Language of document : ECLI:EU:T:2020:464

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

5 octobre 2020 (*)

« Fonction publique – Agents temporaires – Suspension de l’avancement d’échelon pendant une période de six mois – Annulation du reclassement au grade supérieur – Capacité à travailler dans une troisième langue – Enquête administrative – Devoir de loyauté – Impartialité – Droits de la défense – Égalité des armes – Obligation de motivation – Articles 11 et 12 du statut »

Dans l’affaire T‑87/19,

Jon Broughton, demeurant à Rotterdam (Pays-Bas), représenté par Me D. Coppens, avocat,

partie requérante,

contre

Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust), représentée par Mmes J. Jooma et A. Terstegen-Verhaag, en qualité d’agents, assistées de Mes D. Waelbroeck et A. Duron, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, en substance, premièrement, à l’annulation des décisions du 4 mai 2018 par lesquelles Eurojust a suspendu l’avancement d’échelon du requérant pour une période de six mois, a considéré que le français constituait sa troisième langue, a annulé son reclassement du grade AD 9 au grade AD 10 intervenu en 2012 et a procédé au recouvrement des sommes perçues depuis cette année-là au titre de ce reclassement, deuxièmement, à ce qu’il soit dit pour droit que le français doit être considéré comme la deuxième langue du requérant et le néerlandais sa troisième, troisièmement, à ce que soit déclaré illicite le recouvrement des sommes perçues par le requérant à la suite de son reclassement en grade et à ce que les montants recouvrés par Eurojust lui soient restitués et, quatrièmement, à ce qu’il soit déclaré qu’Eurojust doit replacer le requérant dans la situation juridique qui était précédemment la sienne,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. S. Gervasoni, président, Mme R. Frendo (rapporteure) et M. J. Martín y Pérez de Nanclares, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 24 juin 2020,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Le 9 janvier 2004, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) a publié un avis annonçant la vacance du poste de chef de l’unité « Gestion de l’information ». Cet avis mentionnait que les candidats devaient avoir une « connaissance approfondie d’une des langues officielles de l’Union européenne et [une] connaissance satisfaisante d’une autre de [c]es langues ». Une « bonne connaissance de l’anglais et du néerlandais » était considérée comme un atout supplémentaire. Enfin, les candidats ayant l’anglais pour langue maternelle étaient invités à soumettre leur candidature « en anglais et dans une autre langue officielle de l’Union ».

2        Le requérant, M. Jon Broughton, a déposé sa candidature le 19 février 2004 et a participé à un entretien de sélection le 14 mai suivant.

3        Le 24 mai 2004, le directeur administratif d’Eurojust a décidé de recruter le requérant. Celui-ci a signé un contrat d’agent temporaire de grade AD 9, échelon 1, le 1er septembre suivant.

4        Le requérant a suivi des cours de français en 2005, de mai 2010 à janvier 2011, de janvier à mai 2012 et en décembre 2013.

5        Eurojust ayant décidé de faire bénéficier des agents temporaires d’un reclassement dans un grade supérieur, l’équipe d’encadrement supérieur de l’agence s’est réunie à plusieurs reprises à ce propos entre les mois de mars et de novembre 2012. Le requérant y participait en sa qualité de chef d’unité.

6        Durant cette période, par courriel du 30 mai 2012, l’unité « Ressources humaines » d’Eurojust a demandé aux agents susceptibles d’être reclassés dans un grade supérieur et, notamment, au requérant d’indiquer quelles étaient respectivement leur première, leur deuxième et leur troisième langue dans lesquelles ils étaient capables de travailler. Ce courriel précisait que, pour les agents dont la langue maternelle était l’anglais, celle-ci était leur première langue, tandis que la deuxième était celle qui avait été évaluée au cours de la procédure de recrutement.

7        Le même jour, le requérant a répondu à l’unité « Ressources humaines » que l’anglais était sa langue maternelle, qu’il ne se souvenait pas dans quelle langue ses connaissances linguistiques avaient été testées lors de son recrutement par Eurojust, mais que, comme il avait étudié le français à l’école, il était d’avis que celui-ci était sa deuxième langue et le néerlandais la troisième. Il précisait également que son néerlandais n’avait jamais été formellement évalué, mais qu’il considérait qu’il correspondait au niveau C2 du cadre européen commun de référence pour les langues.

8        Le 8 juin 2012, le directeur administratif d’Eurojust a adopté la décision sur la carrière et le reclassement des agents temporaires. L’article 3, paragraphe 3, de cette décision disposait que les agents temporaires devaient démontrer leur capacité à travailler dans une troisième langue avant leur premier reclassement, conformément à l’article 45, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »).

9        Le premier exercice de reclassement a effectivement débuté en juillet 2012.

10      Le 29 août 2012, le requérant a demandé à participer à une formation intitulée « [E]xamen de néerlandais comme deuxième langue (NT II) », afin de satisfaire à la condition de pouvoir travailler dans une troisième langue. Cette demande de formation a été approuvée. Le requérant a réussi cet examen au mois d’octobre 2012 et a obtenu, le 13 novembre 2012, le diplôme de néerlandais NT II, « deuxième langue », qui est assimilé par l’Office européen de sélection du personnel (EPSO) au niveau B2 du cadre européen commun de référence pour les langues.

11      Entretemps, le 9 novembre 2012, Eurojust a reclassé le requérant du grade AD 9 au grade AD 10 avec effet au 1er janvier de cette année-là au vu de sa connaissance du français comme deuxième langue et du néerlandais comme troisième.

12      Le 23 octobre 2013, le requérant a obtenu un certificat attestant qu’il avait atteint le niveau B2 en français.

13      Le 8 février 2016, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a notifié à Eurojust qu’il avait reçu une information anonyme selon laquelle le requérant n’aurait pas rempli les conditions pour être recruté en qualité de chef d’unité et qu’il n’aurait pas non plus satisfait aux critères d’éligibilité pour bénéficier d’un reclassement en grade.

14      Sur la base de ces informations, A, le directeur administratif d’Eurojust à cette époque, a fait procéder à une enquête préliminaire. Au vu de ses résultats, il a décidé, le 29 mars 2016, d’ouvrir une enquête administrative. Il a désigné B comme enquêteur et C comme responsable de l’enquête.

15      Le 7 juin 2016, le requérant a été entendu tant par l’enquêteur que par le responsable de l’enquête.

16      Le 19 octobre 2016, le requérant a reçu le projet de rapport de l’enquête administrative, en ce compris le procès-verbal de son audition. Le 7 novembre 2016, le requérant a fait connaître ses observations sur ce projet.

17      Le rapport final de l’enquête administrative a été établi le 18 novembre 2016 et a été communiqué au requérant le 2 décembre suivant. Il était accompagné d’une convocation à une audition par le directeur administratif en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de l’annexe IX du statut.

18      Le 16 décembre 2016, le requérant a communiqué des observations sur le rapport final de l’enquête administrative, en préparation de son audition.

19      Le requérant a été entendu par D, le nouveau directeur administratif, le 19 décembre 2016. Il a communiqué ses commentaires sur le projet de procès-verbal de cette audition le 9 février 2017. La version finale de ce procès-verbal a été arrêtée le 13 février suivant.

20      Le 17 mars 2017, par la décision AD 2017-16, le directeur administratif a ouvert une procédure disciplinaire devant le conseil de discipline et en a informé le requérant par courriel.

21      Le 28 août 2017, le directeur administratif D a établi le rapport à l’attention du conseil de discipline, prévu par l’article 12 de l’annexe IX du statut, et l’a communiqué au requérant.

22      Le 21 décembre 2017, le requérant a déposé des observations écrites dans la perspective de son audition par le conseil de discipline.

23      Le requérant a été entendu par le conseil de discipline le 26 janvier 2018. À cette occasion, son avocat a déposé une note de plaidoirie.

24      Le 20 février 2018, le conseil de discipline a émis son avis à la majorité de ses membres. Dans cet avis, le conseil de discipline a estimé que le requérant avait failli à son obligation d’assister l’administration dans la détermination de ses deuxième et troisième langues de travail, ce qui avait conduit à le reclasser en 2012 dans un grade supérieur en violation de l’article 45 du statut. Pour le conseil de discipline, le requérant avait ainsi manqué à son devoir de régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts de l’Union européenne et de faire preuve de loyauté envers elle, cela en méconnaissance des articles 11 et 12 du statut. Le conseil de discipline a, de surcroît, relevé deux circonstances aggravantes. La première tenait à ce que, en sa qualité de chef d’unité, et donc en tant que cadre supérieur, il devait régler sa conduite de manière à présenter l’image de dignité que des membres de la fonction publique internationale doivent donner. La seconde résidait dans le fait que le requérant avait constamment accusé de partialité ses collègues espagnols, ce qui constituait une violation de l’obligation de modération et de réserve trouvant son fondement dans l’article 12 susmentionné. Compte tenu de ce qui précède, le conseil de discipline a recommandé d’infliger au requérant une suspension de l’avancement d’échelon pendant six mois.

25      Le 23 février 2018, l’avocat du requérant a demandé à avoir accès à l’enregistrement de l’audience du conseil de discipline et a demandé une copie des déclarations des témoins. Cet accès et cette copie lui ont été refusés.

26      Le 28 mars 2018, le requérant a été entendu par le directeur administratif D, au titre de l’article 22, premier alinéa, de l’annexe IX du statut.

27      Le 4 mai 2018, par la décision AD 2018-26, le directeur administratif D a estimé, au vu de l’avis du conseil de discipline et de l’audition du 28 mars précédent, que le requérant avait agi en violation de son devoir de loyauté et de coopération, qui lui incombait en vertu des articles 11 et 12 du statut, quand Eurojust avait essayé d’établir quelles étaient ses deuxième et troisième langues. Par conséquent, le directeur administratif a suspendu l’avancement d’échelon du requérant pour une période de six mois.

28      Par la décision AD 2018-27, du même jour, le directeur administratif D a considéré qu’il était établi que la troisième langue du requérant au fin de son reclassement en grade était le français et non le néerlandais. Par conséquent, le directeur administratif a annulé le reclassement du requérant du grade AD 9 au grade AD 10 qui lui avait été accordé avec effet au 1er janvier 2012 et a reporté ce reclassement au 1er janvier 2013, compte tenu du fait que l’intéressé avait obtenu le certificat B2 en français le 28 octobre 2013.

29      Le requérant a reçu notification des décisions AD 2018-26 et AD 2018-27 le jour même de leur adoption.

30      Le même jour, le requérant a été informé qu’une procédure de répétition de l’indu allait être engagée en application de l’article 85 du statut.

31      Le 27 juillet 2018, le requérant a formé une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre les décisions du 4 mai 2018 AD 2018-26, AD 2018-27 et de répéter l’indu.

32      Par courriel du 10 août 2018, Eurojust a informé le requérant qu’il prévoyait de récupérer un montant de 8 521,80 euros. Eurojust a néanmoins précisé que, compte tenu de la réclamation, ce recouvrement était suspendu.

33      Par décision du 20 novembre 2018, l’autorité habilitée à conclure des contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC ») a rejeté la réclamation du requérant.

34      En février 2019, Eurojust a donné instruction à l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (PMO) de la Commission européenne de procéder au recouvrement de la somme mentionnée au point 32 ci-dessus par tranches de 1 065,23 euros par mois.

II.    Procédure et conclusions des parties

A.      Procédure

35      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 février 2019, le requérant a introduit le présent recours.

36      Eurojust a déposé le mémoire en défense le 20 mai 2019.

37      Le 15 juillet 2019, le requérant a déposé la réplique.

38      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, la juge rapporteure a été affectée à la quatrième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

39      Le 21 octobre 2019, Eurojust a déposé la duplique.

40      Le 30 octobre 2019, le Tribunal a invité Eurojust, par la voie d’une mesure d’organisation de la procédure fondée sur l’article 89, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure, à produire un document. Eurojust a déféré à la mesure d’organisation de la procédure dans les délais.

41      Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé à Eurojust des questions écrites, en l’invitant à y répondre lors de l’audience.

42      L’audience, initialement fixée au 7 mai 2020, a été reportée en raison de la crise sanitaire liée à la COVID-19.

43      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 24 juin 2020.

B.      Conclusions des parties

44      Le requérant expose dans l’introduction de sa requête que celle-ci « tend à l’annulation de la décision du 2[0] novembre 2018 sur [s]a réclamation du 27 juillet » précédent. À l’appui de son recours, il soulève des moyens dirigés respectivement contre « toutes les décisions », « contre les décisions AD 2018-26 et AD 2018-27 » ainsi que contre « la décision de demander la répétition » de l’indu. Enfin, au terme de sa requête, le requérant demande l’annulation des « décisions attaquées » dans le premier de ses six chefs de conclusions.

45      Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la réclamation administrative, telle que visée à l’article 90, paragraphe 2, du statut, et son rejet, explicite ou implicite, font partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, un recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée, sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation a une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée (voir arrêt du 7 février 2019, RK/Conseil, T‑11/17, EU:T:2019:65, point 48 et jurisprudence citée).

46      En l’espèce, le rejet de la réclamation n’a pas une portée différente des décisions ayant fait l’objet de la réclamation. Par conséquent, le premier chef de conclusions doit être lu comme étant en réalité dirigé contre les décisions AD 2018-26, AD 2018-27 et ordonnant la répétition de l’indu, toutes datées du 4 mai 2018 (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »).

47      Il y a donc lieu de considérer que le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        dire pour droit que le français doit être considéré comme sa deuxième langue ;

–        dire pour droit que le néerlandais doit être considéré comme sa troisième langue ;

–        déclarer que la répétition de l’indu est illicite et que les montants recouvrés par Eurojust doivent lui être restitués ;

–        déclarer qu’Eurojust doit le replacer dans la situation juridique dans laquelle il se trouvait avant les décisions attaquées ;

–        condamner Eurojust aux dépens.

48      Eurojust conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens

III. En droit

A.      Sur l’omission des données concernant les tiers

49      Par un courrier du 20 mai 2019, Eurojust a demandé au Tribunal d’omettre de l’arrêt non seulement le nom des tiers, mais aussi leurs titres et fonctions. Force est toutefois de constater que l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») garantit le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue publiquement. L’article 37 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne dispose que les arrêts sont lus en séance publique. Il résulte de ces dispositions que les décisions du juge de l’Union sont publiques, une telle publicité visant à protéger les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public. Il est vrai que, en vertu de l’article 8 de la Charte et de l’article 16, paragraphe 1, TFUE, toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant et que les juridictions de l’Union doivent, en vertu de l’article 16, paragraphe 2, TFUE, veiller au respect de ce droit. Dans la conciliation entre la publicité des décisions de justice et le droit à la protection des données personnelles, le juge doit rechercher, dans les circonstances de chaque espèce, le juste équilibre, en ayant également égard au droit du public d’avoir accès, conformément aux principes inscrits à l’article 15 TFUE, aux décisions de justice. S’agissant en particulier des tiers à l’instance, notamment les personnes physiques, le Tribunal a pour pratique d’anonymiser en principe les noms desdites personnes. Il n’en va pas de même de l’omission de leurs titres et fonctions, qui est susceptible de nuire à l’accès et à la compréhension des arrêts par le public. Tel serait précisément le cas en l’espèce.

50      De plus, l’affirmation d’une culture de responsabilité au sein des institutions a pour corollaire que les fonctionnaires et les agents titulaires de postes à responsabilité au sein d’une administration de l’Union doivent prendre en compte l’existence possible d’un besoin justifié de communiquer certaines informations au public (arrêt du 2 mai 2007, Giraudy/Commission, F‑23/05, EU:F:2007:75, point 165). Quant aux autres fonctionnaires et agents, Eurojust n’a fourni aucun élément permettant de considérer qu’ils seraient identifiables par le seul intitulé de leur fonction, a fortiori lorsqu’il est question d’agents du groupe de fonctions AST. Enfin, Eurojust ne justifie sa demande par aucune circonstance particulière.

B.      Sur les objections préliminaires d’Eurojust

51      Eurojust soulève, à titre préliminaire, trois objections à l’encontre de la requête et de ses annexes.

52      Tout d’abord, Eurojust soutient que les références faites par le requérant à sa période d’activité au sein de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) sont dénuées de pertinence et doivent être écartées des débats.

53      Toutefois, ces références constituent un des fondements de l’argumentation du requérant. Il évoque, en effet, à plusieurs reprises une prétendue pratique d’Eurojust consistant à déterminer la deuxième langue de ses agents en se reportant à la langue testée lors de leur premier recrutement par une institution de l’Union et le fait que, en l’occurrence, il a, en premier lieu, été recruté précisément par Europol.

54      Ensuite, Eurojust prétend que des annexes à la requête sont illisibles, mais ne cite que celle intitulée « Evidence no 10.02 », qu’il est cependant possible de consulter.

55      Il s’ensuit que les références du requérant à son passé professionnel au sein d’Europol et l’annexe à la requête intitulée « Evidence no 10.02 » ne doivent pas être écartées des débats.

56      Enfin, Eurojust fait valoir que la requête comporte des renvois à des arguments figurant dans des annexes, alors que celles-ci ne sauraient servir à développer un moyen exposé sommairement.

57      Au seul point identifié par Eurojust comme comportant un tel renvoi, le requérant indique qu’une note de plaidoirie déposée par son avocat devant le conseil de discipline, référencée sous le numéro A 10, « doit être considérée comme rappelée et intégrée dans la présente requête ».

58      Or, si le texte de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence d’éléments essentiels dans la requête. Il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et les arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (ordonnance du 24 octobre 2018, García Ruiz/Parlement, T‑322/18, non publiée, EU:T:2018:752, point 12).

59      Par conséquent, la note de plaidoirie en question ne peut valoir qu’à titre de preuve et le Tribunal ne saurait y rechercher des arguments de fait ou de droit qui ne figureraient pas dans la requête.

C.      Sur le premier chef de conclusions de la requête

60      À l’appui de son premier chef de conclusions, le requérant invoque trois moyens. Au vu des développements qui leur sont consacrés, il y a lieu de considérer que :

–        le premier moyen est dirigé contre les décisions attaquées et est tiré, d’une part, de la violation de l’obligation d’examiner avec soin, impartialité et indépendance tous les éléments de fait pertinents ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, des dispositions générales d’exécution sur la conduite des enquêtes administratives et des procédures disciplinaires, adoptées par Eurojust le 23 septembre 2013 (ci-après les « DGE »), et, d’autre part, de la violation des droits de la défense et du principe d’égalité des armes ;

–        le deuxième moyen est dirigé contre les décisions AD 2018-26 et AD 2018-27 et est tiré de l’inexactitude des faits et d’une violation des articles 11 et 12 du statut ;

–        le troisième moyen est dirigé contre la décision de répéter l’indu et est tiré de l’inexactitude des faits et de la violation de l’obligation de motivation.

1.      Sur le premier moyen, dirigé contre toutes les décisions attaquées

61      Le premier moyen comporte deux branches. La première est tirée de la violation de l’obligation d’examiner avec soin, impartialité et indépendance tous les éléments de fait pertinents ainsi que de la méconnaissance de l’article 3, paragraphe 1, des DGE. La seconde est tirée de la violation des droits de la défense et du principe d’égalité des armes.

a)      Sur la première branche, tirée de la violation de l’obligation d’examiner avec soin, impartialité et indépendance tous les éléments de fait pertinents ainsi que de la méconnaissance de l’article 3, paragraphe 1, des DGE

62      Au soutien de la première branche du premier moyen, le requérant invoque quatre arguments.

1)      Quant au premier argument du requérant

63      L’article 3, paragraphe 1, des DGE dispose que le ou les enquêteurs exercent leurs pouvoirs d’enquête administrative de manière indépendante et que, dans l’exercice de ces pouvoirs, ils ne recherchent ni ne reçoivent d’instructions d’autres personnes que du responsable de l’enquête. En vertu de l’article 1er, sous c), desdites DGE, il y a lieu d’entendre par « enquêteur » la ou les personnes désignées par l’AHCC pour exécuter les enquêtes administratives sous l’autorité du responsable de l’enquête. Enfin, selon l’article 1er, sous d), des mêmes DGE, le responsable de l’enquête est le chef du service juridique, sauf si, au vu des circonstances, l’AHCC estime approprié de désigner une autre personne.

64      L’indépendance, que l’article 3, paragraphe 1, des DGE exige des enquêteurs, et l’impartialité sont des notions étroitement liées [voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 65 ; du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 73, et du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, point 110].

65      En l’espèce, le requérant fait valoir que C, qui était responsable de l’enquête administrative, avait procédé à l’enquête préliminaire et qu’il s’était ainsi déjà forgé une opinion à cette occasion. C aurait donc mené l’enquête administrative sans plus pouvoir être impartial et indépendant. De plus, ce serait lui, et non B, l’enquêteur, qui aurait procédé à son audition durant cette enquête administrative.

66      Le requérant ne met de la sorte pas en cause l’impartialité subjective du responsable de l’enquête administrative, dans la mesure où il ne prétend pas que celui-ci aurait manifesté un parti pris ou un préjugé personnel à son égard. En soutenant que le responsable de l’enquête administrative n’était plus impartial, parce qu’il se serait déjà forgé une opinion dans le cadre de l’enquête préliminaire qu’il avait préalablement réalisée, il met en cause son impartialité objective, en vertu de laquelle toute institution ou agence doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 27 et jurisprudence citée).

67      Toutefois, les inquiétudes de la personne concernée, si elles doivent être prises en considération, ne sont pas décisives. Il convient de rechercher si ses appréhensions peuvent passer pour objectivement justifiées [voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2017, Schräder/OCVV – Hansson (SEIMORA), T‑425/15, T‑426/15 et T‑428/15, non publié, EU:T:2017:305, point 63 ; voir également, par analogie, conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, C‑308/07 P, C:2008:498, point 60)].

68      En l’espèce, le directeur administratif A a ordonné une enquête préliminaire au vu des informations qui lui avaient été transmises par l’OLAF, afin de procéder à une évaluation initiale de la question de savoir s’il serait approprié de diligenter une procédure administrative.

69      Il ressort de la note adressée le 9 mars 2016 par C, le futur responsable de l’enquête administrative, au directeur administratif que cette enquête préliminaire a été limitée à la vérification de quelques faits sur la seule base du dossier personnel du requérant. En outre, cet examen, limité et effectué uniquement sur pièces, a seulement conduit C à conclure que certains faits nécessitaient d’être clarifiés et que, afin d’investiguer plus amplement, une enquête formelle pourrait s’avérer nécessaire.

70      Par ailleurs, le fait que, le 7 juin 2016, C a assumé l’essentiel de l’audition, tandis que l’enquêteur B s’est limité à poser une seule question au requérant, n’est pas contraire à l’article 3, paragraphe 1, des DGE, lu en combinaison avec l’article 1er de celles-ci. Il résulte en effet de ces dispositions que l’enquêteur exerce ses pouvoirs d’enquête sous l’autorité du responsable de l’enquête administrative, qui peut lui adresser des instructions. Ainsi, dès lors que le responsable de l’enquête peut enjoindre à l’enquêteur de poser des questions précises à la personne concernée, rien ne l’empêche d’interroger lui-même directement cette dernière lorsqu’il assiste à l’audition aux côtés de l’enquêteur. De plus, le requérant ne met pas en cause la nature des questions posées par le responsable de l’enquête administrative, ni la façon dont il a mené l’audition.

71      Au vu de ce qui précède, il n’apparaît pas que l’implication de C lors de l’enquête préliminaire et la manière dont il a participé à l’enquête administrative puissent justifier objectivement les appréciations du requérant quant au manque d’impartialité de celui-ci, ni constituer une méconnaissance de l’article 3, paragraphe 1, des DGE.

72      Le premier argument du requérant n’est donc pas fondé.

2)      Quant au deuxième argument du requérant

73      Le requérant soutient que les décisions attaquées trouvent leur origine dans la contestation de son reclassement par le délégué à la protection des données. Comme tant celui-ci que les personnes chargées de l’enquête administrative étaient de nationalité espagnole, le requérant craint une collusion entre agents espagnols. À tout le moins, a nuancé le requérant en cours de procédure, cette situation aurait créé un « semblant de subjectivité », car elle n’était pas conforme à la pratique.

74      Il ressort toutefois du dossier que les décisions attaquées découlent d’une notification de l’OLAF, qui s’était lui-même fondé sur une dénonciation anonyme. Rien dans le dossier ne permet d’étayer l’affirmation du requérant selon laquelle le dénonciateur était le délégué à la protection des données de nationalité espagnole. De plus, l’enquêteur et le responsable de l’enquête administrative étaient, certes, tous deux espagnols, mais ils avaient été désignés par le directeur administratif, qui ne l’était pas.

75      Dans ces conditions, et en l’absence d’éléments de fait suffisants, ni la crainte d’une collusion entre agents espagnols ni même le seul « semblant de subjectivité » dénoncés par le requérant ne sont objectivement justifiés. Le deuxième grief du requérant doit donc être rejeté.

3)      Quant au troisième argument du requérant

76      Le requérant prétend que la sélection des témoins qui ont été entendus au cours de l’enquête administrative témoigne d’un manque d’impartialité. Ainsi, E, la personne qui dirigeait l’exercice de reclassement en 2012, n’aurait pas été entendu, alors que, en raison de sa fonction, il aurait pu fournir des réponses à certaines questions cruciales.

77      En l’espèce, Eurojust ne conteste pas que E, qui avait dirigé l’exercice de reclassement en 2012, n’a pas été entendu durant l’enquête administrative, mais fait valoir qu’un enquêteur est habilité à sélectionner les témoins de façon discrétionnaire.

78      À cet égard, il convient de relever que l’administration dispose, de manière générale, d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la conduite des enquêtes administratives. En effet, compte tenu de ses ressources, il lui incombe d’instruire les dossiers de façon proportionnée, à savoir, notamment, d’une manière qui lui permette d’allouer à chaque affaire sa juste part du temps dont elle dispose. Elle jouit notamment, à cet égard, d’une large marge d’appréciation pour évaluer l’utilité d’entendre des témoins (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 mai 2012, Skareby/Commission, F‑42/10, EU:F:2012:64, point 38).

79      Toutefois, l’administration est également tenue, en vertu du principe de bonne administration, d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce dont elle est saisie et de réunir tous les éléments de fait et de droit nécessaires à l’exercice de son pouvoir d’appréciation ainsi que d’assurer le bon déroulement et l’efficacité des procédures qu’elle met en œuvre (voir arrêt du 26 septembre 2014, B&S Europe/Commission, T‑222/13, non publié, EU:T:2014:837, point 39 et jurisprudence citée).

80      En l’espèce, selon l’article 3, paragraphe 1, des DGE, les enquêteurs sont habilités durant l’enquête administrative à requérir toute personne relevant du statut de fournir des informations. De plus, l’article 3, paragraphe 2, des DGE dispose que les enquêtes administratives doivent être menées de manière approfondie, y compris sur l’ensemble des circonstances aggravantes et atténuantes, dans un temps approprié aux circonstances et à la complexité de l’affaire.

81      Il s’ensuit que, dans l’exercice de leurs devoirs d’enquête administrative, l’enquêteur et le responsable de l’enquête disposent d’un large pouvoir d’appréciation quant à l’utilité de procéder à l’audition d’un témoin, mais que ce pouvoir d’appréciation n’est pas discrétionnaire, dans la mesure où il doit être exercé en tenant compte de ce qui est nécessaire pour établir dans un délai raisonnable tous les éléments de fait et de droit pertinents, à charge comme à décharge, conformément au principe de bonne administration et, plus spécifiquement, à celui d’impartialité.

82      Dans ces conditions, si, en l’absence de toute initiative en ce sens des enquêteurs, le fonctionnaire ou l’agent concerné estime opportune l’audition d’un témoin, il lui incombe d’en demander la convocation et d’étayer sa demande en avançant des indices précis et pertinents de nature à expliquer en quoi le témoignage demandé peut présenter de l’intérêt pour la manifestation de la vérité (voir, par analogie, arrêt du 23 avril 2018, Verein Deutsche Sprache/Commission, T‑468/16, non publié, EU:T:2018:207, point 22 et jurisprudence citée).

83      Or, le requérant n’établit pas qu’il aurait expressément sollicité l’audition de E durant l’enquête administrative et s’est limité à affirmer lors de l’audience qu’il en aurait fait la demande verbalement.

84      Par ailleurs, pour établir le manque d’impartialité de l’enquête administrative, le requérant se borne à soutenir que la teneur du témoignage de E donne à penser que ce fut de manière délibérée qu’Eurojust ne l’entendit pas.

85      Une telle allégation est insuffisante pour établir le manque d’impartialité de l’enquête administrative dans la mesure où le requérant n’apporte aucune preuve laissant supposer que le responsable de l’enquête ou l’enquêteur ait eu connaissance, à l’avance, de ce que E aurait pu déclarer à la décharge du requérant.

86      En tout état de cause, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour se conformer à l’exigence d’impartialité objective, une institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé. Par conséquent, pour que l’organisation de la procédure administrative n’offre pas des garanties suffisantes à cet égard, il suffit qu’un doute légitime existe et qu’il ne puisse pas être dissipé (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, points 27 et 37).

87      Or, il ressort du dossier et de l’audience que le requérant a recueilli le témoignage écrit de E le 28 novembre 2017, qu’il l’a communiqué à Eurojust et que le conseil de discipline a entendu ce témoin.

88      Dans ces conditions, à supposer que l’absence d’audition de E lors de l’enquête administrative ait pu susciter des doutes quant à l’impartialité de celle-ci, ces doutes n’apparaîtraient pas légitimes au vu de la procédure appréciée dans sa globalité.

89      Le troisième grief du requérant doit donc être rejeté.

4)      Quant au quatrième grief du requérant

90      Le requérant fait observer que le directeur administratif D était le chef de l’unité « Ressources humaines » au moment de l’ouverture de l’enquête administrative. Il estime que, dans la mesure où il avait été responsable du déroulement de cette enquête, il s’est trouvé, par la suite, en situation de conflit d’intérêts et dans l’impossibilité de prendre des décisions objectives en tant qu’AHCC.

91      Comme le fait toutefois remarquer Eurojust, la décision d’ouvrir l’enquête administrative a été prise par A, le prédécesseur du directeur administratif D. De plus, il résulte de l’article 3, paragraphe 1, des DGE que, hormis le responsable de l’enquête, C en l’occurrence, nul ne peut adresser d’instructions aux enquêteurs et il ne ressort pas du dossier que D, qui a finalement pris les décisions attaquées, ait néanmoins été impliqué en tant que chef de l’unité « Ressources humaines » dans l’enquête en cause.

92      Le quatrième grief du requérant doit donc être rejeté. Au vu de tout ce qui précède, il en va, par conséquent, de même de l’ensemble de la première branche du premier moyen.

b)      Sur la seconde branche, tirée de la violation des droits de la défense et du principe d’égalité des armes

93      La seconde branche du premier moyen comporte deux arguments distincts.

1)      Quant au premier argument du requérant

94      Le requérant fait valoir que l’article 20 de l’annexe IX du statut dispose que le secrétaire du conseil de discipline établit un procès-verbal des réunions dudit conseil et que les témoins signent le procès-verbal de leurs dépositions. Or, le procès-verbal d’audition n’aurait pas été joint à l’avis du conseil de discipline et le président de celui-ci aurait également refusé de fournir un enregistrement des témoignages recueillis. Dans ces conditions, le requérant prétend qu’il n’a pas pu vérifier l’exactitude des dépositions auxquelles l’avis du conseil de discipline fait référence et que ses droits de la défense auraient ainsi été méconnus.

95      La procédure devant le conseil de discipline est régie par les articles 12 et suivants de l’annexe IX du statut, dont aucune disposition n’impose la communication au fonctionnaire concerné des procès-verbaux d’audition des témoins.

96      Toutefois, le droit d’être entendu est désormais consacré par l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, qui a valeur de traité, et donc une force obligatoire supérieure au droit dérivé, y compris donc au statut. Il convient, dès lors, d’interpréter l’annexe IX du statut à la lumière de cette disposition (voir, par analogie, arrêt du 28 mai 2020, Darment/Commission, T‑739/18, non publié, EU:T:2020:218, point 48).

97      L’article 18 de l’annexe IX du statut impose explicitement la transmission de l’avis du conseil de discipline au fonctionnaire ou à l’agent poursuivi, mais ne saurait être compris comme faisant obstacle a contrario à la communication des procès-verbaux d’audition des témoins. En effet, l’article 17, paragraphe 1, de la même annexe dispose que les enquêtes du conseil de discipline sont contradictoires, ce qui impose une interprétation en ce sens que ce fonctionnaire ou cet agent a prima facie droit à la communication de tout élément de preuve recueilli lors de celles-ci.

98      En l’espèce, Eurojust n’invoque aucun objectif d’intérêt général qui aurait justifié, au titre de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, la limitation des droits de la défense du requérant qu’a constitué le refus de lui communiquer le procès-verbal des déclarations des témoins ou l’enregistrement de leur audition (voir, par analogie, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C-584/10 P, C-593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 99 et 101, et du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 130).

99      Ainsi, le requérant avait droit à la communication des procès-verbaux d’audition des témoins (voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 1985, F./Commission, 228/83, EU:C:1985:28, point 26).

100    Toutefois, il y a seulement lieu d’annuler une décision litigieuse pour méconnaissance des droits de la défense quand la partie requérante démontre suffisamment que, à défaut de cette irrégularité procédurale, elle aurait pu avoir une chance, même réduite, de mieux assurer sa défense (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service, C‑265/17 P, EU:C:2019:23, point 56 et jurisprudence citée).

101    Or, en l’espèce, le requérant n’apporte pas cette démonstration.

102    Tout d’abord, l’exactitude des déclarations consignées dans les procès-verbaux est attestée par la signature que les témoins y apposent, et non par d’éventuelles observations du fonctionnaire poursuivi, comme le requérant le suggère.

103    Ensuite, il n’est pas contesté que le requérant était présent lors de l’audience du conseil de discipline, qu’il y était assisté de son conseil et qu’il a pu prendre des notes et poser des questions aux témoins. De surcroît, le conseil de discipline, dans son avis, a reproduit des passages des déclarations des témoins sur lesquelles il s’est fondé ou en a résumé la teneur, de telle sorte que le requérant a pu vérifier si celles-ci n’étaient pas dénaturées. Enfin, le requérant a pu présenter des observations tout au long de la procédure et a, en particulier, été entendu par l’AHCC, conformément à l’article 22 de l’annexe IX du statut, avant que celle-ci ne prenne les décisions attaquées. Sur la base des notes que son conseil a pu prendre lors de l’audition des témoins, il aurait pu contester à ce stade la manière dont le conseil de discipline avait utilisé les déclarations des témoins dans son avis.

104    Dans ces conditions, le premier argument du requérant ne saurait justifier l’annulation des décisions attaquées.

2)      Quant au second argument du requérant

105    Le requérant soutient qu’Eurojust a seul disposé des témoignages recueillis par le conseil de discipline et que, en conséquence, les décisions attaquées ont été adoptées en violation du principe d’égalité des armes.

106    Il ressort cependant de l’article 18 de l’annexe IX du statut que seul l’avis du conseil de discipline est transmis à l’AHCC et rien, dans le dossier, n’étaye l’allégation du requérant, contestée par Eurojust, que le directeur administratif aurait, contrairement à lui, eu accès au procès-verbal d’audition des témoins ou à l’enregistrement de leurs déclarations.

107    Le second argument du requérant n’est ainsi pas fondé.

108    Il résulte par conséquent de tout ce qui précède que le premier moyen soulevé doit être rejeté dans son ensemble.

2.      Sur le deuxième moyen, dirigé contre les décisions AD 2018-26 et AD 2018-27

109    Selon le requérant, les décisions AD 2018-26 et AD 2018-27 sont entachées de plusieurs inexactitudes de faits et d’une violation des articles 11 et 12 du statut. Son argumentation peut être divisée en quatre branches.

a)      Sur la première branche, tirée de l’absence de règle relative à la détermination de la deuxième langue

110    Dans son avis du 20 février 2018 auquel les décisions attaquées se réfèrent, le conseil de discipline a estimé que, à l’époque du reclassement litigieux en 2012, la langue déterminée comme deuxième langue de travail était celle qui avait été testée dans le cadre de la procédure de recrutement aux fins de déterminer si les candidats remplissaient la condition fixée à l’article 12, paragraphe 2, sous e), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »), et non celle qui résultait d’un précédent recrutement par une institution de l’Union.

111    Le requérant prétend, en revanche, que, à cette époque, il n’y avait pas de règle claire permettant de déterminer la deuxième langue de travail des membres anglophones du personnel et que, pour procéder à cette détermination, il était habituel de vérifier les actes de candidature précédemment introduits par les intéressés auprès d’une institution ou d’une autre agence de l’Union. Or, le requérant expose qu’il avait été recruté en 1994 par Europol et que, à ce moment-là, le français avait été considéré comme étant sa deuxième langue. Ce qui précède serait attesté par les déclarations de F, qui dirigeait l’unité « Ressources humaines » au moment du premier reclassement.

112    Eurojust ne conteste pas qu’il n’y avait pas de règle interne claire au sujet de la détermination de la deuxième et de la troisième langues de travail au moment de l’exercice de reclassement de 2012.

113    Il n’en reste pas moins que l’article 30, paragraphe 1, de la décision 2002/187/JAI du Conseil, du 28 février 2002, instituant Eurojust afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité (JO 2002, L 63, p. 1), disposait, tant à l’époque du recrutement du requérant qu’à celle de son reclassement, que le personnel d’Eurojust était soumis, notamment pour son recrutement et son statut, aux règlements et aux réglementations applicables aux fonctionnaires et aux autres agents des Communautés européennes. Or, l’article 12, paragraphe 2, sous e), du RAA dispose que nul ne peut être engagé comme agent temporaire s’il ne justifie pas posséder une connaissance approfondie d’une langue de l’Union et une connaissance satisfaisante d’une autre langue dans la mesure nécessaire aux fonctions qu’il est appelé à exercer. L’avis de vacance du 9 janvier 2004, sur la base duquel le requérant a été nommé à Eurojust, rappelait au demeurant la teneur de cette disposition.

114    Il s’ensuit que la connaissance satisfaisante de cette autre langue doit être testée lors de l’entretien de sélection et que cette autre langue est légalement la deuxième langue de l’intéressé. Cela est corroboré par l’article 3, paragraphe 3, de la décision du directeur administratif d’Eurojust du 8 juin 2012 sur la carrière et le reclassement, dont il ressort que la troisième langue d’un agent temporaire est celle dans laquelle il démontre ultérieurement sa capacité à travailler.

115    Le requérant oppose toutefois la pratique qu’aurait suivie Eurojust et qui aurait consisté à déterminer la deuxième langue des intéressés sur la base des dossiers de candidature que ceux-ci avaient préalablement déposés auprès d’autres institutions ou agences.

116    Cependant, la procédure de recrutement menée par Eurojust constitue la seule justification de l’emploi des membres de son personnel. Aussi, la deuxième langue de ses agents ne peut être celle testée lors d’un entretien de sélection effectué pour un emploi vacant dans une autre agence, comme Europol en l’espèce. Il en va a fortiori ainsi dès lors que, comme l’a expliqué Eurojust lors de l’audience, le niveau requis en termes d’exigences linguistiques n’avait pas été harmonisé par l’EPSO à l’époque du recrutement du requérant. Or, en l’absence d’une telle harmonisation, le caractère satisfaisant des connaissances linguistiques pouvait varier selon les fonctions à exercer et les spécificités des différentes institutions et agences. Par conséquent, la pratique alléguée par le requérant consistant à déterminer la deuxième langue sur la base d’une procédure de recrutement auprès d’un autre employeur aurait méconnu l’article 12, paragraphe 2, sous e), du RAA. C’est, au demeurant, ce qu’a fait observer l’ancien directeur administratif A dans une déclaration du 28 novembre 2017.

117    Il s’ensuit que, en raison de son caractère contra legem, la pratique invoquée par le requérant ne saurait être présumée. Or, celui-ci n’apporte pas de preuve solide à l’appui de son existence.

118    Pour établir l’usage litigieux, le requérant s’appuie sur les déclarations faites le 14 décembre 2017 par F, qui dirigeait l’unité « Ressources humaines » au moment de l’exercice de reclassement en 2012. Il ressort de ces déclarations que, en principe, la deuxième langue des candidats au reclassement était déterminée sur la base de l’évaluation effectuée lors du recrutement par Eurojust, mais que, à défaut d’indications dans le dossier, un autre moyen consistait à se reporter à la seconde langue qui avait été testée lors d’un précédent recrutement par une autre institution ou agence. Selon F, ce serait ainsi que le français a été désigné comme la deuxième langue du requérant et le néerlandais sa troisième.

119    Cependant, dans une précédente déclaration, du 5 août 2016, F avait fait valoir que la connaissance suffisante d’une deuxième langue de travail était établie au moment du recrutement par Eurojust et que le reclassement était octroyé au vu du dossier de recrutement. Dans cette même déclaration, F avait ajouté que, si le dossier n’était pas clair à ce sujet, la deuxième langue était déterminée, dans le cadre de l’exercice de reclassement, après discussion avec les intéressés.

120    Ainsi, les déclarations de F ont varié en ce qui concerne la manière de déterminer la deuxième langue des agents concernés en l’absence d’indication dans leur dossier de recrutement et cette variation a pu nuire à leur crédibilité sur ce point. En conséquence, le conseil de discipline a raisonnablement pu décider de ne pas accorder de préférence à la version des faits donnée par F le 14 décembre 2017. De surcroît, malgré leur caractère partiellement contradictoire, les déclarations de F sont demeurées constantes en ce qui concerne le fait que la deuxième langue était normalement déterminée sur la base du dossier de recrutement à Eurojust. Elles contredisent en cela l’affirmation du requérant qu’il était à l’époque habituel de vérifier les actes de candidature antérieurs introduits par les intéressés auprès d’une autre institution ou agence de l’Union.

121    De plus, le courriel que l’unité « Ressources humaines » a adressé le 30 mai 2012 aux agents susceptibles de bénéficier d’un reclassement mentionnait à l’attention des agents anglophones que l’anglais était leur première langue et la langue de travail d’Eurojust et soulignait que leur deuxième langue était celle qui avait été évaluée au cours de leur procédure de recrutement.

122    Enfin, dans une déclaration du 28 novembre 2017, E, qui avait dirigé l’exercice de reclassement en 2012, a exposé qu’il n’avait pas connaissance de directives claires quant à la détermination de la deuxième langue lors de cet exercice de reclassement, mais a, dans cette même déclaration, assimilé également la deuxième langue à la langue testée lors du recrutement par Eurojust.

123    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que, compte tenu de l’article 12, paragraphe 2, sous e), du RAA, de l’avis de vacance du 9 janvier 2004 et du courriel de l’unité « Ressources humaines » du 30 mai 2012, la deuxième langue du requérant ne pouvait être que celle qui avait été évaluée lors de la procédure de recrutement par Eurojust. Partant, une disposition interne n’était pas nécessaire pour fixer la manière de déterminer les deuxième et troisième langues des agents candidats à un reclassement. Enfin, il résulte des points 118 à 122 ci-dessus que le requérant n’apporte pas de preuve solide de l’existence de la prétendue pratique contra legem qui aurait expliqué pourquoi il a suggéré lors de l’exercice de reclassement de 2012 que le français était sa deuxième langue.

124    La première branche du deuxième moyen n’est, par conséquent, pas fondée.

b)      Sur la deuxième branche, tirée de l’absence de preuve que les connaissances du requérant en néerlandais ont été testées en tant que deuxième langue

125    Il ressort de l’avis du conseil de discipline du 20 février 2018, auquel les décisions attaquées se réfèrent, et, en particulier, de l’article 1er de la décision AD 2018-27 que l’AHCC a considéré que la deuxième langue du requérant au moment de son recrutement était le néerlandais et le français sa troisième. Le conseil de discipline s’est, à cet égard, fondé notamment sur le fait que les connaissances en néerlandais du requérant avaient été testées lors de son entretien de sélection et sur les déclarations de H, le président du comité de sélection.

126    Le requérant conteste que ses connaissances en néerlandais aient été testées lors de l’entretien de sélection. Il ne se souviendrait pas des détails de cet entretien et il n’en existerait aucun compte rendu officiel. En tout état de cause, la simple mention manuscrite, dans une fiche d’entretien, selon laquelle son néerlandais n’était pas mauvais ne prouverait pas que ses aptitudes dans cette langue aient été vérifiées lors de son recrutement.

127    Il ressort toutefois de la fiche d’entretien avec le requérant qu’une partie de cet entretien devait porter sur les connaissances linguistiques et les aptitudes à la communication. Il ressort également du dossier que les connaissances en néerlandais du requérant ont effectivement été évaluées lors de l’entretien de sélection. La feuille des questions posées au requérant par J, un membre du comité de sélection, mentionne la question suivante : « Waarom wilt u bij Eurojust gaan werken ? » (pourquoi voulez-vous travailler à Eurojust ?). H, le président du comité de sélection, a ensuite écrit, dans la fiche d’entretien : « néerlandais pas mauvais – meilleure présentation à ce jour ». De plus, Eurojust a fait valoir, lors de l’audience, sans être contredite sur ce point, que rien n’imposait un test plus sévère à cette époque. Aussi, ces mentions suffisent à établir que les connaissances du requérant en néerlandais ont été vérifiées par Eurojust lors de son recrutement.

128    Le requérant soutient néanmoins que les mentions ci-dessus n’excluent pas qu’une question ait été posée en français et que la fiche d’entretien n’établit dès lors pas quelle est sa deuxième langue.

129    Cette allégation est cependant une pure spéculation. En l’absence de tout indice contraire, il y a lieu de présumer que la fiche d’entretien aurait également comporté une appréciation des connaissances en français si celles-ci avaient été testées.

130    La fiche d’entretien prouvant que le néerlandais a été testé à ce moment, c’est vainement que le requérant conteste la valeur probante des témoignages de G, une assistante de l’unité « Ressources humaines », et de H, le président du comité de sélection, sur lesquels le conseil de discipline s’est fondé. Le témoignage de H, en particulier, corrobore la fiche d’entretien en ce qu’il met l’accent sur le fait que, à l’époque de l’engagement du requérant, les procédures de recrutement étaient minutieusement menées et que toutes les conditions étaient vérifiées. De plus, dans son témoignage, H a déclaré que la deuxième langue du requérant était, de mémoire, le néerlandais.

131    Au vu de la fiche d’entretien, c’est tout aussi vainement que le requérant prend appui sur le témoignage de I, une autre assistante de l’unité « Ressources humaines », duquel il ressort que, au moment du reclassement, aucune preuve claire n’avait été trouvée de la langue évaluée lors du recrutement. Au demeurant, cette affirmation doit se comprendre à la lecture d’une autre déclaration de ce témoin selon laquelle elle n’avait pas eu accès aux archives et selon laquelle personne n’avait pu lui fournir d’information dans la mesure où le dossier de recrutement du requérant était alors introuvable.

132    Au vu toujours de la fiche d’entretien, c’est enfin vainement que le requérant prétend que sa volonté d’améliorer ses compétences en français grâce aux cours qu’il a suivis après son recrutement n’établit en rien quelle langue a été testée lors de celui-ci.

133    La deuxième branche du deuxième moyen n’est donc pas fondée.

c)      Sur la troisième branche, tirée de ce que le néerlandais n’était pas la deuxième langue du requérant

134    Le requérant fait observer qu’Eurojust a considéré que le néerlandais était sa deuxième langue en se fondant à tort sur la différence de niveau de ses connaissances en néerlandais et en français. Selon le requérant, cette différence serait dépourvue de pertinence, car la deuxième langue d’un fonctionnaire ou d’un agent n’est pas nécessairement la langue que celui-ci pratique le mieux.

135    Le requérant ajoute qu’Eurojust a également établi à tort un lien entre les cours de français qu’il a suivis et la procédure de reclassement, ce qui serait insinuer que son niveau dans cette langue n’était pas suffisant pour bénéficier du reclassement. Rien n’indiquerait qu’il a suivi ces cours à cette fin. En toute hypothèse, son professeur de français aurait déclaré qu’il aurait pu atteindre le niveau requis en français à temps pour être reclassé en 2012 s’il n’avait pas ralenti ses efforts après qu’il lui eut été indiqué que le néerlandais était sa troisième langue de travail.

136    Toutefois, il résulte de l’examen des première et deuxième branches du moyen que les décisions AD 2018-26 et AD 2018-27 ont pu se fonder à suffisance de droit sur les constatations opérées par le conseil de discipline au vu de l’acte de candidature du requérant, de la fiche d’entretien et des déclarations de H, le président du comité de sélection, pour établir que le néerlandais aurait dû être considéré comme étant la deuxième langue du requérant. Par conséquent, les griefs du requérant exposés aux points 134 et 135 ci-dessus ne portent que sur des motifs surabondants et sont, dès lors, inopérants.

137    De surcroît, en soutenant que la deuxième langue d’un fonctionnaire ou d’un agent n’est pas nécessairement la langue que celui-ci pratique le mieux, le requérant suggère qu’il aurait indiqué la langue qu’il pratiquait le moins bien, à savoir le français, dont il n’avait même qu’une connaissance de base selon son propre acte de candidature, comme deuxième langue dont il devait démontrer une connaissance suffisante lors de l’entretien de sélection. Ce choix n’est cependant pas plausible, puisqu’il aurait réduit les chances du requérant d’être recruté, et l’est même d’autant moins que, selon l’avis de vacance, une bonne connaissance du néerlandais était un atout.

138    Enfin, il y a lieu de rappeler que le requérant n’a obtenu le niveau B2 en français, qui était requis pour être reclassé, que le 23 octobre 2013, soit plus d’un an après l’exercice de reclassement de 2012. La déclaration de son professeur de français selon laquelle il aurait pu atteindre ce niveau plus tôt, très hypothétique, ne saurait remettre en cause ce constat.

139    La troisième branche n’est donc pas fondée.

d)      Sur la quatrième branche, tirée de la violation des articles 11 et 12 du statut

140    La décision AD 2018-26 est fondée sur le fait que le requérant a agi en méconnaissance de son devoir de loyauté et de coopération, que les articles 11 et 12 du statut lui imposent, quand Eurojust a essayé d’établir quelles étaient ses deuxième et troisième langues de travail en vue de l’exercice de reclassement de 2012.

141    Le requérant conteste avoir manqué à ces devoirs sur la base de trois arguments.

1)      Quant au premier argument du requérant

142    Le requérant fait valoir qu’il était lui-même incapable de préciser quelle était sa deuxième langue de travail et qu’il avait été totalement transparent à cet égard, ainsi qu’en témoignerait son courriel du 30 mai 2012, dans lequel il laissait à l’unité « Ressources humaines » le soin de la déterminer.

143    Toutefois, même si le requérant a déclaré lors de l’exercice de reclassement qu’il ne se souvenait plus de la langue qui avait été testée lors de son recrutement, il n’en a pas moins suggéré que le français devait être considéré comme sa deuxième langue.

144    Ainsi, dès le 30 mai 2012, le requérant écrivait à l’unité « Ressources humaines » que son français avait été vérifié lors de son recrutement par Europol en 1994, qu’il l’avait étudié à l’école et qu’il était donc d’avis que le français était sa deuxième langue et le néerlandais sa troisième, même s’il estimait avoir un niveau C2 dans cette langue.

145    Il est vrai, comme le requérant le souligne, que l’assistante I de l’unité « Ressources humaines » a déclaré qu’elle l’avait informé que, en cas d’absence d’indication claire dans son dossier et pour ne pas le pénaliser, il était libre de choisir le néerlandais comme troisième langue.

146    Toutefois, cette possibilité qui lui était offerte ne dispensait pas le requérant d’agir avec probité en ayant uniquement en vue l’intérêt d’Eurojust, conformément à son devoir de loyauté envers cette agence.

147    Le premier argument doit donc être écarté.

2)      Quant au deuxième argument du requérant

148    S’agissant précisément de l’obligation d’agir avec loyauté, le requérant prétend que, même à supposer qu’il ait effectivement suggéré que le français était sa deuxième langue, une telle suggestion ne serait critiquable que dans l’hypothèse où elle aurait été faite en sachant que tel n’était pas le cas. La tromperie qu’Eurojust lui reproche supposerait un dol. En réponse à une question qui lui a été posée lors de l’audience, le requérant a précisé qu’il entendait par là un dol général, synonyme de comportement délibéré. Or, Eurojust ne parviendrait pas à prouver un tel comportement.

149    L’article 11, premier alinéa, et l’article 12 du statut, qui sont applicables aux agents temporaires en vertu de l’article 11, premier alinéa, du RAA, constituent le fondement juridique de la décision AD 2018-26 et sont des expressions spécifiques de l’obligation de loyauté qui s’impose à tout fonctionnaire ou agent (voir arrêt du 19 mai 1999, Connolly/Commission, T‑34/96 et T‑163/96, EU:T:1999:102, point 127 et jurisprudence citée). En vertu de ces deux dispositions, le fonctionnaire doit, d’une part, s’acquitter de ses fonctions et régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts de l’Union et, d’autre part, s’abstenir de tout acte et de tout comportement qui puissent porter atteinte à la dignité de sa fonction. Selon la jurisprudence, une violation des articles 11 et 12 du statut suppose un comportement dont le fonctionnaire doit raisonnablement comprendre le caractère inapproprié, au vu de son grade et des fonctions qu’il exerce (voir, en ce sens, arrêts du 23 octobre 2013, Gomes Moreira/ECDC, F‑80/11, EU:F:2013:159, point 63, et du 10 juin 2016, HI/Commission, F‑133/15, EU:F:2016:127, point 189). Une violation de l’article 12 du statut, en particulier, nécessite l’existence d’éléments permettant de conclure au caractère intentionnel du comportement en cause (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2002, Willeme/Commission, T‑89/01, EU:T:2002:212, point 77). Il y a donc lieu d’admettre, avec le requérant, que la méconnaissance du devoir de loyauté au sens des articles 11 et 12 du statut suppose un dol, à savoir un comportement délibéré.

150    En l’espèce, le conseil de discipline a raisonnablement pu considérer qu’il n’était pas crédible que le requérant ait pu se méprendre quant à la langue qui devait être considérée comme sa deuxième langue, à savoir celle dont il devait avoir, dès son recrutement, une connaissance satisfaisante pour exercer ses fonctions.

151    Il convient de rappeler, à cet égard, que le requérant avait indiqué dans sa candidature parler couramment le néerlandais, mais avoir seulement une connaissance basique du français. Il ressort en outre de son rapport de stage, établi le 31 janvier 2005, et dont il ne pouvait ignorer le contenu, que, peu de temps après son recrutement, il travaillait principalement en anglais et en néerlandais quand c’était nécessaire et que sa capacité à interagir avec son environnement serait améliorée s’il suivait des cours avancés en français.

152    De plus, le professeur de français du requérant a déclaré que celui-ci lui avait expliqué, à une époque proche du reclassement se situant entre le mois de mai 2011 et le début de l’année 2012, que sa première raison pour suivre un cours de français était l’amélioration de ses connaissances en français afin de pouvoir le parler couramment et avec confiance et que l’autre raison était d’obtenir le certificat de niveau B2, dont il aurait besoin pour son travail. Dans le prolongement de ce qui précède, le rapport d’évaluation du requérant pour l’année 2011, établi le 8 mai 2012, soit concomitamment aux discussions relatives à la détermination de sa deuxième langue et alors qu’il avait suivi de nombreux cours de français depuis son recrutement, mentionnait encore que celui-ci devait développer davantage sa capacité à travailler en français. De surcroît, devant le conseil de discipline, le requérant a soutenu qu’il aurait pu rédiger sa candidature à Eurojust en français, parce que son épouse, qui est professeur de français, aurait pu l’aider dans cette tâche. Outre que cette affirmation est une simple hypothèse que rien dans le dossier ne corrobore, elle confirme en tout état de cause le caractère limité des connaissances du requérant dans cette langue à l’époque de son recrutement et la conscience qu’il avait encore de ce caractère limité au cours de la procédure disciplinaire. Enfin, dans ses observations du 7 novembre 2016 sur le projet de rapport d’enquête administrative, le requérant a lui-même déclaré que, durant la période précédant le reclassement et jusqu’à une réunion avec l’assistante I de l’unité « Ressources humaines », le 12 juin 2012, il supposait que le néerlandais était sa deuxième langue.

153    Dans ce contexte, il n’est pas plausible que le requérant n’ait pas perçu le caractère fallacieux de sa déclaration selon laquelle la deuxième langue dans laquelle il était à même de travailler dès son recrutement était le français.

154    Le requérant a, certes, fait valoir, durant la procédure disciplinaire, qu’il ne se rappelait plus quel niveau de connaissances linguistiques il avait mentionné dans son acte de candidature. Toutefois, même si le dossier de recrutement était égaré, son rapport de stage, ses motivations pour suivre des cours de français et son rapport d’évaluation pour l’année 2011 devaient à eux seuls l’amener à la conclusion que la langue dont il avait une connaissance satisfaisante au moment de son recrutement, c’est-à-dire sa deuxième langue, ne pouvait être que le néerlandais.

155    Le requérant explique son revirement après sa réunion avec l’assistante I de l’unité « Ressources humaines », le 12 juin 2012, dont il a fait état dans ses observations du 7 novembre 2016 sur le projet de rapport d’enquête administrative, par le fait qu’il pensait que la détermination de la deuxième langue se faisait selon une « approche chronologique », fondée sur la langue testée lors du premier recrutement dans une institution ou par une agence de l’Union. Toutefois, il ressort de l’examen de la seconde branche du présent moyen qu’il n’apporte pas de preuve solide étayant l’existence d’une telle approche, au demeurant contra legem.

156    Le conseil de discipline a, par ailleurs, pu raisonnablement considérer qu’il était difficile d’admettre que le requérant ait pu oublier que ses connaissances linguistiques en néerlandais avaient été testées en 2004 alors qu’il se souvenait que ses aptitudes en français avaient été appréciées dix ans plus tôt, lors de son engagement par Europol en 1994.

157    Eurojust a encore pu raisonnablement déduire que le requérant avait conscience que le néerlandais était sa deuxième langue et le français sa troisième, et qu’il avait ainsi induit en erreur l’unité « Ressources humaines », de la circonstance qu’il avait intensifié ses cours de français dans les premiers mois de l’année 2012, juste avant le reclassement, et ce jusqu’au moment où il a appris que cette langue serait considérée comme sa deuxième langue, dont il n’avait plus besoin d’attester la connaissance.

158    Enfin, le requérant plaide vainement que l’ancien directeur administratif A aurait attesté de sa loyauté et de sa sincérité. En réponse à une question portant sur l’impression d’ensemble qu’il avait du requérant, cet ancien directeur administratif a, certes, estimé que sa loyauté envers Eurojust avait toujours été hautement remarquable. Toutefois, comme le fait observer Eurojust, A lui-même avait ordonné, le 29 mars 2016, l’ouverture de l’enquête administrative qui a conduit aux décisions AD 2018-26 et AD 2018-27. De plus, ces décisions ne sont pas fondées sur le comportement général du requérant, mais sur son manquement à ses devoirs dans le cas spécifique de la procédure de reclassement de 2012.

3)      Quant au troisième argument du requérant

159    Le requérant fait finalement grief à Eurojust d’avoir considéré que, en tant que chef d’unité, il aurait dû connaître les règles concernant la détermination des deuxième et troisième langues, puisqu’il n’existait à l’époque aucune règle claire à ce sujet, ce que le rapport à l’attention du conseil de discipline (voir point 21 ci-dessus) reconnaîtrait en qualifiant cette lacune de circonstance atténuante.

160    Or, contrairement à ce que le requérant semble soutenir, le conseil de discipline ne s’est pas fondé sur sa qualité de chef d’unité pour établir qu’il avait méconnu les devoirs que lui imposaient les articles 11 et 12 du statut. C’est au titre des circonstances aggravantes d’une violation du statut qu’il considérait déjà établie que le conseil de discipline a estimé que, en tant que chef d’unité placé directement dans la hiérarchie sous le directeur administratif, et donc en tant que cadre supérieur, exerçant ces fonctions de surcroît depuis 2004, le requérant aurait dû présenter une image de dignité conforme à la conduite particulièrement correcte et respectable attendue de la part de membres d’une fonction publique internationale.

161    À supposer même que le grief du requérant doive se comprendre comme contestant non pas son manquement à ses obligations en tant que telles, mais la circonstance aggravante retenue à sa charge, il y a lieu de rappeler que les fonctionnaires et les agents de l’Union doivent d’autant plus faire preuve d’un comportement au-dessus de tout soupçon qu’ils ont un grade élevé (arrêts du 19 mai 1999, Connolly/Commission, T‑34/96 et T‑163/96, EU:T:1999:102, point 128, et du 23 octobre 2013, Gomes Moreira/ECDC, F‑80/11, EU:F:2013:159, point 61). Or, en tant que chef d’unité, en fonction depuis l’année 2004, le requérant faisait partie du personnel d’encadrement de l’agence.

162    De plus, si, comme le relève le requérant, il est vrai que le directeur administratif D a considéré, dans son rapport à l’attention du conseil de discipline, qu’une circonstance atténuante pouvait être trouvée dans le fait que les instructions de l’unité « Ressources humaines » n’étaient pas claires en ce qui concerne la détermination des deuxième et troisième langues, le conseil de discipline a pu à juste titre ne pas reprendre cette circonstance atténuante à son compte dans son avis fondant les décisions AD 2018-26 et AD 2018-27. Il ressort, en effet, de l’examen de la première branche du présent moyen qu’il découle déjà de l’article 12, paragraphe 2, sous e), du RAA que la langue testée lors de l’entretien de sélection est nécessairement la deuxième langue de l’agent, ce que l’unité « Ressources humaines » a rappelé dans le courriel qu’elle avait adressé le 30 mai 2012 aux agents susceptibles de bénéficier d’un reclassement, parmi lesquels figurait le requérant.

163    Il découle de tout ce qui précède que la quatrième branche du deuxième moyen et celui-ci dans son ensemble ne sont pas fondés.

3.      Sur le troisième moyen, dirigé contre la décision de répéter l’indu

164    Le troisième moyen est tiré de ce que la décision de répéter l’indu reposerait sur des faits inexacts et de ce qu’elle aurait été adoptée en violation de l’obligation de motivation. Le requérant expose que, dans un contexte où aucune règle claire n’était disponible, il n’aurait su ni n’aurait pu savoir que son reclassement lui avait, par hypothèse, été accordé de manière erronée, de telle sorte que les conditions auxquelles l’article 85 du statut subordonne la répétition de l’indu n’étaient pas remplies.

165    Ainsi que le requérant l’a confirmé lors de l’audience, il conteste ainsi le bien-fondé intrinsèque des motifs de la décision de répéter l’indu, qui relève de la légalité au fond de cette décision, et non l’absence ou l’insuffisance formelle de motivation, qui en est distincte (voir, en ce sens, ordonnance du 19 juin 2018, Karp/Parlement, C‑714/17 P, non publiée, EU:C:2018:471, point 27).

166    À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 85, premier alinéa, du statut et d’une jurisprudence constante que, pour qu’une somme versée sans justification puisse être répétée, la preuve doit être administrée que le bénéficiaire avait une connaissance effective du caractère irrégulier du paiement ou que l’irrégularité du versement était si évidente que le bénéficiaire ne pouvait manquer d’en avoir connaissance. En cas de contestation de la part du bénéficiaire et en l’absence de preuve d’une connaissance de l’irrégularité du versement, il y a lieu d’examiner les circonstances dans lesquelles celui-ci a été effectué, afin d’établir si son irrégularité devait apparaître avec évidence. Précisément, l’expression « si évidente », caractérisant l’irrégularité du versement, qui figure à l’article 85 du statut, ne signifie pas que le fonctionnaire bénéficiant de paiements indus est dispensé de tout effort de réflexion ou de contrôle, mais signifie que la restitution est due dès qu’il s’agit d’une erreur qui n’échappe pas à un fonctionnaire normalement diligent qui est censé connaître les règles régissant son traitement (voir arrêt du 8 septembre 2017, Gillet/Commission, T‑578/16, non publié, EU:T:2017:590, point 97 et jurisprudence citée).

167    En l’espèce, il ressort de l’examen de la première branche du deuxième moyen que l’article 12, paragraphe 2, sous e), du RAA implique que la langue testée lors de l’entretien de sélection est nécessairement la deuxième langue de l’agent, ce que l’unité « Ressources humaines » a rappelé dans son courriel du 30 mai 2012 adressé à tous les agents susceptibles de bénéficier d’un reclassement, dont le requérant.

168    Il ressort ensuite de l’examen des deuxième et troisième branches du deuxième moyen que les connaissances en néerlandais du requérant ont bien été vérifiées lors de son recrutement par Eurojust et que le néerlandais devait être considéré, sur cette base, comme étant sa deuxième langue.

169    Enfin, il ressort de l’examen de la quatrième branche du deuxième moyen qu’Eurojust a pu raisonnablement déduire des circonstances de la cause que le requérant, membre du personnel d’encadrement de l’agence, n’avait pu se méprendre sur le fait que le néerlandais et le français étaient respectivement sa deuxième et sa troisième langues de travail.

170    Dans ces conditions, et compte tenu de la circonstance que l’article 3, paragraphe 3, de la décision du directeur administratif d’Eurojust du 8 juin 2012 subordonnait le reclassement des agents temporaires à la démonstration de leur capacité à travailler dans une troisième langue, le caractère irrégulier de son reclassement ne pouvait échapper au requérant s’il avait fait preuve de la diligence requise de tout agent respectant son devoir de loyauté et de coopération.

171    Il s’ensuit que le troisième moyen n’est pas fondé.

172    Aucun des moyens n’étant fondé, le premier chef de conclusions, tendant à l’annulation des décisions attaquées, doit être rejeté.

D.      Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième chefs de conclusions

173    Par ses deuxième et troisième chefs de conclusions, le requérant demande que le Tribunal dise pour droit que le français doit être considéré comme sa deuxième langue et le néerlandais sa troisième. Eurojust soutient que ces chefs de conclusions ne sont pas recevables. Dans son quatrième chef de conclusions, le requérant demande notamment au Tribunal de déclarer que la répétition des sommes qu’il a perçues à la suite de son reclassement en grade en 2012 est illicite. Dans son cinquième chef de conclusions, il demande de déclarer qu’Eurojust doit le replacer dans la situation juridique dans laquelle il se trouvait avant les décisions attaquées.

174    Force est à cet égard de constater que, même si, comme le soutient le requérant, il n’a pas demandé que des injonctions soient adressées à Eurojust, il n’appartient pas au Tribunal, dans le cadre de son contrôle de légalité fondé sur l’article 91 du statut, de faire des déclarations en droit (arrêt du 16 mai 2006, Magone/Commission, T‑73/05, EU:T:2006:127, points 15 et 16). Dès lors, les deuxième, troisième et cinquième chefs de conclusions sont irrecevables. Il en va de même du quatrième chef de conclusions en ce que, par celui-ci, le requérant demande au Tribunal de déclarer illicite la répétition des sommes perçues.

175    Il n’en va pas de même, en revanche, du quatrième chef de conclusions en ce que, par celui-ci, le requérant demande que le Tribunal déclare que les montants recouvrés par Eurojust lui soient restitués. Dans cette mesure, ce chef de conclusions peut être interprété comme une demande au Tribunal d’ordonner le remboursement de ces montants. Or, une telle demande relève du contentieux de pleine juridiction dont le Tribunal jouit en l’occurrence, en vertu de l’article 91, paragraphe 1, du statut. Toutefois, ce chef de conclusions doit être rejeté comme non fondé par voie de conséquence du rejet du chef de conclusions tendant à l’annulation des décisions attaquées.

176    Au vu de tout ce qui précède, le recours dans son ensemble doit être rejeté.

IV.    Sur les dépens

177    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

178    En l’espèce, le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens et ceux d’Eurojust, conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.


2)      M. Jon Broughton est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust).

Gervasoni

Frendo

Martín y Pérez de Nanclares

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 octobre 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.