ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
19 mai 1999 (1)
«Fonctionnaires Procédure disciplinaire Révocation Articles 11, 12 et 17
du statut Liberté d'expression Devoir de loyauté et de dignité de la
fonction»
Dans les affaires jointes T-34/96 et T-163/96,
Bernard Connolly, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés
européennes, demeurant à Everberg (Belgique), représenté par Mes Jacques
Sambon et Pierre-Paul Van Gehuchten, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu
domicile à Luxembourg en l'étude de Me Louis Schiltz, 2, rue du Fort Rheinsheim,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gianluigi
Valsesia, conseiller juridique principal, et Julian Currall, membre du service
juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de
M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner,
Kirchberg,
ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de l'avis du conseil de
discipline du 7 décembre 1995 et de la décision de la Commission du
16 janvier 1996, portant révocation du requérant, et, d'autre part, une demande de
dommages-intérêts,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),
composé de MM. B. Vesterdorf, président, J. Pirrung et M. Vilaras, juges,
greffier: M. H. Jung,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 10 février 1999,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du litige
- 1.
- A la date des faits, le requérant, M. Connolly, était fonctionnaire, de grade A 4,
échelon 4, de la Commission et chef de l'unité 3 «SME, politiques monétaires
nationales et communautaire» au sein de la direction D «affaires monétaires» de
la direction générale des affaires économiques et financières (DG II)(ci-après
«unité II.D.3»).
- 2.
- A partir de 1991, M. Connolly a présenté, à trois reprises, des projets d'articles
relatifs, respectivement, à l'application de théories monétaires, à l'évolution du
système monétaire européen et aux implications monétaires du livre blanc sur
l'avenir de l'Europe, pour lesquels il s'est vu refuser l'autorisation préalable de
publication, prévue par l'article 17, second alinéa, du statut des fonctionnaires des
Communautés européennes (ci-après «statut»).
- 3.
- Le 24 avril 1995, M. Connolly a présenté, en application de l'article 40 du statut,
une demande de congé de convenance personnelle, pour une période de trois mois
à compter du 3 juillet 1995, en déclarant que les raisons d'une telle demande
étaient: a) d'assister son fils, pendant les vacances scolaires, dans sa préparation à
l'entrée dans une université du Royaume-Uni, b) de permettre à son père de
passer quelque temps avec sa famille, c) de consacrer du temps à la réflexion sur
des sujets de théorie économique et de politique et de «rétablir sa relation avec la
littérature». La Commission lui a accordé ce congé par décision du 2 juin 1995.
- 4.
- Par lettre du 18 août 1995, M. Connolly a demandé à être réintégré dans les
services de la Commission à la fin de son congé de convenance personnelle. La
Commission l'a réintégré dans son emploi, à partir du 4 octobre 1995, par décision
du 27 septembre 1995.
- 5.
- Pendant son congé de convenance personnelle, M. Connolly a publié un livre
intitulé: The rotten heart of Europe. The dirty war for Europe's money, sans demander
d'autorisation préalable.
- 6.
- Au début du mois de septembre, notamment du 4 au 10 septembre 1995, une série
d'articles concernant ce livre a été publiée dans la presse européenne et surtout
britannique.
- 7.
- Par lettre du 6 septembre 1995, le directeur général du personnel et de
l'administration, en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après
«AIPN»), a informé le requérant de sa décision d'ouvrir une procédure
disciplinaire contre lui pour violation des articles 11, 12 et 17 du statut, et l'a
convoqué à une audition préalable, en application de l'article 87 du statut.
- 8.
- Le 12 septembre 1995 a eu lieu une première audition du requérant au cours de
laquelle celui-ci a déposé une déclaration écrite indiquant qu'il ne répondrait à
aucune question sans connaître préalablement les manquements spécifiques qui lui
étaient reprochés.
- 9.
- Par lettre du 13 septembre, l'AIPN a indiqué au requérant que les manquements
allégués faisaient suite à la publication de son livre, à sa parution par extraits dans
le quotidien The Times, ainsi qu'aux propos tenus par lui à cette occasion dans un
entretien paru dans le même journal, en l'absence d'autorisation préalable, et l'a
de nouveau convoqué pour qu'il soit entendu sur ces faits à la lumière de ses
obligations découlant des articles 11, 12 et 17 du statut.
- 10.
- Le 26 septembre 1995, lors de sa seconde audition, le requérant a refusé de
répondre aux questions qui lui étaient posées et a présenté une déclaration écrite
dans laquelle il faisait valoir qu'il estimait possible de publier un ouvrage sans
autorisation préalable dès lors qu'il était en congé de convenance personnelle. Le
requérant ajoutait que la parution des extraits de son ouvrage dans la presse
relevait de la responsabilité de son éditeur et que certains des propos relatés dans
l'entretien visé lui étaient attribués à tort. Enfin, M. Connolly mettait en cause le
caractère objectif de la procédure disciplinaire engagée contre lui, au regard,
notamment, de déclarations à la presse le concernant par le président et le porte-parole de la Commission, ainsi que le respect de la confidentialité de ladite
procédure.
- 11.
- Par décision du 27 septembre 1995, prise en vertu de l'article 88 du statut, l'AIPN
a suspendu le requérant de ses fonctions à compter du 3 octobre 1995, avec
retenue de la moitié de son traitement de base pendant la période de suspension.
- 12.
- Le 4 octobre 1995, l'AIPN a décidé de saisir le conseil de discipline, en application
de l'article 1er de l'annexe IX du statut (ci-après «annexe IX»).
- 13.
- Par lettre du 18 octobre 1995, enregistrée au secrétariat général de la Commission
le 27 octobre suivant, le requérant a saisi l'AIPN d'une réclamation, au titre de
l'article 90, paragraphe 2, du statut, contre les décisions d'engager une procédure
disciplinaire et de saisir le conseil de discipline, ainsi que contre la décision du 27
septembre 1995 de le suspendre de ses fonctions.
- 14.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 octobre 1995, le requérant a
introduit un recours, en vertu de l'article 91, paragraphe 4, du statut, ayant pour
objet l'annulation des trois décisions de l'AIPN susvisées, ainsi que la condamnation
de la Commission au paiement de dommages-intérêts (affaire T-203/95). Par acte
séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une
demande de mesures provisoires.
- 15.
- Par ordonnance du président du Tribunal du 12 décembre 1995,
Connolly/Commission (T-203/95 R, RecFP p. II-847), la Commission a été invitée
à prendre toutes les mesures nécessaires pour qu'aucune information relative à la
carrière de M. Connolly, à sa personnalité, à ses opinions ou à sa santé, et qui soit
de nature à porter atteinte, directement ou indirectement, à sa réputation
personnelle et professionnelle, ne soit divulguée par son personnel dans le cadre
de contacts avec la presse ou de toute autre manière. La demande de mesures
provisoires a été rejetée pour le surplus.
- 16.
- Le 7 décembre 1995, le conseil de discipline a émis son avis, notifié au requérant
le 15 décembre suivant, dans lequel il recommandait d'infliger à celui-ci la sanction
de la révocation, sans perte des droits à la pension d'ancienneté (ci-après «avis du
conseil de discipline» ou «avis»).
- 17.
- Le 9 janvier 1996, le requérant a été entendu par l'AIPN, en application de l'article
7, troisième alinéa, de l'annexe IX.
- 18.
- Par décision en date du 16 janvier 1996, l'AIPN a infligé au requérant la sanction
visée à l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut, à savoir la révocation sans
suppression ni réduction des droits à la pension d'ancienneté (ci-après «décision
de révocation»).
- 19.
- La décision de révocation est motivée dans les termes suivants:
«considérant que M. Connolly a été nommé, le 16 mai 1990, chef de l'unité
[II.D.3];
considérant que, de par ses fonctions, M. Connolly était appelé, entre autres, à
préparer et à participer aux travaux du comité monétaire, du sous-comité de
politique monétaire et du comité des gouvernements, à suivre les politiques
monétaires dans les États membres et à analyser les implications monétaires de la
mise en oeuvre de l'Union économique et monétaire;
considérant que M. Connolly a écrit un ouvrage qui a été publié au début de
septembre 1995 sous le titre The Rotten Heart of Europe;
considérant que cet ouvrage porte sur l'évolution du processus d'intégration
européenne au cours des dernières années dans le domaine économique et
monétaire et qu'il a été élaboré par M. Connolly sur la base de son expérience
professionnelle dans l'exercice de ses fonctions au sein de la Commission;
considérant que M. Connolly n'a pas demandé l'autorisation à l'AIPN de faire
publier le livre en question conformément aux dispositions de l'article 17 du statut
auxquelles tout fonctionnaire reste soumis;
considérant que M. Connolly ne pouvait ignorer que cette autorisation lui serait
refusée pour les mêmes raisons que celles qui avaient dicté le refus d'autorisations
antérieures de publier des articles où il avait déjà exposé ses lignes de pensée qui
constituent le contenu essentiel du présent ouvrage;
considérant que M. Connolly mentionne dans la préface de son livre The Rotten
Heart of Europe que celui-ci avait son origine dans le fait qu'il avait demandé une
autorisation de publication d'un chapitre sur le SME pour un autre livre; que
l'autorisation lui a été refusée et qu'il a estimé qu'il était important de retravailler
ce chapitre et d'en faire un livre entier;
considérant que M. Connolly a approuvé et collaboré activement à la promotion
de son livre notamment en accordant une interview au journal The Times le 4
septembre 1995, date à laquelle le Times a également publié des extraits de son
livre, et en écrivant un article pour le Times publié le 6 septembre 1995;
considérant que M. Connolly ne pouvait pas ignorer que la publication de son
ouvrage reflétait une opinion personnelle, discordante de la ligne de conduite
adoptée par la Commission en tant qu'institution de l'Union européenne,
responsable de la poursuite d'un objectif majeur et d'un choix politique
fondamental inscrit dans le traité de l'Union qui est l'Union économique et
monétaire;
considérant que, de par sa conduite, M. Connolly a gravement lésé les intérêts des
Communautés et porté préjudice à l'image et à la réputation de l'institution;
considérant que M. Connolly reconnaît avoir perçu les droits d'auteur qui lui ont
été payés par ses éditeurs en contrepartie de la publication de son oeuvre;
considérant que l'ensemble du comportement de M. Connolly a porté atteinte à la
dignité de sa fonction en tant que fonctionnaire devant régler sa conduite en ayantuniquement en vue les intérêts de la Commission;
considérant que, ayant été souvent confronté à des refus d'autorisation de
publication, la nature et la gravité de tels manquements ne sauraient échapper à
un fonctionnaire normalement diligent, de son grade et de ses responsabilités;
considérant que, à aucun moment, au mépris des devoirs de loyauté et d'honnêteté
à l'égard de l'institution, M. Connolly n'a averti ses supérieurs hiérarchiques de son
intention de faire publier l'ouvrage en question alors qu'il demeurait soumis, en
tant que fonctionnaire en congé de convenance personnelle, à ses obligations de
réserve;
considérant que le comportement de M. Connolly, de par sa gravité, a rompu de
façon irréparable la confiance que la Commission est en droit d'exiger de ses
fonctionnaires et, en conséquence, rend impossible le maintien d'une quelconque
relation de travail avec l'institution;
[...]»
- 20.
- Par lettre du 7 mars 1996, enregistrée au secrétariat général de la Commission le
14 mars suivant, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90,
paragraphe 2, du statut, contre l'avis du conseil de discipline et contre la décision
de révocation.
Procédure
- 21.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mars 1996, le requérant a
introduit un recours visant à l'annulation de l'avis du conseil de discipline (affaire
T-34/96).
- 22.
- Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 avril 1996, la Commission a, dans
l'affaire T-34/96, soulevé une exception d'irrecevabilité, au titre de l'article 114,
paragraphe 1, du règlement de procédure. Par ordonnance du Tribunal (deuxième
chambre) du 9 juillet 1996, l'exception a été jointe au fond.
- 23.
- Le 18 juillet 1996, le requérant s'est vu notifier la décision explicite de rejet de la
réclamation qu'il avait introduite contre l'avis du conseil de discipline et la décision
de révocation.
- 24.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 octobre 1996, le requérant a
introduit un recours visant à obtenir l'annulation de l'avis du conseil de discipline
et de la décision de révocation ainsi que l'octroi de dommages-intérêts (affaire
T-163/96).
- 25.
- Par requête déposée au greffe le 23 décembre 1996, le requérant a saisi le Tribunal
d'une demande de réparation des préjudices qu'il aurait subis à la suite de la
publication dans la presse d'informations et de déclarations le concernant (affaire
T-214/96).
- 26.
- Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 10 juin 1998,
les affaires T-203/95, T-34/96, T-163/96 et T-214/96 ont été jointes aux fins de la
procédure orale.
- 27.
- Par décision du Tribunal du 21 septembre 1998, le juge rapporteur a été affecté à
la première chambre, à laquelle les affaires T-203/95, T-34/96, T-163/96 et T-214/96
ont, par conséquent, été attribuées.
- 28.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir
la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Toutefois,
la défenderesse a été invitée à produire, au titre des mesures d'organisation de la
procédure, un exemplaire, dans sa version originale, de l'ouvrage ayant donné lieu
à la sanction faisant l'objet du recours dans l'affaire T-163/96.
- 29.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions posées par le Tribunal lors de l'audience publique du 10 février 1999.
- 30.
- Lors de l'audience, il a été pris acte de ce que les demandes et les moyens
invoqués dans le recours T-34/96 étaient intégralement repris dans le recours
T-163/96 et que, en conséquence, le requérant se désistait de son recours dans
l'affaire T-34/96.
Conclusions des parties
- 31.
- Dans l'affaire T-163/96, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
annuler l'avis du conseil de discipline;
annuler la décision de révocation;
annuler la décision de rejet de sa réclamation qui lui a été notifiée
le 18 juillet 1996;
condamner la Commission au paiement de 7 500 000 BFR en
réparation de son préjudice matériel, et de 1 500 000 BFR en
réparation de son préjudice moral;
condamner la Commission aux dépens.
- 32.
- La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter le recours comme non fondé;
statuer comme de droit sur les dépens.
Sur les conclusions en annulation
- 33.
- Le requérant invoque sept moyens à l'appui de ses conclusions en annulation. Le
premier est tiré d'irrégularités dans le déroulement de la procédure disciplinaire.
Le deuxième est tiré d'un défaut de motivation et de la violation, par le conseil de
discipline, de l'article 7 de l'annexe IX, des droits de la défense, ainsi que du
principe de bonne administration. Les troisième, quatrième et cinquième moyens
sont tirés, respectivement, de la violation des articles 11, 12 et 17 du statut. Le
sixième moyen est pris d'une erreur manifeste d'appréciation et de la violation du
principe de proportionnalité. Enfin, le septième moyen est tiré d'un détournement
de pouvoir.
Sur le premier moyen, tiré d'irrégularités dans le déroulement de la procédure
disciplinaire
- 34.
- Ce moyen s'articule en quatre branches. La première est tirée de la prise en
compte dans l'avis du conseil de discipline et la décision de révocation d'éléments
qui n'ont pas été soumis à la procédure disciplinaire. La deuxième est tirée du
caractère irrégulier de l'audition du directeur général de la DG II par le conseil de
discipline. La troisième est tirée du défaut d'établissement d'un rapport devant le
conseil de discipline. La quatrième est tirée de la participation irrégulière du
président du conseil de discipline à la procédure.
Sur la prise en compte d'éléments non soumis à la procédure disciplinaire
Arguments des parties
- 35.
- Le requérant soutient que deux des éléments sur lesquels le conseil de discipline
et l'AIPN se sont fondés, dans l'avis et la décision de révocation, n'ont été
mentionnés ni lors des auditions préalables ni dans le rapport de saisine du conseil
de discipline, de sorte qu'il n'a pas été en mesure de se justifier sur ces points lors
de la procédure disciplinaire. Il en résulterait une violation de l'article 87, second
alinéa, du statut et de l'article 1er de l'annexe IX, ainsi qu'une violation du principe
du contradictoire.
- 36.
- En premier lieu, le requérant fait valoir que la considération de l'avis du conseil de
discipline et de la décision de révocation, selon laquelle son ouvrage reflèterait une
opinion discordante de la politique de la Commission en vue de la réalisation de
l'Union économique et monétaire, constitue un grief qui n'aurait jamais été
mentionné lors des auditions préalables, ni dans le cadre des correspondances
échangées avec l'AIPN. Le rapport de saisine du conseil de discipline se limiterait,
à cet égard, à faire état de violations formelles des articles 11, 12 et 17 du statut,
du fait de la publication de son livre sans autorisation préalable, sans pour autant
évoquer le contenu de son ouvrage. Le caractère critique de l'ouvrage aurait,
certes, été mentionné dans la décision de suspension du 27 septembre 1995 et dans
les déclarations faites à la presse par des membres de la Commission. Néanmoins,
dans la mesure où cet élément n'a pas été repris au cours de la procédure
disciplinaire elle-même et notamment dans le rapport de saisine du conseil de
discipline, le requérant aurait considéré que l'AIPN avait choisi de n'incriminer que
les violations formelles des articles 11, 12 et 17 du statut. Par la suite, le requérant
n'aurait pas été interrogé par le conseil de discipline sur la prétendue non-conformité de son ouvrage à la politique de la Commission.
- 37.
- Dans sa réplique, le requérant admet que l'objet du livre était, certes, évoqué dans
le rapport de saisine du conseil de discipline, mais uniquement en vue d'établir que
l'ouvrage concernait la Communauté européenne et relevait donc de l'article 17,
second alinéa, du statut. Quant aux pièces jointes en annexes à ce rapport, parmi
lesquelles les extraits du livre parus dans la presse et les entretiens accordés par lui
à un journal britannique, elles seraient sans incidence sur l'étendue de la saisine du
conseil de discipline.
- 38.
- En second lieu, le requérant reproche au conseil de discipline d'avoir visé, dans son
avis, le fait qu'il avait écrit un article, publié le 6 septembre 1995 dans le quotidien
The Times, et participé à un programme de télévision le 26 septembre suivant, alors
que ces faits n'étaient pas non plus évoqués dans le rapport de saisine du conseil
de discipline. De même, la décision de révocation se réfèrerait à tort à l'article du
6 septembre 1995.
- 39.
- La Commission rétorque, en premier lieu, que le rapport de saisine du conseil de
discipline se réfère expressément, comme la décision de suspension du 27
septembre 1995, au contenu du livre, et non au seul fait de sa publication, ainsi
qu'au préjudice porté aux intérêts des Communautés. Les étapes suivantes de la
procédure disciplinaire démontreraient, de la même manière, que le requérant
avait connaissance du reproche qui lui était fait à l'égard du contenu de son
ouvrage. En effet, le requérant aurait lui-même justifié sa conduite devant le
conseil de discipline en faisant l'apologie de son livre et de ses analyses. S'agissant,
en second lieu, des interventions du requérant dans la presse et dans un
programme télévisé, la Commission rétorque qu'elles sont mentionnées dans le
rapport de saisine du conseil de discipline.
Appréciation du Tribunal
- 40.
- Il y a lieu de rappeler que l'article 87, second alinéa, du statut exige qu'un
fonctionnaire soit entendu par l'AIPN avant que celle-ci n'engage la procédure
prévue à l'annexe IX. L'audition prévue à ce stade de la procédure disciplinaire,
à la demande de l'AIPN, doit permettre au fonctionnaire de s'expliquer sur les
griefs qui lui sont adressés et à l'AIPN d'apprécier la gravité de ces griefs à la
lumière des explications fournies par l'intéressé. Lorsque, à la suite de cette
audition, des faits pouvant donner lieu à des sanctions plus graves que
l'avertissement ou le blâme sont retenus à la charge du fonctionnaire, le conseil de
discipline est saisi et l'intéressé doit alors bénéficier de toutes les garanties prévues
à l'annexe IX (arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, R./Commission, 255/83 et 256/83,
Rec. p. 2473, points 20 et 21). A cet égard, l'article 1er de l'annexe IX dispose que
le rapport de l'AIPN portant saisine du conseil de discipline doit indiquer
clairement les faits reprochés et, s'il y a lieu, les circonstances dans lesquelles ils ont
été commis.
- 41.
- Il convient dès lors de vérifier si, dans le cas d'espèce, l'AIPN n'a pas méconnu les
droits de la défense, tels qu'ils sont garantis par l'article 87, second alinéa, du statut
et l'article 1er de son annexe IX.
- 42.
- S'agissant de la violation alléguée de l'article 87, second alinéa, du statut, il
convient de relever que, après avoir convoqué le requérant à une première audition
préalable, au cours de laquelle celui-ci a déposé une déclaration écrite faisant état
de l'absence d'accusations précises, l'AIPN l'a de nouveau invité, par lettre du 13
septembre 1995, à être préalablement entendu sur d'éventuels manquements aux
articles 11, 12 et 17 du statut. L'AIPN lui précisait que les manquements qui luiétaient reprochés concernaient la publication de l'ouvrage dont il était l'auteur, sa
parution par extraits dans le quotidien The Times, depuis le 4 septembre 1995, ainsi
que les propos qu'il avait tenus à cette occasion dans un entretien paru dans le
même journal, en l'absence d'autorisation préalable. L'AIPN l'invitait, en
conséquence, à s'expliquer sur toutes les circonstances de cette affaire à la lumière
des obligations résultant des dispositions susvisées.
- 43.
- Or, il ressort du dossier que, lors de cette seconde audition préalable du 26
septembre 1995, qui, au surplus, avait été reportée à deux reprises à sa demande,
le requérant a de nouveau refusé de répondre à toute question et s'est limité à
déposer une nouvelle déclaration écrite, dans laquelle, en tout état de cause, il
s'expliquait sur les faits qui lui étaient reprochés. Il résulte de ces éléments que le
requérant a été préalablement entendu, conformément à l'article 87, second alinéa,
du statut, et, en raison de son attitude, celui-ci ne saurait valablement se prévaloir
de ce que, lors de ces auditions, l'AIPN ne lui aurait pas expressément fait part de
son appréciation quant au contenu de l'ouvrage publié.
- 44.
- Il convient également de rejeter l'argument du requérant selon lequel le rapport
de l'AIPN portant saisine du conseil de discipline ne viserait pas le contenu du livre
parmi les faits reprochés, mais se limiterait à faire état de violations formelles des
articles 11, 12 et 17 du statut. A cet égard, il y a lieu de constater que ledit rapport
faisait apparaître, sans ambiguïté, que le contenu de l'ouvrage en cause, et
notamment son caractère polémique, constituait l'un des faits reprochés au
requérant. En particulier, aux points 23 et suivants du rapport, l'AIPN invoquait un
manquement à l'article 12 du statut, aux motifs que «la publication du livre en elle-même porte atteinte à la dignité de la fonction de M. Connolly, puisqu'il a été chef
de l'unité [II.D.3] chargée, au sein de la Commission, des questions évoquées dans
son livre», et que «en outre, dans son livre, M. Connolly se livre à certaines
attaques désobligeantes et non étayées envers des commissaires et d'autres
membres du personnel de la Commission de manière à porter atteinte à la dignité
de sa fonction et à discréditer la Commission, en violation des obligations qui lui
incombent en vertu de l'article 12». Le rapport citait ensuite expressément certains
des propos tenus par le requérant dans son ouvrage, et comportait, en annexe, de
nombreux extraits du livre en cause.
- 45.
- Il s'ensuit que, conformément à l'article 1er de l'annexe IX, le rapport de l'AIPN
exposait de manière suffisamment claire les faits reprochés au requérant pour qu'il
soit en mesure d'exercer ses droits de la défense.
- 46.
- Cette interprétation est en outre confirmée par le fait que, ainsi qu'il ressort du
procès-verbal de l'audition du requérant devant le conseil de discipline, celui-ci
s'est, à cette occasion, expliqué à plusieurs reprises sur l'objet et le contenu de son
ouvrage.
- 47.
- Par ailleurs, il y a lieu de relever que le requérant, lors de sa dernière audition par
l'AIPN, le 9 janvier 1996, n'a pas prétendu que l'avis du conseil de discipline était
fondé sur des griefs devant être considérés comme des faits nouveaux, ni demandé
la réouverture de la procédure disciplinaire comme l'article 11 de l'annexe IX lui
en reconnaissait le droit (voir, en ce sens, l'arrêt du Tribunal du 26 janvier 1995,
D/Commission, T-549/93, RecFP p. II-43, point 55).
- 48.
- Quant à l'argument selon lequel le fait qu'il ait publié un article en vue de la
promotion de son livre, le 6 septembre 1995, et qu'il ait participé à une émission
télévisée le 26 septembre 1995 ne lui aurait pas non plus été reproché dans le
rapport de saisine du conseil de discipline, il suffit de constater que, contrairement
à ce qu'il allègue, l'AIPN y avait fait expressément référence au point 19 dudit
rapport.
- 49.
- Au vu de l'ensemble de ces éléments, la première branche du moyen doit, par
conséquent, être rejetée.
Sur le caractère irrégulier de l'audition du directeur général de la DG II par le
conseil de discipline
Arguments des parties
- 50.
- Le requérant soutient que l'audition du directeur général de la DG II par le conseil
de discipline est irrégulière à plusieurs égards.
- 51.
- En premier lieu, ce témoin à charge a été cité par le conseil de discipline et non
par la Commission, en violation des articles 4 et 5 de l'annexe IX, en vertu desquels
ce droit n'est conféré qu'au fonctionnaire poursuivi et à la Commission. Le
requérant ajoute qu'il avait protesté auprès du conseil de discipline contre cette
audition, comme l'attesterait le mémoire complémentaire qu'il avait déposé. Dans
sa réplique, le requérant conclut qu'en procédant de la sorte le conseil de discipline
a, de facto, engagé une enquête complémentaire au sens de l'article 6 de
l'annexe IX, ce qui exigeait, en tout état de cause, que cette enquête soit
contradictoire.
- 52.
- En deuxième lieu, ce témoignage violerait les dispositions de l'annexe IX, ainsi que
le principe du contradictoire. Tout d'abord, le requérant n'aurait pas été informé
suffisamment tôt par le conseil de discipline de la convocation de ce témoin. Le
préavis de deux heures, invoqué par la Commission, aurait été insuffisant pour
permettre au requérant de préparer sa défense puisqu'il a été consacré à son
audition.
- 53.
- Ensuite, le compte rendu de l'audition du directeur général de la DG II devant le
conseil de discipline lui aurait été transmis tardivement, de sorte qu'il n'aurait pas
pu exercer ses droits de la défense. L'argument selon lequel il n'aurait pas invoqué
ce grief devant l'AIPN serait sans fondement, dès lors qu'il avait formellement
protesté contre cette audition et que, en tout état de cause, l'AIPN n'était pas en
mesure de remédier à ce vice, eu égard à l'indépendance du conseil de discipline.
- 54.
- Enfin, le compte rendu de cette audition serait incomplet sur plusieurs points et en
donnerait une impression inexacte. Ainsi, la question posée au témoin, par l'un des
membres du conseil de discipline, pour savoir si le livre contenait des informations
confidentielles, ne serait pas retranscrite. Le fait que, selon le témoin, aucune
remarque négative officielle ne lui avait été adressée à propos de ce livre ne serait
pas non plus mentionné. De même, ne seraient pas consignées les protestations du
requérant contre les déclarations du témoin, selon lesquelles l'ouvrage ne contenait
aucune analyse économique, et était mal perçu par les fonctionnaires de la DG II.
- 55.
- La Commission fait valoir que le requérant et son conseil ont été informés de la
décision du conseil de discipline d'entendre le directeur général de la DG II,
environ deux heures avant l'audition de ce dernier, et que le requérant a eu la
possibilité de commenter les déclarations du témoin. Quant au compte rendu de
l'audition du témoin, le requérant n'aurait jamais signalé les erreurs alléguées
auprès de l'AIPN. A supposer même qu'elles aient existé, de telles erreurs
n'auraient pas pu influer sur l'appréciation des membres du conseil, dès lors que
ces derniers avaient eux-mêmes procédé à l'audition du témoin.
Appréciation du Tribunal
- 56.
- Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que les articles 4 et 5 de l'annexe IX
reconnaissent au fonctionnaire incriminé et à l'institution concernée le droit de citer
des témoins devant le conseil de discipline.
- 57.
- Par ailleurs, aux termes de l'article 6, premier alinéa, de l'annexe IX, le conseil de
discipline peut, s'il ne se juge pas suffisamment éclairé sur les faits reprochés à
l'intéressé, ou sur les circonstances dans lesquelles ces faits ont été commis,
ordonner une enquête contradictoire. Or, selon la jurisprudence, le conseil de
discipline dispose, en vertu de cette disposition, d'un pouvoir d'appréciation sur la
nécessité de certaines mesures d'instruction complémentaires, telles que la requête
de pièces ou la citation de témoins (arrêt R./Commission, précité, point 24). Il
résulte, en outre, des dispositions de l'annexe IX que le conseil de discipline est un
organe d'instruction qui, en cette qualité, a pour mission d'effectuer les enquêtes
destinées à constater les infractions disciplinaires et à déterminer les circonstances
essentielles pour établir le degré de sanction à infliger (arrêt de la Cour du 29
janvier 1985, F./Commission, 228/83, Rec. p. 275, point 16, ci-après «arrêt
F./Commission»).
- 58.
- En l'espèce, il ressort des procès-verbaux versés au dossier que le conseil de
discipline a estimé nécessaire de procéder à l'audition du supérieur hiérarchique
du requérant, en vue d'être éclairé sur les circonstances ayant accompagné la
publication de l'ouvrage de M. Connolly. Ce témoin n'ayant pas été préalablement
cité par les parties, il y a donc lieu de considérer que l'audition dudit témoin par
le conseil de discipline constituait une mesure d'instruction complémentaire, à
laquelle, conformément à la jurisprudence susvisée, celui-ci pouvait avoir recours
dans le cadre du pouvoir d'appréciation dont il dispose en vertu de l'article 6 de
l'annexe IX, afin de mener à bien la mission d'organe d'instruction qui lui est
assignée par le statut. Il en résulte que, ce faisant, le conseil de discipline a engagé
une enquête au sens de l'article 6 susvisé, ainsi qu'il y était habilité.
- 59.
- Il importe néanmoins d'examiner si, ainsi qu'il est allégué, l'audition de ce témoin
devant le conseil de discipline a été effectuée en violation du principe du caractère
contradictoire de la procédure disciplinaire, qui constitue la garantie du respect des
droits de la défense, et auquel l'article 6 de l'annexe IX fait expressément
référence.
- 60.
- S'agissant, tout d'abord, de l'argument tiré de l'absence d'un préavis suffisamment
long pour informer le requérant de l'audition du témoin en cause, cette
circonstance ne saurait, en soi, démontrer une violation du principe du
contradictoire.
- 61.
- A cet égard, il y a lieu de rappeler que le respect du caractère contradictoire de
la procédure, dans le cadre d'une enquête telle que celle visée à l'article 6 de
l'annexe IX, exige que le fonctionnaire incriminé ou son défenseur soit mis en
mesure d'assister aux auditions de témoins auxquelles il est procédé et de poser à
ces derniers les questions qui lui paraissent utiles à sa défense (arrêt de la Cour du
20 juin 1985, De Compte/Parlement, 141/84, Rec. p. 1951, point 17, et
D/Commission, précité, point 59).
- 62.
- Or, en l'espèce, le requérant se limite à invoquer le retard avec lequel il a été
informé de l'audition du témoin sans préciser en quoi cette circonstance l'a
effectivement empêché d'exercer ses droits de la défense au sens de la
jurisprudence susvisée. Il ressort au contraire du dossier que, malgré la brièveté du
délai alléguée, le requérant et son conseil non seulement ont été mis en mesure
d'assister à l'audition du témoin cité par le conseil de discipline, mais ont pu
également poser les questions qu'ils estimaient utiles à la défense, de même que
présenter des observations sur le témoignage recueilli. En outre, le requérant n'a
pas demandé au conseil de discipline de convoquer à nouveau ce témoin afin qu'il
réponde à des questions que son conseil, ou lui-même, n'auraient pas eu le temps
matériel de préparer pour la première audition.
- 63.
- Par conséquent, en l'espèce, il n'est pas établi que le fait pour le requérant d'avoir
été averti tardivement de l'audition du témoin en cause ait porté atteinte au
caractère contradictoire de la procédure disciplinaire et à l'exercice des droits de
la défense.
- 64.
- De même, l'argument tiré de ce que le compte rendu de l'audition du témoin a été
communiqué tardivement au requérant, à savoir une semaine après que le conseil
de discipline a émis son avis, n'est pas non plus de nature à démontrer une
violation du principe du contradictoire et doit être écarté. En effet, selon la
jurisprudence, la transmission tardive de comptes rendus d'auditions de témoins ne
porte pas atteinte au caractère contradictoire de la procédure et aux droits de la
défense lorsque, comme en l'espèce, ces comptes rendus concernent uniquement
des auditions auxquelles le requérant et ses conseils ont assisté, et lorsque le
fonctionnaire poursuivi n'a pas été privé de la possibilité de présenter des
observations utiles pour la constatation des faits lors de la procédure disciplinaire
(arrêt F./Commission, points 27 et 28).
- 65.
- S'agissant de la teneur du compte rendu, elle n'est contestée par le requérant que
sur des points qui ne remettent pas en cause le contenu des déclarations du témoin,
ni la réalité des faits poursuivis. Ainsi, concernant la question, prétendument omise,
portant sur le point de savoir si le livre contenait des informations confidentielles,
le compte rendu souligne que le témoin a déclaré n'avoir pas lu le livre, de sorte
que ses déclarations à cet égard ne pouvaient servir de fondement au grief tiré
d'une violation du devoir de discrétion, grief qui n'a, en tout état de cause, pas été
retenu par l'AIPN dans la décision de révocation (voir ci-dessous point 136). Est
également dénué de pertinence l'argument selon lequel il ne serait pas précisé que
les commentaires de tiers concernant l'ouvrage, que le témoin a déclaré avoir
entendus, auraient été exprimés à titre officieux, dès lors que le compte rendu ne
prétend pas que le témoin les aurait qualifiés d'officiels. Quant à la circonstance
que ne seraient pas consignées les protestations du requérant à l'égard de certaines
déclarations du témoin, concernant le sentiment des fonctionnaires de la DG II et
l'absence d'analyse économique dans l'ouvrage, il suffit de relever que le compte
rendu en cause porte sur le témoignage de M. Ravasio, et non sur l'opinion du
requérant, laquelle a été exposée dans le compte rendu de son audition.
- 66.
- Enfin, le requérant, comme il l'admet lui-même, n'a pas fait état des omissions
alléguées lorsqu'il s'est vu notifier le compte rendu contesté, lors de son audition
par l'AIPN le 9 janvier 1996 en application de l'article 7, troisième alinéa, de
l'annexe IX.
- 67.
- Dans ces conditions, l'argument tiré du caractère incomplet de ce compte rendu
ne saurait non plus être accueilli.
- 68.
- Il résulte de ces éléments que la deuxième branche du moyen doit être rejetée.
Sur le défaut d'établissement d'un rapport devant le conseil de discipline
Arguments des parties
- 69.
- Le requérant estime que les articles 3 et 6 de l'annexe IX, ainsi que les principes
exprimés aux points 4.6 et 4.7 d'une note du 24 novembre 1983 du président de la
Commission, ont été méconnus aux motifs qu'aucun rapport sur l'ensemble de
l'affaire n'a été effectué par l'un des membres du conseil de discipline et que les
fonctions de rapporteur n'ont pas été exercées. A l'argument selon lequel
l'établissement d'un rapport ne serait qu'une simple faculté, le requérant objecte
que, en décidant lui-même d'entendre un témoin, le conseil de discipline a, de fait,
engagé une enquête supplémentaire au sens de l'article 6 de l'annexe IX, lequel
imposerait que l'enquête soit conduite par un rapporteur.
- 70.
- La Commission soutient que l'annexe IX n'impose pas qu'un rapport soit
formellement établi et que, en tout état de cause, il faudrait démontrer, pour
justifier l'annulation de la décision de révocation, que l'établissement d'un tel
rapport aurait entraîné une autre sanction. S'agissant de l'argument tiré de
l'absence d'un rapporteur, elle renvoie à l'acte de nomination de ce dernier.
Appréciation du Tribunal
- 71.
- En vertu de l'article 3 de l'annexe IX, «lors de la première réunion du conseil de
discipline, le président charge l'un de ses membres de faire rapport sur l'ensemble
de l'affaire». L'article 6 de l'annexe susvisée dispose, par ailleurs, que l'enquête
contradictoire «est conduite par le rapporteur».
- 72.
- Il y a lieu de souligner, à titre liminaire, que ces dispositions constituent, à l'instar
d'autres dispositions de l'annexe IX, des règles de bonne administration et non des
formalités substantielles dont la méconnaissance entraînerait, à elle seule, la nullité
des actes accomplis durant la procédure disciplinaire (voir, par analogie, en ce qui
concerne les délais prévus à l'article 7 de l'annexe IX, les arrêts de la Cour du 4
février 1970, Van Eick/Commission, 13/69, Rec. p. 3, points 3 et 4, F./Commission,
point 30, et du 19 avril 1988, M./Conseil, 175/86 et 209/86, Rec. p. 1891, point 16;
voir également l'arrêt du Tribunal du 26 novembre 1991, Williams/Cour des
comptes, T-146/89, Rec. p. II-1293, point 49, ci-après «arrêt Williams/Cour des
comptes I»). En effet, l'objet de ces dispositions est de permettre au conseil de
discipline, dans le cadre de son organisation interne, de procéder à une enquête
suffisamment complète présentant pour l'intéressé toutes les garanties voulues par
le statut.
- 73.
- En l'espèce, il ressort du procès-verbal de la première séance du conseil de
discipline que, conformément à l'article 3 de l'annexe IX, le président a désigné
l'un de ses membres comme rapporteur, afin qu'il soit fait rapport sur l'ensemble
de l'affaire. Si les procès-verbaux versés au dossier font, certes, apparaître que
celui-ci n'a pas été le seul des membres du conseil de discipline à interroger le
requérant et le témoin lors des auditions, il ne saurait pour autant en être déduit
que les fonctions de rapporteur n'ont pas été exercées.
- 74.
- S'agissant, par ailleurs, du grief selon lequel il n'aurait pas été fait rapport sur
l'ensemble de l'affaire, il convient de souligner que l'article 3 de l'annexe IX se
limite à prévoir la mission du rapporteur sans prescrire de formalités particulières
pour l'exécution de celle-ci, comme la production d'un rapport écrit ou encore la
communication aux parties d'un tel rapport. Par conséquent, il n'est pas exclu qu'un
rapport puisse être présenté oralement par le rapporteur aux autres membres du
conseil de discipline. En l'espèce, il n'est pas établi par le requérant qu'un tel
rapport n'a pas été présenté. En outre, le requérant ne fournit pas le moindre
élément de nature à démontrer que le conseil de discipline n'a pas procédé à une
enquête suffisamment complète, présentant pour lui toutes les garanties voulues
par le statut (voir l'arrêt F./Commission, point 30, et l'arrêt du Tribunal du 28 juin
1996, Y/Cour de justice, T-500/93, RecFP p. II-977, point 52), et, partant, qu'il n'a
pas pu statuer en pleine connaissance de cause. Dans ces conditions,
l'argumentation du requérant doit être rejetée.
- 75.
- Quant aux extraits cités par le requérant de la note du 24 novembre 1983, adressée
aux membres de la Commission par le président de cette institution et par le
membre en charge des questions de personnel, il convient de relever qu'ils
concernent les «possibilités d'amélioration» du fonctionnement de la procédure
disciplinaire alors envisagées au sein de la Commission [point 4, sous b)] et qu'il
s'agit de simples propositions, adressées aux seuls membres de la Commission, et
non de règles de droit que le requérant serait fondé à invoquer. Il y a lieu de
constater, en outre, que les extraits cités ne comportent aucun élément permettant
de considérer que les règles de la procédure devant le conseil de discipline
auraient, en l'espèce, été méconnues.
- 76.
- En conséquence, la troisième branche du moyen doit être rejetée.
Sur la participation irrégulière du président du conseil de discipline à la procédure
Arguments des parties
- 77.
- Le requérant fait valoir, tout d'abord, que l'avis du conseil de discipline a été
adopté avec la participation active de son président et, partant, en violation de
l'article 8 de l'annexe IX. En outre, le président du conseil aurait fait preuve de
partialité à l'occasion de l'audition du requérant, puisqu'il aurait qualifié son
comportement de «malhonnête et déloyal», et aurait essayé de nier l'importance
d'éléments produits à sa décharge.
- 78.
- La Commission répond qu'il n'a pas été nécessaire, en l'espèce, d'avoir recours au
vote du président du conseil de discipline, dès lors que l'avis a été adopté à la
majorité des membres du conseil. Il ne serait d'ailleurs même pas allégué que le
président du conseil de discipline a participé au vote.
Appréciation du Tribunal
- 79.
- En vertu de l'article 4 de l'annexe II du statut, «le ou les conseils de discipline sont
composés d'un président et de quatre autres membres».
- 80.
- Aux termes de l'article 8, premier alinéa, de l'annexe IX, «le président du conseil
de discipline ne participe pas aux décisions du conseil, sauf lorsqu'il s'agit de
questions de procédure ou en cas de partage égal de voix».
- 81.
- Selon la jurisprudence, cette disposition a pour but de permettre au système
paritaire, qui inspire la constitution des conseils de discipline, de fonctionner dans
toute la mesure où les conseils sont capables, sur cette base, de former en leur sein
une majorité. Elle doit donc être interprétée en ce sens que le président du conseil
de discipline n'est appelé à participer, par son vote, qu'en cas de partage égal des
voix et, pour le surplus, dans les décisions de procédure. Le président jouit
toutefois, en vertu de sa qualité même, de tous les pouvoirs nécessaires en vue
d'assurer le fonctionnement normal du conseil de discipline. En conséquence,
lorsque le président du conseil de discipline n'a pas eu l'occasion d'intervenir, par
son vote, dans la décision sur l'avis motivé, mais s'est limité à accomplir les divers
actes relatifs à la procédure disciplinaire relevant de l'exercice normal de ses
prérogatives, il ne saurait lui être reproché d'avoir pris une part active aux
délibérations, en violation de l'article 8 susvisé (arrêts de la Cour du 30 mai 1973,
De Greef/Commission, 46/72, Rec. p. 543, points 35 à 41, et Drescig/Commission,
49/72, Rec. p. 565, points 24 à 30).
- 82.
- En l'espèce, il ressort du texte même de l'avis du conseil de discipline que le
président du conseil de discipline n'a pas eu à participer au vote sur l'avis motivé
et que ce dernier a été adopté à la majorité des quatre autres membres. Il ressort
également des procès-verbaux versés au dossier que, à l'ouverture du délibéré, le
président du conseil de discipline s'est limité à inviter les membres de celui-ci à
apprécier si les faits reprochés étaient établis et à déterminer le degré de sanction
à infliger, ce qui relève de l'exercice normal de ses prérogatives. Dès lors, le
requérant ne saurait valablement invoquer une violation de l'article 8 de
l'annexe IX, au motif que le président du conseil de discipline aurait pris une part
active aux délibérations.
- 83.
- En tout état de cause, il y a lieu de souligner que la présence du président aux
délibérations du conseil de discipline s'avère nécessaire afin, notamment, de lui
permettre, le cas échéant, de participer au vote en pleine connaissance de cause
en cas de partage des voix ou lors de l'adoption de décisions de procédure.
- 84.
- Quant à la prétendue partialité du président du conseil de discipline à l'égard du
requérant durant les auditions, elle n'est corroborée par aucun élément de preuve.
Par conséquent, dans la mesure où, en outre, il n'est ni allégué ni démontré quele conseil de discipline aurait manqué au devoir qui est le sien, en sa qualité
d'organe d'instruction, de statuer de manière indépendante et impartiale (voir, à
cet égard, arrêt F./Commission, point 16, et arrêt du Tribunal du 19 mars 1998,
Tzoanos/Commission, T-74/96, RecFP p. II-343, point 340), l'argumentation du
requérant doit être rejetée.
- 85.
- Partant, la quatrième branche du moyen ne saurait être accueillie.
- 86.
- Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le premier moyen doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen, tiré d'un défaut de motivation et de la violation, par le conseil
de discipline, de l'article 7 de l'annexe IX, des droits de la défense, ainsi que du
principe de bonne administration
Arguments des parties
- 87.
-
Le requérant estime que, sous couvert d'une motivation formelle, l'avis du conseil
de discipline et la décision de révocation sont, en réalité, entachés d'un défaut de
motivation, dans la mesure où les moyens qu'il avait soulevés à l'appui de sa
défense sont restés sans réponse.
- 88.
- Selon le requérant, ni le conseil de discipline ni l'AIPN n'auraient répondu à ses
arguments concernant l'inapplicabilité aux fonctionnaires en congé de convenance
personnelle de l'article 17, second alinéa, du statut et l'interprétation erronée, par
l'AIPN, de l'article 12 du statut. Il n'aurait pas non plus été répondu à son
argument concernant le caractère irrégulier de certaines déclarations faites par les
responsables de la Commission, qui préjugeaient de l'issue de la procédure.
- 89.
- En outre, l'avis du conseil de discipline et la décision de révocation se limiteraient,
sans motivation, à constater l'existence d'une contrariété entre son ouvrage et la
politique de la Commission, alors que le requérant avait signalé l'imprécision du
rapport de saisine du conseil à ce sujet, ainsi que la nécessité d'une audition
préalable par l'AIPN avant tout examen des griefs de fond. Dans sa réplique, le
requérant conteste la citation, extraite de l'avis du conseil de discipline, selon
laquelle il aurait fait part de sa décision de rendre public le danger que
représentait la politique de la Commission.
- 90.
- En tout état de cause, le requérant estime que le conseil de discipline n'a pas pu
procéder à un examen sérieux de tous ces arguments, qui étaient développés dans
des mémoires qu'il avait déposés lors de son audition, le 5 décembre 1995, puisque
l'avis a été adopté le même jour. Le procès-verbal de la réunion du conseil de
discipline attesterait d'ailleurs de l'absence de débat sur le dossier de la défense.
En conséquence, le conseil de discipline aurait méconnu l'article 7 de l'annexe IX
et violé les droits de la défense ainsi que le principe de bonne administration.
- 91.
- La Commission considère que le conseil de discipline et l'AIPN ont satisfait à
l'obligation de motivation en exposant les éléments qu'ils estimaient pertinents et
en répondant aux arguments essentiels soulevés pendant la procédure.
Appréciation du Tribunal
- 92.
- En vertu de l'article 7 de l'annexe IX, le conseil de discipline doit, au vu des pièces
produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations écrites ou
verbales de l'intéressé et des témoins, ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle
il a pu être procédé, émettre un avis motivé sur la sanction que lui paraissent
devoir entraîner les faits reprochés.
- 93.
- Par ailleurs, il résulte d'une jurisprudence constante que la motivation d'une
décision faisant grief doit permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle
sur sa légalité et de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si
la décision est bien fondée (arrêts de la Cour du 20 février 1997,
Daffix/Commission, C-166/95 P, Rec. p. I-983, point 23, et du 20 novembre 1997,
Commission/V, C-188/96 P, Rec. p. I-6561, point 26; arrêt du Tribunal du 16 juillet
1998, Y/Parlement, T-144/96, RecFP p. II-1153, point 21). La question de savoir si
la motivation de l'acte en cause satisfait aux exigences du statut doit être appréciée
au regard non seulement de son libellé, mais également de son contexte ainsi que
de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt
Y/Parlement, précité, point 22). Il y a lieu de souligner, à cet égard, que si le
conseil de discipline et l'AIPN sont tenus de mentionner les éléments de fait et de
droit dont dépend la justification légale de leurs décisions et les considérations qui
les ont amenés à les prendre, il n'est pas pour autant exigé qu'ils discutent tous les
points de fait et de droit qui ont été soulevés par l'intéressé au cours de la
procédure (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et
VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19, point 22).
- 94.
- En l'espèce, s'agissant de l'application de l'article 17, paragraphe 2, du statut, le
conseil de discipline et l'AIPN l'ont motivée en considérant que «tout fonctionnaire
[y] reste soumis», après qu'il a été explicitement relevé, dans l'avis du conseil de
discipline, que le requérant la contestait au motif qu'il était en congé de
convenance personnelle. L'application de l'article 12 du statut est également
motivée à suffisance de droit. En effet, l'avis du conseil de discipline et la décision
de révocation rappellent les fonctions du requérant, soulignent la teneur des propos
contenus dans son ouvrage, ainsi que la manière dont ce dernier s'était assuré de
sa publication, et en concluent que l'ensemble du comportement du requérant a
nui à la dignité de sa fonction. L'avis et la décision de révocation mettent donc
clairement en rapport le comportement du requérant avec le contenu de
l'interdiction de l'article 12 du statut et exposent les raisons essentielles pour
lesquelles le conseil de discipline et l'AIPN ont estimé que les dispositions de cet
article avaient été violées. La question de savoir si une telle appréciation est
adéquate relève de l'examen au fond, et non de celui du caractère suffisant ou non
de la motivation.
- 95.
- S'agissant du grief tiré de ce qu'il n'aurait pas été répondu à l'argument selon
lequel certaines déclarations de membres de la Commission mettaient en cause
l'impartialité de la procédure engagée contre lui, il ressort du dossier que, par cet
argument, le requérant s'était limité à faire valoir, devant le conseil de discipline,
que «cette situation appel[ait] donc une vigilance et une indépendance toute
particulière [de celui-ci]» (annexe A.1 à la requête, p. 17). Or, le requérant
n'allègue pas que, en l'espèce, le conseil de discipline a manqué au devoir qui est
le sien, en sa qualité d'organe d'instruction, de statuer de manière indépendante
et impartiale. Par conséquent, ce grief est dépourvu de pertinence.
- 96.
- Au surplus, il importe de relever que l'argument en cause n'évoquait pas d'élément
de fait ou de droit dont dépendait la justification de la sanction recommandée, de
sorte que la décision de révocation ne saurait être entachée d'un défaut de
motivation sur ce point. En effet, les déclarations citées par le requérant
envisageaient uniquement la possibilité que des sanctions soient adoptées contre
lui au terme de la procédure disciplinaire et ne pouvaient pas altérer la régularité
de cette procédure dans laquelle, en tout état de cause, l'administration est la
partie qui prend l'initiative. A cet égard, il y a lieu de souligner que, d'une part, le
conseil de discipline connaît la position de l'administration par le biais de
documents bien plus exhaustifs que ces déclarations à la presse, et que, d'autre
part, la constatation d'un éventuel manquement du fonctionnaire poursuivi à ses
obligations, et l'adoption en conséquence d'une sanction disciplinaire, appartiennent
à l'administration elle-même, après une procédure contradictoire au cours de
laquelle l'intéressé peut faire valoir son point de vue (voir l'ordonnance
Connolly/Commission, précitée, point 38).
- 97.
- Doit également être rejeté l'argument du requérant selon lequel l'avis du conseil
de discipline et la décision de révocation seraient insuffisamment motivés dans la
mesure où ils considèrent que le requérant «ne pouvait ignorer que la publication
de son ouvrage reflétait une opinion personnelle, discordante de la ligne de
conduite adoptée par la Commission en tant qu'institution de l'Union européenne
responsable de la poursuite d'un objectif majeur et d'un choix politique irréversible
inscrit dans le traité de l'Union qui est l'Union économique et monétaire». En
effet, il convient de relever que le litige concernait un conflit d'opinion évident et
connu entre le requérant et la Commission quant à la politique monétaire de
l'Union (ordonnance Connolly/Commission, précitée, point 36), dont l'ouvrage en
cause, ainsi qu'il ressort du dossier, constitue l'expression manifeste, le requérant
y écrivant, notamment, que «[sa] thèse centrale est que le MTC [le mécanisme des
taux de change] et l'UEM ne sont pas seulement inefficaces, mais aussi
antidémocratiques: un danger, non seulement pour [la] richesse [de l'Union], mais
aussi pour les quatre libertés et, finalement, pour la paix» (p. 12 du livre) [«My
central thesis is that ERM and EMU are not only inefficient but also undemocratic:
a danger not only to our wealth but to our four freedoms and, ultimately, our
peace»].
- 98.
- Il convient d'ajouter que l'avis et la décision de révocation constituent
l'aboutissement de la procédure disciplinaire, dont les détails étaient suffisamment
connus de l'intéressé (arrêt Daffix/Commission, précité, point 34). Or, ainsi qu'il
ressort de l'avis du conseil de discipline, le requérant avait lui-même exposé, lors
de son audition le 5 décembre 1995, que, pendant plusieurs années, il avait fait
état, dans des documents rédigés dans le cadre de ses fonctions de chef de l'unité
II.D.3, «des contradictions qu'il avait détectées dans les orientations de la
Commission en matière économique et monétaire», et que, «ses analyses et
propositions s'étant heurtées à l'opposition de ses supérieurs, il avait décidé, étant
donné l'importance vitale du sujet en question et le danger que la politique
poursuivie par la Commission comportait pour le futur de l'Union, de les rendre
publiques». Bien que, dans sa réplique, le requérant ait contesté ces considérations
de l'avis du conseil de discipline, il y a lieu néanmoins de constater qu'elles sont
clairement confirmées par le procès-verbal de son audition, dont il ne conteste pas
le contenu (voir, précisément, p. 4 à 7 du procès-verbal d'audition).
- 99.
- Au regard de ces éléments, la motivation de l'avis du conseil de discipline et de la
décision de révocation ne sauraient, par conséquent, être considérées comme
insuffisantes sur ce point.
- 100.
- Quant à la thèse du requérant selon laquelle le conseil de discipline n'aurait pas
été en mesure de procéder à un examen sérieux de tous ses arguments, elle ne
saurait non plus être accueillie. D'une part, il ressort clairement du procès-verbal
de l'audition du requérant que celui-ci a exposé l'ensemble des arguments
développés dans ses mémoires déposés auprès du conseil de discipline, de sorte
que ce dernier a pu prendre connaissance de tous les éléments invoqués à l'appui
de sa défense. D'autre part, il résulte de ce qui précède que, conformément à
l'article 7 de l'annexe IX, l'avis du conseil de discipline indique de manière
suffisamment précise les faits retenus à la charge du requérant et les considérations
l'ayant amené à recommander la sanction de la révocation, tout en répondant aux
arguments essentiels soulevés pendant la procédure.
- 101.
- Enfin, compte tenu des éléments exposés ci-dessus, une violation du principe de
bonne administration et des droits de la défense ne saurait être alléguée au motif
que le conseil de discipline a délibéré le jour même de l'audition du requérant, une
telle circonstance étant de nature à démontrer que cet organe a, au contraire, agi
de manière diligente. Il convient, en outre, de constater que l'avis du conseil dediscipline a été définitivement adopté deux jours après cette audition.
- 102.
- Il découle de l'ensemble de ces considérations que le moyen doit être rejeté.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l'article 11 du statut
Arguments des parties
- 103.
- Le requérant estime que l'avis du conseil de discipline et la décision de révocation
sont fondés sur une interprétation erronée de l'article 11 du statut. Cette
disposition aurait pour objet non pas d'interdire aux fonctionnaires de percevoir des
droits d'auteur du fait de la publication de leurs ouvrages, mais de garantir leur
indépendance en leur défendant d'accepter des instructions de personnes
extérieures à leur institution. Or, en percevant des droits d'auteur, le requérant ne
se serait mis sous l'autorité d'aucune personne extérieure à la Commission.
L'interprétation donnée, en l'espèce, de l'article 11 du statut serait d'autant plus
erronée qu'elle conduirait à interdire toutes les rémunérations de quelque source
extérieure que ce soit, en ce compris les revenus de valeurs mobilières, et serait,
dès lors, contraire à l'article 1er du protocole additionnel n° 1 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après «CEDH»), relatif au droit de propriété. En outre, une telle interprétation
serait en contradiction avec la pratique de la Commission, qui serait d'admettre la
perception de droits d'auteur, par les fonctionnaires, pour des services rendus lors
de congés de convenance personnelle.
- 104.
- Dans sa réplique, le requérant soutient que la Commission elle-même reconnaît
l'absence de gravité de l'infraction alléguée en admettant que ce fait n'aurait
jamais, à lui seul, entraîné la sanction de la révocation.
- 105.
- La Commission soutient que, dans la mesure où la perception de droits d'auteur
n'aurait certes pas entraîné, à elle seule, la révocation du requérant, le fait d'avoir
accepté cette rémunération d'une source extérieure à l'institution n'en est pas
moins contraire à l'article 11, second alinéa, du statut. Contrairement à la thèse du
requérant, il ne s'agirait pas d'un revenu assimilable à celui provenant de valeurs
mobilières, mais d'une rémunération extérieure.
Appréciation du Tribunal
- 106.
- L'article 11 du statut dispose:
«Le fonctionnaire doit s'acquitter de ses fonctions et régler sa conduite en ayant
uniquement en vue les intérêts des Communautés, sans solliciter ni accepter
d'instruction d'aucun gouvernement, autorité, organisation ou personne extérieure
à son institution.
Le fonctionnaire ne peut accepter d'aucun gouvernement ni d'aucune source
extérieure à l'institution à laquelle il appartient, sans autorisation de l'[AIPN], une
distinction honorifique, une décoration, une faveur, un don, une rémunération, de
quelque nature qu'ils soient, sauf pour services rendus soit avant sa nomination, soit
au cours d'un congé spécial pour service militaire ou national, et au titre de tels
services.»
- 107.
- En l'espèce, tant le conseil de discipline que l'AIPN ont, dans l'avis et la décision
de révocation, retenu une violation de l'article 11 du statut à la charge du
requérant. La décision de révocation relève, en particulier, que «M. Connolly
reconnaît avoir perçu les droits d'auteur qui lui ont été payés par ses éditeurs en
contrepartie de la publication de son oeuvre».
- 108.
- A cet égard, il ressort des déclarations du requérant au conseil de discipline, ainsi
que de l'attestation de son éditeur qu'il avait alors produite, que des «royalties» sur
les ventes de son ouvrage lui ont effectivement été versées par ce dernier. Dès lors,
ne saurait être accueilli l'argument du requérant selon lequel l'article 11 du statut
ne serait pas violé, au motif que la perception de ces rémunérations n'impliquait
pas qu'il fût sous l'influence d'une personne extérieure à son institution
d'appartenance. En effet, une telle argumentation méconnaît les conditions
objectives de la prohibition prévue par l'article 11, second alinéa, du statut, à savoir
l'acceptation d'une rémunération, de quelque nature qu'elle soit, de la part d'une
personne extérieure à l'institution, sans autorisation de l'AIPN. Or, force est de
constater que ces conditions étaient réunies en l'espèce.
- 109.
- Le requérant ne peut valablement soutenir que cette interprétation de l'article 11,
second alinéa, du statut conduit à une violation du droit de propriété tel qu'il est
consacré par l'article 1er du protocole additionnel n° 1 de la CEDH.
- 110.
- Tout d'abord, il convient de relever qu'il n'y a eu, en l'espèce, aucune atteinte au
droit de propriété, la Commission n'ayant pas privé le requérant des sommes qu'il
a perçues en rémunération de son ouvrage.
- 111.
-
Il y a lieu de souligner, en outre, que, selon la jurisprudence, l'exercice de droits
fondamentaux tels que le droit de propriété peut être soumis à des restrictions, à
condition que celles-ci répondent à des objectifs d'intérêt général poursuivis par la
Communauté et ne constituent pas une intervention démesurée et intolérable
portant atteinte à la substance même des droits garantis (voir l'arrêt de la Cour du
11 juillet 1989, Schräder HS Kraftfutter, 265/87, Rec. p. 2237, point 15, et la
jurisprudence citée). Or, les prescriptions de l'article 11 du statut, dont il résulte
que le fonctionnaire doit régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts
des Communautés, répondent au souci légitime de garantir non seulement
l'indépendance, mais aussi la loyauté du fonctionnaire à l'égard de son institution
(voir, à cet égard, l'arrêt du Tribunal du 15 mai 1997, N/Commission, T-273/94,
RecFP p. II-289, points 128 et 129, ci-après «arrêt N/Commission»), objectif dont
la poursuite justifie l'inconvénient mineur d'obtenir une autorisation de l'AIPN
pour la réception de sommes provenant de sources extérieures à l'institution
d'appartenance.
- 112.
- L'argumentation du requérant selon laquelle le manquement n'était pas
suffisamment grave pour entraîner, à lui seul, sa révocation est dénuée de
pertinence dans le cadre du présent moyen, en ce qu'elle n'est pas non plus de
nature à infirmer la constatation d'un manquement à l'obligation en cause. La
question de savoir si la sanction imposée était disproportionnée relève du sixième
moyen et doit être examinée dans le cadre de celui-ci au regard de l'ensemble des
faits reprochés.
- 113.
- Quant à l'existence prétendue d'une pratique de la Commission consistant à
admettre la perception de droits d'auteur, pour des services rendus par des
fonctionnaires lors de congés de convenance personnelle, force est de constater
qu'elle n'est nullement démontrée. Cette argumentation n'est, de surcroît, pas
pertinente dès lors qu'il n'est pas allégué que la pratique en question aurait visé la
publication d'ouvrages n'ayant pas reçu l'autorisation préalable visée à l'article 17
du statut. Le requérant ne soutient donc pas qu'il existait des assurances précises
ayant éventuellement pu créer, dans son chef, des espérances fondées de ne pas
avoir à solliciter l'autorisation prévue à l'article 11 du statut.
- 114.
- Au vu de l'ensemble de ces éléments, le moyen doit être rejeté.
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l'article 12 du statut
Arguments des parties
- 115.
- Le requérant fait valoir que le grief concernant une violation de l'article 12 du
statut est illicite au motif qu'il est contraire au principe de la liberté d'expression,
consacré explicitement par l'article 10 de la CEDH. En effet, l'interprétation de
l'article 12 du statut à laquelle a procédé l'AIPN conduirait à interdire au
fonctionnaire toute opinion personnelle, même en dehors du cadre professionnel.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme démontrerait
d'ailleurs que la liberté d'expression d'un fonctionnaire ne peut être limitée que
dans les cas visés à l'article 10, paragraphe 2, de la CEDH. Or, aucune des
exceptions visées à cet article n'aurait été invoquée par l'AIPN pour justifier la
sanction infligée.
- 116.
- Par ailleurs, ce grief manquerait en fait. L'ouvrage en cause constituerait, tout
d'abord, un travail d'analyse économique, l'analyse n'excluant toutefois pas la
polémique. Ensuite, il ne serait pas établi que l'analyse contenue dans son ouvrage
est contraire aux intérêts de la Communauté, d'autant plus que le requérant ne
s'est pas opposé aux objectifs du traité. Comme l'attesteraient, au contraire, les
notes internes qu'il avait élaborées, il se serait toujours conformé au devoir
d'assistance et de conseil qui était le sien, en vertu de l'article 21 du statut, en
signalant à ses supérieurs le caractère dangereux des moyens choisis pour parvenir
à l'Union économique et monétaire.
- 117.
- Le requérant estime que la Commission dénature la portée de l'obligation de
loyauté. En effet, celle-ci impliquerait de la part du fonctionnaire une certaine
loyauté à l'égard des traités, mais pas un lien de confiance personnel dans
l'institution qui l'emploie. En outre, le grief tiré d'une violation du devoir de
loyauté viserait, selon la jurisprudence, l'article 21 du statut (arrêt Williams/Cour
des comptes I), et non l'article 12. Aucune violation de l'article 21 du statut, n'ayant
été formulée dans le rapport de l'AIPN portant saisine du conseil de discipline, il
en résulterait une extension injustifiée de la procédure disciplinaire.
- 118.
- Quant aux références de la Commission aux observations faites dans son livre à
l'égard de certaines personnes, le requérant rétorque que ni l'avis du conseil de
discipline ni la décision de révocation n'ont finalement retenu le grief, formulé dans
le rapport de l'AIPN, tiré de l'existence, dans son livre, d'attaques personnelles
désobligeantes non étayées. Ces «légèretés de plume» étant intervenues dans un
contexte d'analyse économique, elles devraient, de toute façon, être distinguées des
injures et des diffamations qui faisaient l'objet de l'arrêt Williams/Cour des
comptes I, dans lequel la sanction infligée était, en outre, plus modérée qu'en
l'espèce.
- 119.
- La Commission fait valoir que le grief retenu à l'encontre du requérant, au titre de
l'article 12 du statut, vise aussi plus largement le manquement à l'obligation de
loyauté incombant aux fonctionnaires à l'égard de l'institution qui les emploie,
obligation dont l'article 12 du statut constituerait, à l'instar des articles 11 et 17,
une manifestation particulière (arrêt de la Cour du 14 décembre 1966,
Alfieri/Parlement, 3/66, Rec. p. 633; arrêts du Tribunal Williams/Cour des
comptes I, point 72, et du 7 mars 1996, Williams/Cour des comptes, T-146/94,
RecFP p. II-329, points 98 et 99, ci-après «arrêt Williams/Cour des comptes II»).
- 120.
- Dans ce contexte, l'argumentation du requérant méconnaîtrait le fait que la liberté
d'expression doit être conciliée avec les limites imposées par la relation de travail
et le statut de fonctionnaire. A supposer même que la CEDH soit directement
applicable, la jurisprudence de la Commission et de la Cour européenne des droits
de l'homme confirmerait d'ailleurs que la révocation d'un fonctionnaire s'étant
exprimé publiquement, de façon incompatible avec sa fonction, n'est pas contraire
à l'article 10 de la CEDH (arrêts du 28 août 1986, Kosiek/Allemagne, série A
n° 105, et du 26 septembre 1995, Vogt/Allemagne, série A n° 323).
- 121.
- S'agissant de la nature même de l'ouvrage, la Commission estime qu'il s'agit d'un
récit à vocation polémique, et non d'un traité d'économie. Elle renvoie, à titre
d'exemple, à plusieurs extraits du livre (annexe 3 au mémoire en défense) et
souligne que le requérant lui-même a qualifié son livre de «polémique» dans un
article paru dans le quotidien britannique The Times, le 6 septembre 1995. Le livre
comporterait, notamment, des observations péjoratives à l'égard de certainsresponsables de l'époque, comme l'attesteraient certains passages dans lesquels, par
exemple, le chancelier allemand H. Kohl est qualifié de «Bismarck in a cardigan»
(p. 337 du livre), le Premier ministre britannique J. Major de «clueless amateur»
(p. 126 et 282), et le président de la Commission J. Delors, de menteur (p. 71) et
«Euroracist» (p. 294), ce dernier étant en outre assimilé à un économiste nazi
(«Nazi professor») (p. 231). Seraient également formulées des appréciations non
étayées sur, notamment, le prétendu «rôle ambigu» de la Cour de justice des
Communautés européennes (p. 208) ou le fait que le personnel de la Commission
serait toujours le défenseur des intérêts français (p. 4). Enfin, l'illustration choisie
pour la couverture du livre serait difficilement compatible avec l'allégation selon
laquelle il s'agirait d'un ouvrage d'analyse économique.
- 122.
- Outre le caractère insultant de l'ouvrage, la gravité du manquement du requérant
à ses obligations statutaires résulterait du fait que, par ce livre, il se serait opposé,
de manière publique, à la politique qu'il avait la responsabilité de promouvoir.
L'argument selon lequel le fait d'avoir des opinions personnelles non conformes
serait interdit au sein de la Commission serait également dénué de fondement.
Comme l'attesteraient les notes produites par le requérant lui-même, les opinions
de ce dernier étaient déjà connues auparavant, sans que cela ait jamais donné lieu
à une procédure disciplinaire. Seul le fait d'avoir porté ces idées sur la place
publique aurait été sanctionné.
Appréciation du Tribunal
- 123.
- Aux termes de l'article 12, premier alinéa, du statut, «le fonctionnaire doit
s'abstenir de tout acte et, en particulier, de toute expression publique d'opinions
qui puisse porter atteinte à la dignité de sa fonction».
- 124.
- Selon une jurisprudence constante, cette disposition vise, tout d'abord, à garantir
que les fonctionnaires communautaires présentent, dans leur comportement, une
image de dignité conforme à la conduite particulièrement correcte et respectable
que l'on est en droit d'attendre des membres d'une fonction publique internationale
(arrêts du Tribunal Williams/Cour des comptes II, point 65, N/Commission, point
127, et du 17 février 1998, E/CES, T-183/96, RecFP p. II-159, point 39, ci-après
«arrêt E/CES»). Il en résulte, notamment, que des injures exprimées publiquement
par un fonctionnaire, et portant atteinte à l'honneur des personnes auxquelles elles
se réfèrent, constituent en soi une atteinte à la dignité de la fonction au sens de
l'article 12, premier alinéa, du statut (ordonnance de la Cour du 21 janvier 1997,
Williams/Cour des comptes, C-156/96 P, Rec. p. I-239, point 21; arrêts
Williams/Cour des comptes I, point 76 et 80, et Williams/Cour des comptes II,
point 66).
- 125.
- En l'espèce, il ressort du dossier et des extraits du livre cités par la Commission
que l'ouvrage litigieux contient de nombreuses affirmations agressives, dénigrantes,
et souvent injurieuses, portant atteinte à l'honneur des personnes et des institutions
auxquelles elles se réfèrent, et qui ont connu une publicité importante, notamment
par voie de presse. Contrairement à ce que prétend le requérant, les propos cités
par la Commission, et visés dans le rapport de l'AIPN portant saisine du conseil de
discipline, ne sauraient être qualifiés de simples «légèretés de plume», mais doivent
être considérés comme étant constitutifs, en soi, d'une atteinte à la dignité de la
fonction.
- 126.
- L'argument selon lequel ni le conseil de discipline ni l'AIPN n'auraient finalement
retenu ce dernier grief pour justifier sa révocation est dénué de fondement. Tous
deux ont, en effet, expressément considéré, dans l'avis et la décision de révocation,
que «l'ensemble du comportement de M. Connolly a porté atteinte à la dignité de
sa fonction». Le fait que des extraits du livre ne sont pas cités expressis verbis dans
la décision de révocation comme ils l'étaient dans le rapport de l'AIPN portant
saisine du conseil de discipline ne saurait, dès lors, être interprété comme
impliquant l'abandon du grief tiré d'une violation de l'article 12, premier alinéa, du
statut. Il en est d'autant plus ainsi que la décision de révocation constitue
l'aboutissement d'une procédure disciplinaire dont les détails étaient suffisamment
connus de l'intéressé et au cours de laquelle, ainsi qu'il ressort des procès-verbaux
versés au dossier, celui-ci a eu l'occasion de s'expliquer sur la teneur des propos
contenus dans son livre.
- 127.
- Il y a lieu, ensuite, de souligner que l'article 12, premier alinéa, du statut constitue,
au même titre que les articles 11 et 21, l'une des expressions spécifiques de
l'obligation de loyauté qui s'impose à tout fonctionnaire (voir l'arrêt N/Commission,
point 129, confirmé sur pourvoi par l'ordonnance de la Cour du 16 juillet 1998,
N/Commission, C-252/97 P, Rec. p. I-4874). Contrairement à ce que fait valoir le
requérant, il ne saurait être déduit de l'arrêt Williams/Cour des comptes I que cette
obligation découle du seul article 21 du statut, le Tribunal ayant souligné, dans cet
arrêt, que l'obligation de loyauté constitue un devoir fondamental, qui incombe à
tout fonctionnaire vis-à-vis de l'institution dont il relève et de ses supérieurs, «dont
l'article 21 du statut est une manifestation particulière». Par conséquent, doit être
rejeté l'argument selon lequel l'AIPN ne pouvait valablement retenir, à l'encontre
du requérant, une violation du devoir de loyauté, au motif que le rapport portant
saisine de l'AIPN ne lui reprochait pas une violation de l'article 21 du statut.
- 128.
- De même, doit être rejetée la thèse selon laquelle le devoir de loyauté
n'impliquerait pas la préservation d'un lien de confiance personnel entre le
fonctionnaire et son institution, mais seulement une loyauté à l'égard des traités.
En effet, l'obligation de loyauté impose non seulement que le fonctionnaire
concerné s'abstienne de conduites attentatoires à la dignité de la fonction et au
respect dû à l'institution et à ses autorités (voir, par exemple, l'arrêt Williams/Cour
des comptes I, point 72, et l'arrêt du Tribunal du 18 juin 1996, Vela Palacios/CES,
T-293/94, RecFP p. II-893, point 43), mais également qu'il fasse preuve, d'autant
plus s'il a un grade élevé, d'un comportement au-dessus de tout soupçon, afin que
les liens de confiance existant entre cette institution et lui-même soient toujours
préservés (arrêt N/Commission, point 129). Or, en l'espèce, il convient de rappeler
que l'ouvrage litigieux, outre le fait qu'il comportait des propos portant en soi
atteinte à la dignité de la fonction, exprimait publiquement, ainsi que l'AIPN l'a
constaté, une opposition fondamentale du requérant à la politique de la
Commission qu'il avait pour fonction de mettre en oeuvre, à savoir la réalisation
de l'Union économique et monétaire, objectif, par ailleurs, assigné par le traité.
- 129.
- Le requérant ne saurait utilement invoquer, dans ce contexte, une violation du
principe de la liberté d'expression. Il ressort en effet de la jurisprudence en la
matière que, si la liberté d'expression constitue un droit fondamental dont jouissent
également les fonctionnaires communautaires (arrêt de la Cour du 13 décembre
1989, Oyowe et Traore/Commission, C-100/88, Rec. p. 4285, point 16), il n'en
demeure pas moins que l'article 12 du statut, tel qu'interprété ci-dessus, ne
constitue pas une entrave à la liberté d'expression des fonctionnaires, mais impose
des limites raisonnables à l'exercice de ce droit dans l'intérêt du service (arrêt
E/CES, point 41).
- 130.
- Il y a lieu de souligner, enfin, que cette interprétation de l'article 12, premier
alinéa, du statut ne saurait être mise en cause au motif que, en l'espèce, la
publication de l'ouvrage litigieux est intervenue lors d'une période de congé de
convenance personnelle. A cet égard, il résulte de l'article 35 du statut que le
congé de convenance personnelle constitue l'une des positions dans lesquelles peut
être placé un fonctionnaire, de sorte que, pendant cette période, l'intéressé
demeure soumis aux obligations découlant du statut, sauf dispositions contraires
expresses. L'article 12 du statut visant tous les fonctionnaires, sans distinguer selon
leur position, une telle circonstance ne pouvait, dès lors, exonérer le requérant des
obligations que lui imposent cet article. Il en est d'autant plus ainsi que le respect
dû par le fonctionnaire à la dignité de sa fonction ne se limite pas au moment
particulier où il exerce telle ou telle tâche spécifique, mais s'impose à lui en toute
circonstance (arrêt Williams/Cour des comptes II, point 68). Il en va de même de
l'obligation de loyauté, laquelle, selon la jurisprudence, ne s'impose pas seulement
dans la réalisation de tâches spécifiques, mais s'étend aussi à toute la sphère des
relations existant entre le fonctionnaire et l'institution (arrêts Williams/Cour des
comptes I, point 72, et E/CES, point 47).
- 131.
- Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'AIPN a pu légitimement considérer que le
requérant avait, de par son comportement, nui à la dignité de sa fonction et rompu
de façon irréparable la confiance que la Commission est en droit d'exiger de ses
fonctionnaires.
- 132.
- Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté.
Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l'article 17 du statut
Sur la violation de l'article 17, premier alinéa, du statut
Arguments des parties
- 133.
- Le requérant soutient que le conseil de discipline et l'AIPN ont retenu, à tort, qu'il
avait violé le devoir de discrétion, prévu à l'article 17, premier alinéa, du statut,
dans la mesure où, ainsi qu'il l'avait démontré lors de la procédure, les informations
que le rapport de l'AIPN lui reprochait d'avoir publiées dans son livre provenaient
de sources publiques.
- 134.
- En réponse à l'argument de la Commission selon lequel ce grief n'a pas été retenu
dans la décision de révocation, le requérant en déduit, dans sa réplique, qu'il y a
lieu de constater l'abandon de celui-ci par l'AIPN et, de fait, une aggravation de
la sanction recommandée par le conseil, puisque le nombre d'incriminations était
ainsi réduit. Dans la mesure où l'AIPN est tenue de motiver les raisons spécifiques
pour lesquelles elle s'est écartée de l'avis du conseil de discipline, il en résulterait
que la décision de révocation est entachée d'un défaut de motivation sur ce point.
- 135.
- La Commission soutient que le grief tiré d'une violation de l'article 17, premier
alinéa, du statut n'a pas été retenu dans la décision de révocation et en déduit qu'il
n'y a donc pas lieu de se prononcer à cet égard. En tout état de cause, l'AIPN
ayant infligé au requérant la sanction recommandée par le conseil de discipline, et
non pas une sanction plus grave, sa décision ne saurait être entachée d'un défaut
de motivation sur ce point.
Appréciation du Tribunal
- 136.
- Le requérant ayant pris acte, tant dans sa réplique que lors de l'audience, que
l'AIPN n'avait pas retenu contre lui un manquement au devoir de discrétion dans
la décision de révocation, le grief tiré d'une violation de l'article 17, premier alinéa,
du statut est devenu sans objet (voir, en ce sens, l'arrêt E/CES, point 37).
- 137.
- S'agissant du grief tiré d'un défaut de motivation de la décision de révocation, pour
autant qu'elle s'écarterait de l'avis du conseil de discipline en aggravant la sanction
infligée, il n'a été soulevé qu'au stade de la réplique et, conformément à l'article
48, paragraphe 2, du règlement de procédure, il doit donc être rejeté comme
irrecevable en tant que moyen nouveau soulevé en cours d'instance. En tout état
de cause, ce grief ne pourrait être accueilli en l'espèce. D'une part, il est constant
que l'AIPN a infligé au requérant la sanction recommandée par le conseil de
discipline, à savoir la révocation sans perte des droits à pension, de sorte qu'aucun
surcroît de motivation n'était nécessaire. D'autre part, il ressort du deuxième
moyen que l'AIPN a suffisamment exposé, dans la décision de révocation, les
raisons pour lesquelles elle estimait que le comportement du requérant, de par sa
gravité, rendait impossible le maintien d'une quelconque relation de travail avec la
Commission.
- 138.
- En conséquence, la première branche du moyen doit être rejetée.
Sur la violation de l'article 17, second alinéa, du statut
Arguments des parties
- 139.
- Le requérant soutient, en premier lieu, que l'interprétation de l'article 17, second
alinéa, du statut, sur laquelle sont fondés l'avis du conseil de discipline et la
décision de révocation, est contraire au principe de la liberté d'expression, consacré
par l'article 10 de la CEDH, dans la mesure où elle conduit à interdire, par
principe, toute publication. Or, des entraves à la liberté d'expression ne seraient
autorisées que dans les hypothèses exceptionnelles énumérées à l'article 10,
paragraphe 2, de la CEDH, dont la Commission aurait néanmoins admis, dans la
décision de rejet de la réclamation, précitée, qu'elles n'étaient pas applicables en
l'espèce. Dès lors, l'interprétation selon laquelle un fonctionnaire devrait obtenir
une autorisation préalable pour toute publication quelle qu'elle soit, en dehors
même des cas visés à l'article 10, paragraphe 2, de la CEDH, constituerait une
entrave injustifiée à la liberté d'expression.
- 140.
- Selon le requérant, cette analyse n'est pas démentie par le fait que l'article 17,
second alinéa, du statut institue un régime d'autorisation préalable, dans la mesure
où il est ainsi permis à l'institution concernée d'exercer une censure sans limites.
Par ailleurs, l'argument de la Commission, selon lequel le cas d'espèce ne relèverait
pas de l'article 10 de la CEDH dès lors que l'AIPN est intervenue en qualité
d'employeur, et non en tant qu'autorité publique à l'égard de tiers, serait erroné,
au motif que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,
les fonctionnaires peuvent se prévaloir de la CEDH en leur qualité de
fonctionnaire (arrêt Vogt/Allemagne, précité).
- 141.
- En second lieu, le requérant soutient que l'article 17, second alinéa, du statut n'est
pas applicable aux fonctionnaires en congé de convenance personnelle. En effet,
dans la mesure où seul le premier alinéa de l'article 17 du statut précise qu'il
s'impose au fonctionnaire après la cessation de ses fonctions, il en résulterait a
contrario que le second alinéa du même article ne s'applique qu'aux fonctionnaires
en activité. Cette interprétation serait confirmée par le fait que l'article 37 du
statut, relatif à la position du fonctionnaire en détachement, dispose expressément
que celui-ci reste soumis aux obligations qui lui incombent en raison de son
appartenance à son institution d'origine, alors que l'article 40 du statut, relatif à la
position du fonctionnaire en congé de convenance personnelle, ne contient aucune
disposition similaire.
- 142.
- Le requérant soutient que, en tout état de cause, il était fondé à croire en cette
interprétation de l'article 17, second alinéa, du statut, compte tenu de la pratique
suivie par la Commission, à tout le moins au sein de la DG II. A cet égard, il
ressortirait de l'attestation de l'ancien directeur général de la DG II, déposée
auprès du conseil de discipline, qu'une autorisation préalable de publication n'était
jamais nécessaire pour les fonctionnaires en congé de convenance personnelle.
L'argument de la Commission, selon lequel il serait alors inutile de demander aux
fonctionnaires de préciser les activités qu'ils envisagent d'exercer pendant un congé
de convenance personnelle, serait sans pertinence, dès lors qu'il est seulement
demandé d'indiquer les motifs personnels du congé. Quant au fait, mentionné dans
la décision de révocation, qu'il s'était déjà vu refuser des autorisations de
publications, le requérant oppose que des autorisations lui avaient aussi été
accordées.
- 143.
- La Commission rétorque, en premier lieu, que, dans la mesure où la révocation
d'un fonctionnaire pour manquement à son devoir de loyauté échappe au domaine
d'application de la CEDH ou, en tout état de cause, n'est pas contraire à son
article 10, l'obligation de demander une autorisation préalable de publication est
d'autant plus justifiée qu'il s'agit d'une mesure préventive, permettant ainsi au
fonctionnaire d'éviter des sanctions. En outre, l'article 17, second alinéa, du statut
instaurerait un droit de publier, puisqu'un refus doit être motivé par la mise en jeu
des intérêts des Communautés, ce qui serait, notamment, le cas lorsque l'opinion
exprimée est incompatible avec les fonctions de l'intéressé.
- 144.
- En second lieu, la Commission fait valoir qu'un fonctionnaire en congé de
convenance personnelle reste soumis à l'obligation prévue à l'article 17, paragraphe
2, du statut, dès lors que, en vertu de l'article 35 du statut, il demeure fonctionnaire
pendant cette période de congé.
- 145.
- Quant à l'existence alléguée d'une pratique antérieure au sein de la Commission,
elle serait démentie par le fait qu'il est toujours préalablement demandé aux
fonctionnaires sollicitant un congé de convenance personnelle d'indiquer les
activités qu'ils comptent avoir pendant cette période. A supposer même qu'une
telle pratique ait existé au sein de la DG II, le requérant ne pouvait avoir aucune
confiance légitime dans son maintien: d'une part, cela aurait supposé une promesse
spécifique à son intention; d'autre part, en admettant même que le précédent
supérieur hiérarchique du requérant ait formulé une telle promesse, elle serait
inopposable à la Commission puisqu'elle serait illégale et émanerait d'une personne
n'ayant pas la qualité d'AIPN.
Appréciation du Tribunal
- 146.
- L'article 17, second alinéa, du statut, dispose:
«Le fonctionnaire ne doit ni publier ni faire publier, seul ou en collaboration, un
texte quelconque dont l'objet se rattache à l'activité des Communautés sans
l'autorisation de l'[AIPN]. Cette autorisation ne peut être refusée que si la
publication envisagée est de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés.»
- 147.
- En l'espèce, il est constant que le requérant a procédé à la publication de son
ouvrage sans demander l'autorisation préalable prévue par la disposition précitée.
Toutefois, le requérant, sans soulever expressément une exception d'illégalité visant
à mettre en cause la validité de l'article 17, second alinéa, du statut dans son
ensemble, considère que la Commission a procédé à une interprétation de cette
disposition contraire au principe de la liberté d'expression.
- 148.
- A cet égard, il convient de rappeler que le droit à la liberté d'expression, consacré
par l'article 10 de la CEDH, constitue, ainsi qu'il a déjà été souligné, un droit
fondamental dont le juge communautaire assure le respect et dont jouissent, en
particulier, les fonctionnaires communautaires (arrêts Oyowe et
Traore/Commission, précité, point 16, et E/CES, point 41). Néanmoins, il résulte
également d'une jurisprudence constante que les droits fondamentaux
n'apparaissent pas comme des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des
restrictions, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs
d'intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard
du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte
à la substance même des droits ainsi garantis (arrêts de la Cour Schräder HS
Kraftfutter, précité, point 15, et du 5 octobre 1994, X/Commission, C-404/92 P,
Rec. p. I-4737, point 18; arrêts du Tribunal du 13 juillet 1995, K/Commission,
T-176/94, RecFP p. II-621, point 33, et N/Commission, point 73).
- 149.
- Examiné à la lumière de ces principes, et à l'instar de ce qui a été jugé à propos
de l'article 12 du statut (voir, ci-dessus, point 129, et arrêt E/CES, point 41),
l'article 17, second alinéa, tel qu'il a été interprété dans la décision de révocation,
ne saurait être considéré comme imposant une restriction injustifiée à la liberté
d'expression des fonctionnaires.
- 150.
- En effet, il convient, en premier lieu, de souligner que l'exigence d'une autorisation
préalable de publication répond à l'objectif légitime qu'un texte ayant trait à
l'activité des Communautés ne puisse pas porter atteinte à leurs intérêts et,
notamment, comme en l'espèce, à la réputation et à l'image de l'une des
institutions.
- 151.
- En second lieu, l'article 17, second alinéa, du statut ne constitue pas une mesure
disproportionnée à l'objectif d'intérêt général que ledit article vise à sauvegarder.
- 152.
- A cet égard, il convient, tout d'abord, de relever que, contrairement à ce que
soutient le requérant, il ne saurait être déduit de l'article 17, second alinéa, du
statut que le régime d'autorisation préalable qu'il prévoit permet à l'institution
concernée d'exercer, par ce biais, une censure sans limites. D'une part, en vertu de
cette disposition, l'autorisation préalable de publication n'est exigée que lorsque le
texte que le fonctionnaire intéressé envisage de publier, ou de faire publier, «se
rattache à l'activité des Communautés». D'autre part, il ressort de cette même
disposition qu'il n'est institué aucune prohibition absolue de publication, mesure
qui, en soi, porterait atteinte à la substance même du droit à la liberté d'expression.
Force est, au contraire, de constater que l'article 17, second alinéa, dernière phrase,
du statut établit clairement le principe d'octroi de l'autorisation de publication en
disposant expressément qu'une telle autorisation ne peut être refusée que si la
publication en cause est de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés.
Une telle décision étant, par ailleurs, susceptible de recours conformément aux
articles 90 et 91 du statut, il en résulte qu'un fonctionnaire, estimant qu'un refus
d'autorisation lui aurait été opposé en violation des dispositions du statut, a la
possibilité de recourir aux voies de droit qui lui sont ouvertes en vue de soumettre
au contrôle du juge communautaire l'appréciation de l'institution concernée.
- 153.
- Il importe également de souligner que la formalité exigée par l'article 17, second
alinéa, du statut constitue une mesure préventive, permettant, d'une part, de ne pas
mettre en péril les intérêts des Communautés et, d'autre part, ainsi que le fait
valoir la Commission à juste titre, d'éviter, postérieurement à la publication d'un
texte mettant en cause les intérêts des Communautés, l'adoption, par l'institution
concernée, de sanctions disciplinaires à l'encontre du fonctionnaire ayant exercé son
droit d'expression de manière incompatible avec ses fonctions.
- 154.
- En l'espèce, il y a lieu de constater que, dans la décision de révocation, l'AIPN a
retenu, à l'encontre du requérant, un manquement à cette disposition aux motifs,
d'une part, que l'intéressé n'avait pas demandé d'autorisation de publication pour
son ouvrage, d'autre part, qu'il ne pouvait ignorer qu'une telle autorisation lui serait
refusée pour les mêmes raisons que celles ayant dicté le refus d'autorisations
antérieures de publier certains articles ayant un contenu similaire et, enfin, que, par
sa conduite, le requérant avait gravement lésé les intérêts des Communautés et
porté préjudice à l'image et à la réputation de l'institution.
- 155.
- Dès lors, et à la lumière de l'ensemble des considérations qui précèdent, il ne peut
être déduit de la décision de révocation que le manquement à l'article 17, second
alinéa, du statut, reproché au requérant, aurait également été retenu en l'absence
de toute atteinte à l'intérêt des Communautés, de sorte que la portée donnée à
cette disposition par l'AIPN n'apparaît pas comme excédant l'objectif poursuivi et,
partant, comme contraire au principe de la liberté d'expression.
- 156.
- Dans ces conditions, le grief tiré d'une violation du droit à la libre expression doit
être rejeté.
- 157.
- L'argument selon lequel l'article 17, second alinéa, du statut ne serait pas
applicable aux fonctionnaires en congé de convenance personnelle est également
dénué de fondement. En effet, ainsi qu'il a été souligné ci-dessus (voir point 130),il résulte de l'article 35 du statut qu'un fonctionnaire en congé de convenance
personnelle conserve la qualité de fonctionnaire pendant cette période et qu'il
demeure donc soumis aux obligations qui découlent du statut sauf dispositions
expresses contraires. Or, l'article 17, second alinéa, du statut vise tout fonctionnaire,
sans distinguer selon la position de l'intéressé. Par conséquent, le fait que le
requérant était en congé de convenance personnelle lors de la publication de son
ouvrage ne l'exonérait pas de l'obligation que lui imposait l'article 17, second
alinéa, du statut de solliciter préalablement une autorisation de publication auprès
de l'AIPN.
- 158.
- Cette interprétation n'est pas contredite par le fait que, à l'inverse du second
alinéa, de l'article 17, du statut, le premier alinéa du même article dispose
expressément qu'un fonctionnaire demeure soumis au devoir de discrétion après
la cessation de ses fonctions. En effet, un fonctionnaire en position de congé de
convenance personnelle ne saurait être assimilé à celui ayant définitivement cessé
ses fonctions, visé à l'article 47 du statut, et qui, partant, ne relève pas de l'une des
positions du fonctionnaire, énumérées à l'article 35 du statut.
- 159.
- Est également sans pertinence l'argument a contrario tiré de ce que, en vertu de
l'article 37, second alinéa, du statut, le fonctionnaire en détachement «reste soumis
aux obligations qui lui incombent en raison de son appartenance à son institution
d'origine». En effet, le détachement peut impliquer une mise à la disposition d'une
autre institution que l'institution d'origine (ou d'une personne exerçant un mandat
au sein d'une autre institution). Cette disposition vise donc seulement à déterminer
si le fonctionnaire concerné demeure également soumis à ses obligations statutaires
vis-à-vis de son institution d'origine. Aucun argument ne peut, dès lors, en être
déduit pour ce qui est des obligations du fonctionnaire en position de congé de
convenance personnelle, pour lequel la question de l'appartenance à une autre
institution communautaire ne se pose pas.
- 160.
- Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est à juste titre que le conseil de
discipline et l'AIPN ont considéré que le requérant avait violé l'article 17, second
alinéa, du statut.
- 161.
- Enfin, la prétendue existence d'une pratique générale de la Commission, en vertu
de laquelle une autorisation préalable de publication n'était pas exigée des
fonctionnaires en congé de convenance personnelle, n'est nullement démontrée par
la déclaration qu'invoque le requérant. Par ladite déclaration, l'ancien directeur
général de la DG II se limite, en effet, à attester que M. Connolly s'était déjà vu
accorder, en 1985, un congé de convenance personnelle d'une année afin de
travailler au sein d'une institution financière privée et que, pendant cette période,
il n'avait pas estimé devoir approuver les textes rédigés par le requérant pour le
compte de cette institution, ou même émettre des observations à leur égard. Il
s'ensuit que l'argument n'est pas fondé.
- 162.
- Par suite, le moyen doit être rejeté.
Sur le sixième moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation et de la violation du
principe de proportionnalité
Arguments des parties
- 163.
- Le requérant estime que la décision de révocation est entachée d'une erreur
manifeste d'appréciation des faits et viole le principe de proportionnalité, en ce
qu'elle omet de tenir compte de plusieurs circonstances atténuantes, à savoir, d'une
part, ses bons états de service, et, d'autre part, sa bonne foi quant à la liberté de
publier pendant une période de congé de convenance personnelle. Il soutient, en
outre, que les fonctionnaires affectés à la DG II savaient que son congé serait
l'occasion de préparer un ouvrage et que certains d'entre eux lui avaient même
recommandé de le rédiger. Enfin, la sanction serait d'autant plus disproportionnée
que seules des infractions formelles aux articles 11, 12 et 17, du statut lui étaient
initialement reprochées.
- 164.
- La Commission répond que le fait de ne pas avoir fait l'objet de procédures
disciplinaires auparavant est inopérant. Par ailleurs, il serait malvenu pour le
requérant d'invoquer sa bonne foi, dès lors que, dans sa demande de congé, celui-ci
avait indiqué d'autres motifs que celui de la préparation d'un livre.
Appréciation du Tribunal
- 165.
- Selon une jurisprudence constante, dès lors que la réalité des faits retenus à la
charge du fonctionnaire est établie, le choix de la sanction adéquate appartient à
l'AIPN, et le juge communautaire ne saurait substituer son appréciation à celle de
cette autorité, sauf en cas d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir
(arrêts De Greef/Commission, précité, point 45, F./Commission, point 34,
Williams/Cour des comptes I, point 83, et D/Commission, précité, point 96). Il
convient de rappeler également que la détermination de la sanction à infliger est
fondée sur une évaluation globale par l'AIPN de tous les faits concrets et
circonstances propres à chaque cas individuel, les articles 86 et 89 du statut ne
prévoyant pas de rapports fixes entre les sanctions disciplinaires indiquées et les
différentes sortes de manquements et ne précisant pas dans quelle mesure
l'existence de circonstances aggravantes ou atténuantes intervient dans le choix de
la sanction (arrêt de la Cour du 5 février 1987, F./Commission, 403/85, Rec. p. 645,
point 26; arrêts Williams/Cour des comptes I, point 83, et Y/Parlement, précité,
point 34).
- 166.
- En l'espèce, il convient de constater, tout d'abord, que la réalité des faits reprochés
au requérant est établie.
- 167.
- Il y a lieu de relever, ensuite, que la sanction infligée ne saurait être considérée
comme étant disproportionnée ou comme résultant d'une erreur manifeste
d'appréciation. Même s'il n'est pas contesté que le requérant avait de bons états
de service, l'AIPN pouvait néanmoins légitimement considérer que, eu égard à la
gravité des faits retenus, au grade et aux responsabilités du requérant, une telle
circonstance n'était pas susceptible d'atténuer la sanction à infliger.
- 168.
- Par ailleurs, l'argument du requérant, selon lequel il aurait dû être tenu compte de
sa bonne foi quant à la portée des devoirs du fonctionnaire en congé de
convenance personnelle, ne peut être accueilli. Il résulte, en effet, de la
jurisprudence que les fonctionnaires sont censés connaître le statut (arrêts du
Tribunal du 18 décembre 1997, Daffix/Commission, T-12/94, RecFP p. II-1197,
point 116, et du 7 juillet 1998, Telchini e.a./Commission, T-116/96, T-212/96 et
T-215/96, RecFP p. II-947, point 59), de sorte que leur prétendue ignorance des
obligations leur incombant à ce titre ne saurait être constitutive de bonne foi.
L'argument est d'autant moins fondé en l'espèce qu'il est admis par le requérant
que ses collègues connaissaient son intention de préparer l'ouvrage litigieux
pendant son congé de convenance personnelle, alors que, dans la demande qu'il
avait adressée à l'AIPN en application de l'article 40 du statut, il avait indiqué
d'autres motifs que la préparation de cet ouvrage. Étant donné que de telles
déclarations sont contraires aux liens de loyauté et de confiance qui doivent régir
les relations entre administration et fonctionnaires, et inconciliables avec l'intégrité
exigée de tout fonctionnaire (voir, en ce sens, arrêt M./Conseil, précité, point 21),
l'AIPN pouvait, dès lors, considérer à juste titre que l'argument du requérant,
concernant sa prétendue bonne foi, n'était pas fondé.
- 169.
- En conséquence, le moyen doit être rejeté.
Sur le septième moyen, tiré d'un détournement de pouvoir
- 170.
- Le requérant fait valoir qu'un ensemble d'indices démontre l'existence d'un
détournement de pouvoir. Il invoque, à cet égard, les déclarations de certains
membres de la Commission, qui démontreraient que le choix de la sanction avait
déjà été décidé avant l'ouverture de la procédure disciplinaire; le fait que la
Commission n'ait pas pris soin de l'avertir des problèmes posés par la publication
de son ouvrage, alors qu'elle en avait connaissance par un article de presse du 10
juillet 1995; l'initiative qu'elle aurait prise, par une note du 28 juillet 1995, de
modifier les modalités de calcul de la réduction des traitements en cas de
suspension; les irrégularités de procédure dénoncées dans le présent recours et,
enfin, l'absence de prise en considération de sa bonne foi quant au fait qu'il n'avait
pas averti ses supérieurs de ses intentions.
- 171.
- Il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence, le détournement de
pouvoir consiste, pour une autorité administrative, à user de ses pouvoirs dans un
but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Dès lors, une décision
n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base
d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins
autres que celles excipées (arrêt Williams/Cour des comptes I, points 87 et 88).
- 172.
- Sur les déclarations faites par certains membres de la Commission avant l'ouverture
de la procédure disciplinaire, il suffit de rappeler que, ainsi qu'il a été souligné au
point 96 ci-dessus, ces déclarations ne reflétaient qu'une appréciation provisoire de
la part des membres de la Commission concernés et qu'elles ne pouvaient pas, dans
les circonstances de l'espèce, altérer la régularité de la procédure disciplinaire.
- 173.
- De même, l'argument du requérant selon lequel la Commission aurait dû l'avertir
des risques qu'il encourait en publiant son ouvrage ne peut davantage être accueilli.
Ainsi que le fait valoir la Commission à juste titre, celle-ci ne saurait être tenue
pour responsable des initiatives que le requérant avait, en outre, pris soin de lui
dissimuler lors de sa demande de congé de convenance personnelle. Par ailleurs,
pour les raisons exposées dans le cadre des premier et sixième moyens, il y a lieu
également de rejeter les arguments tirés de l'existence d'irrégularités dans le
déroulement de la procédure disciplinaire et de la bonne foi du requérant.
- 174.
- Quant à l'argument tiré d'une modification, par la Commission, des modalités
générales de calcul de la réduction des traitements en cas de suspension, il suffit
de relever qu'elle ne concerne pas spécifiquement la révocation du requérant, et
qu'elle ne peut donc démontrer le détournement de pouvoir allégué.
- 175.
- Dès lors, il n'est pas établi que, en infligeant la sanction prononcée, l'AIPN a
poursuivi un but autre que celui de sauvegarder l'ordre interne de la fonction
publique communautaire. Le septième moyen doit donc être rejeté.
- 176.
- Il découle de tout ce qui précède que les conclusions en annulation doivent être
rejetées.
Sur les conclusions en indemnité
- 177.
- Le requérant soutient que les irrégularités dénoncées dans le cadre de son recours
en annulation lui ont causé un préjudice matériel et moral.
- 178.
- A cet égard, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, des
conclusions tendant à la réparation du préjudice matériel ou moral doivent être
rejetées dans la mesure où elles présentent un lien étroit avec les conclusions en
annulation qui ont, elles-mêmes, été rejetées soit comme irrecevables, soit comme
non fondées (arrêt N/Commission, point 159, et la jurisprudence citée).
- 179.
- En l'espèce, il existe un lien étroit entre les conclusions en annulation et les
conclusions en indemnité, l'objet de ces dernières étant d'obtenir «réparation des
irrégularités dénoncées dans le cadre du recours en annulation». Partant, dans la
mesure où l'examen des moyens présentés au soutien des conclusions en annulationn'a révélé aucune illégalité commise par la Commission, et donc aucune faute de
nature à engager sa responsabilité, les conclusions en indemnité doivent être
rejetées.
- 180.
- Le recours doit, en conséquence, être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
- 181.
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon
l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs
agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le
requérant ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à ce que
le Tribunal statue sur les dépens comme de droit, chacune des parties supportera
ses propres dépens.
- 182.
- En outre, aux termes de l'article 87, paragraphe 5, troisième alinéa, du règlement
de procédure, en cas de désistement, et à défaut de conclusions sur les dépens,
chaque partie supporte ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête:
1) Les affaires T-34/96 et T-163/96 sont jointes aux fins de l'arrêt. L'affaire
T-34/96 est radiée du registre du Tribunal.
2) Le recours dans l'affaire T-163/96 est rejeté.
3) Chacune des parties supportera ses propres dépens.
VesterdorfPirrung
Vilaras
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 mai 1999.
Le greffier
Le président
H. Jung
B. Vesterdorf