté postérieurement à la fin d’activité du conjoint fonctionnaire, ainsi que le relève à juste titre la Commission dans ses écritures. Ainsi, une telle formulation exclut que soit prise en compte, en l’espèce, la période du mariage contracté antérieurement à la date de fin d’activité du service, d’une part, car cette période de mariage n’entre pas dans le champ d’application de la disposition en cause, laquelle concerne uniquement les unions contractées après la cessation d’activité et, d’autre part, car le précédent mariage a été dissous par un divorce.

60      Deuxièmement, RN fait valoir que l’interprétation de l’article 20 de l’annexe VIII du statut retenue par le Tribunal de la fonction publique n’est pas entachée d’erreur de droit dans la mesure où il convient de conférer à cet article un effet utile acceptant qu’il puisse y avoir une légitimité à un traitement différencié en fonction des circonstances dans lesquelles le mariage a eu lieu.

61      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante rappelée par le Tribunal de la fonction publique au point 59 de l’arrêt attaqué, lorsqu’une disposition de droit de l’Union est susceptible de plus d’une interprétation, il convient de donner la préférence à celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 1988, Land de Sarre e.a., 187/87, EU:C:1988:439, point 19). Or, force est de constater que, en l’espèce, l’interprétation de l’article 20 de l’annexe VIII du statut retenue par le Tribunal de la fonction publique ne saurait être considérée comme une interprétation possible de cette disposition. Dès lors, un tel argument doit être écarté.

62      Troisièmement, RN affirme que le traitement inégal des époux d’un ancien fonctionnaire marié en fonction de la durée du mariage ne serait ni nécessaire ni approprié et heurterait le principe de proportionnalité.

63      À cet égard, il y a lieu de relever que, s’il ressort du point 60 de l’arrêt attaqué que le Tribunal de la fonction publique a examiné les arguments de RN au regard notamment du principe de non-discrimination aux fins de l’interprétation de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, il ressort tant du point 57 que du point 76 dudit arrêt que le Tribunal a procédé à cet examen après avoir, au préalable, considéré qu’une telle interprétation n’était pas exclue par la disposition en cause. Or, dans la mesure où le présent arrêt considère que cette analyse préalable est entachée d’erreur de droit et annule l’arrêt attaqué pour ce motif, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’argument de RN relatif à la prétendue violation du principe de proportionnalité.

64      Dans ces conditions, et à supposer même que, ainsi que le fait valoir RN, l’arrêt attaqué ne soit entaché d’aucune contradiction, l’interprétation retenue par le Tribunal de la fonction publique aux points 57 et 76 dudit arrêt est erronée en droit.

65      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la première branche du deuxième moyen et la troisième branche du troisième moyen doivent être accueillies.

66      Il y a lieu, par conséquent, d’annuler l’arrêt attaqué sans qu’il soit besoin ni d’examiner les autres moyens du pourvoi ni de se prononcer sur la suggestion de RN, irrecevable au stade du pourvoi, tendant à ce que le Tribunal convoque les parties au titre de l’article 50 bis, paragraphe 2, du protocole n° 3 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et prenne acte de l’engagement pris par la Commission dans son pourvoi à continuer de lui verser, quelle que soit l’issue de la présente procédure, la pension de survie qui lui a été octroyée à la suite de l’arrêt attaqué.

67      Or, aux termes de l’article 4 du règlement (UE, Euratom) 2016/1192 du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2016, relatif au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents (JO 2016, L 200, p. 137), lorsque le Tribunal annule une décision du Tribunal de la fonction publique tout en considérant que le litige n’est pas en état d’être jugé, il renvoie l’affaire à une chambre autre que celle qui a statué sur le pourvoi.

68      Étant donné que le Tribunal de la fonction publique n’a pas examiné le troisième moyen invoqué par RN, le Tribunal considère qu’il n’est pas en mesure de juger l’affaire. Dès lors, il y a lieu de renvoyer l’affaire à une chambre autre que celle qui a statué sur le présent pourvoi afin que le Tribunal statue en première instance sur le recours initialement introduit devant le Tribunal de la fonction publique par RN.

 Sur les dépens

69      L’affaire étant renvoyée à une chambre du Tribunal autre que celle qui a statué sur le présent pourvoi, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois)

déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (troisième chambre) du 20 juillet 2016, RN/Commission (F104/15), est annulé.

2)      L’affaire est renvoyée à une chambre du Tribunal autre que celle qui a statué sur le présent pourvoi.

3)      Les dépens sont réservés.

Van der Woude

Frimodt Nielsen

Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 juillet 2017.

Signatures


1      Données confidentielles occultées.