Language of document : ECLI:EU:T:2008:287

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

14 juillet 2008 (*)

« Recours en annulation – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Décision 2006/613/CE – Liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne – Acte attaquable – Absence d’affectation directe – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑345/06,

Complejo Agrícola, SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes A. Menéndez Menéndez et G. Yanguas Montero, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes A. Alcover San Pedro et D. Recchia, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d’Espagne, représenté par M. F. Díez Moreno, abogado del Estado,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de l’article 1er et de l’annexe 1 de la décision 2006/613/CE de la Commission, du 19 juillet 2006, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne (JO L 259, p. 1), dans la mesure où ils désignent le site dénommé « Acebuchales de la Campiña Sur de Cádiz », sur lequel se situe une exploitation agricole dont la requérante est propriétaire, comme site d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, M. F. Dehousse et Mme I. Wiszniewska-Białecka (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique et factuel

1        Selon l’article 2, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7, ci-après la « directive »), la directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique. Son article 2, paragraphe 2, précise que les mesures prises en vertu de la directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.

2        Selon le sixième considérant de la directive, il y a lieu, en vue d’assurer le rétablissement ou le maintien des habitats naturels et des espèces d’intérêt communautaire dans un état de conservation favorable, de désigner des zones spéciales de conservation afin de réaliser un réseau écologique européen cohérent suivant un calendrier défini.

3        Aux termes de l’article 1er, sous l), de la directive, la zone spéciale de conservation est définie comme « un site d’importance communautaire désigné par les États membres par un acte réglementaire, administratif et/ou contractuel où sont appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné ».

4        L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive prévoit la constitution d’un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé « Natura 2000 », qui doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle.

5        L’annexe I de la directive arrête les types d’habitats naturels d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation ; son annexe II arrête les espèces animales et végétales d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation.

6        La directive prévoit une procédure en trois étapes pour la désignation des zones spéciales de conservation. En vertu de son article 4, paragraphe 1, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II de la directive qu’ils abritent. Dans les trois ans suivant la notification de la directive, cette liste est transmise à la Commission, en même temps que les informations relatives à chaque site.

7        Selon l’article 4, paragraphe 2, de la directive, la Commission établit, à partir de ces listes, sur la base des critères énumérés à l’annexe III de celle-ci et en accord avec chacun des États membres, un projet de liste de sites d’importance communautaire. La liste des sites d’importance communautaire est arrêtée par la Commission selon la procédure prévue à l’article 21 de la directive.

8        L’article 4, paragraphe 4, de la directive dispose que, une fois qu’un site d’importance communautaire a été retenu en vertu de la procédure prévue au paragraphe 2 du même article, l’État membre concerné désigne ce site comme zone spéciale de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel de l’annexe I ou d’une espèce de l’annexe II et pour la cohérence du réseau Natura 2000, ainsi qu’en fonction des menaces de dégradation ou de destruction qui pèsent sur eux.

9        La directive précise, en son article 4, paragraphe 5, que, dès qu’un site est inscrit sur la liste des sites d’importance communautaire établie par la Commission, il est soumis aux dispositions de son article 6, paragraphes 2 à 4.

10      L’article 6 de la directive, qui porte sur les mesures nécessaires pour assurer la protection des zones spéciales de conservation, dispose :

« 1. Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.

3. Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.

4. Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 est protégée. L’État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.

Lorsque le site concerné est un site abritant un type d’habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l’homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ou, après avis de la Commission, à d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur. »

11      La décision 2006/613/CE de la Commission, du 19 juillet 2006, arrêtant, en application de la directive, la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne (JO L 259, p. 1), a été adoptée sur la base de l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive. Parmi les sites d’importance communautaire, inclus dans la liste initiale des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne en vertu de l’article 1er de cette décision et de son annexe 1 (ci-après les « dispositions attaquées »), figure le site dénommé « Acebuchales de la Campiña Sur de Cádiz » (ci-après le « site Acebuchales ») sous la référence ES6120015. Selon l’article 2 de cette décision, les États membres en sont les destinataires.

12      La requérante, Complejo Agrícola, SA est propriétaire d’une exploitation agricole dont 1 759 hectares se situent à l’intérieur du site Acebuchales.

 Procédure

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 décembre 2006, la requérante a introduit le présent recours.

14      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 14 février 2007, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, en demandant au Tribunal de statuer sans engager le débat au fond, conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 29 mars 2007.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 mars 2007, le Royaume d’Espagne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la Commission. Par ordonnance du 8 mai 2007, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis l’intervention du Royaume d’Espagne. Le Royaume d’Espagne a déposé son mémoire en intervention et la requérante a déposé ses observations sur celui-ci dans les délais impartis.

16      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle la présente affaire a donc été attribuée.

 Conclusions des parties

17      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        admettre les offres de preuve et y faire droit ;

–        annuler les dispositions attaquées, dans la mesure où elles désignent le site Acebuchales comme site d’importance communautaire, et rétablir pleinement l’exercice de son droit de propriété sur la partie de l’exploitation agricole qui ne satisfait pas aux critères requis pour être désignée comme site d’importance communautaire ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

19      Dans son mémoire en intervention, le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

20      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité du recours sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Le Tribunal estime, en l’espèce, être suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

21      La Commission fait valoir que le recours est irrecevable aux motifs que, premièrement, les dispositions attaquées, par leur nature, ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en annulation, deuxièmement, la requérante n’est pas directement concernée par ces dispositions et, troisièmement, elle n’est pas individuellement concernée par ces dispositions.

 Sur la nature des dispositions attaquées

 Arguments des parties

22      La Commission relève que les dispositions attaquées ne peuvent pas, par leur nature, faire l’objet du présent recours, d’une part, parce que, ne mettant pas fin à la procédure en plusieurs étapes nécessaire à l’établissement du réseau Natura 2000, elles constituent des mesures intermédiaires et, d’autre part, parce que, comportant des obligations uniquement pour les États membres, elles ne modifient pas de façon caractérisée la situation juridique de la requérante.

23      Le Royaume d’Espagne fait valoir que, en vertu de la directive, les sites d’importance communautaire sont des lieux dans lesquels certaines conditions environnementales permettant le maintien ou le rétablissement d’habitats naturels ou d’habitats d’espèces sont réunies. Dès lors, la décision de la Commission arrêtant la liste désignant les sites d’importance communautaire pour la région biogéographique méditerranéenne constituerait une simple constatation du fait que ces sites remplissent les conditions environnementales en question, sans qu’elle puisse faire l’objet d’un recours en annulation.

24      La requérante soutient que les dispositions attaquées sont, par leur nature, susceptibles de recours au sens de l’article 230 CE.

 Appréciation du Tribunal

25      Aux termes de l’article 230, premier alinéa, CE, sont susceptibles de recours les actes adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, les actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne (BCE), autres que les recommandations et les avis, et les actes du Parlement européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers.

26      Selon une jurisprudence constante, sont susceptibles de recours en annulation toutes les dispositions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (arrêt de la Cour du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, Rec. p. 263, point 42 ; arrêts du Tribunal du 10 avril 2003, Le Pen/Parlement, T‑353/00, Rec. p. II‑1729, point 77, et du 5 avril 2006, Deutsche Bahn/Commission, T‑351/02, Rec. p. II‑1047, point 35). Lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, ne constituent des actes attaquables que les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution en question au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale. Ainsi, les mesures de nature purement préparatoire ne peuvent pas, en tant que telles, faire l’objet d’un recours en annulation, les illégalités éventuelles qui les entachent pouvant être invoquées à l’appui du recours dirigé contre l’acte définitif dont elles constituent un stade d’élaboration (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, points 10 et 12, et ordonnance du Tribunal du 2 juin 2004, Pfizer/Commission, T‑123/03, Rec. p. II‑1631, points 22 et 24).

27      En l’espèce, les dispositions attaquées font partie de la décision 2006/613, qui a été adoptée par la Commission au titre de l’article 4, paragraphe 2, de la directive et qui fixe la position de la Commission relative aux sites d’importance communautaire qui avaient été proposés par les États membres pour la région biogéographique méditerranéenne. Ainsi, l’adoption de la décision 2006/613 met fin à la procédure prévue par la directive pour arrêter la liste des sites d’importance communautaire. La position de la Commission concernant ces sites ne requiert pas l’adoption d’un nouvel acte pour devenir définitive. En outre, des effets juridiques découlent de cette décision, car, en vertu de l’article 4, paragraphe 5, de la directive, dès que la liste des sites d’importance communautaire est arrêtée par la Commission, ces sites sont soumis au régime prévu par l’article 6 de la directive.

28      Le fait que cette liste puisse être révisée, en vertu de l’article 1er, second alinéa, de la décision 2006/613, est sans effet sur la question de savoir si ladite décision est susceptible de recours. Cette révision ne concernera, le cas échéant, que certains types d’habitats et certaines espèces visés aux annexes 2 et 3 de la décision 2006/613, et non les sites d’importance communautaire qui ont déjà été inclus à l’annexe 1, laquelle comprend le site Acebuchales. De plus, cette révision s’effectuera par l’adoption de nouvelles décisions selon la même procédure que celle prévue par la directive et suivie pour l’adoption de la décision 2006/613. Par ailleurs, contrairement à ce que prétend la Commission, la décision 2006/613 constitue une décision indépendante des décisions relatives aux autres régions biogéographiques, telles que les régions biogéographiques alpine, atlantique et continentale, et des autres mesures que la Commission est habilitée à prendre dans le cadre du réseau Natura 2000 prévu par la directive.

29      Il s’ensuit que les dispositions attaquées doivent être considérées comme susceptibles, par leur nature, de faire l’objet d’un recours en annulation.

 Sur l’affectation de la requérante

30      En application de l’article 230, quatrième alinéa, CE, le présent recours n’est recevable que si la requérante est affectée à la fois directement et individuellement par les dispositions attaquées. Il y a lieu d’examiner tout d’abord si la requérante est directement concernée par les dispositions attaquées.

 Arguments des parties

31      La Commission invoque la jurisprudence selon laquelle un particulier n’est directement concerné par un acte attaqué que si celui-ci produit directement des effets sur sa situation juridique et si cet acte ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires, chargés de sa mise en œuvre, laquelle est purement automatique, ne nécessite pas l’application d’autres règles intermédiaires et ne fait aucune doute. En l’espèce, contrairement à ce que soutient la requérante, sa situation juridique ne serait pas affectée par l’adoption de la décision 2006/613. Cette décision se limiterait à rendre applicables les mesures prévues par les dispositions de la directive, qui ne seraient pas automatiques et nécessiteraient l’intervention des États membres.

32      Même si, en vertu de l’article 4, paragraphe 5, de la directive, les sites inscrits sur la liste de l’annexe 1 de la décision 2006/613 étaient soumis au régime prévu par l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive, les États membres jouiraient d’un pouvoir d’appréciation pour appliquer ces dispositions.

33      La requérante ne serait donc pas directement affectée par les dispositions attaquées.

34      Le Royaume d’Espagne soutient que la désignation des sites d’importance communautaire par la décision 2006/613 ne produit pas d’effets directs à l’égard des propriétaires des sites concernés, car aucune obligation ne découle de la seule désignation d’un site comme site d’importance communautaire. Seules les mesures adoptées par les États membres en vertu de la directive, pour lesquelles ils jouiraient d’un large pouvoir discrétionnaire, seraient susceptibles de créer des obligations relatives aux sites en question. Seules ces obligations pourraient produire, le cas échéant, des effets sur la situation juridique des propriétaires concernés.

35      La requérante affirme que les dispositions attaquées limitent d’une manière certaine, significative et directe l’exercice de son droit de propriété. Les règles nationales et régionales mettant en œuvre la directive, qui étaient en vigueur depuis plusieurs années avant l’adoption des dispositions attaquées, contiendraient une liste étendue de projets, tels que des projets de gestion de ressources hydriques, y compris des projets d’irrigation, l’installation de lignes électriques et des projets d’infrastructure pour le transport, qui seraient présumés affecter d’une manière significative les sites désignés comme sites d’importance communautaire et imposeraient l’obligation de soumettre ces projets à des procédures d’évaluation et d’approbation. Cette obligation deviendrait automatique et inéluctable dès le moment où la Commission procède à la délimitation de ces sites.

36      La requérante précise que son recours est formé à l’encontre de l’article 1er et de l’annexe 1 de la décision 2006/613 et non à l’encontre de la directive. Les dispositions attaquées feraient partie d’un ensemble de décisions individuelles comprises dans la décision 2006/613. Cette dernière aurait pour seul objet de définir et de préciser les sites qui sont qualifiés de sites d’importance communautaire, ce que les États membres sont tenus d’accepter de façon automatique et sans possibilité de modification. Les États membres seraient également obligés d’appliquer à ces sites les mesures de prévention et de conservation prévues par la législation nationale.

37      La requérante, en se référant à la jurisprudence, considère qu’elle est directement concernée par les dispositions attaquées.

38      En effet, d’une part, le Royaume d’Espagne ne disposerait, en l’espèce, d’aucun pouvoir d’appréciation ni d’aucune marge de manœuvre en ce qui concerne l’application des dispositions attaquées. Il devrait appliquer aux sites d’importance communautaire désignés par la Commission le régime prévu par le droit interne en application de la directive et ne pourrait pas modifier le périmètre, les dimensions ou la localisation de ces sites. Selon la requérante, même à supposer que les dispositions attaquées laissent un certain pouvoir d’appréciation au Royaume d’Espagne pour leur application, cela ne fait pas obstacle, en vertu de la jurisprudence, à ce que la requérante soit directement concernée par celles-ci dans la mesure où la possibilité de ne pas y donner suite est purement théorique. Il serait donc nécessaire de vérifier si, au moment de l’adoption des dispositions attaquées, il était possible de prévoir avec certitude ou avec une forte probabilité le fait que leur exécution affecterait la requérante. Étant donné que la législation espagnole transposant les obligations prévues par la directive avait été adoptée avant que le Royaume d’Espagne ne propose à la Commission la liste de zones susceptibles d’être désignées comme sites d’importance communautaire, il aurait été possible, lors de l’adoption des dispositions attaquées, de prévoir, avec certitude ou avec une forte probabilité, la manière dont cette législation affecterait la situation juridique de la requérante à partir du moment où le site où se situe son exploitation agricole serait désigné comme site d’importance communautaire.

39      D’autre part, l’adoption des dispositions attaquées aurait comme conséquence directe et immédiate la modification du statut juridique du site désigné comme site d’importance communautaire, à l’intérieur duquel se situe l’exploitation dont la requérante est propriétaire. En effet, la plupart des projets qui relèvent de la gestion courante de l’activité agricole exercée sur ce site seraient soumis à des procédures d’évaluation et d’autorisation auxquelles ils n’auraient pas été soumis avant l’adoption des dispositions attaquées.

 Appréciation du Tribunal

40      Afin que la condition de l’affectation directe d’un particulier soit satisfaite, l’acte communautaire en question doit produire directement des effets sur sa situation juridique sans laisser aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation communautaire, sans application d’autres règles intermédiaires (voir arrêts de la Cour du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C‑386/96 P, Rec. p. I‑2309, point 43, et la jurisprudence citée, et du Tribunal du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T‑172/98 et T‑175/98 à T‑177/98, Rec. p. II‑2487, point 52).

41      La décision 2006/613 ne contient aucune disposition relative au régime de protection des sites d’importance communautaire, telles que des mesures de conservation ou des procédures d’autorisation à suivre. Elle se limite à arrêter la liste des sites d’importance communautaire dans la région biogéographique méditerranéenne. La seule inclusion des sites dans la liste prévue à l’annexe 1 de la décision 2006/613 n’impose pas d’obligations aux opérateurs économiques ou aux personnes privées. Ainsi, en ne prévoyant pas d’obligations imposées aux propriétaires ou aux exploitants des biens fonciers en question, la décision 2006/613 ne peut pas être considérée comme affectant directement leurs droits ou l’exercice de ceux-ci.

42      La directive, sur la base de laquelle la décision 2006/613 a été adoptée, lie les États membres quant au résultat à atteindre, mais laisse aux autorités nationales la compétence quant aux mesures de conservation à prendre et quant aux procédures d’autorisation à suivre, pour lesquelles elles jouissent d’une marge d’appréciation (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 22 juin 2006, Freiherr von Cramer-Klett et Rechtlerverband Pfronten/Commission, T‑136/04, Rec. p. II‑1805, points 48 à 53, et du 19 septembre 2006, Benkö e.a./Commission, T‑122/05, Rec. p. II‑2939, points 39 à 45).

43      En effet, il incombe aux États membres concernés, et non à la Commission, de mettre en œuvre les obligations prévues par l’article 6 de la directive, qui sont, en vertu de son article 4, paragraphe 5, applicables aux sites d’importance communautaire figurant dans la liste arrêtée par la Commission. Ainsi, il appartient à l’État membre concerné d’apprécier quelles sont les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats et des espèces présentes sur les sites concernés. L’État membre concerné doit aussi adopter des mesures qu’il considère appropriées pour éviter la détérioration des sites. Il lui appartient également d’évaluer et d’autoriser, le cas échéant, des projets susceptibles d’affecter les sites de manière significative, ainsi que de prendre des mesures compensatoires nécessaires si, en dépit des conclusions négatives de l’évaluation, ces projets doivent être réalisés pour des raisons impératives d’intérêt public majeur (voir, en ce sens, ordonnances Freiherr von Cramer-Klett et Rechtlerverband Pfronten/Commission, point 42 supra, point 52, et Benkö e.a./Commission, point 42 supra, points 40 et 42 à 45).

44      Dès lors, comme la requérante le reconnaît elle-même indirectement, en se référant à la législation nationale qui prévoit des mesures de protection applicables aux sites d’importance communautaire, ce sont les dispositions nationales transposant la directive, et non les dispositions attaquées, qui sont susceptibles de créer des obligations pour la requérante. Le fait qu’un État membre ait déjà adopté les dispositions mettant en œuvre la directive n’implique pas que la marge d’appréciation dont dispose le Royaume d’Espagne pour la mise en œuvre de la directive et des dispositions attaquées est purement théorique, dès lors qu’il n’est pas exclu que les autorités espagnoles adoptent d’autres types de mesures à la suite des dispositions attaquées.

45      Il résulte de ce qui précède que la requérante ne peut pas être considérée comme directement concernée par les dispositions attaquées. Les conditions de recevabilité posées par l’article 230, quatrième alinéa, CE étant cumulatives, le présent recours doit être rejeté comme irrecevable sans qu’il soit besoin d’examiner si la requérante est individuellement concernée par les dispositions attaquées.

 Sur les dépens

46      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

47      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Il y a donc lieu d’ordonner que le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Complejo Agrícola, SA est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

3)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 14 juillet 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       V. Tiili


* Langue de procédure : l’espagnol.