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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 4 juillet 2024 (1)

Affaire C370/23

Mesto Rimavská Sobota

contre

Ministerstvo pôdohospodárstva a rozvoja vidieka Slovenskej republiky

[demande de décision préjudicielle formée par le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque)]

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Règlement (UE) no 995/2010 – Bois et produits dérivés – Notions d’“opérateur” et de “mise sur le marché” »






I.      Introduction

1.        La ville de Rimavská Sobota (Mesto Rimavská Sobota, ci‑après la « requérante ») est située dans la vallée fluviale des Slovenské rudohorie (monts Métallifères slovaques), dans le sud de la Slovaquie. Elle gère une forêt communale.

2.        Au mois de juin 2018, la requérante a vendu une certaine quantité de bois à une personne morale. Elle s’est par la suite vu infliger une amende par les autorités compétentes pour ne pas avoir mis en place un système de diligence raisonnée, comme l’exige la loi slovaque sur le bois (2), qui est une loi portant transposition du règlement (UE) no 995/2010 (3).

3.        Dans le cadre de ses recours dirigés contre cette amende et portés devant les juridictions slovaques, la requérante a notamment fait valoir que, aux fins de l’opération en cause, elle n’a pas agi en tant qu’« opérateur » au sens du règlement no 995/2010, de sorte qu’elle ne devrait pas être soumise à l’obligation de diligence raisonnée qui en découle.

II.    Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

4.        Le 11 juin 2018, la requérante a conclu un contrat de vente de bois avec la société MK&MK Holz, s.r.o. (ci-après l’« acheteur »).

5.        Il ressort du dossier national de l’affaire que, conformément à ce contrat, la requérante a vendu à l’acheteur un volume déterminé de bois (exprimé en mètres cubes). En vertu dudit contrat, l’acheteur était tenu d’« effectuer » la récolte du bois avant le 31 décembre 2018. Ce même contrat prévoyait en outre les parcelles précises de terres (boisées) de la forêt communale de Rimavská Sobota dans lesquelles la récolte devait avoir lieu. Les employés de la requérante devaient contrôler l’abattage des arbres par l’acheteur et mesurer les volumes récoltés afin de garantir le respect des obligations contractuelles. En contrepartie de la réception de la quantité de bois convenue, l’acheteur était tenu de payer à la requérante un prix fixe par mètre cube de bois, TVA comprise.

6.        Le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque) indique que la requérante a également vendu à des personnes physiques, selon des modalités similaires, du bois destiné à être utilisé comme bois de chauffage (4).

7.        Le 25 juin 2019, sur la base d’une décision de la Slovenská lesnícko-drevárská inšpekcia (Inspection slovaque des forêts et de l’industrie forestière), le Ministerstvo pôdohospodárstva a rozvoja vidieka Slovenskej republiky (ministère de l’Agriculture et du Développement rural de la République slovaque, ci-après le « ministère ») a adopté une décision dans laquelle il a conclu que la requérante avait commis une infraction administrative au sens de la loi slovaque sur le bois en ne mettant pas en place, en tant qu’« opérateur », un système de diligence raisonnée visant à empêcher la première mise sur le marché intérieur de bois ou de produits dérivés issus d’une récolte illégale. Il a infligé à la requérante une amende de 2 000 euros.

8.        La requérante a introduit un recours contre cette amende devant le Krajský súd Banskej Bystrici (cour régionale de Banská Bystrica, Slovaquie). Celui-ci a rejeté ce recours.

9.        Dans le cadre de son pourvoi devant le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque), la requérante fait valoir qu’elle n’est pas un « opérateur » au sens du règlement no 995/2010.

10.      La notion d’« opérateur » est définie à l’article 2, sous c), du règlement no 995/2010 comme désignant toute personne physique ou morale qui met du bois ou des produits dérivés sur le marché.

11.      L’article 2, sous b), du règlement no 995/2010 précise en outre que la notion de « mise sur le marché » désigne la fourniture, par tout moyen, quelle que soit la technique de vente utilisée, de bois ou de produits dérivés, pour la première fois sur le marché intérieur, à des fins de distribution ou d’utilisation dans le cadre d’une activité commerciale, à titre onéreux ou gratuit.

12.      À cet égard, la requérante fait valoir que, aux termes du contrat, c’est l’acheteur qui « met [...] des produits dérivés sur le marché [...] pour la première fois », puisque c’est lui qui récolte le bois en question. Il s’ensuit, selon la requérante, que c’est l’acheteur, et non elle, qui agit en tant qu’« opérateur » pour ce type précis d’opération et qui, en cette qualité, est soumis à l’obligation de diligence raisonnée au titre du règlement no 995/2010. La requérante soutient ainsi qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir mis en place un système de diligence raisonnée.

13.      Le ministère estime que, dans la mesure où la requérante avait vendu du bois directement à un tiers sans pour autant transférer l’ensemble des droits attachés au statut de gestionnaire forestier en vertu du droit slovaque, elle était la seule soumise à l’obligation de tenir les registres spécifiques requis par le zákon č. 326/2005 Z. z. o lesoch (loi slovaque no 326/2005 sur les forêts), telle que modifiée, afin de mettre en place un système de diligence raisonnée.

14.      Dans ce contexte de fait et de droit, le Najvyšší správny súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, sous b), du règlement [no 995/2010] doit-il être interprété en ce sens que constitue également une mise sur le marché de bois à titre onéreux la vente de bois brut ou de chauffage au sens de l’annexe audit règlement, si la récolte du bois en vertu d’un contrat est réalisée par l’acheteur sur la base des instructions du vendeur et sous le contrôle de ce dernier ? »

15.      Des observations écrites ont été déposées par les gouvernements hongrois et slovaque ainsi que par la Commission européenne. Ces deux dernières parties ont en outre été entendues lors de l’audience qui s’est tenue le 15 mai 2024.

III. Analyse

16.      Les présentes conclusions sont structurées de la manière suivante. Je me pencherai dans un premier temps sur les préoccupations du gouvernement slovaque relatives à la recevabilité du présent renvoi préjudiciel (A). J’examinerai dans un second temps l’interprétation sollicitée par la juridiction de renvoi (B). Dans le cadre de cet examen, je présenterai succinctement le système instauré par le règlement no 995/2010 (B.1) avant d’exposer la raison pour laquelle, s’agissant du type d’accord en cause dans la présente affaire, j’estime que la requérante a le statut d’« opérateur » (B.2).

A.      Sur la recevabilité

17.      Le gouvernement slovaque a émis des doutes quant à la recevabilité du présent renvoi préjudiciel. Il est en effet d’avis que la question, telle que formulée par la juridiction de renvoi, invite la Cour à appliquer le règlement no 995/2010 aux faits en cause dans l’affaire au principal. Néanmoins, ce gouvernement ne propose pas à la Cour de déclarer ce renvoi préjudiciel irrecevable. Il suggère en lieu et place de reformuler ladite question de manière à s’interroger, de manière plus générale, sur l’interprétation de ce règlement.

18.      Je ne suis pas convaincue que la question préjudicielle nécessite une reformulation en soi. Telle qu’elle a été posée à la Cour, cette question respecte déjà la répartition des tâches, consacrée à l’article 267, premier alinéa, TFUE, entre l’interprétation du droit de l’Union (ressortissant en dernier lieu de la compétence de la Cour) et l’application de ce droit (incombant au juge national).

19.      Il est donc possible de répondre à la question telle qu’elle a été formulée, même si, comme je le démontrerai, une réponse utile à la juridiction de renvoi implique en réalité d’interpréter, outre l’article 2, sous b), du règlement no 995/2010, d’autres passages de celui-ci.

B.      Sur le fond

1.      Le contexte du règlement no 995/2010

20.      Le plan d’action relatif à l’application des réglementations forestières, à la gouvernance et aux échanges commerciaux (Forest Law Enforcement, Governance and Trade, « FLEGT ») (5) reconnaissait « le problème sans cesse plus préoccupant de l’exploitation clandestine des forêts et du commerce qui y est associé » comme l’une des priorités de la Commission (6).

21.      En vue de réduire l’exploitation illégale des forêts, la production de bois ainsi que la dégradation des forêts et la déforestation qui y sont associées, le plan d’action FLEGT a conduit à l’adoption de deux instruments juridiques clés : le règlement no 2173/2005 (7) et le règlement no 995/2010.

22.      Le règlement no 2173/2005 régit l’importation dans l’Union de bois et de produits dérivés en provenance de pays avec lesquels l’Union a conclu certains types d’accord de partenariat (8). Il établit à cette fin un régime d’« autorisations FLEGT ». Ces autorisations sont en substance des certificats administratifs délivrés par les autorités compétentes du pays partenaire, au moyen desquels un importateur de bois et de produits dérivés situé dans l’Union est en mesure d’attester que les produits qu’il essaie de mettre sur le marché intérieur ont été récoltés conformément au droit national applicable dudit pays partenaire. En d’autres termes, les autorisations FLEGT attestent que les produits importés ont été « récoltés légalement » (9).

23.      Le règlement no 995/2010 est un instrument juridique dont le champ d’application est bien plus large. Entré en vigueur le 2 décembre 2010, il est applicable depuis le 3 mars 2013 (10).

24.      Il régit la mise sur le marché intérieur de tous les bois et produits dérivés relevant de son champ d’application (11), peu importe qu’ils soient, ou non, produits au sein de l’Union et qu’ils aient, ou non, été importés depuis un pays partenaire FLEGT.

25.      Le règlement no 995/2010 ne lutte pas contre l’exploitation illégale des forêts en soi, mais vise à décourager de telles pratiques en réglementant le marché du commerce, au sein de l’Union, du bois et des produits dérivés qui résultent d’une telle exploitation (12).

26.      À cette fin, ce règlement crée deux obligations horizontales dans le chef des « opérateurs » (13).

27.      La première obligation horizontale des opérateurs consiste à interdire la première mise sur le marché de bois issus d’une récolte illégale ou de produits dérivés de ces bois (14). Leur seconde obligation horizontale leur impose d’utiliser un système de diligence raisonnée avant de mettre sur le marché, pour la première fois, du bois ou des produits dérivés de ce bois (15).

28.      Ce système de diligence raisonnée, qui peut être conçu soit par les opérateurs eux-mêmes, soit par une organisation de contrôle (16), doit comporter trois éléments : premièrement, des mesures et procédures destinées à suivre l’origine et la légalité du bois et des produits dérivés (17) ; deuxièmement, des procédures d’évaluation du risque permettant d’analyser et d’évaluer le risque que du bois issu d’une récolte illégale ou des produits dérivés soient mis sur le marché (18) et, troisièmement, dans les cas où le risque identifié n’est pas négligeable, des mesures d’atténuation du risque qui sont adéquates et proportionnées pour réduire effectivement ce risque (19).

2.      Qui est l’« opérateur » en l’espèce ?

29.      La juridiction de renvoi sollicite en substance une interprétation de la notion d’« opérateur » afin de déterminer si c’est à bon droit que l’amende a été infligée à la requérante pour défaut de mise en place d’un système de diligence raisonnée.

30.      En vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 995/2010, les « opérateurs » sont les seuls à être soumis à l’obligation de diligence raisonnée prescrite par cette disposition (20).

31.      Cette obligation est imposée pour permettre une traçabilité raisonnée du bois et des produits dérivés mis sur le marché intérieur (21) et ainsi contribuer à la prévention du commerce du bois issu d’une récolte illégale.

32.      Cette même obligation reflète en outre l’objectif poursuivi par le règlement no 995/2010, à savoir, ainsi que l’énonce le considérant 31 de ce règlement, la lutte contre l’exploitation illégale des forêts et le commerce qui y est associé. C’est à cette fin que ledit règlement crée des obligations spécifiques dans le chef des « opérateurs » et des « commerçants » (22).

33.      Toutefois, les obligations imposées aux « opérateurs » diffèrent de celles imposées aux « commerçants ». Alors que ces derniers sont tenus d’identifier les personnes qui leur ont fourni du bois ou des produits dérivés et, le cas échéant, les personnes auxquelles ils ont fourni de tels produits (23), les « opérateurs » sont soumis à une obligation de diligence raisonnée (24).

34.      Il ressort d’une lecture des dispositions combinées de l’article 2, sous b), et de l’article 2, sous c), du règlement no 995/2010 que la notion d’« opérateur » désigne la personne qui fournit du bois ou des produits dérivés, pour la première fois sur le marché intérieur, à des fins de distribution ou d’utilisation dans le cadre d’une activité commerciale, à titre onéreux ou gratuit.

35.      Par conséquent, ce n’est pas la fourniture de bois ou de produits dérivés sur le marché intérieur qui permet de distinguer l’« opérateur » du « commerçant » aux fins du règlement no 995/2010, puisqu’ils fournissent tous deux de tels produits. La caractéristique distinctive réside dans la circonstance que l’« opérateur » est le premier acteur de la chaîne d’approvisionnement en bois et produits dérivés sur le marché intérieur, alors que le « commerçant » vend ou achète du bois ou des produits dérivés déjà mis sur le marché intérieur.

36.      Il s’ensuit que l’élément déterminant pour définir la personne qui constitue un « opérateur » au sens du règlement no 995/2010 est le moment où, dans la chaîne de commercialisation du bois et des produits dérivés, ces produits sont mis sur le marché intérieur pour la première fois.

37.      Il est à cet égard possible d’opérer une distinction entre deux cas de figure : d’une part, celui où le bois et les produits dérivés proviennent d’arbres sur pied situés dans un pays tiers, puis sont importés dans l’Union et mis sur le marché intérieur (en tant que bois brut ou produits dérivés), et, d’autre part, celui où le bois et les produits dérivés sont produits à partir d’arbres sur pied situés dans l’Union et mis sur le marché intérieur.

38.      Étant donné que la première mise sur le marché des produits relevant de la première catégorie intervient au moment de leur mise en libre pratique par les autorités douanières nationales, c’est l’importateur de ces produits en provenance de pays tiers qui, dans ce contexte, agit en tant qu’« opérateur » au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 995/2010.

39.      Partant, c’est l’importateur qui doit satisfaire à l’obligation de diligence raisonnée imposée aux « opérateurs ». Le choix du législateur de l’Union de soumettre l’importateur à cette obligation est logique, puisque celui-ci est la première personne à laquelle le droit de l’Union peut directement imposer des obligations susceptibles d’exécution forcée lorsque le bois ou les produits dérivés en cause proviennent d’un pays situé en dehors de l’Union (25).

40.      Si, toutefois, comme en l’espèce, les arbres transformés en bois et produits dérivés, dont le règlement no 995/2010 vise en définitive à empêcher la récolte illégale, se situent au sein de l’Union, la chaîne de commercialisation du bois (ou des produits dérivés) commence par l’abattage de ces arbres dans un État membre.

41.      Dans cette hypothèse, l’« opérateur » est la personne qui cède ces arbres en vertu du droit que lui accorde la législation nationale.

42.      Il s’ensuit que la notion d’« opérateur » désigne en outre la seule personne qui peut établir, au moyen du système de diligence raisonnée visé à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 995/2010, que les produits entrant ainsi en circulation sont « issus d’une récolte légale » [c’est-à-dire récoltés conformément à la législation nationale applicable, ainsi que le précise l’article 2, sous f), de ce règlement].

43.      Ces éléments m’amènent au cas d’espèce. Il ressort du dossier de l’affaire que la requérante, dont le gouvernement slovaque a confirmé lors de l’audience qu’elle était habilitée à agir en tant que gestionnaire forestier en vertu du droit slovaque, a vendu un certain volume de bois à l’acheteur. Ce bois devait être récolté, puisque les arbres concernés n’avaient pas encore été abattus. Le contrat relatif aux volumes de bois en cause a donc eu pour effet d’entraîner la première mise sur le marché intérieur de produits relevant du champ d’application du règlement no 995/2010, car c’est à ce moment-là que s’est actionnée la chaîne de commercialisation de ce bois. Partant, c’est la requérante qui a agi en tant qu’« opérateur » pour cette opération précise et qui est tenue de mettre en place et d’utiliser le système de diligence raisonnée visé à l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement. En effet, la requérante est la seule personne à pouvoir légalement établir que la première mise sur le marché des produits en cause a eu lieu conformément à la législation slovaque applicable.

44.      Il importe peu de connaître la personne qui a abattu dans les faits les arbres concernés pour déterminer l’identité de l’« opérateur ». Étant donné que celui-ci est le seul à pouvoir satisfaire à l’obligation de diligence raisonnée consistant à confirmer la légalité de la récolte ainsi obtenue, le fait de déléguer l’abattage des arbres à un tiers ne saurait exonérer la requérante de cette obligation, qui lui incombe en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 995/2010.

45.      Une position en sens contraire signifierait que la mise sur le marché de bois ou de produits dérivés pourrait être dissociée de l’obligation découlant de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 995/2010 visant à garantir la légalité de la récolte en question. Une telle dissociation risquerait, quant à elle, d’entraîner la mise sur le marché intérieur de bois et de produits dérivés, sans que l’auteur ou la personne responsable de cette mise sur le marché soit en mesure de prouver, conformément aux obligations qui lui incombent, la légalité de la récolte de ces produits (26).

46.      Dans le contexte de la présente affaire, l’acheteur ne pourrait devenir un « opérateur » que si la requérante vendait ou transférait les droits de gestion des arbres avant la récolte de ceux-ci. C’est uniquement dans ce cas de figure que la décision d’abattre les arbres et de mettre sur le marché le bois ou les produits dérivés résultant de cet abattage serait prise par l’acheteur (27). Sous réserve de confirmation par la juridiction de renvoi, il ne semble toutefois pas qu’une telle vente ou un tel transfert aient été convenus en l’espèce.

47.      En résumé, il ressort des faits de la présente affaire que c’est la requérante qui a agi en tant qu’« opérateur ». Elle est donc la personne qui aurait dû mettre en place un système de diligence raisonnée en vue de garantir, entre autres, le respect de la législation slovaque applicable.

IV.    Conclusion

48.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Najvyšší súd Slovenskej republiky (Cour administrative suprême de la République slovaque) de la manière suivante :

La notion de « mise sur le marché » figurant à l’article 2, sous b), du règlement (UE) no 995/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché,

doit être interprétée en ce sens que :

elle couvre la vente de bois brut ou de chauffage au sens de l’annexe audit règlement, si la récolte du bois en vertu d’un contrat est réalisée par l’acheteur sur la base des instructions du vendeur et sous le contrôle de ce dernier.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Zákon č. 113/2018 Z. z. o uvádzaní dreva a výrobkov z dreva na vnútorný trh a o zmene a doplnení zákona č. 280/2017 Z. z. o poskytovaní podpory a dotácie v pôdohospodárstve a rozvoji vidieka a o zmene zákona č. 292/2014 Z. z. o príspevku poskytovanom z európskych štrukturálnych a investičných fondov a o zmene a doplnení niektorých zákonov v znení neskorších predpisov (loi no 113/2018 relative à la mise sur le marché intérieur du bois et des produits dérivés, modifiant et complétant la loi no 280/2017 relative à l’octroi d’aides et de subventions dans le domaine de l’agriculture et du développement rural ainsi que la loi no 292/2014 relative à la contribution des Fonds structurels et d’investissement européens, modifiant et complétant certaines lois) (ci-après la « loi slovaque sur le bois »).


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché (JO 2010, L 295, p. 23).


4      Je souhaite toutefois préciser que nous ne disposons d’aucune information relative à ces opérations qui complèterait les explications succinctes y afférentes figurant dans l’ordonnance de renvoi.


5      Voir communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, « Application des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux (FLEGT) – Proposition relative à un plan d’action de l’Union européenne » [COM(2003) 251 final] (ci-après le « plan d’action FLEGT »).


6      Voir plan d’action FLEGT, p. 3.


7      Règlement du Conseil du 20 décembre 2005 concernant la mise en place d’un régime d’autorisation FLEGT relatif aux importations de bois dans la Communauté européenne (JO 2005, L 347, p. 1). Les modalités de mise en œuvre de ce règlement ont été arrêtées par le règlement (CE) no 1024/2008 de la Commission, du 17 octobre 2008, arrêtant les modalités de mise en œuvre du règlement (CE) no 2173/2005 du Conseil concernant la mise en place d’un régime d’autorisation FLEGT relatif aux importations de bois dans la Communauté européenne (JO 2008, L 277, p. 23).


8      Au moment de la rédaction des présentes conclusions, le seul accord de partenariat volontaire à être entré en vigueur est celui conclu avec la République d’Indonésie ; voir accord de partenariat volontaire entre l’Union européenne et la République d’Indonésie sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux de produits du bois vers l’Union européenne (JO 2014, L 150, p. 252). Bien que déjà conclus, plusieurs accords avec d’autres pays tiers ne sont pas encore entrés en vigueur ; voir, à titre d’exemples, accord de partenariat volontaire entre l’Union européenne et la République du Cameroun sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux des bois et produits dérivés vers l’Union européenne (FLEGT) (JO 2011, L 92, p. 4), ainsi que accord de partenariat volontaire entre l’Union européenne et la République du Congo sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux des bois et produits dérivés vers l’Union européenne (FLEGT) (JO 2011, L 92, p. 127). Toutefois, l’accord de partenariat volontaire entre la Communauté européenne et la République du Ghana concernant l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux de bois et produits dérivés vers la Communauté (JO 2010, L 70, p. 3), même s’il n’est, lui non plus, pas encore entré en vigueur, semble avoir atteint un stade avancé des négociations en ce qui concerne sa mise en œuvre ; voir VPA Africa-Latin America, « Ghana and the EU advance toward FLEGT licensing in their joint effort to combat trade in illegal timber » [Ghana et Union européenne : nouvelle avancée en vue de l’octroi d’une autorisation FLEGT, témoin de leurs efforts communs dans la lutte contre le commerce de bois d’origine illégale], disponible à l’adresse Internet suivante : https://flegtvpafacility.org/ghana-eu-advance-toward-flegt-licensing-joint-effort-combat-trade-illegal-timber/.


9      Voir article 1er, paragraphes 1 et 2, article 2, point 10, et article 4, paragraphe 1, du règlement no 2173/2005, ainsi que considérants 3, 6 et 7 de celui-ci.


10      À compter du 30 décembre 2024, le règlement no 995/2010 sera abrogé et progressivement remplacé par le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mai 2023, relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) no 995/2010 (JO 2023, L 150, p. 206). Le règlement 2023/1115 a été adopté après qu’un bilan de qualité effectué en 2021 a révélé, entre autres, que le règlement no 995/2010 n’avait pas atteint ses objectifs consistant à empêcher le bois issu d’une récolte illégale d’être mis sur le marché intérieur [voir Commission Staff Working Document – Fitness check on Regulation (EU) No 995/2010 of the European Parliament and of the Council of 20 October 2010 laying down the obligations of operators who place timber and timber products on the market (the EU Timber Regulation) and on Regulation (EC) No 2173/2005 of 20 December 2005 on the establishment of a FLEGT licensing scheme for imports of timber into the European Community (FLEGT Regulation) [Document de travail des services de la Commission – Bilan de qualité du règlement (UE) no 995/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché (règlement de l’Union sur le bois) et du règlement (CE) no 2173/2005 du 20 décembre 2005 concernant la mise en place d’un régime d’autorisation FLEGT relatif aux importations de bois dans la Communauté européenne (règlement FLEGT)] (SWD(2021) 328 final)]. Le règlement 2023/1115 établit des règles générales interdisant la mise sur le marché, en ce compris l’exportation à partir de l’Union, de produits qui contiennent certains produits de base, ou ont été nourris avec de tels produits ou fabriqués à partir de tels produits, tels que la viande bovine, le cuir, le beurre de cacao, le chocolat, certains produits dérivés à base d’huile de palme, des éléments de mobilier, le papier imprimé ou encore le bois contreplaqué, sauf s’il est prouvé que ces produits sont « zéro déforestation » et satisfont à d’autres conditions de fond et de forme (voir article 1er, paragraphe 1, article 2, point 1, et article 3 de ce règlement). Une initiative similaire connaît également des avancées aux États‑Unis (voir proposition de loi, introduite le 1er décembre 2023, intitulée « Fostering Overseas Rule of law and Environmentally Sound Trade Act of 2023 » [loi de 2023 relative à la promotion de l’État de droit outre-mer et d’un commerce respectueux de l’environnement], disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.congress.gov/bill/118th-congress/senate-bill/3371/text), et une autre a abouti au Royaume-Uni (voir annexe 17 de l’Environment Act 2021 [loi de 2021 sur l’environnement], jointe à cette loi le 12 décembre 2023, disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2021/30/schedule/17/enacted).


11      Le champ d’application matériel du règlement no 995/2010 est définie à l’article 2, sous a), de ce règlement ainsi qu’à l’annexe audit règlement. Il n’est pas contesté, aux fins de la présente affaire, que les produits en cause relèvent du champ d’application de cette annexe.


12      En effet, la compétence permettant de réglementer ce qui équivaut à une « exploitation illégale des forêts » est laissée aux États membres et aux États tiers (y compris les pays partenaires) d’où proviennent le bois et les produits dérivés relevant du champ d’application du règlement no 995/2010. Voir article 2, sous f) et g), de ce règlement.


13      Par souci d’exhaustivité, je souhaite souligner que des obligations incombent également aux « commerçants », que l’article 2, sous d), du règlement no 995/2010 définit comme « toute personne physique ou morale qui, dans le cadre d’une activité commerciale, vend ou achète sur le marché intérieur du bois ou des produits dérivés déjà mis sur le marché intérieur ». En vertu de l’article 5 de ce règlement, les commerçants sont tenus de reconstituer le parcours du bois et des produits dérivés en cause, en ce sens qu’ils doivent être en mesure d’identifier les personnes qui leur ont fourni le bois ou les produits dérivés concernés ainsi que les personnes auxquelles ils ont fourni de tels produits.


14      Voir article 4, paragraphe 1, du règlement no 995/2010, lu en combinaison avec le considérant 12 de celui-ci. Voir, de manière générale, s’agissant de cette interdiction, Geraets, D., et Natens, B., « Governing through trade in compliance with WTO law : a case study of the European Union Timber Regulation », dans Wouters, J., Marx, A., Geraets, D., et Natens, B. (éd.), Global Governance through Trade, Edward Elgar, Cheltenham, 2015.


15      Voir article 4, paragraphe 2, du règlement no 995/2010, lu en combinaison avec le considérant 16 de celui-ci.


16      Voir article 8 du règlement no 995/2010. À ma connaissance, la Commission a reconnu au total que douze organisations remplissaient les conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 995/2010 pour avoir le statut d’« organisations de contrôle ». Voir publication conformément à l’article 9 du règlement (UE) no 995/2010 du Parlement européen et du Conseil établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché (JO 2015, C 384, p. 4).


17      Voir article 6, paragraphe 1, sous a), et considérant 17 du règlement no 995/2010.


18      Voir article 6, paragraphe 1, sous b), ainsi que considérants 16 et 17 du règlement no 995/2010.


19      Voir article 6, paragraphe 1, sous c), ainsi que considérants 16 et 17 du règlement no 995/2010.


20      Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 995/2010, « [l]es opérateurs font diligence lorsqu’ils mettent sur le marché du bois ou des produits dérivés. À cette fin, ils utilisent un cadre de procédures et de mesures, ci-après dénommé “système de diligence raisonnée”, établi à l’article 6 ». L’article 6 de ce règlement prévoit pour sa part (extraits pertinents) : « [l]e système de diligence raisonnée visé à l’article 4, paragraphe 2, contient les éléments suivants : [...] b) les procédures d’évaluation du risque qui permettent à l’opérateur d’analyser et d’évaluer le risque que du bois issu d’une récolte illégale ou des produits dérivés provenant de ce bois soient mis sur le marché. De telles procédures tiennent compte des informations mentionnées au point a), ainsi que des critères pertinents en matière d’évaluation du risque, notamment : – l’assurance du respect de la législation applicable, qui peut comprendre la certification ou d’autres systèmes de vérification tierce partie qui couvrent le respect de la législation applicable, – la prévalence de la récolte illégale de certaines essences forestières, – la prévalence de la récolte illégale ou des pratiques illégales dans le pays de récolte et/ou dans la région infranationale où le bois est récolté, en particulier la prise en compte de la prévalence de conflits armés [...] ».


21      Je souhaite mettre en exergue le caractère « raisonné » de cette traçabilité puisque, comme l’énonce le considérant 15 du règlement no 995/2010, la traçabilité envisagée du bois et des produits dérivés vise, en parallèle, à éviter de faire peser sur les acteurs du marché des charges administratives inutiles.


22      La notion de « commerçant » est définie à l’article 2, sous d), du règlement no 995/2010 comme désignant « toute personne physique ou morale qui, dans le cadre d’une activité commerciale, vend ou achète sur le marché intérieur du bois ou des produits dérivés déjà mis sur le marché intérieur ».


23      Voir article 5 du règlement no 995/2010.


24      L’obligation de diligence raisonnée ne s’applique pas aux « commerçants », que l’article 2, sous d), du règlement no 995/2010 définit comme « toute personne physique ou morale qui, dans le cadre d’une activité commerciale, vend ou achète sur le marché intérieur du bois ou des produits dérivés déjà mis sur le marché intérieur ».


25      Bien évidemment, il se peut que le bois ou les produits dérivés importés circulent depuis un certain temps déjà en dehors du marché intérieur, en ayant éventuellement connu plusieurs phases de transformation, de telle sorte que la date d’importation peut être très éloignée de la date à laquelle les arbres concernés ont été initialement abattus. Néanmoins, tant que le bois ou les produits dérivés ne sont pas importés dans l’Union, le législateur de l’Union n’est pas compétent pour influer sur le commerce desdits bois et produits dérivés par l’intermédiaire d’une réglementation interne.


26      Lors de l’audience, il y a eu une discussion sur le point de savoir qui serait l’« opérateur » dans le cas hypothétique où une personne abattrait un arbre sans autorisation afin de vendre le bois ou les produits dérivés résultant de cet abattage sur le marché intérieur. Dans ce cas, serait-ce le gestionnaire forestier, ou bien le « voleur de bois », qui agirait en tant qu’« opérateur » au sens de l’article 2, sous c), du règlement no 995/2010 ? Il est fort probable que ce ne soit pas un cas que le législateur a envisagé lorsqu’il a adopté ce règlement. Néanmoins, étant donné qu’une telle situation pourrait, tout naturellement, survenir en pratique, ma position serait, dans le droit fil de celle du gouvernement slovaque, que c’est le gestionnaire forestier, et non le « voleur de bois », qui aurait, là encore, le statut d’« opérateur » aux fins dudit règlement. En effet, seul le gestionnaire forestier est en mesure de garantir la légalité d’une opération de récolte et, ainsi, de satisfaire à l’obligation de diligence raisonnée prescrite à l’article 4, paragraphe 2, du même règlement. Le « voleur de bois » ne pourrait jamais, quant à lui, satisfaire à cette obligation, de telle sorte qu’il serait incapable d’actionner la chaîne de commercialisation sur le marché intérieur, chaîne que le règlement no 995/2010 vise à réglementer. Il serait satisfait à l’obligation de diligence raisonnée dans un tel cas si le gestionnaire forestier incluait notamment, dans le cadre de son système de diligence raisonnée, une description des arbres qui ont été abattus illégalement, ainsi qu’une évaluation selon laquelle le bois volé résultant de cet abattage risque d’être mis sur le marché en parfaite illégalité.


27      Tel semble également être le cas de figure que la Commission avait à l’esprit lorsqu’elle a écrit le scénario 10 bis figurant dans sa communication du 12 février 2016, « Document d’orientation concernant le règlement “Bois” de l’Union européenne » [C(2016) 755 final, p. 18 et 19]. Ce document d’orientation énonce (extraits pertinents) : « [[l]es scénarios 10 et 10 bis soulignent le fait que les arbres sur pied ne relèvent pas du champ d’application du règlement. En fonction des modalités contractuelles détaillées, l’“opérateur” peut être soit le propriétaire forestier, soit l’entreprise autorisée à récolter le bois à des fins de distribution ou d’utilisation dans le cadre de son activité]. [...] Le propriétaire forestier Z vend à l’entreprise A les droits de récolte, sur ses terres, des arbres sur pied à des fins de distribution ou d’utilisation par l’entreprise A dans le cadre de son activité. L’entreprise A devient un opérateur lorsqu’elle récolte le bois à des fins de distribution ou d’utilisation dans le cadre de son activité ».