Language of document : ECLI:EU:T:2015:378

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

15 juin 2015 (*)

« Référé – Marchés publics de travaux – Procédure d’appel d’offres – Construction d’une centrale d’énergie – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire et attribution du marché à un autre soumissionnaire – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑259/15 R,

SA Close, établie à Harzé-Aywaille (Belgique),

Cegelec, établie à Bruxelles (Belgique),

représentées par Mes J.‑M. Rikkers et J.‑L. Teheux, avocats,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par Mme M. Rantala, MM. M. Mraz et F. Poilvache, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision du 19 mars 2015 par laquelle le Parlement a rejeté l’offre que les requérantes avaient présentée à la suite de l’appel d’offres INLO‑D‑UPIL‑T‑14‑A04 relatif au marché public de travaux concernant le lot nº 73 (centrale énergie) du « projet d’extension et de remise à niveau du bâtiment Konrad Adenauer à Luxembourg » et de la décision du même jour par laquelle le marché en cause a été attribué à un autre soumissionnaire,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance (1)

 Antécédents du litige

1        Dans le cadre de l’appel d’offres INLO‑D‑UPIL‑T‑14‑A04, lancé par le Parlement européen en juillet 2014 pour le marché public « Projet d’extension et de remise à niveau du bâtiment Konrad Adenauer à Luxembourg », les requérantes, SA Close et Cegelec, ont déposé, sous la forme d’une société momentanée, une offre pour le lot nº 73 (centrale énergie).

2        Par lettre datée du 27 mars 2015, reçue par les requérantes à cette même date, le Parlement les a informées que leur offre n’avait pas été retenue, car elles ne proposaient pas le prix le plus bas. En effet, le 19 mars 2015, d’une part, cette offre avait été rejetée et, d’autre part, le marché en cause avait été attribué à un autre soumissionnaire.

[omissis]

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 mai 2015, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision du Parlement du 19 mars 2015 rejetant leur offre et de celle du même jour attribuant le marché en cause à l’association momentanée Énergie KAD, constituée par les sociétés X et Y (ci-après les « actes attaqués »).

10      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution des actes attaqués.

11      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 11 juin 2015, le Parlement conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        statuer sur les dépens conformément à l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure dans la décision mettant fin à l’instance.

 En droit

[omissis]

 Sur l’urgence

[omissis]

35      Il résulte de tout ce qui précède que la condition relative à l’urgence fait défaut en l’espèce.

36      Il a cependant été jugé récemment par le président du Tribunal, en matière de marchés publics, que l’exigence de démonstration de la survenance d’un préjudice irréparable ne peut, en règle générale, être satisfaite par le soumissionnaire évincé que de manière excessivement difficile pour les raisons systémiques relevées ci-dessus [voir, en ce sens, ordonnance du 4 décembre 2014, Vanbreda Risk & Benefits/Commission, T‑199/14 R, Rec (Extraits), EU:T:2014:1024, point 157]. Il en a été conclu par le vice-président de la Cour qu’il ne saurait être exigé de la part du soumissionnaire évincé d’établir que le rejet de sa demande en référé risquerait de lui causer un préjudice irréparable, à condition qu’il parvienne à démontrer l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux, sous peine qu’il soit porté une atteinte excessive et injustifiée à la protection juridictionnelle effective dont il bénéficie au titre de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Vanbreda Risk & Benefits, point 31 supra, EU:C:2015:275, point 41).

37      Toutefois, cet assouplissement des conditions applicables pour apprécier l’existence de l’urgence, justifié par le droit à un recours juridictionnel effectif, ne saurait être opéré de manière illimitée, étant donné que doivent être conciliés les intérêts du soumissionnaire évincé avec ceux du pouvoir adjudicateur et de l’adjudicataire. Il s’ensuit que l’assouplissement en question ne s’applique que pendant la phase précontractuelle, pour autant que le délai de suspension prévu à l’article 171, paragraphe 1, du règlement nº 1268/2012 – qui s’élève, selon les circonstances, à dix ou à quatorze jours calendaires – ait été respecté. Dès lors que le pouvoir adjudicateur a conclu le contrat avec l’adjudicataire après que ce délai s’est écoulé et avant l’introduction de la demande en référé, l’assouplissement susmentionné ne se justifie plus (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Vanbreda Risk & Benefits, point 31 supra, EU:C:2015:275, points 34 et 42).

38      En effet, lorsque ledit délai de suspension – qui empêche le pouvoir adjudicateur de passer à la phase contractuelle avant son expiration et qui vise à mettre les intéressés en mesure de contester en justice l’attribution d’un marché public avant que le contrat ne soit conclu, – s’est effectivement écoulé avant la conclusion du contrat, le fait de permettre désormais au soumissionnaire évincé de demander uniquement des dommages et intérêts devant le juge de l’Union ne saurait être qualifié de violation du droit à un recours juridictionnel effectif (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Vanbreda Risk & Benefits, point 31 supra, EU:C:2015:275, points 36, 37 et 39).

39      S’agissant de l’application de ces principes au cas d’espèce, il ressort du dossier, d’une part, que le marché en cause a été attribué à l’association momentanée Énergie KAD, constituée par les sociétés X et Y, le 19 mars 2015, et que les requérantes ont été informées du rejet de leur offre le 27 mars 2015 et, d’autre part, que la signature du contrat de travaux pour le lot nº 73 (centrale énergie), mentionnant la référence INLO‑D‑UPIL‑T‑14‑A04, passé entre ladite association momentanée et la société immobilière bâtiment Konrad Adenauer du Parlement a eu lieu le 24 avril 2015.

40      Ainsi, dès lors que la décision de rejet a été communiquée aux requérantes le 27 mars 2015 et que le contrat en cause a été conclu le 24 avril 2015, le délai de suspension, applicable en vertu de l’article 171, paragraphe 1, du règlement nº 1268/2012, qu’il soit de dix ou de quatorze jours calendaires, a, en tout état de cause, été respecté en l’espèce. De plus, les requérantes ont introduit leur recours en annulation et la présente demande en référé le 26 mai 2015, soit un mois après la conclusion dudit contrat. Dans ces conditions, l’assouplissement de la condition relative à l’urgence ne se justifie pas en principe.

41      Il importe, toutefois, de relever que le délai de suspension ne peut mettre les intéressés en mesure de contester en justice l’attribution d’un marché avant la conclusion du contrat que si ces intéressés disposent d’éléments suffisants pour déterminer l’existence d’une éventuelle illégalité de la décision d’attribution (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Vanbreda Risk & Benefits, point 31 supra, EU:C:2015:275, point 47).

42      Il ne saurait être considéré, sous peine de violer le principe du droit à un recours juridictionnel effectif, que le délai de suspension a été respecté dans des circonstances où la possibilité d’introduire un recours, assorti d’une demande en référé, avant la conclusion du contrat n’a pas été effective en raison du fait que le soumissionnaire évincé n’a pas disposé, pendant ce délai, d’éléments suffisants pour lui permettre d’introduire de telles actions (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Vanbreda Risk & Benefits, point 31 supra, EU:C:2015:275, point 48).

43      Eu égard aux exigences du principe de sécurité juridique, cette exception à l’application purement mécanique du délai de suspension doit, cependant, être réservée à des cas de figure exceptionnels dans lesquels le soumissionnaire évincé n’avait aucune raison de considérer que la décision d’attribution du marché était entachée d’illégalité avant la conclusion du contrat avec l’adjudicataire (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Vanbreda Risk & Benefits, point 31 supra, EU:C:2015:275, point 49).

44      Il convient donc d’examiner si les requérantes ont disposé d’informations suffisantes pour faire utilement usage du délai de suspension aux fins d’introduire un recours visant à l’annulation des actes attaqués et une demande de sursis à leur exécution avant la conclusion du contrat entre le Parlement et l’association momentanée Énergie KAD, le 24 avril 2015.

45      À cet égard, force est de constater que les requérantes ont informé le Parlement, dès le 3 avril 2015, soit bien avant la conclusion dudit contrat, des doutes qu’elles entretenaient quant à la légalité de l’offre retenue par le pouvoir adjudicateur (voir point 3 ci-dessus), en alléguant que l’une des sociétés luxembourgeoises réunies en l’association momentanée Énergie KAD ne respectait ni la législation luxembourgeoise pertinente ni les critères du cahier des charges concernant la capacité financière et économique des soumissionnaires. Or, ainsi qu’il ressort du dossier, ces mêmes doutes sont, en substance, repris dans le second moyen d’annulation soulevé dans la demande en référé au titre du fumus boni juris.

46      Il s’ensuit que les requérantes étaient en mesure, dès le 3 avril 2015, de formuler une critique spécifique à l’égard des actes attaqués. Cette critique, présentée comme moyen d’annulation, leur aurait permis d’introduire utilement, dans le délai de suspension, un recours en annulation assorti d’une demande en référé visant à empêcher la conclusion du contrat entre le Parlement et l’association momentanée Énergie KAD. Un telle demande, déposée en temps utile, aurait permis aux requérantes d’obtenir l’adoption d’une ordonnance, au titre de l’article 105, paragraphe 2, second alinéa, du règlement de procédure, portant sursis à l’exécution des actes attaqués, avant même que l’autre partie ait présenté ses observations, pour la durée de la procédure de référé. Par ailleurs, rien n’aurait empêché les requérantes, jusqu’à l’expiration du délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, augmenté du délai de distance fixé à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, d’élargir la portée de leur recours et de leur demande en référé en fonction des informations obtenues de la part du Parlement (voir points 5 et 8 ci-dessus). Au demeurant, les requérantes seraient même autorisées, en vertu de l’article 48, paragraphe 2, première alinéa, du règlement de procédure, à produire des moyens nouveaux en cours d’instance, dès lors que ces moyens se fonderaient sur des éléments de droit et de fait révélés pendant la procédure devant le Tribunal.

47      Par conséquent, le délai de suspension prévu à l’article 171, paragraphe 1, du règlement nº 1268/2012 a été pleinement respecté en l’espèce, de sorte que l’assouplissement de la condition relative à l’urgence en matière de marchés publics n’a pas à être appliqué en l’espèce.

48      Pour tous les motifs qui précèdent, la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit besoin d’examiner la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris ni de procéder à une mise en balance des différents intérêts en présence.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 15 juin 2015.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.


1 Ne sont reproduits que les points de la présente ordonnance dont le Tribunal estime la publication utile.